AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La commission des affaires sociales du Sénat a désigné le 21 décembre 2016 Mme Élisabeth Doineau et M. Jean-Pierre Godefroy en qualité de rapporteurs d'une mission d'information relative à la prise en charge sociale des mineurs non-accompagnés .

La question des mineurs non-accompagnés, que l'on appelait jusqu'à récemment mineurs isolés étrangers, est indissociable de la question migratoire, dont le traitement médiatique nous montre l'urgence tant pour les populations concernées que pour les acteurs publics chargés de leur prise en charge. Si elle n'est pas nouvelle, la problématique de la présence en France de ces mineurs privés de toute protection familiale a pris depuis plusieurs années une ampleur qui ne cesse de croître de manière spectaculaire. En 2010, le nombre de ces mineurs pris en charge par les conseils départementaux était estimé à 4 000. Il atteignait 13 000 en décembre 2016 et pourrait dépasser 25 000 à la fin de l'année 2017.

Les racines de cette émigration particulière sont multiples. Certains fuient leur pays d'origine, dont l'instabilité politique ou sociale menace leur sécurité, d'autres voient la France comme une étape de leur parcours migratoire vers le Royaume-Uni, mais la grande majorité d'entre eux vient chercher en France des opportunités économiques qu'ils ne trouvent pas chez eux. Il s'agit donc d'un public désireux de s'implanter durablement et peu concerné par la demande du statut de réfugié. Leur arrivée est bien souvent organisée par des filières criminelles contre lesquelles il convient de lutter. Enfin, un nombre important de jeunes majeurs cherchent à bénéficier de la protection que notre droit offre aux mineurs.

Afin de mener au mieux leur mission, vos rapporteurs ont procédé à l'audition d' un grand nombre d'acteurs de la prise en charge des mineurs non-accompagnés, tant institutionnels qu'associatifs et départementaux. Ils se sont déplacés dans trois départements particulièrement touchés par le phénomène - le Nord, la Manche et les Alpes-Maritimes - afin d'y recueillir le témoignage de l'ensemble des acteurs de terrain. Ils ont en outre rencontré plusieurs diplomates de pays d'où sont principalement originaires les MNA - la Guinée et la République démocratique du Congo - afin d'évoquer les motifs du départ et le dialogue avec les autorités consulaires.

L'accueil, la mise à l'abri et la prise en charge des mineurs non accompagnés relève des conseils départementaux, dans le cadre de leur compétence en matière de protection de l'enfance. Néanmoins, face à l'ampleur prise par la problématique, les pouvoirs publics ont été amenés à organiser des circuits et des modalités d'accueil spécifiques aux MNA.

La période d'évaluation et de mise à l'abri, première phase de cette prise en charge, cristallise l'essentiel des difficultés rencontrées par les départements. Outre les démarches liées à la vérification des actes produits par les migrants, l'entretien d'évaluation doit prendre en compte des critères pluridisciplinaires qui nécessitent la mobilisation de nombreuses compétences. L'hébergement, quant à lui, se fait principalement dans des établissements hôteliers , faute de structures adaptées suffisantes.

Cette période d'évaluation et de mise à l'abri représente pour les départements une charge financière croissante, que leurs moyens contraints leur permettent de moins en moins d'absorber. Par ailleurs, la participation financière de l'État à cette charge apparaît largement insuffisante.

Une autre grande série de difficultés intervient une fois la minorité établie. La première concerne le mécanisme de répartition sur le territoire national des MNA évalués qui, parce qu'il ne tient pas compte des jeunes migrants en cours d'évaluation, soulage peu les départements les plus saturés. La seconde se rattache à la prise en charge des MNA à proprement parler assurée par les services de la protection de l'enfance. Tant du point de vue de leur scolarisation que de l'anticipation de leur majorité, vos rapporteurs ont constaté des lacunes de nature à gravement précariser les MNA une fois passés leurs 18 ans.

Après avoir décrit la problématique des MNA en en rappelant l'ampleur et en présentant le profil des mineurs en question, le présent rapport présente les difficultés et dysfonctionnements rencontrés par les départements. Si la période de mise à l'abri et d'évaluation par laquelle débute la prise en charge des personnes se présentant comme MNA cristallise une partie importante de ces difficultés, l'accompagnement des jeunes admis à l'aide sociale à l'enfance doit également être amélioré.

Les propositions portées par ce rapport visent deux objectifs principaux : redéfinir l'organisation de la mise à l'abri afin d'en alléger la charge pour les conseils départementaux, et fluidifier le plus possible le parcours des MNA une fois admis à l'aide sociale à l'enfance.

