II. AUDITION CONJOINTE DE REPRÉSENTANTS DES PRODUCTEURS, CRÉATEURS, EXPLOITANTS ET DISTRIBUTEURS

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous sommes très heureux de vous accueillir pour la première table ronde de notre journée d'étude consacrée à la chronologie des médias, introduite ce matin par l'audition de M. Christophe Tardieu, secrétaire général du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), qui a dressé avec pédagogie un état des lieux et fait état des principaux enjeux sur un sujet aussi complexe que crucial pour l'avenir du financement de la création.

Si le principe de la chronologie des médias repose sur la cohérence et la proportionnalité des différentes fenêtres d'exploitation par rapport au poids et aux obligations de chacun dans le préfinancement des oeuvres, la place croissante des plateformes sur le marché, alors que certaines ne se plient ni aux règles de la chronologie des médias ni aux obligations de financement de la création, contribue à fragiliser un système jusqu'alors efficient et vertueux.

En outre - et vous avez été nombreux à faire part de vos inquiétudes à la délégation sénatoriale à l'occasion du dernier Festival de Cannes - des acteurs traditionnels se trouvent en grande difficulté financière.

Pourtant, faute d'avoir été dénoncé par une ou plusieurs organisations professionnelles représentatives dans le délai imparti, l'accord du 6 juillet 2009, initialement conclu pour trois ans, est reconduit tacitement depuis.

Certes, la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine limite désormais à trois ans à la validité de l'arrêté ministériel d'extension. Mais les négociations relancées sous l'égide du CNC pour tenter de faire évoluer la chronologie actuelle n'ont à ce jour pas abouti.

Notre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, traditionnellement soucieuse d'offrir aux créateurs un environnement juridique et financier qualitatif, est convaincue qu'il convient d'évoluer sous peine de voir le modèle français par trop souffrir de la concurrence des acteurs internationaux.

Vous êtes créateurs, producteurs, exploitants ou distributeurs : quelle position défendez-vous sur ce sujet ? Quelles sont, selon vous, les évolutions envisageables et les lignes rouges infranchissables ? Comment adapter la chronologie des médias et faire cohabiter harmonieusement les différents modes de diffusion sans mettre en danger le financement des oeuvres ?

Je vous propose d'exposer chacun votre opinion lors d'un propos liminaire de cinq minutes. Puis, pour engager le débat, je donnerai la parole à Jean-Pierre Leleux, notre rapporteur pour l'audiovisuel. Interviendront ensuite les orateurs des groupes puis les collègues qui souhaiteraient poser d'autres questions.

M. Frédéric Goldsmith, délégué général de l'Union des producteurs de cinéma (UPC). - Merci de nous inviter pour évoquer ce sujet complexe. Cela fait plusieurs années que nous nous réunissons et que nous négocions une éventuelle modification de l'actuelle réglementation.

Le socle de la chronologie des médias a été établi par la loi, qui a défini, en application de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels, un certain nombre de règles. Le délai vidéo a été fixé par la loi à quatre mois après la sortie en salles, avec une dérogation possible à trois mois si le film a enregistré très peu d'entrées, dérogation qui n'a jamais été utilisée à ce jour. En effet, lorsqu'un film ne rencontre pas le succès, il n'est guère propice de relancer une période de promotion. Les autres délais sont fixés par un accord multipartite souscrit par 35 signataires. Il s'agit d'un accord unique même si le code du cinéma et de l'image animée prévoit un accord par fenêtre d'exploitation (vidéo à la demande, télévision payante, télévision gratuite, etc.). Cet accord global a été conclu en 2009 dans la foulée de l'adoption de la loi dite Hadopi, avec le fort appui du Parlement, qui a souhaité que cet accord soit rapidement conclu.

Se pose également la question de la méthodologie de sa modification. Si l'on suit en effet le strict parallélisme des formes, il faudrait aujourd'hui recueillir 35 signatures, ce qui souligne la complexité des choses.

Un encadrement est prévu par la loi à travers des arrêtés d'extension accordés par la ministre de la culture, mais il n'existe pas de mécanisme supplétif. Est-ce compatible ou non avec le droit européen ? C'est un vrai sujet.

Une réforme paraît quoi qu'il en soit essentielle aux producteurs de cinéma, du fait d'un certain nombre d'évolutions.

La lutte contre le piratage est un prérequis absolu, sans quoi toute réflexion sur la chronologie des médias est vaine par essence. On ne peut réorganiser aussi profondément un secteur économique sans établir des règles claires sur le fait que les oeuvres ont une valeur que les consommateurs comme les grands opérateurs, même ceux qui sont en dehors du territoire national, doivent respecter. Ceci oblige à disposer de dispositifs particuliers comme celui ayant donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation, le 6 juillet dernier, permettant de bloquer l'accès à un certain nombre de sites illégaux. Nous souhaitons d'autres actions dans ce domaine.

Il faut donc réformer la chronologie des médias, sans doute dans le sens d'un avancement des fenêtres, car les usages ont été profondément bouleversés par le numérique et faire en sorte que les oeuvres soient accessibles au public. Il faut que les ayants droit aient la possibilité de se préparer, en amont, à une possible déprogrammation en une semaine afin de disposer d'une alternative. Nous proposons bien évidemment des solutions.

La question de l'avancée des fenêtres de chaîne de télévision se pose également. Nous avons souscrit à l'une d'elle pour le compte de la chaîne Canal+, mais avec pour règle de mieux lier les fenêtres aux engagements en faveur de l'investissement dans les oeuvres et de leur exposition.

Autre principe : faire en sorte que les oeuvres restent accessibles à travers le dégel de la fenêtre de vidéo à la demande. Les oeuvres doivent toujours être accessibles. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Enfin, dès lors qu'une oeuvre n'a pas été achetée par la télévision payante mais par la télévision gratuite, dans quelle mesure celle-ci peut-elle avancer ?

Mme Hortense de Labriffe, secrétaire générale de l'Association des producteurs indépendants (API). - Nous partageons totalement ce qui vient d'être dit à propos de la lutte contre le piratage comme préalable à la réforme de la chronologie des médias. Il est en effet vain de chercher à la réformer sans cela. Une étude d'Ernst & Young, publiée il y a quelques mois, chiffre à 1,3 milliard d'euros par an le manque à gagner pour le secteur.

Autre point important : la chronologie des médias doit s'envisager à partir de la mise en perspective de la durée d'exclusivité des différentes fenêtres. Il ne faut donc pas seulement avancer les fenêtres, mais ne pas favoriser ou défavoriser tel ou tel diffuseur.

Mme Julie Lorimy, déléguée générale de la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF). - Le fait que le secteur parvienne à signer des accords sur des sujets importants constitue un signe positif.

Je voudrais m'associer à ce qui a été dit au sujet de la nécessité d'actions fortes en matière de lutte contre le piratage. En l'absence d'actions, ce fléau peut annihiler tous nos efforts.

Nous constatons aujourd'hui une baisse des interventions des chaînes dans le cinéma. A contrario , les salles connaissent un très haut niveau en termes de fréquentation. Il nous semble que les relais de croissance que l'on peut attendre aujourd'hui sont liés à la vidéo sous toutes ses formes. Or le secteur de la vidéo physique a perdu plus de 65 % de son chiffre d'affaires entre 2005 et 2016. On est passé de plus d'un milliard d'euros à environ 350 millions d'euros, soit une perte vertigineuse. Il nous semble qu'il faut réfléchir collectivement à la manière de redonner de la valeur et de la croissance à ce secteur, que l'on peut appréhender dans son ensemble - vidéos dématérialisées ou physiques.

