C. UN RÔLE À CONFORTER POUR ÉVITER UN ESSOUFFLEMENT DES CONSEILS CITOYENS

1. Les difficultés du conseil citoyen à se positionner par rapport à d'autres instances préexistantes de démocratie participative

La question du positionnement des conseils citoyens parmi les autres instances de démocratie participative a été évoquée lors de l'examen du projet de loi. Claude Dilain, rapporteur du Sénat, avait même proposé de renommer les conseils citoyens « coordinations citoyennes de quartier » afin d'éviter toute confusion avec les conseils de quartiers.

L'article 7 de la loi Lamy rappelle que la mise en place du conseil citoyen doit se faire « sur la base d'un diagnostic des pratiques et des initiatives participatives ».

Selon l'enquête du CGET/ONPV, 84 % des conseils citoyens ont été précédés d'une réflexion sur les dynamiques participatives existantes sur le territoire. Toutefois, cette réflexion a conduit peu d'élus à transformer leur conseil de quartier en conseil citoyen comme le permet la loi. En effet, seuls 5 % des conseils citoyens sont issus des conseils de quartier.

Les élus ont ainsi préféré créer une structure nouvelle qui leur a donné l'opportunité de mobiliser de nouveaux habitants pouvant apporter un regard nouveau. Une autre raison expliquant ce choix réside dans le fait que seuls les membres du quartier prioritaire peuvent siéger au sein du conseil citoyen ; dès lors fusionner conseils de quartier et conseils citoyens aurait, dans bien des cas, conduit à exclure les habitants ne résidant pas dans le quartier prioritaire.

La circulaire du 2 février 2017 précitée a reprécisé l'articulation entre conseils citoyens et conseils de quartier ou autres instances de participation en rappelant que « le conseil citoyen peut faire le lien ou compléter les autres formes de participation des habitants tout en s'articulant avec les démarches déjà développées localement, pour éviter une démultiplication ou une concurrence des instances existantes. Le conseil citoyen peut aussi constituer un «sous-conseil» ou une commission au sein du conseil de quartier à condition que les trois principes cités [indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics, présence d'acteurs locaux et associatifs et présence d'habitants tirés au sort, représentation dans les instances de pilotage] soient également respectés. » Pour vos rapporteures, ce rappel, bien que nécessaire, paraît cependant tardif dans la mesure où une grande majorité des conseils citoyens ont été institués.

Lors de leurs déplacements, certains acteurs ont indiqué à vos rapporteures que les conseils citoyens avaient pu rencontrer des difficultés de positionnement au regard d'autres instances participatives.

En effet, les conseils citoyens souhaitent aborder des thématiques plus larges que la mise en oeuvre du contrat de ville et le renouvellement urbain, comme l'insertion sociale et professionnelle, l'emploi, le cadre de vie, la propreté du territoire, la gestion urbaine de proximité, l'éducation et la convivialité, l'image des quartiers et la lutte contre les discriminations, la sécurité routière, la tranquillité, la lutte contre le trafic de drogue, le vivre ensemble ou encore l'appropriation par les femmes de l'espace public.

Or, ces sujets relèvent également du champ d'intervention des conseils de quartier. Ainsi, le maire peut associer en application de l'article L. 2143-1 du code général des collectivités territoriales les conseils de quartiers « à l'élaboration, à la mise en oeuvre et à l'évaluation des actions intéressant le quartier, en particulier celles menées au titre de la politique de la ville » .

LES CONSEILS DE QUARTIER

Les conseils de quartier sont des structures associant les habitants d'un quartier à la gestion municipale.

Ces instances ont été créées par la loi du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République. Les conseils de quartier sont institués par le conseil municipal. Ils sont obligatoires dans les communes de plus de 80 000 habitants, et facultatifs pour les communes de 20 000 à 79 999 habitants.

La dénomination, la composition et les modalités de fonctionnement de chaque conseil de quartier sont fixées par le conseil municipal de la ville. Ils comprennent généralement des élus municipaux, représentés à la proportionnelle, ainsi que des membres d'associations d'habitants, des personnalités représentatives et des habitants.

