ANNEXES

Annexe 1

Liste des déplacements

Annexe 2

Comptes rendus des déplacements

Annexe 3

Liste des personnes auditionnées et consultées

Annexe 4

Comptes rendus des auditions

Annexe 5

Convention interministérielle pour l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif

Annexe 6

Note du ministère de l'Agriculture sur les retraites des agricultrices

1. LISTE DES DÉPLACEMENTS

- Jeudi 6 avril 2017

Déplacement dans la Drôme

- Lundi 15 et mardi 16 mai 2017

Déplacement en Vendée

- Mardi 30 mai 2017

Déplacement en Haute-Garonne

- Mercredi 14 juin 2017

Déplacement en Bretagne

2. COMPTES RENDUS DES DÉPLACEMENTS

Compte-rendu du déplacement dans la Drôme (6 avril 2017)

Un déplacement dans la Drôme, organisé à l'initiative de Marie-Pierre Monier, élue de la Drôme et co-rapporteure, a eu lieu le jeudi 6 avril 2017. Outre Marie-Pierre Monier, la délégation était composée de Corinne Bouchoux, co-rapporteure et Chantal Deseyne, membre de la délégation.

Les remerciements chaleureux de la délégation s'adressent à toutes les personnes rencontrées au cours de cette journée et à toutes celles et ceux qui, en contribuant à son organisation ou par leur présence, en ont fait un moment aussi éclairant que convivial.

Table ronde à la Chambre d'agriculture de la Drôme

Au cours de la matinée, les sénatrices ont échangé avec des agricultrices de différentes générations, aux profils variés, à la Chambre d'agriculture de la Drôme, en présence d'Anne-Claire Vial, sa présidente . Plusieurs productions agricoles étaient représentées : arboriculture, arbres fruitiers, viticulture, élevage caprin, élevage bovins laitiers, élevage de chevaux, maraîchage.

Données chiffrées sur la population féminine drômoise en agriculture

On dénombre 1 243 cheffes d'exploitation agricole en 2016 dans le département, soit une proportion de 22,61 %. 82 % d'entre elles ont plus de 40 ans , contre 76 % pour les hommes, et 27 % ont plus de 60 ans (14 % pour les hommes).

En outre, les secteurs agricoles comptant le plus de femmes à la tête d'exploitations sont les suivants :

- viticulture (236) ;

- cultures céréalières et industrielles, « grandes cultures » (223) ;

- élevages ovins et caprins (156).

Les femmes sont les plus nombreuses dans le secteur hippique (entraînement, dressage, haras, clubs), avec une proportion de 55,32 % de cheffes d'entreprises. Elles sont en forte proportion aussi dans l'élevage de chevaux (54 %), dans l'élevage des ovins et des caprins (38 %) et les cultures spécialisées (34 %). À l'inverse, elles sont moins nombreuses dans les cultures céréalières et industrielles et les « grandes cultures » (20 %), l'arboriculture fruitière (19 %), la pépinière (19 %), l'élevage de bovins viande (18 %) et l'élevage de bovins lait (14,2 %).

En ce qui concerne l'emploi salarié agricole, les femmes représentent 39,74 % de l'ensemble des effectifs , part en diminution depuis cinq ans. Cependant, elles représentent 61 % des salariés des organismes de service agricole.

Les salariées agricoles de la Drôme occupent principalement un emploi en cultures spécialisées (56 %) et en viticulture (12 %).

Enfin, le temps de travail des salariées agricoles est inférieur de 10 % en moyenne à celui des hommes et leur salaire horaire moyen est de 14,18 euros, soit 0,5 % de moins que celui des hommes .

Source : Chambre d'agriculture de la Drôme

Après une exposition générale des objectifs du rapport de la délégation par Marie-Pierre Monier, les agricultrices ont présenté leur parcours et une discussion s'est engagée avec les sénatrices, au cours de laquelle de nombreux thèmes ont été abordés : plafond de verre et place des femmes dans les organisations professionnelles agricoles (OPA), statut juridique et couverture sociale des agricultrices, accès au prêt bancaire et à la terre, rôle de la chambre d'agriculture dans les aides à l'installation et le soutien technique aux installations.

La plupart des agricultrices présentes à la table ronde ont été engagées - ou le sont encore - dans les instances du monde agricole, que ce soit à la MSA, à la chambre d'agriculture, dans une coopérative ou dans un syndicat.

Plusieurs d'entre elles sont issues de familles d'agriculteurs mais n'ont pas suivi de formation initiale dans l'enseignement agricole, avant de revenir sur l'exploitation familiale. D'autres au contraire, qui ne sont pas issues du milieu agricole, ont fait des études dans ce domaine ou se sont installées avec leur conjoint .

Les agricultrices ont souvent souligné les difficultés d'organisation dues à la nécessité de rendre leurs diverses activités professionnelles (travail sur l'exploitation, engagement dans les instances agricoles) compatibles avec leur vie de famille .

Certaines ont évoqué les problèmes rencontrés pour se faire remplacer au moment de la grossesse et de la naissance de leurs enfants , soit en raison de l'inadéquation du « profil » des remplaçants au regard des compétences recherchées, soit en raison de l'isolement. Selon Anne-Claire Vial, la Chambre d'agriculture de la Drôme incite pourtant les nouveaux installés à adhérer au Service de remplacement . Pour elle, le faible recours à ce service ne tient pas tant au manque de moyens qu'aux réticences de la population agricole.

En outre, plusieurs témoignages ont évoqué la question de la santé des agricultrices enceintes et les risques qui peuvent exister pour leur enfant en cas d'exposition à des pesticides ou de maladies affectant les animaux. Il a été proposé à cet égard qu'une évaluation du risque soit réalisée pour les agricultrices enceintes, et qu'en cas de risque avéré, elles puissent bénéficier d'un arrêt de travail, voire d'une compensation salariale .

Dans l'ensemble, les agricultrices drômoises ne semblent pas avoir souffert du sexisme du milieu agricole, sauf dans la viticulture, secteur encore marqué par des stéréotypes qui le rendent d'après elles peu accueillant pour les femmes.

Les agricultrices ont également mis en exergue la problématique de l'accès au foncier et de la disponibilité des terres pour les agriculteurs (tant les hommes que les femmes), en raison d'une importante pression foncière. Les femmes se heurtent parfois à davantage d'obstacles pour louer des terres, a fortiori si elles ne sont pas issues d'une famille d'agriculteurs.

En ce qui concerne l'accès des femmes aux responsabilités dans les organismes agricoles, les agricultrices ont considéré que la mise en place de quotas pour imposer des femmes aux élections était une mesure nécessaire pour faire évoluer positivement la situation. S'agissant de l'accès aux instances de gouvernance , elles ont estimé que les difficultés des femmes tenaient moins à une attitude hostile, voire sexiste des hommes, qu'à la rareté des postes .

Enfin, selon les données de la Chambre d'agriculture de la Drôme, on constate actuellement l'installation de cheffes d'exploitation, notamment dans la viticulture, qui font le choix de la ruralité après avoir exercé pendant plusieurs années dans des secteurs comme la finance ou le droit 226 ( * ) .

Table ronde au Centre de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA) de Nyons

Au cours de l'après-midi, les sénatrices ont dialogué avec des agricultrices, une formatrice et deux jeunes stagiaires au CFPPA de Nyons , en présence de Philippe Bizeul, son directeur .

Ont notamment participé à cette rencontre :

- Régine Brès-Kaneko , agricultrice, administratrice du Syndicat de l'Olive de Nyons et des Baronnies ;

- Catherine De Zanet , présidente de la Caisse locale du Crédit Agricole de Nyons, administratrice de la Caisse régionale du Crédit Agricole Sud Rhône-Alpes, membre élue de la Chambre d'agriculture de la Drôme ;

- Michelle Luneau , exploitante agricole 227 ( * ) ;

- Béatrix Verillaud , formatrice - recherches sociologiques sur la place des femmes.

Les participants à la table ronde ont souligné le poids des stéréotypes qui demeurent ancrés dans les mentalités, comme on peut notamment le constater dans les lycées agricoles. Cela prend du temps pour s'affranchir de ces représentations, qui font partie des principaux freins à la présence des femmes en agriculture , plus encore, selon les interlocuteurs de la délégation, que l'accès à la formation continue ou aux prêts. Pour autant, le travail agricole des femmes a toujours existé , et pendant longtemps n'a pas été reconnu, avant d'être peu à peu mis en lumière.

Régine Brès-Kaneko a évoqué son engagement au Syndicat de l'Olive de Nyons et des Baronnies , qui ne compte que trois femmes sur une vingtaine de membres . Compte tenu de la faible présence des femmes dans les organisations professionnelles agricoles, les interlocuteurs de la délégation ont estimé que des mesures comme les quotas apparaissent indispensables . À cet égard, Catherine De Zanet a évoqué en tant que bonne pratique à saluer l'initiative de la Caisse régionale du Crédit Agricole, qui requiert un quota de 40 % de femmes dans ses effectifs.

La problématique de l'articulation des temps de vie pour les agricultrices a également été évoquée, l'engagement dans des fonctions associatives ou syndicales ou des responsabilités professionnelles (chambres d'agriculture, coopératives...) paraissant particulièrement compliqué pour les jeunes agricultrices ayant des enfants en bas âge, d'autant plus que les réunions syndicales se tiennent généralement à partir de 18h00. Une participante a évoqué la préférence pour l'entraide familiale ou amicale dans la viticulture , plutôt que le recours aux services de remplacement.

Plusieurs interlocutrices de la délégation ont souligné l'importance de la formation, notamment continue, des agricultrices, pour leur donner une crédibilité et une légitimité . La nécessité de choisir un statut semble bien identifiée. D'ailleurs, les jeunes stagiaires du CFPPA ont indiqué que leur formation comprenait une intervention spécifique sur cette question. Pour autant, elles n'ont pas encore forcément réfléchi aux aspects pratiques de leur installation, qu'il s'agisse des prêts, du statut ou de l'accès au foncier.

La présidente de la caisse locale du Crédit Agricole de Nyons a indiqué que, sur cinq dossiers d'installation traités en 2016 par la banque, aucun n'émanait d'une femme . Plusieurs explications sont possibles. Ainsi, elle a souligné la spécificité des dossiers des agricultrices , qui se caractérisent généralement par la pluriactivité et l'exploitation de petites surfaces , et ne nécessitent donc pas forcément une demande de prêt. De manière générale, les installations féminines sont souvent atypiques, hors cadre DJA 228 ( * ) voire hors cadre familial ; dans la Drôme, seulement 50 % de l'ensemble des dossiers d'installation (hommes et femmes confondus) passent par une demande de DJA.

Les participants à la table ronde ont par ailleurs souligné que l'installation est généralement plus aisée lorsqu'elle se fait dans un cadre familial , car elle offre alors davantage de sécurité économique.

Un autre facteur qui peut compliquer l'installation dans le département tient à la pression foncière , qui induit les propriétaires fonciers à refuser de louer leur terre en fermage.

De surcroît, les interlocuteurs de la délégation ont insisté sur les apports des agricultrices qui bénéficient à tous , notamment en ce qui concerne l'ergonomie des outils, la prévention des troubles musculo-squelettiques (TMS) ou encore le respect des temps familiaux. Sur la question des équipements et outils, il a été relevé que les tenues de travail ne sont pas toujours adaptées aux femmes (grandes tailles seulement, par exemple pour les gants de protection).

En outre, un consensus existe sur le fait que les femmes apportent une réelle valeur ajoutée sur les exploitations, à travers la valorisation de la production (contact avec la clientèle, lien social, agrotourisme, circuits courts). C'est d'ailleurs ce qu'illustre le projet de l'une des jeunes stagiaires qui est revenue à l'agriculture après avoir suivi des études de droit et d'immobilier. Attachée à la ruralité, elle projette de mener une activité dans l'agro-tourisme (accueil à la ferme et culture de plantes aromatiques pour en faire des cosmétiques). Si elle a décidé de s'installer seule, elle a affirmé disposer d'appuis familiaux et du soutien de son conjoint.

Les jeunes stagiaires ont également mis en avant l'évolution des mentalités à travers une prise de conscience de la part des jeunes hommes de leur génération sur la nécessité de s'impliquer dans les tâches ménagères et l'éducation des enfants, ce qui devrait faciliter l'engagement de leurs compagnes dans les instances agricoles si elles le souhaitent.

Enfin, plusieurs interlocutrices de la délégation ont mis en exergue l'importance de maintenir en zone rurale une offre de formation, un accès à la santé et aux services publics, condition nécessaire au maintien de l'agriculture dans nos territoires .

La presse locale a fait écho du déplacement des sénatrices dans la Drôme par un article montrant que ce rapport fait l'objet d'une attente certaine de la part des agricultrices 229 ( * ) .

Audition de sept viticultrices drômoises par Marie-Pierre Monier

Synthèse des témoignages

Sept viticultrices ont été auditionnées dans la Drôme par la sénatrice Marie-Pierre Monier, co-rapporteure.

Les témoignages des viticultrices montrent un point commun déterminant dans leurs parcours : elles sont toutes, sauf une, issues de familles travaillant ou ayant travaillé dans l'agriculture. C'est bien souvent le départ à la retraite du père, ou parfois le décès de celui-ci, qui agit comme un « déclencheur » pour ces femmes qui ne se destinaient pas à ce métier-là.

C'est le cas de cette viticultrice qui a débuté à 18 ans dans la distillerie familiale, lors du décès soudain de son père, alors que la saison démarrait et que les équipes étaient en place. « Je me suis installée comme s'installe un homme , j'ai lâché subitement mes études et j'ai fait face au fur et à mesure », dit-elle. Elle a ensuite monté sa propre distillerie, appris « sur le tas », créé et présidé durant dix ans un syndicat des distilleries, à la période où il fallait changer de techniques et faire évoluer les pratiques pour répondre aux normes environnementales. Après avoir revendu sa distillerie, et à la suite de brûlures qui l'ont empêchée de travailler, elle se forme à la viticulture et achète des terres.

C'est aussi le cas de cette autre jeune femme qui, après avoir travaillé dix ans dans l'hôtellerie de luxe, revient sur les terres familiales quand son père parle de prendre sa retraite. Pas question pour elle de laisser à d'autres ce que ses parents avaient acquis avec tant de sacrifices, même s'il lui est parfois difficile de faire reconnaître sa légitimité par les ouvriers qui travaillent sur l'exploitation depuis plusieurs années. Car souvent c'est le père, ou le grand-père, qui « manage » les équipes en saison, qui s'occupe de traiter et qui conduit le tracteur. « Il faut prouver que l'on sait faire et il faut du temps ». Comme elles arrivent parfois avec des méthodes nouvelles, c'est déstabilisant pour les équipes en place et d'autant plus compliqué à faire accepter.

La majorité des viticultrices entendues ont suivi des formations, mais reconnaissent que le fait d'avoir déjà un nom dans le milieu agricole sur le territoire leur a facilité les choses . De même que reprendre le patrimoine, ou le louer, est facilitateur car il n'est pas simple de trouver des terres . On note que certaines ont suivi des formations de haut niveau, complémentaires au métier agricole qu'elles exercent, et cela les aide à redynamiser des exploitations parfois un peu « endormies » et à redévelopper des réseaux.

On relève par ailleurs dans la majorité des témoignages une demande de formations courtes, techniques et très ciblées . Si elles existent parfois, elles semblent très peu connues, même par celles qui ont déjà suivi des formations classiques. En revenant sur son parcours, l'une des viticultrices a relaté sa formation à la conduite d'une machine à vendanger. Elle était la seule femme dans un groupe d'hommes, et a pu entendre des réflexions incrédules du type « Vous n'allez pas monter là-haut ? ». Une autre nous explique que dans l'établissement où elle était, lors de la présentation des entreprises susceptibles d'accueillir les stagiaires, on se référait à celles qui accueillaient UN stagiaire plutôt qu'UNE stagiaire...

Des difficultés liées à l'articulation des temps de vie personnelle et professionnelle ont été soulevées concernant la garde des enfants et les trajets entre le domicile et l'école . Il semble en effet important que l'école puisse offrir un service d'accueil périscolaire matin et soir pour répondre aux impératifs professionnels. Quant aux déplacements en bus pour aller au collège, ils supposent souvent aussi une organisation minutieuse, les arrêts de bus étant éloignés du domicile.

On note également que parfois, le conjoint ne travaille pas sur l'exploitation. Dans certains cas d'ailleurs il ne travaille même pas dans l'agriculture. Les familles préfèrent privilégier deux sources de revenus différentes, par crainte de difficultés financières liées à une crise agricole ou un aléa climatique. Si c'est déjà aussi le cas depuis quelques années dans les exploitations conduites par des hommes , on observe une différence concernant le rôle du conjoint dans la vie de l'entreprise agricole, selon qu'il s'agit d'une femme ou d'un homme . En effet, dans une exploitation conduite par un homme, l'épouse qui travaille à l'extérieur occupe souvent un emploi à temps partiel pour apporter un complément de revenu, et participe à la gestion de l'exploitation (aspects administratifs et, parfois, commercialisation ou transformation). Et lorsqu'elle travaille à temps plein à l'extérieur, il arrive souvent qu'elle gère quand même aussi la partie administrative de l'exploitation. Dans le cas inverse où l'exploitation est dirigée par une femme, le conjoint qui travaille à l'extérieur ne participe en général pas du tout à la vie agricole .

La féminisation semble être un atout pour la commercialisation, dès lors que le client a dépassé l'image traditionnelle de la femme qui, dans son esprit, ne peut être qu'une commerciale. En effet, sur les salons, à partir du moment où elles font un peu de pédagogie et expliquent qu'elles vinifient, les viticultrices se rendent compte que les clients sont curieux et « accrochent » à leur présentation. L'une d'entre elles a même choisi de développer le concept de « vin au féminin », traduisant une manière de produire et de vendre différente .

Les difficultés liées aux efforts physiques que nécessite le métier restent un frein dans l'esprit de beaucoup . À ce sujet l'une d'entre elle a expliqué qu'il est difficile de recourir à des techniques d'il y a 50 ou 100 ans, qui ne sont pas adaptées aux femmes ni aux nouvelles technologies : « Là où les hommes vont tout droit, il nous faut contourner le chemin pour trouver la solution », « Depuis toujours l'agriculture est faite par et dimensionnée pour des hommes ». Dans le même esprit, toutes ont relevé des difficultés pour trouver des vêtements et équipements de protection individuelle adaptés à leur gabarit.

L'implication dans la vie locale est pour beaucoup d'entre elles une nécessité . À travers le comité des vignerons ou la cave coopérative, elles participent à la vie de la filière viticole et peuvent ainsi partager avec les autres exploitants. Elles trouvent la parole très libre et sentent qu'on les écoute comme des professionnelles au même titre que les hommes, et non comme des femmes. Elles sont plutôt bien représentées au sein du comité des vignerons, ce qui n'est pas le cas à la cave coopérative où il n'y a qu'une femme au Conseil d'administration, car pour en être membre il faut être exploitant-e.

Une viticultrice a évoqué l'association Les femmes de vins qui regroupe plusieurs associations de vigneronnes . Elles se retrouvent notamment lors des salons et essaient de constituer un réseau commun pour la commercialisation . Au-delà, elles échangent sur leurs expériences et sur la gestion de leurs vies professionnelles et personnelles.

Compte-rendu du déplacement en Vendée (15 et 16 mai 2017)

Un deuxième déplacement, organisé en Vendée à l'initiative des deux co-rapporteur-e-s élus de ce département, Annick Billon et Didier Mandelli, a eu lieu les lundi 15 et mardi 16 mai 2017. Marie-Pierre Monier et Brigitte Gonthier-Maurin, co-rapporteur-e-s, ont rejoint leurs collègues pour des échanges et des visites qui ont permis de rassembler des témoignages de terrain au cours de rencontres chaleureuses qui ont mis en évidence :

- le dynamisme des agricultrices vendéennes (un dynamisme d'ailleurs inscrit dans la durée, comme le montre l'histoire de la commission des agricultrices de la FDSEA, initialement dénommée « commission féminine » à sa création en 1973) ;

- leur engagement pour renvoyer une image positive de leur travail et de leur profession ;

- et leurs attentes à l'égard des conclusions du présent rapport.

Les remerciements des co-rapporteur-e-s s'adressent à toutes les personnes rencontrées au cours de cette journée et à toutes celles et ceux qui, en contribuant à son organisation ou par leur présence, en ont fait un moment aussi éclairant que convivial.

Ce déplacement a été couvert par la presse locale 230 ( * ) et a fait l'objet d'un reportage de TV Vendée 231 ( * ) qui a mis en valeur l'accueil très positif, par les agricultrices, du travail de la délégation : « Ça fait vraiment plaisir de voir qu'un groupe de sénateurs s'intéresse aux problèmes des femmes agricultrices », témoigne l'une d'elles devant la caméra.

Les agricultrices vendéennes : chiffres clés 232 ( * )

Environ 2 000 agricultrices pour 8 000 agriculteurs (25 % de l'effectif), toutes activités confondues et hors transferts entre époux.

1 749 cheffes d'exploitation, soit 22 % de l'effectif (activités les plus représentées : élevage de chevaux et autres élevages de gros animaux ; élevage de volailles ; autres élevages de petits animaux ; maraîchage et horticulture ; élevage ovins et caprins ; arboriculture.

Âge moyen des cheffes d'exploitation : 51 ans (47 ans pour les hommes).

Salariées : 1 207 ETP.

Parmi les interlocutrices de la délégation, il convient de mentionner plus particulièrement :

- Lydie Bernard , vice-présidente de la Chambre d'agriculture de Vendée et du Conseil régional des Pays de la Loire, où elle préside la commission Agriculture, agroalimentaire, forêt, pêche et mer, associée exploitante (production laitière) et présidente d'une société offrant aux éleveurs des outils pour optimiser le pilotage et le contrôle de leur activité 233 ( * ) ;

- Jacqueline Cottier , présidente de la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA depuis 2014, membre du bureau et du conseil d'administration de la FNSEA, membre du CESE depuis 2015, où elle siège à la délégation aux droits des femmes et au groupe de l'agriculture, associée exploitante (polyculture-élevage), par ailleurs maire adjointe de Champteussé sur Baconne dans le Maine-et-Loire ;

- Sylvie Douillard , présidente de la commission des agricultrices de la FDSEA 85, associée exploitante (production laitière), membre du Conseil d'administration d'un organisme de gestion) et présidente de l'ADPS (Association départementale de promotion sociale), spécialisée dans la formation continue des agriculteurs, des futurs agriculteurs et des salariés de l'agriculture 234 ( * ) ;

- Marietta Merieau , présidente de l'association Agriculteurs français et développement international ( AFDI ) Pays de la Loire, association de solidarité internationale dont l'objectif est d'élaborer des partenariats entre le monde agricole français et des agriculteurs de pays en développement, notamment de Tunisie et du Burkina Faso, pays dans lesquels l' AFDI s'efforce de contribuer à offrir un appui opérationnel aux agriculteurs 235 ( * ) .

Les quelque vingt agricultrices rencontrées au cours de ce déplacement représentent des productions agricoles diversifiées, et plus particulièrement l'élevage : bovins-lait, bovins-viande, bovins-mixtes, volailles, porcs, canards, caprins, polyculture-élevage, cultures céréalières.

Pour la plupart, elles travaillent en famille (GAEC ou EARL entre époux ; GAEC entre soeurs ; EARL avec mari et beau-frère), y compris dans une logique intergénérationnelle (GAEC père-fille, mère-fils), parfois aussi en associant des tiers à un binôme familial.

Un premier échange a eu lieu le lundi 15 mai dans une ferme d'élevage de bovins charolais (vaches allaitantes) et de volailles, associant à ces productions traditionnelles des activités de gîte rural et de vente directe (volailles de la ferme, mogettes, spécialités locales).

Le mardi 16 mai, deux visites ont été organisées :

- dans un élevage de charolais (GAEC père-fille 236 ( * ) ), qui enregistre 100 vêlages par an (reproduction naturelle) ;

- dans un élevage de montbéliardes (production laitière).

Les différents échanges auxquels ont participé les quatre co-rapporteur-e-s ont mis en évidence la très forte implication professionnelle et associative des agricultrices rencontrées et leur engagement pour défendre les droits des femmes . Le fait que la présidente de la commission des agricultrices de la FDSEA 85 siège aussi au CIDF et soit en lien avec la déléguée départementale aux droits des femmes de la préfecture renforce cette détermination à faire progresser l'égalité entre femmes et hommes dans la profession agricole. L'implication des agricultrices vendéennes dans la défense des droits des femmes est d'ailleurs un héritage ancien , si l'on en juge par l'engagement et la détermination de pionnières de la commission départementale des agricultrices, dont des témoignages particulièrement éclairants sont reproduits ci-après.

Ces rencontres ont confirmé les trois principaux enseignements du colloque du 22 février 2017 : l'engagement (professionnel et associatif, parfois aussi politique) des agricultrices, les différences de profils et de parcours qu'elles présentent et les difficultés qu'elles rencontrent en tant que femmes dans une profession encore marquée par des usages et des stéréotypes masculins, même si certaines difficultés, évoquées devant les co-rapporteur-e-s, concernent le monde agricole en général, tant les agriculteurs que les agricultrices.

Un point commun : l'engagement , qu'il s'agisse :


• de l'implication des agricultrices rencontrées dans des responsabilités associatives :

- en lien avec la profession agricole (formation, gestion et comptabilité) ;

- en tant qu'organisatrices bénévoles du Service de remplacement (responsables du planning, par exemple) ;

- pour réaliser une synergie entre le monde agricole et le milieu des entreprises (association REV à La Chaize-le-Vicomte) ;

- pour renforcer la solidarité entre le monde agricole et les agriculteurs des pays en développement ;


• de l'exercice de responsabilités mutualistes (MSA) et syndicales ( Jeunes agriculteurs , Syndicat des exploitants agricoles, à des niveaux divers, notamment communal) ;


d'initiatives économiques en lien avec le métier agricole (société de services aux éleveurs, établissement de synergies entre la chambre d'agriculture et les chambres des métiers, afin de rapprocher les mondes de l'agriculture, de la boulangerie, de la boucherie et de la charcuterie...) ;


• d'initiatives destinées à dynamiser leur territoire autour de l'activité agricole
(présidence d'un office du tourisme, création de circuits de vente directe, de gîtes, du réseau « Bienvenue à la ferme ») : « Le monde agricole fait venir les gens » ;


• de mandats politiques (conseillère régionale, adjointe au maire, membre du CESE).

Des parcours et des profils différenciés :


• Certaines agricultrices sont venues à l'agriculture « par hasard d'abord, par amour après », en tant que « femmes d'agriculteur » (un contre-exemple a été cité de conjoint ayant rejoint son épouse agricultrice) ;


• d'autres, bien qu'issues du milieu agricole, sont devenues agricultrices après avoir exercé une autre activité professionnelle (commerce, secrétariat, comptabilité, restauration rapide, usine de confection), parfois parce que l'exploitation, à la suite d'une maladie ou d'un décès, manquait de bras : ces agricultrices expriment leur attachement à un métier auquel elles sont arrivées « par défaut » ;


• d'autres enfin militent pour que les femmes puissent être agricultrices « par elles-mêmes », en conduisant un projet professionnel personnel et autonome ;


• certaines se sont installées relativement jeunes après avoir suivi un cursus d'enseignement agricole ; elles ne travaillent pas avec leur conjoint, celui-ci exerçant parfois une profession étrangère au milieu agricole.

Synthèse des témoignages recueillis :


• Sur les difficultés de la profession dans son ensemble, qui ne concernent pas spécifiquement la situation des agricultrices :

- le constat de l'insuffisance des revenus et l'impression d'une dégradation régulière de la situation (« On travaille pour payer les factures ») ;

- le sentiment, exposé par plusieurs témoignages, que garder une exploitation est un combat de chaque jour, a fortiori en période d'alerte sanitaire ou de sécheresse ;

- les défis de l'installation des enfants, vécue à la fois comme une fierté et comme une difficulté en raison d'un accès au foncier particulièrement complexe et de financements improbables ;

- les difficultés imputables à l'obtention de permis de construire pour des bâtiments agricoles, au classement de terres agricoles en terrains à bâtir ou au remembrement, et une gestion particulièrement complexe des quotas laitiers ;

- le constat que le « métier a besoin d'être défendu » , car il pâtit d'une image négative qui contribue à l'isolement du monde agricole (et au célibat des agriculteurs, thème évoqué pendant ces débats). La volonté de faire reconnaître les exploitations agricoles comme des entreprises « normales » et d'intégrer les exploitations agricoles dans le réseau des entreprises locales, s'inscrit dans ce besoin d'améliorer l'image de l'agriculture.

La perte de surface agricole disponible liée aux implantations des entreprises locales a également été évoquée parmi les difficultés auxquelles sont confrontés les agriculteurs.


• Sur les difficultés du monde agricole qui se traduisent par des conséquences spécifiques aux femmes :

- la crise oblige le plus souvent les femmes à travailler à l'extérieur de l'exploitation pour rapporter un revenu, ce qui multiplie par deux leur charge de travail et rend leur situation précaire, car il est fréquent que de ce fait elles cessent d'avoir un statut sur l'exploitation ;

- de manière générale, le problème des agricultrices sans statut demeure récurrent, a fortiori parce que la crise fait des cotisations une dépense ressentie comme une charge dont on peut faire l'économie : à cet égard, Jacqueline Cottier, présidente de la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA, a rappelé que le recours au travail d'agricultrices dépourvues de statut relevait du « travail au noir ».


• Sur les difficultés liées à l'installation des jeunes agricultrices :

- dans le cadre de l'enseignement agricole, il a été déploré que trop peu de jeunes filles choisissent des filières orientées vers la production , au profit des filières telles que l'élevage canin ou hippique ;

- l'accès aux stages a également été mentionné parmi les aspects des inégalités entre filles et garçons au sein de l'enseignement agricole : à cet égard, la recommandation consistant à rendre obligatoire, dans le cursus de l'enseignement agricole, un module de formation à la conduite des matériels agricoles a été considérée par les interlocutrices de la délégation comme une orientation susceptible de favoriser l'égalité entre enfants d'agriculteurs et élèves étrangers au milieu agricole, et de faciliter l'accès des jeunes filles aux stages, pour lesquels cette compétence est un prérequis ;

- l'accès au foncier , qui constitue un défi pour les agricultrices, a été imputé, entre autres causes, aux réticences de certains agriculteurs à vendre leurs terres à une femme.


• Sur les contraintes particulières ressenties par les agricultrices en termes d'articulation des temps de vie professionnelle et familiale :

- la difficulté d'un métier aux horaires exigeants , plus spécialement dans l'élevage où les contraintes sont particulièrement importantes, a été soulignée, de même que les conséquences de cette situation sur la vie familiale : certaines agricultrices conseillent le recours à une assistante maternelle ou à une crèche pour une séparation plus sereine entre temps professionnel et temps parental, d'autres font état des difficultés à recourir à une nourrice compte tenu d'horaires imprévisibles et préfèrent les solutions familiales ;

- le manque de moyens financiers pour l'emploi d'une aide-ménagère a été évoqué comme une véritable difficulté de la vie d'agricultrice, a fortiori pour celles qui exercent ce métier seules ;

- les limites des services de remplacement face aux contraintes spécifiques aux agricultrices : le « reste à charge » diffère selon les territoires, voire selon les époques, et il n'existe pas d'harmonisation entre les caisses dans ce domaine ;

- le fait que les grossesses pathologiques ne permettaient pas toujours de faire appel au remplacement a également été perçu comme une insuffisance de l'organisation du remplacement ; dans le même esprit, il a été regretté que le mi-temps pathologique ne soit pas prévu par la MSA.


• Sur la persistance des stéréotypes sexistes
:

- la délégation a entendu le témoignage du combat quotidien que doivent mener certaines agricultrices pour être reconnues comme des exploitantes à part entière, et non comme des employées ou des stagiaires, par leurs différents interlocuteurs (exemple d'échange téléphonique : « - Vous pouvez me passer le patron ? - C'est moi » ; « - Où est le chef ? - C'est moi ») : « Devoir se justifier en permanence est frustrant » ;

- certaines agricultrices déclarent peiner encore à faire reconnaître leurs compétences par certaines structures comme les CUMA (coopératives d'utilisation du matériel agricole, créées à la fin de la deuxième guerre) ; un témoignage relate le sentiment d'être « transparente » lors des réunions de ces organismes.


• Sur les difficultés d'organisation liées à l'exercice de responsabilités dans les organisations professionnelles : l
a nécessité de donner aux femmes les moyens (remplacement, aide aux tâches ménagères) a été évoquée de manière récurrente comme une condition de l'exercice par les femmes de responsabilités dans les organisations professionnelles.


• Sur la faiblesse des retraites des agricultrices
: la bonification forfaitaire pour enfants a paru nécessaire pour compenser ce qui est perçu comme une inégalité flagrante.


• Sur les contraintes liées à l'imbrication entre lieu de vie et lieu de travail :

- certains témoignages ont fait état de l'incompréhension à laquelle se heurtent les agricultrices pour faire reconnaître comme telle une activité professionnelle qui se déroule au domicile, et que certains confondent avec les activités jugées normales d'une mère de famille ;

- la cohabitation avec la belle-famille , tant dans la vie professionnelle que dans la vie personnelle, a été évoquée par certaines comme un aspect parfois complexe du monde agricole.


• Sur l'ergonomie du travail agricole
: l'aménagement des équipements pourrait constituer une véritable amélioration en atténuant la pénibilité de certaines tâches (ont été plus particulièrement cités le poids excessif des sacs de semences, l'intérêt de revoir la conception des vêtements de travail - tailles trop grandes, formes non cintrées, combinaisons inadaptées aux femmes - et la nécessité de repenser certains équipements, comme le réglage des tracteurs - « atteler-désatteler », difficiles à manipuler car situés en hauteur).

Informations complémentaires

Les agricultrices vendéennes 237 ( * ) : données générales

Toutes activités confondues et hors transferts entre époux 238 ( * ) , l'agriculture en Vendée compte environ 2 000 femmes pour 8 000 hommes.

On dénombrait en 2015 1 749 cheffes d'exploitation en Vendée : les agricultrices représentent 22 % des chefs d'exploitation du département (proportion stable de 2013 à 2015). Leur âge moyen est de 51 ans, soit plus que les hommes (47 ans).

Type d'activité

Nombre de femmes cheffes d'exploitation

Part des femmes dans le total des chef-fes d'exploitation

Maraîchage et horticulture

59

28,5 %

Arboriculture

11

25,0 %

Pépinière

8

21,7 %

Grandes cultures

165

21,3 %

Viticulture

8

17,4 %

Autres cultures spécialisées

s

10,3 %

Élevages bovins lait

361

20,5 %

Élevages bovins viande

279

14,6 %

Élevages bovins mixtes

90

16,3 %

Élevages ovins, caprins

77

26,7 %

Élevages porcins

35

20,8 %

Élevages de chevaux

43

52,4 %

Autres élevages gros animaux

8

55,6 %

Élevages de volailles

379

33,9 %

Autres élevages petits animaux

22

27,7 %

Polyculture poly-élevage

207

21,4 %

Total orientations agricoles

1 749

21,8 %

Le tableau ci-dessus montre une présence différenciée des cheffes d'exploitation selon l'activité , les proportions de femmes les plus importantes étant observées dans certains types d'élevage et plus particulièrement, comme cela est relevé dans les statistiques nationales, l'élevage de chevaux (plus de la moitié des cheffes d'exploitation).

Quant aux salariées , elles totalisent 1 207 ETP (équivalent temps plein) et sont présentes surtout dans l'élevage spécialisé (52,5  % pour les petits animaux et 40  % pour les gros animaux).

Les agricultrices représentent 30,6  % des 248 installations recensées en Vendée en 2014 (soit 76 femmes). Si cette proportion est stable par rapport à 2013 (30,7 % : 79 femmes sur 257 installations), elle est légèrement inférieure aux constats opérés dans certains départements voisins (40,3  % de femmes installées en Maine-et-Loire ; 37,1  % dans la Sarthe ; 34  % dans la Mayenne). Le pourcentage d'installations d'agricultrices en Vendée est en revanche supérieur au taux observé en Loire-Atlantique (27,9  %).

Les installations d'agricultrices enregistrées en 2014 sont concentrées sur certains types d'activité 239 ( * ) :

- cultures et élevages non spécialisés, polyculture, poly-élevage : 21 % des agricultrices installées et 6,6  % du total des installations ;

- élevage de volailles, de lapins : 20  % des agricultrices installées et 6,2  % du total des installations ;

- cultures céréalières et industrielles (grandes cultures) : 16  % des agricultrices installées et 5  % du total des installations ;

- élevage bovins-lait : 10  % des agricultrices installées et 3,1  % du total des installations ;

- maraîchage, floriculture : 6  % des agricultrices installées et 1,9  % du total des installations ;

- élevage bovins-viande : 5  % des agricultrices installées et 1,5  % du total des installations ;

- entraînement, dressage, haras, clubs hippiques : 5  % des femmes installées et 1,5  % du total des installations.

Paroles d'agricultrices : témoignages d'anciennes présidentes
de la commission des agricultrices de la FDSEA de Vendée

Des témoignages 240 ( * ) de trois anciennes présidentes de la Commission des agricultrices de la FDSEA de Vendée mettent en évidence le travail accompli par des pionnières pour faire progresser les droits des femmes dans le milieu agricole du département 241 ( * ) :

- Marie-Jo Faivre, présidente de 1973 à 1984 : au début, la FNSEA était un syndicat de chefs d'entreprises. Les femmes n'appartenant pas à l'époque à cette catégorie, elles n'y avaient pas leur place. Une première commission féminine s'est toutefois mise en place en 1957, au niveau départemental. De telles commissions se sont constituées en Meurthe-et-Moselle, dans la Manche et dans le Maine-et-Loire. La commission de Vendée a été créée en 1973. À l'époque, « le mot agricultrice n'était même pas dans le dictionnaire » : quand il fallait indiquer sa profession en répondant à des questionnaires, on écrivait : « sans profession »... L'une de nos premières revendications a été l'usage du mot « agricultrice ». « Les femmes sont capables d'apporter une contribution importante à l'évolution de l'agriculture et de la société ».

- Colette Graton, présidente de 1984 à 1993 : je suis arrivée à la commission à l'époque où se sont mis en place les quotas laitiers. C'était une période d'évolutions très importantes pour l'agriculture au plan économique. La réglementation a permis l'installation des conjointes d'agriculteurs : c'était une étape essentielle. Pour les femmes, ce qui compte c'est d'« acquérir des droits propres, pas automatiquement liés à l'activité du conjoint ». « C'est une période où j'ai dû apprendre la patience. [...] Il ne faut jamais perdre courage ! ».

- Ghislaine Gaborit, présidente de 1993 à 1999 : « Quand je me suis mariée avec un agriculteur, j'ai épousé un petit peu la profession. Je me suis retrouvée à travailler [...] sans droits. Je me suis rendu compte que toutes les épouses d'agriculteurs étaient dans la même situation que moi. On était là pour travailler, point final. J'ai trouvé ça injuste ». J'ai voulu m'engager pour obtenir un statut pour les agricultrices, puis pour l'améliorer. Puis nous nous sommes engagées dans d'autres domaines, pour améliorer l'image de la profession, par exemple à travers les « portes ouvertes » et les relations avec les écoles. « Quand je me suis engagée, ce n'était pas toujours facile. J'étais jeune, j'avais encore des enfants petits. On ne comprenait pas, dans mon entourage, pourquoi je partais. » Heureusement, mon mari m'a toujours soutenue... « Il faut que les femmes s'engagent ! [...] L'engagement est une formation. Que les agricultrices continuent à s'investir, il y a encore des combats à gagner ! ».

La mise en place de commissions féminines par la FNSEA - La FDSEA de Vendée en 1979 - témoignages 242 ( * )

Introduction 243 ( * ) : « Le reportage rassemble, autour de la table d'une cuisine moderne d'un pavillon construit en remplacement de la traditionnelle longère vendéenne, des épouses d'agriculteurs de sensibilités différentes puisque certaines sont engagées au sein de la commission féminine de la FDSEA de Vendée, tandis que d'autres appartiennent au mouvement des Paysans travailleurs nettement marqué à gauche et revendiquant une conception égalitaire des rapports sociaux et humains. Au-delà de leurs oppositions sur d'autres thèmes, ces femmes se retrouvent pour dénoncer le manque de reconnaissance et réclamer la valorisation de leur travail à travers un statut juridique qui leur conférerait une réelle égalité juridique à côté de leurs maris chefs d'exploitation. Elles insistent en particulier sur le travail spécifique qu'elles effectuent dans la gestion de l'exploitation comme la tenue de la comptabilité. Les adhérentes de la FDSEA travaillent sur le projet d'un statut de co-exploitante qui leur permettrait d'être pleinement reconnues et admises au sein des instances élues de la Mutualité sociale agricole et du Crédit Agricole, mais les Paysannes travailleuses [...] Elles envisagent un statut d'exploitante qui conférerait autant de droits à la femme qu'au mari, voire permettrait à des femmes célibataires ou veuves de poursuivre seules l'exploitation en étant reconnues à l'égal d'un homme. [...] La revendication sous-entendue dans le reportage de 1979 d'une étendue de la couverture sociale pour les conjointes d'exploitants est acquise en 2006 et la revendication de l'égalité juridique personnelle revendiquée par les femmes du mouvement des Paysans travailleurs trouve son aboutissement en 2011 avec l'instauration du GAEC entre époux » 244 ( * ) .

Journaliste : « Il est temps de réfléchir effectivement à un nouveau statut, et la FDSEA a déjà créé ces commissions féminines. Dans cette commission, vous avez mis au point un statut de coresponsabilité, vous pouvez nous l'expliquer ? »

Réponse 1 : « On demande le statut de coresponsabilité, on ne l'a pas encore. Et ça fait quatre ou cinq ans qu'on le demande. Alors dans ce statut de coresponsabilité, on demande [...] que la signature de la femme soit considérée comme la signature de l'homme. [...] Finalement, on est majeure à 18 ans, et lorsqu'on se marie, on perd sa majorité, on redevient mineure. Pour redevenir des femmes majeures, il faudrait être veuve ou divorcée, et heureusement c'est quand même pas le cas de tout le monde ! »

Journaliste : « La FDSEA propose un statut de co-exploitante agricole, vous, vous appartenez au Groupe Paysans Travailleurs , comment réagissez-vous à cette proposition ? »

Réponse 2 : « [...] Nous, on dit : pourquoi pas un statut d'exploitante tout simplement ? Quand on dit statut d'exploitante, ça veut dire avoir la possibilité de choisir le métier d'agriculteur ou d'agricultrice de la même façon qu'un homme le choisit. »

Réponse 3 : « Ce qu'on conteste un peu, c'est cette différence qu'il y a entre la femme célibataire et la femme mariée qui elle, automatiquement, n'a pas le statut d'exploitante, alors que tu peux l'avoir en tant que célibataire. »

Journaliste : « Est-ce que les mentalités sont lourdes à bouger ? »

Réponse 1 : « Ce n'est pas pour demain que la majorité des femmes, même si elles font un travail d'exploitante, vont être considérées comme exploitantes. Moi je crois que c'est très, très lent à bouger, il y a beaucoup de travail à faire pour que ça bouge enfin ! »

Réponse 2 : « Je crois que c'est très lié aussi à l'isolement des femmes en milieu rural, vous savez. Les hommes peuvent se retrouver au niveau de leur groupe de travail, dans les CUMA et tout mais nous, on ne connaît pas ça en fait. »

Compte-rendu du déplacement en Haute-Garonne (30 mai 2017)

Un déplacement à Toulouse , organisé à l'initiative de Françoise Laborde, élue de la Haute-Garonne et co-rapporteure, a eu lieu le mardi 30 mai 2017 . Outre Françoise Laborde, la délégation était composée d'Annick Billon, Brigitte Gonthier-Maurin et Marie-Pierre Monier, co-rapporteures.

Les remerciements chaleureux de la délégation s'adressent à toutes les personnes rencontrées au cours de cette journée et à toutes celles et ceux qui, en contribuant à son organisation ou par leur présence, en ont fait un moment aussi éclairant que convivial.

Table ronde à l'École Nationale Supérieure de Formation de l'Enseignement Agricole (ENSFEA)

Au cours de la matinée, les sénatrices ont participé à une table ronde sur la place des femmes dans l'enseignement agricole à l'École Nationale Supérieure de Formation de l'Enseignement Agricole (ENSFEA), en présence d'Emmanuel Delmotte, directeur de l'établissement, de la responsable du service régional Formation et Développement de la DRAAF 245 ( * ) Occitanie, de l'animatrice du réseau des CFAA-CFPPA 246 ( * ) de la région Occitanie, de la directrice du Centre de formation des apprentis (CFA) agricole de Toulouse Auzeville, d'une stagiaire et de deux apprenties en formation au CFA agricole de Toulouse Auzeville.

Le directeur de l'école a présenté brièvement l'ENSFEA. Il s'agit de l'un des établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministère de l'Agriculture, qui a une mission nationale de formation pour tous les enseignants de l'enseignement agricole public . À ce titre, l'ENSFEA assure la formation initiale et continue de tous les enseignants des quelque 200 établissements d'enseignement technique agricole du territoire français : formation professionnelle des nouveaux recrutés (en moyenne 180 enseignants par an), master enseignement et formation pour l'enseignement agricole et le développement rural, préparation aux concours internes et externes d'enseignants (en moyenne 80 par an), formation continue (800 à 1 000 enseignants en stages de formation continue), validation des acquis de l'expérience (VAE).

