B. L'AGENCE NATIONALE DE LA RECHERCHE, UNE AGENCE DE MOYENS CHARGÉE D'ORGANISER DES APPELS À PROJETS COMPÉTITIFS

1. Les missions de l'Agence nationale de la recherche se sont accrues depuis dix ans, au risque d'une forme de dispersion

L'Agence nationale de la recherche (ANR) , créée en 2005, a pour mission principale la mise en oeuvre du financement de la recherche sur projets dans notre pays , en répartissant les crédits d'intervention qui lui sont alloués par le programme 172 « Recherches scientifiques et technologique pluridisciplinaires » de la mission « Recherche et enseignement supérieur » .

Depuis 2010, l'Agence est également le principal opérateur des programmes d'investissement d'avenir dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche . Dans ce cadre, elle assure la sélection , le financement et le suivi des projets qui bénéficient des programmes d'investissements d'avenir (voir infra ).

a) Si des appels à projets existaient dans le domaine de la recherche depuis longtemps, la France était avant 2005 l'un des rares pays industrialisés à ne pas s'être doté d'une agence exécutive spécialisée dans ce type de financements

La création de l'Agence nationale de la recherche en 2005 correspondait à un axe majeur de la réforme de la politique de recherche française portée également par la loi n° 2006-450 du 18 avril 2006 de programme pour la recherche.

Il s'agissait de renforcer le financement sur projets compétitifs de la recherche française pour en accroître le dynamisme et la réactivité , en créant une agence exécutive dotée d'une certaine autonomie .

Avant la création de l'agence, les financements compétitifs sur projet existaient déjà en France , aux côtés des crédits récurrents versés aux établissements d'enseignement supérieur et aux organismes de recherche : ce mode de financement n'est donc pas une nouveauté introduite par l'ANR.

Les crédits alloués à la recherche sur projets étaient attribués sous la forme de crédits des fonds ministériels dont le montant était assez proche du premier budget d'intervention de l'ANR (environ 400 millions d'euros en 2005).

En outre, l'organisation d'appels à projets compétitif était également pratiquée par des organismes de recherche (en particulier le Centre national de la recherche scientifique - CNRS) , par les régions dans le cadre de leur politique d'aide à la recherche , et bien sûr, par la Commission européenne avec le programme cadre de recherche et développement (PCRD) .

Si la création de l'agence ne correspondait donc pas à l'instauration du financement de la recherche sur projets en France, elle était en revanche le reflet d'une volonté de professionnaliser et de massifier les appels à projets compétitifs en matière de recherche , grâce à la mise en place d'une structure ad hoc entièrement dédiée .

Cette structure devait s'inspirer, mutatis mutandis , des agences chargées de remplir la même mission qui existaient déjà depuis quelques décennies dans les grands pays de la recherche comme l'Allemagne, les États-Unis, le Japon ou le Royaume-Uni et avaient depuis longtemps fait la preuve de leur efficacité.

b) L'Agence nationale de la recherche a été créée en 2005 pour que la France puisse disposer d'une structure à même de sélectionner et de financer les projets de recherche les plus ambitieux et les plus innovants

L'Agence nationale de la recherche (ANR) a été créée sous la forme d'un groupement d'intérêt public le 7 février 2005 afin de doter notre pays d'une agence de moyens dévolue à l'organisation d'appels à projets compétitifs dans le domaine de la recherche .

Placée sous la tutelle du ministère chargé de la recherche, l'ANR a été transformée par la loi n° 2006-450 du 18 avril 2006 de programme pour la recherche en établissement public à caractère administratif (EPA) de l'État . Les dispositions législatives qui la régissent sont codifiées aux articles L. 329-1 et suivants du code de la recherche. L'ANR est effectivement devenue un EPA le 1 er janvier 2007 .

Un premier décret n° 2006-963 du 1 er août 2006 2 ( * ) est venu préciser son organisation, son fonctionnement ainsi que le périmètre de son action , avant qu'un deuxième décret n° 2014-365 du 24 mars 2014 3 ( * ) ne vienne apporter quelques modifications à sa gouvernance ainsi qu'à la liste de ses missions .

