III. DES AXES DE PROGRESSION DANS LA COOPÉRATION

Si les relations entre les services de l'État et les collectivités territoriales sont généralement bonnes sur ce sujet, les rencontres de vos rapporteurs ainsi que la consultation des élus locaux qu'ils ont organisée laissent penser que des marges de progression existent.

A. L'ÉTAT DOIT ASSURER L'EXTENSION DU DISPOSITIF DE PRÉVENTION SUR LE TERRITOIRE NATIONAL

Les visites sur le terrain, comme les réponses à la consultation nationale lancée par vos rapporteurs, démontrent une implication très inégale des territoires en matière de prévention de la radicalisation.

1. Un effort d'information en direction des élus

Le SG-CIPDR a réalisé d'importants efforts d'information des élus via son site internet, par l'organisation de grandes réunions, à l'image de celle du 24 octobre 2016 tenue à Paris à destination des élus locaux, intitulée « Rencontres nationales État-collectivités territoriales : tous les territoires mobilisés contre la radicalisation », en partenariat avec les trois grandes associations nationales d'élus (AMF, ADF et ARF), par la mise en place de sessions de sensibilisation et/ou d'information à Paris et en province.

Au-delà, les préfets de département ont été chargés de transmettre l'information relative au dispositif de prévention de la radicalisation.

Par ailleurs, les autorités de l'État se sont engagées dans un processus de signature de conventions avec les grandes associations d'élus locaux, visant à accentuer l'implication des collectivités .

Ont ainsi été signées :

- une convention de partenariat « Prévention de la radicalisation violente » avec l'Association des Maires de France (AMF) , signée le 19 mai 2016. Ce texte présente l'intérêt spécifique de replacer la prévention de la radicalisation dans le cadre plus large de la prévention de la délinquance, dont le maire est responsable.

- une convention de partenariat « Prévention de la radicalisation » avec l'association Ville et Banlieue , signée le 6 septembre 2016.

- une convention de partenariat « pour lutter contre les dérives radicales violentes », signée le 7 juillet 2016 avec France urbaine.

Ces trois conventions ont le même objet, qui consiste à :

- renforcer la formation des élus et personnels territoriaux . Dans ce cadre, elles rappellent l'existence de formations organisées par le SG-CIPDR ou par le Centre des hautes études du ministère de l'Intérieur (CHEMI). Chaque association s'engage à diffuser l'information relative à ces formations auprès de ses membres.

S'agissant de la convention AMF, elle prévoit en outre que les associations départementales des maires pourront bénéficier du concours de l'État pour organiser des dispositifs d'information des élus et personnels. En principe, le préfet devait se rapprocher à cet effet du président de l'association, ce qui semble rarement avoir été le cas.

- densifier le dispositif de détection-signalement : chaque association s'engage à faire connaître à ses membres les grilles d'indicateurs du « basculement » et les encourage à procéder « dès le repérage des premiers signes de basculement » à un signalement via le numéro vert du centre national d'accueil et de prévention de la radicalisation (CNAPR) géré par l'UCLAT.

- rappeler les contours du dispositif d'animation territoriale de la prévention, organisé autour de la cellule de veille présidée par le préfet. À cet égard, les conventions notent que le préfet « avec l'accord du procureur de la République » peut informer le maire des « situations de radicalisation concernant le territoire de la commune » .

On peut s'étonner de cette rédaction, un brin ironique, car ce sera souvent au maire d'informer préfet et procureur de « situations de radicalisation » dans sa commune. D'un point de vue juridique, on comprend mal pourquoi l'accord du procureur serait nécessaire s'il ne s'agit que d'éléments généraux sur la radicalisation, dont la Justice n'a pas connaissance et qu'elle ne traite pas. À l'inverse, s'il s'agit de cas individuels pris en charge par la Justice, le code de la sécurité intérieure, et notamment son article L. 132-3, dans sa rédaction issue de la loi de 2007 sur la prévention de la délinquance, va plus loin et de manière plus claire que les conventions puisqu'il prévoit non seulement une faculté d'information du maire par le procureur sur « toutes les mesures ou décisions de justice, civiles ou pénales, dont la communication paraît nécessaire à la mise en oeuvre d'actions de prévention, de suivi et de soutien », mais aussi l'obligation pour les services de l'État de délivrer certaines informations au maire :

les informations à délivrer « sans délai » par la police et la gendarmerie portent sur les infractions causant un trouble à l'ordre public commises sur le territoire de la commune ;

les informations à délivrer à la demande du maire par le procureur portent sur les décisions prises par l'institution judiciaire sur les mêmes infractions : classements sans suite, mesures alternatives aux poursuites, poursuites, jugements définitifs ou appels interjetés.