Toutes proportions gardées, Emmanuel Delmotte a comparé l'école aux ESPÉ pour l'Éducation nationale, à cette différence près que l'ENSFEA a une dimension nationale . Par ailleurs, il a indiqué que la formation des enseignants comprenait des modules de sensibilisation aux questions d'égalité entre les femmes et les hommes , à travers, notamment, un enseignement sur les questions de genre et la sociologie rurale dispensé par une professeure d'université.

Selon lui, au regard des statistiques, un gros travail reste encore à faire sur l'orientation des élèves pour limiter l'influence des stéréotypes masculins et féminins sur les métiers et mettre en avant des modèles pour les jeunes filles qui leur permettent de se projeter dans un parcours professionnel sans se fermer aucune porte. Des travaux de recherche sur les questions de représentation genrées menés au niveau de l'ENSFEA étudient par exemple les mécanismes psychologiques qui freinent les jeunes filles et les conduisent à s'interdire l'accès à certains métiers ou études réputés masculins.

Le phénomène inverse existe aussi : la directrice du CFA agricole d'Auzeville a souligné que, dans le cadre de l'ouverture d'une formation d'assistant spécialisé vétérinaire, on dénombre seulement 2 garçons pour 60 filles en 2016.

Puis la responsable du Service régional Formation et Développement a exposé des éléments statistiques sur l'enseignement agricole dans la région Occitanie (voir tableaux ci-après). Elle a souligné que si la proportion globale entre filles et garçons paraît équilibrée, il ne faut pas perdre de vue que la répartition par filière l'est beaucoup moins , sachant que la majorité des jeunes filles élèves de l'enseignement agricole se concentre dans la filière Services à la personne, principalement dispensée dans le privé. Pour autant, on constate que l'enseignement agricole se féminise dans les niveaux supérieurs (BTS et au-delà).

Chiffres sur l'enseignement agricole dans la région Occitanie (Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées)

17 376 élèves, étudiants et apprentis étaient attendus à la rentrée 2016-2017. C'est la deuxième région en termes d'effectifs. On compte une proportion égale d'effectifs dans le public et dans le privé, et 52 % de filles pour 48 % de garçons. La proportion de filles est plus importante dans l'enseignement agricole privé (57 %) du fait de leur présence en grand nombre dans les filières Services et Équitation. Elles ne représentent en revanche que 47 % de l'enseignement agricole public.

Source : DRAAF Occitanie

Les effectifs globaux de l'enseignement agricole - rentrée 2016

Secteur professionnel

Garçons

Filles

Total

Répartition en  %

Activités hippiques

91

387

478

2,75  %

Aménagement

1 727

513

2 240

12,89  %

Commercialisation

428

437

865

4,98  %

Élevage et soin aux animaux

70

148

218

1,25  %

Équipements pour l'agriculture

269

2

271

1,56  %

Production

1 730

1 134

2 864

16,48  %

Formations générales

3 226

2 702

5 928

34,12  %

Services

566

3 395

3 961

22,80  %

Transformation

231

320

551

3,17  %

Total

9 338

9 038

17 376

100,00  %

Répartition ( %)

47,99  %

52,01  %

Source : DRAAF Occitanie

Les effectifs de la rentrée 2016 dans le public

Secteur professionnel

Garçons

Filles

Total

Répartition en  %

Activités hippiques

74

235

309

3,54 %

Aménagement

1 006

267

1 273

14,57 %

Commercialisation

162

184

346

3,96  %

Élevage et soin aux animaux

11

19

30

0,34  %

Équipements pour l'agriculture

142

1

143

1,64  %

Production

1 202

747

1 949

22,31  %

Formations générales

1 726

1 590

3 316

37,95  %

Services

141

794

935

10,70  %

Transformation

173

263

436

4,99  %

Total

4 637

4 100

8 737

50,28  %

Répartition ( %)

53,07  %

46,93  %

Source : DRAAF Occitanie

Les effectifs de la rentrée 2016 dans le privé

Secteur professionnel

Garçons

Filles

Total

Répartition en  %

Activités hippiques

17

152

169

1,96  %

Aménagement

721

246

967

11,19  %

Commercialisation

266

253

519

6,01  %

Élevage et soin aux animaux

59

129

188

2,18  %

Équipements pour l'agriculture

127

1

128

1,48  %

Production

528

387

915

10,59  %

Formations générales

1 500

1 112

2 612

30,23  %

Services

425

2 601

3 026

35,03  %

Transformation

58

57

115

1,33  %

Total

3 701

4 938

8 639

49,72 %

Répartition ( %)

42,84 %

57,16 %

Source : DRAAF Occitanie

Selon la responsable du service régional Formation et Développement de la DRAAF Occitanie, la politique de la région en matière d'enseignement agricole vise à recentrer les moyens sur le coeur de métier de l'enseignement public : la production agricole, et non pas les services à la personne.

Un dialogue s'est ensuite engagé entre les sénatrices et les participants invités à la table ronde.

Brigitte Gonthier-Maurin a demandé si la réorientation des moyens en faveur des filières de production agricole s'accompagnait d'une sensibilisation des jeunes filles à l'intérêt de ces métiers . La responsable du service régional Formation et Développement de la DRAAF Occitanie lui a répondu que non, tout en précisant que son service travaillait de concert avec l'ONISEP 247 ( * ) pour valoriser l'enseignement agricole. Des publications ont ainsi été consacrées à la viticulture et à la place des femmes en agriculture, avec des témoignages d'agricultrices. Enfin, elle a souligné que le fait d'avoir une femme présidente de région représentait un atout pour avancer en faveur de la féminisation de l'enseignement agricole .

Par ailleurs, a été souligné l'intérêt de la formation ADEMA (accès des demandeurs d'emploi aux métiers agricoles 248 ( * ) ) pour renforcer la connaissance des métiers agricoles et de leur diversité.

Marie-Pierre Monier a ensuite posé une question relative à l'insertion professionnelle des diplômés de l'enseignement agricole . Dans la région Occitanie, on constate un écart de 6  à 10 % selon les filières en défaveur des femmes. Par exemple, au niveau bac professionnel, le taux d'insertion des femmes est de 78 % contre 85 % pour les hommes. De même, au niveau BTS, il est de 80 % pour les femmes, contre 91 % pour les hommes.

Annick Billon a interrogé les élèves présentes pour savoir si elles avaient rencontré des difficultés pour trouver un stage . Elles ont en effet envoyé de très nombreuses demandes et reçu très peu de réponses, mais ont fini par « décrocher » un stage, sachant que l'obtention d'un contrat d'apprentissage peut s'avérer encore plus complexe qu'un stage dans la mesure où les apprentis sont rémunérés, contrairement aux stagiaires.

À cet égard, selon la directrice du CFA agricole d'Auzeville, le recrutement de personnes mineures en stage est souvent plus compliqué, dans la mesure où elles ne peuvent commencer avant 6 heures ni terminer après 22 heures. En outre, on peut aussi rencontrer des blocages au recrutement de mineurs dans les secteurs impliquant l'utilisation de machines dangereuses, ce qui est le cas des métiers de la production et de l'aménagement paysager. Enfin, elle a indiqué que, dans le domaine du paysage, les jeunes femmes étaient parmi les dernières à trouver un contrat d'apprentissage . Or il s'agit justement d'une filière peu féminisée.

Marie-Pierre Monier a ensuite demandé si on constatait une évolution de la féminisation de l'enseignement agricole par rapport aux années précédentes , aussi bien au niveau des effectifs des étudiants que de ceux des enseignants et de l'administration du ministère.

La DRAAF Occitanie se caractérise par une parité au niveau de ses chefs de service . Toutefois, la parité constatée au niveau des cadres supérieurs ne se retrouve pas dans les niveaux inférieurs . De plus, l'intégration d'enseignants issus de corps universitaires et pas seulement d'écoles d'ingénieurs agronomes a permis de féminiser les cadres. Il y a eu une réelle féminisation dans les années 2000 et on a constaté en particulier une bonne dynamique au niveau de la région Midi-Pyrénées.

Pour autant, pour les interlocuteurs de la délégation, on peut s'interroger sur le ralentissement qui est actuellement constaté . La nouvelle région Occitanie regroupe quatre anciennes régions de taille très importante. Selon la responsable du service régional Formation et Développement, la fusion des régions, qui s'est traduite par un regroupement de plusieurs administrations, s'est faite au détriment de la féminisation.

En ce qui concerne l'ENSFEA, Emmanuel Delmotte a parlé de « bastions masculins » pour certains concours de l'enseignement agricole, comme celui qui mène à l'agroéquipement, soulignant la nécessité d'élaborer en amont des parcours suffisamment attractifs pour les jeunes filles afin de leur permettre de présenter les concours considérés comme masculins .

Le CFA ne recrute pas ses formateurs sur concours. Pour expliquer le plus grand nombre de formatrices que de formateurs, qui ont souvent un diplôme d'ingénieur agronome, la directrice du CFA agricole d'Auzeville a émis l'hypothèse que les femmes sont moins sensibles au niveau de la rémunération que peut percevoir un formateur ou un enseignant par rapport à un ingénieur. Elle a cité sa propre expérience : titulaire d'un diplôme d'ingénieur agronome, elle a travaillé quelques années dans une entreprise agroalimentaire avant de se réorienter vers l'enseignement, car les conditions de travail de ce milieu très masculin lui ont déplu.

Brigitte Gonthier-Maurin a ensuite parlé des questions d'ergonomie dans le cadre des métiers agricoles . Sur ce point, la situation varie selon les entreprises. Par exemple, l'Union nationale des entreprises du paysage (UNEP) travaille beaucoup sur les conditions de sécurité, ce qui a permis l'apparition d'un matériel plus léger et moins bruyant : comme on le constate souvent, ce progrès bénéficie autant aux femmes qu'aux hommes.

Enfin, Françoise Laborde a souhaité savoir s'il existe un cursus dédié à la question des statuts dans le cadre des formations agricoles . Selon Emmanuel Delmotte, cette problématique est abordée dans les cours d'économie agricole (cours sur la connaissance de l'environnement professionnel et le droit du travail en particulier). Pour autant, il a admis qu'au niveau du CAP, les étudiants ne se sentent pas toujours concernés.

Rencontre avec des agricultrices du département sur une exploitation agricole céréalière de Montjoire

Les sénatrices ont rencontré en début d'après-midi sept agricultrices de différentes générations, travaillant pour la plupart dans la culture céréalière, sur une exploitation de Montjoire , commune proche de Toulouse. Parmi ces agricultrices, les sénatrices ont eu le plaisir de retrouver Marie-Blandine Doazan, présidente de Jeunes agriculteurs de Haute-Garonne, finaliste de l'édition 2014 de Graines d'agriculteurs - Les trophées de l'installation , administratrice de la coopérative agricole et agroalimentaire Euralis (exploitation céréalière et élevage d'ovins), qui est intervenue lors du colloque « Être agricultrice en 2017 » du 22 février 2017.

Les agricultrices ont présenté leurs parcours professionnel et familial, puis un échange a eu lieu avec les sénatrices, au cours duquel plusieurs thèmes ont été abordés :

- la maternité : si les agricultrices les plus âgées ont indiqué ne jamais avoir vraiment ressenti le besoin de structures de remplacement ou d'accueil des jeunes enfants, les plus jeunes ont au contraire insisté sur la nécessité pour elles de se faire remplacer ou de pouvoir faire garder leurs enfants ;

- le remplacement : d'après leurs témoignages, peu recourent encore à ce service, excepté dans le cadre de leur engagement dans les instances agricoles. La plupart exercent des responsabilités dans ce domaine ( Jeunes agriculteurs , Mutualité sociale agricole, coopératives...). Elles partent très rarement en vacances ;

- le revenu : elles ont exprimé leur souhait de pouvoir toucher le RSA ou la prime d'activité, aides auxquelles elles ont droit en raison de la faiblesse de leurs revenus. Pour autant, la complexité des démarches et l'inadéquation des formulaires avec les spécificités du métier d'exploitant agricole font que beaucoup d'agriculteurs ou agricultrices renoncent à bénéficier de ces aides. Les sénatrices ont perçu une attente forte de la part des agricultrices pour faire évoluer favorablement cette situation , en simplifiant les procédures ;

- le statut : les agricultrices rencontrées ont pour la plupart le statut d'exploitantes ou co-exploitantes en EARL ou en GAEC. Une minorité d'entre elles travaillent sous le statut de conjointe collaboratrice. Elles ont approuvé l'idée de renforcer l'information relative aux différents statuts ;

- l'image du métier : les agricultrices ont regretté le traitement parfois caricatural du métier d'agriculteur dans les médias, associé à l'utilisation de produits phytosanitaires et à l'élevage intensif ou encore à l'attribution d'aides publiques au titre de la politique agricole commune (PAC). Elles ont également déploré la complexité croissante des normes applicables , qui imposent de plus en plus de contraintes aux exploitants agricoles ;

- la fierté et l'attachement au métier : quel que soit l'âge des agricultrices, elles ont toutes manifesté leur fierté et leur attachement à leur métier, malgré les difficultés qu'elles peuvent rencontrer dans leur quotidien. Elles ont également fait part de l'atout que représenterait la création d'un réseau (notamment par voie numérique) pour pouvoir évoquer leurs problèmes ou partager des informations de nature professionnelle ou personnelle (par exemple en ce qui concerne la santé des enfants). Cela leur paraît particulièrement important pour surmonter l'isolement lié au monde rural .

Visite du lycée agricole d'Ondes, qui regroupe un lycée, un CFPPA et une exploitation agricole

À la suite de leur échange avec des agricultrices, les sénatrices se sont rendues à l'établissement public d'enseignement et de formation professionnelle agricole (EPLEFPA) d'Ondes , qui regroupe un lycée d'enseignement général et technologique agricole (LEGTA), un centre de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA), ainsi qu'une exploitation agricole.

Les sénatrices ont été accueillies par la directrice de l'établissement et proviseure du lycée. Alors que les élèves de l'établissement sont très majoritairement masculins en raison de sa dominante dans l'agroéquipement, son équipe administrative est particulièrement féminisée , ce qui est assez atypique dans ce milieu encore peu ouvert aux femmes.

La réunion a également permis aux sénatrices d'échanger avec la directrice du CFPPA, une formatrice et une stagiaire du CFPPA.

Dans un premier temps, les sénatrices ont entendu un témoignage significatif sur les difficultés rencontrées au moment d'une installation . L'agricultrice qui a témoigné a évoqué un parcours atypique, puisqu'elle a décidé de s'installer sur le tard, dans la filière équine (élevage et production de chevaux) avec sa fille, après un parcours au Crédit Agricole. Elle a repris l'exploitation familiale lorsqu'elle s'est retrouvée au chômage. Dans ce contexte, elle a passé un BPREA pour obtenir la capacité agricole, ce qui lui a également permis de devenir formatrice au CFPPA.

Selon elle, il est très compliqué de reprendre une exploitation quand on est « hors cadre familial », qui plus est quand on choisit la filière équine . Elle a évoqué le frein que constitue le tribunal des baux ruraux, instance gérée par une majorité d'hommes issus du monde agricole. Au regard de son expérience, elle estime nécessaire de faire en sorte de renouveler et diversifier la composition des instances et commissions qui ont à statuer sur l'attribution des terres, des aides ou sur les autorisations d'exploitation , de façon à ce qu'elles soient ouvertes aussi à des femmes et à des personnes « hors cadre familial ». Cela paraît d'autant plus nécessaire que le renouvellement de l'agriculture passe aujourd'hui beaucoup par des personnes non issues de ce milieu . Cela permettrait sans doute, selon elle, d'accélérer aussi l'évolution des mentalités.

Enfin, d'après ce témoignage, la filière de l'agriculture biologique semble plus accueillante que l'agriculture traditionnelle : les mentalités y sont différentes, car les gens sont plus ouverts et privilégient le travail en réseau. Cette forme d'agriculture emploie d'ailleurs plus de femmes que l'agriculture conventionnelle.

Dans un second temps, la directrice du CFPPA a présenté le profil de ses élèves . Le centre de formation joue d'abord un rôle d'accompagnement, pour des publics qui se trouvent bien souvent dans une situation de reconversion. Les profils sont très hétérogènes, mais on constate néanmoins une bonne mixité entre les femmes et les hommes, puisque les stagiaires femmes représentent 50  % des effectifs des formations dispensées par le CFPPA . On trouve des personnes qui souhaitent reprendre une exploitation familiale, d'autres qui ambitionnent de s'installer alors qu'elles ne sont pas issues du milieu agricole. Parmi elles, on dénombre une proportion significative de jeunes ingénieurs lassés de leur vie citadine, qui aspirent à se « ressourcer » dans le monde rural et à se libérer de la hiérarchie qu'ils ont connue dans leur vie professionnelle. La plupart ont des projets ne nécessitant pas trop de capital. Il leur est toutefois difficile de trouver de petites surfaces, car les parcelles ne sont pas morcelées .

Données sur les apprenties et stagiaires femmes en Occitanie 2015-2016

Apprenties agricoles :

550 apprenties sur 2 660 apprentis, soit 21 % d'apprenties

Plus le niveau de formation est élevé, plus la proportion des apprenties agricoles est importante :

- niveau V 249 ( * ) : 15 % ;

- niveau IV 250 ( * ) : 20 % ;

- niveau III 251 ( * ) : 22 % ;

- niveau II : 58 %.

En outre, les apprenties agricoles sont majoritaires dans quatre secteurs d'activité :

- les services, secteur dans lequel elles représentent 85 % des effectifs ;

- la biologie (64 % des effectifs) ;

- l'agroalimentaire (61  % des effectifs) ;

- les activités hippiques (50  % des effectifs).

Stagiaires femmes en formation continue (FC) agricole :

On compte 7 385 stagiaires femmes sur 27 527 stagiaires, soit 32 % des stagiaires.

Elles représentent 43 % d'heures/stagiaires (1,03 millions d'heures/stagiaires femmes).

73 % des stagiaires femmes suivent des formations non diplômantes ou non certifiantes 252 ( * ) , donc seules 27 % des stagiaires femmes sont en formations diplômantes 253 ( * ) et certifiantes 254 ( * ) . Il s'agit de formations courtes, complémentaires à leur formation de base.

On relève un constat similaire à celui dressé pour les apprentis : plus le niveau de formation est élevé, plus la proportion de femmes est importante :

- niveau V : 33 % des effectifs ;

- niveau IV : 41 % des effectifs ;

- niveau III : 49 % des effectifs.

Par ailleurs, les trois secteurs dominants chez les stagiaires femmes sont la production, les services et les aménagements paysagers. La production reste le premier secteur dans la mesure où, bien souvent, le projet professionnel à l'issue de la formation est l'installation.

Source : DRAAF Occitanie

Selon la directrice du CFPPA, l'établissement réalise un important travail d'immersion de ce public dans le monde agricole et leur donne les bases du contexte réglementaire (création d'entreprise, fonctionnement du milieu agricole...). Il les aide également à formaliser leur projet de vie en projet professionnel . Les notions de droit et de compatibilité permettent plus particulièrement aux femmes d'être actrices de leur installation . C'est d'ailleurs historiquement par ce biais administratif qu'elles ont acquis une compétence technique sur les exploitations.

Parmi les élèves du CFPPA, elle a fait observer que l'on trouve des femmes conjointes collaboratrices qui viennent pour obtenir une validation des acquis de l'expérience (VAE). Pour autant, cette démarche ne se fait pas toujours à leur initiative mais parfois à celle de leur mari (avec une forte pression de leur part), parce qu'ils espèrent pouvoir obtenir par ce biais des aides supplémentaires à l'installation....

La proviseure du lycée a rappelé à cet égard que le modèle historique de l'entreprise agricole est l'exploitation familiale avec le mari chef d'exploitation et la femme travaillant sans statut . Pendant longtemps, les agricultrices n'ont revendiqué qu'un salaire, sans se soucier de leur statut juridique et des risques que leur situation précaire présentait en cas de séparation ou de divorce. De ce point de vue, le GAEC entre époux a constitué un progrès, mais les mentalités mettent du temps à évoluer .

Selon elle, aujourd'hui, les jeunes femmes de l'enseignement agricole ont davantage de revendications , d'autant plus lorsqu'elles s'installent « hors cadre familial ». On compte cependant très peu d'hommes « conjoints collaborateurs », la grande majorité étant des conjointes collaboratrices. En outre, le moins favorable des statuts actuels reste celui d'aide familiale, qui concerne souvent les enfants des agriculteurs et peut toucher aussi bien les filles que les garçons. Il est cependant limité dans la durée.

Selon la directrice du CFPPA, il est très important d'expliquer aux femmes qui aspirent à devenir exploitantes qu'il n'est pas normal qu'elles ne détiennent qu'un pourcentage minoritaire des parts. Ainsi, il peut arriver parfois que, alors même qu'elles deviennent associées, leur statut n'évolue pas vraiment car elles ne disposent que de 10 à 15  % des parts sociales . Elles n'ont pas toujours conscience de cette absence de protection et il est d'autant plus délicat de les informer sur ce point que cela touche à la relation avec leur mari ou avec leur belle-famille qui peut être encore très intrusive. Selon elle, le milieu agricole reste fermé, marqué par le poids de la famille et de la tradition .

De ce point de vue, la directrice du CFPPA a souligné les vertus de la validation des acquis de l'expérience (VAE), qui permet aux femmes de prendre confiance en elles et de trouver leur place sur l'exploitation, en leur montrant qu'elles y apportent une réelle valeur ajoutée.

Enfin, les sénatrices ont dialogué avec une jeune stagiaire du CFPPA qui a présenté son parcours atypique . Elle incarne cette nouvelle génération d'exploitantes agricoles qui s'installent à l'issue d'un projet mûrement réfléchi : après avoir arrêté ses études en première, elle a suivi un apprentissage dans le secteur de la coiffure, qu'elle a dû interrompre au bout d'un an pour cause d'allergies. Elle s'est ensuite tournée vers une formation dans le domaine de la manucure et de la parfumerie dispensée par l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). Après la naissance de son enfant, elle n'a pas souhaité reprendre ce travail. Son père lui a alors proposé de se lancer dans le maraîchage bio . Elle a suivi une formation ADEMA en avril 2016, dont les différentes interlocutrices des sénatrices ont vanté les mérites, avant de s'inscrire en BPREA au CFPPA d'Ondes. À l'issue de sa formation, elle ambitionne de s'installer comme associée avec son père , sur une petite exploitation de trois hectares.

La presse locale a fait écho du déplacement des sénatrices en Haute-Garonne par un article montrant que ce rapport fait l'objet d'une attente certaine de la part des agricultrices 255 ( * ) .

Compte-rendu du déplacement en Bretagne (14 juin 2017)

Le déplacement des co-rapporteur-e-s en Bretagne, auxquels s'étaient jointes deux sénatrices de la délégation aux droits des femmes de Bretagne 256 ( * ) , a été organisé en lien avec le groupe « Égalité-parité : Agriculture au féminin », réseau d'agricultrices héritier des dynamiques locales créées autour des groupes de vulgarisation agricole (GVA) et des groupes de vulgarisation agricole féminins (GVAF) mis en place dès les années 1970.

Après la visite d'une exploitation avicole, la délégation a participé à un échange de vues auquel ont contribué des agricultrices élues dans les chambres d'agriculture des quatre départements bretons, des représentantes des fédérations départementales des syndicats d'exploitants agricoles (commissions départementales des agricultrices) et de la fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles, les animatrices départementales du groupe « Égalité-parité : Agriculture au féminin », des élus municipaux, départementaux et régionaux ainsi que des retraitées agricoles, soit quelque 25 personnes.

Les remerciements des co-rapporteur-e-s s'adressent à toutes les personnes rencontrées au cours de cette journée et à toutes celles et ceux qui, en contribuant à son organisation ou par leur présence, en ont fait un moment aussi éclairant que convivial.

1. - Une initiative exemplaire : le groupe « Égalité-parité : Agriculture au féminin » de Bretagne

Le groupe « Égalité-parité : Agriculture au féminin » s'est structuré en 2007 à l'occasion de la mise en place d'un Observatoire de la parité par le Conseil régional de Bretagne, qui a dans un premier temps rassemblé des élues des chambres d'agriculture des départements bretons. Ces premières participantes ont décidé de rassembler leurs forces en un groupe unique, structuré autour d'un comité de pilotage au niveau régional et décliné en groupes départementaux. C'est donc à une initiative d'élues agricoles que l'on doit la dynamique créée par le groupe « Égalité-parité : Agriculture au féminin ».

Celui-ci est composé d'agricultrices élues des quatre chambres d'agriculture départementales de la région et de membres d'organisations professionnelles. Il est organisé, en lien avec la commission Stratégique Entreprise de la chambre régionale d'agriculture, autour d'une animatrice par département et d'une coordinatrice régionale, sa présidente, Nathalie Marchand. Celle-ci est intervenue lors du colloque « Être agricultrice en 2017 » du 22 février 2017 : les co-rapporteur-e-s souhaitent lui témoigner, par l'intermédiaire de ce rapport, l'admiration que leur inspire son engagement ainsi que celui de ses collègues de tous les départements bretons.

Depuis 2008, « Égalité-parité : Agriculture au féminin » conduit des actions pour favoriser l'égalité et la parité dans la profession agricole selon deux axes prioritaires :

- la formation continue et qualifiante (par exemple, formations à l'exercice des responsabilités, aux politiques européennes de l'égalité ; formations techniques, stages de relations humaines, de management , etc.) ;

- la communication sur les métiers agricoles exercés par des femmes.

Selon une participante à cette journée d'échanges, l'objectif est de « tout faire pour que les jeunes restent dans l'agriculture, et notamment les jeunes femmes ».

« Égalité-parité : Agriculture au féminin » a pour objectifs :

- de diffuser la culture de l'égalité-parité dans les chambres d'agriculture de Bretagne ;

- de promouvoir la mixité en agriculture (formation, emploi, communication, création d'entreprises) et les métiers agricoles au féminin ;

- d' accompagner l'engagement et la prise de responsabilités des femmes en agriculture : améliorer la représentativité des élu-e-s des instances décisionnelles fait en effet partie des priorités du groupe.

Parmi les actions d'« Égalité-parité : Agriculture au féminin », les co-rapporteur-e-sont tout particulièrement noté des actions de communication dont ils estiment qu'elles devraient inspirer des actions similaires dans d'autres territoires, telles que :

- la création d'une page Facebook « Agricultrices de Bretagne » ;

- la publication d'un guide pratique Élues agricoles de Bretagne pour présenter des témoignages et des astuces « pour faciliter les premiers pas dans la prise de responsabilités » ;

- l'organisation de manifestations à l'occasion de la Journée internationale de la femme rurale, le 15 octobre , comme par exemple la « journée conviviale d'échanges pour toutes les agricultrices et les salariées agricoles » organisée le 18 octobre 2016 à Rennes et intitulée « Bien dans ses bottes pour surfer sur la crise ».

2. - La place des femmes dans l'agriculture bretonne

a) Les chiffres-clés en 2015

La Bretagne compte 21 770 femmes exerçant leur activité professionnelle dans l'agriculture . Comme le montre le tableau ci-dessous :

- 46,5 % sont des cheffes d'exploitation ;

- 44,9 % sont des salariées ;

- 8 % sont des conjointes collaboratrices ;

- 0,3  % sont des aides familiales.

Les actif-ves agricoles (Bretagne, 2015)

Hommes

Femmes

Total

% femmes

Chefs d'exploitation

28 680

10 129

38 809

26  %

Conjoints collaborateurs

419

1 784

2 203

81  %

Aides familiaux

34

71

105

68  %

Total actifs familiaux

29 132

11 985

41 117

29  %

Salariés*

22 453

9 785

32 240

30  %

Total actifs agricoles

51 585

21 770

73 355

30  %

Les valeurs en italique sont des estimations

* Effectif de salariés au 31/12/2015

Source : OESR MSA

b) Des profils spécifiques

Les profils des femmes se différencient de ceux des hommes à plusieurs niveaux :

- par l'âge à l'installation : en moyenne 32 ans ;

- par leur origine, plus souvent extérieure au milieu agricole (34  %) ;

- par le fait qu'elles sont moins souvent salariées du secteur agricole ou para-agricole (16 %) et plus souvent « non salariées agricoles » (33 %) ;

- par leur surreprésentation parmi les sans emploi (chômage, formation) : 38 % ;

- par une proportion importante de femmes diplômées : 66  % ;

- par une orientation fréquente vers des ateliers de diversification, avec transformation, vente, en agriculture biologique ;

- par leur forte représentation dans l'élevage bovins-lait (151 installations en quatre ans) ;

- par le fait qu'elles réalisent la moitié des installations en élevage ovins-caprins-autres herbivores et en fleurs-horticulture.

Des cheffes d'exploitation spécialisées

À l'échelle de la Bretagne, en nombre, les femmes sont plus représentées dans la filière bovins-lait . Toutefois, en proportion, c'est en aviculture que les femmes sont le plus présentes (30  %). Il est plus facile probablement pour les femmes de monter un poulailler en complément de revenu qu'un atelier porcin par exemple.

Entre 2010 et 2015, les femmes représentent 29 % des installations de jeunes agriculteurs. Les statistiques d'installation confirment les remarques précédentes sur la forte proportion de femmes en élevage avicole et dans la filière bovins-lait .

Source : CRAB - ODASEA, installations aidées 2012/2015

30 % des salariés agricoles sont des femmes

L'effectif de salariées agricoles a connu une baisse de 2 % en 2015 par rapport à 2013 (contre +1 % chez les hommes). Comme pour les chefs d'exploitation, la part des femmes parmi les salariés agricoles augmente avec l'âge (jusqu'à 59 ans). Ceci s'explique par le fait que de nombreuses femmes cheffes d'entreprise en fin de carrière optent pour le statut de salariée au sein de leur entreprise. L'objectif est, pour certaines, de faciliter la transmission de l'entreprise (en devenant salariée de l'entreprise, elles assurent la transmission des savoirs) et pour d'autres d'assurer des cotisations retraites.

Les femmes choisissent de travailler en agriculture pour les mêmes raisons que les hommes : proximité, horaires, diversité des tâches et des responsabilités. Elles sont les plus nombreuses en cultures spécialisées.

Des inégalités entre hommes et femmes dans l'agriculture

Ces inégalités concernent l'accès à la formation initiale et continue ainsi que les aides à l'installation .

Les filles choisissent des formations initiales agricoles par vocation et motivation. En productions animales et végétales, y compris l'horticulture, elles représentent 33 % des effectifs. Leur proportion n'est en revanche que de 12 % dans les formations liées à l'aménagement, qui englobent les travaux forestiers, l'entretien des espaces naturels et la gestion de l'eau.

S'agissant de la formation continue, on note en Bretagne le même déséquilibre qu'au niveau national entre contributrices au VIVÉA et bénéficiaires de ces formations : sur les 13 000 femmes contributrices au VIVÉA (cheffes d'exploitation, conjointes-collaboratrices), 1 830 se sont formées en 2015, soit seulement 14  % (19  % pour les hommes) alors qu'elles représentent 29  % des cotisants VIVÉA.

La proportion de salariées accédant à une formation est faible également : sur les 9 800 salariées que compte l'agriculture bretonne, seulement 900 se sont formées en 2015, soit moins de 10  %.

Une autre inégalité réside dans l'accès aux aides à l'installation : sur 215 femmes installées entre 2010 et 2015, seulement 88 ont bénéficié d'aides « Jeunes agriculteurs » à l'installation .

3. Le programme de la journée

a) Visite d'une exploitation avicole

La délégation a tout d'abord rencontré ses interlocuteurs à l'occasion de la visite d'un élevage avicole (dinde de chair) par son exploitante, elle-même issue du milieu agricole, installée à l'âge de 22 ans à la suite de ses parents. L'exploitation est répartie sur trois sites : deux sont gérés séparément par chacun des époux, le troisième étant exploité conjointement. La délégation a apprécié cet exemple de parité appliquée à la profession du couple.

Les hôtes de la délégation ont mis l'accent sur la baisse de la production avicole en Bretagne, la consommation de dinde diminuant au profit de celle du poulet et la production française de dindes étant concurrencée par le développement des élevages de dindes en Europe de l'Est, plus particulièrement en Pologne.

La visite des bâtiments d'élevage a montré que des aménagements réalisés pour améliorer le bien-être animal et pour réaliser des économies d'énergie peuvent aussi avoir des effets positifs sur les conditions de travail des agriculteurs et agricultrices, qui s'en trouvent souvent facilitées. De manière générale, la modernisation des exploitations a été présentée comme nécessaire pour attirer les femmes vers les métiers de l'agriculture. Les interlocuteurs et interlocutrices de la délégation ont par ailleurs estimé que ces investissements se révèlent également favorables à la qualité de vie des hommes et qu'ils sont indispensables, dans une perspective de prolongation de la durée de la vie active, pour maintenir l'efficacité des exploitants seniors, tant des hommes que des femmes.

b) Échange de vues sur la situation des agricultrices

La réunion qui a suivi la visite de l'exploitation a permis d'aborder des thèmes très divers et ces échanges ont enrichi la réflexion des co-rapporteur-e-s :

- l'importance de la mixité pour défendre l'égalité femmes-hommes dans l'agriculture : le groupe « Égalité-parité : Agriculture au féminin » est attaché à la participation d'hommes à son combat (un agriculteur membre du groupe était présent lors de cette réunion) car il défend autant l'égalité que la mixité dans l'agriculture. Nathalie Marchand, présidente de ce groupe, a souligné le courage qu'il faut à un homme pour assumer sa participation aux travaux du groupe ;

- la nécessité de permettre aux agriculteurs et agricultrices de vivre de leur métier sans laisser la grande distribution réduire leurs revenus : ce point a été évoqué à plusieurs reprises, notamment quand il s'est agi de la diversification des activités agricoles. « La vente directe, cela représente beaucoup de travail », a observé une interlocutrice de la délégation : « ce que nous voulons, c'est un revenu qui nous permette de vivre de notre métier », a poursuivi Nathalie Marchand ;

- la contribution des agricultrices à la diversification des activités agricoles : ainsi qu'elle l'avait fait lors du colloque du 22 février 2017, Nathalie Marchand a attiré l'attention de la délégation sur les limites du cliché que constitue l'assimilation de l'apport des agricultrices à la diversification du métier (vente directe, gîtes, etc.). Elle a toutefois estimé que la diversification représente une chance pour les exploitations , car elle sécurise des revenus.

À cet égard, la présidente de « Égalité-parité : Agriculture au féminin » a fait observer à la délégation que, en matière de diversification, il ne semble pas y avoir de politique cohérente sur l'ensemble du territoire en raison d'une appréciation différente, d'un département à l'autre, de la nature des activités permettant de bénéficier de la dérogation autorisant les exploitant-e-s agricoles installé-e-s en GAEC à travailler jusqu'à 536 heures par an à l'extérieur de leur exploitation. Selon les informations transmises à la délégation, dans certains départements, une station de méthanisation, la commercialisation de viande, la transformation de lait ou des panneaux photovoltaïques, par exemple, sont considérés comme des prolongements de l'exploitation et à ce titre admis comme des activités de diversification, contrairement aux gîtes ruraux, alors même que ceux-ci sont installés dans d'anciens bâtiments agricoles. Dans d'autres départements en revanche, il semblerait que l'activité relative aux gîtes ruraux soit considérée comme éligible à la dérogation au titre de la diversification des activités de l'entreprise agricole. La délégation s'est étonnée de ces divergences d'interprétation.

- La baisse des crédits européens, nationaux et régionaux concernant l'égalité femmes-hommes : le groupe « Égalité-parité : Agriculture au féminin » a exprimé la crainte que les agricultrices ne constituent pas une cible prioritaire de ces crédits.

- Les inégalités entre agriculteurs et agricultrices concernant l'accès à la terre : des interlocutrices de la délégation ont évoqué les hésitations de certains cédants, réticents à vendre leur exploitation à une femme . Le groupe a constaté cependant qu' il ne s'agissait pas là d'une difficulté quantifiable mais d'un ressenti relayé par divers témoignages . Parmi les difficultés mentionnées a également été relevée la priorité aux jeunes agriculteurs pour l'attribution du foncier, qui peut s'exercer aux dépens de projets d'installation de candidates plus âgées ou de projets d'extension d'agricultrices déjà installées.

- L'atout pour l'ensemble de la profession que constitue le parcours des femmes qui viennent à l'agriculture après une autre vie professionnelle : la présidente du groupe « Égalité-parité : Agriculture au féminin » a estimé que les femmes arrivent dans les exploitations avec un projet professionnel souvent plus « mûri » que celui des hommes et des compétences qui apportent un « plus » à leur pratique.

- La faiblesse des retraites agricoles , et plus particulièrement celles des agricultrices, nombreuses de surcroît à être polypensionnées.

La modicité de leur montant a été imputée à divers facteurs : à la durée - souvent brève - de cotisation, les femmes n'ayant accédé que très tard au statut étant les plus touchées, à la faiblesse des revenus (selon les informations transmises à la délégation, les deux tiers des non-salarié-e-s agricoles déclarent des revenus annuels inférieurs à 1 820 SMIC horaire, soit 17 490,20 € en 2015) et aux réticences fréquemment observées de la part des exploitants agricoles à l'égard des cotisations , a fortiori parce que, en période de crise économique, elles apparaissent essentiellement comme un coût qu'il convient d'essayer de limiter.

Sur ce dernier point, la nécessité d'un changement de regard du monde agricole sur les cotisations sociales, qui devraient être considérées avant tout comme un investissement pour l'avenir , a été soulignée par les interlocutrices de la délégation. L'une d'elles a même évoqué une « allergie » du monde agricole à l'égard des cotisations. Certains interlocuteurs de la délégation ont estimé que la constitution d'une épargne en vue de la retraite serait une solution à envisager, à condition que son régime fiscal soit favorable. Ces interlocuteurs sont néanmoins conscients qu'en raison de la gravité de la crise économique, arbitrer entre les investissements nécessaires à l'exploitation et la constitution d'une épargne en vue de la retraite relève d'un exercice d'autant plus complexe que certain-e-s exploitant-e-s semblent par ailleurs faire des choix d'investissements aux dépens de leurs cotisations : la faiblesse des retraites serait ainsi parfois le reflet de choix économiques que l'on peut regretter au moment de liquider ses droits...

Ce point rejoint celui, particulièrement complexe aujourd'hui, des choix d'investissements : les investissements sont ressentis comme nécessaires pour maintenir l'efficacité du travail d'exploitants avançant en âge et pour accompagner l'agrandissement de certaines exploitations. Cette nécessité économique peut se traduire par des arbitrages défavorables aux cotisations de retraite.

Selon l'un des interlocuteurs de la délégation, la modicité des retraites agricoles se traduit par le renchérissement des terres vendues par les cédants , avec pour conséquences des difficultés accrues pour les jeunes qui souhaitent s'installer.

S'agissant plus spécifiquement des retraites des femmes , la question de la majoration de retraite pour celles qui ont eu trois enfants au moins a été évoquée : à cet égard, la forfaitisation a été présentée comme une évolution indispensable compte tenu de la faiblesse des retraites.

Les pensions de réversion ont été présentées comme une injustice, du fait de leur plafonnement ; leur alignement sur le système commun a été suggéré.

En ce qui concerne les modalités de calcul des retraites , la référence aux 25 meilleures années (comme les salariés) a été présentée comme une solution favorable , mais il a été reconnu qu'elle ne convient pas aux carrières brèves de celles et ceux qui rejoignent l'agriculture sur le tard. Pour ces populations, la formule consistant à extraire les plus mauvaises années a été présentée comme pertinente.

- Des progrès à encourager sur le plan social :


l'accès à un temps partiel thérapeutique pour les agriculteurs et agricultrices : les interlocuteurs de la délégation ont affirmé que la MSA devait évoluer sur ce point, qui constituerait une mesure d'équité par rapport aux autres régimes. Dans une logique comparable, il a été déploré que les agricultrices ne puissent bénéficier d'un congé pour grossesse pathologique ;


l'amélioration de la prise en charge du burn out par la MSA : l'attention de la délégation a été attirée sur la faiblesse de la prise en charge par la MSA du burn out , de plus en plus courant dans le monde agricole pour des raisons que l'on comprend aisément. Or la MSA propose un remplacement de quelques jours , alors que le burn out rend en général impossible toute activité professionnelle pendant des mois et se traduit pour les salariés par un congé de longue durée.

- Les modalités de l'engagement des agricultrices en Bretagne :

Les chambres d'agriculture ont connu une certaine progression de la féminisation , même si la moyenne régionale (26 % d'élues) recouvre des réalités contrastée (19 % dans la chambre d'agriculture régionale, 20 % pour l'Ille-et-Vilaine, 28 % pour le Morbihan et 33 % pour les Côtes-d'Armor et le Finistère).

Les Bureaux des chambres d'agriculture restent toutefois masculins : 25 % de femmes en moyenne régionale, avec là encore des réalités locales plus nuancées (16 % pour le Morbihan, 25 % pour la chambre régionale, les Côtes-d'Armor et l'Ille-et-Vilaine, 33 % pour le Finistère).

La seule chambre départementale d'agriculture de la région qui soit présidée par une femme est la Chambre d'agriculture des Côtes-d'Armor : Danielle Even, devenue présidente en 2016, fait partie des pionnières, puisqu'à ce jour on ne compte que trois présidentes de chambres départementales d'agriculture (en Lozère, dans la Drôme et dans les Côtes-d'Armor) .

Une interlocutrice de la délégation a qualifié les organisations professionnelles agricoles d'« indifférentes » à l'égard des obligations de féminisation créées par la loi Copé-Zimmermann 257 ( * ) . Elle a jugé « problématique » le respect des obligations posées par la loi à l'échéance de 2025, a fortiori parce que la crise amplifie l'obstacle lié à la dépense à engager pour se faire remplacer.

En règle générale, ces stéréotypes ont des conséquences concrètes sur la nature des responsabilités confiées aux femmes : celles-ci demeurent sollicitées pour des fonctions comme la communication, le social ou les relations avec les écoles. En revanche il reste difficile d'être une femme dans les lieux où se prennent les décisions concernant la production , comme les coopératives : alors que la traite des vaches incombe très souvent aux femmes, elles ne sont pas présentes dans les bureaux des coopératives laitières.

À cet égard, la persistance de stéréotypes défavorables aux femmes a été évoquée à travers un témoignage édifiant sur les difficultés des femmes à se faire admettre dans les coopératives, vécues comme un « milieu d'hommes » qui « ont beaucoup de mal à accepter les femmes : il faut faire du forcing », mais « ça vaut le coup de persister car de petites choses commencent à bouger : maintenant on me demande mon avis »...

- Les freins à l'engagement des agricultrices :

Parmi les freins à l'engagement des agricultrices dans les organisations professionnelles ont été mentionnées les difficultés classiques liées à l'articulation des temps professionnel et familial et au poids des responsabilités familiales et du travail domestique. « Il faut beaucoup d'énergie pour être élue » tout en poursuivant son travail sur l'exploitation et en s'occupant de sa famille, a observé une interlocutrice de la délégation. De manière générale, la charge de travail des agricultrices a été considérée comme une question centrale.

Sur ce point, plusieurs agricultrices ont déploré la pesanteur d'une culture défavorable à l'emploi d'une aide-ménagère à domicile , pourtant indispensable compte tenu de la charge de travail des agriculteurs et agricultrices.

À cet égard, une formation spécifique, « Agricultur'elles », mise en place en 2014 à l'initiative de groupes féminins, est destinée à aider les agricultrices à « allier temps de travail et temps de vie avec efficacité et sérénité » : cette formation de quatre jours, répartis en quatre après-midis et deux journées, a permis aux participantes, selon les témoignages recueillis par la délégation au cours de son déplacement, de moins culpabiliser quand elles s'absentent de l'exploitation, de mieux s'organiser en définissant des priorités dans leur programme de travail et de mettre en place un partage plus équilibré des tâches parentales entre les conjoints. Il convient d'encourager ce type de formation et de lui permettre de s'étendre à d'autres territoires.

Un autre obstacle à l'engagement des agricultrices semble, dans une logique très concrète, résider dans les horaires de réunion , malaisément compatibles avec la vie familiale, et dans l'absence de structures telles que des garderies , pour les élu-e-s ayant de jeunes enfants. Un projet de crèche interentreprises à Rennes, qui aurait permis aux élues de chambre d'agriculture de participer plus facilement aux réunions, n'a pas pu prospérer.

Le coût du remplacement a été considéré comme un frein à l'engagement, des femmes comme des hommes : le coût d'une journée de remplacement (170 €) n'est pas compensé par l'indemnité perçue (92 € net, déduction faite des cotisations sociales).

La formation des élu-e-s constituerait une autre difficulté expliquant les réticences à s'engager .

Une piste à envisager pour accompagner l'absence des agricultrices conduites à suivre une formation ou à exercer un mandat : la possibilité de choisir entre un remplacement dans l'exploitation et une aide-ménagère.

L'exemple de la présidente de la FNSEA a été cité à cet égard (Christiane Lambert a d'ailleurs évoqué, lors de son audition devant la délégation, cette faculté qui lui avait été donnée après la naissance d'un enfant pour faciliter l'exercice de responsabilités syndicales).