Ce dernier décret a notamment permis de formaliser juridiquement le rôle d'opérateur du Commissariat général à l'investissement que joue depuis 2010 l'ANR pour la mise en oeuvre du volet « recherche et enseignement supérieur » des programmes d'investissements d'avenir .

En dehors de ce rôle, évoqué plus en détail infra , l'ANR se voit attribuer quatre grandes missions par les décrets de 2006 et de 2014.

Elle doit d'abord, en tant qu'agence de moyens de la recherche française, financer et promouvoir le développement des recherches fondamentales et finalisées , l'innovation technique et le transfert de technologie ainsi que le partenariat entre le secteur public et le secteur privé .

À cette fin, elle doit mettre en oeuvre la programmation arrêtée par le ministre chargé de la recherche , qui recueille l'avis des ministres exerçant la tutelle d'organismes de recherche ou d'établissements publics d'enseignement supérieur.

Pour remplir cette mission de financement de la recherche, l'ANR s'appuie sur le lancement d'appels à projets compétitifs régis par un processus de sélection rigoureux reposant sur l'évaluation par les pairs . Elle a financé plus de 14 000 projets dans ce cadre depuis 2005.

Dans le même temps, elle doit également renforcer les coopérations scientifiques aux plans européen et international , en articulant sa programmation avec les initiatives européennes et internationales.

Enfin, elle doit - c'est une nouvelle mission - analyser l'évolution de l'offre de recherche et mesurer l'impact des financements qu'elle alloue sur la production scientifique nationale .

Outre les missions explicites décrites dans ces décrets, l'agence déploie, au risque d'une certaine forme de dispersion, un large éventail d'activités comme la prestation de service pour le compte de structures publiques , la coordination d'actions européennes et internationales ou encore la représentation de la France dans des instances multinationales .

L'ANR est ainsi chargée, par exemple, de gérer la sélection , la contractualisation , le suivi et l'évaluation du dispositif de recherche partenariale Carnot .

Les instituts Carnot

Créé en 2006 par le ministère chargé de la recherche, le label « Institut Carnot » vise à reconnaître et soutenir les laboratoires qui s'engagent à positionner la recherche partenariale au coeur de leur stratégie de recherche et à mieux prendre en considération les besoins du monde socio-économique. L'ANR en assure la gestion depuis sa création. Elle leur octroie de façon annuelle un abondement financier calculé en fonction de leurs recettes contractuelles bilatérales avec les entreprises, ainsi que des revenus de licences conclues en exploitation de leur propriété intellectuelle. Cette dotation complémentaire, s'élevant en 2016 à 57,9 millions d'euros, doit leur permettre, d'une part, de développer leurs compétences afin de conserver l'avance scientifique nécessaire à leur performance et à leur attractivité à l'égard des entreprises, et d'autre part de professionnaliser leurs pratiques contractuelles.

Les résultats des deux premières phases du dispositif Carnot, de 2006 à 2015, sont très encourageants : les revenus issus de la recherche contractuelle du réseau Carnot ont plus que doublé sur la période et de nombreux indicateurs de performance ont également progressé (nombre de brevets, licences, start-up , publications, entreprises, partenaires, etc.).

Le bilan globalement positif du dispositif après dix années de fonctionnement a conduit à le pérenniser. Sur la base des recommandations de la commission Carnot 3 et des résultats de l'évaluation des instituts labellisés en 2011, une troisième vague de labellisation a permis de labelliser vingt-neuf nouveaux instituts. Trois principales évolutions sont à noter dans ce cadre : les instituts Carnot n'ont plus de limitation de durée afin d'installer le label de manière durable dans la politique de recherche en France ; le label Carnot et ses critères de qualité sont renforcés afin de contribuer à la compétitivité de l'économie par la qualité de leur travail ; enfin, la gouvernance de chaque institut est responsabilisée sur l'utilisation des fonds et la mise en oeuvre de la stratégie.

Source : Agence nationale de la recherche

Opérateur créé ex nihilo , chargé d'acclimater en France un mode de financement qui y était relativement peu pratiqué, l'ANR a parfois eu du mal à se faire accepter de l'écosystème français de la recherche , qui n'a jamais ménagé ses critiques à son endroit.