Bien sûr, chacun sait qu'il y a parfois une marge entre la lettre des textes et leur application concrète. Il n'en reste pas moins que la prévention de la radicalisation ne doit pas être l'occasion de fragiliser les équilibres complexes construits au fil des années dans le cadre de la prévention de la délinquance.

Code de la sécurité intérieure - Extraits

Article L. 132-2 (...)

Le procureur de la République peut porter à la connaissance du maire ou du président de l'établissement public de coopération intercommunale toutes les mesures ou décisions de justice, civiles ou pénales, dont la communication paraît nécessaire à la mise en oeuvre d'actions de prévention, de suivi et de soutien, engagées ou coordonnées par l'autorité municipale ou intercommunale.(...)

Article L. 132-3

Le maire est informé sans délai par les responsables locaux de la police ou de la gendarmerie nationales des infractions causant un trouble à l'ordre public commises sur le territoire de sa commune.

Il est informé, à sa demande, par le procureur de la République, des classements sans suite, des mesures alternatives aux poursuites ou des poursuites lorsque ces décisions concernent des infractions mentionnées au premier alinéa.

Il est aussi informé à sa demande, par le procureur de la République, des jugements devenus définitifs ou des appels interjetés lorsque ces décisions concernent des infractions mentionnées au premier alinéa ou signalées par lui en application du deuxième alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale. (...)

2. Un déficit d'information encore important

Toutefois, en dépit de ces actions, les efforts restent à consolider dans la mesure où la consultation nationale des élus locaux démontre que l'information des collectivités est encore incomplète .

Si près de 75% des répondants ont entendu parler du Plan d'action du Gouvernement contre la radicalisation et le terrorisme (PART) de 2016, il en reste un quart pour lequel ce n'est pas le cas. Pire, les actions du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), pourtant organisme interministériel faîtier en la matière, ne sont connues que de 49% des répondants. De son côté, l'Association des maires d'Île-de-France (AMIF) a officiellement regretté que les maires franciliens ne soient pas « suffisamment entendus par la puissance publique lorsqu'ils sont confrontés à un cas de radicalisation. » 54 ( * )

Recommandation n° 9 : Poursuivre l'organisation, à destination des collectivités territoriales, de nouvelles sessions d'information sur les actions de l'État en matière de lutte contre la radicalisation et sur le rôle que peuvent jouer ces collectivités.

Destinataires : SG-CIPDR, ministère de l'Intérieur, préfets.

Les conventions conclues avec les associations d'élus elles-mêmes sont souvent méconnues, voire totalement inconnues du public auquel elles sont destinées : plus des deux tiers des répondants n'en ont jamais entendu parler.

Certes, chacun est conscient qu'une convention ne règle aucun problème en elle-même et, du reste, les répondants à la consultation nationale en ont souvent fait ce constat sans détour. Ces textes s'inscrivent néanmoins dans une démarche de sensibilisation qu'il convient d'accentuer.

Recommandation n° 10 : Relancer la diffusion des conventions conclues entre l'État et les associations d'élus locaux visant à accentuer l'implication des collectivités en matière de prévention de la radicalisation.

Destinataires : Préfets et associations d'élus.

Ce déficit d'information concernant les principes et structures de la réponse publique à la radicalisation est confirmé par le fait que plus de 40% des répondants n'ont jamais entendu parler des cellules de veille présidées par les préfets . Sans doute le corps préfectoral mais aussi, plus largement, les services de police et de gendarmerie devaient-il davantage aller spontanément à la rencontre des élus sur ce sujet. En la matière, on ne peut être que frappé par le fait que pour plus de 57% des répondants les autorités de l'État (préfet, sous-préfet, services de la préfecture, services de sécurité, procureur...) n'aient jamais pris l'initiative d'un contact avec les élus sur le sujet de la prévention de la radicalisation.

Sans doute les sous-préfets d'arrondissement pourraient-ils être davantage mobilisés sur le sujet pour démultiplier les capacités d'information et de contact du préfet.

Ce contact peut prend des formes variées, et certains préfets se sont organisés pour concilier des emplois du temps contraints pour tous et la délivrance d'informations générales ou plus ciblées. C'est ainsi qu'en Seine-et-Marne le préfet a réuni, dès avril 2015, plus de 250 acteurs locaux dans le cadre d'un séminaire départemental. Il a par ailleurs saisi l'occasion du dernier congrès des maires du département pour organiser une table ronde, animée par son directeur de cabinet, sur la prévention de la radicalisation.


* 54 AMIF , Livre blanc : la sécurité en Île-de-France, février 2016.

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