EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 7 juin 2017, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu une communication de MM. François Patriat et Jean-Claude Requier, rapporteurs spéciaux, sur les missions locales.

M. Jean-Claude Requier , co-rapporteur . - Notre rapport s'inscrit dans la continuité des travaux que nous avons effectués en 2015 sur les écoles de la deuxième chance. La jeunesse ayant été désignée comme la priorité du quinquennat précédent, il nous a paru important de nous pencher sur les dispositifs qui ont été mis en oeuvre ou renforcés dans ce cadre. Et, trente-cinq ans après leur création, les missions locales sont un acteur majeur de l'accompagnement des jeunes. Leurs responsabilités ont été considérablement accrues au cours des dix dernières années, et notamment depuis 2012. C'est pourquoi nous avons souhaité établir un bilan de leur action, des résultats qu'elles enregistrent et des difficultés qu'elles peuvent rencontrer.

Les missions locales sont issues des recommandations du rapport sur l'insertion professionnelle et sociale des jeunes remis en 1981 au Premier ministre Pierre Mauroy par Bertrand Schwartz. Leur création part du constat de la persistance d'un très fort taux de chômage chez les jeunes, trois fois supérieur à celui des adultes, et d'une précarisation de plus en plus importante des 16-25 ans. Initialement envisagées comme des structures temporaires, elles ont été pérennisées par la loi du 19 décembre 1989 favorisant le retour à l'emploi et la lutte contre l'exclusion professionnelle. Leur réseau compte à présent 445 missions locales et plus de 6 560 sites, ce qui offre une couverture quasi complète du territoire. Chaque structure couvre un territoire comprenant en moyenne 17 400 jeunes. Des disparités importantes existent cependant selon les territoires, celui de la mission locale d'Ambert dans le Puy-de-Dôme ne comptant que 2 000 jeunes, quand celui de la mission locale de Paris en comprend 322 500, soit un écart de 1 à 160. Les missions locales emploient près de 12 000 personnes.

Elles ont été pensées dès l'origine comme des organes fédérateurs de l'ensemble des acteurs locaux compétents en matière d'insertion professionnelle et sociale des jeunes. Leur originalité réside dans la polyvalence de leurs missions. Le code du travail leur assigne ainsi quatre fonctions principales. D'abord, elles doivent proposer aux jeunes accueillis un accompagnement global, c'est-à-dire destiné à les aider à résoudre leurs difficultés en matière de santé, de logement, d'insertion sociale et professionnelle, de formation, etc. Deuxièmement, il s'agit de favoriser la concertation entre les différents acteurs de l'insertion professionnelle et sociale des jeunes. À ce titre, les missions locales font partie du service public de l'emploi et entretiennent des relations avec Pôle emploi ainsi qu'avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi. Troisièmement, il leur incombe de participer à la détermination d'une politique locale concertée en faveur de l'insertion et de l'emploi des jeunes. Enfin, elles doivent participer au repérage des situations qui nécessitent un accès aux droits sociaux, à la prévention et aux soins.

Les services qu'elles proposent comprennent différents degrés d'intensité. Au cours d'un premier accueil, un conseiller fournit au jeune une information générale relative à l'offre de service de la structure. Elles réalisent ensuite un diagnostic global de la situation du jeune et une aide à la détermination d'un projet professionnel. Enfin, elles peuvent proposer au jeune un accompagnement personnalisé dans le cadre de dispositifs nationaux ou locaux.

Leur rôle dans l'accompagnement économique et social des jeunes a été peu à peu renforcé, l'État leur confiant le portage à titre principal de certains dispositifs de la politique de l'emploi. Ainsi, en 2005, elles ont été chargées de la mise en oeuvre du contrat d'insertion dans la vie sociale. Par ailleurs, dans le cadre de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 7 avril 2011, les partenaires sociaux ont confié à Pôle emploi, à l'Association pour l'emploi des cadres et aux missions locales la mise en oeuvre d'un accompagnement socioprofessionnel renforcé.

Depuis 2012, le rôle des missions locales s'est considérablement accru, l'État leur ayant confié la mise en oeuvre de différents dispositifs nationaux, en particulier des emplois d'avenir et de la garantie jeunes. L'article 46 de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a créé un parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (PACEA), qui doit constituer l'unique cadre contractuel de l'accompagnement des jeunes. Dès lors, la garantie jeunes, généralisée depuis le 1 er janvier 2017, ne constitue plus qu'un instrument parmi d'autres pouvant être mobilisé par les missions locales dans le cadre du PACEA.