Si un établissement public comme l'ANR peut, parfois à bon droit, être accusé de mettre en place des procédures trop technocratiques et bureaucratiques , il n'en demeure pas moins que l'agence, qui porte aujourd'hui dans notre pays la responsabilité d'organiser l'ensemble du lourd processus du financement de la recherche sur projets, constitue désormais un acteur indispensable au renforcement de l'excellence , du dynamisme et de la compétitivité de la recherche française .

c) Depuis 2010, l'Agence nationale de la recherche est également devenue un opérateur du Commissariat général à l'investissement pour les programmes d'investissement d'avenir

L'expérience acquise dans le domaine de la gestion de la recherche sur projets a valu à l'agence d'être désignée en 2010 comme le principal opérateur des actions « recherche et enseignement supérieur » des programmes d'investissements d'avenir (PIA) , dont l'objectif est d'amplifier les capacités d'innovation de la France.

Dans ce cadre, la mission confiée à l'ANR comprend la mise en oeuvre des appels à projets , la sélection des projets financés , la contractualisation et le suivi des projets .

Des conventions conclues entre l'État et l'ANR fixent des objectifs de performanc e pour chacune des actions gérées par l'agence, comme le respect du calendrier des processus de sélection ou bien encore la capacité à mettre en oeuvre les procédures d'évaluation .

Pour cette mission, désormais prise en compte par le décret portant organisation et fonctionnement de l'ANR, l'agence rend compte directement au Commissariat général à l'investissement et aux ministères concernés .

21,9 millions d'euros ont été consacrés à l'enseignement supérieur et à la recherche au titre du premier programme d'investissements d'avenir (PIA 1). L'ANR gère à ce titre 19,1 milliards d'euros , complétés par 3,7 milliards d'euros au titre du plan Campus .

L'action de l'ANR dans le cadre du PIA 1 porte sur les trois volets suivants :

- les centres d'excellence comprenant les Initiatives d'excellence (Idex), les Equipements d'excellence (Equipex), les Laboratoires d'excellence (Labex), les Initiatives d'excellence en formations innovantes (Idefi) et les Initiatives d'excellence en formation innovantes numériques ;

- la recherche en santé-biotechnologies (Instituts hospitalo-universitaires-IHU, Cohortes, Infrastructures, etc.) ;

- la valorisation de la recherche : Sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT), Instituts de recherche technologique (IRT), Instituts pour la transition énergétique (ITE), etc.

En février 2017, sur l'ensemble des 14 actions du PIA 1 dont l'ANR est l'opérateur, 7 429 millions d'euros avaient été versés aux bénéficiaires via 759 conventions d'attributives d'aide .

L'ANR est également l'opérateur chargé du programme « Ecosystèmes d'excellence » du deuxième programme d'investissements d'avenir (PIA 2) , qui regroupe les actions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur : Initiatives d'excellence/I-Site, Equipex, Recherche hospitalo-universitaire en santé (RHU) et technologies clés génériques (KET).

Au titre du PIA 2, 20 conventions attributives d'aides avaient été signés et 70 millions d'euros avaient été décaissés au début de l'année 2017.

Enfin, au titre du troisième programme d'investissements d'avenir , l'ANR s'est vu affecter 2 850 millions d'euros , dont 950 millions d'euros de subventions et 1,9 milliard d'euros de dotations décennales , pour financer les axes « soutenir les progrès de l'enseignement supérieur et la recherche » et « valoriser la recherche ».

L'année 2017 étant consacrée aux lancements des premiers appels à projets, les premiers décaissements au titre du PIA 3 interviendront en 2018 .

Les responsables du Commissariat général à l'investissement, entendus par votre rapporteur spécial, ont salué le professionnalisme de l'Agence nationale de la recherche dans la gestion de l'ensemble des actions qui lui ont été confiées à ce jour dans le cadre des programmes d'investissements d'avenir .

L'expérience acquise précédemment en matière d'appels à projets compétitifs a permis, selon l'avis unanime des acteurs, un déploiement très efficace de ces dispositifs de financement de l'enseignement supérieur et de la recherche .