- L'importance de l'émergence d'une « culture de réseau », tout particulièrement utile aux femmes :

Les interlocutrices de la délégation ont cité en exemple les « groupes de développement » dédiés spécifiquement aux femmes, qui se réunissent pour des temps d'échanges à des horaires (11h-15h) permettant aux jeunes femmes d'y participer. Ce sont ces groupes féminins de développement qui, au fil du temps, ont permis aux femmes qui n'avaient pas suivi de formation agricole spécifique de prendre confiance en elles et de participer, aux côtés des agriculteurs, à des groupes techniques. À titre d'exemple, les interlocutrices de la délégation ont mentionné la préparation au BPREA (Brevet professionnel responsable d'exploitation agricole) organisée par le groupe de développement du Morbihan sur la base d'une organisation relativement compatible avec des responsabilités familiales (à raison de deux jours par semaine, pendant deux ans).

- L'importance de la formation des agricultrices à la prise de responsabilités au sein de l'exploitation :

Le groupe « Égalité-parité : Agriculture au féminin » considère comme une avancée l'accès des agricultrices au statut de cheffe d'exploitation, mais souligne que le statut d'exploitante ne permet pas toujours de prendre confiance en soi. D'où l'effort spécifique que consacre le groupe à la formation des agricultrices à la prise de responsabilité dans leur entreprise et à l'acquisition de compétences. Dans cette logique, des formations du groupe visent à aider les agricultrices à « trouver leur place » dans l'exploitation , vis-à-vis du banquier, des associés, des élus locaux, de la coopérative, des fournisseurs, des représentants, etc.

- La « communication positive », outil de lutte contre les clichés pour donner confiance aux femmes :

Le groupe s'élève contre toute communication qui enfermerait les femmes dans des rôles stéréotypés comme l'accueil, le tourisme à la ferme, la diversification, aux dépens de la mise en valeur de leur participation à la production et aux innovations . Il a attiré l'attention de la délégation sur les stéréotypes véhiculés par la communication, notamment en ligne, lors de salons comme Innov'action, alors qu'« il faut tout faire pour attirer des jeunes, et plus particulièrement de jeunes femmes ».

Dans une logique comparable, la délégation a été alertée sur la publicité sexiste autour du métier et des équipements agricoles . À cet égard, la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA a fait part à la délégation d'une démarche de protestation effectuée auprès du CSA. « Est-il vraiment nécessaire de mettre une femme en très légère tenue dans une position pour le moins suggestive pour vendre des filets à ballots ? Est-il vraiment nécessaire de faire des sous-entendus et des jeux de mots douteux pour promouvoir un salon professionnel ou une ensileuse ? », s'interroge-t-elle. Ce combat rejoint les convictions de la délégation, qui s'élève régulièrement contre les publicités sexistes et, tout dernièrement, contre une campagne de mode d'un grand couturier français, à quelques jours du 8 mars 2017, fondée sur des photos de modèles posant dans des postures provocatrices qui portent atteinte à la dignité des femmes 258 ( * ) . La délégation a ainsi invité l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) à envisager des solutions pour éviter la diffusion de publicités porteuses de stéréotypes sexuels les plus rétrogrades .

3. LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES ET CONSULTÉES

Table ronde du 30 mars 2017 : l'enseignement agricole et la formation des agricultrices

- Mme Christine Audeguin

Chef d'établissement, lycée agricole Terre nouvelle Marvejols, représentante du Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP)

- Mme Catherine Belloc

Professeure à l'École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l'alimentation Nantes-Atlantique (ONIRIS)

- Mme Laurence Dautraix

Secrétaire nationale du Syndicat national de l'enseignement technique agricole public (SNETAP-FSU)

- M. Roland Grimault

Responsable du pôle développement de l'Union nationale des maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation (UNMFREO)

- M. Guy Sigala

Secrétaire général du syndicat SEA-UNSA Éducation

- M. Gilles Trystram

Directeur général de l'établissement AgroParisTech

- M. Philippe Vinçon

Directeur général de l'enseignement et de la recherche (DGER) du ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt

Table ronde du 4 avril 2017 : questions sociales

- Mme Jacqueline Cottier

Présidente de la Commission nationale des agricultrices de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

- Mme Anne Gautier

Vice-présidente de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), présidente de la MSA Maine-et-Loire

- M. Michel Gomez

Sous-directeur du travail et de la protection sociale au ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt

- Mme Catherine Laillé

Présidente de la Coordination rurale de Loire-Atlantique et élue à la Chambre d'agriculture de Loire-Atlantique et des Pays de la Loire

- Mme Rose-Marie Nicolas

Cheffe du Bureau des prestations agricoles au ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt

- M. André Ricard

Directeur délégué à la CCMSA

- Mme Christine Valentin

Présidente de la Chambre d'agriculture de la Lozère, secrétaire adjoint de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA)

Mardi 23 mai 2017 : FNSEA

- Mme Christiane Lambert

Présidente de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

Jeudi 1 er juin 2017 : Jeunes agriculteurs

- Mme Karen Chaleix

Secrétaire générale adjointe de Jeunes agriculteurs

- M. Xavier Heinzle

Conseiller installation à Jeunes agriculteurs

Mercredi 7 juin 2017 : Confédération paysanne

- Mme Christine Riba

Paysanne dans la Drôme, secrétaire nationale de la Confédération paysanne

- Mme Véronique Léon

Paysanne en Ardèche

- M. Mathieu Dalmais

Animateur à la Confédération paysanne

Mardi 20 juin 2017 : Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB)

- Mme Stéphanie Pageot

Présidente de la Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB)

- M. Julien Adda

Délégué général de la Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB

Personne consultée

Jeudi 9 mars 2017

- M. Mickaël Ramseyer

Ingénieur agronome AgroParisTech, spécialisé en égalité femmes-hommes

4. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Table ronde sur l'enseignement agricole et la formation des agricultrices

(30 mars 2017)

Présidence de M. Alain Gournac, vice-président, puis de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, vice-présidente

Alain Gournac, président . - Nous sommes réunis ce matin pour une table ronde sur l'enseignement agricole et la formation des agricultrices, dans le cadre d'un rapport d'information sur les agricultrices, dont les travaux ont été lancés à l'occasion du colloque du 22 février 2017 au Sénat 259 ( * ) .

Nous espérons pouvoir présenter les conclusions de ce rapport à l'échéance du mois de juillet. Il nous a semblé plus que souhaitable, à la veille d'une nouvelle mandature, que la délégation aux droits des femmes soit force de proposition dans ce domaine crucial pour le Sénat.

Signe de notre intérêt unanime pour les questions relatives aux agricultrices, ce rapport sera élaboré par un groupe de travail composé d'un membre par groupe politique. Je vous en indique la liste par ordre alphabétique : Annick Billon, pour le groupe UDI-UC, Corinne Bouchoux, pour le groupe Écologiste, Brigitte Gonthier-Maurin, pour le groupe CRC, Françoise Laborde, pour le groupe du RDSE, Didier Mandelli, pour le groupe Les Républicains - il ne peut malheureusement pas être présent aujourd'hui et vous prie de l'excuser - et Marie-Pierre Monier, pour le groupe socialiste et républicain.

Entrons dans le vif du sujet. Aujourd'hui, l'enseignement agricole compte plus de 50 % de filles, avec toutefois de grandes disparités selon les filières.

Je remercie les intervenants d'avoir accepté notre invitation.

Nous avons le plaisir d'accueillir Philippe Vinçon, directeur général de l'enseignement et de la recherche (DGER) au ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt ; Christine Audeguin, chef d'établissement au lycée agricole Terre nouvelle-Marjevols, représentante du Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP) ; Roland Grimault, responsable du pôle développement de l'Union nationale des maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation (UNMFREO) ; Laurence Dautraix, secrétaire nationale du Syndicat national de l'enseignement technique agricole public (SNETAP-FSU) ; Guy Sigala, secrétaire général du SEA-UNSA Éducation ; Gilles Trystram, directeur général de l'école AgroParisTech et Catherine Belloc, professeur à l'École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l'alimentation Nantes-Atlantique (ONIRIS).

Mesdames, Messieurs, nous comptons sur vous pour nous aider à mieux appréhender la place des femmes dans l'enseignement agricole et les spécificités de la formation des agricultrices par rapport à celle des agriculteurs. Je voudrais d'ores et déjà vous demander de m'excuser car je devrai vous quitter avant la fin de nos échanges, mais mes collègues me suppléeront jusqu'à la fin de cette table ronde.

Pour commencer, je vous demande de réagir brièvement sur le thème de notre rapport relatif à l'agriculture sous le prisme féminin et de nous dire comment vous l'appréhendez.

Philippe Vinçon, directeur général de l'enseignement et de la recherche (DGER) au ministère de l'Agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt . - Je remercie la délégation aux droits des femmes d'avoir pris cette initiative sur ce sujet très important. On a parfois une image très masculine du monde agricole, encore largement marqué par les stéréotypes. Parce que certains métiers demandent une force physique, ils apparaissent trop souvent comme réservés aux hommes.

Le ministère de l'Agriculture a engagé depuis longtemps un très vaste travail pour montrer que l'agriculture recouvre des métiers extrêmement diversifiés, qui peuvent certes s'adresser aux hommes, mais que les femmes sont tout aussi capables d'exercer.

Des évolutions très importantes se sont produites sur ces sujets, en particulier en ce qui concerne l'enseignement technique. En effet, les formations agricoles représentent schématiquement un quart des formations. Elles sont de plus en plus diversifiées et féminisées. Il me paraît vraiment important de démontrer cette évolution à travers des symboles, tels que l'élection d'une femme à la présidence de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) 260 ( * ) .

Sans sous-estimer l'importance de la force physique, qui peut être importante dans ces métiers, il importe de trouver le bon équilibre. Un gros travail reste cependant à faire pour débarrasser l'enseignement technique agricole des stéréotypes négatifs qui le frappent. Ce système, de taille relativement modeste - il représente l'équivalent d'une académie moyenne de l'Éducation nationale comme Rouen, Nice ou Strasbourg - prépare à devenir agriculteur mais ouvre également à des métiers importants dans les territoires ruraux : services à la personne et aux territoires, environnement, agroalimentaire. Or le secteur agricole est réputé offrir des métiers d'homme, ce qui risque de décourager bien des jeunes filles de s'engager dans cette voie. Il me paraît donc très intéressant de prendre des initiatives comme celle à laquelle nous sommes associés aujourd'hui, pour pouvoir donner une meilleure information et lutter contre l'ensemble des stéréotypes négatifs que je viens d'évoquer.

Ensuite, il y a une majorité de jeunes filles dans les écoles d'ingénieurs et de vétérinaires : la problématique est donc inversée. Cela présente des aspects négatifs, mais revêt aussi une dimension positive. Ainsi, au ministère de l'Agriculture, il n'y a pas de problème de parité dans les postes de haute responsabilité, que ce soit au niveau du cabinet ou parmi les directeurs d'administration centrale.

Par ailleurs, cette question de l'égalité femmes-hommes est au coeur de l'action du ministère. Ainsi, l'agro-écologie, qui intègre tant la vision économique que la préoccupation environnementale, contribue à changer l'image de l'agriculture. Or, même s'il faut se défier des stéréotypes, je constate que le respect de la nature et le bien-être animal suscitent souvent l'intérêt auprès des jeunes filles.

Alain Gournac, président . - Les femmes ne sont pas apparues d'un coup dans l'agriculture ; cela fait très longtemps qu'elles ont une importance majeure dans ce domaine.

Christine Audeguin, chef d'établissement au lycée agricole Terre Nouvelle à Marvejols, représentante du Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP) . - Sur la féminisation progressive de l'agriculture, je ferai trois remarques principales.

Tout d'abord, si l'on constate aujourd'hui une féminisation « officielle » de l'agriculture, à travers l'évolution des statuts des conjoints exploitants, le travail des femmes dans ce secteur existait depuis très longtemps, tout en demeurant « invisible ».

Deuxièmement, avec l'évolution des techniques et la mécanisation, certains travaux affectés jadis aux hommes en raison de leur force physique peuvent désormais être assurés par des femmes. La mécanisation de l'agriculture a donc contribué à sa féminisation.

Troisièmement, gardons aussi à l'esprit que l'on assiste plus généralement à une féminisation sociétale du monde du travail, qui touche l'agriculture au même titre que bien d'autres secteurs.

Je souhaite aussi apporter un bémol aux chiffres de l'enseignement agricole. Il y a deux types de formations : celle qui mène à l'agriculture proprement dite et celle qui conduit aux métiers des services à la personne. Or la seconde est beaucoup plus féminisée que la première.

Roland Grimault, responsable du pôle développement de l'Union nationale des maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation (UNMFREO) . - Cela a été dit, les métiers de l'agriculture ont évolué, notamment en raison de la mécanisation et de la prévention en faveur des nouvelles postures dans le travail. Cela a permis à chacun, notamment aux femmes, de prendre sa place dans l'agriculture.

Pour autant, l'enseignement agricole est très divers et les femmes sont plus présentes dans certains secteurs. Par exemple, leur nombre est important dans les postes de direction ou dans les conseils d'administration. Elles sont également bien représentées dans l'enseignement.

Je rappelle que l'enseignement agricole comporte, au-delà de l'aspect formation, un volet éducation, qui promeut le respect de la différence et la place des femmes au quotidien.

En réalité, les freins sont surtout sociétaux, tant au sein des familles qu'au niveau de l'orientation. Il est en effet difficile d'imaginer que les conseillers d'orientation puissent connaître tous les débouchés de l'enseignement agricole, tant les métiers auxquels il prépare sont variés.

Toutefois, les choses évoluent, non seulement parce que les femmes se sont battues, mais encore parce que les enfants n'exercent plus les métiers de leurs parents. J'ai ainsi vu un agriculteur prendre en apprentissage une jeune fille, car ses propres filles avaient fait d'autres choix d'orientation...

Alain Gournac, président . - En effet, les enfants ne reprennent plus systématiquement le métier de leurs parents et l'accès aux études supérieures est beaucoup plus ouvert qu'autrefois...

Laurence Dautraix, secrétaire nationale du Syndicat national de l'enseignement technique agricole public (SNETAP-FSU) . - Il me semble à ce stade pertinent de faire un petit rappel historique. Dans les années 1950, il n'y a pas si longtemps, on considérait qu'il ne fallait pas confier les jeunes filles à l'école de la République, car cela risquait de les pervertir. Donc, on les envoyait dans les maisons familiales rurales et vers les congrégations religieuses. On le voit, le chemin est encore long, il reste beaucoup de stéréotypes à lever, et cette table ronde est, à cet égard, une excellente initiative.

Mon syndicat a à coeur de poser la question de la surreprésentation des filles dans la filière des services et dans le secteur privé, par opposition avec l'enseignement agricole public, dont je ne vois d'ailleurs pas de directeur autour de la table...

En outre, l'enseignement agricole public recouvre plusieurs dimensions : la formation initiale scolaire, l'apprentissage, mais aussi la formation continue. S'agissant de l'apprentissage, les filles subissent une « double peine » car les stéréotypes sexistes y sont encore plus marqués que dans l'enseignement agricole en général.

Au niveau de la formation continue, il faut mettre en avant le rôle des centres de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA). On oublie souvent la notion de promotion, alors qu'elle est très importante.

Il existe en outre des outils dans l'enseignement, comme le réseau Insertion-égalité 261 ( * ) , lequel est malheureusement bien souvent méconnu de la communauté éducative. Cette dernière doit donc être mieux formée pour « casser » ces stéréotypes. Un effort de communication devrait être fait pour valoriser ce type d'initiatives. Je note d'ailleurs que les projets d'établissement et les projets régionaux, de même que les schémas stratégiques de l'enseignement agricole, s'intéressent rarement à la question que nous abordons aujourd'hui.

De plus, il faut élargir la réflexion à tous les acteurs : les familles - qui ont été évoquées, la communauté éducative, les services d'orientation, les professionnels agricoles, mais également les constructeurs d'outils et de vêtements, ainsi que les syndicats.

Enfin, n'oublions pas la question de la précarité des femmes, qui concerne aussi bien les agricultrices et les saisonnières que les professionnelles de l'enseignement, notamment parmi les catégories C, plus souvent soumises au temps partiel.

Alain Gournac, président . - Je retiens de vos propos l'importance de la formation continue par le biais des CFPPA et la diversité de l'enseignement agricole.

Guy Sigala, secrétaire général du syndicat SEA-UNSA Éducation . - Pour abonder dans le sens de Philippe Vinçon, je rappelle que les femmes sont majoritaires au ministère de l'Agriculture, mais aussi dans la fonction publique de manière générale, en particulier parmi les salariés de catégorie A et au sein de l'enseignement.

La formation continue et la formation par apprentissage sont structurants dans l'enseignement agricole public, bien plus qu'à l'Éducation nationale. Cela implique donc que la coordination entre l'État et les régions soit plus forte. Un rapport budgétaire de la sénatrice Françoise Férat estimait que l'enseignement agricole était à la croisée des chemins. Il y est effectivement depuis longtemps ; il y a certes eu des efforts, par exemple la signature d'une convention entre le ministère et l'Association des régions de France (ARF) pour essayer de stabiliser, piloter, orienter et sécuriser cet enseignement, mais il est temps que l'on coordonne vraiment les deux actions.

Par ailleurs, on évoque le « plafond de verre » pour les femmes, mais il y a aussi un plafond tout court, surtout parmi les membres de la catégorie C. Beaucoup de femmes font ainsi face à une grande précarité. La question du « plafond de verre » est donc importante, tout comme celle de la grande précarité, auxquelles font face beaucoup de femmes.

Je veux également m'attarder sur une idée reçue : l'enseignement agricole est l'enseignement non pas de l'agriculture, mais des métiers de l'agriculture. Il mène à bien des débouchés, et les parcours sont variés, beaucoup moins figés qu'on ne le croit souvent.

En outre, l'une des spécificités de l'enseignement agricole tient à ses méthodes pédagogiques actives, qui se fondent notamment sur une démarche de projets. C'est donc en matière de diplômes que l'on peut faire bouger les choses, notamment au travers de l'éducation socio-culturelle.

En ce qui concerne l'installation des agriculteurs et agricultrices, le frein principal vient de son coût, surtout pour les personnes qui sont extérieures au monde agricole. Cela exige un capital très lourd avec une faible rotation. Les métiers agricoles s'ouvriront quand on lèvera ces freins. Je rappelle à cet égard que le nombre d'agriculteurs en Europe baisse de 25 % tous les dix ans.

De surcroît, un élément susceptible à mon sens de faire évoluer le monde agricole tient au développement des sciences et des technologies. La force physique devient ainsi de moins en moins centrale pour exercer la profession agricole, ce qui est favorable aux femmes. Encore faut-il être créatif pour faire évoluer l'ergonomie du matériel agricole.

Autre question, celle de l'internat. Les internats abritent beaucoup de filles et il faut les accompagner, y compris en s'appuyant sur le Planning familial . En effet, nous devons assurer à la fois l'éducation citoyenne et l'éducation à la sexualité, car certaines difficultés se font jour dans ces établissements.

Par ailleurs, pour avoir vu des jeunes extérieurs au monde agricole s'installer et mener seuls leur exploitation, je peux certifier que cette activité ne peut s'inscrire dans la durée que si l'on accompagne les femmes, notamment d'un point de vue social, par exemple pour la garde des enfants.

Pour conclure sur une note plus positive, j'ai le souvenir d'un conseil d'administration d'établissement présidé par une agricultrice âgée de moins de 35 ans, laquelle est restée longtemps en poste. Les choses évoluent par conséquent beaucoup.

Enfin, les établissements ont une très forte autonomie, ce que les élus locaux, notamment à l'échelon régional, ne perçoivent pas nécessairement. Les membres des conseils d'administration des lycées agricoles ont une importante capacité de proposition et de mise en oeuvre, mais ne s'en servent à mon avis pas assez.

Gilles Trystram, directeur général de l'établissement AgroParisTech . - Je m'efforcerai pour ma part de donner le point de vue des établissements de l'enseignement supérieur agricole.

Cela a été souligné, l'enseignement agricole dépasse la simple question des agriculteurs. Il mène à bien d'autres métiers spécifiques, comme ceux de l'aménagement du territoire, du tourisme, de la bio-économie ou encore de la forêt et de la gestion des milieux naturels. La question du champ agricole ne s'arrête donc pas à la seule activité productrice, à la seule fonction d'agriculteur, mais vise aussi tout ce que l'on en fait et tout ce qui est autour ; elle est beaucoup plus globale.

En matière de statistiques, on compte une proportion importante de jeunes femmes dans les établissements supérieurs - entre 60 et 70 % dans les écoles d'ingénieurs. Il ne semble pas exister de différences très nettes dans les choix de filières entre les filles et les garçons.

En revanche, il existe une vraie sensibilité à la question du genre ; nos étudiantes sont militantes, engagées. C'est une préoccupation importante dans l'esprit de la jeunesse actuelle.

Le métier d'agricultrice ne représente pas un secteur important d'emploi à AgroParisTech. Néanmoins, au bout d'une dizaine d'années, on voit des jeunes reprendre des exploitations de tous types - qu'il s'agisse de filles ou de garçons d'ailleurs. Il ne faut donc pas limiter l'analyse au seul moment de la sortie d'école.

Alain Gournac, président . - Vous avez eu raison de souligner que l'enseignement agricole englobe un champ beaucoup plus vaste que la seule agriculture, et notamment le secteur forestier. De façon générale, il faut présenter les métiers positivement aux étudiants pour leur donner envie d'investir un secteur professionnel.

Catherine Belloc, professeur à l'École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l'alimentation Nantes-Atlantique (ONIRIS) . - Je viens d'un établissement mixte, formant des ingénieurs et des vétérinaires.

Chez les vétérinaires, nous rencontrons le problème inverse, si j'ose dire, puisque 75 % des étudiants sont des filles, avec une attractivité importante pour les animaux de compagnie. Cela pose le problème des vétérinaires dans l'agriculture.

Les vétérinaires constituent une profession réglementée, soumise à un ordre, qui dispose de données précises. On peut donc étudier ce que font les femmes vétérinaires entre 30 et 40 ans. Si l'on ne ressent pas de stéréotype au stade des études, on voit une différence importante se dessiner ensuite. Les femmes s'investissent moins dans des fonctions de représentation et sont, toute proportion gardée, plus précaires. Elles sont, en tout cas, davantage que les hommes concernées par le salariat.

Corinne Bouchoux, co-rapporteure . - Je connais bien le milieu agricole pour trois raisons principales. Premièrement, je suis élue de Maine-et-Loire et j'ai de fréquentes occasions de croiser Christiane Lambert ; vous imaginez donc l'importance que revêt l'agriculture pour moi et je me félicite que la délégation se soit saisie de ce sujet.

Deuxièmement, j'ai travaillé dans l'enseignement agricole, puisque j'ai exercé dans une école d'agronomie à Angers. J'ai à cet égard pu estimer à quel point le ministère de l'Agriculture est performant, innovant et créatif dans ses méthodes d'enseignement, compte tenu des moyens dont il dispose.

Enfin, je suis écologiste. Lors de l'examen de la dernière loi sur l'agriculture, on a donc pu s'opposer sur certains sujets...

Mes questions seront surtout d'ordre statistique. Pourriez-vous m'indiquer la part respective des filles et des garçons dans l'enseignement agricole en général, et dans chacune des branches (public et privé), mais aussi dans les différents modes de formation ?

Monsieur Trystram, pouvez-vous m'expliquer comment AgroParisTech est passé en 30 ans de 100 % de garçons à 80 % de filles ?

Par ailleurs, la part de filles dans l'enseignement agricole est passée de 39 % en 1990 à 52 % en 2010 262 ( * ) . La féminisation de l'enseignement agricole doit ainsi s'analyser en profondeur.

Qu'en est-il dans les autres pays ? Il me semble que l'enseignement agricole en France est plus féminisé qu'en France, notamment, ce qui tient à des différences d'organisation et de formation et pas seulement d'agriculture.

Enfin, je veux évoquer la diversité des enseignants. Les trois quarts des enseignants dans ce secteur ont connu l'entreprise, c'est bien plus que dans l'Éducation nationale, où le ratio relève du quart. Voilà une autre spécificité.

J'indique pour finir qu'au-delà de nos tables rondes, nous poursuivrons nos travaux par des déplacements dans différents départements. Le premier d'entre eux aura lieu le 6 avril dans la Drôme. Notre ambition serait que nos propositions puissent déboucher sur des mesures législatives, si cela est possible.

Philippe Vinçon . - L'enseignement agricole est, si l'on peut dire, de moins en moins agricole. Il compte aujourd'hui 10 % d'enfants d'agriculteurs, contre 40 % à la fin des années 1980. Par ailleurs, seuls 28 % des effectifs étudient dans la filière de la production agricole, soit schématiquement un quart. On y trouve des passionnés et des populations qui ont fait le choix de l'enseignement agricole pour ses valeurs, sa pédagogie, voire son choix d'options, mais aussi, disons-le, des personnes orientées sans avoir toujours complètement choisi cette filière qui représente aussi parfois une voie de remédiation pour l'enseignement général. Enfin, on y compte un grand nombre d'enfants modestes à l'image de la population rurale. Cela donne donc une spécificité forte à cet enseignement.

Ensuite, il faut dépasser la présentation qui peut sembler idéale. Si l'on compte 51 % de femmes dans l'enseignement technique et 50 % dans l'enseignement supérieur, le détail des chiffres par filière est plus nuancé et complexe.

Le premier secteur de l'enseignement agricole est constitué des services aux personnes, héritier des écoles ménagères. Ce secteur représente 36 % des effectifs totaux et on y trouve 82 % de jeunes filles. Cela dit, cette proportion diminue puisque de plus en plus de jeunes hommes s'y engagent.

Le deuxième secteur est celui de la production agricole et il compte 37 % de jeunes filles, proportion en progression grâce aux efforts que nous avons conduits pour mieux expliquer la diversité du métier d'agriculteur.

Le troisième secteur est celui de l'enseignement général et technologique et on y observe une quasi-parité.

En revanche, dans le secteur de l'environnement, qui représente 15 % des effectifs et qui se développe, on ne trouve que 16 % de jeunes filles et cette part évolue peu.

Enfin, il y a 58 % de jeunes femmes dans le secteur de la transformation agroalimentaire.

Par ailleurs, comme l'enseignement privé est plutôt concentré sur les services à la personne, on y trouve plus de jeunes filles, et comme l'enseignement public est plutôt concentré sur la production, on y trouve davantage de garçons.

Dans l'enseignement supérieur, c'est très différent ; en caricaturant, je dirais qu'on y trouve des enfants issus de milieux plus favorisés et davantage originaires des métropoles. Il faut donc resserrer les liens entre l'enseignement technique et l'enseignement supérieur pour favoriser la promotion sociale.

Au niveau des BTS, on compte beaucoup plus de jeunes gens que de jeunes filles. Ils sont également majoritaires dans les écoles privées d'ingénieurs (55 %). À cet égard, je rappelle que les écoles privées d'ingénieurs forment les futurs dirigeants des structures professionnelles. Ainsi, les responsables de la FNSEA sont très majoritairement issus de l'enseignement privé. De plus, dans les écoles publiques d'ingénieurs, on trouve 61 % de jeunes filles ; dans les écoles vétérinaires, cette proportion atteint 74 %.

Enfin, on ne constate pas de véritables disparités régionales.

Laurence Dautraix . - Concernant la proportion de filles parmi les élèves de l'enseignement agricole, celles-ci sont très peu présentes dans les filières « production » et donc dans les établissements publics ; leur proportion est plus importante dans le privé. Gardons en tête que certaines familles ne peuvent pas, aujourd'hui, faire le choix de l'enseignement public. En effet, dans certains départements, celui-ci ne propose pas la filière « services ». En revanche, les filles sont très nombreuses dans la filière « cheval », puisqu'elles représentent 78 % des élèves. Il faut déconstruire la pensée selon laquelle les filles choisissent la filière cheval par passion et affection quand les garçons choisissent la production par raison.

Quant à l'apprentissage, voie de formation importante, on n'y dénombre que 20 % de filles environ ; cet univers reste très masculin. Ce phénomène s'explique par la difficulté, pour une fille, de trouver un contrat d'apprentissage : c'est un véritable parcours du combattant, car les employeurs sont très sélectifs. Je nuancerai néanmoins mes propos : c'est le cas dans le secondaire, mais moins dans l'enseignement supérieur.

La proportion de filles en apprentissage varie considérablement selon les filières. Elles sont 70 % dans les services aux personnes, 24 % dans la production et 5 % seulement en aménagement paysager !

Alain Gournac, président . - Je suis surpris par ces chiffres : de plus en plus de femmes, dans ma région, travaillent pourtant dans ce domaine.

Laurence Dautraix . - En effet, c'est très peu ! Énormément de stéréotypes demeurent, notamment à propos de la force physique. De gros progrès peuvent encore à mon avis être réalisés, notamment dans l'apprentissage.

J'en viens à la formation continue. Il faut reconnaître l'importance des centres de formation professionnelle et de promotion agricole, ou CFPPA. Les femmes qui viennent y suivre les stages d'installation ont déjà un parcours scolaire et professionnel important ; elles ont entre 30 et 40 ans, sont diplômées et ont un projet en tête, souvent complètement différent de ceux qui étaient envisagés dans le passé par des hommes. En effet, elles sont plus tournées vers la pluriactivité : elles entendent développer, en plus de la ferme, des activités pédagogiques ou de tourisme. De plus, elles recherchent davantage le lien social et l'ancrage dans le territoire. Ces projets sérieux montrent aussi l'évolution actuelle des modes de production.

Depuis les dernières années, dans les stages d'installation des CFPPA, les femmes représentent 50 % des effectifs. C'est une évolution positive.

Guy Sigala . - La pluriactivité et la multifonctionnalité sont importantes dans le monde agricole. Les formations tournées vers les services sont à cet égard utiles, car elles forment des animateurs de projets très polyvalents. Le rôle d'intégration à la vie sociale de l'enseignement agricole, notamment par le biais des internats, est également majeur et très attractif pour les élèves. Cet espace de vie peut contribuer à aider des élèves parfois en grande difficulté scolaire ou familiale.

Notre enseignement se rapproche de celui dispensé dans les lycées professionnels, mais il est important que nous restions dans un ministère technique pour garder une proximité réelle avec le monde agricole et rural dans son ensemble.

Plusieurs évolutions ont permis à davantage de femmes de s'installer comme agricultrices, notamment la majoration des dotations jeunes agriculteurs accordée par le passé quand les femmes s'installaient avec leur conjoint. Un accompagnement existe donc pour permettre une présence plus importante des femmes. À cet égard, j'insiste à nouveau sur l'importance de la pluriactivité du monde agricole.

Quant aux filières « cheval », la plupart de ces formations, comme celle de palefrenier, sont utilisées par les conseils régionaux pour resocialiser des jeunes en grande difficulté, sans garantie d'emploi à leur issue. En outre, les jeunes filles rencontrent parfois des difficultés dans des centres qui sont souvent très masculins.

Alain Gournac, président . - En effet, à travers le contact qu'elles offrent avec les animaux, les filières équines constituent de bons vecteurs de resocialisation pour des jeunes marginalisés par le système scolaire.

Christine Audeguin . - Je voudrais revenir brièvement sur les filières « services ». Il a été dit que ces filières manquaient dans l'enseignement public : c'est vrai pour l'enseignement agricole, mais c'est faux pour l'enseignement délivré par l'Éducation nationale, notamment par le biais de la filière « Accompagnement, Soins et Services à la Personne » (ASSP). Je ne veux pas faire de polémique entre public et privé. C'est grâce à des congrégations religieuses que l'enseignement des filles a commencé, voilà plus d'un siècle. À l'époque, la République ne formait pas les filles !

Dans l'enseignement agricole privé en général, on compte 55,5 % de filles. Cette part n'est pourtant que de 39 % au niveau du collège, notamment en quatrième et troisième, proportion inférieure à la moyenne de l'Éducation nationale. Pourquoi une telle différence, au niveau du collège, entre enseignement général et enseignement agricole ? Ce dernier est très attractif pour les garçons, parce que c'est un collège de remédiation, où l'on bouge plus, et où plus de travaux pratiques et professionnels sont possibles.

Outre la filière équine, la filière « canin-félin » est très attractive pour les filles : elles y représentent 74 % des élèves dans les établissements agricoles privés. Les BTS « agroéquipement », en revanche, sont à 100 % masculins ! On compte seulement 9,5 % de filles dans les filières « gestion de l'eau et aquaculture », environ 20 % dans les filières « gestion et protection de la nature », et 2,9 % dans les filières « forêt ».

Roland Grimault . - L'enseignement agricole joue indéniablement un rôle de remédiation et d'orientation. Si nos effectifs se sont maintenus ou ont augmenté, c'est bien parce que nous avons accueilli des jeunes issus d'autres milieux que les familles d'agriculteurs.

Je veux vous rapporter des propos de jeunes filles élèves de l'enseignement agricole. Les métiers du cheval sont bien plus développés en Normandie, où j'ai longtemps travaillé, que dans le sud de la France. Les diplômées de cette filière en Normandie n'ont aucun souci pour trouver un bon emploi dans un haras. Ces jeunes filles, tout comme celles qui étudient dans les filières de services à la personne, souffrent des discours qui stigmatisent ces filières considérées comme « féminines ». Une élue a rencontré des élèves préparant un baccalauréat professionnel « Services aux personnes et aux territoires » et leur a demandé quel message elles souhaitaient qu'elle diffuse. Celles-ci ont répondu qu'il faudrait avant tout que les gens soient fiers que des jeunes filles travaillent dans le service aux personnes. Je rappelle que cette filière a été créée, voilà bien longtemps, par des femmes du milieu rural, pour pallier l'absence de formations en ce domaine ; à l'origine, il s'agissait d'un enseignement plutôt ménager, que l'enseignement agricole a eu l'intelligence de faire évoluer dans une direction de services et de professions sanitaires et sociales. Bon nombre d'élèves de cette filière ont désormais accès, par le biais de quotas, aux écoles d'aides-soignantes et d'infirmières. De nombreuses jeunes filles arrivent dans ces métiers, mais aussi 15 % de garçons, ce qui est peu, même si la proportion de garçons augmente. Par ailleurs, bon nombre de jeunes filles aboutissent dans ces filières par l'orientation post-brevet, mais repartent après l'obtention du baccalauréat vers d'autres formations.

Nous essayons en tout cas de faire découvrir les métiers des services aux personnes aux garçons, et ceux de la production agricole aux filles. Des exemples encourageants existent : ainsi, une jeune fille, actuellement en BTS formant à la maintenance des matériels agricoles, a récemment participé aux Olympiades des métiers 263 ( * ) .

Marie-Pierre Monier, co-rapporteure . - Avant d'être sénatrice, j'ai été enseignante. De fait, au moment du brevet, les jeunes voulant s'orienter vers une carrière sanitaire et sociale se trouvent souvent confrontés à un nombre limité de places dans l'enseignement non agricole. Ils se tournent donc vers les lycées agricoles, où des formations sont proposées dans ce domaine.

Je partage l'opinion exprimée quant au rôle de remédiation de l'enseignement agricole : des élèves en grande difficulté y ont en effet trouvé une opportunité de resocialisation.

En revanche, Monsieur Grimault, vous avez présenté ces filières « services » comme issues de formations aux tâches ménagères. Pourquoi ne pas casser ces stéréotypes ?

Roland Grimault . - C'était il y a longtemps !

Marie-Pierre Monier, co-rapporteure . - Il faut que ces formations ne soient plus réservées seulement aux filles.

Roland Grimault . - Il faut insister sur l'évolution de ces formations, qui s'orientent vers une plus grande professionnalisation. Ces jeunes filles nous disent : « Nous avons choisi un vrai métier ! » C'est un choix volontaire et non par défaut.

Pour attirer les jeunes filles vers d'autres métiers, il est utile de les sensibiliser dès le collège. Dans les classes de quatrième et de troisième, un tiers des élèves sont des filles. Elles ont la possibilité, grâce à l'alternance, de découvrir diverses entreprises et autres lieux de stage. Des occasions sont offertes. Changer l'image de chaque métier dans la société, c'est un long combat !

Françoise Laborde, co-rapporteure . - Les questions que je vais vous poser reprennent en partie des sujets que vous avez déjà quelque peu défrichés. Un article du Centre d'études et de prospective de mars 2012 264 ( * ) souligne que la féminisation de l'enseignement agricole varie sensiblement selon les secteurs de formation : en 2009, dans le second degré, les filles étaient beaucoup plus présentes dans les services et la transformation que dans la production ou l'aménagement. Même au sein des filières de production, où leur part est passée de 9 % en 1979 à 37 % en 2009, elles restent concentrées dans la production canine et le cheval. Enfin, les filles semblent aussi plus attirées par le maraîchage et l'horticulture. Comment expliquer cette répartition sexuée des différentes filières agricoles ?

Est-il possible de disposer de chiffres plus récents relatifs à la proportion de filles et de garçons dans les différentes filières ?

Les constats de 2009 et 2010 demeurent-ils toujours valables aujourd'hui, ou bien observe-t-on une évolution vers davantage de mixité au sein des différentes filières agricoles ? Le cas échéant, quels en sont les facteurs explicatifs ?

Pour expliquer les préférences des jeunes filles pour les filières horticoles et les services plutôt que pour la production, la sociologue Sabrina Dahache met en avant dans ses travaux de recherche le rôle de l'orientation et le fait que les jeunes filles ont été encouragées à s'orienter vers des cursus et des apprentissages perçus comme plus « compatibles » avec leurs qualités féminines. Souscrivez-vous à cette analyse ? Que pouvons-nous faire pour infléchir ce phénomène dans l'autre sens ?

Guy Sigala . - Les filières « services » ne sont pas seulement destinées à la formation aux métiers d'aide aux personnes ; elles visent aussi, notamment pour les BTS, les métiers d'animation des territoires : offices du tourisme, mutualité sociale, coordination de projets dans des communautés de communes.

S'il y a une différence sexuée au sein de certaines filières, c'est aussi dû au coût de l'installation comme agriculteur indépendant. Les filières « production » ne débouchent néanmoins pas seulement sur des activités de chef d'exploitation ; par exemple, dans la filière horticole, elles concernent aussi les métiers d'ouvriers en pépinière. Ce sont des emplois qui demandent une activité moins lourde que, par exemple, le bûcheronnage. Des femmes peuvent certes bûcheronner, mais la plupart, hommes comme femmes, s'orientent à mi-carrière vers l'aménagement paysager, car ils sont physiquement « cassés ».

Gilles Trystram . - Je ne vois pas de différence entre les pays quant à la manière dont s'orientent les jeunes entre filières dans l'enseignement supérieur. Dans les sciences du vivant, de manière générale, il y a nettement plus de filles, quel que soit le pays.

Cela étant dit, une question clé se pose pour le supérieur. Les concours sont communs entre les écoles vétérinaires et les écoles d'ingénieurs. Il y a une appétence pour certains métiers vétérinaires parmi les jeunes filles. Cela n'empêche pas que, une fois dans les écoles, les choses s'équilibrent et que d'autres métiers soient découverts.

S'agissant du maraîchage et de l'horticulture, je constate parmi les jeunes filles un intérêt pour les agricultures diverses et nouvelles : le biologique, la permaculture, etc. Finalement, le maraîchage et l'horticulture sont des domaines où le biologique s'exprime très bien ; il y a donc sans doute une corrélation. Les filles ont-elles une sensibilité plus développée que les garçons sur ces sujets ? Je ne sais, mais les chiffres sont là. En revanche, il n'y a pas de déséquilibre entre filles et garçons dans le domaine de la végétalisation urbaine, tandis que les filières « agroéquipement », comme la mécanique et l'informatique, sont composées de garçons à 80 %, voire 90 %.

L'augmentation de la proportion de filles dans certaines formations n'a pas mené à un changement quant aux perspectives d'emploi. Les mêmes secteurs d'emplois, les mêmes proportions perdurent entre garçons et filles. Dans l'industrie alimentaire, on est passé de 50 % à 65 % de filles parmi les diplômés en une année, mais le monde industriel s'est adapté très rapidement. Pour autant, il reste à savoir s'il y a égalité dans les trajectoires de carrière.

En ce qui me concerne, j'estime que la principale inégalité qui perdure n'est pas tant entre garçons et filles qu'entre détenteurs d'un baccalauréat général scientifique ou d'un diplôme du supérieur, d'une part, et détenteurs d'un baccalauréat technologique ou professionnel, d'autre part.

Laurence Dautraix . - Comment expliquer la répartition très sexuée entre filières ? Il faut rappeler toutes les tentatives de dissuasion qui sont employées quand une jeune fille veut entrer dans une filière « masculine », des familles aux personnels de la communauté éducative. L'école, depuis la maternelle jusqu'au secondaire, doit encore évoluer à cet égard.

Par ailleurs, il ne faut pas minimiser la difficulté, pour les jeunes filles, à trouver un stage ou un lieu d'apprentissage. Le stéréotype de la force physique demeure un obstacle important. Les équipements sont aussi un problème : parfois, il n'y a pas de toilettes séparées dans les locaux ! Comme je l'ai déjà dit, il est impératif d'élargir la réflexion à tous les acteurs.

Pour autant, il y a davantage de mixité qu'auparavant. Il y a ainsi de plus en plus de filles dans les BTS « production agricole ».

En outre, l'idée de reconnaissance est importante : les filles, plus que les garçons, nous disent avoir envie de poursuivre leurs études, d'obtenir un meilleur métier et de recevoir ainsi une reconnaissance sociale.

Mais les stéréotypes sont encore bien ancrés dans les mentalités. Je connais bien le milieu viticole, qui est très compartimenté, et où des travaux souvent très pénibles sont encore réservés aux femmes. Or la question de la pénibilité n'est jamais posée. « Travaux de femmes », nous disent les viticulteurs pour les « travaux en vert » 265 ( * ) . Par ailleurs, selon les viticulteurs, le fait que les femmes utilisent quotidiennement des cosmétiques aurait développé chez elles des qualités sensorielles permettant de mieux goûter le vin ! On leur offre en conséquence des métiers très valorisants, dans les chais, mais il faut garder en tête le discours stéréotypé qui sous-tend cette valorisation.

Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, vice-présidente

Philippe Vinçon . - Les choses ont évolué dans le bon sens, notamment en matière de formation agricole. Les directeurs d'exploitations agricoles étaient historiquement des hommes, mais il y a de plus en plus de femmes, souvent jeunes, qui occupent ces fonctions et qui réussissent très bien. Cela permet aux jeunes filles de mieux se projeter sur ces métiers. Parmi les nouveaux détenteurs du brevet professionnel « reprise d'une exploitation agricole », sésame qui donne la clé de l'installation, on compte aujourd'hui 40 % de jeunes femmes. Dans certains types d'exploitation, ce nombre est certes moindre, mais les lignes bougent.

Pour autant, dans certains cas, la situation reste plus difficile. Il faut ainsi mener un travail particulier pour les services à la personne dans un cadre interministériel. Les stéréotypes sont aussi présents dans les métiers « environnement et aménagement du territoire ». Enfin, un préjugé a trait à l'infériorité supposée de l'enseignement agricole par rapport aux formations générales offertes par l'Éducation nationale. Les stéréotypes existent aussi dans l'administration !

Quant aux jeunes filles qui choisissent la filière équine, j'ai pu en rencontrer à Saint-Affrique, dans l'Aveyron. Moi aussi, je m'interrogeais quant à leurs débouchés professionnels, mais le directeur de l'établissement a souligné combien cette formation « passion » leur permettait de reprendre confiance en elles et de trouver un emploi, pas nécessairement dans le monde du cheval d'ailleurs.

Françoise Laborde, co-rapporteure . - Je retiens de vos propos qu'il y a des efforts à faire en matière de reconnaissance de la pénibilité pour les femmes. Pour ce qui est des stages, les équipements nécessaires doivent être fournis et les considérations physiques prises en compte.

Guy Sigala . - Si vous le permettez, je souhaiterais ajouter une remarque complémentaire sur la formation. Ne confinons pas le parcours des services aux seuls services à la personne. C'est ainsi que des jeunes suivent un BTS, puis une licence professionnelle, puis un master ou un master par apprentissage et obtiennent des emplois très éloignés de l'aide à la personne. Le baccalauréat professionnel « services » n'a pas été pensé que pour l'aide à la personne. Il y a derrière toute une dimension liée à l'animation des territoires et des activités rurales.

Christine Audeguin . - Il faut bien insister sur un point : l'enseignement agricole est un enseignement du monde rural. Les filières « services » et « production » se complètent l'une l'autre. Elles ont permis l'émancipation des femmes hors des exploitations.

Les parcours de formation aux services aux personnes et aux territoires ouvrent des voies professionnelles variées. En ce sens, l'enseignement agricole, rural, contribue à l'équilibre du monde rural. Dans la Lozère, par exemple, hormis l'agriculture et les services, les débouchés sont peu nombreux.

Nous constatons enfin une évolution sensible du nombre de garçons dans la filière « services ».

Philippe Vinçon . - Si vous me le permettez, j'aimerais faire à ce stade une brève présentation de l'organisation de l'enseignement agricole, en rappelant que celui-ci concerne plus de la moitié du personnel et près de la moitié du budget du ministère de l'Agriculture. Sa part a même augmenté au cours du quinquennat, avec la création de 1 000  postes. Sur les 30 000 fonctionnaires que compte le ministère, 18 000 évoluent aujourd'hui dans le domaine de l'enseignement agricole.

Cet enseignement est constitué de trois branches : l'enseignement scolaire, l'apprentissage, et la formation professionnelle continue. Ses missions sont la formation et l'animation des territoires bien sûr mais aussi l'expérimentation, l'international et l'insertion.