Outre l'accompagnement direct assuré par les missions locales dans le cadre de dispositifs nationaux, celles-ci peuvent également être prescriptrices de contrats aidés et orienter les jeunes accueillis vers des dispositifs de la deuxième chance - écoles de la deuxième chance ou établissement pour l'insertion dans l'emploi - des formations ou un parrainage.

En 2015, les missions locales ont été en contact avec près de 1,4 million de jeunes. Entre 2007 et 2015, ce nombre a ainsi crû de près de 30 %. En moyenne, les missions locales ont donc accueilli plus de 3 000 jeunes par structure. Pour autant, comme le rappelle l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), une forte disparité peut être constatée autour de cette moyenne. La mission locale d'Autun - ville bien connue par son ancien évêque, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, dit Talleyrand - a ainsi accueilli 737 jeunes en 2015, quand celle de Paris a été en contact avec plus de 28 000 jeunes.

De manière assez logique, l'évolution du nombre de jeunes accueillis par les missions locales est étroitement corrélée à l'évolution de la situation du marché de l'emploi des 15-24 ans. Les publics ayant recours aux services des missions locales sont en moyenne faiblement qualifiés. La proportion de jeunes peu qualifiés en premier accueil s'élevait à un peu plus d'un tiers du total en 2013. Ils rencontrent en outre des difficultés en matière de logement, puisque seuls 20 % des jeunes en premier accueil disposaient d'un logement autonome, et de transport - 60 % d'entre eux n'ont aucun moyen de transport individuel motorisé.

En trente-cinq ans, les missions locales se sont donc imposées comme des acteurs incontournables et indispensables du service public de l'emploi. Il convient désormais d'en conforter le positionnement.

M. François Patriat , co-rapporteur . - Habitant moi-même l'Autunois, je prends la suite avec plaisir. J'ai créé une mission locale en 1991, sur un territoire rural qui comptait treize cantons. Les missions locales ont un rôle irremplaçable pour les quelque 1,4 million de jeunes qui s'y rendent chaque année. Elles sont des acteurs absolument indispensables du service public de l'emploi, aucune autre structure n'étant en capacité, ne serait-ce que matérielle, d'accueillir un tel flux. Au-delà de l'aspect quantitatif, avec une expérience de plus de trente-cinq ans, les missions locales ont su développer une réelle expertise et enregistrent des résultats globalement positifs. Saluons donc leur immense travail d'écoute et d'accompagnement des jeunes.

Le taux de sorties positives, c'est-à-dire le nombre de jeunes en emploi ou en formation à l'issue d'un accompagnement en mission locale rapporté au nombre de jeunes reçus en entretien individuel, s'élevait, en 2016, à 46 %. La qualité des emplois occupés par les jeunes sortis de parcours d'accompagnement nationaux apparaît en outre très satisfaisante puisque, selon un rapport de l'Igas, il s'agit pour 84 % d'entre eux d'emplois durables. Ces résultats doivent en outre s'analyser au regard du public accueilli par les missions locales et dont Jean-Claude Requier vous a présenté les principales caractéristiques. Au total, tant du point de vue quantitatif que qualitatif, l'action des missions locales apparaît donc positive. Il nous semble par conséquent nécessaire de conforter ces structures en y apportant des améliorations.

Parmi les points de vigilance que nous avons identifiés, il y a d'abord la question de leur financement. Celui-ci présente en effet la double caractéristique d'être à la fois éclaté et très fluctuant. Il fait intervenir plus d'une dizaine de sources différentes : l'État, les communes, les régions, les départements, les fonds européens, etc. Les procédures sont lourdes et les délais de paiement peuvent être longs. En outre, la part représentée par chaque financeur varie fortement selon les régions et les structures.

Avec 455 millions d'euros en autorisations d'engagement et près de 377 millions d'euros en crédits de paiement inscrits en 2017, l'État constitue le premier contributeur au budget des missions locales. Mais, sur ces montants, 205 millions d'euros seulement sont consacrés au financement du réseau et de l'animation régionale, et leur budgétisation ne semble pas réellement prendre en compte le niveau d'exécution de l'année précédente - malgré un effort pour l'exercice 2017. La part restante finance la mise en oeuvre des dispositifs d'accompagnement nationaux tels que la garantie jeunes ou les emplois d'avenir.