Pour l'agence, le défi à relever a été très exigeant , puisqu'il lui a fallu doubler sa taille et s'approprier de multiples outils conçus par le Commissariat général à l'investissement.

Elle est néanmoins parvenue jusqu'à aujourd'hui à mener à bien cette difficile mission , ce qui lui a permis de s'ancrer encore un peu plus dans le paysage de la recherche française.

Tout l'enjeu pour elle est donc de parvenir à obtenir une appréciation tout aussi favorable en ce qui concerne sa mission première , à savoir la répartition par appels à projets compétitifs de ses propres crédits d'intervention .

2. Depuis 2005, l'Agence nationale de la recherche a développé une pluralité sans doute excessive d'outils financiers destinés à encourager différents types de projets de recherche

Au cours de ses douze années d'existence, l'Agence nationale de la recherche a mis au point une grande diversité d'instruments financiers , adaptés au financement de différents types de projets de recherche .

Dans la logique de l'ANR, un projet donné doit répondre à un certain nombre de caractéristiques pour être éligible à un instrument financier déterminé. Ces outils ne sont pas neutres : ils visent à orienter le travail des chercheurs , en les incitant à travailler en équipe , à s'ouvrir à l'international ou bien encore à mener des projets en commun avec le secteur privé .

L'ANR organise chaque année depuis 2013 un grand appel à projet générique , qui représente environ 80 % de son budget d'intervention . Cet appel à projet unique utilise quatre grands types d'instruments financiers , trois à destinations des équipes de chercheurs et un à destination de chercheurs individuels .

Lorsque les équipes sont uniquement composées de chercheurs issus d'établissements de recherche publics français (organismes, universités, écoles), l'instrument dédié est celui des projets de recherche collaborative (PRC) , dont le montant moyen était de 483 000 euros en 2016. 445 projets ont été financés par cet instrument en 2016, pour un montant global de 213,5 millions d'euros .

Si les équipes incluent des chercheurs issus d'un autre pays dont l'agence a conclu un partenariat avec l'ANR, l'instrument adéquat est celui des projets de recherche collaborative - international (PRCI) , dont le montant moyen était de 267 000 euros en 2016. 88 projets ont été financés dans ce cadre en 2016, pour un montant global de 23,5 millions d'euros .

Enfin, si des chercheurs appartenant à des centres de recherche et développement d'entreprises privées sont impliqués dans le projet, l'outil adéquat est celui des projets de recherche collaborative - entreprise (PRCE) . Le montant des financements obtenus via cet instrument était de 589 000 euros en 2016, dont 20 % pour les entreprises . Cet instrument a permis de financer 132 projets en 2016, pour un coût total de 77,8 millions d'euros .

Au total, environ 80 % des financements alloués chaque année par l'ANR sont destinés à des projets menés par des équipes de chercheurs (74 % en 2016) .

Mais l'Agence nationale de la recherche accorde également des financements individuels à des chercheurs , en particulier aux plus jeunes d'entre eux, grâce à l'instrument Jeunes chercheuses - Jeunes chercheurs (JCJC) , qui rencontre un grand succès et permet de faire émerger de nouvelles personnalités d'avenir . Le montant moyen des financements obtenus par des chercheurs dans ce cadre était de 247 000 euros en 2016. 261 projets ont été financés par cet instrument en 2016, pour un coût total de 64 millions d'euros .

Si ces quatre instruments financiers sont bien identifiés et offrent aux chercheurs des incitations très claires , les autres nombreux instruments financiers développés par l'ANR, souvent utilisés lors d'appels à projets ponctuels et spécifiques, présentent une moins bonne lisibilité .

L'ANR gagnerait donc certainement en efficacité en réduisant le nombre de ces offres , dont certaines sont d'ailleurs aujourd'hui très peu utilisées , à l'instar de l'offre OH Risque, qui n'a servi qu'une seule fois, en 2014.

Recommandation n° 2 : réduire le nombre d'instruments financiers de l'Agence nationale de la recherche pour renforcer la lisibilité de son offre de financement .

