V. UN IMPÉRATIF : RENFORCER LA RECONNAISSANCE DES AGRICULTRICES

A. UN ÉLÉMENT DÉCISIF DE LA LÉGITIMITÉ DES AGRICULTRICES : LA FORMATION CONTINUE, DONT L'ACCÈS DOIT ÊTRE FACILITÉ

1. Une formation nécessaire, marquée par des inégalités persistantes entre hommes et femmes

L'organisme VIVÉA (Fonds pour la formation des entrepreneurs du vivant) 190 ( * ) , qui « accompagne les chefs d'entreprise du secteur agricole et leurs conjoints dans le développement de leurs compétences et le financement de leur formation professionnelle continue » 191 ( * ) , attache une importance certaine à la formation des agricultrices .

VIVÉA observe que « Pour la réussite de leur projet professionnel et de leur entreprise, pour faciliter leur reconnaissance et l'articulation entre les différents temps de vie, l'acquisition de compétences est souvent un facteur clé de succès. [Les agricultrices] doivent pouvoir être solidement accompagnées notamment par la formation. C'est pourquoi VIVÉA s'est fortement engagé depuis plusieurs années pour un meilleur accès à la formation de ses contributrices » 192 ( * ) .

Cet intérêt pour l'égalité dans l'accès à la formation n'est pas récent. Les formations mises en place dès le début des années 1960 ont permis aux pionnières de « trouver une place spécifique, complémentaire du mari sur l'exploitation familiale ». Selon les informations disponibles sur le site de VIVÉA, le BPA 193 ( * ) et le BPREA 194 ( * ) sont devenus, à partir de 1976, des « passages obligés » pour l'obtention des aides à l'installation. De nombreuses agricultrices rencontrées par la délégation ont ainsi effectué le stage de 200 heures mis en place dans les années 1970 à destination des nouveaux arrivants.

Un document de février 2011 consacré à ce sujet par VIVÉA 195 ( * ) faisait observer l' importance toute particulière des formations préalables à l'installation pour des femmes qui, certes viennent à ce métier avec un niveau de diplôme élevé, mais pour une forte part « après une formation et des parcours professionnels hors agriculture » et « majoritairement sans avoir suivi de formation initiale spécifique à l'installation en agriculture ».

Christiane Lambert, en tant que présidente de VIVÉA, soulignait en introduction à cette étude de 2011 combien les formations professionnelles préalables à l'installation devaient faire l'objet d'une attention spécifique , car leur intérêt excède l'acquisition des connaissances : « c'est un moment privilégié pour acquérir ou confirmer une identité d'agricultrice ».

Dans le domaine de la formation continue, les travaux de la délégation ont également souligné l'intérêt de la validation des acquis de l'expérience (VAE) . Ainsi, au cours du déplacement des co-rapporteur-e-s à Toulouse, le 30 mai 2017, la directrice du CFPPA d'Ondes a mis en exergue les vertus de cette certification qui , selon elle, permet aux femmes de prendre confiance en elles et de trouver leur place sur l'exploitation, en leur confirmant qu'elles y apportent une réelle valeur ajoutée.

Cette appréciation rejoint la conviction de Guy Sigala, secrétaire général du SEA-UNSA Éducation (enseignement public), au cours de la table ronde du 30 mars 2017, qui a relevé l'intérêt de la validation des acquis de l'expérience et le souhait du ministère de l'Agriculture d'encourager son développement : « Une autre problématique que nous n'avons pas encore évoquée tient au fait que nous accueillons aussi des agricultrices qui viennent passer des BTS par le biais de la validation des acquis de l'expérience (VAE) afin de valoriser leur parcours professionnel et leur investissement dans le monde agricole , voire pour réorienter leur carrière. La VAE est donc un outil encouragé par le ministère » .

Dans le même esprit, la délégation a entendu de nombreux témoignages d'agricultrices faisant état de l'importance qu'elles attachent au fait de participer à des stages de formation continue, non seulement pour améliorer leurs connaissances professionnelles , mais aussi parce que cela leur permet de sortir de leur exploitation, de rencontrer des collègues , d'échanger des bonnes pratiques et de constituer des réseaux de femmes , à l'instar de ceux qui se développent dans d'autres professions. Les stages proposés par VIVÉA excèdent donc l'intérêt qui s'attache à l'acquisition de connaissances professionnelles.

Le document précité, élaboré par VIVÉA en février 2011, constate que la participation des agricultrices aux stages proposés par VIVÉA « diminue avec la mise en place des investissements professionnels et la présence d'enfants en bas âg e ». Elle semble donc tributaire de l'articulation des temps de vie professionnelle et personnelle , qui se pose, de nos jours encore, en termes particuliers pour les femmes.

