III. LA DETTE FRANÇAISE, UN POIDS POUR L'ÉCONOMIE

Au milieu du XIX e siècle, l'économiste français Jean-Baptiste Say défendait l'utilité des « emprunts publics modérés », profitables s'ils sont employés en « établissements utiles » car ils offrent un « emploi à de petits capitaux situés entre des mains peu industrieuses » 173 ( * ) .

Cette assertion est à mettre en perspective, notamment, avec les incidences des dépenses publiques sur la croissance économique. À cet égard, différents travaux académiques ont mis en évidence le fait que les infrastructures publiques sont en mesure de renforcer la productivité des facteurs de production, venant soutenir les activités des ménages et des entreprises ; par exemple, les infrastructures routières viennent réduire les coûts et la durée des transport 174 ( * ) . Un raisonnement analogue peut être tenu avec les infrastructures de télécommunication, d'énergie, etc. Par ailleurs, par l'intermédiaire de l'augmentation de la productivité des facteurs de production, les infrastructures peuvent entraîner une augmentation du rendement du capital et favoriser, par conséquent, une hausse de l'investissement privé 175 ( * ) . Certains auteurs ont même identifié des liens plus indirects entre les infrastructures publiques et la croissance ; ainsi, les infrastructures de transport peuvent encourager les échanges commerciaux et, de ce fait, l'activité économique 176 ( * ) . Les dépenses publiques en matière d'éducation ont, elles aussi, un effet notable sur la progression du PIB 177 ( * ) , tout comme celles de recherche et développement .

Aussi, dès lors qu'elle trouve son origine dans des dépenses de cette nature, la dette publique peut-elle contribuer au relèvement de la croissance potentielle d'une économie. Toutefois, tel ne semble pas être le cas en France, où l'alourdissement de l'endettement des administrations n'est pas corrélé à une hausse des dépenses susceptibles de présenter une utilité dans l'avenir . Dans ces conditions, le niveau actuel de la dette est d'autant plus problématique que celle-ci pèse sur l'activité économique et qu'elle expose notre pays à une forte augmentation de la charge d'intérêts .

A. L'UTILITÉ LIMITÉE DE LA DETTE PUBLIQUE FRANÇAISE

L'examen des données disponibles fait, en effet, apparaître que l'élévation du niveau de la dette au cours des quarante dernières années ne s'est pas accompagnée d'un effort particulier consenti en faveur de l'investissement public ou encore de l'éducation et de la recherche , dépenses susceptibles d'accroître le potentiel de croissance de la France.

1. L'accélération de la dette publique ne provient pas d'un effort en faveur de l'investissement...

Il est possible de considérer que l'augmentation de la dette des administrations finance un effort en faveur de l'investissement lorsque le déficit excède les dépenses de formation brute de capital fixe (FBCF) - qui intègrent les acquisitions d'actifs, mais aussi, désormais, les dépenses en matière de recherche et développement (R&D) en application du nouveau système européen de comptes nationaux, dit « SEC 2010 », entré en vigueur en 2014.

Graphique n° 58 : Évolution des dépenses d'investissement des administrations et du déficit public

(en % du PIB)

* Formation brute de capital fixe (FBCF) dont a été déduite la consommation de capital fixe, soit la dépréciation subie par le capital au cours de la période considérée du fait de l'usure normale et de l'obsolescence prévisible.

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee)

Or, si entre 1980 et le déclenchement de la crise économique, le déficit est resté en deçà des moyens consacrés à l'investissement public - à l'exception de la période 1993-1995 -, force est de constater que, depuis 2009, le déficit des administrations a été systématiquement supérieur aux dépenses de formation brute de capital fixe (FBCF) , indiquant que la dette publique constituée depuis cette date a trouvé son origine, en partie, dans des charges de personnel, de fonctionnement, d'intervention, ou encore d'intérêts de la dette. Ce phénomène trouve son origine dans la hausse du déficit public, mais également dans le recul de l'investissement ; comme cela a été relevé précédemment, la part dans le PIB des investissements des administrations a tendanciellement baissé depuis 1990 (- 0,7 point), avec une accélération de ce mouvement entre 2009 et 2016 (- 0,5 point).

Une telle évolution doit être rapprochée du recul en valeur, mais aussi relativement au PIB, du patrimoine net des administrations publiques. Alors que ce dernier représentait, en 2007, 58,2 % du PIB, il ne s'élevait qu'à 12,3 % du PIB en 2016, révélant un relatif « appauvrissement » des administrations (voir graphique ci-après).

