N° 627

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juillet 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur l' impact de la normalisation ,

Par Mme Élisabeth LAMURE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Claude Lenoir , président ; Mmes Élisabeth Lamure, Delphine Bataille, MM. Alain Bertrand, Martial Bourquin, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Joël Labbé, Michel Le Scouarnec, Yannick Vaugrenard , vice-présidents ; M. Marc Daunis, Mme Valérie Létard, M. Bruno Sido , secrétaires ; MM. Gérard Bailly, Henri Cabanel, François Calvet, Roland Courteau, Pierre Cuypers, Alain Duran, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi Sassone, M. Daniel Gremillet, Mme Annie Guillemot, MM. Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Daniel Laurent, Philippe Leroy, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Anne-Catherine Loisier, MM. Michel Magras, Franck Montaugé, Robert Navarro, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Sophie Primas, M. Yves Rome, Mme Laurence Rossignol, M. Henri Tandonnet .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Qui n'a pas déjà été confronté, même sans en avoir conscience, à des normes volontaires ? Elles sont partout, jusque dans la vie quotidienne, sans même pourtant que l'on y prête attention.

Ainsi en est-il, par exemple, du format du papier à lettres (formats A4, A3, etc.), des prises de chargeurs de téléphones portables, du format de compression audio et vidéo « mpeg », de la performance des extincteurs de feux ou, depuis une date plus récente, de la sécurité des trottinettes électriques et gyropodes ainsi que des cigarettes électroniques... De même, pour tout un ensemble de services fournis quotidiennement par les entreprises, la norme « ISO 9001 » dite de « management de la qualité » s'est vite imposée comme un référentiel permettant de certifier l'excellence des démarches internes destinées à assurer un haut niveau de prestations à la clientèle.

On compte aujourd'hui en France plus de 35 000 normes publiées - reconnaissables aux indicatifs sous lesquels elles sont enregistrées : NF, EN, ISO - destinées à fournir des règles de conduites ou des bonnes pratiques dans des domaines extrêmement variés de l'activité des entreprises auxquelles elles s'adressent essentiellement. Et ces normes ne sont pas nouvelles : les premières organisations de normalisation - au niveau national comme international - ont en effet vu le jour au début du XX e siècle, tandis que le texte fondateur de l'activité de normalisation en France date de 1941.

Pourquoi, alors, sont-elles à ce point méconnues, à l'inverse des normes juridiques définies par les pouvoirs publics, qu'il s'agisse du Parlement, du Gouvernement, des collectivités territoriales ou, le cas échéant, des autorités administratives indépendantes ?

La raison en est sans doute, d'une part, qu'elles sont élaborées dans un cadre purement technique, par un réseau d'organismes de droit privé aux niveaux national, européen et international, composés d'acteurs de la société civile (entreprises pour l'essentiel, mais aussi organisations de consommateurs, organisations non gouvernementales), sans lien nécessairement direct avec les politiques publiques définies par les États ou les organisations intergouvernementales, même si des représentants de l'administration ou des collectivités territoriales participent - inter pares - au processus. Vue de l'extérieur, la normalisation a tout d'un labyrinthe... En outre, cette élaboration se fait essentiellement sur la base d'un consensus feutré des parties intéressées, ce qui réduit d'autant l'exposition médiatique.

D'autre part, à la différence des normes de portée juridique obligatoire - les conventions internationales, les lois ou les règlements - ces normes sont d'application purement volontaire . Les acteurs de l'économie choisissent de s'appliquer ou non les règles prévues par ces normes. Elles ne sont donc contraignantes que pour ceux qui voient un intérêt à suivre, dans leur activité de recherche, de production ou de fourniture de services, « des règles, des caractéristiques, des recommandations ou des exemples de bonnes pratiques, relatives à des produits, à des services, à des méthodes, à des processus ou à des organisations ». 1 ( * )

*

Cette activité « para-normative » particulièrement dense, qui forme une partie de ce qui est communément appelé le « droit souple » auquel le Conseil d'État a consacré son étude annuelle pour 2013, est souvent présentée comme une activité « privée », dans la mesure où elle découle de demandes formulées par les acteurs économiques et menée par eux-mêmes. Cette nature fait sa force et sa plus-value essentielle par rapport aux activités réglementaires ou régulatrices des États ou des organisations internationales intergouvernementales. Pour autant, les pouvoirs publics ne sauraient s'en désintéresser, compte tenu de l'importance économique et stratégique majeure de la normalisation qui n'a fait que croître avec la mondialisation de l'économie.

La réforme du « système français de normalisation », c'est-à-dire le mode d'organisation et d'élaboration de la normalisation volontaire en France, opérée en 2009, a pris en compte cette dimension, en s'efforçant de développer des instances de pilotage stratégique de la normalisation et une présence plus active des pouvoirs publics. Huit ans après, avec un recul désormais suffisant sur son fonctionnement, votre commission des affaires économiques a souhaité porter son attention sur le système de normalisation et les enjeux qu'il présente pour la France, compte tenu de la place que prennent les normes volontaires dans la vie économique mais aussi dans l'existence des particuliers.