I. LES CONTOURS D'UNE PROBLÉMATIQUE DONT L'AMPLEUR CROÎT DE MANIÈRE EXPONENTIELLE

La problématique des mineurs non-accompagnés (MNA) a pris une ampleur croissante au cours des dernières années, dans un contexte global de crise migratoire qui touche l'Union européenne et la France. Leur prise en charge constitue aujourd'hui un défi majeur pour les pouvoirs publics et notamment les départements. Avant d'examiner les modalités et les dysfonctionnements de cette prise en charge, il convient de quantifier et de définir le phénomène représenté par l'arrivée en France de ces jeunes et de rappeler le droit applicable, qui a connu des évolutions récentes.

Précisions liminaires

Sur la dénomination « mineur non accompagné »

La notion de mineur non-accompagné (MNA) désigne des personnes âgées de moins de 18 ans, de nationalité étrangère, et qui se trouvent sur le territoire français sans adulte responsable. Jusqu'au début de l'année 2016, la notion de mineur isolé étranger (MIE) était davantage utilisée. Le changement de terminologie opéré par les pouvoirs publics correspond d'une part à une volonté d'harmonisation lexicale avec la notion utilisée par le droit européen et d'autre part au souhait de mettre en avant l'isolement plutôt que l'extranéité des mineurs concernés. Si vos rapporteurs ont pu s'interroger sur cette évolution, ils considèrent qu'elle ne doit pas, en elle-même, constituer un sujet de débat dans la mesure où elle n'a pas d'incidence de fond.

Sur le cas de la Guyane et de Mayotte

La question des mineurs non-accompagnés ne se limite pas à l'hexagone. Les départements d'outre-mer, et notamment la Guyane et, surtout, Mayotte, font en effet face à des arrivées importantes de migrants, dont un nombre substantiel de MNA. Toutefois, les flux migratoire correspondent dans ces territoires à des déterminants spécifiques. Vos rapporteurs n'ont pas été en mesures d'étudier la question des MNA dans ces territoires, qui mériterait une étude approfondie.

A. LA QUESTION DES MNA S'INSCRIT DANS LE CONTEXTE D'UNE INTENSIFICATION DES FLUX MIGRATOIRES

1. L'Europe fait face à une crise migratoire d'ampleur
a) Une augmentation des flux de migrants entrant en Europe et des demandes d'asile

L'Europe fait face à une question migratoire dont l'ampleur est sans équivalent depuis la seconde guerre mondiale. Ce mouvement résulte de l'arrivée massive en Europe de migrants venant du sud et de l'est de la Méditerranée.

L'acuité de cette problématique a été soulignée par le rapport de nos collègues Jacques Legendre et Gaëtan Gorce pour la commission des affaires étrangères en juillet 2016 1 ( * ) et celui de nos collègues députés Christian Assaf et Guy Geoffroy, rapporteurs de la mission d'information sur l'évaluation de l'efficacité des mécanismes européens pour prendre en charge des flux migratoires exceptionnels lancée par la commission des lois de l'Assemblée nationale, publié en octobre 2016 2 ( * ) .

Ce qu'on désigne couramment comme une « crise migratoire » est mesurable à partir de plusieurs éléments statistiques.

Le nombre de passages irréguliers des frontières européennes recensés par l'agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (agence Frontex) a ainsi bondi en 2014 puis, de manière spectaculaire, en 2015 pour atteindre 1,8 million de passages. Cette augmentation du nombre de passages détectés est sans commune mesure avec l'augmentation qui avait été observée en 2011, au moment des « Printemps arabes », qui avaient entraîné une première augmentation des flux migratoires à partir de 2011.

La nette réduction observée en 2016 semble essentiellement due à la mise en oeuvre de l'accord conclu entre la Turquie et l'Union européenne le 18 mars 2016 3 ( * ) . Toutefois, le nombre de passages détectés en 2016 demeure nettement supérieur à celui de 2014, aussi bien au niveau global que s'agissant de la seule Méditerranée orientale.

Source : Frontex

L'idée de crise migratoire découle aussi de l'augmentation du nombre de demandeurs d'asile, qui a connu une progression similaire à celle des passages irréguliers des frontières. En cohérence avec les données Frontex, on constate une baisse du nombre de demandes en 2016 par rapport à 2015, même si la baisse du nombre de demandeurs d'asile est moins marquée que celle du nombre de passages irréguliers.