La répartition des élèves entre le public et le privé au sein de l'enseignement agricole est très différente de celle qui prévaut dans l'Éducation nationale : 38 % pour le public pour 62 % pour le privé, contre respectivement 79 % et 21 % pour le second degré de l'Éducation nationale. Cela s'explique par le fait que le Conseil national de l'enseignement agricole privé et les maisons familiales rurales, qui accueillent la majorité des élèves et étudiants, sont des organismes privés. Nous constatons néanmoins une légère hausse de la part de l'enseignement public depuis quelques années.

Nous comptons aujourd'hui 30 000 apprentis et 250 000 stagiaires en formation professionnelle continue, dont un nombre important de boursiers, répartis dans des établissements implantés sur tout le territoire, y compris dans les outre-mer.

Notre dispositif est globalement efficace. On le voit aux taux de succès dans l'obtention des diplômes, qui sont supérieurs de 5 % à 10 %, pour des diplômes équivalents, à ceux de l'Éducation nationale. Le taux de réussite en matière d'insertion professionnelle est également plus élevé.

Les résultats sont bons également dans l'enseignement supérieur.

Des marges de progrès existent, évidemment. J'en vois notamment dans le lien entre l'enseignement technique et l'enseignement supérieur, qui doit être renforcé.

Brigitte Gonthier-Maurin, présidente, co-rapporteure . - Quelles mesures mettre en place pour améliorer l'attractivité de ces parcours pour les filles ?

De nos échanges, je relève plusieurs points durs : le besoin de formation de tous ceux qui peuvent contribuer à faire bouger les choses - les intéressées, bien sûr, mais aussi les familles, les enseignants et les formateurs ; l'accompagnement social des jeunes filles, avec la question notamment des conditions d'accueil dans les internats ; la nécessité pour elles d'avoir des équipements adaptés, par exemple pour la traite des vaches... J'ai également pris note de leur difficulté à obtenir un contrat d'apprentissage. Nous avons aussi évoqué les questions relatives à la pénibilité, aux différences salariales, à la précarité. Il est plus difficile, pour une femme, d'avoir accès au foncier, par exemple. Ces femmes, enfin, qui exercent une activité très prenante en milieu rural, ont parfois des difficultés pour accéder à la culture ou aux activités sportives.

Mais je retiens aussi de nos échanges la fierté de ces jeunes femmes qui ont pu s'installer : elles trouvent ce faisant un sens à leur action.

Cela dit, Catherine Belloc m'a inquiétée tout à l'heure, quand elle a évoqué l'évolution de carrière des femmes vétérinaires aux alentours de la trentaine.

Catherine Belloc . - Ma réflexion se fondait sur des données de l'Observatoire de la profession de vétérinaire. Les praticiens qui s'installent doivent s'inscrire au tableau de l'ordre vétérinaire. Parmi ceux qui se retirent, on trouve des hommes qui partent à la retraite, mais aussi des femmes entre 30 ans et 40 ans, en lien avec leur maternité.

Pour nos étudiantes, exercer une profession dite masculine reste quelque chose de compliqué, en particulier dans la filière des soins aux animaux d'élevage. Intervenir auprès de ruminants quand on est enceinte, c'est difficile. De manière générale, on note chez les femmes, par rapport aux hommes, une prévalence du salariat, un nombre moins élevé d'installations, et donc une différence de revenus.

Guy Sigala . - L'enseignement agricole, et plus particulièrement l'enseignement technique, est à la croisée des compétences de l'État et de la région. Rien ne se fera sans ces deux acteurs. Nous réclamons donc, et ce point nous paraît fondamental, un accord partenarial, signé entre le ministère de l'Agriculture et les régions, qui se penche notamment sur les questions de formation. Il faut surtout convaincre les régions de coopérer.

Un autre point sur lequel il faut travailler concerne la visibilité des différents métiers de sortie, lesquels restent souvent méconnus des élèves. On parle beaucoup des métiers de chef d'exploitation ou d'ouvrier. Mais avec un BTS « services », en particulier avec une double compétence, on peut trouver des métiers très divers. J'ai en tête l'exemple d'une jeune femme qui avait suivi ce parcours, et qui était également monitrice de ski. Ses aptitudes en animation du territoire et en ski lui ont permis de se faire recruter en tant que directrice de station.

Avec nos filières, l'insertion professionnelle est meilleure, car les élèves sont plongés immédiatement dans la vraie vie, au contact des territoires. Ils sont dynamiques, moins spectateurs de leur insertion que ceux d'autres filières.

Vous avez évoqué la nécessaire formation des formateurs. Ayons conscience que les conditions de travail, d'emploi et de rémunération des 3 000 formateurs de l'apprentissage et de la formation continue dépendent de la décision de chacun des 200 conseils d'administration des établissements concernés. Ce problème existe depuis longtemps. Pour la plupart, les formateurs arrivent formés. Ensuite, pour ce qui est de la formation longue, c'est le désert.

Les enseignants de l'Éducation nationale bénéficient de nouveau d'une formation initiale d'un an. Nos 3 000 formateurs, eux, sont placés « sans filet » devant des publics pouvant être difficiles. Cela, l'État et les régions ne le voient pas. Or, vu les enjeux de formation ou de réinsertion que ces filières impliquent, ce devrait être une priorité. Cette situation crée le risque de voir imploser l'enseignement agricole.

Christine Audeguin . - Pour répondre à votre question sur la communication, je dirais que l'enseignement agricole ne fait pas de communication spécifiquement ciblée vers les filles ou les garçons.

Brigitte Gonthier-Maurin, présidente, co-rapporteure . - Faudrait-il le faire, selon vous ?

Christine Audeguin . - Bien sûr ! À l'heure actuelle, la seule institution qui m'interpelle sur les questions d'égalité femme-homme est la région.

Gilles Trystram . - À mon sens, la question de l'information sur nos métiers est générique et ne concerne pas que l'égalité femme-homme. Il est vrai que les stéréotypes se construisent très tôt, dans de multiples endroits, jusque parfois dans les cours de biologie. Nos métiers ont une mauvaise image. De plus, ils vont beaucoup changer dans les années qui viennent. C'est sur ces points qu'il faut travailler. Il faut donc améliorer la compréhension globale de nos métiers, de leur dynamique. C'est très important.

Laurence Dautraix . - S'agissant de l'information et de la communication, je rappelle que des outils existent au sein du ministère de l'Agriculture, comme le réseau Insertion-égalité , que j'ai déjà évoqué, mais ils sont relativement méconnus. Une convention interministérielle, avec des objectifs précis en matière d'égalité femme-homme, a même été signée en février 2013 et prolongée jusqu'en 2018, mais elle est inconnue de la communauté éducative. Nous avons donc besoin d'une vraie formation continue de tous les personnels de la communauté éducative sur ces sujets.

Ensuite, quand les femmes sont installées, d'autres problèmes se posent. Le catalogue de formations VIVÉA 266 ( * ) comporte ainsi assez peu de formations ouvertes aux femmes qui pourraient concerner les questions de postures, de pénibilité...

Vous avez également parlé des équipements. C'est un problème fréquent, par exemple pour les vestiaires. J'ai en tête le cas de vestiaires flambants neufs, construits pour un établissement forestier, et qui ne prévoyaient rien pour les femmes ! Il faut féminiser les équipements professionnels de sécurité (taille des chaussures et forme, taille de lunettes, coupe des pantalons...).

Dans certaines régions, des acteurs - les chambres d'agriculture notamment - ont réfléchi à la question de l'égalité. C'est le cas en Bretagne, où s'est tenu en 2014 un colloque portant sur les outils, les équipements, les formations pour les femmes. C'est aussi le cas en Poitou-Charentes, avec le programme « Territoire d'excellence pour l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ». Il faut valoriser ce type d'initiatives.

Les choses bougent, donc, et tous les acteurs doivent être mobilisés.

Marie-Pierre Monier, co-rapporteure . - Vous avez dit qu'une part importante des élèves étaient des internes ; il est donc important de savoir si tout est fait pour que les filles se sentent à l'aise en internat et si le fait de devoir être interne ne constitue pas un frein pour intégrer ces filières.

On l'a dit au début de notre réunion, l'idée que l'on se fait généralement du métier d'agriculteur est que c'est plutôt un métier d'homme. Les élèves, filles et garçons, appréhendent-ils différemment ce métier ?

Il a aussi été dit que peu de filles choisissaient la voie de l'apprentissage. Existe-t-il des maîtresses de stage ? L'implication de femmes adultes ayant valeur d'exemple pourrait inciter les jeunes filles à intégrer cette filière à l'avenir. À l'inverse, arrive-t-il que des garçons soient placés sous la responsabilité d'une maîtresse de stage ?

Enfin, comment casser ces préjugés, ces stéréotypes de genre dans les métiers agricoles ? L'idée selon laquelle le métier d'agriculteur serait un métier d'homme correspond-elle toujours à la réalité aujourd'hui ?

Philippe Vinçon . - La question de l'internat est très importante puisque l'une des spécificités de l'enseignement agricole, c'est de compter une majorité d'élèves internes. Je ne sais pas si tout est fait pour accueillir les jeunes filles dans les meilleures conditions, mais d'après un sondage récent, il apparaît qu'elles s'y sentent bien, et même mieux que les garçons, ce qui est plutôt rassurant.

S'agissant de la relation avec les régions, se pose la question de la visibilité de l'enseignement agricole. Celui-ci « pèse » globalement entre 4 % et 5 % des bacheliers, mais les disparités régionales sont fortes et l'orientation se joue dès la quatrième. Dans certaines régions, il ne fait donc pas partie des priorités. Le ministre a signé le 23 juin 2016 une convention avec Philippe Richert, président de l'Association des Régions de France (ARF) et de la région Grand Est ; depuis lors, seule une région l'a suivi : la région Occitanie, mais le mouvement semble s'amorcer.

S'il existe un consensus pour dire que l'enseignement agricole fonctionne bien, alors il va falloir que les investissements, sur lesquels les régions ont la main, suivent. Il faut donc que l'État contractualise avec les régions.

S'agissant du lien avec l'Éducation nationale, si l'orientation des jeunes est de plus en plus tardive, si l'on ne lutte pas contre les préjugés touchant l'enseignement agricole en présentant mieux l'intérêt des formations et des métiers auxquels elles préparent, alors ce sera problématique. Certains lycées, notamment en zone rurale, sont en situation de grande fragilité. Les lycées périurbains, eux, se portent bien parce qu'ils proposent aux populations urbaines une autre manière d'enseigner, davantage fondée sur le projet, sur un lien au vivant qui séduit beaucoup de jeunes et leurs familles. Ils nécessitent davantage d'attention pour mieux répondre aux difficultés des territoires ruraux et périurbains.

Dernier sujet, celui de l'attractivité vis-à-vis des professeurs. L'École nationale supérieure de formation de l'enseignement agricole (ENSFEA) peine à recruter, pour des raisons très générales qui tiennent aux préjugés vis-à-vis tant de l'enseignement professionnel que du monde agricole et rural.

En outre, il faut aussi tenir compte de la difficulté pour les conjoints de ces professeurs à trouver un emploi en zone rurale.

De fait, on compte de moins en moins de candidats aux concours de professorat agricole, dans une proportion supérieure aux autres concours.

Guy Sigala . - Mes deux filles ont été internes, et je puis vous dire qu'elles étaient ravies quand elles rejoignaient leur internat le lundi ! Pour autant, il est vrai que d'autres enfants peuvent avoir besoin d'un temps d'adaptation.

Les établissements sont très inégalement équipés, selon les régions. Néanmoins, des efforts sont faits. Ainsi, la collectivité territoriale de Corse vient de décider d'investir un million d'euros pour réaliser des travaux dans l'internat du lycée de Sartène, de taille très modeste.

La vie sociale des élèves internes est une question majeure. C'est le rôle du ministère de porter et de dynamiser des projets de vie scolaire et culturels liés à l'animation socioculturelle, en relation avec les établissements, par ailleurs autonomes. Pour cela, il faut des moyens, notamment pour permettre une décharge d'un tiers des heures pour certains enseignants qui doivent pouvoir se consacrer à l'animation culturelle des établissements. Le dynamisme de l'établissement, c'est cela qui attire dans ces internats et qui fait toute la richesse de ces espaces de vie.

Dans le cadre du brevet de technicien supérieur agricole (BTSA) a été mis en place un module dit « M11 », qui vise à préparer l'élève à sa sortie de l'établissement par un travail sur son projet professionnel. Ce module est appelé à faire tache d'huile. L'accompagnement et l'orientation des enseignants, qui consacrent à ce travail plusieurs centaines d'heures, permettent aux élèves de réfléchir à ce qu'ils envisagent de faire dans la suite de leur cursus.

Cette mission essentielle d'insertion professionnelle est très peu connue à l'extérieur. Or, grâce à cela, les deux tiers des étudiants issus des BTSA, avant même de passer leur examen, savent dans quelle université ils vont s'inscrire pour passer leur licence professionnelle et ont un projet clair - parfois, les élèves qui sortent d'une école d'ingénieur ne savent pas trop ce qu'ils vont faire après ! De fait, ces outils d'accompagnement devraient être développés dans toutes les formations.

J'insiste également sur le fait que nos cursus prévoient depuis plus de quinze ans des modules pluridisciplinaires qui permettent à des économistes, des géographes et des sociologues d'intervenir dans les formations pour aider à l'émergence de projets professionnels et de projets d'étude. L'enjeu est d'imposer cette réflexion non pas à un petit réseau, mais à tout le monde.

En conclusion, je dirais que l'enseignement agricole tire sa richesse de son animation et que nous disposons de nombreux outils pour faire des choses très originales.

Roland Grimault . - Notre réseau compte 80 % d'internes ; certains établissements ne comptent même que des internes. La mixité dans les formations et la présence de plusieurs filières au sein d'un même établissement conduisent à une cohabitation entre les garçons et les filles. Grâce aux régions et, dans une moindre mesure, aux départements - il faudra voir ce qu'il en sera à la suite du vote de la loi NOTRe 267 ( * ) - les établissements peuvent donc proposer des internats adaptés.

Cette mixité est très bénéfique, et j'en donnerai deux exemples. Quand les élèves rentrent de stage, il y a toujours un temps d'échange sur ce qu'ils ont vécu. Et lorsqu'une fille explique à ses camarades masculins ce qu'elle a fait durant son stage dans un secteur d'activité plutôt investi par les garçons, elle force leur respect !

En outre, dans des établissements qui comptaient les deux filières « services » et « production », des jeunes filles ont participé à la démarche lancée par le ministère de l'Agriculture « Produire autrement », visant à promouvoir la production locale, tandis que les garçons de la filière production agricole ont joué les animateurs de ferme pédagogique en accueillant des classes de maternelle - activité traditionnellement animée par des jeunes filles de la filière services aux personnes. L'objectif était de leur faire découvrir les métiers des uns et des autres.

En matière de formation des formateurs, on essaie de faire intervenir des professionnelles, des agricultrices, des anciennes élèves.

Les maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation, dans les territoires, oeuvrent en faveur d'une place accrue pour les femmes dans l'agriculture, laquelle passe aussi par l'éducation des jeunes. À ces âges, ils sont tout à fait ouverts et prêts à bouger. En internat, quel que soit le milieu d'où l'on vient, on se confronte à d'autres et on prend conscience des enjeux liés aux différences sociales, d'origine et de genre.

Pour citer une bonne pratique, je rappellerai que certaines régions ont mis en place des aides spécifiques pour les contrats d'apprentissage dans les métiers peu féminisés, dont l'agriculture. Dans la logique de ces aides, le maître d'apprentissage bénéficiait d'un soutien supplémentaire lorsqu'il recevait une fille.

Christine Audeguin . - Dans mon lycée, il est compliqué pour les filles qui suivent la filière « production animale », et dont les parents ne sont pas agriculteurs, de trouver un stage. Heureusement, il y a au sein de l'établissement quelques maîtres de stages qui acceptent de les accueillir et qui n'ont toujours que des filles au final...

Il faudrait faciliter la démarche. À l'issue du stage, les maîtres sont toujours très contents de leurs stagiaires filles, auxquelles ils ont confié les mêmes tâches qu'aux garçons. Mais au départ, ils avaient sans doute une appréhension.

Les filles d'agriculteurs, en revanche, n'ont aucun souci pour trouver un stage.

Dans l'enseignement agricole, nous travaillons beaucoup par projets, en répondant aux appels d'offres de la Mutualité sociale agricole (MSA), du ministère et de tous nos partenaires. Ces projets peuvent avoir trait, par exemple, à la vie de l'internat ou aux Olympiades des métiers. Les filles les prennent souvent à bras-le-corps. Elles jouent un rôle moteur dans l'animation et dans la vie du lycée.

Laurence Dautraix . - Les maîtres d'apprentissage sont souvent réticents à recevoir des filles en apprentissage. C'est un véritable conservatisme, qui ne favorise pas l'embauche de celles-ci, et qu'il faut donc lever. Quant aux maîtresses d'apprentissage, elles n'accueillent pas systématiquement des filles.

Pour en revenir aux internats, la question de l'accueil des filles se pose en termes non pas de bâtiments, lesquels sont bien adaptés, mais plutôt de taux d'encadrement. Dans certains petits établissements, la présence de filles impose le recrutement d'une assistante d'éducation, même si les filles sont très peu nombreuses, en plus des assistants d'éducation qui encadrent les garçons.

Un autre problème se pose : le faible nombre d'infirmiers et d'infirmières, dans les internats. Quant aux assistantes sociales, il n'y en a pas du tout.

Les filles ont véritablement une approche différente du métier - surtout celles qui ont une formation bac + 2 ou d'ingénieur, dont le cursus n'a parfois rien à voir avec l'agriculture : finance, informatique, industrie... Il en résulte des différences en termes à la fois de compétences, de crédibilité, de projets, du point de vue social et des modes de production.

Philippe Vinçon . - Pour aller dans le sens de ce que disait Christine Audeguin, l'enseignement agricole est très marqué par les projets. Je pense notamment au Trophée national des lycées agricoles . Les concurrents doivent passer une épreuve pluridisciplinaire au cours de laquelle il faut manipuler des animaux et en parler, mais aussi présenter une affiche et une vidéo. Les équipes de filles y font merveille, entre autres par leurs capacités d'expression.

De la même façon, les délégués de classe sont très souvent des jeunes filles, qui font preuve d'une grande maturité.

Annick Billon, co-rapporteure . - Je souhaite revenir sur les chiffres cités par Philippe Vinçon. Dans l'enseignement agricole, la répartition des établissements - 38 % publics ; 62 % privés - est presque inversée par rapport à celle qui existe dans l'Éducation nationale : 20 % privés, contre 80 % publics.

Le « désintérêt » de l'Éducation nationale pour l'enseignement agricole n'explique-t-il pas la méconnaissance de ces métiers, ainsi que la difficulté d'orientation vers cette filière ?

En tant que mère de famille, je sais combien il est utile de s'adresser à des professionnels de l'orientation, car les conseils dispensés par l'Éducation nationale en la matière sont assez limités.

Pour mes enfants, je ne me suis jamais posé la question de l'enseignement agricole. Je suis donc curieuse de connaître le parcours des agricultrices : sont-elles femmes ou filles d'agriculteurs ? Pourquoi s'orientent-elles vers ce métier, alors même que l'Éducation nationale ne dispense pas d'informations à cet égard et qu'elle est peu présente dans cette branche de l'enseignement ?

Du reste, le secteur agricole n'est pas le seul à rencontrer des difficultés en matière d'apprentissage. À l'occasion du débat sur la loi El Khomri 268 ( * ) , la délégation aux entreprises du Sénat, dont je suis membre, a mené un travail important sur ce sujet et fait des propositions 269 ( * ) . Ces problèmes sont récurrents, qu'il s'agisse pour l'élève de trouver un stage, ou pour l'État et la région de financer l'apprentissage.

En tant que sénatrice de Vendée, je connais bien le rôle des maisons familiales rurales (MFR). Elles accomplissent un travail extraordinaire et leurs personnels, très compétents, accompagnent les jeunes de façon personnalisée. Nous méconnaissons ce réseau qui tend vers l'excellence. Alors que je présentais le Sénat voilà deux semaines devant deux classes de BTS de ce réseau, j'ai appris que tous ces élèves avaient l'intention de poursuivre leur cursus !

Pour les parents d'élèves de l'Éducation nationale « standard », l'enseignement dispensé par ce réseau a pourtant, tout comme l'apprentissage, une connotation négative. Que peut-on faire pour favoriser l'orientation vers les professions agricoles et vers les MFR qui assurent ces formations ?

En outre, un article du Centre d'études et de prospective de mars 2012 270 ( * ) constate que les agricultrices ont moins souvent suivi une formation agricole que les hommes, condition nécessaire à l'obtention de la dotation jeune agriculteur (DJA). Ce constat vous paraît-il toujours valable aujourd'hui ? Quelles peuvent en être les conséquences du point de vue de l'insertion professionnelle des femmes concernées ?

D'après cet article, les jeunes exploitantes sont également beaucoup plus diplômées que les jeunes exploitants. Quelles en sont les raisons ?

Plus généralement, à diplôme égal, quels sont les parcours et les chances de progression des garçons et des filles dans le secteur agricole ?

De même, le fait que les jeunes femmes soient généralement plus diplômées et/ou s'orientent plus tardivement comme agricultrices peut-il avoir un impact sur le déroulement de leur parcours professionnel et leur statut ?

Enfin, si notre délégation a souhaité aborder la question du rôle des femmes dans l'agriculture, c'est aussi au vu d'un contexte difficile : l'actualité très lourde que connaît le monde agricole depuis 2016, qui peut avoir une incidence sur la situation des femmes.

Laurence Dautraix . - Le « désintérêt » - j'ai bien compris que le terme était à mettre entre guillemets - de l'Éducation nationale pour l'enseignement agricole est assez récent.

Depuis les années 1850 jusqu'aux années 1970, celui-ci a effectivement été dispensé par des maîtres agricoles de l'Éducation nationale, dont le rôle éducatif et social a été très important. Ce sont eux qui ont porté toute cette idée d'éducation populaire et incité les jeunes filles et jeunes garçons à ne pas quitter les campagnes. Un jour, contexte politique aidant, on leur a imposé cette alternative : soit ils restaient maîtres agricoles et passaient au ministère de l'Agriculture, soit ils choisissaient l'Éducation nationale.

Ce rappel historique montre que l'Éducation nationale a bien porté l'enseignement agricole par le passé.

Par ailleurs, ce ne sont plus majoritairement des filles d'agriculteurs ou d'agricultrices que l'on retrouve aujourd'hui dans l'enseignement agricole. Toutes les catégories sociales sont représentées, en particulier celle des ouvriers et employés.

S'agissant de la DJA, les femmes n'ayant pas la capacité pour s'installer ne perçoivent pas cette dotation. Or, cette dernière est très incitative, car elle permet l'accès au crédit et à la banque, donc par définition au foncier. Un nombre important de femmes suivent par conséquent des formations agricoles pour obtenir cette capacité.

Enfin, il faut souligner les écarts d'insertion entre filles et garçons : le taux net d'emploi en 2015 est de 60,9 % pour les filles contre 66,3 % pour les garçons. S'ils existent à l'échelon des formations supérieures, ces écarts sont plus faibles qu'au niveau CAP, où ils sont considérables. Les jeunes filles n'ayant que le CAP ont accès à l'emploi majoritairement par le biais de contrats saisonniers, soit des activités incomplètes qui, le plus souvent, correspondent à des temps partiels inférieurs à 50 %. L'enseignement doit aussi porter une ambition éducative pour ces jeunes filles.

Guy Sigala . - Je reviens un instant sur la médecine scolaire. Nous comptons le syndicat majoritaire des médecins scolaires au sein de l'UNSA Éducation, et ceux-ci nous expliquent qu'ils n'arrivent pas à suivre l'Éducation nationale. Alors comment voulez-vous qu'ils suivent l'enseignement agricole ? Il en va de même pour les dotations infirmières : celles-ci ont, me semble-t-il, été identifiées comme une priorité du ministère, mais ensuite se pose la question des moyens...

S'agissant de la concurrence entre public et privé, rappelons à quel point les suppressions d'emplois dans l'enseignement public entre 2007 et 2012 ont été causes de difficultés. En outre, nos effectifs sont plafonnés alors que, dans certains secteurs, nous pourrions avoir des marges de progression.

Les rapports avec l'Éducation nationale sont plus complexes. Nous n'avons pas une mauvaise image auprès de ses personnels et représentants, qui nous reconnaissent un certain dynamisme, saluent nos pédagogies actives ou la qualité de nos internats, mais il y a une profonde méconnaissance du contenu de notre enseignement.

En outre, dans le cas des formations qui sont proposées tant dans les établissements relevant de l'enseignement agricole que dans ceux relevant de l'Éducation nationale, cette dernière cherche à capter les élèves. Ceci aboutit au paradoxe suivant : certaines de nos classes, par exemple scientifiques, sont identiques en termes d'enseignement et de programmes à celles de l'Éducation nationale, avec des débouchés sur des études supérieures et d'excellents résultats, mais nous ne parvenons pas à les remplir.

Cela étant, je ne peux pas laisser dire que la remédiation est du seul ressort des MFR. Elle est au coeur de nos méthodes pédagogiques, donc portée dans tout l'enseignement agricole - avec une différence, peut-être, au niveau de la gestion de l'alternance dans les MFR, dont on pourrait discuter.

Par ailleurs, pour avoir encadré des stages de préparation à l'installation, je peux témoigner du fait que la présence des femmes s'est accrue dès lors que les plafonds ont augmenté au niveau des prêts. Cela leur permettait, effectivement, de soutenir des projets de ferme éducative ou dans le secteur de la production.

Une autre problématique que nous n'avons pas encore évoquée tient au fait que nous accueillons aussi des agricultrices qui viennent passer des BTS par le biais de la validation des acquis de l'expérience (VAE) afin de valoriser leur parcours professionnel et leur investissement dans le monde agricole, voire pour réorienter leur carrière. La VAE est donc un outil encouragé par le ministère.

Pourquoi les filles s'orientent-elles vers l'enseignement agricole ? J'ai deux filles qui ont suivi un tel enseignement, l'une pour travailler dans la gestion d'espaces naturels, l'autre pour faire de la production fromagère. Certes, il est peut-être plus compliqué de s'orienter ou d'entrer dans les ENIL 271 ( * ) lorsqu'on est une fille, mais l'ampleur et la nature des blocages dépendent probablement du niveau d'enseignement et des secteurs choisis. On ne peut pas généraliser.

Annick Billon, co-rapporteure . - J'ai évoqué les MFR parce que j'en ai visité beaucoup, ce qui n'est pas le cas des lycées agricoles. Mais cela ne saurait tarder !

Guy Sigala . - Je me permets d'insister sur la question des plafonnements. On ne nous a pas accordé la même souplesse qu'à d'autres secteurs et nous avons perdu des centaines d'emplois ces dernières années.

Christine Audeguin . - Le bac professionnel est suffisant pour pouvoir s'installer en tant que jeune agriculteur et, souvent, les garçons qui atteignent ce niveau n'ont pas envie de continuer leurs études. Pour ces jeunes intéressés par une formation pratique, l'obtention d'un BTS, avec un certain nombre de matières générales, représente un trop gros effort. C'est pourquoi les filles, qui visent probablement moins la dimension concrète de l'enseignement, ont souvent un meilleur niveau d'études, d'autant plus qu'elles sont plus poussées en ce sens que les garçons par les familles, notamment les familles d'agriculteurs. Ainsi, dans la filière « production animale » au lycée Terre Nouvelle, l'effectif féminin passe de 11 % en bac professionnel à 61 % en BTS.

Philippe Vinçon . - La question de la relation avec l'Éducation nationale constitue un véritable sujet : un système dans lequel 5 % des jeunes sont formés au travers d'un dispositif différent de celui qui est proposé aux 95 % restants, avec, en outre, une répartition un tiers public et deux tiers privé, est tout de même un peu particulier.

En règle générale, comme l'a déjà dit Guy Sigala, la qualité de notre enseignement, les dynamiques de projet, l'action à l'international, l'approche pluridisciplinaire, nos réalisations en matière d'éducation socio-culturelle sont reconnues par le ministère de l'Éducation nationale. Nous ne rencontrons de difficulté ni au niveau central, ni à l'échelle des rectorats et des directions régionales de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt (DRAAF). En revanche, la situation est plus complexe sur les territoires, car les dynamiques démographiques parfois faibles en zone rurale peuvent générer des concurrences entre enseignements agricole et général, entre secteurs public et privé.

Lors d'un récent colloque, le directeur adjoint du cabinet de la ministre de l'Éducation nationale a réaffirmé que son ministère n'avait pas l'intention de « récupérer » l'enseignement agricole.

Il faudra donc, en début de mandature, une impulsion politique pour préciser la place et le rôle de chacun, sachant que, comme cela a été dit, nous sommes dans une sorte de dispositif de numerus clausus et que nous avons parfois l'obligation de maintenir des sections dans certaines zones, ce qui nous empêche, pour des raisons budgétaires, de répondre à la demande dans les zones les plus dynamiques.

Brigitte Gonthier-Maurin, présidente, co-rapporteure . - Je vous remercie toutes et tous chaleureusement de votre précieuse contribution à l'élaboration de notre rapport, que nous espérons pouvoir présenter au public d'ici la mi-juillet.

Table ronde sur les questions sociales

(4 avril 2017)

Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente

Chantal Jouanno, présidente . - Après notre colloque du 22 février sur les agricultrices, qui a permis des échanges très sincères et très denses, nous nous sommes engagés à poursuivre nos travaux pour approfondir les thématiques abordées et publier un rapport au mois de juillet.

Nous sommes donc réunis cet après-midi pour une deuxième table ronde dans le cadre du rapport d'information sur les agricultrices, après celle du jeudi 30 mars sur l'enseignement agricole et la formation des agricultrices, et avant notre premier déplacement sur le terrain, jeudi 6 avril, dans la Drôme.

Nous avons choisi d'aborder aujourd'hui les questions sociales. En effet, à plusieurs occasions, lors du colloque, ont été évoquées les difficultés rencontrées par les agricultrices en matière de protection sociale : il s'agit notamment de la problématique du nombre encore trop important de femmes travaillant sans statut dans une exploitation agricole, du montant des retraites, très souvent dérisoire, que touchent les agricultrices, et de la conciliation des temps de vie. La santé fait aussi partie des sujets que nous voulons plus particulièrement aborder avec vous aujourd'hui.

Ces sujets suscitent un tel intérêt au sein de la délégation que nous avons constitué un groupe de travail réunissant des représentants de tous les groupes politiques. J'ajoute que notre délégation adopte en général des rapports consensuels, sans pour autant que ses propositions se réduisent au plus petit dénominateur commun. Participent à ce groupe de travail - je les cite dans l'ordre alphabétique : Annick Billon pour le groupe UDI-UC, Corinne Bouchoux pour le groupe Écologiste, Brigitte Gonthier-Maurin pour le groupe CRC, Françoise Laborde pour le groupe du RDSE, Didier Mandelli pour le groupe Les Républicains et Marie-Pierre Monier pour le groupe socialiste.

Marie-Pierre Monier représentera aujourd'hui le groupe de travail. Didier Mandelli, qui devait être présent, vous prie de bien vouloir l'excuser. Je propose donc de poser ses questions à sa place.

Je remercie tous les intervenants d'avoir accepté notre invitation. Nous avons le plaisir de retrouver deux des participantes à notre colloque : Jacqueline Cottier, présidente de la Commission nationale des agricultrices de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), et Catherine Laillé, présidente de la Coordination rurale de Loire-Atlantique, qui est également élue à la Chambre d'agriculture de la Loire-Atlantique et des Pays de la Loire.

Nous accueillons aujourd'hui pour cette table ronde Christine Valentin, présidente de la Chambre d'agriculture de la Lozère, secrétaire adjointe de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, l'APCA - je précise que l'on ne compte actuellement que trois femmes présidentes de chambre d'agriculture. Nous accueillons aussi Anne Gautier, vice-présidente de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), et présidente de la Mutualité sociale agricole (MSA) de Maine-et-Loire, André Ricard, directeur délégué à la CCMSA et Michel Gomez, sous-directeur du travail et de la protection sociale au ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt, qui est accompagné de Rose-Marie Nicolas, cheffe du Bureau des prestations sociales agricoles.

Mesdames et Messieurs, nous comptons sur vous pour nous aider à mieux identifier les difficultés que peuvent rencontrer les agricultrices et nous faire part de vos propositions, afin que ce rapport puisse être utile au Gouvernement et, surtout, au Parlement qui sera issu des élections de cette année. Soyez donc très libres dans vos propos.

Nous vous poserons des séries de questions auxquels vous pourrez répondre librement. N'hésitez pas, par ailleurs, à nous adresser des contributions écrites, car ces thèmes sont si vastes qu'il sera difficile de les épuiser en un après-midi.

Je suggère à Anne Gautier et à Michel Gomez de bien vouloir nous présenter brièvement les différents statuts sous lesquels peuvent travailler les agricultrices, en indiquant le nombre de personnes concernées dans chaque cas et en précisant les implications qui en découlent en termes de couverture sociale.

Il nous serait également très utile que vous puissiez nous brosser un rapide panorama historique, pour nous indiquer si l'on observe des différences générationnelles. En politique, on dit souvent que le futur sera meilleur, mais tel n'est pas toujours le cas en ce qui concerne la condition des femmes. Les nouvelles générations sont-elles vraiment mieux protégées que leurs aînées ?

Anne Gautier, vice-présidente de la CCMSA, présidente de la MSA de Maine-et-Loire . - Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je ferai une brève introduction sur les différents statuts et Michel Gomez développera de manière plus précise les statistiques.

Les femmes qui travaillent dans l'agriculture le font sous trois principaux statuts : cheffe d'exploitation, conjoint collaborateur 272 ( * ) et salariée. On trouve encore des aides familiales et, malheureusement, un trop grand nombre de femmes sans statut.

Les trois statuts principaux répondent à des philosophies différentes. Au fil du temps, on observe malgré tout une évolution : aujourd'hui, les femmes qui viennent à la profession d'agricultrice n'acceptent plus de le faire sans statut - situation qui ne devrait d'ailleurs plus exister. Les personnes sans statut ont en général plus de 50 ans. Les statuts varient également selon les types de productions.

Michel Gomez, sous-directeur du travail et de la protection sociale au ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt . - Le statut d'aide familiale est effectivement résiduel, il ne concerne plus que 5 000 personnes environ.

Les deux statuts qui offrent la meilleure protection sociale sont ceux de chef-fe d'exploitation et de salarié-e. On compte aujourd'hui 111 000 cheffes d'exploitation, 26 000 femmes sous statut de conjoint collaborateur et 410 000 salariées. L'importance numérique des femmes au sein de la population active agricole est significative : plus d'un demi-million de femmes travaillent dans le secteur agricole. Il n'en va pas de même au sein de la population des retraités du secteur.

Contrairement à l'image commune que l'on peut se faire de l'agriculture, très peu de métiers agricoles occupent moins de femmes que d'hommes. On trouve un peu plus de femmes que d'hommes dans la viticulture et un peu plus d'hommes que de femmes dans le secteur paysager.

Depuis le début des années 2000, la proportion des femmes parmi les chefs d'exploitation est assez stable, autour de 24 %. Dans cette catégorie, l'âge moyen des femmes est plus élevé que celui des hommes - 51,5 ans contre 48 ans. Cette situation s'explique par l'accession plus tardive des femmes à ce statut : en fait, la femme succède souvent à son mari quand il part à la retraite, pour permettre la poursuite de l'exploitation. Le phénomène est parfaitement connu et il est inutile de le passer sous silence. Logiquement, l'âge moyen d'entrée dans le statut de chef-fe d'exploitation est plus élevé pour les femmes que pour les hommes : 45 ans contre 36 ans. En 2016, 3 000 femmes ont accédé à ce statut, contre 8 700 hommes.

Une majorité des cheffes d'exploitation exercent leur activité sous une forme sociétaire, avec une dominante des groupements agricoles d'exploitation en commun, les GAEC 273 ( * ) , en raison des avantages associés à cette forme sociétaire, surtout depuis que la constitution d'un GAEC entre époux a été autorisée, en 2010.

On compte aujourd'hui 252 000 conjoint-es d'agriculteur ou d'agricultrice. Parmi eux, on trouve 150 000 femmes qui ne sont ni cheffes d'exploitation ni collaboratrices, avec une prédominance d'une forme d'emploi salarié qui peut s'exercer dans l'exploitation du conjoint, dans une autre exploitation ou dans une autre entreprise. Le statut de conjoint collaborateur concerne 26 000 femmes. L'importance numérique des femmes concernées par ce statut décroît fortement, et ce dans des proportions plus significatives que la diminution globale du nombre de chefs d'exploitation. Avant les années 2000, on recensait environ 100 000 femmes ayant le statut de conjoint collaborateur. La chute est significative et corrobore les propos d'Anne Gautier : les statuts les moins attractifs en termes de droits, notamment à la retraite, deviennent de plus en plus résiduels. Il se peut que, d'ici à dix ans, le nombre de conjoints collaborateurs soit de nouveau divisé par deux.

Historiquement, au milieu des années 1995, la génération qui a commencé à travailler dans l'après-guerre est arrivée à l'âge de la retraite et l'on a alors fait le constat de la faiblesse des pensions. Les pouvoirs publics et la profession agricole ont ainsi pris conscience de cette difficulté.

Une série de mesures a été alors adoptée, qui concerne non pas uniquement les femmes, mais tous les assurés sociaux - le droit social n'opère pas de distinction « sexuée». Il est cependant vrai qu'une problématique particulière, notamment pour les retraites, concerne plus singulièrement les femmes. Celles-ci vont bénéficier des progrès de la protection sociale au fil du temps, la dernière étape importante en date étant la loi de 2014 274 ( * ) .

André Ricard, directeur délégué à la CCMSA . - J'ajoute une précision concernant les salariées dans la production agricole : plus de 80 % d'entre elles ont des contrats à durée déterminée. L'ensemble représente un peu moins de 100 000 équivalents temps plein (ETP).

Anne Gautier . - J'ajoute que nos statistiques ne permettent pas de dissocier, au sein des salariées du secteur agricole, les femmes d'exploitants.

Chantal Jouanno, présidente . - Je vais maintenant vous poser une série de questions - qui vous ont été préalablement communiquées - sur le thème de la précarité et de la faiblesse des droits sociaux. Je souhaite insister sur trois points particuliers.

En premier lieu, l'absence de statut, problème évoqué lors du colloque du 22 février 2017, concernerait 5 000 à 6 000 femmes. Cette donnée correspond-elle à vos évaluations et quelles solutions permettraient de la réduire ?

En deuxième lieu, l'accès tardif au statut de cheffe d'exploitation ou de co-exploitante est-il lié au fait que les femmes ne l'obtiennent qu'au moment du départ à la retraite de leur conjoint ? Quelles propositions formulez-vous pour que les femmes accèdent plus jeunes à ce statut ?

En dernier lieu, lors d'une rencontre de la FNSEA dédiée à « l'engagement des agricultrices face à la crise », le constat a été fait que, « Pour nombre de leurs maris ou conjoints, une des solutions face à la crise est de les licencier et de les inciter à trouver du travail à l'extérieur de l'exploitation » 275 ( * ) . Ainsi, la crise agricole durable ne risque-t-elle pas de précariser prioritairement les femmes ?

Catherine Laillé, présidente de la Coordination rurale de Loire-Atlantique, élue à la Chambre d'agriculture de Loire-Atlantique et des Pays de la Loire . - Contrairement aux jeunes agricultrices qui suivent toutes aujourd'hui une formation, les femmes qui n'ont pas de statut n'ont pas été formées. Elles ont travaillé toute leur vie à la ferme, mais ne sont pas informées sur les différents statuts.

Par ailleurs, quand une exploitation dégage des revenus insuffisants, il est difficile de payer à la fois un salaire et des cotisations pour la retraite, qui représentent une charge pour l'exploitation.

Parfois, l'expression « chef-fe d'exploitation » fait peur, en raison des responsabilités qu'elle implique. Or certaines femmes manquent de confiance en elles et se sous-estiment.

Certaines femmes commencent à travailler en raison de l'évolution de l'exploitation et de la situation du conjoint, à tous les âges, souvent sans avoir suivi de formation. Elles manquent de réseau, et donc d'information.

Enfin, certaines femmes ne voient pas l'intérêt d'avoir un statut, étant donné le niveau « minable » des retraites des agricultrices.

Jacqueline Cottier, présidente de la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA . - Ce sujet est très inquiétant, parce que l'on sait bien que l'absence de statut est toujours dramatique quand survient un événement grave - accident du travail, veuvage ou même divorce, puisqu'elle empêche l'ouverture de droits.

La FNSEA mène actuellement une réflexion sur la définition d'un statut de l'agriculteur professionnel. Nous allons communiquer sur l'importance que revêt le fait d'avoir un statut. Nous avions déjà réalisé une opération avec la MSA, il y a six ans, afin d'alerter toutes les agricultrices qui sont ayants droit de leur mari, donc sans statut, et de leur indiquer les risques qu'elles encourent. Nous leur proposions d'évoluer vers le statut de conjoint collaborateur ou le salariat. On a pu observer des mouvements vers ces deux statuts, mais encore insuffisants au vu du nombre d'agricultrices qui demeurent sans statut. Une opération de communication de ce type devrait pouvoir être relancée.

Il faut aussi essayer d'associer à ces démarches nos délégations aux droits des femmes.

Christine Valentin, présidente de la Chambre d'agriculture de la Lozère, secrétaire-adjointe de l'APCA . - D'après notre expérience du terrain, le problème des agricultrices sans statut est à relier à la difficulté rencontrée par les hommes à accepter de faire une place aux femmes dans les exploitations : ils acceptent sans problème qu'elles travaillent, mais sont plus réticents à leur reconnaître un statut.

Traditionnellement, les activités réservées à la femme étaient plutôt celles qui rebutaient les hommes, comme la traite ou la récolte des fruits. En outre, la femme s'occupe de l'intendance - par exemple, organiser les repas au moment de l'ensilage ou de la récolte des fruits : cela représente beaucoup de travail, mais n'est pas vraiment considéré comme un métier. Pourquoi donc lui reconnaître un statut pour cette tâche qu'elle accomplit de toute façon à la maison ?

Je me félicite de la diminution du nombre de conjoints collaborateurs, car elle révèle une prise de conscience. Les jeunes qui arrivent dans le métier ont besoin d'une reconnaissance comme chef-fe d'exploitation ou d'entreprise, notion à laquelle ils sont formés dès l'école. Il faut donc insister sur l'importance du statut au moment de la formation et de l'installation et, surtout, inculquer aux hommes l'idée que tout travailleur sur une exploitation doit absolument être couvert par un statut.

Il me semble qu'il faut aussi sensibiliser nos élus au fait qu'une femme qui travaille sur une exploitation n'a pas vraiment le temps de garder ses enfants tous les jours et qu'elle doit pouvoir bénéficier des structures d'accueil des enfants en bas âge - crèches, écoles maternelles accueillant les enfants dès l'âge de deux ans. Quand j'ai demandé l'accès à la crèche, il y a vingt ans, on me l'a refusé, bien qu'étant exploitante installée, parce que j'étais chez moi dans la journée. Il faut donc faire évoluer les moeurs et le regard porté sur la femme travaillant dans l'agriculture.

L'âge moyen de l'installation baisse, même s'il reste encore élevé. Il est grand temps que les femmes se préoccupent de leur statut et de leur retraite.

En réponse à la crise agricole, notamment dans l'élevage, prépondérant dans mon département, de nombreux agriculteurs ont estimé que les femmes, puisqu'elles sont « plus disponibles », pouvaient aller chercher du travail à l'extérieur. Dans les petites communes rurales, de nombreuses femmes qui travaillaient auparavant sur l'exploitation de leur mari sont désormais employées dans les cantines scolaires, les écoles maternelles ou le transport à la demande. Cette situation déstabilise complètement le fonctionnement de l'exploitation et du couple. Il s'agit donc d'une réponse insuffisante à la crise agricole.

Il faudrait que les élus accordent davantage de considération aux conjoints d'exploitant : il faut que la présence d'une femme dans l'exploitation ouvre des droits supplémentaires, même si je ne sais pas quelle solution concrète il faudrait proposer (aide à l'investissement qui simplifie l'effort physique). L'absence de la femme, même pour quelques heures, perturbe parfois le fonctionnement de l'exploitation.

Anne Gautier . - Je souhaite ajouter une précision : près de 60 % des cheffes d'exploitation accèdent à ce statut lorsque leur époux prend sa retraite. Pour ces femmes, le statut de chef d'exploitation est plus subi que choisi.

La question de l'évolution des moeurs se pose avec une particulière acuité dans le monde agricole. Le statut de conjoint collaborateur a sans doute permis d'éveiller les consciences et de reconnaître un vrai statut aux femmes qui travaillaient sur les exploitations, mais ce n'est qu'une première étape. En effet, ce statut n'en est pas vraiment un : la femme reste dépendante du chef d'exploitation et cette situation ne doit pas être généralisée outre mesure.