3. Le plan d'action de l'Agence nationale de la recherche, bien qu'élaboré en principe en concertation avec l'ensemble des communautés de chercheurs, fait l'objet de contestations
a) Depuis 2013, l'Agence nationale de la recherche élabore tous les ans un plan d'action qui fait intervenir toute la communauté de la recherche française

De 2005, date de sa création, à 2013, l'Agence nationale de la recherche organisait à la fois des appels à projets thématiques , ciblés sur un objectif précis, et des appels à projets ouverts , qualifiés d'appels à projets « blancs » .

Pour présenter le cadre dans lequel s'inscrivaient ces appels à projet, elle élaborait, après une large consultation interne et externe, une programmation pour trois ans . Celle-ci devait être approuvée par son conseil d'administration ainsi que par sa tutelle.

À la suite de la parution en mai 2013 de l'agenda stratégique « France Europe 2020 », qui préfigurait la stratégie nationale de recherche (SNR) adoptée en décembre 2015 (voir infra ), l'ANR a profondément renouvelé , en concertation avec le ministère chargé de la recherche, sa manière d'organiser ses appels d'offre compétitifs .

L'agence a tout d'abord décidé de donner plus de visibilité à sa programmation en publiant tous les ans, et non plus tous les trois ans, un plan d'action décrivant pour l'année à venir les priorités de recherche et les instruments de financement mobilisables .

Ce plan d'action est préparé sur la base de propositions des alliances de recherche , des organismes de recherche (CNRS, Inserm, CEA, etc.) et des établissements d'enseignement supérieur , des ministères , mais également des Comités de pilotage stratégique de défis (CPSD) , structures internes controversées mises en place par l'ANR en 2014 (voir infra ). Le ministère chargé de la recherche assure la coordination interministérielle nécessaire à une vision stratégique du document. Le conseil d'administration de l'ANR l'approuve.

Le plan d'action annuel tente d'orienter la recherche en direction des grands enjeux auxquels est confrontée la société , mais également de favoriser l'interdisciplinarité ainsi que le travail des chercheurs issus de la recherche publique française avec des chercheurs issus d'entreprises privées ou d'établissements de recherche étrangers .

Le plan d'action de l'ANR est censé s'inscrire dans le cadre fixé au niveau français par l'Agenda stratégique « France Europe 2020 » et la stratégie nationale de recherche (SNR) , ces textes étant eux-mêmes en cohérence avec la structuration du programme-cadre européen Horizon 2020 . Mais la concordance n'est pas parfaite , ce qui suscite des tensions (voir infra ).

La stratégie nationale de recherche

La loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche définit une stratégie nationale de recherche (SNR), quinquennale, inscrite dans un cycle d'évaluation de sa mise en oeuvre et de révision. Cette SNR est un élément central de l'agenda stratégique « France Europe 2020 » dévoilé en mai 2013 et s'inscrit résolument dans l'Espace européen de la recherche. La SNR, avec ses 41 orientations et ses 5 programmes d'actions prioritaires, a été présentée au Premier ministre le 14 décembre 2015.

L'ambition principale de la SNR est d'identifier un nombre limité de grandes priorités scientifiques et technologiques permettant d'affronter au mieux les neuf défis sociétaux identifiés par l'agenda France Europe 2020, complétés par un dixième défi interministériel, en cohérence avec la programmation européenne Horizon 2020 :

Gestion sobre des ressources et adaptation au changement climatique ;

Une énergie, propre, sûre et efficace ;

Stimuler le renouveau industriel ;

Santé et bien-être ;

Sécurité alimentaire et défi démographique ;

Mobilité et systèmes urbains durables ;

Société de l'information et de la communication ;

Sociétés innovantes, intégrantes et adaptatives ;

Une ambition spatiale pour l'Europe ;

Liberté et sécurité de l'Europe, de ses citoyens et de ses résidents.