Autre principe : il faut impérativement objectiver le poids économique de chaque support ou mode de diffusion dans le financement des films. Nous souhaitons également que l'amortissement soit pris en compte.

Par ailleurs, avec l'API, avec qui nous collaborons au sein du Bureau de liaison des industries cinématographiques, nous considérons la question de la durée des exclusivités comme un sujet majeur. Il nous semble que la fenêtre glissante constitue l'idée la plus saine qui ait émergé au cours des discussions qui ont lieu depuis quelques années. Elle permet à la fois de fluidifier la circulation des oeuvres sur les différents supports, sans affecter le respect des exclusivités. Cette question est une des clés de la discussion.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous suivons attentivement le conflit qui vous oppose à Canal+, et trouvons choquant qu'on ne reverse pas aux auteurs ce qui leur est dû. Sans auteur, pas de création. Sans création, pas de cinéma, d'audiovisuel ou de chaînes. Cette situation nous préoccupe.

M. Nicolas Mazars, responsable juridique de l'audiovisuel et de l'action professionnelle de la Société civile des auteurs multimédias (SCAM) . - Merci pour ce préalable au sujet des opérateurs vertueux, qui soulève le problème de la rémunération des auteurs. À partir du moment où l'on bénéficie d'une fenêtre privilégiée, on se doit parallèlement d'être redevable vis-à-vis de certaines obligations légales, dont le droit d'auteur.

S'agissant de la chronologie des médias, deux problématiques sont plus particulièrement frappantes au regard de l'accord de 2009. La première, c'est sa rigidité. Cette règle s'applique en effet de la même façon à un blockbuster comme à un documentaire qui sort dans dix salles, financé grâce à moins d'un million d'euros, alors que ces films n'ont pas la même vie, pas la même économie ni le même public. Le document possède en effet certaines particularités. La chronologie des médias aurait donc bien besoin d'être adaptée, preuve en est que toutes les télévisions payantes n'investissent pas dans le documentaire, Canal+ en tête.

Or, s'il n'existe pas d'achat de droits sur la première fenêtre, de la sortie en salle à la diffusion gratuite, le film n'est pas exposé - sauf en VàD, mais les films modestes ne sont pas forcément en « tête de gondole » des propositions. En règle générale, ce sont toujours les mêmes films qui sont proposés en première page, et rarement les plus modestes. Il existe donc des « trous dans la raquette » par désintérêt pour certaines fenêtres. Le glissement des fenêtres aiderait à resserrer davantage les liens de l'exploitation, permettrait une exploitation plus suivie des oeuvres afin que ces films soit exposés au public et mieux financés de façon permanente. Les télévisions gratuites hésitent à financer un film qui ne viendra pas sur leur antenne avant deux ans. Passé ce délai, les médias s'en sont désintéressés, sans parler du piratage, que les télévisions gratuites sont les premières à subir, beaucoup de spectateurs ayant déjà vu le film avant sa diffusion à la télévision.

En second lieu, il est frappant de constater l'inadéquation de la chronologie des médias avec l'évolution technologique. En matière de disponibilité des oeuvres, le gel des droits de la VàD constitue une pratique récurrente. Dans l'une de ses dernières propositions, le CNC évoquait le dégel de la VàD : c'est un pas indispensable. Ceci est en effet dommageable pour ceux qui n'ont pas envie de s'abonner à Canal+ mais qui désirent voir un film en particulier. La VàD n'ayant pas pris le relais du DVD, ce gel pourrait constituer une première piste d'évolution.

Face aux nouveaux modèles économiques que l'on voit poindre, il est difficile d'y voir clair, et la chronologie des médias est si rigide, qu'on ne peut rien expérimenter.

Il n'existe par exemple aujourd'hui aucune possibilité de Day and Date ou de géolocalisation dans des régions où un film n'est pas accessible en salle. On pourrait promouvoir certains petits films, et mettre une fenêtre de VàD en amont de la sortie en salle pour créer un effet de bouche-à-oreille. Il n'est toutefois pas possible de l'expérimenter en l'état.

Or, si l'on veut y voir clair demain, l'évolution de la chronologie des médias me semble devoir passer par l'expérimentation, afin de déterminer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. C'est une question de bon sens.

M. Radu Mihaileanu, réalisateur, membre de la Société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs (ARP). - C'est grâce à vous, mesdames et messieurs les sénateurs, que nous sommes ici aujourd'hui, car vous nous avez soutenus en 2013au sujet de l'exception culturelle sans laquelle on ne pourrait évoquer la chronologie des médias. Face à un monde de plus en plus violent, où s'expriment beaucoup de tensions, alors que les extrémismes sévissent un peu partout en Europe, nous nous posons la question de notre rôle, de celui de la culture et de l'éducation. La culture peut-elle aider à susciter la curiosité envers autrui, plutôt que la peur de l'autre ? C'est dans cette perspective que nous devons réfléchir à la chronologie des médias. Même si cela agace parfois Bruxelles, la France a toujours été visionnaire, précurseur. Il faut rappeler combien les autres pays du monde nous envient ce modèle exceptionnel, qui demande bien sûr aujourd'hui à être renouvelé et dépoussiéré.

Je rappelle que l'accord signé l'a été à l'époque hertzienne, et que nous sommes aujourd'hui à l'ère du numérique. Même si nous sommes conscients qu'il ne faut pas casser l'outil, il faut déterminer la meilleure chronologie permettant d'accéder aux oeuvres et à la pensée dans les meilleures conditions possibles.

À Cannes, 70 % des films figurant en compétition sont produits ou coproduits par la France. Comment favoriser cette production indépendante, diverse et comment rendre les oeuvres accessibles sur tous les territoires ? Aujourd'hui, il existe un problème de disparité de diffusion. Certaines oeuvres sont plus destinées que d'autres aux Parisiens. Il faut donc réfléchir à la manière d'utiliser les nouvelles technologies. Certains films qui ne sont copiés que dix ou vingt fois seraient-ils réservés à des privilégiés ? Pourquoi ne pas leur donner la chance de toucher toute la population française ? Pourquoi ne pas inventer ce modèle pour l'Europe et pour le monde ? Créer des « trous » dans la diffusion génère automatiquement du piratage. Lorsqu'une oeuvre n'est pas diffusée sur tel ou tel territoire, l'usager essaie de compenser ce manque.

Chacun est ici préoccupé par le comportement de Canal+, partenaire majeur du cinéma français. Le droit d'auteur représente la garantie d'indépendance de la pensée. La seule façon de se délivrer de ceux qui voulaient imposer leur façon de penser aux auteurs fut l'invention, par Beaumarchais et Voltaire, du droit d'auteur. Or ce symbole est en train d'être piétiné. Dans un État de droit, un accord ne semble plus rien signifier et nous ne pouvons le tolérer. Comment demander aux acteurs étrangers de respecter nos règles quand ce n'est pas le cas chez nous ?

Par ailleurs, l'un des acteurs français de la diffusion est domicilié en dehors de France. Est-ce pour des raisons fiscales ou pour contourner certaines règles ?