Source : Eurostat

Une partie de l'écart entre les données de Frontex (1,8 million de passages irréguliers des frontières en 2015) et le nombre demandeurs d'asile (1,2 million) s'explique par la double comptabilisation par Frontex des personnes entrant dans l'UE par la Grèce qui traversent ensuite les Balkans pour passer à nouveau les frontières européennes, ainsi que par le fait que les demandeurs d'asile n'entrent pas nécessairement illégalement en Europe.

Les demandes d'asile concernent de manière inégale les différents pays de l'Union européenne. L'Allemagne concentrait ainsi en 2016 60 % des primo-demandeurs d'asile enregistrés en Europe, contre 10 % pour l'Italie et 6 % pour la France.

b) Un mouvement étroitement lié aux conflits armés que connaissent les pays d'origine des migrants

Selon Frontex, environ 22 % des passages irréguliers des frontières européennes ont concerné en 2016 des personnes de nationalité syrienne ou irakienne et 17 % des personnes de nationalité afghane, pakistanaise ou bangladaise.

Nationalité des personnes
ayant traversé irrégulièrement les frontières de l'UE

Source : Frontex

Si l'on fait abstraction des demandeurs d'asile ressortissant de pays des Balkans (Macédoine, Albanie, Kosovo), l'origine des demandeurs d'asile recoupe assez bien celle des personnes enregistrées par Frontex.

Pays d'origine des demandeurs d'asile
dans les États membres de l'UE en 2015

Source : Eurostat

L'importance de la Syrie, de l'Afghanistan et de l'Irak parmi les pays d'origine des migrants (ces nationalités représentent 34 % des passages irréguliers et 53 % des demandeurs d'asile) accrédite l'idée selon laquelle la vague migratoire actuelle est largement liée aux conflits qui touchent ces pays.

2. La France est concernée par la crise migratoire
a) Une position au carrefour de routes migratoires

Les données d'Eurostat montrent que, dans l'absolu ou relativement à sa population, la France est loin d'être le pays européen le plus concerné par les demandes d'asile. Ainsi, alors que notre pays représente près de 13 % de la population européenne, il n'a enregistré en 2016 qu'un peu plus de 6 % du nombre total de demandes d'asile dans l'Union européenne en 2016, contre près de 60 % pour l'Allemagne et 10 % pour l'Italie. On peut toutefois noter que le nombre total de demandes d'asile enregistrées en France augmenté en 2016 (+10,64 %) alors qu'il se contractait à l'échelle de l'UE (-4,75 %) 4 ( * ) et que le nombre d'entrées illégales dans l'UE baissait significativement.

Source : Eurostat

La problématique des flux migratoires en France est en outre caractérisée par la position de notre pays sur une route empruntée par des migrants arrivés par la Méditerranée et qui souhaitent rejoindre des pays du nord de l'Europe, notamment l'Allemagne ou le Royaume-Uni 5 ( * ) . Cette situation géographique explique l'apparition de campements sauvages de personnes ne souhaitant pas nécessairement s'inscrire dans une démarche de demande d'asile en France, qui a été observée notamment dans le Calaisis ou en région parisienne.

Le rétablissement des contrôles aux frontières en vigueur jusqu'en novembre 2017 au plus tard permet, dans une certaine mesure, de juguler les flux d'arrivée mais la fin de cette mesure pourrait avoir pour conséquence une recrudescence des arrivées.

Le rétablissement temporaire des contrôles aux frontières

La France a activé, à compter du 13 novembre 2015 6 ( * ) , un mécanisme prévu par l'article 25 du code frontières Schengen 7 ( * ) permettant aux États membres de rétablir, pour une durée maximale de deux ans, des contrôles aux frontières intérieures de l'UE « en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure ». Dans ce cadre, les services de police et de gendarmerie peuvent refuser l'entrée en France de personnes arrivant y compris d'un État membre de l'espace Schengen.

Le rétablissement des contrôles aux frontières permet depuis novembre 2015 de juguler dans une certaine mesure les flux d'entrées depuis l'Italie, sans que la pression migratoire ne diminue. Ainsi, dans les Alpes-Maritimes, les forces de l'ordre ont procédé à 37 000 interpellations en 2016 et à 20 440 sur les 24 premières semaines de l'année 2017. Plus de 95 % de ces interpellations ont abouti à un retour vers l'Italie, soit par le biais d'une non-admission, rendue possible par le rétablissement des contrôles aux frontières, soit par le biais d'une procédure de réadmission, encadrée par l'accord bilatéral de Chambéry du 3 octobre 1997 8 ( * ) . Le rétablissement des contrôles aux frontières ne peut dépasser une durée maximale de 2 ans et doit donc prendre fin au plus tard le 13 novembre 2017 9 ( * ) . La fin des contrôles aux frontières et de la possibilité de procéder à des non-admissions suscite des inquiétudes quant à la capacité qu'aura notre pays à maîtriser l'afflux de migrants qui ne semble pas appelée à faiblir, et qui pourrait même s'intensifier après cette date, du fait de la capacité d'adaptation dont font preuve les réseaux de passeurs. Une évolution des règles posées par le code frontières Schengen apparaît donc nécessaire, et la France milite en ce sens au sein de l'Union européenne 10 ( * ) .