Cinq enjeux ont été considérés comme devant être traités avec une urgence particulière, compte tenu de la diversité de leurs impacts économiques et sociaux, des dynamiques internationales en cours, et de la maturité des actions envisagées :

- Big data : Ouvrir et exploiter un gisement exceptionnel de connaissances et de croissance : l'explosion du volume de données numériques dans l'ensemble de la société et des domaines de la science, qui représentent un gisement exceptionnel de connaissances nouvelles et de croissance économique ;

- Système Terre : Observation, prévision, adaptation - Organiser l'acquisition et l'exploitation des données d'observation de la Terre pour anticiper les conséquences du changement climatique : le rôle premier de la science et de l'innovation dans l'analyse et la gestion du risque climatique, alors que la France va accueillir cette année la 21 e Conférence des parties et s'est donné l'objectif d'un accord international ambitieux ;

- Biologie des systèmes et application - Soutenir l'émergence de concepts nouveaux pour la compréhension du vivant et développer les applications médicales et industrielles : la révolution de notre compréhension du vivant sous l'effet du développement de la biologie des systèmes, avec de nombreuses applications associées dans la santé, l'environnement, l'alimentation, la chimie ;

- Du laboratoire au patient - Associer recherche en laboratoire, recherche clinique et innovation privée pour le bénéfice des patients : la nécessité de développer une offre de soins toujours plus innovante et efficace, grâce au développement d'approches thérapeutiques innovantes, de nouveaux protocoles de soins, et de modalités plus personnalisées de prise en charge des patients, avec la médecine de précision ;

- Homme et cultures - Appréhender les phénomènes humains dans leurs réalités individuelles et sociales : l'importance de la connaissance des cultures et de l'homme, pour assurer le dialogue, analyser les ressorts de l'intégration et, à l'inverse, de la radicalisation, dans nos sociétés plus globalisées et interconnectées que jamais.

La mise en oeuvre de la SNR fait l'objet d'un cadrage par la loi du 22 juillet 2013 : « Les contrats pluriannuels conclus avec les organismes de recherche et les établissements d'enseignement supérieur, la programmation de l'Agence nationale de la recherche ainsi que les autres financements publics de la recherche concourent à la mise en oeuvre de la stratégie nationale de recherche ». La loi prévoit en outre une évaluation à mi-parcours par un rapport biennal de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), avant une évaluation complète de cette mise en oeuvre au bout de cinq ans avant sa révision.

Source : ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

L'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) écrivait en 2012 à propos du processus trisannuel de programmation de l'ANR que celui-ci constituait « un ensemble complexe , avec de multiples entrées et boucles de rétroaction donnant in fine à l'ANR une grande latitude de décision ». Elle en concluait « qu'il conviendrait de mieux articuler les diverses consultations menées par l'ANR afin d'éviter les redondances et de limiter les luttes d'influence ».

Bien que les plans d'action de l'ANR soient désormais renouvelés tous les ans, le constat et la préconisation de l'AERES demeurent pleinement d'actualité .

b) Le plan d'action de l'Agence nationale de la recherche est construit selon une architecture complexe qui le rend difficilement lisible

Le plan d'action est la feuille de route de l'ANR pour une année budgétaire donnée . Il présente les appels à projets de l'agence , ses principales actions nationales et internationales , les priorités de recherche ainsi que les instruments de financement mis à disposition des chercheurs . Le document propose ainsi une vision d'ensemble de l'offre de financement de l'agence .

Le plan d'action 2017 de l'ANR se décompose en quatre composantes transversales , chacune dotée d'un budget propre et d'instruments de financement dédiés :

- Grands défis sociétaux ;

- Aux frontières de la recherche ;

- Construction de l'espace européen de la recherche (EER) et attractivité internationale de la France ;

- Impact économique de la recherche et compétitivité.

L'architecture du plan d'action 2017 de l'ANR

Source : plan d'action 2017 de l'Agence nationale de la recherche

Comme le schéma supra permet de le constater, l'architecture du plan d'action annuel de l'ANR tient à la fois de la matrice à double entrée (les différentes composantes et les instruments financiers) et de la poupée russe , avec l'explicitation détaillée des neuf défis , qui ne correspondent pourtant qu'à une seule des composantes.

Ce document de 170 pages paraît à bien des égards trop technocratique : un travail de simplification paraît nécessaire.

Recommandation n° 3 : adopter un plan d'action annuel plus court et plus clair .

Une très grande partie du plan d'action fait l'objet d'un appel à projets générique annuel , transversal aux quatre composantes .

La programmation scientifique de cet appel est organisée autour des neufs défis sociétaux et du défi des autres savoirs .