Les conseils de quartier peuvent être consultés par le maire et formuler des propositions sur toute question concernant le quartier ou la ville. Le maire peut également les associer à l'élaboration, à la mise en oeuvre et à l'évaluation des actions intéressant le quartier, en particulier celles menées au titre de la politique de la ville.

Source : Commission des affaires économiques.

La création des conseils citoyens a pu créer une certaine confusion pour certains conseils de quartier qui ont eu le sentiment d'un manque de reconnaissance.

Dès lors, éviter la concurrence entre les conseils citoyens et les conseils de quartier est un enjeu majeur pour ne pas décourager les habitants siégeant dans chacune de ces instances et pour éviter d'épuiser les équipes techniques qui, à devoir se démultiplier dans les différentes instances, risquent de ne plus être en mesure de répondre aux attentes des habitants .

Vos rapporteures estiment que l'absence d'étude d'impact préalable à la création des conseils citoyens est regrettable car l'articulation entre instances locales de démocratie participative et conseils citoyens n'a pu de ce fait être examinée avant leur instauration. Elles souhaitent que soit menée une étude nationale sur cette articulation.

Recommandation n° 16 : Mener une étude nationale sur l'articulation entre les conseils citoyens et les dispositifs de démocratie participative.

2. Un rôle de participation aux instances du contrat de ville à conforter

L'article 7 de la loi Lamy confie aux conseils citoyens plusieurs missions. Le conseil citoyen est associé à l'élaboration, à la mise en oeuvre et à l'évaluation des contrats de ville. Il participe à toutes les instances de pilotage du contrat de ville et à celles relatives au projet de renouvellement urbain.

Selon le CGET, les membres des conseils citoyens sont représentés dans une partie des instances, sans pour autant que cette représentation soit systématique.

Selon l'enquête du CGET/ONPV précitée, 75 % des conseils citoyens ont des représentants au sein des comités de pilotage . Cependant, seul un tiers des conseils citoyens représentés participerait à la prise de décision ; pour les autres, leur rôle demeure encore largement consultatif .

Le Conseil national des villes a rappelé à vos rapporteures qu'en 2012, il avait proposé dans un avis sur la participation des habitants une « échelle de mesure de la dynamique de participation, allant de l'information à l'évaluation » , ce qui pourrait se traduire ainsi :

« - Niveau « Information » (clés nécessaires à la compréhension d'une décision) ;

« - Niveau « Consultation » (participe au processus décisionnel, mais n'accède pas à la prise de décision) ;

« - Niveau « Concertation » (intervention des membres du conseil citoyen tout au long de la constitution d'un dossier, de l'instruction à la décision. Reconnaissance de l'expertise d'usage pour des questions qui les concernent, au même titre que les professionnels techniciens) ;

« - Niveau « Participation-décision » (partage du pouvoir de décision de la coconstruction de la décision à la gestion d'un budget ou d'un projet) ;

« - Niveau « Évaluation » (ultime niveau de participation permettant aux participants de faire le point sur l'effectivité de ce qui a été fait tout au long de ce processus) ».

Le Conseil national des villes, porteur du Comité national de suivi des conseils citoyens, a proposé aux membres de son collège habitants, de se prêter à cet exercice. Il en ressort que quatre membres se situent au niveau « Information », mais tendent vers le niveau « concertation », deux se situent au niveau « Consultation », et cinq au niveau « Concertation ». Vos rapporteures soutiennent la proposition du Conseil national des villes d'utiliser cette échelle lors de l'évaluation des contrats de ville.

S'agissant de la mise en oeuvre et de l'évaluation du contrat de ville, l'AMF comme le CGET ont rappelé à vos rapporteures que le conseil citoyen n'a pas vocation à être uniquement une instance de consultation et d'information mais doit être partie prenante du processus de décision et d'évaluation au même titre que les autres partenaires signataires.

Vos rapporteures considèrent que les conseils citoyens ne pourront passer de la phase « information/consultation » à celle de décision qu'à la condition d'être formés.