À la MSA, nous sommes bien placés pour constater que, lorsqu'elles arrivent à l'âge de la retraite, les femmes découvrent avec indignation qu'elles ne vont toucher qu'une très faible pension. Il est alors très délicat pour nous de leur expliquer que leur mari, à un moment donné, a fait le choix de ne cotiser que pour lui. Plusieurs raisons peuvent l'expliquer, mais je pense que certaines structures d'exploitation ne permettent pas de cotiser pour deux, ce qui renvoie à la problématique de la rentabilité des productions. S'il y a du travail pour deux, on doit pouvoir dégager les moyens de cotiser pour deux - quand on emploie un salarié, on est bien obligé de cotiser - et il est tout de même curieux de faire assumer plus qu'un temps plein à l'épouse et de ne pas vouloir financer les cotisations, comme le font certains chefs d'exploitation.

Il me semble que le cursus de formation agricole ignore totalement le chapitre de la protection sociale et qu'une formation devrait être délivrée à ce titre. Tous nos jeunes sont incollables sur les questions techniques, mais ils n'ont aucune notion de la protection sociale et considèrent le fait de cotiser à la MSA comme une charge. Effectivement, c'en est une, tout comme l'achat des engrais ou des semences.

Michel Gomez . - Concernant l'absence de statut, il est très difficile d'évaluer quantitativement un phénomène dissimulé, pour reprendre le mot prononcé lors du colloque. La MSA avance le chiffre de 5 000, qui peut donner un ordre d'idée, mais il est impossible d'avoir des certitudes.

Même si l'on peut penser qu'il s'agit d'un phénomène marginal, on a affaire à une situation grave, qui résulte de choix qui peuvent être rationnels ou contraints - dans certains cas, le revenu de l'exploitation ne permet pas de dégager l'équivalent de deux SMIC.

Pour autant, les armes juridiques existent pour corriger ces situations. Le contrôleur de la MSA ou l'inspecteur du travail qui relève une situation de travail permanent, distincte du « coup de main » occasionnel, peut imposer une affiliation obligatoire. J'ignore le nombre annuel d'affiliations obligatoires, mais il est probable qu'il n'est pas à la hauteur du problème posé.

Si l'on considère que les conditions économiques permettent de dégager des revenus réguliers, comment faire en sorte que la femme accède au statut de cheffe d'exploitation ou de salariée - ces deux statuts sont les plus adéquats en termes d'ouverture de droits ? Il est de la responsabilité de l'exploitant de faire en sorte que son épouse bénéficie d'une couverture sociale, sinon l'État ne pourra pas lui proposer plus que les minima sociaux, ce qui n'est pas favorable.

Pour mieux informer chacun de ses responsabilités, le rôle de l'enseignement a été évoqué, même s'il n'est pas encore suffisamment développé, ainsi que celui des campagnes d'information de la MSA sur le terrain.

Je reviendrai sur les réponses à apporter à la réelle variabilité des revenus agricoles quand nous parlerons des retraites.

Jacqueline Cottier . - Il faudrait réfléchir à la proposition suivante : permettre aux femmes sans statut, dont la MSA a les coordonnées, de bénéficier d'un audit social et économique, financé par la région, en vue d'examiner, en lien avec le centre de gestion, dans quelle mesure le versement d'une cotisation sociale pour l'agricultrice mettrait en péril l'exploitation.

Catherine Laillé . - Dans les années 1980-1990, les chambres d'agriculture mettaient en place des formations spécifiques de 200 heures pour les agricultrices, dont j'ai pu bénéficier. Ces formations devraient être de nouveau proposées, dans un format éventuellement plus court.

Les chambres d'agriculture me semblent les mieux placées pour dispenser ce genre de formation où peuvent intervenir des conseillers de la MSA, des juristes, voire des notaires, afin d'évoquer tous les aspects de la carrière d'une agricultrice. Il existe aujourd'hui des formations organisées par le Fonds pour la formation des entrepreneurs du vivant (VIVÉA) sur l'informatique ou les circuits courts, mais pas de formation spécifique pour les femmes. Pourtant, le fait de se retrouver entre nous pour échanger sur nos expériences personnelles nous motive, nous encourage et nous associe au sein d'un réseau : nous ne sommes plus seules, ou enfermées dans le tête-à-tête avec notre conjoint, quand nous devons prendre nos décisions.

Il faudrait relancer ce type de formation, selon des modalités à définir. De même, l'information en amont dans les écoles d'agriculture est essentielle. Enfin, le comptable, par sa connaissance de l'exploitation, peut jouer aussi un rôle, ne serait-ce qu'en indiquant des contacts.

Le statut de conjointe collaboratrice n'est pas un vrai statut : quand on exerce un métier, on est agricultrice, comme on est infirmière ou professeure, on n'est pas « conjointe de » ! Cette appellation est gênante en soi : le terme de conjoint-e n'est pas satisfaisant pour désigner un métier. À la Coordination rurale , nous ne souhaitons donc pas l'utiliser. À cet égard, pourquoi ne pas s'inspirer de ce qui a été fait pour les aidants familiaux, qui ont le droit d'exercer cinq ans sous ce statut, période au terme de laquelle ils doivent en adopter un autre ? Cette période transitoire en tant que « conjoint collaborateur » donnerait ainsi le temps de se former et de voir comment l'exploitation évolue, avant de choisir un statut digne de ce nom.

Christine Valentin . - Les formations des chambres d'agriculture s'adressent à des chefs d'exploitation, puisqu'elles sont organisées par le VIVÉA. Les chambres d'agriculture ont certes un rôle à jouer, mais je pense qu'un ensemble, constitué par les organisations professionnelles agricoles (OPA), les centres de gestion, qui ont un contact direct avec les chefs d'exploitation, et la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations, devrait organiser un recensement de toutes les personnes sans statut et leur proposer une formation-information. Je suis assez séduite par l'idée de l'audit proposée par Jacqueline Cottier, car cela permettrait de répondre en bonne partie aux soucis de ces femmes.

Chantal Jouanno, présidente . - Merci pour ces précisions. Je passe la parole à ma collègue Marie-Pierre Monier.

Marie-Pierre Monier, co-rapporteure . - Merci à toutes et à tous d'être venus, car nous avons besoin de votre expérience du terrain. Je souhaite aborder plus en détails la question des retraites et des prestations sociales.

Quel est le nombre de femmes retraitées recevant une pension de retraite ou une pension de réversion de la MSA ? Quel est le montant moyen d'une pension de retraite pour une salariée et une non-salariée agricole ? Quelle est la population d'agricultrices la plus exposée en ce qui concerne la faiblesse de la pension de retraite ou de la pension de réversion ?

Quelles actions mettez-vous en oeuvre pour faire en sorte de revaloriser les pensions de retraite agricoles et les pensions de réversion et de réduire l'écart existant entre les hommes et les femmes ? En particulier, quelles actions sont mises en place pour améliorer l'information relative à l'ouverture des droits, dont vous avez déjà laissé entendre que vous la jugez défaillante ?

Entre 1995 et 2002, des avancées importantes ont été réalisées : la pension de retraite de base a été portée à 50 % du SMIC, le régime de retraite complémentaire obligatoire, ou RCO, a été mis en place et le statut de conjoint collaborateur a été créé - sur ce dernier point, j'ai bien compris que la situation n'était pas satisfaisante et que vous n'approuvez pas la référence au conjoint...

Au-delà de 2002, plusieurs évolutions ont eu lieu, notamment en 2007 dans le cadre de la modification de la législation sur les successions et en 2010 lors de la réforme des retraites - aménagement de la condition de durée d'activité, ouverture de la retraite complémentaire agricole aux conjoints collaborateurs, exclusion du capital d'exploitation agricole du recours sur succession de l'allocation de solidarité aux personnes âgées, majoration de durée d'assurance de quatre trimestres accordée au titre de la grossesse. Plus récemment, dans le cadre de la loi de 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites 276 ( * ) , la pension de retraite de base a été revalorisée à 75 % du SMIC, des points gratuits de RCO ont été attribués aux conjoints collaborateurs et le cumul de la retraite de réversion pour le conjoint survivant a été rendu possible. Disposez-vous déjà de chiffres concernant les retombées de ces mesures sur les retraites des agricultrices ? Peut-on quantifier l'évolution du montant de leurs retraites ou pensions de réversion ?

Plus généralement, quelles autres pistes de réformes pourraient améliorer la situation des retraitées agricoles actuelles et futures ?

Enfin, en cas de séparation ou de divorce, quels sont les droits des agricultrices et quelles sont les difficultés qu'elles rencontrent, notamment lorsqu'elles sont sans statut ou avec un statut faiblement protecteur ? Quels dispositifs d'accompagnement existent ou pourraient être mis en place - information sur les droits, aides à la reconversion ou autres ? Qu'en est-il par exemple de la prestation compensatoire, destinée à compenser la disparité que crée la rupture dans les conditions de vie des deux époux ?

Anne Gautier . - Pour les éléments chiffrés, je propose que nous vous adressions une contribution écrite.

Chantal Jouanno, présidente . - Nous vous en remercions par avance.

Catherine Laillé . - D'après les renseignements que j'ai pu obtenir, la pension de retraite moyenne d'une agricultrice se situe entre 500 et 600 euros par mois. On constate donc une discrimination non seulement entre hommes et femmes, mais aussi entre les différentes catégories socioprofessionnelles. Il n'échappe à personne que les retraites des agricultrices sont les plus basses de toutes.

En décembre dernier, le président national des Restos du coeur nous a déclaré que son organisation secourait de plus en plus de retraitées agricoles. C'est un comble, quand on sait que ces femmes ont travaillé toute leur vie à nourrir la population et n'ont pas de quoi se payer à manger une fois qu'elles sont à la retraite !

Les exploitations agricoles sont des entreprises : elles doivent dégager un revenu suffisant pour payer des cotisations et garantir une retraite équivalant au minimum au SMIC.

Par exemple, une femme de ma génération, née dans les années 1960-1970, ayant travaillé trois ans comme salariée à l'extérieur, quatorze ans comme conjointe participant aux travaux sans statut et vingt-six ans comme cheffe d'exploitation, avec des revenus peu élevés, touchera à 62 ans une pension de retraite de 662 euros bruts mensuels, soit 615 euros nets.

Nous demandons par conséquent que le niveau minimal des pensions de retraite des agricultrices soit relevé dès 2017 au niveau du minimum vieillesse, soit 800 euros. Il s'agit vraiment d'un enjeu de solidarité nationale, d'une juste reconnaissance du travail de femmes qui ont consacré leur vie à nourrir la population entière. Cette mesure étant malgré tout insuffisante, il faudrait également supprimer la CSG et la CRDS sur les plus petites retraites.

Depuis une quinzaine d'années, la Coordination rurale propose une sorte de TVA sociale. Elle a rencontré le Président de la République et le président national de la MSA à ce sujet et envoyé un dossier à tous les parlementaires nationaux et européens. Il s'agirait d'organiser un transfert de charges : les cotisations de la MSA représentent une charge pour nos productions ; leur suppression permettrait de réduire nos prix hors taxes et serait compensée par des points de TVA ; le prix TTC des produits alimentaires n'augmenterait que très peu - le relèvement des taux de TVA n'a pas eu de répercussions sur les prix affichés dans les magasins.

Cette TVA sociale permettrait de taxer tous les produits importés que nous consommons, mais qui ne participent pas à notre protection sociale. Faire supporter le financement de la protection sociale à l'ensemble des consommateurs est aussi une forme de solidarité, puisque le consommateur qui a le plus de moyens participera davantage à la protection sociale que le consommateur qui a moins de moyens.

Cette piste intéressante mérite d'être creusée, même si nous avons déjà réalisé des études. Nous vous transmettrons le dossier.

Jacqueline Cottier . - La FNSEA est favorable à ce que nous restions sur les 25 meilleures années pour arriver à une retraite plus intéressante.

Nous demandons surtout que la retraite de base soit revalorisée. En effet, elle ne l'a pas été depuis trois ans, alors que le coût de la vie a beaucoup augmenté. C'est ce qui pénalise nos retraités.

Par ailleurs, la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA milite depuis longtemps en faveur d'une bonification pour enfants qui soit forfaitaire, et non plus assise sur un pourcentage du montant de la retraite. En effet, comme je l'avais expliqué la dernière fois que j'ai été auditionnée, dans la mesure où les agricultrices ont de faibles retraites, la bonification pour enfants dont elles bénéficient est beaucoup moins importante que celle qui est accordée aux autres femmes. De surcroît, la bonification est dorénavant fiscalisée, ce qui pénalise encore plus les agricultrices. Il faut donc supprimer cette fiscalisation et obtenir une bonification forfaitaire pour enfants.

Christine Valentin . - Bien évidemment, je suis tout à fait favorable à la revalorisation des retraites, mais pas seulement celles des femmes. On travaille souvent en couple, et les deux retraites sont de toute façon très basses.

J'appuie complètement l'idée du calcul sur les 25 meilleures années. Sans cela, on n'avancera pas.

Au-delà, le plus gros effort doit être fait à l'avenir pour que les femmes aient réellement un statut, afin qu'elles puissent se constituer elles-mêmes leur retraite.

Ensuite, il faut promouvoir la solidarité. Ces femmes ont non seulement travaillé sur l'exploitation, mais elles ont aussi élevé des enfants. Une bonification forfaitaire me semble donc une bonne solution. Le problème se pose également avec le congé parental : les agricultrices n'en profitent pas beaucoup, car elles perdent des avantages en matière de retraite. Il importe donc de travailler sur ce que j'appellerai le temps d'éducation des enfants, qui doit être pris en compte pour le calcul de la retraite.

Anne Gautier . - La bonification forfaitaire pour enfants, c'est vraiment quelque chose qui remonte régulièrement par l'intermédiaire de nos délégués. Tous les ans, nous avons une motion sur ce sujet. Bien évidemment, un pourcentage assis sur une très faible retraite n'est pas satisfaisant. C'est même purement scandaleux, quand on sait que ces familles, avec trois enfants ou plus, ont déjà dû faire un gros effort pour assurer à ceux-ci une éducation correcte. Pourtant, elles élèvent leurs enfants tout aussi bien que d'autres qui peuvent bien souvent bénéficier d'une retraite élevée. La bonification forfaitaire pour enfants serait beaucoup plus juste pour tout le monde.

Vous avez évoqué le problème des femmes sans statut, en cas de décès du conjoint par exemple. Quand elles sont mariées, elles bénéficient d'un certain nombre de droits, ce qui n'est plus le cas dans des situations relativement fréquentes. Si les agricultrices choisissent de plus en plus leur situation, elles ne se protègent pas toujours en adoptant un statut familial. Dès lors, on assiste parfois à des drames. J'ai eu à gérer dans ma caisse un cas de figure qui est resté gravé dans ma mémoire : la femme travaillait à temps plein sur l'exploitation ; le couple avait trois enfants, sans être ni marié ni pacsé. Cette femme n'avait aucun droit. Autant vous dire que l'accompagnement social a été un imbroglio infernal.

Ainsi, au-delà du statut que la femme peut avoir sur l'exploitation, il faut aussi penser à la situation familiale. Le mariage n'est pas qu'une institution « désuète » , mais il permet de préserver les individus en cas de drame familial, que ce soit un suicide, un décès prématuré ou un autre événement. Je tiens à le rappeler, car cette problématique a un peu disparu de nos préoccupations. Pourtant, je le répète, le mariage ne sert pas à rien, surtout en présence d'enfants.

Michel Gomez . - Je l'ai déjà dit, on constate une faiblesse générale des retraites dans le régime agricole. En clair, elles sont 2,5 fois plus faibles que la moyenne, tous régimes confondus. Je vous communiquerai par écrit tous les chiffres, que je croiserai avec ceux de la MSA, pour être bien sûr que l'on parle de la même chose, même si nous avons les mêmes bases.

En revanche, il ne faut pas oublier qu'une grande partie des femmes sont polypensionnées. On compte environ 870 000 femmes retraitées aujourd'hui dans le régime agricole, et, parmi elles, 710 000 sont polypensionnées. En moyenne, semble-t-il, la retraite de ces femmes est de l'ordre de 1 000 euros. Je n'aurai pas l'indécence de dire que c'est confortable, mais ce montant se rapproche de ceux d'autres régimes similaires, comme celui des indépendants.

Ensuite, aujourd'hui, les systèmes de retraite sont tous contributifs, que ce soit le régime agricole, le régime général ou le régime des indépendants. Cela signifie que la cotisation de retraite que l'on paie s'apparente à un salaire différé. Si l'on veut avoir des droits dans le futur, il faut cotiser. Il n'y a pas de raison que le régime agricole ne fonctionne pas comme les autres à cet égard.

C'est ce qui explique que, à l'heure actuelle, la situation des stocks soit aussi dégradée. Pendant très longtemps, des gens sont entrés tardivement dans le statut de chef-fe, ou des épouses ont bénéficié du statut de collaborateur avec des cotisations faibles, de l'ordre de 400 SMIC. Dans ces conditions, on ne peut pas prétendre à une retraite décente, et on relève finalement d'autres mécanismes.

Il y a aujourd'hui un vrai débat sur les réformes à entreprendre pour mettre fin à ce type de situations.

La solution des 25 meilleures années est sur la table, mais on pourrait aussi choisir d'éliminer les plus mauvaises années, ce qui s'adapterait peut-être mieux au domaine agricole. C'est le prochain gouvernement qui devra traiter du sujet.

Sur le statut de collaborateur d'exploitation ou d'entreprise agricole, que nous appelons par commodité conjoint collaborateur, mais qui ne concerne pas que les conjoints au sens juridique du terme, j'ai entendu les propositions de la Coordination rurale . Tout est sur la table : faut-il continuer avec un statut particulier ? Faut-il le borner dans le temps ? Y a-t-il d'autres solutions, sur le modèle de ce qui a été fait avec les aides familiaux ?

Voilà les options qui sont aujourd'hui ouvertes à la discussion et qui concernent, je le répète, tant les femmes que les hommes. La discussion est très ouverte, puisque nous sommes dans une situation très particulière, comme Madame la présidente l'a fait remarquer.

Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie de vos interventions. Je précise que nous serions preneurs d'estimations financières dans les observations écrites que vous nous communiquerez.

J'aborde maintenant la question de la conciliation des temps de vie pour les agricultrices, sujet peut-être moins lourd, mais qui n'est pas anodin pour les personnes concernées. Nous y incluons aussi l'accès à la formation. Ensuite, Marie-Pierre Monier parlera des questions de santé.

Karen Serres a mentionné, lors du colloque du 22 février, la nécessité d'un dispositif de remplacement spécifique pour les agricultrices. Cela peut aussi concerner les hommes lors d'un congé maladie.

Quelles sont vos remontées de terrain sur cette question ? Quels sont les besoins spécifiques des agricultrices en ce qui concerne le remplacement lors de congés maladie, grossesse, vacances et loisirs ? Quels dispositifs existent pour répondre à ces besoins ?

Plus généralement, les services de remplacement vous paraissent-ils actuellement suffisamment adaptés aux problématiques des agricultrices ? Sinon, quelles solutions mettre en oeuvre pour permettre aux agricultrices de dégager un temps qu'elles pourraient dédier à d'autres activités que leur métier et leur rôle de mère de famille ?

Par ailleurs, l'une des intervenantes au colloque du 22 février 2017 a proposé de mettre en place une politique de « discrimination positive » pour favoriser le retour en formation des agricultrices. En effet, seules 8,6 % d'entre elles accèdent à la formation, contre 12 % pour l'ensemble des contributeurs. Cela semble d'autant plus injuste qu'elles représentent près de 40 % des contributeurs au VIVÉA (fonds de formation agricole). Selon cette intervenante, des actions volontaires, par exemple à l'échelon des régions, en faveur des femmes devraient permettre d'organiser leur remplacement dans l'exploitation, voire de financer leurs déplacements, si elles en ont besoin. Que pensez-vous de ces propositions ?

Enfin, d'après une note du Centre d'études et de prospective de mars 2012 277 ( * ) , « le développement des formes sociétaires, les coopératives d'activité et d'emploi, qui permettent des formes de rythmes de travail choisis, en améliorant l'équilibre vie privée-vie professionnelle, peuvent faciliter l'entrée des femmes dans le monde agricole ». Que pensez-vous de cette analyse ? Selon vous, les formes sociétaires d'exploitation sont-elles effectivement plus favorables à la conciliation des temps de vie ?

Marie-Pierre Monier, co-rapporteure . - S'agissant des maladies professionnelles des agricultrices, un document de la MSA indique que 3,3 millions de personnes étaient couvertes par la MSA pour le risque maladie au 1 er janvier 2015. Est-il possible de connaître la proportion de femmes concernées par rapport à celle des hommes, ainsi que le type de maladies concernées ? Pouvez-vous commenter ces données ?

D'après la note du Centre d'études et de prospective de mars 2012 précitée, qui se réfère aux données de la MSA, si les hommes sont plus touchés par les accidents du travail, les femmes déclarent plus souvent des maladies professionnelles. Comment expliquer ces tendances ? Les chiffres actuels sont-ils proches de ceux de 2010, que reprend la note susvisée ? Constate-t-on encore ces différences, ou bien observe-t-on une évolution ?

Au cours du colloque du 22 février 2017, Jacqueline Cottier a rappelé les progrès obtenus s'agissant du congé de remplacement en cas de maternité. Pour autant, si cette avancée ne peut être que bénéfique à la santé des agricultrices, seules 55 % d'entre elles y ont recours. Quelles sont vos remontées du terrain sur cette question ? Quelles solutions préconisez-vous pour inciter davantage de femmes à prendre ce congé ?

Par ailleurs, disposez-vous de statistiques exactes sur les congés de remplacement maternité et leur durée pour les agricultrices ? Pourriez-vous préciser quel est le montant de la prise en charge financière associée à congé ?

Enfin, je voudrais avoir vos avis sur les conséquences de l'isolement en milieu rural.

Ainsi, selon l'une des intervenantes du colloque du 22 février, l'isolement vécu en milieu rural est aussi une difficulté pour les agricultrices. Que pensez-vous de cette affirmation ? Quelles actions sont menées et pourraient être envisagées pour surmonter les difficultés liées à l'isolement des territoires ruraux, notamment s'agissant de l'offre de services de santé et d'accueil des jeunes enfants ?

Mais nous serons bien entendu réceptifs à toute autre thématique que vous souhaiteriez aborder.

Catherine Laillé . - Je vais m'efforcer d'apporter des éléments de réponse aux nombreux points qui ont été évoqués.

Le système de remplacement n'est pas toujours adapté. Certes, il en existe dans tous les départements, mais ceux-ci ne fonctionnent pas forcément tous de la même manière. En Loire-Atlantique par exemple, nous avons des associations cantonales ou inter-cantonales. Ces structures de proximité sont plus efficaces et moins coûteuses en déplacements. Dans d'autres départements, en revanche, la gestion s'effectue à l'échelon départemental et les salariés sont envoyés aux quatre coins du département, ce qui n'est pas l'idéal.

Il faut aussi préciser que nous souffrons d'un manque de salariés. Il y a encore quelques années, les enfants des agriculteurs assuraient le remplacement, mais comme il y en a de moins en moins qui s'orientent vers ce métier, nous manquons de salariés, notamment dans certaines productions spécialisées.

Pour un salaire de remplacement, il faut compter 160 euros par jour pour huit heures de travail. Quand on s'absente pour exercer des mandats professionnels ou syndicaux, on peut bénéficier d'une indemnité de 100 euros en moyenne, ce qui laisse tout de même un « reste à charge » de 60 euros. Comme il faut compter plusieurs journées par an, cela représente un coût supplémentaire. C'est une raison de la désaffection rencontrée par ce dispositif.

Il y a aussi des freins psychologiques à l'embauche. Les agriculteurs ont beaucoup d'appréhension à prendre un salarié de remplacement, la première fois. Pourtant, pour l'avoir expérimenté personnellement à l'occasion d'une naissance et de mes mandats professionnels, je peux vous dire qu'une fois que l'on connaît le système, on l'utilise volontiers, parce que l'on en retire des bienfaits en termes de santé, physique comme psychologique. Mais les agricultrices ne le ressentent pas forcément si elles ne l'ont pas vécu. Il faut donc diffuser des témoignages positifs sur ces remplacements.

J'ai aussi été pendant 15 ans trésorière d'une association de remplacement, et j'ai pu constater qu'à peu près 65 % des agriculteurs, hommes et femmes confondus, s'assuraient réellement pour le remplacement en cas de maladie, d'accident ou de décès. Si tous ces événements ne sont pas pris en compte à l'avance, ils peuvent aboutir à la ruine d'une exploitation quand ils surviennent. C'est fou, les agriculteurs sont prêts à payer des assurances pour les biens matériels, les tracteurs, les bâtiments, mais leur propre santé ne les préoccupe pas. Comment informer ceux qui ne sont pas assurés de l'intérêt de le faire ? Est-ce à la MSA de le faire ? Aux chambres d'agriculture, aux syndicats ? Il faudrait pouvoir disposer d'un petit fascicule où sont répertoriées toutes les possibilités offertes aux agriculteurs. Cette information serait délivrée lors des formations ou à l'occasion d'entretiens individuels avec les conseillers MSA dans les exploitations.

Jacqueline Cottier . - Certaines commissions régionales ont édité le « guide des femmes en agriculture », qui retrace tout le parcours professionnel d'une agricultrice et reprend tous les droits auxquels elle peut prétendre, de la maternité jusqu'à la retraite. Cela se fait en partenariat avec la MSA et les régions.

Néanmoins, il faut toujours renouveler, réactualiser les données et continuer à sensibiliser.

Pour ce qui est du remplacement, nous travaillons à bien identifier les freins qui empêchent le recours à un agent de remplacement. À cet effet, nous allons essayer de mettre en place une enquête via nos réseaux.

On a assisté ces dernières années à une grande diversification des activités en agriculture, vers la transformation, la commercialisation. On a donc besoin d'agents un peu plus « pointus ». Mais c'est vrai que le recrutement est compliqué, avec des périodes d'été très chargées pour les services de remplacement. On a beaucoup de mal à trouver des jeunes en juillet et août.

Il faut absolument développer ce service pour le bien de nos agriculteurs et de nos agricultrices.

Par ailleurs, je pense que le Service de remplacement est « sous-consommé », car les agriculteurs n'ont pas l'habitude de déléguer des tâches, de gérer un salarié. Pourtant, les agricultrices pourraient en retirer beaucoup de bienfaits, notamment dans leur vie familiale.

Le crédit d'impôt pour congé des exploitants agricoles 278 ( * ) , lui, fonctionne quand même bien. On pourrait peut-être raisonner à partir de ce principe pour le remplacement. Cela pourrait aider les femmes à faire le choix de prendre des responsabilités sans que cela affecte la vie familiale.

Chantal Jouanno, présidente . - Quand allez-vous lancer votre enquête ?

Jacqueline Cottier . - Elle est en cours d'élaboration. Elle va bientôt démarrer. Nous voulons vraiment avancer sur ce point.

Anne Gautier . - Je vais aborder la question des maladies professionnelles et des accidents du travail. Nous avons des chiffres que nous vous communiquerons.

Le constat, c'est que les hommes sont plus exposés aux accidents de travail, tandis que les femmes sont plus sujettes aux maladies professionnelles.

En effet, il se trouve que les hommes travaillent plus avec le matériel et les animaux, dans la manutention, alors que les femmes sont plutôt victimes de troubles musculo-squelettiques, car leur corps est mis à contribution par la traite, qui occasionne des problèmes d'épaule ou de canal carpien, le maraîchage, l'horticulture, la pépinière.

Vous le voyez, c'est vraiment lié à la répartition des tâches sur les exploitations.

Je vous laisse juges du caractère normal ou pas de cet état de fait. (Sourires.)

Vous avez aussi abordé la question de l'isolement. Par définition, les ruraux ne vivent pas dans le monde urbain. D'ailleurs, c'est parfois la coexistence avec des urbains qui peut compliquer la vie du monde rural. C'est une problématique qui ajoute de la complexité.

Bien sûr, l'accès à la culture, aux divertissements est parfois plus compliqué, car il faut faire de la route. On ne peut pas avoir tous ces services dans de très petites communes, même s'il y a quelquefois des cinémas itinérants ou d'autres initiatives. Nous ne réclamons rien dans ce domaine.

En revanche, nous sommes très vigilants sur ce qui concerne l'accès aux services de santé. Dans certains départements, le phénomène de désertification médicale est très préoccupant. Certaines populations peuvent carrément être en danger, car elles sont très éloignées de ces services.

Les maisons de santé pluridisciplinaires commencent à se développer. C'est une bonne chose, mais il faut certainement entretenir cette dynamique. Il y a celles qui sont labellisées par les agences régionales de santé (ARS), mais il y a aussi des initiatives privées de médecins qui choisissent de se regrouper avec un kinésithérapeute, une infirmière, etc. Il serait dramatique pour les campagnes de ne plus avoir de médecins généralistes, lesquels sont plus attirés par le littoral méditerranéen ou atlantique que par la Corrèze ou la Creuse. (Sourires.) Même la Mayenne souffre beaucoup ! C'est tout simplement une question de santé publique.

Enfin, vous avez évoqué l'engagement professionnel, notamment pour les femmes.

Le monde agricole, vous l'avez deviné depuis le début, reste quand même très masculin. Quand les femmes s'engagent, c'est qu'elles ont réussi à obtenir un vrai statut et que les maris acceptent naturellement qu'elles prennent des responsabilités plutôt qu'eux, lorsque les deux sont chefs d'exploitation.

En ce qui me concerne, j'ai commencé à prendre des engagements dans la coopération, là où il y a encore moins de femmes. À l'époque, j'étais la seule au milieu de trente hommes. Après mon départ, ils ont mis dix ans à en remettre une autre dans le conseil... Lorsque je leur demandais pourquoi leur femme ne participait pas à ces activités à leur place, ils tombaient des nues.

L'engagement des femmes dans les organisations professionnelles agricoles (OPA) est sans doute encore plus compliqué que le problème du statut. Il faudra franchir un certain nombre de barrières pour y arriver.

Pour autant, je pense qu'elles ont tout intérêt à le faire, car elles y trouvent un réel épanouissement social et personnel. Elles souffrent moins de l'isolement et de l'ennui qui en résulte.

Christine Valentin . - La forme sociétaire, souvent en GAEC, rend plus facile l'engagement des femmes dans la vie associative, syndicale ou politique, car elle leur permet de se libérer plus facilement. Mais cela peut aussi provoquer des déséquilibres entre les associés. Il faut donc s'efforcer de se faire remplacer quand on n'est pas là.

Prendre des responsabilités suppose d'avoir un mari compréhensif et patient, car il faut souvent partir à l'improviste. C'est un peu pareil dans l'autre sens, d'ailleurs.

Selon moi, c'est moins l'exploitation que la famille qui en souffre. Les enfants, quel que soit leur âge, ont besoin d'avoir une maman présente pour les devoirs, les repas, ou pour préparer le sac du lendemain. C'est très compliqué.

J'en viens au problème du remplacement de l'agricultrice sur l'exploitation. On a besoin de former des salariés agricoles. Il y a un problème non seulement de recrutement des salariés, mais aussi de formation. Il n'est pas facile de se fondre dans le fonctionnement d'une exploitation, avec des associés de GAEC que l'on ne connaît pas. Il faut qu'ils acquièrent des compétences professionnelles, mais aussi des compétences sociales.

Il faut envisager le remplacement de l'agricultrice non seulement en tant que productrice, mais également en tant que mère au foyer, ce qui implique que les gens soient polyvalents. Il ne faut donc pas hésiter à inclure des femmes dans les services de remplacement pour assumer les deux types de tâches.

À mes yeux, les enfants ne doivent pas souffrir de la situation.

Je n'ai rien à ajouter sur les maladies professionnelles.

Pour ce qui est des congés parentaux, j'estime qu'ils devraient nous donner des droits à retraite.

Quant à l'isolement en milieu rural, c'est avant tout un choix de vie. C'est peut-être un peu différent lorsque l'on a choisi d'y suivre son conjoint. Nous essayons pour notre part d'accompagner les initiatives visant à mettre en place des bus-garderie ou des crèches. Il importe de développer les aides maternelles en milieu rural, lesquelles sont pour l'instant en nombre trop faible. Il peut y avoir aussi des nounous à la campagne.

Certes, on n'a pas accès au cinéma ou au théâtre, mais on peut profiter de la nature et de ses beautés.

À mon sens, le principal problème actuel se situe au niveau de l'accès au numérique. On ne peut plus vivre sans l'accès au numérique, y compris pour nos enfants.

Jacqueline Cottier . - Je veux revenir un instant sur les faibles retraites. Beaucoup d'agricultrices prennent aussi en charge leurs parents ou leurs beaux-parents et font un peu l'impasse sur leur vie personnelle. C'est difficile pour elles, surtout quand les enfants sont encore étudiants.

Chantal Jouanno, présidente . - Monsieur Gomez, avez-vous quelque chose à ajouter ?

Michel Gomez . - Nous ferons un point statistique, que nous vous communiquerons.

Maryvonne Blondin . - J'ai participé il y a quelques semaines à des journées « portes ouvertes » dans des exploitations, organisées par des femmes. J'ai pu échanger avec un certain nombre d'entre elles sur leur statut et leurs difficultés à concilier vie professionnelle et vie familiale.

Comment pourraient-elles cotiser davantage pour que soient mieux reconnues leur implication et leur passion pour ce métier ? Mais peut-être avez-vous déjà traité ce sujet avant mon arrivée ?

Chantal Jouanno, présidente . - Nous avons effectivement évoqué le problème des statuts, avec la nécessité de mieux informer les femmes sur leurs droits ainsi que de sensibiliser les conjoints.

Cyril Pellevat . - Je suis fils d'agriculteurs. Ma mère était responsable de la société avec mon père. Je me retrouve dans ce tout ce qui vient d'être dit, car je l'ai vécu au quotidien.

Il nous faut vraiment travailler sur un statut de la femme cheffe d'entreprise. J'ai été maire d'une petite commune rurale avec une dizaine d'exploitations viables. Il y a de plus en plus de femmes qui viennent du privé rejoindre leur mari sur les exploitations et qui n'arrivent pas à se dégager de salaire.

Je connais bien aussi le problème des congés maternité, qui sont très réduits. Il n'y a pas forcément d'argent disponible pour financer un remplacement.

Le problème se pose aussi pour les femmes d'artisans.

Je serais très heureux que nous puissions formuler des recommandations pour faire progresser les retraites et le statut des agricultrices.

Catherine Laillé . - Vous avez abordé le thème de l'exploitation sous forme sociétaire. C'est vrai, il y en a de plus en plus, et c'est là que l'on retrouve le plus de femmes cheffes d'exploitation. Quand on crée un groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) 279 ( * ) , une entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) 280 ( * ) ou une société civile d'exploitation agricole (SCEA) 281 ( * ) , on adopte un règlement intérieur, qui prévoit le temps de travail de chacun, les tâches, les tours de garde pour les week-ends ou les congés. Cela donne des bases pour déterminer le temps de travail de chaque associé et la rémunération qui lui revient. Peut-être faudrait-il adopter le même principe pour les exploitations individuelles entre le mari et la femme ?

Le fait d'être associé permet aussi d'avoir du temps disponible qui soit plus facilement prévisible. C'est utile pour les femmes engagées dans différents mandats. Par ailleurs, il est beaucoup plus facile d'intégrer un salarié de remplacement quand il y a un ou deux associés déjà sur le terrain.

J'ajoute également qu'il y a de nouveaux emplois à créer, notamment pour la garde des enfants. Il existe aujourd'hui des dispositifs permettant de bénéficier d'heures de travail pour du ménage ou du jardinage. Il faudrait prévoir le même système pour les gardes d'enfants sur place. En effet, cela prend du temps de faire les trajets en voiture pour aller récupérer les enfants.

Les élus territoriaux doivent prendre conscience de nos besoins, que nous n'arrivons pas toujours à formuler.

Enfin, si les retraites des agricultrices étaient vraiment à la hauteur de ce qu'elles méritent, les femmes prendraient plus facilement le statut de cheffe d'exploitation. Il faut aussi une bonne politique agricole française et européenne pour nous assurer des prix rémunérateurs qui nous permettent de cotiser.

Chantal Jouanno, présidente . - En effet, tout cela est lié !

Anne Gautier . - S'agissant des gardes d'enfants, la MSA a beaucoup contribué à développer les micro-crèches. Dans certains départements, on a surtout développé des maisons d'assistantes maternelles, car il y avait un vivier ; dans d'autres, on a plutôt insisté sur les micro-crèches.

André Ricard . - Pour compléter ce que vient de dire Anne Gautier sur les micro-crèches, je précise que nous essayons de travailler aussi sur la question des horaires atypiques, propres au milieu rural, pour améliorer l'accueil des enfants. Il y a également le problème des week-ends. Nous lançons des expérimentations sur ces questions.

Maryvonne Blondin . - Toujours lors des journées « portes ouvertes » auxquelles j'ai participé, j'ai demandé à mes interlocutrices si l'école venait voir comment vivaient les exploitations. On m'a répondu que les enfants n'étaient pas toujours sensibilisés à la vie agricole, même dans des bourgs ruraux. Les visites semblent tombées en désuétude. Cela m'a étonnée. À mon avis, il faudrait essayer de mettre quelque chose en place.

Jacqueline Cottier . - La FNSEA organise tous les ans l'opération « Fermes ouvertes ». Dans le Maine-et-Loire, cette manifestation a lieu cette semaine. Nous recevons 920 enfants du primaire dans tout le département pour les sensibiliser à la vie agricole. Nous avons une convention avec l'Association de parents d'élèves de l'enseignement libre (France) pour l'organisation. Il existe aussi des fermes pédagogiques, où le travail est beaucoup plus poussé. Ces initiatives sont en effet indispensable pour recréer du lien avec l'urbain.

Cyril Pellevat . - Je reviens au problème des remplacements. Les agriculteurs rencontrent des difficultés pour trouver de la main-d'oeuvre intéressée. Dans mon village, on doit aller chercher des travailleurs agricoles en Roumanie. Il y a dix ans, c'était plutôt dans les pays du Maghreb.

Anne Gautier . - Effectivement, c'est très compliqué. Pour des tâches basiques, au quotidien, on a déjà du mal à trouver ; autant vous dire que, quand il faut remplacer le ou la chef-fe d'exploitation, c'est encore plus compliqué.

Cyril Pellevat . - Oui, et c'est rendu encore plus complexe par la barrière de la langue.

Christine Valentin . - Je voulais également aborder le problème de la formation des jeunes et des stagiaires par les exploitants agricoles. Aujourd'hui, accueillir un stagiaire, cela veut aussi dire le loger et le nourrir. Il est totalement immergé dans la vie familiale. On tient beaucoup à former des jeunes dans les années à venir, mais il faudrait trouver une solution pour les loger dans d'autres conditions, peut-être au moyen d'une indemnité pour la famille d'accueil.

En effet, il est souvent difficile de vivre cette situation, surtout pour les conjointes qui ne sont pas agricultrices. Elles n'ont pas forcément envie d'entretenir quelqu'un en plus de leurs enfants quand elles rentrent du travail. Il y a également un problème de sécurité, de risques, de responsabilités qui peut se poser.

Il faut imaginer autre chose, mais je ne vois pas comment la formation agricole peut faire l'impasse sur cette question pratique.

Jacqueline Cottier . - Les jeunes filles ont encore plus de difficultés pour trouver des maîtres de stage, car les agriculteurs sont encore nombreux à douter des capacités physiques d'une jeune femme. Pourtant, le métier s'est modernisé ; il y a moins de pénibilité.

Chantal Jouanno, présidente . - Que pourrait-on faire ?

Jacqueline Cottier . - Communiquer ! Nous devons faire des efforts de notre côté. Il y a le problème du logement, mais aussi celui de la rémunération, qui est maintenant obligatoire.

Christine Valentin . - Il y a aussi un travail à mener avec les écoles. En effet, les périodes de stage sont les mêmes pour toutes les formations. J'ai eu trois stagiaires en même temps pendant 15 jours. On n'a pas d'autres choix que de les prendre pendant les vacances scolaires. Il faudrait travailler avec le ministère de l'Agriculture sur ce point.

Catherine Laillé . - On a juste effleuré le problème du divorce des agricultrices, qui peut conduire celles qui n'ont pas de statut à de grandes difficultés. Nous proposons qu'elles bénéficient d'un droit à la formation au moins pendant un an après avoir quitté l'exploitation.

Il est aussi regrettable que les agriculteurs et agricultrices n'aient pas de droit au chômage.

Comme nous ne cotisons pas, il faudrait réfléchir à un financement adapté.

Anne Gautier . - Dans les caisses de la MSA, on se rend compte que les hommes divorcés ont du mal à gérer la partie administrative, car c'était leur femme qui s'en occupait. (Sourires.)

Chantal Jouanno , présidente . - C'était le mot de conclusion, à mon sens très significatif.

Je vous remercie très chaleureusement de votre participation.

Audition de Mme Christiane Lambert, présidente de la FNSEA

(23 mai 2017)

Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente

Chantal Jouanno , présidente . - Dans le cadre de l'élaboration de notre rapport relatif aux agricultrices, nous accueillons Christiane Lambert, que je félicite pour son élection à la présidence de la FNSEA. C'est un symbole fort. Je précise que notre réunion est ouverte à nos collègues de la commission des affaires économiques - ici représentée par son président - et de la commission des affaires sociales.

Signe de notre intérêt unanime pour les questions abordées dans ce rapport, il sera élaboré par un groupe de travail composé de six membres : un par groupe.

Après le colloque du 22 février 2017, les co-rapporteur-e-s ont poursuivi leurs travaux avec deux tables rondes, l'une sur l'enseignement agricole et la formation des agricultrices, l'autre sur les questions sociales. Des déplacements ont eu lieu dans la Drôme et en Vendée. Deux autres sont prévus à Toulouse et en Bretagne. Nous espérons présenter les conclusions de ce rapport d'ici juillet, de sorte qu'elles puissent inspirer les députés nouvellement élus, le Gouvernement, et le Sénat qui sera issu du prochain renouvellement...

Nos auditions et déplacements ont fait apparaître les obstacles rencontrés par les agricultrices, par exemple lorsqu'il s'agit de financer leur projet d'installation. En matière de protection sociale, la question des statuts et des retraites sont de vraies difficultés. Nous nous intéressons aussi à l'accès des agricultrices à la formation continue et aux leviers pour leur permettre de s'engager dans les instances agricoles, tant il est difficile, pour beaucoup d'agricultrices, de concilier temps personnel et professionnel.

Pouvez-vous nous présenter l'action menée par Xavier Beulin, votre prédécesseur, pour améliorer la situation des agricultrices et l'égalité femmes-hommes dans le secteur ? Comment comptez-vous poursuivre cette action ? Quelles seront les priorités de votre mandat dans ce domaine ? Quels moyens comptez-vous mettre en oeuvre ?

Avant tout, pourriez-vous commencer par nous présenter votre parcours hors du commun ? Je laisse la parole au président Lenoir puis nous vous écouterons avec intérêt.

Jean-Claude Lenoir , président de la commission des affaires économiques . - Je tenais à saluer Christiane Lambert et à la féliciter pour son élection à la présidence de la FNSEA. Madame la présidente, vous succédez à Xavier Beulin, avec lequel nous avions beaucoup travaillé et dont la disparition nous a profondément touchés. C'est un réconfort de savoir que notre coopération se poursuivra avec vous.

Malheureusement, l'agenda de la commission des affaires économiques va m'obliger à vous quitter : le groupe de travail sur la PAC se réunit en effet cet après-midi, pour trois auditions. Nous aurons toutefois l'occasion de nous revoir prochainement et prendrons rapidement contact avec vous pour une audition devant notre commission.

Christiane Lambert, présidente de la FNSEA . - Merci, madame la présidente, pour votre invitation. Je connais votre travail, et j'avais été impressionnée par la façon dont vous évoluiez dans un milieu d'hommes lorsque vous étiez ministre de l'Écologie.

Je suis accompagnée de Jacqueline Cottier, présidente de la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA, et de Nadine Normand, chargée à la FNSEA des relations avec les assemblées parlementaires. Nous avons aussi une directrice : la FNSEA compte beaucoup de femmes parmi ses cadres !

Je salue Corinne Bouchoux, que j'ai côtoyée dans le Maine-et-Loire : elle s'est toujours montrée curieuse des sujets agricoles et nous avons souvent eu des discussions constructives et des points d'accord - ce qui n'est pas toujours le cas avec des élus EELV !

Je trouve surprenant d'être félicitée pour mon accession à la tête de la FNSEA, car je n'ai pas le sentiment d'avoir fait des choses exceptionnelles... Mes parents étaient militants à la Jeunesse agricole chrétienne (JAC), et j'ai très tôt mis la main à la pâte. Les années 1960 ont été une période de progression sociale pour les agriculteurs, avec les lois d'orientation agricole de 1960 et 1962, qui ont permis aux petites exploitations de se moderniser. Être issue d'une famille pétrie de valeurs chrétiennes et terriennes, qui nous a appris que le travail était récompensé, est un marqueur important. J'ai décidé dès l'âge de huit ans d'être agricultrice. Baccalauréat D, BTS techniques agricoles et gestion d'entreprise : je mesure combien je dois à mes parents et à mes enseignants qui m'ont poussée à poursuivre une formation alliant technique et gestion, permettant d'appréhender les grands sujets agricoles. En effet, les agricultrices sont souvent freinées dans leur engagement par le sentiment de ne pas disposer d'un bagage agricole et technique suffisant. Il y a aussi l'impression de ne pas savoir s'exprimer en public qui freine encore beaucoup de femmes...