Il mobilise surtout les quatre instruments communs aux quatre composantes déjà évoqués : les projets collaboratifs, les projets collaboratifs avec des entreprises ou internationaux et les projets de jeunes chercheurs.

Les deux dernières composantes, en revanche, intègrent des outils de recherche collaborative et des outils plus spécifiques (Tremplin ERC, Montage de réseaux scientifiques européens ou internationaux, Labcom, Chaires industrielles, dispositif Carnot), ce qui ne contribue pas à les rendre plus lisibles .

(1) La composante « Grands défis sociétaux » incite les chercheurs à présenter des projets de recherche en lien avec de grandes problématiques contemporaines mais est sujette à controverse

Une grande partie du plan d'action de l'ANR est organisée autour de neuf grands défis sociétaux qui correspondent peu ou prou à neuf des défis identifiés dans l'agenda stratégique « France Europe 2020 » , le dixième, qui concerne le domaine spatial, relevant du Centre national d'études spatiales (CNES).

Les instruments financiers de cette composante sont principalement les projets de recherche collaborative (PRC), les projets Jeunes chercheuses - Jeunes chercheurs (JCJC) et les projets Flash.

Les neufs défis sociétaux de l'ANR en 2017

Défi n° 1 Gestion sobre des ressources et adaptation au changement climatique

Défi n° 2 Énergie propre, sûre et efficace

Défi n° 3 Stimuler le renouveau industriel

Défi n° 4 Vie, santé et bien-être

Défi n° 5 Sécurité alimentaire et défi démographique

Défi n° 6 Mobilité et systèmes urbains durables

Défi n° 7 Société de l'information et de la communication

Défi n° 8 Sociétés innovantes, intégrantes et adaptatives

Défi n° 9 Liberté et sécurité de l'Europe, de ses citoyens et de ses résidents

Source : plan d'action 2017 de l'Agence nationale de la recherche

Ces défis de société visent, selon l'ANR, à « encourager des recherches thématiques, multidisciplinaires et intégratives autour de grandes questions de société ».

Conformément aux recommandations du Conseil stratégique de la recherche, chacun de ces défis couvre non seulement des recherches finalisées , mais aussi des recherches fondamentales en rapport avec ces objectifs.

Comme il est exposé infra , la communication de l'agence a été déficiente sur ce point , puisque beaucoup de chercheurs paraissent persuadés que les financements accordés dans le cadre de ces neuf défis ne concernent pas la recherche fondamentale, ce qui est faux.

Autre critique récurrente : ces défis seraient en partie artificiels et forceraient les chercheurs à multiplier les contorsions pour faire coïncider leurs projets avec tel ou tel défi , au prix d'une débauche de temps et d'énergie considérable .

Si la volonté d'orienter les travaux des chercheurs vers les principales demandes de la société est louable, la répartition des crédits par défi lors de l'appel à projet générique ne doit pas conduire à sacrifier certaines disciplines ou à faire subir aux chercheurs des demandes de justifications tatillonnes sous prétexte que leurs projets n'entrent pas parfaitement dans la grille de lecture administrative de l'ANR.

(2) La composante « Aux frontières de la recherche » doit permettre aux chercheurs de présenter des projets de recherche qui ne s'inscrivent dans aucun des neufs défis sociétaux de l'Agence nationale de la recherche

Cette composante complète les grands défis sociétaux, en ce qu'elle vise à assurer des possibilités de financement aux projets n'entrant pas directement dans le périmètre défini pour les défis de société .

C'est elle qui porte le mal-nommé « défi des autres savoirs » , dixième défi structurant l'appel générique et héritier des anciens appels à projet « blancs » de l'ANR .

Selon l'ANR, l'existence de ce défi « démontre la volonté de maintenir, pour toutes les communautés scientifiques, des possibilités de financement des projets de recherche fondamentale destinés à préparer l'avenir de nos sociétés , et qui n'entrent pas dans les périmètres des neuf défis sociétaux actuels ».