M. Richard Patry, président de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF). - Merci de vous être emparés de ce sujet capital, qui sert de lien à la création française et internationale, comme le rappelaient les précédents orateurs.

Nous sommes tous d'accord pour dire que le préalable à cette modification de la chronologie des médias est la mise en place d'une lutte efficace contre le piratage, sans laquelle nous n'aurons pas de résultats.

La vidéo physique et dématérialisée a bénéficié d'une importante évolution de sa fenêtre, puisque la salle de cinéma a abandonné deux mois d'exclusivité lors des précédentes négociations en 2009, sa fenêtre passant de six à quatre mois mais le marché de la vidéo physique a continué à s'écrouler, sans que celui de la vidéo dématérialisée n'ait pris le relais.

Je tiens à affirmer haut et fort que la salle de cinéma représente un rempart contre le piratage. Il n'y a de copies piratées qu'en cas de mise en ligne d'un fichier numérique. Les films français ne sont en effet quasiment pas piratés pendant leur période d'exploitation en salle. Raccourcir cette fenêtre reviendrait donc à mettre une copie pirate sur le marché.

Notre message principal consiste à dire que le problème de l'adaptation de la chronologie des médias n'est plus celui de la salle. Elle a tout donné. Elle est à quatre mois, et a perdu les deux tiers de sa fenêtre en quinze ans. Comme les autres diffuseurs, elle bénéficiait de douze mois. Nous sommes passés à six mois, puis à quatre mois. Tous les autres opérateurs ont vu leur fenêtre maintenue dans la durée.

Je me permets une boutade : si tout le monde réduit sa fenêtre à quatre mois, comme les salles, la SVàD va parvenir à seize mois ! Or je ne pense pas que le fait de réduire d'un mois la fenêtre des salles - ce qui amènerait la SVàD de 36 à 35 mois - règle le problème de la chronologie des médias. Nous pensons que la problématique de la chronologie des médias n'est plus une problématique de la salle, mais bien de l'exploitation des oeuvres dans la filière.

Oui, les salles de cinéma se portent bien. Oui, elles sont aujourd'hui les principaux financeurs du cinéma français, mais tout cela n'est acquis que grâce à des d'investissements importants de notre filière, aux côtés des auteurs et des créateurs, dans des oeuvres toujours plus diverses, que les salles de cinéma s'entendent pour projeter dans les meilleures conditions possibles, et dans leur grande diversité. Seule la salle de cinéma expose toutes les oeuvres.

On peut aussi se demander pourquoi la vidéo n'expose que 20 % de films français, contre entre 35 % et 40 % de parts de marché pour les oeuvres françaises en salle. Rappelons que la salle de cinéma fait remonter au cinéma français près de 400 millions d'euros par an grâce à la billetterie. Il faut donc la protéger.

On parlait d'expérimentations. Il y a eu des expérimentations au niveau de la Commission européenne, et c'est justement parce qu'elles n'ont rien donné qu'elles ont été arrêtées. Aujourd'hui, le Day and Date est un faux débat. Il faut laisser sa fenêtre d'exclusivité à la salle de cinéma qui, présente sur tout le territoire, joue un rôle social et culturel de proximité.

Soyons clairs : nous ne sommes pas particulièrement privilégiés. Les Allemands ont une fenêtre à six mois, les Britanniques ont, comme la France, une fenêtre à quatre mois, et tous les autres pays européens sont compris entre quatre et six mois. Ces chiffres émanent de la Fédération internationale de la vidéo.

La fenêtre des salles est également la seule qui bénéficie d'une dérogation conforme au droit européen. Aujourd'hui, un quart des films peut prétendre à obtenir une dérogation. Ce sont certes les plus faibles, mais ceux-là pourraient sortir à trois mois. Pourtant, personne ne saisit l'opportunité. On peut se demander pourquoi...

Lors de nos premiers tours de table, nous avons réalisé une avancée très importante en nous mettant d'accord pour porter ce chiffre à 50 %. La moitié des films pourraient donc obtenir une dérogation à trois mois, contre 25 % dans les autres cas.

Enfin, je voudrais combattre les idées reçues à propos des salles de cinéma françaises. On nous dit que 80 % des entrées se font au cours des six premières semaines d'exploitation. C'est vrai, mais les 20 % restants sont réalisées sur les territoires. Toutes les salles ne sortent pas tous les films au cours de la première semaine. La moitié des établissements, en France, sont des mono-écrans, inscrits dans un territoire de proximité, et passent les films, en moyenne, en huitième semaine. Si vous réduisez la fenêtre des salles, vous fragilisez ce réseau de proximité, qui a un rôle social et culturel.

Nous sommes bien sûr d'accord pour travailler avec tous les partenaires de la filière sur une modification de la chronologie des médias, notamment pour discuter et améliorer la dérogation, qui ne fonctionne pas actuellement, mais nous vous demandons d'être vigilants : la salle de cinéma reste aujourd'hui un pilier fondateur de notre industrie. Elle défend les oeuvres, les présente, et il faut éviter de la fragiliser.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La chronologie des médias est apparue dans les années 1960, quand les ménages se sont équipés de téléviseurs et qu'est née la concurrence avec la salle de cinéma.

Nous avons tous, dans nos territoires, beaucoup oeuvré pour maintenir le maillage de salles. Nous sommes donc convaincus de la place et du rôle de la salle de cinéma.

M. Guillaume Prieur, chargé des relations institutionnelles de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). - Depuis maintenant six ans, des discussions interprofessionnelles sont engagées afin de déterminer la façon dont il est possible de faire évoluer la chronologie des médias.

Pour notre part, nous ne sommes pas signataires de l'accord conclu en 2009. À l'époque déjà, nous trouvions cette chronologie anachronique et trop rigide. Elle n'offrait aucun point d'équilibre entre deux principes importants : assurer un meilleur financement des oeuvres en protégeant les financeurs et permettre l'accès du public le plus large possible aux oeuvres, en évitant de trop fortes discontinuités dans l'exploitation de celles-ci. C'est ici que le bât blesse.

Nous critiquons surtout les modalités pratiques de la chronologie des médias, qui existaient déjà en 2009 et qui perdurent alors que ces règles sont largement dépassées. L'anachronisme que nous dénonçons porte sur l'ensemble du délai couvert, qui va de zéro à 48 mois et ne correspond plus vraiment à l'évolution des usages et de la consommation des oeuvres. Or, on ne peut omettre le souhait des utilisateurs de disposer des oeuvres rapidement, compte tenu de la vitesse à laquelle les films sont exposés et font l'objet d'une rotation.

Cela ne correspond pas non plus au besoin d'attractivité des acteurs qui financent les films qu'ils diffusent.

Un des critères fondamentaux à la base de la chronologie des médias consiste à pouvoir bénéficier d'une certaine souplesse, afin de tenir compte de la vie et de l'économie des films. Un arrêt célèbre de la Cour de justice européenne avait, en 1985, validé la chronologie des médias française, jugeant qu'elle poursuivait un objectif culturel et était également proportionnée. À l'époque, il était possible d'avoir des sorties différenciées, notamment en vidéo, en fonction du succès d'un film en salle. Cette souplesse avait été reconnue et validée comme un critère important.