b) L'origine des migrants arrivant en France

S'il existe des différences entre les nationalités des demandeurs d'asile à l'échelle européenne et celle des demandeurs d'asile en France, il ressort des statistiques tenues par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), que les demandeurs d'asile en France viennent souvent de pays touchés par des conflits armés. Un quart d'entre eux viennent ainsi du Soudan, de la Syrie, de l'Afghanistan, de l'Irak et de la République démocratique du Congo.

Source : Ofpra
NB : Hors mineurs accompagnants, hors réexamens

3. A l'échelle européenne, la problématique des MNA s'inscrit dans celles des migrants en général

La problématique des mineurs non accompagnés s'inscrit dans celle de la vague migratoire. Le nombre de MNA parmi les demandeurs d'asile a ainsi explosé à partir de 2014 suivant la même dynamique que le nombre de demandeurs d'asile ou le nombre de passages irréguliers détectés par Frontex. Selon Eurostat, 23,1 % des demandeurs d'asile mineurs étaient non accompagnés en 2015.

Demandeurs d'asile considérés comme MNA (UE 28)

Source : Eurostat

La répartition par pays des demandeurs d'asile MNA suit par ailleurs sensiblement la répartition des demandeurs d'asile dans leur ensemble. On remarque toutefois que le nombre de demandeurs d'asile MNA est particulièrement faible en France, qui ne totalise que 475 demandes d'asile de MNA en 2016.

Nombre de demandeurs d'asile considérés comme MNA en 2016

Source : Eurostat


* 1 L'Europe au défi des migrants : agir vraiment ! Rapport d'information de MM. Jacques Legendre et Gaëtan Gorce, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, n° 795 (2015-2016) - 13 juillet 2016.

* 2 Rapport de la mission d'information sur l'évaluation des mécanismes européens pour prendre en charge des flux migratoires exceptionnels, présenté par MM. Christian Assaf et Guy Geoffroy, n° 4172 - 26 octobre 2016.

* 3 Cet accord prévoit notamment un renforcement des contrôles exercés par la Turquie sur les départs de migrants depuis ses côtes vers les îles grecques et le retour vers la Turquie de migrants y ayant transité et étant parvenus en Grèce.

* 4 Entre 2015 et 2016, le nombre total de demandes d'asile a baissé de 70 % au Danemark, et de plus de 80 % en Suède et au Danemark.

* 5 Cette route est d'autant plus empruntée que celle qui passe par les Balkans a été rendu plus difficile d'accès par la fermeture de la frontière hongroise.

* 6 Cette date correspond par un hasard de calendrier à la date d'entrée en vigueur de l'état d'urgence décrété à la suite des attentats de Paris et Saint-Denis et prolongé par la suite. Le rétablissement temporaire des contrôles aux frontières correspond néanmoins à une base juridique différente et a été décidé dans le cadre de l'organisation de la COP 21. Il ne prendra pas fin automatiquement avec la levée de l'état d'urgence.

* 7 Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes.

* 8 Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière, signé à Chambéry le 3 octobre 1997, publié par le décret n° 2000-923 du 18 septembre 2000.

* 9 Cinq autres États européens (l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, la Suède ainsi que la Norvège, qui n'est pas membres de l'Union européenne mais participe à l'espace Schengen) ont également rétabli des contrôles aux frontières, sur le fondement de l'article 29 du code frontières Schengen, à l'initiative du Conseil de l'Union européenne. Ces contrôles doivent également prendre fin en novembre 2017.

* 10 Dans une lettre du 20 février 2017 adressée à la Commission, les ministres de l'intérieur allemand et français, MM. Thomas de Maizière et Bruno Le Roux, ont indiqué que « la persistance de la menace terroriste et l'efficacité des contrôles actuels aux frontières intérieures témoignent de la nécessité de procéder à la révision du code frontières Schengen relative à la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure. Les contrôles doivent être rétablis pour des durées supérieures à celles prévues actuellement ».

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