L'enseignement que j'ai reçu était marqué par l'ouverture d'esprit et l'esprit de synthèse, les rencontres avec des socio-professionnels : on ne transmettait pas un savoir professoral. Sur cent étudiants, huit filles ! Pour moi qui n'avais jamais quitté l'exploitation familiale - mes parents ne prenaient pas de vacances - ce fut l'occasion de rencontrer des jeunes venus d'une quarantaine de départements : une vraie ouverture !

Bac en poche à 17 ans, BTS à 19 ans et, tout de suite, installation, avec la reprise d'une exploitation voisine de celles de mes parents, dans le Cantal. Passer de la vie étudiante à la vie en exploitation, toute seule, fut difficile ; j'ai saisi l'occasion de m'engager et suis devenue très vite présidente du centre cantonal de Jeunes agriculteurs - à 19 ans et demi ! Mon premier réflexe a été de me former à l'Institut de formation des cadres paysans (IFOCAP), créé par Michel Debatisse. Mon premier stage : prendre la parole en public et piloter une réunion !

Je suis devenue vice-présidente du centre départemental : la vice-présidence féminine, spécificité de nos organisations, a été un moyen pour de nombreuses femmes d'accéder à des responsabilités - même s'il a d'abord fallu les convaincre. J'y ai porté des dossiers concernant prioritairement l'installation et le financement, ainsi que certains dossiers économiques.

Aspirée très vite au niveau régional, j'ai été élue présidente du Centre régional de Jeunes agriculteurs d'Auvergne en 1986.

En 1989, j'ai quitté le Cantal pour reprendre, avec mon mari, une exploitation porcine dans le Maine-et-Loire. Notre fils aîné est né la même année, mais j'ai vite repris des responsabilités : le monde agricole est une grande famille, et j'ai été très bien accueillie par l'équipe départementale. Après la naissance de notre deuxième enfant en 1991, j'ai accepté, en 1992, un mandat national au bureau du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA). Un responsable d'organisation professionnelle agricole doit se rendre régulièrement à Paris - ce qui suppose d'organiser la garde des enfants. Mon mari m'a poussée à accepter et le président du CDJA, Jean - Marc Lézé , m'a proposé une solution : prendre comme agent de remplacement, non pas un garçon pour travailler dans la porcherie, mais une jeune femme pour s'occuper des enfants. C'est ainsi que notre nounou est entrée dans la famille ; marraine de notre fille, elle est encore salariée chez nous 24 ans plus tard. Cette entorse au règlement du service de remplacement m'a permis de présider le CNJA pendant quatre ans, tout en conservant une vie familiale apaisée.

Un parcours professionnel, c'est aussi la facilitation permise par les autres, car il n'est pas aisé d'être à la fois mère de famille, chef d'exploitation et responsable d'organisation professionnelle. J'ai pu m'investir dans mes responsabilités et m'y épanouir en ayant une vision positive et non sacrificielle de l'engagement. Les échanges au niveau national ont été enrichissants aussi pour la conduite de mon exploitation.

Première femme à présider le CNJA, de 1994 à 1998, j'ai pu orienter les projecteurs sur nos dossiers, en mettant l'accent sur l'installation des jeunes agriculteurs, en chute libre après la réforme de la PAC en 1992. Parmi nos slogans : « Nous avons plus besoin de voisins que d'hectares ! » Avec Philippe Vasseur, alors ministre, nous avons élaboré la Charte nationale pour l'installation des jeunes agriculteurs. Les résultats tangibles - un tassement de la baisse des installations - furent une grande satisfaction.

En 1998, à 35 ans, je suis frappée par la limite d'âge posée par Jeunes agriculteurs . Je m'étais juré de faire un vrai break , mais appelée par Luc Guyau, alors président de la FNSEA, j'ai accepté, en octobre 1999, de prendre la présidence du Forum de l'agriculture raisonnée respectueuse de l'environnement (FARRE), qui porte une vision de l'agriculture performante sur le plan tant économique qu'environnemental. J'ai beaucoup aimé cette responsabilité concrète.

En 1999, le jour même de la naissance de notre benjamine, je suis élue au Conseil d'administration de la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles du Maine-et-Loire, au nom de la section porcine, ma production actuelle. En 2001, j'arrive au niveau national puis, en 2005, à la vice-présidence de la FNSEA, non comme responsable du dossier des agricultrices, mais comme vice-présidente en charge de dossiers. Je travaille aux côtés de Jean-Michel Lemétayer.

En 2010, je deviens première vice-présidente, chargée de suppléer le président en son absence, ce qui me vaut de côtoyer de très près Xavier Beulin. Brillant, éloquent, doté d'une grande capacité d'analyse et de conviction, il avait annoncé, le 25 janvier, sa candidature à un nouveau mandat. La vie en a décidé autrement : à son décès, le 19 février, j'ai donc assuré l'intérim. Je connaissais le rythme de travail, la pression, interne et externe, dont Xavier Beulin avait souffert, mais les 23 membres du bureau de la FNSEA m'ont encouragée à postuler à sa succession. J'ai été élue le 13 avril pour un mandat de trois ans. Cela n'a guère surpris les adhérents et les fédérations, mais les journalistes, eux, n'en reviennent toujours pas !

Grâce à Xavier Beulin, nous avons instauré il y a six ans une obligation de 30 % de femmes sur les listes syndicales pour l'élection aux chambres d'agriculture : deux hommes, une femme, et ainsi de suite. Cela nous convient ; vu la démographie, il serait difficile d'observer une parité absolue, sachant que les femmes représentent 25 % des chefs d'exploitation et 33 % des actifs agricoles. Il nous faudra convaincre le ministère sur ce point...

Notre objectif est bien sûr de défendre et de promouvoir l'agriculture. Les métiers ont beaucoup évolué, et l'image nostalgique et bucolique des fermes d'antan est loin. Nous ne pourrions pas vivre et travailler comme le faisaient nos parents et nos grands-parents. La jeune génération intègre la robotisation, le travail par délégation, qui allège les contraintes et fait gagner en précision, la vente directe en ligne... L'agriculture vit avec son temps !

Les agriculteurs sont extrêmement investis, en phase avec les problématiques du vivant, à commencer par le climat. Notre entreprise n'a pas de toit, mes 106 hectares sont au grand air, s'il grêle, je n'ai plus rien, une sécheresse dévaste tout. Cette connexion au climat est cause d'une très grande vulnérabilité pour les agriculteurs, ce qui explique l'émotion...

La sécheresse est ressentie différemment selon que l'on a un jardin potager ou 106 hectares, c'est évident ! Ce métier crée aussi de vraies satisfactions et un espoir renouvelé année après année, car même après une mauvaise récolte, on sème encore l'année d'après et on espère une bonne récolte. Ainsi va la vie, quand on est agriculteur.

Ma mère est devenue agricultrice en se mariant, en 1959. C'est en 1961 - année de ma naissance - que le terme d'agricultrice est entré dans le Petit Larousse . Ce n'est qu'en 1988 qu'un statut plein et entier leur a enfin été accordé. C'est d'ailleurs grâce à cette réforme que mon mari est passé du statut de conjoint-collaborateur à celui de co-gérant ! Grâce à l'implication des agricultrices dans nos organisations, les femmes peuvent désormais constituer un Groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) avec leur conjoint, à égalité de responsabilités.

La FNSEA, ce sont 94 fédérations départementales, 13 fédérations régionales, 210 000 agriculteurs adhérents ; Jeunes agriculteurs , 20 000. Les élections professionnelles qui se tiennent tous les six ans sont le test de notre représentativité. Depuis leur instauration en 1981 par Édith Cresson, alors ministre de l'Agriculture, la FNSEA a toujours été majoritaire, même si le paysage syndical s'est étoffé depuis : 56 %, avec 68 % de votants, lors des dernières élections.

Le choix s'est donc porté sur un projet pour une agriculture dynamique, audacieuse, tournée vers l'avenir, sans nostalgie. Notre organisation est également caractérisée par un fort sentiment européen et un intérêt pour les politiques européennes. Nous mettons l'accent sur les préoccupations sociétales que sont le respect de l'environnement, la réponse aux attentes qualitatives des consommateurs, la traçabilité alimentaire, l'empreinte carbone de l'agriculture. Mais les consommateurs sont volatils, et pas toujours au rendez-vous... Nous traversons actuellement une crise grave : alors que 85 % des aliments sont achetés en supermarché, la distribution est très concentrée et les quatre opérateurs engagés dans une concurrence fratricide pour faire baisser les prix. Quiestlemoinscher.com est l'un des sites les plus consultés - or en matière de low cost, les produits français sont les moins bien placés. On l'a vu dans le Maine-et-Loire dans le secteur de la chaussure : 12 000 emplois il y a vingt ans, 1 200 aujourd'hui ! L'agriculture risque de connaître la même spirale dramatique. Nous nous battons pour maintenir l'activité agricole sur l'ensemble des territoires, car l'agriculture, c'est aussi l'alimentation, le paysage, l'emploi, la gastronomie : l'agriculture est constitutive de l'identité et du rayonnement de la France.

Chantal Jouanno , présidente . - Merci pour ce témoignage transparent et sincère.

Jacqueline Cottier, présidente de la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA . - L'élection de Christiane Lambert est un message fort pour les agricultrices : elle montre que l'on peut y arriver, à condition de bénéficier de leviers en matière de formation et d'accompagnement. Merci, Christiane !

Corinne Bouchoux , co-rapporteure . - Les femmes contribuent financièrement à la formation mais n'en bénéficient guère. Comment développer la formation des agricultrices ?

Ne va-t-on pas voir se creuser la différence entre les agriculteurs issus d'une famille d'agriculteurs et les nouveaux venus qui, s'ils ne manquent pas d'enthousiasme et ont souvent un bon niveau d'instruction, ne sont pas imprégnés de culture agricole ? Tout ne s'apprend pas dans les livres...

Annick Billon , co-rapporteure . - Notre déplacement en Vendée, où nous avons retrouvé Jacqueline Cottier, a mis en exergue la problématique du statut de conjoint-collaborateur. Nous avons été frappés par le volontarisme des agricultrices que nous avons rencontrées : elles mènent un combat permanent pour gagner leur place, faire reconnaître leurs droits. Nous en avons eu des témoignages, le système de remplacement manque de souplesse - par exemple, quand le congé maternité démarre plus tôt que prévu. Autres difficultés : la relation aux banques pour les femmes qui s'installent, la reprise d'une exploitation... Je me félicite des déplacements à venir, car les agricultrices sont sensibles à votre souhait de les écouter.

Catherine Procaccia . - Merci, madame la présidente, d'avoir associé les membres de la commission des affaires sociales à cette réunion.

J'aimerais savoir si la double activité est plus répandue chez les femmes que chez les hommes.

Ma seconde question concerne les nouvelles technologies : vous l'avez évoqué, les agriculteurs ne travaillent plus depuis longtemps comme certains l'imaginent encore. Qu'en est-il des formations en matière de nouvelles technologies satellitaires pour le calcul des rendements, pour le traitement des parcelles (rendements à l'hectare, pesticides) ? Proposez-vous un certain nombre de formations ou d'informations pour permettre aux agriculteurs de suivre ces questions ?

Je suis moi-même retraitée de l'agriculture, puisque j'étais salariée de la Mutualité agricole, des Assurances mutuelles agricoles puis de Groupama. Si les femmes ont conquis une certaine place dans l'agriculture, j'ai le sentiment qu'elles ont plus de mal à « faire leur trou » dans les organisations comme les chambres d'agriculture, la Mutualité ou le Crédit Agricole. Comment l'expliquez-vous ?

Christiane Lambert . - Un mot d'abord sur la formation. Je préside VIVÉA, le fonds pour la formation des entrepreneurs du vivant. Si 19 % des agriculteurs se forment chaque année, le taux n'est que de 15 % à 16 % pour les femmes. Cela tient d'abord à la difficulté de quitter l'exploitation, notamment quand on travaille dans l'élevage où les astreintes sont fortes. Nous incitons à recourir aux services de remplacement, avec un tarif préférentiel pour favoriser l'accès à la formation. Il faut aussi décomplexer certaines femmes qui craignent de se voir reprocher d'avoir « du temps à perdre », les mettre à l'aise en constituant des groupes d'agricultrices. Reste que l'accès à la formation est plus facile par exemple dans l'Ouest que dans les Hautes-Alpes, où le moindre déplacement prend beaucoup de temps. C'est pourquoi nous développons les Mooc , pour lever ce frein géographique. Les formations à distance sont en outre plus compatibles avec l'organisation d'une exploitation.

Le profil des agriculteurs a beaucoup changé : 35 % des jeunes agriculteurs qui s'installent le font hors succession familiale. En 1992, ce chiffre était de 30 % dans les Pays de la Loire ou en Bourgogne-Franche-Comté, mais de 7 à 8 % seulement dans certains départements. En outre, l'installation se féminise. En 2016, sur 6 800 nouveaux venus, on compte 25 % de jeunes femmes - souvent viticultrices, maraîchères, horticultrices, mais aussi dans l'élevage, notamment de lapins, d'ovins et de caprins. Elles ont souvent un niveau de formation supérieur à celui des hommes - sachant que 92 % des jeunes qui s'installent, femmes et hommes confondus, ont le niveau baccalauréat, 34 % le niveau BTS et 17 % le niveau ingénieur. Le niveau de formation augmente, car dans ce métier il faut être polyvalent !

Les nouveaux profils de retour tardif à la terre ont aussi besoin de formation technique : le soutien du fonds VIVÉA à l'installation est ainsi passé de 4,5 à 9 millions d'euros en cinq ans.

Bref, le profil des jeunes qui s'installent est très varié, c'est un melting pot enrichissant. Ils ont des attentes différentes de celles de leurs aînés, sur le séquençage entre temps de travail et de loisir, sur l'articulation entre vie familiale et professionnelle, sur l'exigence de résultats aussi : ils n'accepteront pas trois années en résultat négatif. Il y aura donc des entrées, mais aussi des départs, il faut en prendre conscience.

Les progrès obtenus sur le statut de conjoint-collaborateur l'ont été grâce à la personnalité des femmes qui ont porté ce combat, et grâce aux hommes qui ont su les écouter. Marie-Thérèse Lacombe a su convaincre son mari, Raymond Lacombe, alors président de la FNSEA...

On trouve davantage de femmes prêtes à exercer des responsabilités au niveau cantonal ou départemental qu'au niveau régional ou national, car les temps de trajet et la nécessité d'organiser l'intendance sont d'incontestables obstacles. Et les responsabilités familiales reviennent davantage aux femmes... Cela dit, les choses changent. De plus en plus de conjointes d'agriculteurs travaillent en dehors de l'exploitation, comme infirmière, enseignante, etc. Dans ma commune, sur quinze exploitations, nous sommes le seul couple d'agriculteurs ! Ce sont donc les pères qui déposent les enfants à l'école et vont les chercher, car le métier agricole leur laisse une certaine souplesse d'organisation. La société évolue, donc.

Lorsque je me suis présentée devant le banquier, à 19 ans, il m'a rétorqué que je n'étais pas « un élément stable et sécurisant ». Sans la caution de mes parents, je n'aurais pas pu m'installer. Du reste, l'activité agricole étant extrêmement capitalistique, dans un contexte d'accroissement de la volatilité et du risque, il n'est pas anormal qu'un banquier demande davantage de garanties. Le statut d'exploitant agricole entraîne des droits économiques - emprunts, caution, aides, ce qui explique qu'il soit encadré pour éviter tout détournement. Toutefois, certaines jeunes femmes affirment rencontrer plus de difficultés que les hommes pour emprunter.

La double activité a longtemps concerné les femmes plus que les hommes ; je ne suis pas sûre que ce soit encore le cas aujourd'hui. Désormais, les agricultrices choisissent leur métier. Elles ont parfois un métier tout autre mais sont attirées par la qualité de travail de leur mari et trouvent plus agréable de travailler avec lui qu'à l'extérieur de l'exploitation. Elles rejoignent l'exploitation vers l'âge de trente ans après avoir suivi une formation, puisqu'on ne peut pas s'improviser éleveur, agriculteur ou maraîcher. Elles développent l'exploitation en y amenant souvent une activité qui leur est propre : vente directe ou autre atelier à leur goût tel que production de lapins, de poulets...

La double activité n'est toutefois pas la règle. Dans certains départements, il est difficile d'être pluriactif dans la mesure où il faut parfois parcourir de longues distances pour aller travailler. Selon que l'on se trouve dans un territoire dynamique ou en recul, l'approche est différente. Dans les zones en recul, cette pluriactivité aide à faire bouillir la marmite...

Jacqueline Cottier . - Nous alertons les agricultrices qui, en retournant travailler à l'extérieur, quittent leur statut agricole, mais continuent en réalité à travailler dans l'exploitation. En cas d'accident par exemple, les conséquences peuvent être graves. Quant au statut de conjoint collaborateur, il ne peut pas être durable. Nous encourageons les femmes à réfléchir aux progrès de leur activité et à franchir éventuellement le pas vers le statut plein et entier d'exploitant.

Christiane Lambert . - Le nombre de jeunes filles qui veulent devenir agricultrices est impressionnant. Les pères qui voient leur fille s'installer éprouvent une vraie fierté, comme vous pouvez l'imaginer. La force physique est moins déterminante qu'auparavant et les filles s'épanouissent dans des métiers supposés masculins.

On compte beaucoup de femmes à la MSA - qui a eu une présidente, un peu chez les assureurs tels que Groupama, très peu au Crédit Agricole et encore moins au sein des coopératives. C'est regrettable. Le président de coopérative et sénateur Daniel Gremillet me disait qu'il avait fait entrer deux femmes au conseil d'administration de sa coopérative et que le débat s'en était trouvé enrichi.

Brigitte Gonthier-Maurin , co-rapporteure . - Que la FNSEA ait une femme présidente n'est pas anodin. Les femmes ont besoin de symboles auxquels s'identifier. Entrez-vous dans cette fonction avec une sensibilité féministe ? Avez-vous réfléchi à des causes particulières à promouvoir ? J'ai été frappée, au cours de nos travaux, par la grande technicité, la polyvalence du métier d'agricultrice ainsi que par la difficulté à articuler les temps de vie professionnelle et personnelle. Quelles seront vos actions en matière de santé, de lutte contre les violences, d'accès à la culture, au sport ? Vous avez dit ce que chacun pense ici : on ne veut renoncer à rien quand on est une femme.

Maryvonne Blondin . - Vous avez évoqué l'importance vitale de la formation professionnelle et le profond attachement de la FNSEA à l'Europe. Quelles sont vos actions de coopération internationale, en particulier en Afrique ? Un proverbe africain dit : « Éduque un homme, tu éduques une personne ; éduque une femme, tu éduques un village. » J'ai beaucoup travaillé avec Agriculteurs français et développement international (AFDI) en Bretagne et suis par ailleurs en charge de la coopération décentralisée. J'ai mis en place des formations à Madagascar ; elles manquent dans ce pays plein de potentialités. Allez-vous soutenir ce type d'actions ?

Les groupements de valorisation des agricultrices mènent des actions concrètes. Un moyen d'attirer les femmes peut être, comme dans le Finistère, de promouvoir des vêtements conçus en fonction de leur morphologie. Un travail important a été réalisé en partenariat entre un groupement de valorisation agricole de femmes et des élèves du lycée Le Paraclet, à Quimper, puis développé par l'entreprise Armor Lux®, pour des vêtements plus pratiques, adaptés aux femmes tout en étant solides. Ce type d'initiative renforce le rôle des femmes dans l'agriculture.

Yannick Vaugrenard . - J'ai beaucoup apprécié la présentation de votre parcours exceptionnel. Cette réussite, c'est aussi la présence d'une famille à vos côtés. Vous avez dit qu'à huit ans, vous vouliez devenir agricultrice. C'est bien plus sain que de vouloir, au même âge, devenir Président de la République !

Dans l'une de vos premières interviews en tant que présidente de la FNSEA, vous avez insisté sur la nécessité d'une grande loi de simplification. On sait bien que l'abus de normes nuit à l'économie. Vous avez aussi souhaité un Grenelle de l'alimentation. Pouvez-vous nous en dire plus ?

La forte augmentation des votes extrêmes a été soulignée lors de l'élection présidentielle. On a coutume d'entendre que ces votes ont concerné les secteurs ruraux. Or on le constate, le Front national est plutôt bas là où les agriculteurs sont les plus présents. Très souvent, les responsables politiques mettent en avant une Europe empêcheuse de tourner en rond - c'est parfois vrai pour la PAC. Pourtant, l'Europe est une chance. Comment mettre en avant l'intérêt du monde agricole à développer l'Union européenne ?

Françoise Laborde , co-rapporteure . - Vous avez effectué un très beau cursus, vous venez du terrain. Vous avez suivi une formation initiale, des formations continues, vous avez travaillé dès 19 ans, vous êtes mère de famille et vous avez exercé des mandats syndicaux, jusqu'à devenir présidente ! Vous exprimez bien votre passion en montrant que vous en tirez une satisfaction malgré les contraintes et les obligations liées à l'exercice de responsabilités.

Les agricultrices contribuent davantage au financement de la formation continue qu'elles n'en bénéficient, car elles doivent affronter des problèmes de logistique. Toutefois, s'il existe les Mooc , les formations ne sont pas remplaçables car elles donnent l'occasion de sortir et de rencontrer d'autres personnes. La FNSEA travaille-t-elle sur ce sujet ?

Même si la politique de lutte contre le chômage est remise à plat après l'élection présidentielle, comment peut-elle s'étendre aux agriculteurs ?

Hermeline Malherbe . - Je préside le conseil départemental des Pyrénées-Orientales, territoire pourtant souvent considéré comme machiste.

Madame la présidente, quel sera votre travail pour faire évoluer l'image des agriculteurs et agricultrices ? Qu'on arrête avec celle de l'agriculteur pollueur ! Il est fondamental de lier agriculture et alimentation. À titre d'exemple, la cuisine centrale publique des Pyrénées-Orientales, qui fournit nombre de restaurants scolaires du département, organise des animations auprès des jeunes avec des agriculteurs ou des éleveurs. Ce type d'initiative fonctionne bien pour faire évoluer l'image du métier. Qu'allez-vous faire, à la FNSEA, pour prendre en compte cette dimension qui me semble très importante ?

Christiane Lambert . - Je suis moi aussi très impressionnée par vos parcours, mesdames les sénatrices, car je mesure combien il est difficile pour une femme de gravir les échelons en politique. Cela me semble moins dur à la FNSEA.

J'ai été élue par un conseil d'administration de 69 personnes, dont 17 % de femmes. Je n'ai pas été choisie parce que j'étais une femme, mais pour mes compétences. Je porte un message d'ensemble fort sur les problématiques agricoles, sans m'excuser d'être une femme. Beaucoup d'agricultrices l'attendent de moi.

Afin d'améliorer l'image des agriculteurs, j'accueille dans notre exploitation familiale beaucoup de journalistes, très curieux de voir une agricultrice et un élevage de porcs in situ . On n'a jamais vu autant de petits cochons à la télévision : c'est important car nous souffrons beaucoup de l' agriculture bashing porté par des militants extrémistes de la cause environnementale, qui à mon avis exagèrent les problèmes. Quand j'ai décidé d'être agricultrice, à huit ans, puis quand mes parents ont construit une porcherie, deux ans plus tard, j'ai été l'objet de quolibets inimaginables et de railleries blessantes à l'école. Par la suite, des professeurs et maîtres de stage ont tenté de me dissuader de suivre un cursus agricole, au motif que j'avais de bons résultats scolaires. Or ce métier est passionnant ! J'ai envie de redorer son blason. Nombre d'agriculteurs ont des « bleus au coeur » et comptent sur moi pour porter le flambeau et travailler à améliorer l'image de notre métier. Je prône l'agriculture « décomplexée » : j'élève des porcs et je l'assume. Je fais ce métier dans le respect de l'environnement : c'est possible. Je préparais, avant de venir à cette audition, ma réunion du 2 juin dans les Ardennes : les agriculteurs veulent qu'on y parle des attaques dont ils font l'objet, notamment de la part des « anti-viandes ».

J'ai toujours cultivé la nécessité de bien communiquer, d'aller au-devant des autres avec une parole vraie, sincère et argumentée. La FNSEA a choisi une femme capable de se livrer et de montrer par la preuve ce que les agriculteurs font, concrètement. Les opposants syndicaux prétendent que le choix d'une femme relève d'un simple souci de communication. Moi, je montre l'agriculture telle qu'elle est. J'ai vu que vous aviez rencontré en Vendée Sylvie Douillard 282 ( * ) : voilà une agricultrice épanouie, impliquée. Les agricultrices ne sont pas des phénomènes !

L'un de mes collègues disait que PO, pour Pyrénées-Orientales, signifiait « pays oublié ». Nous, nous sommes la profession oubliée. Je souhaite décomplexer tout le monde en parlant de l'agriculture telle qu'elle est et non telle qu'elle est caricaturée. Combien de fois ai-je entendu mes enfants répéter tout le mal qu'en avaient dit leurs professeurs ?

Vous avez cité des actions des groupements de valorisation agricole. L'agriculture est un laboratoire social. À bien des égards, nous avons été des précurseurs : les coopératives d'utilisation du matériel en commun ne sont rien d'autre qu'un « Blablacar » physique et non numérique ; les services de remplacement ne sont rien d'autre que les services à domicile appuyés sur des plateformes numériques.

Catherine Procaccia . - En effet, cela existait bien avant !

Christiane Lambert . - C'est normal que le monde agricole soit un laboratoire social : quand on est loin de tout, il faut tout inventer.

Beaucoup de femmes participent à AFDI, avec lequel la Commission nationale des agricultrices travaille beaucoup. J'ai notamment accueilli une agricultrice burkinabé pendant trois semaines dans mon exploitation. Les femmes d'Afrique ont encore plus de mérite que nous.

J'en viens à l'annonce du Président de la République pour une loi de simplification et pour des « états généraux de l'alimentation ». L'empilement réglementaire, en effet, est insupportable. Les agriculteurs renoncent à des projets de méthanisation ou de réserve d'eau par crainte de lourdeurs administratives. En France, la mise en place d'un projet de méthanisation dure huit ans, contre deux ans à l'étranger. Face à ces difficultés, le nouveau ministre de l'Agriculture, Jacques Mézard, a l'air très pragmatique.

Le Président de la République a fait de la simplification une priorité. Ce serait vraiment une source d'économies pour notre pays. Et même si c'est la vingtième fois que l'on nous parle de simplification, j'y crois toujours.

M. Macron a touché du doigt un aspect majeur de la crise agricole. Les agriculteurs qui vendent en dessous des coûts de production se lèvent le matin pour perdre de l'argent. C'est insensé ! Il est anormal que le secteur de la distribution ait un tel poids et que les producteurs soient écrasés. C'est destructeur pour l'économie de nos territoires et pour l'emploi. Nous souhaitons donc une réforme de la loi de modernisation de l'économie, qui a ouvert un « boulevard » aux entreprises de distribution. Les agriculteurs ne comprennent pas qu'un groupe comme Savencia, qui affiche + 83 % de résultats nets, soit celui qui paie le lait le moins cher. Ce n'est pas tenable dans la durée.

La semaine dernière, le directeur du département opinion de l'IFOP pointait la confusion entre vote rural et vote agricole qu'évoquait M. Vaugrenard. Plus la dynamique agricole est forte dans une commune, moins elle vote FN - regardez la Bretagne et la Normandie, et à l'inverse, le Nord et le l'Est ! Nous n'avons pas du tout aimé que l'on nous colle cette étiquette « FN ». Ma commune compte 700 habitants, dont 500 votants, et quinze familles d'agriculteurs. Ces derniers représentent donc au mieux 30 bulletins. Est-ce qu'ils font le résultat du FN ? Non !

Certains syndicats cultivent le sentiment anti-européen. Pas la FNSEA. Au contraire, le sentiment pro-européen y est très développé. Nous pouvons dire que nous sommes pro-européens, que ce soit sur les questions de la monnaie, des marchés, des échanges ou de la circulation des biens et des personnes. Nos jeunes connaissent l'Europe, qu'ils sillonnent dans le cadre du programme Erasmus . Ils découvrent d'autres pratiques, puis décident de revenir s'installer en France : c'est extrêmement porteur. À la FNSEA, nous avons pris le parti d'expliquer ce qu'apporte l'Union européenne à l'agriculture, à la ruralité et à la société française. Nous nous réjouissons de l'issue du scrutin présidentiel.

Les Mooc et la formation à distance sont très importants mais, en effet, rien ne remplace le présentiel : il redonne le moral à des personnes qui captent de l'énergie dans le groupe. Il faut lever les freins à la formation en présentiel, je rejoins Mme Laborde sur ce point.

Les critères d'accès au RSA et à la prime d'activité ne sont pas adaptés au profil des agriculteurs, qui ne se versent pas de salaire mais prélèvent un revenu quand l'exploitation est rentable ou empruntent quand elle ne l'est pas.

Françoise Laborde , co-rapporteure . - La FNSEA travaille-t-elle aux critères d'accès ?

Christiane Lambert . - La FNSEA y travaille avec la MSA mais Bercy se montre plutôt « psychorigide » à cet égard.

Les Pyrénées-Orientales ont grandement souffert de la perte de production dans des secteurs tels que la viticulture, l'horticulture, le maraîchage et l'arboriculture. Une grande partie des surfaces consacrées à l'arboriculture et à la culture de la salade des Pyrénées-Orientales est désormais en friche. Comme le disent les producteurs, on regarde passer les camions espagnols et on accueille au salon professionnel MedFEL les producteurs de fruits de toute la planète. C'est extrêmement difficile pour les producteurs.

Hermeline Malherbe . - Les producteurs locaux sont présents au MedFEL. Cela a contribué à changer l'image des productions locales.

Christiane Lambert . - L'agriculture, c'est l'alimentation. Il faut le rappeler, alors que le rapport des Français à l'alimentation change. Ils sont de plus en plus attachés à l'origine des produits, à leur non-transformation, à la santé. J'entendais parler ce matin, sur BFM Business, d'une start-up , Frichti , qui cuisine des plats maison et les livre à domicile. Aux États-Unis, on construit des appartements sans cuisine car les habitants se font livrer. L'agriculture est prête à répondre à une demande de circuit court, raisonné, biologique et labellisé. Elle est prête à fournir les grands circuits commerciaux classiques comme McDonald's ou KFC. Elle est aussi prête à alimenter l'France et l'Angleterre en fruits et légumes du soleil. Elle peut également fournir la restauration à domicile. Nous soutenons tous les modèles d'agriculture car il y a de la place pour tous les modèles d'alimentation.

Élisabeth Doineau . - Merci pour ce témoignage. Avez-vous donné envie à vos enfants de devenir agriculteurs ?

En Mayenne, beaucoup de retraitées de l'agriculture souffrent du niveau très faible de leurs revenus. Ce n'est plus acceptable. Mènerez-vous un combat pour elles ?

Christiane Lambert . - J'ai trois enfants. L'aîné, 27 ans, travaille dans un cabinet d'avocats d'affaires à La Défense. Le deuxième a fait ses études à Sciences Po Bordeaux ; il y a découvert les grands enjeux alimentaires et a décidé de suivre un BTS agricole à Angers, en apprentissage. Il travaille actuellement en Pologne pour une entreprise française d'alimentation du bétail et est passionné par son métier. Enfin, ma benjamine, 18 ans, étudie en classe préparatoire véto-agro ; elle s'intéresse aux gros animaux. Je laisse libres mes enfants qui ont la fibre agricole. J'ai vu tant j'ai vu d'agriculteurs « exploser » à trente ans sous le poids d'un héritage qu'ils avaient embrassé sans le souhaiter ! J'ai également été une militante de l'installation hors cadre familial. Ce sont des fils ou filles spirituels que l'on accueille et c'est bien ainsi.

La retraite moyenne des agricultrices est de 500 euros mensuels. Même si celles qui partent aujourd'hui ont des niveaux de retraite plus élevés, certaines agricultrices âgées, qui ont beaucoup travaillé, qui ont une santé usée, touchent des retraites scandaleusement basses. Nous nous battons pour que le calcul de la retraite soit fondé sur les 25 meilleures années, ce qui pour l'instant n'a pas l'écho de Bercy. Le candidat Macron proposait d'augmenter les retraites de 200 euros : pour nous, ce serait un sacré progrès. En agriculture, un point de hausse équivaut à 2 milliards d'euros, or le secteur agricole compte trois fois plus de retraités que d'actifs... Pour commencer, il faudrait améliorer la fiscalité agricole afin d'encourager les agriculteurs à capitaliser pour leur retraite.

Catherine Procaccia . - Le Président de la République a évoqué la convergence de tous les systèmes de retraite. Cela fait quarante ans que j'entends parler de l'intégration de la MSA dans le régime général.

Christiane Lambert . - La convergence des niveaux serait bénéfique aux agriculteurs, puisque le niveau moyen général des retraites est de 1 300 euros mensuels contre 800 euros pour les agriculteurs et 500 euros pour les agricultrices.

La convergence des caisses serait un autre projet. Les frais de gestion de la MSA sont inférieurs à ceux des caisses de sécurité sociale et des autres caisses. En outre, ce serait une mauvaise réponse au sentiment de déclassement de la ruralité que de retirer les dernières antennes locales de la MSA, du Crédit Agricole ou de Groupama. L'intitulé du ministère de la « cohésion des territoires » me semble être tiré des enseignements du second tour de l'élection présidentielle.

Chantal Jouanno , présidente . - Voici une belle conclusion. Il nous reste à vous remercier, ainsi que Jacqueline Cottier, d'être venues témoigner devant nous.

Christiane Lambert . - Je vous fais part du plaisir et de la satisfaction des agricultrices des territoires qui vous reçoivent dans le cadre de vos travaux.

Audition de représentants de Jeunes Agriculteurs (JA)

(1 er juin 2017)

Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente

Chantal Jouanno, présidente . - Dans le cadre de nos travaux sur le rapport relatif aux agricultrices, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Karen Chaleix, secrétaire générale adjointe du syndicat Jeunes Agriculteurs , accompagnée de Xavier Heinzle, conseiller installation, que je remercie de leur présence.

Nos travaux ont débuté à l'occasion d'un colloque organisé le 22 février dernier au Sénat sur le thème « Être agricultrice en 2017 », lequel a rencontré un grand succès. Il s'agit d'identifier, au-delà des difficultés communes à tous les agriculteurs, les problématiques spécifiques aux femmes, afin de formuler des propositions.

Signe d'un intérêt unanime pour les questions abordées, le rapport d'information sur les agricultrices que nous préparons sera élaboré par un groupe de travail composé d'un membre par groupe politique.

En raison de la période électorale, les membres de ce groupe de travail ne peuvent malheureusement être présents ce matin et vous prient de bien vouloir les excuser. J'ai donc le plaisir de les représenter. Le nouveau Gouvernement et le nouveau Parlement issu des prochaines élections pourront, grâce à nos travaux, disposer de propositions claires pour leur début de mandat.

Depuis le colloque du 22 février, les co-rapporteur-e-s ont poursuivi leurs travaux, avec l'organisation de deux tables rondes en mars et avril, l'une sur l'enseignement agricole et la formation des agricultrices et l'autre sur les questions sociales. La semaine dernière, nous avons entendu Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, et nous avons procédé à trois déplacements : dans la Drôme, en Vendée et à Toulouse. Nous entendrons également la semaine prochaine la Confédération Paysanne , et un dernier déplacement est prévu en Bretagne.

Les différents témoignages recueillis au cours de nos auditions et déplacements ont bien souvent souligné les difficultés rencontrées par les agricultrices pour financer leur projet, mais aussi pour accéder aux aides à l'installation ou à la terre. C'est notamment sur ces problématiques que nous souhaiterions vous entendre.

Nos travaux ont également fait émerger des questions en matière de protection sociale, comme celles des statuts et des retraites.

Par ailleurs, nous nous intéressons beaucoup à l'accès des agricultrices à la formation continue, à laquelle elles contribuent plus qu'elles n'accèdent. Nous nous sommes également penchés sur la question de leur engagement au sein des instances agricoles.

Sur l'ensemble de ces questions, il s'agit d'identifier la réalité des faits et d'élaborer des propositions visant à améliorer la situation.

Avant toute chose, pourriez-vous commencer par nous présenter votre parcours et nous expliquer ce qui vous a menée à devenir secrétaire générale adjointe de Jeunes Agriculteurs ?

Ensuite, nous souhaiterions entendre votre point de vue sur la question des jeunes, les adhérents à votre syndicat étant tous âgés de 35 ans au plus.

Karen Chaleix, secrétaire générale adjointe du syndicat Jeunes Agriculteurs . - Permettez-moi tout d'abord de me présenter. Agricultrice installée en Haute-Vienne en EARL « mari-femme » pour la production de bovins-viande de race limousine, j'ai également créé une ferme pédagogique.

Originaire d'Orléans, je ne suis pas issue du milieu agricole. J'ai fait des études générales, puis choisi de m'orienter vers les métiers de l'agriculture en choisissant un DUT en agronomie, mon objectif étant de travailler au contact de la nature et des animaux, mais d'un point de vue technique. J'ai également suivi un cursus d'école d'ingénieurs en agriculture, à l'ESITPA de Rouen. Après avoir rencontré mon mari, qui était déjà installé sur une exploitation, je l'ai rejoint. Les aspects techniques appris pendant mes études ne coïncidant pas toujours avec la réalité, il m'a semblé opportun de travailler directement sur le terrain.

S'agissement de mon engagement syndical, j'ai commencé à m'investir au sein de Jeunes Agriculteurs au niveau cantonal. Le premier événement auquel j'ai participé a été « Nature Capitale ». Je suis encore vice-présidente de Jeunes Agriculteurs dans mon département, mais, depuis trois ans, je fais partie du Conseil d'administration national, pour le groupe « installation ». Depuis un an, je suis secrétaire générale adjointe.

Chantal Jouanno, présidente . - Ma première question concerne, justement en matière d'installation, l'accès aux aides et aux terres. Selon vous, les difficultés dans ce domaine concernent-t-elles plus les femmes que les hommes ? Avez-vous des propositions en la matière ?

Karen Chaleix . - Nous n'avons pas eu de remontées du terrain concernant un blocage, pour les femmes, de l'accès au foncier ou aux aides. Ces dernières sont accessibles aux hommes comme aux femmes, dans la mesure où les critères d'accessibilité sont remplis.

Certes, dans certaines campagnes lointaines, lorsqu'une femme souhaite s'installer « hors cadre familial », des personnes âgées pourraient se montrer inquiètes à l'idée de céder leur terre à une femme. Toutefois, les mentalités changent. Cette question rejoint celle de l'engagement dans un milieu d'hommes.

Chantal Jouanno, présidente . - S'agissant de la dotation jeunes agriculteurs (DJA), les femmes s'installant souvent plus tardivement que les hommes sur une exploitation, le critère d'âge limite de 40 ans pour accéder à cette dotation pourrait se révéler discriminant. Une telle situation vous paraît-elle avérée ? Dans cette hypothèse, un recul de l'âge limite au-delà de 40 ans vous semblerait-il intéressant ?

Karen Chaleix . - Un tel problème n'avait pas effleuré ma pensée. C'est vrai, le transfert entre époux donne tardivement accès aux femmes à l'installation. Selon nos statistiques, il semblerait qu'un nombre important de femmes - 44 % - s'installent à plus de 40 ans.

Un recul de l'âge limite de l'accès aux aides serait très certainement contrecarré par l'Europe. Par ailleurs, une telle mesure ne me semble pas mettre en valeur les femmes.

Chantal Jouanno, présidente. - Mais cela s'appliquerait aux hommes et aux femmes !

Karen Chaleix . - Hormis dans le cas de certaines reconversions professionnelles, l'installation se fait généralement vers l'âge de 30 ans. Cette mesure ne me paraît donc pas appropriée.

Chantal Jouanno, présidente . - Une fois la décision d'octroi de l'aide notifiée, le bénéficiaire doit élaborer son plan d'entreprise dans un délai de neuf mois : peut-on envisager de considérer la grossesse comme une circonstance exceptionnelle justifiant la non-réalisation des engagements prévus dans le plan d'entreprise, ce qui permettrait de repousser ce délai ?

Karen Chaleix . - Le plan d'entreprise s'effectue avant la notification d'aide, laquelle ouvre un délai de neuf mois pour procéder à l'installation. Par conséquent, la réalisation du plan d'entreprise et les formations nécessaires à l'obtention des aides sont limitées à deux ans.

Xavier Heinzle, conseiller installation au syndicat Jeunes Agriculteurs . - Entre l'agrément du plan de professionnalisation personnalisé et sa validation, le délai est de deux ans.

Karen Chaleix . - J'estime cette question très pertinente. Effectivement, que ce soit pendant les deux ans du plan de professionnalisation professionnalisé ou pendant les neuf mois qui suivent la notification d'aide, une éventuelle grossesse peut venir compliquer les choses. Il me paraît donc intéressant que les femmes puissent accéder à un report des délais limite dans ces circonstances.

Chantal Jouanno, présidente . - Avez-vous d'autres éléments à évoquer concernant la dotation jeunes agriculteurs ? Quelle est l'aide la plus avantageuse : la DJA ou le prêt bonifié ?

Karen Chaleix . - Les prêts bonifiés sont en cours de réforme. Il s'agit désormais d'une quatrième modulation de la DJA, dénommée « coût de reprise/effort de modernisation important ». En effet, nous nous étions rendu compte que les prêts bonifiés ne présentaient guère d'intérêt au regard des offres bancaires. Nous avons donc souhaité faire évoluer ce dispositif.

S'agissant de la DJA, il n'existe aucune différence entre hommes et femmes, comme je l'ai déjà fait observer.

Chantal Jouanno, présidente . - Au cours de nos travaux, plusieurs agricultrices ont fait état des difficultés rencontrées pour accéder aux aides financières ou au foncier. Des témoignages de ce type sont-ils entendus au sein de Jeunes Agriculteurs ? Est-ce une problématique sur laquelle vous travaillez ?

Karen Chaleix . - Nous travaillons beaucoup sur l'accession au foncier, dont le coût est très élevé et qui constitue aujourd'hui l'un des freins majeurs à l'installation.

Nous nous intéressons notamment à l'anticipation de la cession. Encore récemment, le cédant contactait la MSA six mois avant de partir à la retraite. Dès lors, il s'abstenait de remettre ses terres en culture ou de travailler à améliorer la génétique de son cheptel. Ainsi, au moment de l'arrivée du jeune, l'exploitation n'était plus en état de production. Nous oeuvrons donc à la mise en relation des jeunes avec les cédants en amont de la transmission. Bien évidemment, cette question ne se pose pas quand l'exploitation est reprise par les enfants. Dans chaque département, le RDI, le Répertoire Départ Installation, recense toutes les exploitations à reprendre ou en recherche d'un associé. Les stages de parrainage, qui durent de six mois à un an, permettent de vérifier la « compatibilité » du cédant et du jeune.

Xavier Heinzle . - Pour ce qui concerne la structuration du réseau de transmission, certaines régions ont fait le choix d'avoir des « points accueil transmission ». Pour le moment, la situation est très hétérogène selon les territoires. Nous nous efforçons de développer ces structures au niveau national, au travers notamment de l'appel à projets AITA (Programme pour l'Accompagnement à l'Installation et à la Transmission en agriculture).

Nous avons également le projet de développer une expertise nationale, destinée à permettre l'accès à un cadre national d'experts en matière de transmission : notaires, experts comptables, autres professionnels. Il s'agit de donner aux cédants, en toute transparence, un document unique réunissant l'avis de tous ces experts, ce qui devrait leur permettre de prendre convenablement leur décision. Il apparaît en effet qu'ils ne consultent le plus souvent qu'un seul organisme.

Karen Chaleix . - Nous avons réuni l'ensemble de nos propositions au sein d'un manifeste, qui a été remis aux candidats aux élections présidentielle et législatives. Nous voulons avancer pour ce qui concerne les actifs, mais aussi l'aide fiscale à la transmission d'exploitation.

Aujourd'hui, certaines personnes possèdent des terres, font faire du travail à façon et perçoivent des aides.

Chantal Jouanno, présidente . - Menez-vous des actions spécifiques pour convaincre les femmes de devenir agricultrices ? Si ce métier n'est pas réservé aux hommes, son image d'exigence physique et de solitude est telle qu'il apparaîtrait comme plus masculin que féminin. Cela peut contribuer à décourager des femmes de s'installer.

Karen Chaleix . - À ma connaissance, rien n'est spécifiquement prévu en ce sens au niveau national. Toutefois, il est possible que des actions soient menées dans certains départements.

Xavier Heinzle . - Je le rappelle, un tiers des installations sont faites par des femmes.

Karen Chaleix . - Jeunes Agriculteurs a mis en place un concours, les « Trophées de l'installation - Graines d'agriculteurs », avec un prix distinct selon la catégorie : innovation, grandes cultures, viande bovine... Un grand nombre de femmes ont été candidates, et leurs exploitations se sont avérées tout aussi louables que celles des hommes, ce que nous mettons en avant lorsque nous communiquons sur cet événement. En 2016, nous avons eu une lauréate. En 2015, on a compté une femme parmi les six finalistes. Pour autant, nous ne menons aucune action particulière pour favoriser ou encourager l'installation des femmes.

Chantal Jouanno . - Pensez-vous que ce serait nécessaire ?

Karen Chaleix . - Je ne sais pas comment répondre à votre question. Jeunes Agriculteurs prône l'égalité entre les hommes et les femmes à tous les niveaux. Sans doute pourrions-nous communiquer sur le fait que, contrairement à certaines idées reçues, une femme est capable de devenir agricultrice, en nous appuyant sur des témoignages. S'agissant de la promotion de l'installation des femmes, je suis moins convaincue...