Nous pensons que la réflexion ne peut pas non ignorer les évolutions positives introduites au Sénat dans la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, avec la mise en place de l'exploitation suivie des oeuvres. On ne peut aboutir collectivement à un accord interprofessionnel sur ce sujet et se heurter à l'autre accord de 2009 qui organise les conditions d'une certaine forme de discontinuité dans l'exploitation. L'une des raisons essentielles pour lesquelles nous n'avions pas signé l'accord de 2009 réside dans le fait qu'un film qui n'a été ni préacheté ni acheté par une chaîne payante ou une chaîne diffusée en clair est interdit d'exploitation sur le territoire français entre dix mois et 36 mois après sa sortie en salle. La dernière proposition du CNC combinait des fenêtres coulissantes et des fenêtres glissantes pour éviter les discontinuités. Pour notre part, nous nous sommes déclarés assez sensibles à cette proposition, qui offrait une plus grande souplesse.

On offrait ainsi à Canal+ la possibilité d'exploiter les oeuvres six mois après leur sortie en salle, à condition de financer les films dans une certaine proportion. Mais c'était avant que Canal+ ne confirme son refus d'acquitter le paiement des droits d'auteur...

J'en profite pour vous remercier de votre vigilance à ce sujet. Un acteur qui bénéficie d'un avantage dans l'exposition ou d'une certaine forme de souplesse est forcément un acteur vertueux. Celui-ci ne peut se contenter de payer ses impôts et de respecter ses obligations, il doit également payer les droits d'auteur et respecter les engagements qu'il a signés. Nous sommes dans un État de droit où chacun doit respecter ses obligations. Si l'on n'est pas satisfait du contrat, on le dénonce. Pour l'instant, Canal+ n'en a dénoncé aucun. Il s'est contenté de ne pas payer, estimant que cela lui revenait trop cher. Les plateformes de VàD, qu'il s'agisse de Netflix ou d'Amazon, respectent scrupuleusement les contrats et paient les auteurs. Si des souplesses doivent être accordées aux plateformes de VàD pour une exploitation précoce des films, via des fenêtres glissantes ou des fenêtres plus courtes, les plateformes doivent respecter leurs obligations et se montrer vertueuses. Mais, du fait du délai de 36 mois, toutes les plateformes de VàD, vertueuses ou non, sont soumises à la même règle.

On vit un moment important dans la transition du paysage audiovisuel. L'enjeu est de pouvoir exiger des acteurs qu'ils respectent les obligations qui s'imposent normalement aux opérateurs de télévision ou de VàD. Il ne faut toutefois pas vouloir à tout prix insérer des acteurs dans un modèle contraignant sans créer les conditions de l'attractivité du modèle français.

Mme Céline Sciamma, réalisatrice et coprésidente de la Société des réalisateurs de films (SRF). - La SRF est composée de 300 réalisateurs, qui vont du réalisateur de courts-métrages à Jacques Audiard.

La position que j'exprimerai est une position d'auteur, donc à ce titre très engagée. En effet, la chronologie des médias structure l'existence même de nos oeuvres, leur préfinancement, leur diffusion, leur exposition, la rémunération des droits d'auteur, la lutte contre le piratage. Nous sommes donc extrêmement vigilants. C'est un bel objet auquel on doit faire attention, mais qui doit absolument être repensé, réformé.

Nous défendons un secteur qui doit sortir des réflexes conservateurs, ce qui est toujours compliqué. Il existe une forme d'unanimité sur les principes, mais le diable se cache dans les détails...

Je partage l'idée que la lutte contre le piratage est le préalable à toute discussion. C'est en réformant la chronologie des médias qu'on luttera contre ce fléau.

Notre credo se fonde sur le fait qu'il faut absolument penser la place de chaque opérateur dans la chronologie des médias en fonction de sa contribution au financement de la création.

En ce qui concerne la vidéo, nous sommes favorables à un dégel total de la VàD et à une dérogation pour certains films en créant une commission de diffusion des films, sous l'égide du CNC, qui réunirait des représentants de la filière pour permettre d'assouplir la fenêtre des salles dans des conditions très encadrées. En tant qu'auteurs, nous aimons la salle. C'est pourquoi il faut être plus souple, afin que la salle et nos films ne meurent pas.

La salle ne remplit cependant pas toujours son rôle de prescription. 90 % des entrées pour les films français se font dans les cinq premières semaines d'exploitation. C'est une fenêtre que l'on peut donc assouplir sans la mettre en danger. Il convient d'expérimenter les nouvelles formes d'exploitation -les sorties simultanées, les sorties géolocalisées sur les territoires sur lesquels les films ne sont pas distribués, les sorties anticipées en vidéo- afin de créer des synergies marketing entre la salle et la vidéo et, surtout, en cas d'insuccès, faire en sorte que le film puisse être vu, sans jamais rompre la chaîne de l'exploitation des oeuvres.

Nous sommes, pour ce qui est des chaînes payantes, favorables à un avancement des fenêtres en fonction du montant de leur contribution financière au cinéma, à la fois pour privilégier les plus gros financeurs et inciter les autres, notamment les nouveaux entrants, à investir davantage, en combinant plusieurs critères pour organiser l'avancé des fenêtres, qui se fonde sur les accords que nous avons avec des diffuseurs comme Canal+ et OCS. Ces critères garantissent la vertu, une contribution calculée en pourcentage du chiffre d'affaires, un minimum garanti (MG) par abonné, un montant d'investissement en valeur absolue et une clause de diversité. Ils s'appliquent pour l'instant à Canal+, qui investit 150 millions d'euros dans le cinéma français, mais pourraient concerner de nouveaux entrants.

Nous sommes favorables à une avancée nette de la SVàD, peut-être à 18 mois. Il s'agit d'un relais économique important. Cette avancée s'assortirait de la contribution à la production cinématographique et d'un accord avec la profession.

Il existe un niveau très élevé d'attente du public. Il ne faut pas le sous-estimer. Les géants américains arrivent sur le marché français sans nous demander d'autorisation. Une réforme ambitieuse est donc nécessaire. Concernant les chaînes en clair, nous appliquons la logique de l'équilibre global. Si les chaînes payantes avancent, les chaînes en clair avancent également. Elles passeraient donc à 18 mois en cas d'accord avec la profession, ou à 20 mois par défaut. Nous sommes également favorables au principe des fenêtres glissantes.

Certains pensent que bouleverser la chronologie des médias revient à tuer la salle et mettre en danger l'exception culturelle. Nous pensons précisément l'inverse : il faut absolument repenser la chronologie des médias pour sauver notre modèle de l'obsolescence.

La France a toujours su inventer un système ingénieux, moderne et juste, comme pour les obligations de Canal+. Il est de sa responsabilité de continuer à le faire.

Mme Carole Scotta, coprésidente des Distributeurs indépendants réunis européens (DIRE). - En tant que distributeurs, nous nous situons en amont des oeuvres, puisque nous participons à leur financement et au versement de MG. Nous sommes également associés à l'exploitation des oeuvres, non seulement en salle mais aussi sur les supports de diffusion, notamment pour les films européens et d'autres pays que nous distribuons.

La particularité de notre métier est de disposer d'un portefeuille équilibré de films français. Nous avons, à ce titre, une vision assez panoramique du secteur. Nous sommes bien évidemment attachés à la lutte contre le piratage et le dégel des droits, notre objectif étant d'assurer une plus grande fluidité et une meilleure lisibilité des oeuvres pour le consommateur.