De fait, malgré son engagement indéniable en faveur de l'égalité, qui a pris la forme, entre autres initiatives, d'un Plan d'action national pour l'égalité d'accès hommes/femmes à la formation, VIVÉA constate un décalage persistant entre hommes et femmes concernant l'accès à la formation continue . Lors de son audition par la délégation, le 23 mai 2017, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA et de VIVÉA, a souligné le décalage entre les 19 % d'agriculteurs qui se forment chaque année et le taux nettement inférieur (15 à 16 %) observé pour les femmes.

Or les femmes viennent à l'agriculture plus souvent que les hommes, et de surcroît avec une formation initiale non agricole. Elles relèvent dans une plus forte proportion des « nouveaux profils de retour à la terre », selon l'expression de Christiane Lambert : elles ont tout particulièrement besoin de ces formations pour exercer leur nouvelle profession.

Selon le site de VIVÉA, si les femmes représentent un tiers des contributeurs du fonds (et un quart des chefs d'entreprises agricoles), les contributrices bénéficiaires de VIVÉA constituent moins d'un quart des stagiaires financés et un quart des heures par stagiaires financées 196 ( * ) .

Ce déséquilibre entre contribution des agricultrices à VIVÉA et accès à la formation a été mentionné lors du colloque du 22 février 2017 par deux intervenantes : Karen Serres, ancienne présidente de la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA, qui a souligné la « sous-consommation féminine de la formation adulte, alors qu'il y aurait un vrai besoin », et Catherine Faivre-Pierret, membre de la Commission nationale des agricultrices.

L'infographie ci-dessous met en évidence ces inégalités :

Les contributrices VIVÉA représentent près d'1/3 de l'ensemble des contributeurs.

€71 % 29 %

Les contributrices bénéficiaires de VIVÉA représentent moins d'1/4 des stagiaires financés. La proportion de femmes bénéficiaires de VIVÉA est le premier indicateur d'inégalité.

€78 % 22 %

Les contributrices bénéficiaires de VIVÉA représentent 1/4 des heures stagiaires financées. La proportion d'heures stagiaires réalisées par les femmes est le deuxième indicateur d'inégalité.

€1 628 277 heures/stagiaires 555 138 heures/stagiaires

Selon les chiffres-clés de 2016 :

- les femmes représentent 29 % des contributeurs au fonds,

- près de 15 % d'entre elles se sont formées pendant l'année,

- elles représentent 25 % des bénéficiaires de l'année.

Le déséquilibre hommes-femmes s'est donc récemment réduit, même si les femmes continuent à bénéficier des formations dans une proportion très inférieure aux hommes , qui constituent les trois quarts des bénéficiaires.

La répartition par activité entre contributrices et bénéficiaires des formations fait apparaître un meilleur taux d'accès aux formations pour les éleveurs (essentiellement de volailles et, dans une moindre mesure, d'ovins, caprins et équidés, puis de bovins et de porcins). La catégorie culture de légumes et maraîchage vient directement après. On observe la même répartition pour les agriculteurs.

S'agissant de la répartition par âge , les chiffres clé de 2016 confirment une tendance régulièrement observée au déclin du taux d'accès aux formations après l'âge de 40 ans, soit après l'âge limite pour s'installer en tant que « jeune agriculteur ». Ces statistiques montrent par ailleurs une certaine baisse du taux d'accès , par rapport aux chiffres de 2015 :

• pour les moins de 30 ans (37,8 % en 2015 ; 20,4 % en 2016) ;

• pour les 30 à 39 ans (27,3 % en 2015 ; 20,9 % en 2016).

Il importe donc de s'assurer que ces statistiques reflètent une baisse ponctuelle et non une tendance durable, dont les effets seraient préoccupants à terme.

2. Les freins à l'accès à la formation continue et les leviers d'action

La difficulté de libérer du temps pour participer à des formations a été identifiée comme un frein majeur pour les agricultrices, compte tenu des responsabilités familiales qui leur incombent plus particulièrement. Ce point a été évoqué lors du colloque du 22 février 2017 par Catherine Faivre-Pierret, membre de la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA, qui a également noté l'obstacle que constituent les distances à parcourir pour rejoindre les lieux de formation , le temps de trajet allongeant d'autant la durée de l'absence. Selon le document transmis à la délégation par la Coordination rurale , le manque de temps est accentué pour les jeunes femmes qui cumulent les contraintes de mères de jeunes enfants et l'intensité du travail des premières années d'installation. Il faut toutefois noter que les responsabilités familiales qui incombent aux femmes en général ne se limitent pas aux soins aux jeunes enfants et qu'elles s'étendent, avec le temps, aux parents âgés .

Christine Riba, secrétaire nationale de la Confédération paysanne , a estimé, lors de son audition par la délégation, le 7 juin 2017, que lorsqu'on organise une formation, il faut « vraiment aller chercher [les femmes] pour qu'elles s'inscrivent ». Elle a cependant relevé que si « le premier pas est difficile - ne serait-ce que pour laisser le mari préparer à manger », « une fois qu'elles y sont, cela crée une émulation et elles peuvent discuter ensemble de leurs problèmes ».