Car la normalisation présente des enjeux essentiels en matière d'efficience économique. Diffusant des standards susceptibles d'être repris par de nombreux acteurs économiques, le cas échéant à travers le monde, elle contribue fortement à ouvrir des marchés. Elle peut donc être utilement mise à profit pour développer certains secteurs économiques nationaux et projeter à l'international leur activité.

En outre, dans la mesure où elle a vocation à déterminer les caractéristiques techniques d'activités en pleine croissance et mutation - comme le numérique ou l'énergie - ayant des implications dans plusieurs secteurs, la normalisation constitue également un enjeu considérable en termes de compétitivité et de souveraineté . Si, comme l'a souligné lors de son audition Mme Anne Penneau, professeur de droit privé à l'Université de Paris 13, la normalisation constitue un « système émancipé de la tutelle étatique », elle peut servir ou, à l'inverse, desservir l'action des pouvoirs publics . Des solutions techniques reconnues comme des normes au niveau international ou européen peuvent ainsi entraver le développement de certains secteurs de notre économie ou les mettre sous la dépendance d'acteurs étrangers qui peuvent ignorer ou, à tout le moins, ne pas prendre pleinement en compte, les besoins de la Nation.

Enfin, la normalisation volontaire constitue un enjeu de simplification du droit . L'on n'a en effet de cesse de dénoncer, à juste titre, l'inflation normative, la profusion de règles qui viennent s'appliquer aux entreprises et qui, dans bien des cas, entravent sinon rendent plus complexe leur développement. Il y a quelques semaines, le Conseil national d'évaluation des normes chiffrait ainsi le poids économique des obligations juridiques mises à la charge des collectivités territoriales par la loi ou le règlement en 2016 à quelque 6,9 milliards d'euros, résultant pour l'essentiel d'un unique décret relatif aux obligations de travaux d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire en application de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte...

On évoque ainsi la « maladie de la norme », mais c'est davantage une maladie de la réglementation qu'il faut évoquer : celle qui oblige juridiquement les acteurs. Or, l'on doit s'interroger sur la question de savoir si l'un des remèdes à ce mal ne pourrait pas être, dans des hypothèses précises mais potentiellement nombreuses, de substituer aux normes « juridiques et obligatoires » des normes « volontaires et souples » issues de l'activité de la normalisation.

*

Pour aborder ces problématiques, votre rapporteur a souhaité recueillir les positions des différents acteurs de la normalisation en France. Plusieurs auditions ont été menées au Sénat, de fin février à mi-juin 2017, avec la déléguée interministérielle aux normes, des représentants de l'Association française de normalisation (AFNOR), du comité de coordination et de pilotage de la normalisation (CCPN), des bureaux de normalisation sectoriels (BNS), de la direction générale des entreprises et du service à l'information stratégique et à la sécurité économique au ministère de l'économie, des entreprises et des consommateurs, ainsi que de l'université.

Il s'est également appuyé sur des études approfondies menées au cours des cinq dernières années sur la question, qui ont pu suggérer des pistes d'évolution, mais souvent restées insuffisamment prises en considération. 2 ( * )

Il ressort des informations recueillies auprès des parties prenantes du système de normalisation, qui en sont les premiers bénéficiaires, une appréciation globalement positive de la normalisation, tant dans son fonctionnement que dans les bénéfices que ces normes peuvent fournir au quotidien.

Mais la normalisation volontaire, par sa complexité, reste encore trop méconnue des acteurs économiques eux-mêmes, notamment les petites et moyennes entreprises. Elle doit donc gagner en « visibilité » , y compris dans l'administration. L'un des premiers objectifs de ce rapport est donc de mieux identifier le fonctionnement de ce système.

La normalisation est une activité stratégique qu'il faut pleinement investir. La prise de conscience des potentialités qu'elle recèle est réelle, tant en termes de compétitivité et de souveraineté mais trop peu traduite dans les faits. Son rôle dans une optique de simplification doit en revanche être plus affirmé. Dès lors, certains ajustements au système de normalisation actuels doivent être envisagés et certains points de vigilance doivent être mis en exergue.

Tel est l'objet des 28 recommandations formulées par votre rapporteur et votre commission des affaires économiques dans son ensemble qui visent :

- à assurer la performance du système de normalisation tout en veillant qu'il réponde à des préoccupations d'intérêt général ;

- à tirer pleinement parti des atouts de la normalisation en favorisant l'émergence d'une stratégie qui serve efficacement les intérêts de la Nation dans un monde de la normalisation transnational et fortement concurrentiel.


* 1 Décret n° 2009-697 du 16 juin 2009 relatif à la normalisation.

* 2 Notamment de la déléguée interministérielle aux normes, à l'époque Mme Lydie Évrard, dans son rapport « Politique nationale de normalisation et stratégie pour la compétitivité de notre économie », remis au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique en décembre 2014 ; de Mme Claude Revel, dans son rapport « Développer une influence normative internationale stratégique pour la France », remis au ministre du commerce extérieur en décembre 2012 ; et de l'Autorité de la concurrence, dans son avis n° 15-A-16 du 16 novembre 2015 portant sur l'examen, au regard des règles de concurrence, des activités de normalisation et de certification.

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