A l'instar de la composante « Grands défis sociétaux », les principaux outils financiers mobilisés par cette composante sont les projets de recherche collaborative (PRC), les projets Jeunes chercheuses - Jeunes chercheurs (JCJC) et les projets Flash

(3) La composante « Construction de l'espace européen de la recherche et attractivité internationale de la France » porte l'action européenne et internationale de l'Agence nationale de la recherche

Cette composante vise à développer l'influence et la visibilité de la recherche française . Elle soutient les projets européens et internationaux des chercheurs , en partenariat avec des agences étrangères . Elle comporte également quelques instruments spécifiques visant à renforcer l'attractivité internationale de la France et le positionnement français en Europe.

L'instrument financier dédié à cette composante est le projet de recherche collaborative - international (PRCI), qui présente les mêmes caractéristiques que les PRC, mais avec la spécificité d'inclure au moins un partenaire étranger, issu d'un pays dont l'agence a signé un accord avec l'ANR.

(4) La composante « Impact économique de la recherche et compétitivité » encourage les partenariats entre recherche publique et recherche privée

La composante « Impact économique de la recherche et compétitivité » vise à stimuler le partenariat avec les entreprises ou le transfert de résultats de la recherche publique vers des domaines socio-économiques .

En complément, des projets partenariaux avec des entreprises qui constituent l'un des instruments de financement disponibles dans l'appel générique, l'ANR dispose d'une série d'instruments et de programmes visant à dynamiser le partenariat entre les laboratoires et les entreprises selon des modes d'action différents de la recherche sur projets.

c) La compatibilité du plan d'action avec la stratégie nationale de recherche devrait être renforcée, en particulier pour la recherche en santé

Le plan d'action de l'ANR, opérateur de la recherche sur projets en France, a naturellement vocation à refléter aussi précisément que possible les orientations de la stratégie nationale de recherche (SNR) .

Or, certains organismes de recherche s'inquiètent que la concordance entre ces deux documents ne soit pas parfaite , situation qui peut être source de difficultés pour certains projets.

Sollicitée sur ce point, l'ANR a répondu que, dans le résumé de chaque défi sociétal, le positionnement par rapport à la stratégie nationale de recherche était spécifié .

Elle a également fait valoir que depuis octobre 2015, le processus de soumission de l'appel générique demandait aux porteurs de projet d'indiquer explicitement les orientations de la stratégie nationale de recherche concernées par leur projet .

Toujours selon l'ANR, pour huit des neuf défis sociétaux de l'appel 2016 (hors le défi n° 4 « Vie, santé, bien-être »), le bilan 2016 de cohérence était de 86 % sur les deux étapes (soumission et sélection).

Toutefois, l'agence concède que la situation du défi n° 4 « Vie, santé, bien-être » est différente , en raison d'une rédaction moins ciblée de la partie du plan d'action relative aux orientations 16 et 17 du document SNR. En outre, l'orientation 18 qui concerne la recherche clinique (Réseau national de centres d'excellence pour la recherche et le soin) n'entre pas dans les domaines thématiques couverts par le plan d'action de l'ANR . Ainsi, pour ce défi, la cohérence est nettement plus faible , de l'ordre de 40 % .

En intégrant l'ensemble des neuf défis, y compris le défi n° 4 qui représente environ un tiers des dépôts de l'appel générique, le pourcentage de cohérence diminue logiquement pour atteindre 68 % .

Recommandation n° 4 : veiller à ce que le plan d'action annuel soit conforme aux orientations de la stratégie nationale de recherche (SNR) .

Le fait que l'ANR puisse privilégier ses propres priorités thématiques , sans toujours tenir compte des priorités définies par la stratégie nationale de recherche, qui plus est sur une thématique qui représente un tiers de l'appel à projet générique , est problématique.

Une telle situation, susceptible d'entraîner l'échec d'excellents projets, ne saurait être admise . C'est la stratégie nationale de recherche qui constitue la feuille de route de la recherche française, et non la programmation annuelle de l'ANR.


* 2 Décret n° 2006-963 du 1 er août 2006 portant organisation et fonctionnement de l'Agence nationale de la recherche.

* 3 Décret n° 2014-365 du 24 mars 2014 modifiant le décret n° 2006-963 du 1 er août 2006 portant organisation et fonctionnement de l'Agence nationale de la recherche.

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