Le syndicat Coordination rurale a par ailleurs relevé les contraintes liées aux formations elles-mêmes , qu'il s'agisse de leur coût ou de leurs modalités d'organisation .

Sur le premier point, la Coordination rurale souligne le poids des dépenses liées au remplacement (selon les informations transmises à la délégation, il représente en moyenne 168 euros pour une journée de huit heures et 147 euros pour une journée de sept heures). Or cette dépense n'est pas accessible à de nombreux chefs d'exploitation.

En ce qui concerne les modalités d'organisation des formations, la Coordination rurale relève que les formations VIVÉA sont conçues sur un format trop long , soit une durée minimale de sept heures, incluant une pause inoccupée pour le déjeuner, durée à laquelle il faut ajouter des temps de trajet parfois longs. Certaines interlocutrices de la délégation ont suggéré que le programme soit resserré sur cinq heures, la formation se poursuivant pendant le déjeuner, format considéré comme davantage compatible avec des obligations familiales. Une autre orientation souhaitable, selon la C oordination rurale , semble être de « développer des formations cumulant l'enseignement à distance et le présentiel ».

Les difficultés qui se posent aux agricultrices souhaitant participer à une formation tiennent donc à la fois au travail sur l'exploitation et aux contraintes domestiques . Ce dernier point a été évoqué lors du déplacement en Bretagne : plusieurs témoins entendues par la délégation ont déploré la pesanteur d'une culture défavorable à l'emploi d'une aide-ménagère à domicile , pourtant indispensable compte tenu de la charge de travail des agriculteurs et agricultrices.

L'exemple de la présidente de la FNSEA a été cité à cet égard (Christiane Lambert a d'ailleurs évoqué, lors de son audition devant la délégation, la faculté qui lui avait été donnée, après la naissance d'un enfant, de bénéficier d'une aide à domicile pour s'occuper des enfants et contribuer aux tâches ménagères, afin de lui rendre plus facile l'exercice de responsabilités syndicales).

Il semble ainsi que, tout autant que le remplacement, une aide-ménagère serait utile pour favoriser la participation à des stages en minimisant les conséquences, pour la famille (qu'il s'agisse des jeunes enfants ou de parents âgés), de l'absence qu'elle implique pour l'agricultrice qui y participe. Il paraît donc important de contribuer à la dépense liée à la rémunération d'une personne assurant cet emploi à domicile pendant l'équivalent d'une journée de travail . Il est clair que cette aide doit concerner aussi les agriculteurs.

La possibilité de choisir entre un remplacement dans l'exploitation et une aide-ménagère semble donc constituer une piste à envisager pour accompagner l'absence des agricultrices conduites à suivre une formation ou à exercer un mandat . La formule de chèques emploi services prépayés , qui existe dans certaines entreprises, pourrait constituer une piste prometteuse à cet égard.

La délégation considère que l'accès à la formation continue des agricultrices est indispensable, non seulement dans une logique d'égalité entre femmes et hommes et de renforcement de leur efficacité professionnelle, mais aussi pour contribuer à la mise en place de réseaux d'agricultrices .

Elle encourage donc VIVÉA à continuer à favoriser l'augmentation du taux d'accès des agricultrices aux stages de formation et à considérer avec intérêt les suggestions concernant une organisation des stages davantage compatible avec d'importantes contraintes horaires (réduction du temps de présence, séquences de formations à distance, etc.)

La délégation préconise par ailleurs la mise à l'étude, par la MSA, de chèques emploi services prépayés , à l'instar de ce qui existe dans certaines entreprises, pour financer le recours à une aide à domicile pendant le temps d'absence lié à la formation. Elle recommande que celles (et ceux) qui participent à un stage de formation puissent ainsi choisir entre une journée de remplacement professionnel et une journée d'aide-ménagère.


* 190 Selon les informations disponibles sur son site, VIVÉA est un fonds mutualisé mis en place par la profession agricole créé par convention  entre les quatre syndicats représentatifs : Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), Jeunes agriculteurs (JA), Confédération paysanne (CP) et Coordination rurale (CR) ; et deux organisations agricoles à vocation générale : l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) et la Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricole (CNMCCA).

* 191 http://www.vivea.fr/nous-connaitre/missions-et-activites/

* 192 http://www.vivea.fr/nous-connaitre/egalite/

* 193 Brevet professionnel agricole.

* 194 Brevet professionnel responsable d'exploitation agricole.

* 195 « L'accès des femmes à la formation », in Études et ingénierie, n° 3, février 2011. http://www.vivea.fr/wp-content/uploads/2013/07/Diversite-des-usages-de-la-formation-par-les-agricultrices-Synthese.pdf

* 196 http://www.vivea.fr/wp-content/uploads/2015/03/Barometre-VIVEA-egalite-2015.pdf

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