Les membres du conseil citoyen doivent en outre disposer de toutes les informations nécessaires à la prise de décision. Le rôle du préfet est décisif : non seulement il doit veiller à ce que les conseils citoyens soient représentés dans les différentes instances, mais une attention particulière doit être portée sur le fait de leur transmettre les documents en amont. Les équipes de la politique de la ville jouent également un rôle fondamental dans l'aide à la compréhension des documents. Ce travail préparatoire que doivent mener les conseils citoyens en amont des discussions pour pouvoir peser dans les instances de décision de la politique de la ville suppose que les membres des conseils citoyens aient les moyens de le faire (garde d'enfants, congés professionnels...). À défaut le risque est grand de voir les membres du conseil citoyen se désinvestir.

Parmi les missions des conseils citoyens, s'est posée la question de la gestion des fonds de participation des habitants (FPH) qui permet selon le ministère « de financer des projets ponctuels de faibles coûts qui contribuent au renforcement du lien social dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ». 31 % des conseils citoyens se sont approprié le dispositif. Toutefois, dans un avis du 22 juin 2016 sur les fonds de participation des habitants, le Conseil national des villes a recommandé que ce dispositif ne soit pas « réservé à l'appréciation du conseil citoyen ». Il précisait qu' « il serait dommageable et mal compris des acteurs des FPH que ceux-ci deviennent un simple outil sous la coupe des conseillers citoyens ; lesquels par ailleurs ont moins à s'occuper de l'animation du quartier ou d'éducation populaire que des thèmes structurants du contrat de ville, et gagneraient en termes de positionnement à s'investir dans les budgets participatifs à l'échelle de la ville ou de l'agglomération là où ils se mettent en place . »

Dans la circulaire du 2 février 2017 précitée, le Gouvernement s'est montré prudent quant à l'exercice de cette mission estimant qu'il fallait « éviter [un] risque de dilution ou de détournement des missions principales du conseil citoyen, qui demeure avant tout un acteur de la coconstruction et de l'évaluation de la politique de la ville dans le cadre des contrats de ville (et non pas un gestionnaire de dispositifs) ».

3. Une procédure pour surmonter les éventuels blocages qui demeure théorique

L'article 155 de la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté a complété la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine en donnant aux conseils citoyens la possibilité de saisir le préfet en cas de difficultés particulières rencontrées par les habitants.

En fonction de la nature et de l'importance des difficultés rencontrées, le préfet peut alors saisir le comité de pilotage du contrat de ville afin de lui soumettre le diagnostic de la situation et les actions préconisées. Notre collègue Mme Dominique Estrosi-Sassone, rapporteur du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté, avait conclu que « ce dispositif de saisine, antinomique avec le principe de coconstruction constitutif de la loi du 21 février 2014, ne répond[ait] (...) à aucune difficulté réelle ou anticipée ».

Le CGET a indiqué à vos rapporteures ne pas encore disposer de remontées sur la mobilisation effective de cette nouvelle disposition. L'Association France urbaine a réaffirmé à vos rapporteures qu'elle continuait de s'interroger sur la nature et l'étendue du pouvoir d'interpellation accordé aux seuls conseils citoyens. Selon l'Association des Missions d'Aménagement et de Développement Économique Urbain et Social (AMADEUS), le dispositif est encore « théorique, peu opérationnel et part d'un présupposé de méfiance assez regrettable ».

Interrogées sur la mise en oeuvre de ce dispositif, les personnes rencontrées par vos rapporteures ont indiqué, d'une part que les conseils citoyens n'avaient pas nécessairement connaissance de cette faculté, et d'autre part, que le recours à cette saisine traduirait un climat de défiance entre les habitants et les institutions locales alors que l'objectif est de coconstruire. Certains ont souligné qu'en cas de difficultés, les membres du conseil citoyen auraient plutôt tendance à se retirer des instances plutôt qu'à actionner le dispositif.

Si vos rapporteures ne nient pas que dans certains cas le dialogue avec les élus locaux puisse être difficile, elles n'ont cependant pas eu connaissance de blocages manifestes. Elles ont constaté que les délégués du préfet étaient à l'écoute des membres des conseils citoyens et qu'ils tentaient de répondre au mieux aux difficultés que ces derniers pouvaient rencontrer. Selon la préfecture du Nord, ces délégués permettent ainsi « d'apaiser le dialogue avec les mairies ». Dès lors, pour vos rapporteures, la procédure d'interpellation leur paraît à ce stade très théorique.

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