Chantal Jouanno, présidente . - Je reviendrai sur la question de l'accès aux responsabilités.

Le sujet du statut de conjoint collaborateur est récurrent, vous le savez. Comment pourrait-on faire favorablement évoluer ce statut pour éviter que les agricultrices en restent « prisonnières » tout au long de leur carrière ? Partagez-vous un tel constat ? Que pensez-vous de la proposition visant à rendre ce statut temporaire, sur le modèle de ce qui a été fait pour l'aidant familial ?

Karen Chaleix . - À mes yeux, le statut de conjoint collaborateur concernait surtout la génération de nos parents et grands-parents, où la femme était très rarement cheffe d'exploitation. Je pensais que, depuis 2010, date à laquelle on a réussi à faire évoluer la réglementation avec la possibilité de créer des GAEC entre époux, ce qui n'était pas autorisé jusqu'alors, le statut de conjoint collaborateur était en voie de disparition. En réalité, on s'aperçoit que tel n'a pas été le cas en 2010. Je ne saurais pas expliquer les raisons d'une telle situation.

Xavier Heinzle - Le nombre de conjoints collaborateurs baisse depuis 2010, même si on observe un mouvement inverse en 2015. Toutefois, la diminution a été constante entre 2010 et 2014.

Karen Chaleix . - Si vous m'aviez posé la question d'un statut de conjoint collaborateur temporaire avant la création des GAEC entre époux, j'aurais répondu plutôt favorablement. Mais la situation a changé.

Pour ma part, je suis exploitante et mon mari est devenu, depuis cette année, conjoint collaborateur, essentiellement pour des raisons fiscales ou pour des motifs tenant aux aides. Mon mari ayant un petit emploi hors de l'exploitation, certaines aides ne nous étaient plus attribuées. Nous avons donc décidé de modifier son statut, car le fait qu'il soit conjoint collaborateur nous permettait de continuer à percevoir à la fois son salaire à l'extérieur de l'exploitation et les aides. À mes yeux, imposer une durée à ce statut serait une erreur.

Chantal Jouanno, présidente . - Seulement 55 % des femmes agricultrices ont recours au remplacement en cas de maternité. Comment pourrait-on faire évoluer le dispositif ?

Karen Chaleix . - Je suis pleinement concernée, en tant que trésorière de mon service de remplacement dans la Haute-Vienne. J'ai pour ma part eu recours au remplacement pour mes deux congés de maternité. Pourquoi les femmes ne sollicitent-elles pas cette aide ? C'est une réelle question.

En cas de congé de maternité ou de paternité, la MSA prend en charge les coûts, sauf environ 11 euros par jour pour un salarié pendant sept heures. Certes, sur quatre mois, cela représente un certain budget, mais disposer d'un salarié pendant quatre mois pour environ 1 000 euros, c'est donné ! Nous ne comprenons pas pourquoi tout le monde n'y recourt pas. Nous essayons, à l'échelle de mon département, d'en faire la promotion. La situation est à mon avis différente selon les départements et propre à chaque personne. Certains services de remplacement sont moins actifs que d'autres dans ce domaine. Certains exploitants ou exploitantes craignent aussi de laisser leur exploitation à des inconnus. Il faut quelqu'un de compétent ! Or dans mon département par exemple, les remplaçants les plus compétents sont très rapidement embauchés en tant que salariés.

La solution consisterait peut-être à allouer plus de moyens aux services de remplacement pour rémunérer les remplaçants. Changer tous les jours d'exploitation, sauf pour les congés de maternité qui durent quatre mois, c'est un travail délicat, aléatoire. Il faut chaque jour s'adapter, et pour un salaire minimum. C'est bien pour débuter et acquérir de l'expérience, mais pas au-delà.

Chantal Jouanno, présidente . - Je me demandais incidemment si ces remplaçants étaient plutôt des femmes ou des hommes.

Karen Chaleix . - Dans mon département, ce sont à 95 % des hommes. Ce chiffre est peut-être spécifique aux productions de chaque département. Dans les départements producteurs de petits fruits et ceux où la vente directe est développée, il y a sans doute plus de remplaçantes. Je reste en effet persuadée que, physiquement, il y a beaucoup de choses que les femmes ne peuvent pas faire. Même si certaines sont très compétentes en matière de mécanique, ce n'est tout de même pas notre spécialité, en général, de faire des réparations, etc. Personnellement, je ne me sentirais pas capable d'être toute seule en tant que remplaçante sur une exploitation. C'est également un frein, je pense.

Chantal Jouanno, présidente . - Nous avons débattu plusieurs fois de la nécessité que les remplaçants assurent une grande diversité de tâches, y compris familiales. Cette problématique est-elle prise en compte ? Fait-elle l'objet d'un arrangement au cas par cas ?

Karen Chaleix . - Effectivement, cette problématique est prise en compte. Depuis six mois, la Commission nationale des agricultrices, Jeunes Agriculteurs et le Service de remplacement France ont souhaité se pencher sur la question des freins à l'engagement des femmes sous l'angle du remplacement.

Pour ce qui est du travail sur l'exploitation, le système est opérationnel. Pour ma part, je ne peux pas monter à Paris si je ne suis pas remplacée sur l'exploitation, mon mari travaillant à l'extérieur. Nous sommes en train de distribuer des questionnaires dans nos réseaux respectifs pour connaître les besoins de chacun, femmes et hommes. Nous nous demandons s'il ne faudrait pas développer le remplacement pour y intégrer les gardes d'enfants, l'aide ménagère. Les tâches administratives en revanche, au-delà de leur caractère confidentiel, qui à mon avis rend difficile de les confier à quelqu'un de passage, ne prennent pas énormément de temps et peuvent facilement être menées de front avec d'autres activités. En revanche, la garde des enfants reste un important blocage pour moi aujourd'hui. La question du ménage passe en dernier... (Sourires.)

Chantal Jouanno, présidente . - C'est un sujet que vous avez bien identifié. Avez-vous prévu de formuler des propositions à une échéance donnée ?

Karen Chaleix . - Nous débutons nos réflexions à travers le questionnaire dont je viens de parler. Nous n'avons pas encore fixé de calendrier. Dès que nous aurons ciblé les besoins, nous essaierons de faire des propositions.

Chantal Jouanno, présidente . - Tout ce que nous pouvons mettre en synergie pour faire progresser le sujet nous intéresse énormément.

Autre sujet : avez-vous travaillé sur la question de l'accès aux responsabilités aux JA ?

Xavier Heinzle . - Nous avons découvert récemment que les anciens statuts prévoyaient un minimum de femmes. Actuellement, nous comptons seulement deux femmes sur trente-sept administrateurs. Il est difficile de mobiliser les femmes, notamment dans les instances qui imposent la parité. Est-ce dû au manque de temps, à un blocage psychologique ?

Karen Chaleix . - Il existe plusieurs freins, que nous abordons notamment avec le Service de remplacement et surtout avec la Commission nationale des agricultrices. L'âge auquel on peut s'engager chez les JA est celui où l'on fonde sa famille. C'est un frein à l'engagement de femmes jeunes, particulièrement au niveau départemental. C'est moins vrai au niveau national. Le plus dur, localement, c'est de gagner le droit d'être écoutée ! Dans ma campagne limousine profonde, mais aussi dans d'autres territoires, les femmes doivent faire deux fois plus leurs preuves ! Je ne sais pas si c'est le cas en politique...

Chantal Jouanno, présidente . - Une femme jeune en politique ? Oui ! (Sourires.)

Karen Chaleix . - Pour les générations précédentes, c'était encore plus vrai, la femme, de toute façon, n'ayant pas son mot à dire. Aujourd'hui, les moeurs évoluent, plus ou moins vite selon les échelons et les territoires. Depuis que je suis engagée au niveau national, je me rends compte que les mentalités évoluent chez les jeunes, mais le processus est long. Au-delà de l'aspect personnel et familial, le regard porté sur les femmes est également un frein. C'est en faisant nos preuves que nous démontrerons que nous avons notre place.

En revanche, je ne suis pas favorable à la parité imposée, car ce serait nous mettre en porte-à-faux par rapport à la proportion de femmes dans la profession agricole. Lors des élections aux chambres d'agriculture en 2013 dans mon département, les hommes ont mal perçu l'obligation de parité ; selon eux, on excluait des hommes compétents pour inscrire des noms de femmes. Ce n'est pas valoriser nos compétences que d'imposer la parité, mais, malheureusement, je crains que, dans les années à venir, ce soit de pire en pire. On ne trouvera pas de femmes, qui ne seront vraiment que des noms sur des listes, et ce sera à mon avis la catastrophe.

Chantal Jouanno, présidente . - Nous connaissons le problème dans le milieu politique.

J'aimerais vous interroger sur l'accès à la formation continue. Le constat est que les agricultrices contribuent davantage au financement de la formation continue qu'elles n'en bénéficient. Est-ce un sujet dont vous avez été saisie, dont vous avez débattu au sein de vos instances ?

Karen Chaleix . - Nous n'avons pas développé ce sujet et la réponse à cette question est la même que pour l'engagement. Je n'ai pas les chiffres sous les yeux, mais il me semble, du moins dans mon département, que les femmes s'installent plus tard parce qu'elles ont un niveau d'études supérieur à celui des hommes. Potentiellement, le besoin de formation est moindre puisqu'elles ont déjà un niveau plus élevé au départ. Cela reste à confirmer au niveau national.

Chantal Jouanno, présidente . - Selon vous, le fait que les jeunes agricultrices aient un niveau d'études supérieur à celui des jeunes agriculteurs est une des raisons qui explique qu'elles n'ont pas nécessairement besoin d'accéder ensuite à la formation ?

Karen Chaleix . - Oui. Cela étant, les femmes participent largement aux formations administratives. La liste des formations disponibles est propre à chaque département, mais si je prends l'exemple de mon département, les formations ont trait aux itinéraires culturaux, à la mécanisation, au semis simplifié... Or, en règle générale, sauf pour celles qui sont seules sur leur exploitation, les femmes s'occupent rarement de l'aspect productif des terres, mais plus de l'aspect animal ou des questions administratives. La majorité des formations traitant de la production végétale et de la manutention des animaux, les femmes sont peut-être moins concernées, mais c'est surtout vrai dans les exploitations où travaillent à la fois des hommes et des femmes.

Chantal Jouanno, présidente . - J'ai pratiquement épuisé ma série de questions mais peut-être souhaitez-vous revenir sur d'autres points ?

Karen Chaleix . - J'aimerais connaître le calendrier de rédaction de votre rapport.

Chantal Jouanno, présidente . - Dans le principe, ce rapport doit être adopté au tout début de juillet. Idéalement, nous aimerions qu'il donne lieu à un débat avec les personnes que nous avons auditionnées, de préférence en septembre, avant les élections sénatoriales. Notre délégation sera recomposée après les prochaines élections et les rapporteurs ne seront plus nécessairement toujours membres du Sénat ou de la délégation.

Karen Chaleix . - En dehors de la FNSEA et de la Confédération paysanne , quelles sont les autres organisations que vous avez auditionnées ?

Chantal Jouanno, présidente . - La Coordination rurale nous a adressé une réponse. Nous nous sommes aussi adressés à la MSA, au ministère et, bien sûr, à des témoignages de terrain.

Karen Chaleix . - Avez-vous rencontré la nouvelle secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa ?

Chantal Jouanno, présidente . - Nous attendons que les élections législatives soient passées pour lui proposer une audition.

Ce choix du sujet des agricultrices a suscité, je dois le dire, des retours extrêmement positifs au sein de tous les groupes politiques du Sénat. C'est un sujet méconnu, y compris au sein de la délégation. L'agriculture n'avait jamais été envisagée sous l'angle des agricultrices.

Vous avez évoqué le coût du remplacement en cas de congé de maternité ou de paternité : l'aide de 11 euros par jour est-elle allouée au niveau national ou au niveau départemental ?

Karen Chaleix . - Je pense que cette aide est prise en charge par la MSA, donc au niveau national. Je pourrai vous apporter une confirmation ultérieurement.

Chantal Jouanno, présidente . - La DJA est-elle cumulable avec le fonds de garantie à l'initiative des femmes ?

Karen Chaleix . - C'est cumulable avec toutes les aides, notamment avec les fonds de garantie et les financements participatifs. Une exception concerne les prêts d'honneur octroyés par Initiative France.

Chantal Jouanno, présidente . Je vous remercie pour cet échange très riche.

Audition de représentantes de la Confédération Paysanne

(7 juin 2017)

Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente

Chantal Jouanno , présidente . - Dans le cadre de nos travaux sur le rapport relatif aux agricultrices - dont le titre, je le précise, n'est pas encore défini -, nous avons le plaisir d'accueillir deux représentantes de la Confédération paysanne : Christine Riba, secrétaire nationale et paysanne dans la Drôme, et Véronique Léon, ancienne secrétaire nationale et paysanne en Ardèche. Toutes deux sont accompagnées de Mathieu Dalmais, qui est animateur à la Confédération paysanne et s'occupe, entre autres sujets, de la question des femmes.

Je précise que notre réunion fait l'objet d'une captation vidéo.

Nos travaux ont débuté au mois de février, à l'occasion d'un colloque organisé au Sénat, et dont je vous invite à revoir la vidéo sur le site de notre institution. Ce colloque a suscité un tel intérêt que tous les groupes politiques du Sénat ont souhaité participer à ces travaux et ont tous désigné un ou une rapporteur. Nous comptons donc six co-rapporteur-e-s : Annick Billon, pour le groupe UDI-UC, Corinne Bouchoux, pour le groupe Écologiste, Brigitte Gonthier-Maurin pour le groupe communiste, Françoise Laborde pour le RDSE, Didier Mandelli pour le groupe Les Républicains et Marie-Pierre Monier pour le groupe socialiste. Cette dernière ne pouvait être présente aujourd'hui en raison d'un contexte électoral particulièrement chargé.

Depuis le colloque du 22 février, nous avons organisé deux tables rondes en mars et en avril, l'une sur l'enseignement agricole et la formation des agricultrices, l'autre sur les questions sociales. Nous avons également mené un certain nombre d'autres d'auditions : celle de Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, le 23 mai, et celle des représentants de Jeunes agriculteurs jeudi dernier.

Nos co-rapporteur-e-s se sont rendus sur le terrain : dans la Drôme le 6 avril, en Vendée les 15 et 16 mai et à Toulouse le 30 mai. Un dernier déplacement est prévu en Bretagne le 14 juin.

Nous espérons pouvoir adopter le rapport en délégation d'ici au début du mois de juillet et organiser un débat sur ses conclusions à la rentrée, au mois de septembre idéalement. Nous aurons alors des députés « tout frais » et des sénateurs tout à fait intéressés à montrer qu'ils sont présents sur ce sujet.

Les différents témoignages recueillis au cours de ces nombreux déplacements et auditions sont assez concordants. Ils soulignent les difficultés rencontrées par les agricultrices pour financer leur projet d'installation et accéder à la terre, ainsi que celles auxquelles elles sont confrontées en matière de protection sociale, avec la question des statuts et des retraites en particulier.

Nous nous intéressons aussi beaucoup à leurs difficultés d'accès à la formation continue et, sujet récurrent qui n'est pas propre au monde agricole, à leur insuffisante représentation dans l'ensemble des instances décisionnelles, cette faible représentation n'étant pas uniquement liée à des considérations de conciliation des temps.

Dans la continuité de ces travaux, il nous paraissait nécessaire de recevoir votre syndicat, particulièrement soucieux de la « défense des droits, du revenu, de l'autonomie et de l'avenir des paysans ». Aussi, nous souhaiterions vous entendre, d'abord de manière très générale, puis à travers les questions des co-rapporteurs, sur le constat que vous dressez s'agissant de la situation des femmes dans le milieu agricole et des difficultés que celles-ci rencontrent pour accéder au métier d'agricultrice ou de paysanne ; le cas échéant, sur les propositions que vous formulez pour remédier à cette situation. Peut-être, au préalable, serait-il intéressant que vous nous présentiez votre propre parcours, puisque vous êtes deux femmes ayant, précisément, accédé aux instances de décision de votre syndicat.

Chistine Riba, secrétaire nationale de la Confédération paysanne et paysanne dans la Drôme . - Je tiens tout d'abord à vous remercier de votre invitation et du travail que vous menez sur la place de la femme dans l'agriculture. Nous sommes ravis de voir que nos élus se penchent très sérieusement sur ce sujet, qui nous tient à coeur.

La Confédération paysanne a placé l'agriculture paysanne au coeur de son action. Cela implique différentes dimensions, que nous représentons sous la forme d'une marguerite à plusieurs pétales. Nous accordons dans ce cadre une importance particulière au volet social. Cet aspect de notre lutte peut être considéré comme novateur.

S'agissant de mon parcours, après avoir obtenu un BTS agricole, j'ai été salariée agricole pendant plusieurs années. Puis, j'ai alterné entre animation et travail sur les exploitations.

Mes envies d'installation remontent à mes quinze ans. Mais j'ai vite compris que je ne pouvais pas mener un tel projet seule. Il me fallait trouver des complémentarités en termes de compétences. C'est la raison pour laquelle je ne me suis installée que beaucoup plus tard, à l'âge de quarante ans, après avoir eu trois enfants. Je me suis décidée à l'issue de mon dernier congé parental. Mon mari n'est pas agriculteur ; il travaille à l'extérieur. Mais étant très bricoleur, il peut m'aider avec les réparations de matériel. J'ai commencé avec du raisin de table en agriculture biologique. Puis, nous avons complété l'exploitation avec une activité de gîte.

Je me suis toujours intéressée à ce qui se passait au niveau de la Confédération paysanne et je me suis toujours investie dans le tissu associatif, étant convaincue que chacun doit faire sa part pour que le monde tourne. L'engagement a donc du sens pour moi. J'ai d'ailleurs été pendant dix ans conseillère municipale.

Au moment de mon installation, j'ai commencé à m'investir dans la Confédération paysanne , au niveau départemental, puis régional, enfin national. Depuis un an et demi, je suis membre du secrétariat national. Dans ce cadre, je me suis penchée sur les dossiers OGM semences, femmes, bio, relocalisation ; je m'occupe aussi des Rencontres nationales des agricultures et suis impliquée sur le volet international, avec la Via campesina 283 ( * ) .

Véronique Léon, ancienne secrétaire nationale de la Confédération paysanne et paysanne en Ardèche . - Je m'associe aux remerciements qui viennent d'être exprimés ; c'est un honneur de pouvoir nous entretenir avec vous.

Pour ma part, ma vocation remonte à mes dix-huit ou dix-neuf ans. Originaire de Paris, j'ai eu un véritable coup de foudre pour l'agriculture. J'ai effectué des stages avant de m'installer une première fois, avec mon premier mari, en 1978. Cette expérience a duré huit ans, pendant lesquels j'ai travaillé quinze heures par jour. Mais comme j'étais alors ayant droit, sans aucun statut, je ne bénéficie d'aucun point de retraite pour cette partie de ma vie professionnelle.

Après notre séparation, mon ancien mari ayant gardé la ferme, j'ai repris des études agricoles et j'ai travaillé douze ans en chambre d'agriculture, en tant que technicienne caprin et fromagère. Ces douze années me rapporteront les deux tiers de ma maigre retraite.

Mon nouveau mari était fils d'agriculteur et avait le désir de monter une ferme. Malgré ma crainte d'un nouvel échec, nous nous sommes lancés. Nous avons démarré une activité à partir de rien : j'étais mère de quatre enfants et j'avais conservé mon travail. Nous avons commencé avec 25 chèvres laitières. Nous en avons aujourd'hui 58 et exploitons, en plus, trois hectares de châtaigniers. Nous travaillons en agriculture biologique et transformons toute notre production, ce qui nous permet d'en vivre très bien.

Quand le statut de conjointe collaboratrice a été créé en 2000, j'ai sauté sur l'occasion. C'était déjà mieux que rien et cela me permettait de quitter la chambre d'agriculture. Mais je voulais avoir un vrai statut : en 2011, mon mari et moi avons donc opté pour un dispositif de GAEC - Groupement agricole d'exploitation en commun. C'est extrêmement valorisant d'être à parts égales dans l'exploitation, de pouvoir faire valoir mon statut d'associée à part entière, y compris face à mon mari quand il prend des décisions seul. Cette étape est importante dans mon parcours : je ne pensais pas que cela me changerait à ce point.

Désormais, je suis en phase de transmission, au bénéfice d'une jeune femme de trente ans, qui suit un stage « Reprise d'exploitation agricole » pendant un an. Ce dispositif, financé par la région, est très intéressant. Si tout se passe bien, je serai l'année prochaine pensionnée de la Mutualité sociale agricole (MSA), à raison de 690 euros par mois !

Mon parcours militant a démarré assez tard, en 2003, mais nous avons la possibilité, à la Confédération paysanne , de nous retrouver très rapidement aux responsabilités. Après avoir été secrétaire nationale pendant deux ans, je fais désormais partie de certaines commissions, notamment la commission « femmes », et suis très impliquée au niveau local. Je participe aussi beaucoup au projet Via campesina , qui me tient à coeur.

Chantal Jouanno , présidente. - Quels sont, d'après vous, les points les plus marquants s'agissant de la situation des femmes dans l'agriculture ?

Christine Riba. - L'une des revendications de base que nous portons n'est pas propre au monde agricole. Il s'agit d'assurer, à travail égal, un salaire égal.

La question de la parité nous tient également à coeur. Voilà quelques années, des femmes se sont attachées à revendiquer la parité au niveau de la Confédération paysanne . Nous ne sommes pas encore parvenus à une stricte parité, mais le ratio de 30 % que nous avons fixé pour toutes les instances représentatives de la Confédération paysanne est scrupuleusement respecté : si l'on ne trouve pas suffisamment de femmes, le nombre de représentants est diminué dans les instances concernées.

Nous travaillons aussi à la féminisation de tous les textes émanant de la Confédération paysanne . C'est une façon d'attirer un peu plus l'attention sur cette problématique.

Véronique Léon. - Nous nous sommes bagarrées pour que la situation évolue, car, à plusieurs reprises, nous avions constaté à quel point il manquait de femmes à la tribune. Un autre exemple, à la Chambre d'agriculture de l'Ardèche, où j'ai été élue pendant deux mandats, le Bureau était composé de six hommes et d'une femme, qui était systématiquement reléguée en bout de table, derrière le pot de fleurs ! Au bout d'un moment, elle n'est plus venue. Le travail restant à faire sur la représentation féminine est donc considérable.

Christine Riba . - En préparant cette rencontre, nous avons pu constater que nos principales revendications - le droit au revenu, l'évolution des prestations sociales et l'amélioration des dispositifs de retraite - concernent aussi bien les hommes que les femmes, mais ces problématiques sont un peu plus accentuées chez les femmes. Sur toutes ces thématiques, c'est un travail général qui doit être mené.

Françoise Laborde , co-rapporteure . - Ma première question concerne le foncier et les aides financières. Vous n'avez rien dit de la façon dont vous avez obtenu vos terres et, en tant que représentantes de la Confédération paysanne , vous devez être informées de certains problèmes. Comment préconisez-vous de les résoudre ?

Le stage « Reprise d'exploitation agricole » a été évoqué. Nous avons vu, lors de nos déplacements, que certains dispositifs n'existent pas forcément partout. Est-ce le cas de ce type de stages ? Il est intéressant, pour nous qui devons émettre des recommandations, d'avoir connaissance des expériences positives menées sur certaines zones du territoire et pouvant être généralisées sans trop de difficultés.

Brigitte Gonthier-Maurin , co-rapporteure . - Les différentes auditions que nous avons menées et nos déplacements sur le terrain nous laissent le sentiment de parcours très difficiles, hachurés, dans lesquels on essaie, on renonce, on recommence. Vous parlez de combat ; nous combattons aussi ! Hier encore, j'ai reçu une lettre dans laquelle on s'adressait à moi en m'appelant « madame le sénateur » !

Mes interrogations portent également sur l'accès au foncier. Par ailleurs, cela a été mentionné, il faut s'attaquer à la nature des prestations sociales, car nous avons pu constater les difficultés liées aux congés de remplacement et aux congés de maternité, y compris en cas de grossesse problématique. La question de la retraite, enfin, est primordiale, mais elle est indissociable de la question de la pérennité d'un revenu, évidemment égal à celui des hommes.

Le statut a d'ores et déjà évolué. Toutefois, quelle mesure faudrait-il prendre immédiatement pour apporter un peu plus de soulagement et asseoir un statut protecteur ?

Corinne Bouchoux , co-rapporteure . - Notre rapport porte sur les agricultrices. Toutes deux membres de la Confédération paysanne , vous vous revendiquez « paysannes ». Pouvez-vous expliciter comment ces deux termes se recouvrent et se distinguent ?

Par ailleurs, au-delà des grands thèmes que nous allons aborder et qui vous tiennent à coeur, j'aimerais profiter de votre présence pour savoir comment la Confédération paysanne réfléchit à une évolution de l'agriculture, afin de rendre celle-ci moins intensive et moins utilisatrice de pesticides.

Véronique Léon . - L'accès au foncier est, en matière d'installation, l'un des problèmes les plus aigus. Voilà vingt ans que mon mari et moi sommes installés : nous avons péniblement obtenu trois hectares, la mairie nous en a donné trois autres en fermage pour nous aider, et tout le reste des 74 hectares que nous déclarons à la PAC relève d'accords précaires, y compris les trois hectares de châtaigniers.

Il est vraiment difficile d'obtenir un bail ou une vente, et l'accroissement des fermes et l'urbanisation restreignent encore plus l'accès au sol.

Je ne pense pas que, en la matière, il y ait une véritable différence entre un homme et une femme, mais le combat est encore plus rude lorsqu'on est une femme. Je pense à une jeune maraîchère de ma région qui, cherchant depuis dix ans des terres en céréales avec le projet de devenir paysanne boulangère, a dû batailler ferme pour récupérer dix hectares de terres céréalières qui se sont libérées voilà un an et sur lesquelles tous les agriculteurs du coin se sont jetés comme des voraces. Elle aussi a reçu des lettres dans lesquelles on l'appelait « monsieur », et ce n'était pas une erreur !

Dernier point, du fait de la faiblesse des retraites, les agriculteurs partant à la retraite ont souvent du mal à laisser la terre pour un prix relativement bas.

Ce sujet de l'accès à la terre est donc une vaste question.

Christine Riba . - Nous savons que certains ont le projet de retravailler le statut du fermage. Nous ne lâcherons rien en la matière : ce statut, dont l'élaboration a pris du temps, est protecteur pour les paysans.

Les questions de l'installation et de la transmission vont de pair. Si nous progressons en matière d'installation, il reste beaucoup à faire au niveau de la transmission, qui met en jeu beaucoup de facteurs humains. Seul un voisin ou un collègue - et non un technicien - peut aborder ce sujet avec un paysan proche de la retraite. Il est alors possible de lui présenter un jeune ou un moins jeune avec un projet d'installation. Il y a donc là un véritable travail de coordination et d'animation à mener. Or, dans certaines régions, comme en Auvergne-Rhône-Alpes, les financements manquent pour cela.

Il en va de même pour les pépinières, qui existent dans plusieurs endroits. Ce sont soit des lieux achetés par des collectivités locales, soit des terres cédées par des paysans ou des paysannes, qui permettent à de jeunes porteurs de projet de tester et d'expérimenter leur projet. Ces dispositifs, qui donnent des résultats assez intéressants, exigent également un minimum d'animation et de coordination.

Véronique Léon . - Il existe un document qui est adressé à ceux qui sont sur le point de partir à la retraite : la DICAA ou déclaration d'intention de cessation d'activité agricole. Une fois renvoyée à la chambre d'agriculture, celle-ci est censée mettre en relation les cédants avec des porteurs de projet. Nous souhaiterions rendre cette déclaration obligatoire, afin de faciliter les travaux d'approche.

Par ailleurs, il me semble que le stage « Reprise d'exploitation agricole » existe dans toutes les régions, peut-être avec des modalités et un financement différents. S'agissant de notre cas, la personne qui va me remplacer sur la ferme perçoit pendant un an 710 euros par mois, auquel nous ajoutons 450 euros. Elle est en outre nourrie et dispose d'une assurance sociale. Le financement est assuré par la région. Il n'est donc sans doute pas uniforme selon les territoires.

Brigitte Gonthier-Maurin , co-rapporteure . - Cette situation peut conduire à des inégalités d'accès au dispositif.

Christine Riba . - Nous réclamons effectivement que de telles mesures soient homogénéisées au niveau national.

Véronique Léon . - Nous parlons de combat, car c'est un parcours difficile que d'être paysan ou paysanne. Il faudrait déjà promouvoir l'installation progressive. Pour obtenir des aides à l'installation, il faut tout de suite se lancer dans des investissements inconsidérés, des projets d'agriculture productiviste, alors que l'on peut parfaitement s'en sortir avec peu, en achetant d'occasion, en étant économe.

La question des remplacements est également de première importance, que ce soit pour les maternités, les maladies, mais aussi pour les vacances ou les surcroîts d'activité. Les services de remplacement m'ont sauvé la vie, mais ils n'existent pas partout et leur fonctionnement varie aussi selon les zones, ce qui crée une offre inégale. Par exemple, dans mon département, nous payons 60 euros pour une journée de formation, quand d'autres paient 90 euros ou 40 euros.

Christine Riba . - La problématique des congés peut paraître anecdotique, mais nous avons aussi besoin de vacances et de pouvoir déconnecter. À l'heure où l'on parle de burn out et de suicides des paysans, c'est un besoin réel. Peu se l'autorisent ; en l'absence d'aide, la situation va perdurer.

Véronique Léon . - Les services de remplacement constituent vraiment un bel outil. À ce titre, je trouve dommage qu'il ne soit désormais plus nécessaire de passer par un Service de remplacement pour pouvoir récupérer des jours de congés. Ce sont des associations locales, qu'il convient de faire travailler, et la démarche est plus forte.

Christine Riba . - Il n'existe pas de Service de remplacement partout et, parfois, la démarche est lourde et complexe. Cela explique que certaines femmes ne se fassent pas remplacer.

Véronique Léon . - Une autre raison est le manque d'informations. Compte tenu des savoir-faire assez complexes, les paysans ou paysannes ont souvent tendance à croire que personne ne peut les remplacer. Or il est parfaitement possible - comme je l'ai fait - de prendre une personne du Service de remplacement qui ne travaillera que pour celui ou celle qui en fait la demande, par exemple dans le cadre d'un congé de maternité, et, donc, de la former. Il faut le faire savoir.

En ce qui concerne les retraites du régime agricole, les femmes touchent 550 euros en moyenne par mois pour une carrière complète, contre 830 euros pour les hommes, soit un tiers de moins. Cherchez l'erreur ! Le même écart existe pour les autres professions. Il est vrai que nous n'avons pas beaucoup cotisé, mais une refonte générale nous apparaît comme nécessaire.

Dans le statut d'exploitant agricole, la cotisation annuelle minimale est de 3 000 euros, ce qui peut représenter une somme élevée, par exemple en phase de démarrage de la ferme. C'est pour cela que nous défendons l'idée d'une installation progressive. Des mécanismes existent déjà, mais ils ne suffisent pas.

De manière générale, la Confédération paysanne , qui préfère le terme de cotisation plutôt que celui de charge, propose de diminuer ce minimum, mais aussi d'augmenter le plafond des cotisations afin d'en accroître la proportionnalité. Il existe un plafond de cotisation sur les plus gros revenus. Pourquoi ne pas le supprimer ? Il faut savoir que, en 2016, beaucoup de paysans n'ont gagné que 350 euros par mois. Ce niveau ne peut que creuser les dettes et aboutir à des retraites encore plus minables qu'elles ne le sont aujourd'hui. Nous revendiquons un niveau de retraite d'au moins 1 000 euros par mois pour toutes les carrières complètes. On en est loin !

Christine Riba . - Nous insistons beaucoup sur cette absence de progressivité. Je vais vous citer mon exemple. Lorsque j'ai démarré l'exploitation, je ne pouvais pas bénéficier du statut agricole, parce que la surface était insuffisante. Je me suis donc installée sous le statut de cotisante solidaire : j'étais couverte par mon mari, qui travaillait à l'extérieur, en termes de protection sociale. Je n'avais donc pas de droits en mon nom, en particulier au titre de la retraite. Aujourd'hui, la notion de cotisant solidaire évolue et la question se pose de savoir si je passe sous le statut d'exploitante agricole : en tant que militante syndicale, je préférerais évidemment cette solution, mais elle pourrait entraîner une augmentation des cotisations, alors même que je bénéficie de la couverture sociale de mon mari.

Les cotisations minimales sont toujours très élevées, en particulier pour les petites structures. Il faut donc lier plus nettement les cotisations aux revenus et appliquer davantage de proportionnalité.

Véronique Léon . - Paysan ou agriculteur ? Le mot paysan correspond mieux à notre philosophie et au mode de ferme que nous défendons ; nous ne voulons pas réduire ce qui est, au fond, notre vie à simplement un métier. D'une certaine manière, je relie cela à l'approche que les compagnons ont de leur profession : ils estiment que, toute leur vie, ils apprennent et transmettent.

Christine Riba . - Pour nous, il ne s'agit pas seulement d'un métier ; notre approche est plus large, elle inclut la relation et le partage avec les autres, ce qu'on sent davantage dans le mot paysan. Beaucoup de nos collègues étrangers de la Via campesina parlent plutôt d'agro-écologie, mais ils connaissent, en pratique, la même différence que nous entre une agriculture industrielle et une agriculture paysanne.

Annick Billon , co-rapporteure . - Lors de nos déplacements, nous avons pu constater que de plus en plus de femmes s'installent, mais qu'elles ressentent souvent un sentiment d'isolement. Elles étaient d'ailleurs heureuses de participer à nos travaux, car elles y ont aussi vu le moyen de mieux se structurer et partager leurs problèmes. Nombre de ces femmes se sentent seules face à leurs préoccupations et rencontrent des difficultés pour s'engager et aller vers d'autres agricultrices ou agriculteurs.

Lors du déplacement organisé par Françoise Laborde à Toulouse, nous avons visité plusieurs établissements de formation. Nous avons constaté que, derrière une certaine parité globale, il existait en fait une spécialisation : les femmes sont nettement plus souvent dans les métiers de service. Quelles sont les mesures qui pourraient, selon vous, attirer les femmes vers d'autres métiers de l'agriculture ? En particulier, comment les inciter à s'installer ?

Enfin, avez-vous constaté des progrès par rapport aux difficultés que vous France-même vécues durant vos parcours ? Et conseilleriez-vous à vos filles d'aller vers ces métiers ?

M. Didier Mandelli , co-rapporteur . - Lors du colloque organisé par la délégation et durant les déplacements, nous avons souvent entendu le fait que les femmes avaient une propension plus forte à se tourner vers une agriculture plus respectueuse, axée sur des circuits courts et des contacts avec le consommateur. Qu'en pensez-vous et retrouvez-vous cette différence d'approche entre les hommes et les femmes au sein de la Confédération paysanne ?

Chantal Deseyne . - Je dois d'abord dire que je suis une élue d'Eure-et-Loir, département agricole qui ne se limite pas à la Beauce... À l'est du département, il y a le Perche, où se pratique l'élevage.

Je souhaite revenir sur l'évolution des mentalités et sur les retraites. Quelle place les hommes consentent-ils à laisser aux femmes dans l'agriculture ? Est-ce que les mentalités évoluent ? En ce qui concerne les retraites, qui sont clairement insuffisantes dans le monde agricole - nous en sommes bien d'accord -, quelles sont précisément vos propositions ? Vous évoquiez une forme de péréquation, mais elle existe déjà de fait, puisque, quel que soit le département ou la forme d'agriculture, la retraite tourne autour de 850 euros par mois.

Christine Riba . - En ce qui concerne l'isolement, hommes et femmes peuvent le ressentir, même si ces dernières le ressentent sûrement plus directement. Cela dépend beaucoup du dynamisme du territoire. Les ADEAR, associations pour le développement de l'emploi agricole et rural créées par la Confédération paysanne , à l'échelle départementale et régionale, avec aussi une fédération nationale, sont ouvertes à tout le monde - pas seulement à nos adhérents - et permettent d'accueillir des porteurs de projets, de mettre en place des formations ou d'organiser des espaces de rencontres ou des cafés paysans. Ces structures très dynamiques accueillent souvent une forte proportion de femmes.

Véronique Léon . - Il est vrai que les femmes sont souvent plus isolées. Par exemple, quand on organise une formation, il faut vraiment aller les chercher pour qu'elles s'inscrivent. C'est la même chose pour un engagement militant ; vous le savez, les femmes ne se mettent pas souvent en avant. Le premier pas est difficile - ne serait-ce que pour laisser le mari préparer à manger -, mais une fois qu'elles y sont, cela crée une émulation et elles peuvent discuter ensemble de leurs problèmes.

L'isolement peut aussi être accentué par le déséquilibre dans la répartition du travail : aux hommes, les travaux techniques ou physiques ; aux femmes, la transformation, la vente, l'accueil... et les enfants !

Christine Riba . - À la Confédération paysanne , il n'y a pas franchement de différence entre les hommes et les femmes en ce qui concerne la mise en avant des circuits courts ou de la vente directe. Environ 60 % de nos adhérents ont une ferme en bio. Il n'y a donc pas d'automaticité, mais il existe un lien avec la notion d'agriculture paysanne, proche des territoires, que nous défendons.

Cette année, nous mettons particulièrement en avant le thème du droit au revenu. Aujourd'hui, le système fait que les revenus des paysans sont souvent faibles : tant que cette situation perdurera, les problèmes de prestations sociales faibles, en particulier pour la retraite, persisteront eux aussi. De plus, lorsque les revenus sont faibles, c'est souvent la femme qui est contrainte d'aller trouver un emploi ailleurs pour « faire bouillir la marmite »...

Si les produits agricoles étaient mieux rémunérés et payés au juste prix, on aurait peut-être moins de problèmes sociaux. Nous militons d'ailleurs pour l'interdiction de vendre en dessous du prix de revient, mais c'est évidemment un problème plus général.

Véronique Léon . - Certains organismes, comme le CIVAM 284 ( * ) , proposent des formations spécifiques pour les femmes, en particulier dans des secteurs traditionnellement masculins, comme la menuiserie, la mécanique ou la soudure. Elles permettent de moins avoir de complexes. Cela rompt aussi l'isolement des femmes. La répartition « naturelle » des tâches entre les hommes et les femmes peut donc évoluer, mais il faut des formations adaptées.

Brigitte Gonthier-Maurin , co-rapporteure . - Ça pose aussi la question de l'ergonomie.

Christine Riba . - Justement, les femmes sont, en fait, plus attentives à ce sujet. Comme elles ont moins de force physique, elles font plus attention et développent des stratégies de « débrouille » qui sont très efficaces.

Vous nous avez demandé ce que nous conseillons à nos filles. Sans aucune hésitation, je leur conseille de s'installer, mais dans une production qui leur fait plaisir. Ceux qui ne vont pas bien dans le métier ont malheureusement perdu ce plaisir. Je conseille aussi de s'engager dans des espaces collectifs pour pouvoir échanger et communiquer avec les autres. Enfin, donner de la visibilité peut inciter les femmes à venir dans l'agriculture ou à sortir de l'isolement.

Véronique Léon . - Je crois que si les parents prennent plaisir à ce qu'ils font, les enfants auront envie de poursuivre. Personnellement, ma fille a essayé pas mal de choses, mais, finalement, elle veut être paysanne, elle va s'installer avec son compagnon et ils vont reprendre la ferme de ses parents.

Christine Riba . - De plus en plus de femmes s'installent, ce qui montre bien que les choses changent. L'essentiel, c'est la dynamique des installations et du collectif, car, en fait, elle s'entretient et s'alimente elle-même.

Vous évoquiez tout à l'heure la question des pesticides : la Confédération paysanne prône la sortie des pesticides, mais dans un processus de transition et avec un accompagnement fort. Il ne sert à rien de culpabiliser les paysans sur ce sujet. C'est peut-être un cliché, mais je crois que les femmes sont plus sensibles sur ces questions ; on le voit bien dans les couples d'ailleurs, où c'est souvent la femme qui pousse à passer en bio.

En ce qui concerne le statut et une mesure immédiate qui permettrait de le conforter, il nous semble qu'il faut sortir des « sous-statuts » existants, tout en permettant des transitions en cas d'installation progressive. Que chacun puisse avoir un réel statut, comprenant des cotisations et des prestations correctes ! Mais la condition pour cela, c'est le revenu. Nous en revenons donc toujours à la question de la rémunération de la production, sujet où de gros progrès restent à faire.

Véronique Léon . - La Confédération paysanne propose que le statut de conjointe collaboratrice ne soit que transitoire, pour un maximum de cinq ans. Il faut qu'après cette période la femme ait un statut à part entière.

Christine Riba . - Nous sommes favorables à un montant minimum de retraite de 1 000 euros par mois pour tous, soit 85 % du SMIC, ainsi qu'à la fin des assiettes et des plafonds et à la proportionnalité.

Autre question que vous avez posée, la mentalité des hommes. Je crois qu'elle évolue en effet, en particulier chez les plus jeunes.

Annick Billon , co-rapporteure . - De quelle manière précisément ?

Christine Riba . - On sent tout de même une volonté, de la part des hommes, de laisser de la place aux femmes et de s'occuper davantage des enfants. Il arrive aussi que les hommes fassent en sorte que le partage des tâches soit plus égalitaire, y compris pour celles qui sont physiques.

Véronique Léon . - Ce qui pourrait concrètement aider, c'est la mise en place du congé de paternité, qui existe dans le régime général, mais pas dans le régime agricole. On voit qu'aux inégalités entre femmes et hommes se superposent des inégalités entre catégories socioprofessionnelles.

Françoise Laborde, co-rapporteure . - Le congé paternité du régime général n'est pas toujours pris...

Chantal Deseyne . - Quelles propositions faites-vous précisément pour revaloriser les retraites agricoles ?

Christine Riba . - Vous nous avez demandé notre avis sur ce qui nous paraîtrait la meilleure solution entre le fait de procéder à un calcul sur les vingt-cinq meilleures années, ou d'enlever les plus mauvaises... Il nous paraît difficile de trancher. Ne pourrait-on pas aller plus loin et garder les cinq meilleures années ? Nous souhaitons une solidarité nationale dans le financement des retraites.

Véronique Léon . - La Confédération paysanne a adopté une déclaration, que je vous propose de lire pour que les choses soient claires.

Chantal Jouanno , présidente . - Allez-y !

Véronique Léon . - « Nous sommes le seul syndicat à affirmer que ce sont des installations nombreuses maintenant qui feront les cotisants de demain. Nous affirmons que, dès maintenant, aucune retraite ne doit être inférieure à 1 000 euros par mois et qu'il faut aboutir au plus vite à des retraites à parité avec les autres catégories socioprofessionnelles. Il faut en finir avec les sous-statuts de conjoints collaborateurs et d'aides familiaux, coupables des trop faibles pensions pour les agricultrices. À travail égal, pension égale !

« Pour financer l'amélioration des retraites, la Confédération paysanne avance des propositions concrètes, tant auprès du ministère de l'Agriculture que de celui des affaires sociales ou encore de la MSA :

« - supprimer l'assiette de cotisation plafonnée à 37 000 euros ;

« - changer les règles fiscales pour les sociétés agricoles, car les montages sociétaires, les niches fiscales (revoir à ce titre l'exonération sur les plus-values) creusent un fossé entre le « revenu de la ferme France » (9,7 milliards d'euros en 2013) et l'assiette des revenus soumis à prélèvements sociaux (6,5 milliards) ;

« - taxer davantage les plus-values sur les terres agricoles changeant d'affectation (70 000 hectares pour « aménagement du territoire » et constructions) ;

« - élargir l'assiette de prélèvement aux revenus financiers et fonciers ;

« - revoir les assiettes minimales de cotisations, en transférant une partie des cotisations sur la CSG-CRDS qui visent l'ensemble des revenus du travail et du capital.

« Au-delà, la MSA doit rendre beaucoup plus clair le calcul du montant de nos pensions : les notifications sont incompréhensibles !

« La majoration de la pension (10 %) pour trois enfants doit devenir forfaitaire. Il faut abolir le coefficient de minoration qui pénalise les carrières incomplètes. » 285 ( * )

Chantal Jouanno , présidente . - Je vous remercie de ces précisions et, plus généralement, je vous propose de laisser à nos co-rapporteur-e-s les éléments écrits que vous avez préparés.

Corinne Bouchoux , co-rapporteure . - Le Président de la République a annoncé une possible éligibilité aux allocations chômage pour les agriculteurs. Je sais que cette question suscite une certaine perplexité dans nos territoires. Qu'en pensez-vous ?

Véronique Léon . - Il existe une différence notable entre le travail salarié et celui dans une ferme : si nous sommes au chômage, ce n'est pas par absence de travail, mais par manque de revenu ! Si nous avions des prix corrects, nous n'aurions pas besoin de revenus de remplacement...

Christine Riba . - On en revient toujours à la même problématique : le droit au chômage est proportionnel à ce qu'on a gagné avant... En l'état, ce n'est donc pas une solution pour nous ou alors il faut réfléchir en termes de forfait.

En cette fin de réunion, je souhaite en tout cas vous remercier de vous être saisis de ces diverses questions. Deux sujets sont particulièrement importants pour nous : les prestations sociales et le droit au revenu. Si l'on pouvait avancer là-dessus, ce serait un progrès pour notre société entière car, sans revenu, on ne peut pas cotiser correctement pour bénéficier d'une protection sociale.