Le financement des missions locales est en outre fluctuant. La baisse des dotations aux collectivités territoriales a pu se traduire par un désengagement de certaines d'entre elles, pouvant atteindre jusqu'à 10 % dans certaines régions comme l'Île-de-France ou la région Rhône-Alpes, alors que l'activité des missions locales n'a jamais été aussi importante. Par ailleurs, le fait que la majeure partie de leur financement soit liée à la mise en oeuvre de dispositifs dont la durée de vie peut être limitée, comme cela a été le cas du dispositif prévu par l'accord national interprofessionnel de 2011, se traduit par un manque de visibilité. Les missions locales qui avaient redimensionné leurs équipes afin de faire face à l'accroissement de leur activité lié au déploiement de ce dispositif ont ainsi pu se retrouver en difficulté lors de sa suppression fin 2015. Enfin, les financements de l'État accordés au titre de la mise en oeuvre de la garantie jeunes sont conditionnés, d'une part, à la réalisation d'objectifs quantitatifs et ambitieux et, d'autre part, au respect de procédures administratives très lourdes. Ainsi, selon la mission locale de Paris, sur les 1 600 euros de crédits d'accompagnement devant être versés par jeune bénéficiaire de la garantie jeunes, seuls 70 % en moyenne sont effectivement perçus par la structure.

Au total, la situation financière des missions locales semble équilibrée au niveau national, le bilan du réseau laissant apparaître en 2015 un excédent de plus de 9 millions d'euros. Néanmoins, au niveau local, certaines structures présentent d'importantes fragilités.

Un autre point de vigilance que nous avons identifié réside dans le positionnement des missions locales par rapport aux autres acteurs du service public de l'emploi, et notamment par rapport à Pôle emploi. Malgré la répartition des compétences prévue par un accord cadre de partenariat, la mise en place d'un « accompagnement intensif jeune » par Pôle emploi crée un risque de doublon alors que, d'une part, Pôle emploi doit déjà répondre aux attentes des demandeurs d'emploi et que, d'autre part, les missions locales semblent mieux armées pour proposer ce type de services aux jeunes.

Enfin, nous avons constaté que la mesure de la performance des missions locales, faite de manière globale et non dispositif par dispositif, était insuffisante. Pris dans une réforme de la gouvernance du réseau qui ne s'est achevée qu'à l'automne 2016, le Conseil national des missions locales, dont les missions comprenaient l'établissement des rapports d'activité, n'a ainsi été mesure de produire de bilan au titre des années 2014 et 2015 qu'en avril 2017. Les données produites pourraient en outre être plus synthétiques afin d'être mieux exploitables. Les taux de sorties positives par type de sortie pourraient ainsi être davantage détaillés et les évolutions mieux expliquées.

Nos recommandations s'organisent autour de trois axes. D'abord, sécuriser les financements. Nous préconisons un assouplissement des conditions de versement des crédits consacrés à l'accompagnement de la garantie jeunes par la fixation d'objectifs plus réalistes, notamment en termes de sorties positives. C'est indispensable si nous voulons éviter l'essoufflement du système. Il nous semble en outre que la mise en place au niveau local de conférences des financeurs, comme c'est le cas au niveau national, permettrait à l'ensemble des parties prenantes de connaître l'évolution des financements de chaque structure et donc de mieux corréler le niveau de financement à leur activité et aux résultats enregistrés. Comme président de région, j'aurais aimé disposer d'une telle structure.

Deuxième axe : il faut procéder à une nouvelle clarification de la répartition des compétences entre Pôle emploi et les missions locales.

Nous recommandons aussi d'améliorer la qualité du suivi de l'activité des missions locales. Un bilan annuel de l'activité des missions locales doit être établi par le délégué ministériel aux missions locales. Celui-ci devra comporter la synthèse et l'analyse de quelques indicateurs pertinents : nombre de jeunes accueillis, taux de sorties positives par type de sorties au niveau global et par dispositif, évolution de chaque source de financement, difficultés rencontrées par le réseau, etc.

Enfin, il faut poursuivre la rationalisation du réseau. Celle-ci peut passer par un renforcement de l'échelon régional et par la mutualisation de certaines fonctions telles que les ressources humaines, les finances ou encore l'immobilier. Le délégué ministériel aux missions locales doit constituer une véritable tête de pont du réseau permettant de développer encore davantage les échanges de bonnes pratiques et la mise en place de référentiels communs.