Il faut aussi réfléchir en termes d'usage. On peut distinguer les opérateurs en fonction de leur comportement vertueux mais qui est vertueux aujourd'hui ne le sera peut-être pas demain. À l'inverse, qui ne l'est pas aujourd'hui pourrait l'être demain.

Notre responsabilité collective est de constater que nous sommes face à un bouleversement majeur de notre secteur d'activité. On ne sait qui seront les opérateurs qui financeront demain le cinéma. En revanche, on sait que de nouveaux opérateurs français et étrangers investissent en France. Il faut faire en sorte de les faire entrer dans notre système vertueux.

Le Gouvernement et vous-mêmes êtes attachés à une harmonisation des TVA et des taxes à l'échelle européenne.

Au-delà de la question fiscale, nous devons nous attacher à la création. On pourrait ainsi mener une réflexion par usage. Pourquoi distinguer la télévision par abonnement de la SVàD ? Je regarde personnellement sur mon téléviseur tout aussi bien Netflix que Canal+ en télévision de rattrapage. C'est le même réflexe. Cela vaut la peine de s'interroger sur ces modes de consommation et voir si l'on peut établir des distinctions autres qu'historiques. La BBC vient par exemple d'annoncer une réforme de ses modes de diffusion et déclarer le modèle linéaire obsolète.

Quant à la salle - notre première fenêtre - je suis en total accord avec Richard Patry au sujet du fait que les films circulent aujourd'hui dans les petites structures. Avant de bouleverser les fenêtres, il existe des réponses technologiques, comme celles qui ont été apportées par des opérateurs comme Cinex. Elles peuvent permettre de trouver une solution de séance virtuelle opérée par la salle de cinéma elle-même, entrant dans une billetterie CNC. Des spectateurs qui n'ont plus accès aux oeuvres en salle peuvent y accéder sous une forme dématérialisée, qui s'apparente à de la VàD. Ces réponses technologiques doivent être étudiées par l'ensemble des acteurs. Elles sont intéressantes et permettent de rendre les oeuvres plus lisibles, sans rapprocher la fenêtre de la salle.

Avant de créer une accélération du début de chaque fenêtre, on pourrait aussi s'interroger sur la durée des fenêtres.

M. Gilles Sacuto, Syndicat des producteurs indépendants (SPI). - Nous sommes très attachés à la chronologie des médias, qui organise la contribution du financement et l'exposition des oeuvres. Nous tenons également à ce mécanisme dans un cadre d'accords interprofessionnels.

Le cinéma est un sport d'équipe : faire signer toute la filière autour d'une organisation collective et commune me paraît constituer le signe du bon fonctionnement de notre métier. Il faut continuer sur ce mode. C'est ainsi que nous avons toujours fonctionné. Nous avons il y a peu signé des accords sur la transparence qui ont été difficiles à faire aboutir. Cependant, nous avons démontré notre volonté commune sur ce point.

Nous considérons que l'on doit travailler à la modernisation de la chronologie des médias.

On parle beaucoup de numérique. J'ai beaucoup d'amis dans la musique, ils sont aujourd'hui chômeurs pour une grande part. Le numérique entraîne la destruction de beaucoup de valeurs. Notre métier a la chance de disposer d'une organisation collective en matière de financement de la diversité. Nous y sommes très attachés, qu'il s'agisse de documentaires à 400 000 euros ou de films à 6 millions d'euros.

Je suis très attaché à tout ce qui se passe en salle, dans les régions. On dit qu'il existe plus de 6 000 écrans en France, même dans des endroits très lointains, qui accueillent des festivals du documentaire.

La salle est protégée du piratage. En tant que producteurs, réalisateurs, scénaristes, nous ne sommes favorables ni au raccourcissement des délais ni aux expérimentations. Je pense qu'elles ont été déjà tentées dans des régions où n'existe pas de salle. Quand on ouvre des salles en Guadeloupe ou en Nouvelle-Calédonie, on découvre qu'il existe un public. Je produis des films pour le cinéma, qu'il s'agisse d'oeuvres à 6 millions d'euros ou à 500 000 euros. Ce sont ces films qui ont besoin de temps et qui mettent longtemps à rencontrer leur public. La salle est donc très importante. C'est en outre l'essence même de notre métier, car c'est une expérience collective. Le cinéma est avant tout formidable dans une salle. Il est intéressant de visionner des films sur une tablette, mais le désir n'est pas le même. Ce n'est en tout cas pas l'essence de mon métier.

Cet attachement n'empêche pas de penser à l'avenir. Nous sommes ainsi favorables au dégel de la VàD, qui nous paraît très important. Le marché du DVD a non seulement chuté, mais lorsqu'on réalise des ventes identiques en numérique et en DVD, ce dernier rapporte trois fois moins. Certes, le numérique, c'est l'avenir, c'est formidable, c'est jeune, mais il représente une grande destruction de valeurs pour notre métier. Il faut demeurer vigilant, car le danger pèse sur tout le monde, techniciens, producteurs, auteurs, réalisateurs. J'en profite pour dire que les producteurs indépendants sont aux côtés des auteurs dans leurs discussions avec Canal+...

Nous soutenons évidemment les fenêtres glissantes - dont nous sommes d'ailleurs plus ou moins les inventeurs - mais dans un cadre strictement suivi. Il peut aussi se trouver des cas ou les fenêtres de préachat ou d'achat de chaînes payantes n'ont pas été pré-vendues ou vendues, mais il faudrait s'assurer que, si les fenêtres glissent, ce n'est pas au détriment des auteurs et des producteurs.

Il nous semble très important de mener des réflexions sur la chronologie des médias en tenant compte de la contribution effective des diffuseurs sous forme de préachat, d'investissement par abonné, du nombre d'oeuvres financées et de clauses de diversité. De nouveaux opérateurs arrivent et sont heureux de préacheter cinq films pour vendre leur abonnement, mais leur idée est de bénéficier du système sans y contribuer. C'est très dommageable pour toute la filière...

Nous ne sommes favorables ni au Day and Date ni à la géolocalisation. Notre système est organisé de manière assez complexe. Dès qu'on modifie quelque chose, cela a des conséquences sur le reste. Il faut donc être assez prudent.

En revanche, ce marché de 213 millions de spectateurs en salle est très attractif. C'est ce qui attire beaucoup de ceux qui ont envie de diffuser quand ils veulent des films fabriqués avec l'argent des autres. Ne soyons donc pas naïfs !

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Il apparaît que les négociations pour modifier l'accord de 2009 s'enlisent.

Pourtant, la demande d'assouplissement de nos règles, compte tenu des bouleversements que connaît le paysage audiovisuel, est forte.

Une polémique - peut-être voulue - a donné lieu à un fort retentissement lors du dernier festival de Cannes au sujet de la sélection de deux films d'une grande plateforme que vous connaissez tous, remettant le sujet au coeur des débats.

Nous savons qu'il n'est pas du ressort de la loi d'intervenir sur la chronologie des médias qui, selon une directive européenne, relève des accords interprofessionnels. Il n'en reste pas moins que la première fenêtre est inscrite dans la loi et nous nous interrogeons sur la contribution qui pourrait être celle du Parlement pour faire évoluer les choses...