Véronique Léon . - J'ajoute un autre sujet, celui de la pension de réversion. Dans n'importe quelle profession, quand l'un des deux époux décède, l'autre touche la pension de réversion. En agriculture, non, car le plafond de revenus pour l'obtenir est extrêmement bas (entre 1 000 et 1 200 euros par mois). Il suffit d'avoir une toute petite retraite complémentaire qui dépasse ce montant pour ne pas y avoir droit. Je pense à ma tante qui est dans ce cas. Cela me paraît incroyable. Il sera bien de faire évoluer cette situation.

Christine Riba . - C'est l'une des spécificités du régime agricole, et c'est vécu comme une injustice par le monde paysan !

Chantal Jouanno , présidente . - Je souhaite vous remercier très chaleureusement de votre présentation et de l'ensemble des informations que vous nous avez données.

Audition de Mme Stéphanie Pageot, présidente, et de M. Julien Adda, délégué général, de la Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB)

(20 juin 2017)

Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente

Chantal Jouanno, présidente . - Mes chers collègues, je vous remercie de votre présence à cette audition.

Dans le cadre de nos travaux pour préparer le rapport sur la situation des agricultrices, nous avons le plaisir d'entendre aujourd'hui Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB). Elle est accompagnée de Julien Adda, délégué général de cet organisme, qui compte 10 000 adhérents et qui porte la voix des producteurs bio depuis 1978.

Je précise que notre réunion, qui fait l'objet d'une captation vidéo, est ouverte à nos collègues de la commission des affaires économiques et de la commission du développement durable. Je remercie le président Lenoir de nous accueillir dans la salle de la commission des affaires économiques.

Je rappelle que nos travaux ont commencé au mois de février, à l'occasion d'un colloque organisé au Sénat qui a rencontré un vif succès et suscité de fortes attentes. De nombreux sénateurs ont souhaité qu'un travail de fond prolonge cet événement. C'est pourquoi nous avons profité de cette période pour mener une réflexion et des auditions. Nous organisons cette étude de manière collective puisque tous les groupes du Sénat ont nommé un co-rapporteur pour former le groupe de travail chargé de rédiger le rapport. Nous tâchons autant que possible, dans cette délégation, que les rapports soient adoptés de façon consensuelle.

Depuis le colloque du 22 février dernier, nous avons organisé deux tables rondes, trois auditions - Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, Jeunes agriculteurs et la Confédération paysanne - et quatre déplacements.

Nous espérons adopter le rapport en délégation début juillet et le présenter au public en septembre. Nous pouvons d'ores et déjà sensibiliser nos collègues députés aux problématiques des agricultrices ainsi que les sénateurs qui seront en campagne après l'été. Ils pourront ainsi se saisir de cette question, qui concerne l'agriculture et les femmes, deux sujets liés puisque les problématiques des agricultrices sont une amplification de celles de l'agriculture en général.

Stéphanie Pageot, vous êtes une femme présidente d'organisme professionnel, pouvez-vous nous décrire votre parcours ? En effet, même si l'agriculture biologique emploie plus de femmes que l'agriculture conventionnelle, vos instances de direction demeurent très masculines.

Par ailleurs, la place des femmes en agriculture constitue-t-elle un sujet d'étude, en particulier dans les travaux de la FNAB ?

À l'issue de votre présentation, les sénateurs poseront des questions ou feront part de leurs réactions. Je vous laisse sans plus tarder la parole.

Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB) . - Je suis agricultrice en Loire-Atlantique, dans un GAEC, un Groupement agricole d'exploitation en commun. Nous sommes trois associés : mon mari, mon beau-frère et moi-même. Nous employons cinq salariés représentant au total trois ETP. Nous produisons du lait bio, mais nous avons aussi une activité de transformation fromagère et de vente directe à la ferme.

Je représente les producteurs bio à l'échelon national depuis 2013.

J'ai une formation agricole assez poussée, puisque je suis ingénieure en agriculture. Mon mari et moi nous sommes installés dans l'Ouest en reprenant l'exploitation de mes beaux-parents - je suis pour ma part originaire des Vosges -, où les conditions de reprise étaient plus favorables, et nous avons décidé, sur mes instances, de nous lancer tout de suite dans l'agriculture biologique. Cela ne s'est pas fait sans difficulté puisque, à l'époque, en 1998, l'agriculture biologique n'était pas aussi reconnue qu'aujourd'hui et les organismes agricoles classiques, ainsi que nos voisins, ne croyaient pas du tout à notre projet.

Au début de mon mandat comme présidente de la FNAB, je n'ai pas pris conscience immédiatement de la problématique de la place des femmes dans l'agriculture biologique. Je souhaitais plutôt promouvoir le bio auprès des institutions parlementaires - d'ailleurs, il y a encore beaucoup de travail pour encourager cette agriculture, qui représente à mon sens l'avenir de l'agriculture française.

Néanmoins, je souhaite m'intéresser plus à cette thématique au cours de l'année qui vient, la dernière de mon mandat, lequel s'achève en 2018. Avant mon départ, je compte organiser un colloque sur les agricultrices bio, sur leur place en France, sur leur faible investissement dans notre organisation et, de manière plus générale, en politique, ainsi que sur les leviers permettant d'y remédier. Il y a, c'est vrai, plus de femmes en agriculture bio, mais il reste de nombreux progrès à faire pour les représenter davantage dans les instances représentatives.

Pour ma part, je traduis cette volonté en féminisant les substantifs dans mes discours et en tâchant d'intégrer plus de femmes au sein du conseil d'administration de la FNAB et dans la gouvernance en général. À mon avis, le frein principal des femmes réside en réalité dans un manque de confiance en elles et dans l'impression qu'elles ont d'être moins au fait des questions traitées que les hommes.

Moi-même, j'ai vécu cela, j'ai eu ce sentiment, mais j'ai été poussée à me présenter à la présidence et j'ai pris conscience qu'une présence féminine à la tête d'une organisation change la vision qu'ont les femmes d'elles-mêmes. Elles se posent davantage la question de leur investissement, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Autre frein, les contraintes d'ordre familial ; il peut y avoir un choix à faire entre la maison, l'organisation de l'exploitation et l'investissement à l'extérieur. Pour ce qui me concerne, j'ai toujours eu le soutien de mes associés et de mon mari.

Nous avons peu de données sur le profil des exploitants en bio. J'aimerais que l'Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique, dite « Agence bio », oriente ses recherches sur les agricultrices bio, car cela m'intéresserait beaucoup.

Cela étant dit, dans les études générales du recensement agricole de 2010, il apparaît qu'il y a plus de femmes dans les fermes bio et que les exploitations les plus féminisées sont celles qui font de la vente directe - ovins, caprins, plantes aromatiques et médicinales -, c'est-à-dire celles qui sont proches de l'agriculture biologique.

L'agriculture bio représente, pour beaucoup d'agriculteurs, un moyen de sortir du système classique et de retrouver de l'autonomie. Ainsi, les femmes peuvent retrouver de l'indépendance par le biais d'une activité de vente directe et de commercialisation, voire d'accueil à la ferme ou d'agrotourisme.

Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie. Je vous propose de passer aux questions ; je laisse la parole à mes collègues.

Marie-Pierre Monier, co-rapporteure. - Une question est apparue de façon récurrente au cours de nos travaux : celle du statut des agricultrices. Avez-vous toujours été au sein d'un GAEC ? De manière générale, quel type de statut les exploitantes bio choisissent-elles ?

Annick Billon, co-rapporteure . - Il y a plus de femmes en bio que dans l'agriculture conventionnelle. Est-ce lié à la taille plus petite des exploitations qui, selon certains stéréotypes, serait mieux adaptée aux femmes ? Lors de l'installation d'une femme, sa relation avec les banques est-elle plus facile s'il s'agit d'une exploitation bio ?

Par ailleurs, nous avons été confrontés aux questions des remplacements, des congés maternité, du statut de conjoint exploitant. Votre fédération s'est-elle emparée de ces sujets ? Avez-vous eu des motifs de satisfaction, au cours de votre mandat, sur ces sujets ?

Stéphanie Pageot . - En ce qui concerne le statut des agricultrices, j'ai toujours été, pour ma part, associée d'un GAEC. J'ai souhaité l'être dès mon installation et j'en détiens autant de parts que mes associés.

J'ai tout de même observé une évolution à ce sujet. Autrefois, les femmes n'avaient pas de place clairement identifiée ; puis elles sont devenues conjointes d'exploitation ; maintenant, elles sont associées de GAEC, y compris entre époux. C'est donc une avancée notable.

Cela me rappelle une anecdote personnelle. Au moment où nous avons repris l'exploitation de mes beaux-parents, je ne l'ai réalisé qu' a posteriori , on a fêté le départ en retraite de mon beau-père, pas celui de ma belle-mère, alors qu'elle avait travaillé toute sa vie à la ferme. « Je ne fais pas grand-chose », disait-elle : « juste la traite et la comptabilité ! ». Sauf que dans une exploitation laitière, ce sont des compétences-clé. Elle n'avait pas de statut, elle n'a touché aucune retraite... Nous aurions dû valoriser son départ de l'exploitation autant que pour mon beau-père.

Pour ce qui concerne la question de la taille des fermes, s'il est vrai que certaines exploitations bio sont de taille plus réduite que les exploitations conventionnelles, ce n'est pas toujours le cas. Je ne pense donc pas que ce soit la raison du plus grand nombre de femmes dans ce domaine.

Il s'agit plutôt d'un choix de mode de production. Les femmes sont plus sensibles à l'environnement, aux consommateurs, à la santé, à la qualité de l'alimentation. Cela joue dans leur choix du mode de production biologique, de même peut-être que la sensibilité aux aspects financiers. En effet, beaucoup de femmes sont chargées de la comptabilité, elles sont plus attentives à l'équilibre financier, et elles se rendent compte que l'agriculture bio permet de vivre mieux.

Ainsi, les femmes ont un rôle déterminant dans certaines conversions à l'agriculture bio, et, a contrario , quand elles s'y opposent, elles ont aussi un rôle majeur.

Enfin, les conjoints non agriculteurs peuvent également jouer un rôle important dans l'adoption d'un mode de production bio et inciter à une conversion.

Brigitte Gonthier-Maurin, co-rapporteure . - Vous avez indiqué avoir poussé votre mari à vous installer en bio. Vous avez aussi souligné le besoin d'autonomie de certaines femmes vis-à-vis du système classique, ainsi que celui d'articuler les temps de vie. D'autres intervenantes ont insisté sur la nécessité que les femmes connaissent leurs droits. Organisez-vous des actions spécifiques pour expliquer aux femmes quels sont leurs droits ?

Par ailleurs, y aurait-il besoin d'une harmonisation de l'offre de remplacement, puisqu'elle diffère selon les territoires ?

Enfin, vous avez affirmé qu'il reste beaucoup de travail pour que la France se convertisse à l'agriculture bio. Quelle serait votre principale recommandation à cet égard ?

Corinne Bouchoux, co-rapporteure . - Pour justifier une conversion au bio, il y a l'approche économique, mais aussi l'approche sanitaire, que l'on entend de plus en plus. Des agricultrices nous ont dit que, leurs beaux-parents ou leurs parents étant décédés prématurément, même si elles ne pouvaient prouver le lien avec leur activité, elles avaient souhaité privilégier un autre mode de production. Avez-vous eu des témoignages de ce type ?

Je précise que, avant d'être parlementaire, je travaillais dans l'enseignement agricole.

M. Alain Gournac . - J'ai plusieurs questions. Vous avez suivi une formation au traitement de la pollution liée aux déjections animales. Avez-vous des solutions à proposer à ce sujet, notamment pour protéger l'eau ?

Par ailleurs, sur vos cinq salariés, combien y a-t-il de femmes ?

Je vois sur votre curriculum vitae que vous avez deux enfants. Avez-vous une fille et, si oui, envisage-t-elle de suivre votre exemple ?

Dans votre secteur, et non seulement dans votre exploitation, les salaires des femmes sont-ils les mêmes que ceux des hommes ? Si ce n'est pas le cas, est-ce que, en tant que présidente de la FNAB, vous constatez que les choses s'améliorent ?

Enfin, j'ai apprécié la valeur de votre anecdote concernant le départ en retraite de votre beau-père. Sentez-vous une évolution ? Les femmes tendent-elles à être plus respectées dans les fermes bio ? Les tâches sont-elles également partagées ou y a-t-il une répartition entre les sexes ?

Chantal Jouanno, présidente . - Si vous n'avez pas les réponses à toutes les questions qui vous sont posées, vous pourrez nous les communiquer ultérieurement par écrit.

Stéphanie Pageot . - Il est évident que, parmi les agriculteurs qui se convertissent au bio, certains le font selon une approche santé, mais j'ai tendance à penser que ce choix - un choix fort - n'est pas forcément féminin : il est le fait de personnes, hommes ou femmes, qui ont été confrontées à des problèmes de santé, personnellement ou dans leur famille, qui, même s'il n'y a pas de preuve scientifique, établissent un lien de cause à effet et qui, pour cette raison, décident de tout arrêter de leur précédente activité.

En ce qui concerne les salariés de ma ferme, ils sont deux hommes et trois femmes. Les femmes s'occupent plutôt de la transformation fromagère et de la commercialisation, les hommes plutôt de l'élevage et des grandes cultures.

Du côté des associés, nous avons fait le choix de nous intéresser tous à la commercialisation, alors que, souvent, celle-ci revient aux femmes. En effet, il y a un lien évident entre la relation avec le consommateur et la façon de produire : être directement en contact avec les consommatrices et les consommateurs aide à comprendre pourquoi il faut travailler différemment en amont.

Au demeurant, il y a là un enjeu, bien au-delà de l'agriculture biologique, pour l'agriculture en général : la présence au coeur des instances agricoles de citoyennes et de citoyens, de consommatrices et de consommateurs, changera le regard porté par les agricultrices et les agriculteurs sur leur métier et leur fera comprendre la nécessité d'évoluer. L'alimentation ne concerne pas seulement les agricultrices et les agriculteurs, mais les 65 millions de citoyens français ! Notre organisation défend cette revendication dans l'idée de faire évoluer l'agriculture en général, ce à quoi la féminisation contribuera aussi nécessairement.

J'ai bien une fille, monsieur le sénateur Gournac, mais elle est en première année de sociologie... Je ne pense donc pas qu'elle se destine à suivre ses parents dans l'agriculture, même si elle sera sans doute une avocate de la cause féminine !

Pour ce qui est des salaires, il n'y a pas de différence entre les hommes et les femmes au sein de notre ferme. En revanche, nous savons bien que ce problème se pose dans l'agriculture, comme, du reste, bien au-delà.

S'agissant enfin de la question des droits, je dois admettre que nous n'avons jamais travaillé de façon spécifique sur les droits des femmes dans l'agriculture, sans doute parce que nous ne sommes pas reconnus institutionnellement comme un syndicat généraliste, à la différence de la FNSEA, de la Confédération paysanne et de la Coordination rurale . Cette situation nous pose d'ailleurs des problèmes de présence dans certaines instances, auxquelles nous revendiquons de pouvoir participer au côté des autres.

Michelle Meunier . - Le manque de confiance en soi n'est pas propre au secteur agricole ; dans de nombreux domaines, on constate que les femmes n'ont pas suffisamment confiance en elles pour prendre des responsabilités. Vous-même, madame Pageot, avez dit avoir été poussée à prendre la présidence de la FNAB.

Au-delà de l'utilisation du féminin et du masculin dans vos propos, qui est un premier signe important pour intégrer tout le monde, pensez-vous faire quelque chose en plus dans votre action à la tête de cette organisation du fait que vous soyez une femme ?

Pierre Cuypers . - Le rôle de la femme est tout à fait essentiel pour le développement d'une entreprise agricole, que celle-ci soit biologique ou non - même s'il est vrai que l'agriculture biologique nécessite peut-être plus de main-d'oeuvre que l'agriculture traditionnelle. Moi-même, je n'aurais pas pu m'engager dans la vie de la profession si mon épouse n'avait pas été sur l'exploitation.

Le statut du conjoint ou de la conjointe a, grâce au ciel, évolué ; il doit continuer à évoluer, dans la généralité de l'agriculture et de ses métiers.

La chambre consulaire d'agriculture de mon département, dont j'ai été président, s'occupe des agriculteurs biologiques, hommes et femmes. Ceux-ci sont bien identifiés dans le réseau consulaire, y compris par les syndicats majoritaires. Il n'y a pas de différence entre les uns et les autres.

Stéphanie Pageot . - Si je mène en tant que femme des actions spécifiques ? Je crois que ma seule présence dans les instances agricoles est un sacerdoce spécifique... Quand j'ai participé pour la première fois au Conseil supérieur d'orientation stratégique du ministère de l'agriculture, nous devions être cinq femmes au milieu de quarante-cinq hommes, dont deux seulement en responsabilité professionnelle ! J'ai pensé qu'il restait beaucoup de travail à faire dans l'agriculture...

Pierre Cuypers . - Vous êtes tout de même d'accord que la situation a évolué ?

Stéphanie Pageot . - Dans les instances agricoles, non !

Pierre Cuypers . - Si, elle a évolué. Je crois que c'est une question de personnalité ; ce n'est pas une chose qui s'impose.

Stéphanie Pageot . - Imposer un minimum de femmes lors des élections aux chambres consulaires a un peu fait évoluer les choses. Reste qu'il faut aller plus loin, notamment, je le répète, en plaçant des citoyens au coeur des instances agricoles. Sans quoi l'agriculture n'évoluera pas comme elle devrait face aux enjeux sociétaux à venir.

On m'a interrogée aussi sur les déjections animales. À la vérité, mon mémoire de fin d'études portait spécifiquement sur la manière de les valoriser pour la fertilisation en agriculture biologique, où les engrais chimiques de synthèse ne sont pas utilisés.

Depuis plusieurs années, ma fédération mène un travail spécifique sur le développement de l'agriculture biologique au coeur des sites à enjeu « eau », c'est-à-dire les zones de captages prioritaires : dans ce cadre, nous avons mis en place des sites pilotes pour montrer que le développement de l'agriculture biologique autour de ces zones contribue à la préservation, voire à la récupération, de la qualité de l'eau potable. Il y a là un enjeu important pour les années à venir.

Julien Adda, délégué général de la FNAB . - Je voudrais apporter quelques compléments au sujet d'une question clé de cette audition : la dimension féminine en agriculture biologique par rapport à l'agriculture en général. Monsieur le sénateur Cuypers, vous avez semblé dire qu'il n'y aurait pas un tel enjeu « femmes ».

En réalité, le rapport « Agreste » fondé sur le recensement agricole de 2010, qui fait apparaître un doublement du nombre de producteurs bio, passé de 15 000 à 35 000 en sept ans, montre que, parmi les agriculteurs de moins de quarante ans, les femmes sont 7 % à travailler en agriculture biologique, contre 5 % pour les hommes. Il y a donc tout de même une détermination qui joue, puisque, dans les faits, il y a plus de femmes en agriculture biologique.

Comment expliquer cette situation ? D'abord, d'après le même rapport, les agriculteurs biologiques sont généralement plus jeunes et plus diplômés que les agriculteurs conventionnels ; cet effet joue en faveur de la féminisation. Ensuite, l'effet sociologique est redoublé par des systèmes de production : les exploitations biologiques concernent souvent des ovins, des caprins, des plantes aromatiques et médicinales ou des maraîchages diversifiés, auxquels l'accès est plus facile, du fait, notamment, d'une moindre mécanisation ; ce phénomène aussi favorise la féminisation. En outre, 30 % au moins, et jusqu'à 50 % dans la plupart des départements, de ceux qui s'installent hors cadre familial - c'est-à-dire qui ne viennent pas du monde agricole - choisissent l'agriculture biologique. Or les femmes sont plus nombreuses parmi eux.

Par ailleurs, les femmes optent pour l'agriculture biologique pour des raisons objectives - petites surfaces, systèmes originaux de production -, mais aussi parce qu'elles sont beaucoup plus nombreuses à créer des circuits de diversification sur la ferme : agrotourisme, marchés de plein vent, circuits courts, entre autres. Or les systèmes de commercialisation de ce type, inhérents aux filières de l'agriculture biologique, sont davantage pratiqués par les femmes dans l'agriculture en général. Cet effet-là aussi joue fortement.

Enfin, parmi les personnes non issues du monde agricole, on trouve de nombreux néo-ruraux ou urbains, motivés par des enjeux environnementaux et de santé. Ceux-là sont un peu plus en adéquation - mais ce point resterait à vérifier - avec les aspirations des consommatrices bio, qui tirent aujourd'hui le développement de la filière, notamment au moment de l'arrivée du premier enfant. De fait, dans les changements de parcours professionnels que nous observons au sein de la communauté bio, il y a souvent chez de jeunes femmes le choix d'aligner leur vie sur leurs valeurs : nous voyons de nombreuses jeunes femmes diplômées se reconvertir dans l'agriculture biologique pour se mettre en accord avec leurs valeurs.

Il y a donc bien un effet « femmes » qui sera certainement déterminant pour l'avenir de l'agriculture en général, qui tend vers des systèmes plus diversifiés, des filières plus équilibrées entre circuit court et circuit long et des modes de production plus liés à la consommation. De ce point de vue, l'agriculture biologique est au coeur d'une évolution plus générale de l'agriculture, au sein de laquelle la question féminine est centrale.

Corinne Bouchoux, co-rapporteure . - Pour élargir un peu notre réflexion, je voudrais interroger Stéphanie Pageot sur les obstacles au développement de l'agriculture biologique. Dans mon département, qui est très agricole, on voit bien que ce développement est bloqué par le problème de l'accès au foncier. Il y a parfois aussi des problèmes avec certaines banques.

La FNAB a-t-elle des mesures à nous suggérer, que nous pourrions recommander dans notre rapport, pour favoriser une liaison vertueuse entre le développement du bio et la poursuite de la féminisation de l'agriculture qui est propice aux modes de production plus doux, moins intensifs et davantage tournés vers les circuits courts ?

Stéphanie Pageot . - L'accessibilité du foncier est évidemment un enjeu majeur. Nous travaillons beaucoup sur cette thématique au sein de l'association Terre de liens , dont nous sommes membre fondateur. Nous sommes aussi particulièrement investis au plan local, notamment en Loire-Atlantique, sur la question de Notre-Dame-des-Landes, où se joue un usage aberrant de terres agricoles. La question se pose aussi de la cohérence globale des politiques publiques.

Le rôle des collectivités territoriales est important pour préserver toute terre agricole fertile, notamment autour des villes. Au moment où il faut relocaliser l'économie et construire des filières créatrices de valeur ajoutée sur les territoires, dans une logique de proximité à laquelle les citoyens sont de plus en plus sensibles, la préservation des terres agricoles me paraît un enjeu essentiel. Il convient aussi de considérer l'agriculture comme une véritable source de développement économique : les zones commerciales et industrielles ne sont pas les seules perspectives d'avenir pour les collectivités territoriales...

Les agricultrices et les agriculteurs eux-mêmes ont un rôle important à jouer : il faut être cohérent et abandonner le schéma d'un agrandissement systématique et permanent des fermes destiné à compenser les pertes de revenus. Il convient de changer de stratégie et d'essayer de créer davantage de valeur ajoutée. De ce point de vue, l'agriculture biologique a toute sa place dans une stratégie globale, puisque ses prix sont nettement plus rémunérateurs que ceux de l'agriculture conventionnelle.

De nombreux agriculteurs et agricultrices de notre réseau laissent un hectare ou deux pour des installations, ce qui devrait aussi être encouragé. Laisser des terres à d'autres, ce n'est pas la mer à boire !

Enfin, il faut envisager de favoriser la division de certaines grandes fermes quasiment impossibles à reprendre, compte tenu des capitaux énormes à racheter. Elles pourraient être divisées en cinq ou dix petites fermes, pour remettre de la vie au coeur des territoires.

Plus généralement, c'est le modèle d'ensemble de l'agriculture qu'il faut changer. Le schéma stéréotypé consistant à promouvoir une agriculture française exportatrice et à expliquer que pour être compétitif il faut de très grosses exploitations, schéma qu'on essaie de nous vendre depuis trente ou quarante ans, a mené un certain nombre d'agricultrices et d'agriculteurs à leur perte. Il faut aujourd'hui expliquer aux agriculteurs qu'ils ont tout intérêt à réduire leur production pour vendre mieux, à des prix plus rémunérateurs, et en étant plus autonomes - par exemple, pour une ferme laitière, en envisageant l'autonomie fourragère, qui dispense d'avoir à acheter du soja d'Amérique du Sud, réduit les coûts et crée de la valeur ajoutée et des emplois sur les territoires. Au juste, qu'attendons-nous ?

Jackie Pierre . - Quelle est votre production en fromages ? Quelle est la moyenne de production de vos vaches ? Connaissez-vous au cours de l'année des difficultés sur le plan commercial, c'est-à-dire un déséquilibre entre votre production et la demande ?

Stéphanie Pageot . - Nous produisons 340 000 litres de lait et en transformons la moitié, soit 170 000 litres. Notre production moyenne est de 5 000 à 5 500 litres de lait par vache, ce qui est classique en agriculture biologique, mais très inférieur à la moyenne de l'agriculture conventionnelle, qui est de 8 000 à 9 000 litres. En termes de valorisation, nous sommes, grâce à la transformation, à pratiquement un euro le litre, soit plus de trois plus qu'en agriculture conventionnelle. C'est aussi pour cela que nous avons pu créer de l'emploi.

Pour ce qui est du développement commercial, nous n'arrivons pas à satisfaire la demande. Celle-ci est telle pour l'agriculture biologique et pour la production locale que nous n'arrivons pas à fournir l'ensemble des marchés. Nous commercialisons à quinze kilomètres autour de chez nous ! C'est dire si le potentiel de développement est énorme, à condition de savoir s'organiser, de façon individuelle, comme nous l'avons fait pour la transformation, ou de façon collective. Il faut en tout cas que les agricultrices et les agriculteurs reprennent la main sur une partie de la transformation, sans quoi ils n'arriveront pas à récupérer de la valeur ajoutée !

Chantal Jouanno, présidente . - Je vous remercie tous les deux de vos explications très intéressantes.

5. CONVENTION INTERMINISTÉRIELLE POUR L'ÉGALITÉ ENTRE LES FILLES ET LES GARÇONS, LES FEMMES ET LES HOMMES DANS LE SYSTÈME ÉDUCATIF

6. NOTE DU MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE SUR LES RETRAITES DES AGRICULTRICES

LES FEMMES EN AGRICULTURE

Les retraitées

LES EFFECTIFS

A - Le régime de base

Au 1 er janvier 2015, le régime vieillesse de base des non-salariés agricoles compte 1 517 000 retraités dont près de 870 000 femmes (57 % des effectifs).

Parmi elles, 476 600 sont retraitées de droit direct exclusivement, 297 800 cumulent un droit direct et un droit à réversion du régime agricole, et 95 500 sont titulaires au régime agricole d'un droit dérivé exclusivement.

Les titulaires d'un droit à réversion dans le régime agricole sont à 89 % des femmes.

L'âge moyen des retraitées femmes est de 79 ans. 48 % d'entre elles ont plus de 80 ans.

Les retraités du régime agricole de base par sexe et types de droits

Au 1 er janvier 2015

Hommes

Femmes

Ensemble

Titulaires d'un droit direct seul

596 900

476 600

1 073 500

Titulaires d'un droit direct et d'un droit indirect

45 200

297 800

343 000

Titulaires d'un droit indirect seul

5 100

95 500

100 600

Ensemble

647 200

869 900

1 517 100

B - Le régime de retraite complémentaire obligatoire (RCO)

Au 1 er janvier 2015, le régime sert 707 000 pensions de droits direct dont 375 300 à des femmes, et 95 000 réversions dont 77 000 à des femmes.

Au total, près de 450 000 des 870 000 femmes retraitées bénéficient du régime de retraite complémentaire, soit 51 % (54 % des retraités hommes sont dans cette situation).

Au 1 er janvier 2015

Hommes

Femmes

Ensemble

Droits directs

331 400

375 300

706 600

Droits indirects

18 300

76 800

95 100

C - L'ASPA et les anciennes allocations constitutives du minimum vieillesse

Au 1 er janvier 2015, les caisses de MSA servent ces allocations non contributives à 24 500 retraités dont 16 300 femmes, soit les deux-tiers des bénéficiaires.

D - Un nombre important de polypensionnées

155 000 retraitées femmes, soit 18 % des effectifs, bénéficient exclusivement d'une retraite non-salariée agricole.

Les 716 000 autres retraitées bénéficient d'une ou plusieurs autres pensions versées par d'autres régimes au titre de droits propres et/ou de droits dérivés.

542 000 femmes retraitées de droit direct bénéficient d'une ou plusieurs autres pensions de droit propre dans un ou plusieurs autres régimes. 232 000 d'entre elles ont eu pour régime principal d'affiliation durant leur carrière un autre régime que le régime non-salarié agricole.

Typologie des droits

Au 1 er janvier 2015

Hommes

Femmes

Ensemble

Titulaires de droits exclusivement NSA

25 %

18 %

154 700

21 %

Droit direct NSA + Droit(s) direct(s) autre(s)

(avec éventuellement droit(s) à réversion)

73 %

62 %

542 300

67 %

Droit direct NSA (avec éventuellement droit à réversion NSA) + droit(s) indirect(s) autre(s)

1 %

10 %

83 000

6 %

Droit indirect NSA + droit(s) direct(s) autres(s) (avec éventuellement droit(s) à réversion autre(s))

1 %

8 %

72 600

5 %

Droit indirect NSA + droit(s) indirect(s) autre(s)

0,1 %

2 %

17 200

1 %

Ensemble

869 900

Parmi les 542 000 femmes polypensionnées de droit propre, 63 % ont eu une activité en tant que salariée du régime général, 19 % ont été assujetties durant leur carrière au régime général et au régime des salariés agricoles et 6 % ont été affiliées au régime des salariés agricoles. S'agissant des hommes polypensionnés de droit direct, ces profils d'assujettissement regroupent respectivement 23 % (NSA + RG), 29 % (NSA + SA + RG), et 25 % des effectifs (NSA+SA).

II. - LES RETRAITES

A - Les pensions moyennes

Compte tenu du nombre important de polypensionnés, les pensions moyennes du régime agricole doivent être interpréter avec beaucoup de prudence. Pour mémoire, 17 % des retraités hommes et femmes justifient d'une durée d'assurance dans le régime agricole inférieure à 5 ans, 39 % ont moins de 20 ans d'assurance et seulement 31 % ont une durée d'assurance d'au moins 150 trimestres (37,5 années).

Les pensions moyennes agricoles (par en ayant)

Au 31 décembre 2014

Hommes

Femmes

Ensemble

Retraite de base

Droit propre

447 €

334 €

385 €

Dont ancien chef

547 €

476 €

526 €

Dont ancien collaborateur

131 €

335 €

331 €

Dont ancien aide familial

46 €

59 €

52 €

Droit dérivé

174 €

235 €

228 €

Retraite complémentaire

Droit propre

94 €

43 €

67 €

Droit dérivé

23 €

51 €

46 €

ASPA

218 €

195 €

202 €

B - Les pensions globales moyennes des polypensionnées (base et complémentaire)

La pension moyenne des 716 000 femmes retraitées polypensionnées s'élève en 2015 à 1 080 €.

La retraite moyenne des 542 000 femmes polypensionnées de droit propre s'établit à 1 051 €. Parmi ces femmes, la pension s'élève à 990 € lorsque la carrière a été principalement non-salariée agricole (310 000 femmes) et à 1 132 € dans le cas contraire (232 000).

Pensions globales moyennes tous régimes des polypensionnés

Au 1 er janvier 2015

Hommes

Femmes

Droit direct NSA + Droit(s) direct(s) autre(s)

(avec éventuellement droit(s) à réversion)

1 388 €

474 700 retraités

1 051 €

542 300 retraitées

Droit direct NSA (avec éventuellement droit à réversion NSA) + droit(s) indirect(s) autre(s)

1 224 €

8 100 retraités

1 063 €

83 000 retraitées

Droit indirect NSA + droit(s) direct(s) autres(s) (avec éventuellement droit(s) à réversion autre(s))

1 491 €

4 400 retraités

1 373 €

72 600 retraitées

Droit indirect NSA + droit(s) indirect(s) autre(s)

380 €

400 retraités

843 €

17 200 retraitées

Ensemble

1 385 €

487 600 retraités

1 080 €

715 800 retraitées

C - Les pensions globales moyennes des monopensionnées (base et complémentaire)

La pension moyenne des 155 000 femmes retraitées qui bénéficient exclusivement d'une retraite versée par le régime non-salarié agricole est de 714 €.

Parmi les 155 000 femmes, 115 000 justifient d'une carrière complète et 40 000 d'une carrière incomplète dont 14 000 ont moins de 25 ans d'assurance.

Cette moyenne masque des disparités selon la durée d'assurance.

Pensions moyennes globales des monopensionnés (droit propre et éventuellement droit dérivé)

Au 1 er janvier 2015

Hommes

Femmes

Carrière complète

115 000 femmes

Avec droit direct exclusivement

885 €

684 €

Avec droit direct et réversion

1 103 €

957 €

Carrière incomplète

40 000 femmes

Avec droit direct exclusivement

751 €

414 €

Avec droit direct et réversion

1 003 €

774 €

Ensemble

877 €

714 €

D - Comparaison entre régimes des pensions de droit direct des monopensionnés (retraite de base et retraite complémentaire)

Pour une carrière complète en agriculture en tant que non-salariée, les femmes perçoivent une retraite en moyenne deux fois et demie inférieure à la retraite tous régimes confondus des retraitées femmes monopensionnées justifiant d'une durée d'assurance complète. Ce même rapport est établi pour les hommes.

Au 31 décembre 2013

Ensemble monopensionnés

Monopensionnés
à carrière complète

Hommes

Femmes

Hommes

Femmes

Tous régimes de retraite

1 630 €

970 €

2 070 €

1 460 €

Régime général

1 590 €

850 €

2 090 €

1 390 €

Régime des salariés agricoles

570 €

440 €

1 680 €

1 810 €

Régime des non-salariés agricoles

810 €

460 €

840 €

570 €

Régime des commerçants

680 €

400 €

1 150 €

970 €

Régime des artisans

900 €

370 €

1 130 €

620 €

(Source DREES - Les retraités et les retraites - Edition 2015)

Précision : les données de la DREES ne couvrent pas le même champ que les données retracées plus haut (sont exclus les droits à réversion, les avantages complémentaires et les allocations de solidarité nationale). Datant de fin 2013, elles n'intègrent pas l'attribution en 2014 de points gratuits de RCO aux anciens conjoints collaborateurs et aides familiaux.

E - La justification de la faiblesse des pensions des retraitées femmes agricoles

La raison principale tient au niveau de l'effort contributif :

- les retraitées femmes sont principalement des anciennes collaboratrices ;

- les conjointes collaboratrices ne cotisent à la retraite proportionnelle que depuis 1999. Cette composante de la retraite de base est par ailleurs limitée en montant en contrepartie d'une assiette de cotisation forfaitaire à 400 SMIC (moins d'un quart du SMIC annuel) ;

- les collaboratrices ne cotisent à la RCO que depuis 2011 sur une assiette forfaitaire égale à deux tiers de l'assiette minimale des chefs d'exploitation (deux-tiers du SMIC pour les collaboratrices) ;

- les femmes accèdent au statut de chef plus tardivement que les hommes ;

- s'agissant des droits indirects et des droits directs en tant que cheffes, les revenus professionnels agricoles sont globalement faibles et les cotisations étaient assises jusqu'en 1990 sur le revenu cadastral, encore plus faible.


* 226 À cet égard, les sénatrices ont échangé en fin de journée avec Anna Thorburn, exploitante agricole - gérante de l'EARL à Vinsobres, qui mène également une activité de gîte.

* 227 Michelle Luneau fait partie des personnes qui ont envoyé un témoignage écrit à la délégation à la suite du colloque du 22 février 2017.

* 228 Dotation Jeune agriculteur.

* 229 La Tribune, Nyons-Vaison-Valréas , jeudi 13 avril 2013 : « Une délégation de sénatrices reçue à la Chambre d'agriculture de la Drôme ».

* 230 TV Vendée , France 3 Pays de la Loire , La Vendée Agricole , Le Journal du Pays Yonnais, infagri85 Internet, Ouest-France Vendée .

* 231 http://www.tvvendee.fr/le-journal/edition-du-mercredi-17-mai-2017_17052017

* 232 Voir ci-après la note récapitulative concernant les agricultrices vendéennes, à partir de données rassemblées par la MSA.

* 233 Prestations telles que : analyses de fourrage et d'eau, formations diverses, conseils vétérinaires en médecines complémentaires, prévention des pathologies, services divers...

* 234 Parmi les modules de formation proposés, mentionnons « accueil à la ferme et circuits courts », « agriculture biologique », « gestion de l'entreprise (dont informatique) », « installation - transmission », « relations humaines et organisation du travail ».

* 235 Le plaidoyer construit par l' AFDI en avril 2017 vise à sensibiliser les autorités françaises à la priorité qui doit selon elle s'attacher au soutien de l'agriculture familiale au sein de l'aide française au développement. L' AFDI milite pour une augmentation de la part de l'APD française consacrée à l'agriculture et à la sécurité alimentaire, pour une consultation systématique des agriculteurs familiaux locaux dans tous les projets de développement rural et pour le renforcement des organisations agricoles africaines. Elle souhaite aussi que l'enseignement agricole français renforce le volet « coopération internationale », qui fait partie de ses missions, en l'orientant davantage vers l'Afrique à travers des stages et des témoignages directs d'agriculteurs africains.

* 236 L'exploitante rencontrée, âgée de 32 ans, est installée depuis 2006.

* 237 Statistiques MSA.

* 238 Et hors changements de statut juridique ou d'orientation de production.

* 239 Dans les domaines d'activités suivants, en revanche, on ne compte aucune installation de femmes : pépinière, élevage bovins-mixte et marais salants. Dans huit domaines d'activités, le nombre d'agricultrices installées est inférieur à 3 : agriculture fruitière, élevage ovins-caprins, élevage porcin, élevages de petits animaux (autres que volailles et lapins), conchyliculture, exploitation de bois, entreprises de travaux agricoles ainsi qu'une dernière catégorie : entreprises de jardins, paysagistes, entreprises de reboisement.

* 240 Recueillis par TV Vendée et Vendée agricole et transmis à la délégation au cours de la visite en Vendée.

* 241 Compte rendu synthétique des propos prononcés. Les passages entre guillemets sont des citations littérales de ces propos.

* 242 http://fresques.ina.fr/olonne/fiche-media/Olonne00046/le-statut-des-femmes-agricultrices.html ; vidéo magazine ; référence 00046 ; 5 juillet 1979 ; FR3, collection Reflets.

* 243 Reproduction de passages du texte publié sur le site de l'INA pour présenter ce reportage.

* 244 Texte signé Éric Kocher-Marboeuf .

* 245 Direction régionale de l'Agriculture, de l'Alimentation et de la Forêt.

* 246 Centre de formation d'apprentis agricole (CFAA) et Centres de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA).

* 247 Office national d'information sur les enseignements et les professions.

* 248 Dispositif national de découverte des métiers agricoles financé par le Fonds national d'Assurance Formation des Salariés des Exploitations et entreprises Agricoles (FAFSEA). Il s'agit d'une formation professionnelle gratuite de 154 heures sur 22 jours ouvrés, qui prévoit trois semaines d'immersion dans une entreprise du secteur agricole. Elle est réservée aux demandeurs d'emploi inscrits à Pôle Emploi.

* 249 Le niveau V correspond au Certificat d'aptitude professionnelle agricole (CAPA), au Brevet d'études professionnelles agricoles (BEPA) ou au Brevet professionnel agricole (BPA).

* 250 Le niveau IV correspond au niveau bac.

* 251 Le niveau III correspond au niveau de brevet de technicien supérieur agricole (BTSA), bac +2.

* 252 Elles peuvent suivre des formations qualifiantes, qui ont une visée professionnelle plus immédiate, sans déboucher sur un diplôme ou sur un titre, mais permettent d'obtenir une attestation de stage en fin de formation ou un « certificat d'aptitude » lié au milieu professionnel. Ces formations peuvent être reconnues par les employeurs lorsqu'une convention collective le prévoit (par exemple les certificats de qualification professionnelle, CQP). Les formations qualifiantes sont souvent de courte durée. Elles excèdent rarement un an et s'effectuent en interne ou au sein d'un organisme de formation.

* 253 Les formations diplômantes délivrent un diplôme d'établissement reconnu par l'État. Les diplômes sont classés par niveau selon le nombre d'années d'études suivi.

* 254 Les formations certifiantes débouchent sur un certificat de qualification reconnu par les branches professionnelles. Les formations certifiantes apportent des compétences sur un métier précis, et non des connaissances pluridisciplinaires. L'enseignement est en lien direct avec les besoins des entreprises. La valeur d'une formation certifiante peut être indiquée par des normes (ISO, AFNOR...).

* 255 Le trait d'union paysan , 9 juin 2017 : « Les sénatrices en mission chez des agricultrices », Sébastien Garcia.

* 256 Ont participé à ce déplacement Annick Billon, Corinne Bouchoux, Françoise Laborde, Didier Mandelli, co-rapporteur-e-s, ainsi que Chantal Deseyne et Maryvonne Blondin.

* 257 Loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle.

* 258 http://www.senat.fr/presse/cp20170307a.html

* 259 http://videos.senat.fr/video.335092_58ad8c4180c53.colloque-etre-agricultrice-en-2017-organise-par-la-delegation-aux-droits-des-femmes

* 260 Christiane Lambert a été élue le 13 avril 2017 présidente de la FNSEA. Elle est la première femme à occuper ce poste (note du secrétariat).

* 261 Ce réseau émanant de la DGER a pour objectif de favoriser l'insertion scolaire, sociale et professionnelle des élèves et étudiants de l'enseignement agricole et l'égalité des chances entre les filles et les garçons.

* 262 Les femmes dans le monde agricole, analyse du Centre d'études et de prospective, n° 38, mars 2012, Cécile Laisney.

* 263 Compétition destinée à promouvoir les métiers, le savoir-faire des jeunes et la formation professionnelle de l'enseignement agricole.

* 264 Les femmes dans le monde agricole, analyse du Centre d'études et de prospective, n° 38, mars 2012, Cécile Laisney.

* 265 Les « travaux en vert » renvoient, s'agissant de la vigne, à des tâches telles que l'ébourgeonnage, le relevage, le palissage, etc...

* 266 Fonds pour la formation des entrepreneurs du vivant.

* 267 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

* 268 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

* 269 Droit du travail : ce dont les entreprises ont besoin, rapport n° 647 (2015-2016) de Mme Annick Billon, fait au nom de la délégation aux entreprises, 26 mai 2016.

* 270 Les femmes dans le monde agricole , analyse du Centre d'études et de prospective, n° 38, mars 2012, Cécile Laisney.

* 271 Écoles nationales d'industrie laitière, des analyses biotechnologiques et de l'eau. Leur mission est de former le personnel des entreprises agroalimentaires, de l'industrie laitière, des laboratoires et des métiers de l'eau.

* 272 Créé en 1999, le statut de collaborateur d'exploitation ou d'entreprise agricole, communément appelé « conjoint collaborateur », ouvre droit à la retraite pour le conjoint ainsi qu'à des prestations sociales en cas d'accident du travail et de maladie professionnelle, à une pension d'invalidité en cas d'inaptitude partielle ou totale et à une créance de salaire différé en cas de décès de l'époux et de divorce. Il est défini à l'article L. 321-5 du code rural et de la pêche maritime.

* 273 Société civile de personnes permettant à des agriculteurs associés la réalisation d'un travail en commun dans des conditions comparables à celles existant dans les exploitations à caractère familial.

* 274 Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites (loi « Touraine »).

* 275 « L'engagement des agricultrices face à la crise », www.fdsea80 , compte-rendu de la rencontre du 3 novembre 2016 de la Commission nationale des agricultrices (CNA) avec les commissions départementales des Hauts-de-France.

* 276 Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014.

* 277 Les femmes dans le monde agricole , analyse du Centre d'études et de prospective, n° 38, mars 2012, Cécile Laisney.

* 278 Article 200 undecies du code des impôts.

* 279 Société civile de personnes permettant à des agriculteurs associés la réalisation d'un travail en commun dans des conditions comparables à celles existant dans les exploitations de caractère familial.

* 280 Société civile ayant une activité agricole employant jusqu'à dix associés, et dont les associés sont responsables dans la limite de leur apport.

* 281 Société civile à vocation agricole : elle se compose d'au moins deux associés et n'a pas de capital minimal ou maximal. Les apports en nature ou en industrie sont possibles. Société à objet exclusivement civil, elle ne doit pas avoir d'activité commerciale et est libre de constitution. Elle permet de gérer une ou plusieurs exploitations agricoles, quelle que soit leur taille.

* 282 Sylvie Douillard préside la Commission des agricultrices de la FDSEA 85.

* 283 Mouvement paysan international qui regroupe 164 organisations locales dans 73 pays.

* 284 Centre d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural.

* 285 Source : Document de la Confédération Paysanne : Pour une véritable politique de l'emploi en agriculture : protection sociale agricole, des solutions pour l'avenir , supplément à Campagnes solidaires n° 302, décembre 2014.

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