Vu les résultats des missions locales, nous devons encourager leur activité en simplifiant le dispositif autant que possible.

M. Serge Dassault . - Président d'une mission locale, je souhaite compléter votre rapport, dont je partage largement les conclusions. Les missions locales sont indispensables. Alors que Pôle Emploi s'adresse aux demandeurs d'emploi, c'est-à-dire à des personnes ayant déjà travaillé, et a pour mission de leur retrouver un emploi, les missions locales s'occupent de jeunes qui n'ont jamais travaillé, qui ne savent rien faire et qui échouent dans les quartiers au sortir de l'école ou du collège. Elles les reprennent en main, leur donnent une formation, leur apprennent à se tenir bien et à se présenter convenablement, sans casquette ni baskets. C'est indispensable dès lors que l'Éducation nationale ne forme pas les jeunes à un métier, ce qui est la conséquence inexorable du collègue unique : tant que nous aurons un collège unique, nous aurons des chômeurs ! Aussi l'action des missions locales est-elle fondamentale. Il est exact que celles-ci ne sont pas assez bien financées, faute de revenus permanents, et le président d'une mission locale passe le plus clair de son temps à chercher de l'argent. Celle de Corbeil-Essonnes récupère environ 600 jeunes par an. Sur une décennie, cela fait 6 000 délinquants de moins. Je souhaite donc que nous garantissions aux missions locales un financement plus assuré. L'État devrait donner moins d'argent à Pôle Emploi, dont le rôle est administratif, et davantage aux missions locales, qui suivent les jeunes en direct. L'urgence pour la France est d'avoir moins de délinquants et plus de sécurité. Pour cela, il faut apprendre aux jeunes à travailler, donc développer l'apprentissage. Tout se tient !

M. Philippe Dallier . - Dans mon intercommunalité, je préside une mission locale tous les deux ans par rotation et me suis bien reconnu dans le tableau que vous nous en avez fait. Vous déplorez la mauvaise santé financière des missions locales mais, chaque année, ce sont les budgets communaux qui servent de variable d'ajustement. Leur budget est donc toujours équilibré. Je comprends toutefois que le manque de visibilité sur le financement amène à piloter à vue. En revanche, je pense comme vous que nous manquons d'outils pour apprécier l'efficacité des missions locales, qu'il faudrait pouvoir comparer entre territoires comparables. Quelle est la bonne échelle pour leur gouvernance ? La région est peut-être encore pertinente en certains endroits, mais les régions sont devenues des mastodontes... Il est vrai qu'il y a un lien avec la formation professionnelle ; cela dit, les communes ont aussi leur mot à dire. Je m'interroge.

M. Thierry Carcenac . - Ce rapport est très intéressant, vu les difficultés qu'ont les jeunes à trouver de l'information et un emploi. Il existe aussi un bureau d'information jeunesse (BIJ), et des centres régionaux information jeunesse (CRIJ). Ne pourrait-il y avoir des rapprochements entre ces structures et les missions locales ? Dans le Tarn, le département contribue au financement des permanences des missions locales en zone rurale. Nous finançons également des rapports d'évaluation de leur activité. Votre recommandation sur la conférence des financeurs est excellente.

Mme Michèle André , présidente . - Lors de la mission Schwartz, j'étais déléguée régionale aux droits des femmes. Il y avait à l'époque l'équivalent d'une conférence des financeurs dans ma région. Cette structure a-t-elle disparu ? N'est-ce pas l'âge qui détermine si l'on relève de Pôle Emploi ou d'une mission locale ? Quelle est la proportion entre garçons et filles parmi les jeunes accueillis ?

M. François Patriat , co-rapporteur . - Il y a une courte majorité de garçons. Les missions locales sont le seul interlocuteur réel des jeunes, vers lequel les renvoient les élus. Oui, le budget communal sert de variable d'ajustement, mais dans une mesure limitée. Certaines missions locales n'ont qu'un mois d'avance en trésorerie. Il est vrai que les régions sont compétentes en matière de formation professionnelle, ainsi que d'emploi. Mais elles peuvent déléguer à un niveau inférieur, par convention, la gouvernance des missions locales.

M. Jean-Claude Requier , co-rapporteur . - La proportion exacte d'hommes est de 51 %.

La commission a donné acte de leur communication à MM. François Patriat et Jean-Claude Requier et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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