Sans déroger aux règles de l'Union européenne, on pourrait imaginer de retenir dans la loi les grands principes de la chronologie des médias et de laisser des accords interprofessionnels s'établir autour.

Les interventions des grandes plateformes bouleversent les comportements des « consommateurs » de séries et de films. Cela ne devrait-il pas amener nos éditeurs à modifier leur mode de diffusion pour mieux s'adapter aux attentes du public, qui s'oriente aujourd'hui vers les offres particulièrement attrayantes que proposent ces grandes plateformes ?

N'existe-t-il pas un fort risque, compte tenu des moyens extrêmement puissants de ces nouveaux acteurs de se retrouver avec deux catégories de films, les uns suivant le cursus traditionnel de la salle et autres fenêtres, les autres se passant complètement d'une diffusion par ce biais ? Cette évolution peut mettre en péril un certain nombre d'acteurs de la chronologie des médias. Par ailleurs, comment faire contribuer ces nouveaux acteurs à la création, ce qui n'est aujourd'hui pas le cas ?

On a également évoqué certains sujets « parallèles » comme la possibilité pour la télévision de faire de la publicité pour des films, les interdictions de diffusion les « jours interdits », la demande d'une troisième coupure. Ces sujets sont-ils majeurs ? Ne pourrait-on évacuer ces contraintes qui sont au coeur de la préoccupation d'un certain nombre d'acteurs ?

Le dégel de la VàD peut-il faire l'objet d'un consensus ? Il est vrai que le « client » peut être surpris de voir disparaître certains films des plateformes pour les retrouver beaucoup plus tard... Certaines rigidités ne correspondent pas à la souplesse nécessaire. Tous les films n'ont pas intérêt à suivre la chronologie des médias, dans la mesure où les dates sont fixes. Je m'interroge sur le concept de durée plutôt que de fenêtre. Sans prendre en compte les spécificités des oeuvres, il existe des films qui nécessitent une diffusion plus longue, tandis que d'autres sont délaissés au bout de peu de temps, même si, sur certains territoires, il faut que le public s'approprie l'oeuvre. Des sujets tels que la territorialisation peuvent constituer des éléments de réflexion suivant l'endroit où le film est proposé. Dans les grands centres urbains, le film trouve très vite son public mais, dans les lieux plus reculés, il lui faut davantage de temps.

Vous avez raison, il ne faut pas casser ce qui fonctionne, mais le risque est d'ajouter des protections supplémentaires et de fabriquer des « usines à gaz ». Notre préoccupation reste axée sur la simplification et la lisibilité, de manière que chaque film trouve son public. Nous n'avons pas de solution immédiate, même si l'on souhaite une avancée significative de ce sujet.

Mme Sylvie Robert. - Merci à nos invités de s'être exprimés sur un sujet extrêmement politique, qui tient l'ensemble de notre modèle en matière de cinéma - et nous y sommes extrêmement attachés. Il participe en effet du rayonnement de notre pays et demeure fondé sur de grands principes que je voudrais rappeler.

Cette certitude fonde notre réflexion collective sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui, celui de la diversité, de la liberté, de l'indépendance, mais aussi de la qualité et de l'accessibilité du plus grand nombre à ces films. L'enjeu est celui de la mutation du paysage, avec l'apparition de nouveaux acteurs, l'évolution des usages et de la technologie n'étant pas achevée.

Vous êtes tous conscients de la nécessité de modifier la chronologie des médias. Chacun a souligné qu'il fallait s'accorder collectivement, mais aussi - je l'ajoute, car je ne l'ai guère entendu - solidairement, afin d'assurer l'équilibre de la chaîne de valeurs, fondamentale pour le maintien de notre cinéma.

Êtes-vous prêts à raisonner film par film, usage par usage ? Sur quel compromis pourrait se construire un futur accord ? Certains se sont dévoilés, d'autres n'ont pas avancé de solution. Sur quoi êtes-vous d'accord ?

M. Pierre Laurent. - Je commence à mieux comprendre la question du droit à la continuité dans l'accessibilité des offres. Il faut à la fois protéger les créateurs et les producteurs, singulièrement ceux qui sont attachés à la diversité, et travailler sur l'accessibilité des oeuvres.

Ma deuxième remarque porte sur ce que vient de dire le rapporteur. Je ne partage pas sa prévention à l'égard de la multiplication des protections et des « usines à gaz ». Je me méfie en effet beaucoup du discours sur la simplification. Il ne s'agit pas d'élaborer des choses compliquées pour le plaisir ! Ce sont ces protections qui ont permis, en l'occurrence, le développement de la filière. Pas de simplisme ! Il faut y veiller particulièrement.

Enfin, que peut-on faire pour que ces débats soient compris du grand public ? Derrière la question de la chronologie des médias se posent celles de la diversité et de notre exception. Il s'agit d'un sujet éminemment politique, donc public. En 2016, 213 millions de personnes ont fréquenté les salles de cinéma. Il faudrait trouver le moyen de leur en parler et de les mobiliser. Beaucoup sont attachés à ce sujet. Je ne crois pas que les usages se modifient seuls ; ils sont bien sûr imposés par les évolutions technologiques, mais aussi par de grands acteurs qui en ont une certaine vision. Tout cela mériterait d'être discuté devant plus de monde. Si nous arrivons à comprendre cette question en une journée d'auditions, la moyenne des citoyens en est également tout à fait capable ! Il faudrait rendre ces sujets accessibles pour provoquer le débat. Les grandes batailles sur l'exception culturelle ont débordé les milieux culturels et ont marqué le pays. On sent bien, avec Netflix et autres plateformes internationales, les dangers que représente cette déstabilisation. Il faut trouver le moyen d'ouvrir ce débat et partager les objectifs qui nous sont communs en matière de défense de la diversité et de promotion du cinéma, en faire une grande question politique et partager des lignes de défense et d'évolution qui soient profitables à tous.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente - Je voudrais répondre à Pierre Laurent. Il n'a jamais été question, à travers cette table ronde, de mettre en péril l'exception culturelle française. Notre système très particulier permet de produire des créations très riches, diversifiées et reconnues à travers le monde. Il faut, certes, résister, mais aussi s'adapter. Nous sommes dans un système qui date de l'ère hertzienne où le numérique a fait irruption. Il ne s'agit pas pour autant d'un renoncement. Il ne faut pas être dans une position défensive, mais offensive, ce qui nécessite de construire une stratégie avec le public et d'anticiper la réflexion.

Nous nous sommes laissé dépasser par la révolution numérique dans le secteur musical. Je me souviens encore de nos conversations autour des lois dites DADVSI et HADOPI. Nous avions forcé, au Sénat, dans cette commission, l'évolution de la chronologie des médias. Bien nous en a pris : cela a montré son utilité.

Entrer en résistance ne me semble pas suffisant pour permettre à notre industrie du cinéma, que nous soutenons, d'être pérenne. Il faut en avoir conscience.

M. Pierre Laurent. - Je n'ai rien contre la résistance, vous me connaissez. Je n'ai toutefois pas dit qu'il fallait « entrer en résistance ». Je parle, moi aussi, d'anticipation, qui consiste à ne pas se plier aux exigences de ceux qui imposent de nouveau usages. Cela peut consister à se projeter dans la défense de notre exception.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Ce n'est pas notre état d'esprit par rapport aux grands acteurs du numérique.