Graphique n° 59 : Évolution du patrimoine net des administrations publiques

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee)

2. ... ou de l'éducation et de la recherche

Deux catégories de dépenses publiques méritent une attention toute particulière en ce qu'elles contribuent de manière notable à notre potentiel de croissance , à savoir celles consacrées à la recherche - bien que, comme cela a été indiqué, les dépenses de recherche et développement (R&D) sont désormais enregistrées parmi les investissements - et celles dédiées à l'éducation, constituées essentiellement de dépenses de personnel et de fonctionnement.

S'agissant des dépenses publiques de recherche 178 ( * ) , il apparaît que leur part dans la richesse nationale a nettement reculé entre 1995 et 2015 , passant de 1,8 % du PIB à 1,3 % (voir graphique ci-après). Cette évolution est principalement liée à la diminution des dépenses en faveur de la recherche fondamentale, dont la part dans le PIB a été réduite de 0,3 point au cours de la période considérée. Elle n'a été que partiellement compensée par la montée en puissance du crédit d'impôt recherche (CIR), dont le montant rapporté au PIB s'est accru de 0,2 point de PIB au cours de la période considérée.

Graphique n° 60 : Évolution des dépenses publiques de recherche

(en % du PIB)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee)

Un constat analogue peut être fait en matière d'éducation, dont la part des dépenses associées dans le PIB a diminué de 0,2 point de PIB entre 1995 et 2015 (voir graphique ci-après). Ceci s'explique par un recul de 0,3 point de PIB des dépenses consacrées à l'enseignement scolaire, qui regroupe notamment l'enseignement préélémentaire, élémentaire et secondaire.

En somme, il apparaît clairement que la progression de la dette publique ne s'est aucunement accompagnée d'un effort accru en direction de la recherche ou de l'éducation - bien au contraire -, les déficits récurrents s'expliquant essentiellement, dans notre pays, par le dynamisme des autres dépenses. Pour autant, si la part dans le PIB des dépenses publiques consacrées par la France à l'enseignement primaire et secondaire demeure supérieure à la moyenne de l'OCDE, celle-ci se place dans une position intermédiaire en termes de performances de ses élèves, comme le montrent les différentes enquêtes PISA, et ce sans véritable évolution au cours des dernières années, laissant penser que les efforts en faveur de la qualité des dépenses d'éducation sont, eux-aussi, limités. Quoi qu'il en soit, il est intéressant de noter que si les dépenses d'éducation et de recherche avaient suivi la même croissance que la dépense publique prise dans son ensemble durant la période 1995-2015, ces dernières auraient été, aujourd'hui, supérieures de près de 20 % à leur niveau constaté .

Graphique n° 61 : Évolution des dépenses publiques d'éducation (hors recherche)

(en % du PIB)

* Enseignement non défini par niveau, services annexes à l'enseignement, etc.

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee)


* 173 J.-B. Say, Traité d'économie politique , Paris, Guillaumin, 1841, p. 546.

* 174 D. Aschauer, « Is Public Expenditure Productive? », Journal of Monetary Economics , vol. 23, n° 2, 1989, p. 177-200, et A. Munnell, « How Does Public Infrastructure Affect Regional Economic Performance? » in A. Munnell (éd.), Is There a Shortfall in Public Capital Investment? , 1990.

* 175 V. J. Albala-Bertrand et E. Mamatzakis, « The Impact of Public Infrastructure on the Productivity of the Chilean Economy », Review of Development Economics , vol. 8, n° 2 2004, p. 266-278.

* 176 V. S. Scandizzo et P. Sanguinetti, « Infrastructure in Latin America: Achieving High Impact Management », Discussion Draft 2009 Latin America Emerging Markets Forum , 2009.

* 177 V. P. Aghion et É. Cohen, Éducation et croissance , Paris, Conseil d'analyse économique, 2004.

* 178 Les dépenses de recherche, dans le cadre de la nomenclature COFOG (v. supra ), comprennent celles consacrées à la recherche fondamentale ainsi qu'à la recherche dans les domaines de la défense, de la sécurité, des affaires économiques, de l'environnement, des équipements collectifs, de la santé, de la culture, de l'enseignement supérieur et de la protection sociale.

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