Mme Carole Scotta. - Les nouveaux entrants ne sont pas tous identiques. On ne parle aujourd'hui que de Netflix, qui est en passe d'imposer un modèle en rupture avec l'existant, basé sur la disruption. Ce n'est pas le cas d'autres plateformes, comme Amazon. Il faut donc veiller à bien définition les acteurs. Certains ont annoncé leur intention d'investir dans les oeuvres de cinéma et de télévision. Il est important de faire en sorte qu'ils puissent y contribuer, à supposer que ces oeuvres soient exploitées de manière collectivement acceptable.

La publicité pour le cinéma à la télévision constitue pour nous un point très important. Nous pensons que si le cinéma de la diversité est encore présent et protégé, c'est parce que la publicité pour le cinéma est interdite à la télévision. Nous sommes donc défavorables à une remise en cause. Nous comprenons que les télévisions souhaitent l'arrivée de cette manne, mais il existe d'autres manières de soutenir leur financement. Cette possibilité a été ouverte sur les antennes de Radio France et France Inter et se confond par trop avec les partenariats. Nous avons d'ailleurs décidé de saisir les pouvoirs publics à ce sujet.

M. Guillaume Prieur. - Vous avez évoqué la disposition intégrée par le Parlement dans la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, qui prévoit une durée de validité de l'arrêté d'extension limitée à trois ans.

Une question juridique, qui n'est toujours pas tranchée, porte sur la date à partir de laquelle on appliquera cet article. Si la durée de validité de trois ans s'applique à l'accord en cours, signé en 2009, l'arrêté d'extension actuel n'est plus valide. S'il n'est valable qu'à compter du 7 juillet 2016, date de promulgation de la loi, il continue à courir jusqu'au 7 juillet 2019. Beaucoup, au Conseil d'État, cherchent une solution à cette question.

Par ailleurs, s'agissant de l'intégration des nouveaux opérateurs dans le système de financement de la création, des avancées extrêmement importantes ont eu lieu au niveau européen, avec l'adoption par le Conseil - qui reste à formaliser - d'une véritable réforme des obligations, en particulier par la capacité qui va être donnée aux États de soumettre les opérateurs qui agissent sur leur territoire à des obligations de financement. Il ne faut pas réduire le périmètre des nouveaux opérateurs à Netflix. Toutefois, ces opérateurs seront astreints à des obligations sur le chiffre d'affaires généré sur le territoire français. C'est là un début de réponse.

S'agissant des évolutions, de la publicité, et des jours interdits, nous avons besoin, comme dans l'audiovisuel, d'une véritable réflexion sur l'adaptation de notre politique aux enjeux, au contexte et aux objectifs. Nous ne ferons pas non plus l'économie d'une revue générale de l'ensemble des dispositifs de politique culturelle. Si l'on veut demeurer le plus ferme possible, il faudra, le cas échéant, gommer les dispositifs qui peuvent être inadaptés et anachroniques.

S'agissant de la publicité, nous ne sommes pas favorables à la troisième coupure. Aucun assouplissement en matière de durée de la publicité n'a coïncidé avec une croissance des ressources publicitaires des chaînes. Le vrai problème ne réside pas dans le volume, mais dans la valorisation. Plus on crée d'écrans, plus le risque existe de se retrouver avec des valeurs publicitaires faibles. Je ne pense donc pas qu'on résoudra le problème par ce biais. Je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'il y ait consensus de toutes les chaînes sur ce sujet.

Enfin, existe-t-il des points de convergence entre nous ? Lors des dernières discussions, j'ai eu le sentiment qu'il existait un consensus sur deux points : le dégel des droits et la logique des fenêtres glissantes.

M. Radu Mihaileanu. - Je répondrai à Mme Sylvie Robert qu'il faut faire évoluer les choses. Il faut choisir la modernité, sans méconnaître les nouveaux usages et les nouvelles technologies.

Nous discutons de la question des jours interdits et de la télévision de rattrapage avec France Télévisions. Nous pensons majoritairement qu'il faut aider les chaînes hertziennes à se moderniser et à choisir le non-linéaire, à condition de pérenniser le périmètre de l'investissement, de la diffusion et de la diversité. Nous ne voulons pas les fragiliser. S'il faut franchir le pas du non-linéaire, nous sommes d'accord, mais sous certaines conditions.

Nous sommes, en revanche, opposés à la publicité des films à la télévision. On observe en effet une accélération des tensions entre les films les plus riches et les plus fragiles, et une augmentation très forte des frais d'édition qui mettent les distributeurs en danger. C'est un maillon faible qui soulève bien des questions : va-t-on investir dans les films au même niveau ? Pourra-t-on les réaliser et les produire ? La diversité existera-t-elle encore ? Notre regard se veut moderne et nous souhaitons anticiper les bouleversements à venir.

S'agissant de Netflix, j'avais, lors de la polémique qui a eu lieu à Cannes, soulevé la même question qu'à Bruxelles, quelque temps plus tôt : Netflix capte des oeuvres exclusives parfois à vie, sur abonnement. Si ce type de modèle économique se développe, qu'en sera-t-il de l'accessibilité aux oeuvres pour la jeunesse assoiffée de cinéma ? Devra-t-on s'abonner à Netflix pour voir des films de Tarantino, à Amazon pour visionner des oeuvres coréennes, ou encore à SFR Numericable ? Il est impossible de s'abonner partout et d'aller en salle. C'est une question de démocratie ! Comment pourra-t-on se forger une culture ? C'est comme si l'on décidait qu'un livre n'est accessible que dans certaines bibliothèques payantes, à 20 euros l'entrée. C'est inconcevable ! Même s'il ne faut pas accumuler les règles, on doit se poser la question de savoir si l'exclusivité à vie est possible ou non. On peut accepter des exclusivités pour ceux qui financent les oeuvres, mais il faut pouvoir la lever, même s'il doit y avoir des contreparties.

Mme Julie Lorimy. - Je vous remercie d'avoir insisté sur la fragilité des distributeurs, que la FNDF représente pour une part.

S'agissant de l'accessibilité, nous sommes par nature attachés à la sauvegarde et à la préservation de la fenêtre en salle, qui permet un accès à la diversité extrêmement large. Les distributeurs assurent la diffusion d'une très grande diversité de films sur l'ensemble du territoire, grâce à un maillage des salles très complet et singulier en Europe.

Je voulais également revenir sur la création d'éventuels délais différents en fonction des films. La FNDF est également attachée au principe de la chronologie des médias non contractualisés, tel qu'il se présente aujourd'hui. Les délais ne s'établissent pas en fonction des partenaires, de leurs rapports de force, ou de leurs négociations. Les délais sont collectifs et nous y tenons.

Si nous sommes tous favorables aux fenêtres glissantes, qui consistent à exploiter un volet non utilisé par l'opérateur qui en bénéficie initialement, tout comme au dégel, la FNDF est en revanche pour un ensemble de règles collectives qui ne dépendent pas des négociations contractuelles. Aux États-Unis, tout se fait en fonction des partenaires, des films, et des rapports contractuels. Nous tenons qu'un pilier d'une chronologie des médias collective existe, au sein de laquelle nous souhaitons assister à des évolutions très importantes, notamment grâce aux fenêtres glissantes.

Enfin la chronologie des médias représente l'un des deux ou trois grands piliers qui expliquent à la fois la réussite, le dynamisme et la diversité du cinéma français. Celui-ci présente, somme toute et même si l'on peut exprimer des insatisfactions, une situation inégalée en Europe, tant en termes d'entrées que de parts de marché du cinéma local.

M. Frédéric Goldsmith. - Il existe deux sujets au sein de la chronologie des médias. Le premier concerne la méthodologie, l'approche et le rôle du politique en matière de réforme et la capacité du Parlement d'intervenir, comme par le passé, au moment de la loi HADOPI, pour provoquer un accord. Le second sujet est celui du cadre général. Des orientations peuvent-elles être établies pour parvenir à des accords futurs ? Quel est le rôle du ministre de la culture dans ce dispositif ? Aujourd'hui, il consiste à étendre les accords par voie d'arrêté d'extension.

L'accord n'est plus en vigueur, mais il reste obligatoire pour les non-adhérents. On ne comprend pas très bien la portée de la disparition de cet arrêté d'extension, si ce n'est permettre à des non-adhérents de vendre librement Netflix - ce qui n'est pas forcément un but en soi. Cette suppression est-elle une bonne chose ou existe-t-il des solutions intermédiaires ? En effet, un accord multipartite absolu peut présenter certaines limites...

On a évoqué les préoccupations des chaînes et leurs demandes. Sur quoi sont-elles prêtes à évoluer ? Qu'est-ce que les chaînes gratuites sont-elles capables de faire ? Quels mouvements pourraient-elles accepter en matière de dégel ? Je ne crois pas qu'il existe un consensus général ; certains y sont extrêmement hostiles.

Pour autant, il faut aussi jouer le jeu. Ceux qui investissent le plus ont droit, dans notre esprit, à avancer davantage, suivant trois segments : l'accès à l'acte, qui valorise l'oeuvre et la VàD transactionnelle, l'accès à l'abonnement et l'accès gratuit. Chacun de ces types d'accès permet une valorisation différente de l'oeuvre. Le séquençage selon ces grands principes est donc normal.

Restent deux préoccupations majeures, l'accès aux oeuvres ainsi que l'investissement, les engagements, et les options de régulation dans lesquelles les opérateurs sont prêts à entrer pour justifier leur place dans la chronologie des médias. Nous ne sommes pas favorables au fait que la SVàD constitue une alternative à la salle. En revanche, la question peut se poser de savoir si les films pourraient sortir directement en VàD plutôt qu'en salle, en continuant à être considérés comme des oeuvres cinématographiques.

Se pose également la question de savoir si le distributeur peut choisir, via une commission, le cas échéant, plusieurs formes de sorties, en accord avec les salles.

Il existe donc des solutions à examiner.

La question du parallélisme entre télévision payante et SVàD est évidemment dans l'esprit de chacun, mais il faut que les engagements soient au moins similaires et comparer ce qui est comparable. Il faut pouvoir évaluer la réalité des engagements, sans fermer les portes à ceux qui veulent jouer le jeu de pouvoir le faire - même si, pour l'instant, je n'ai pas le sentiment que les opérateurs en émettent le souhait en matière de SVàD.

Mme Hortense de Labriffe. - Ainsi que cela a déjà été dit, le consensus porte sur le dégel de la VàD, les fenêtres glissantes et, préalablement, la lutte efficace contre le piratage. Nous avons beaucoup regretté que le dernier étage de la riposte graduée, qui comprenait la suppression de l'accès à Internet, ait été supprimé. Ce n'était pas du fait du Sénat, mais on a eu l'impression que la volonté politique avait faibli.

Enfin, il faut que la réforme de la chronologie des médias soit lisible pour le public. Il ne s'agit pas seulement d'une réforme destinée aux professionnels. Quelle sera la lisibilité pour le public avec des cadres film par film ? Je ne suis même pas sûre que celui-ci soit parfaitement au courant du détail des fenêtres. Il faut l'avoir à l'esprit. Des systèmes extrêmement compliqués ne vont pas forcément dans le sens de la communication et de la compréhension.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Cette remarque est très juste. Nous l'avons posée en préalable à cette journée. Il est vrai que le public méconnaît totalement le fonctionnement du système. C'était notre propre cas avant de devenir législateurs. En revanche, il souhaite certainement un meilleur accès aux oeuvres, de la façon la plus aisée possible.

Par ailleurs, c'est le fait de ne pouvoir avoir accès aux oeuvres qui conditionne le piratage. Loïc Hervé et Corinne Bouchoux ont réalisé un rapport il y a deux ans afin de dresser un état des lieux, à la suite des annonces gouvernementales que vous avez évoquées, et déterminer comment l'institution pouvait évoluer et s'adapter. Nous reviendrons bien évidemment sur ce point, qui constitue pour nous un corollaire essentiel.

M. Gilles Sacuto. - Je suis heureux d'entendre que nous sommes tous attachés à une organisation collective. L'envie d'avancer existe. Nous ne sommes pas rétrogrades, mais tout à fait conscients des enjeux qui sont devant nous.

Je ne suis pas certain, moi non plus, que la troisième coupure publicitaire produise les effets souhaités. Je souscris à ce qui a été dit précédemment s'agissant des dangers de la publicité pour le cinéma à la télévision, qui va accroître dangereusement la disparité qui existe déjà entre les films disposant de moyens et les petits films, qui vont devoir dépenser plus d'argent pour s'aligner. C'est un très grand danger pour la diversité, sans pour autant améliorer le marché publicitaire des chaînes.

Par ailleurs, nous sommes attachés à des règles communes, larges, simples, compréhensibles. Faire du « cousu main » pour tel ou tel type d'oeuvres reviendrait à les livrer à la loi du marché, et ce serait les plus faibles qui en pâtiraient. Le principe de cet accord collectif est de nous permettre à tous de produire des oeuvres variées pour toutes sortes de publics, dans un cadre commun, accepté et voulu par tous. Il est donc très important de le maintenir.

Enfin, la production directe d'oeuvres pour des opérateurs télévisuels ou numériques existe déjà : il s'agit des téléfilms ou des séries. On peut tout à fait en réaliser. Le faire pour Netflix n'est pas plus mal qu'autre chose. Ce ne sont simplement pas des films de cinéma.

M. Nicolas Mazars. - Tout comme mes collègues, je suis favorable au dégel et aux fenêtres glissantes. Je voudrais toutefois, en vue des auditions des chaînes gratuites et payantes, cet après-midi, préciser que celles qui sont opposées au dégel - les télévisions linéaires gratuites notamment - subissent une perte de public. La VàD, si elle était dégelée, accentuerait encore cette dévalorisation de leur exposition, deux ans après la sortie des films en salle, même si les propositions du CNC la ramènent à un peu moins.

Auparavant, le DVD représentait environ un milliard d'euros de chiffre d'affaires par an. C'est beaucoup moins aujourd'hui. Les films étaient auparavant légalement vus plus souvent avant leur diffusion à la télévision. Ce n'est pas la VàD qui engendrera davantage de déperdition, mais le piratage. C'est le cas pour l'ensemble du secteur. On peut espérer que le dégel donne même plus de disponibilité aux oeuvres et empêche le piratage.

Par ailleurs, en ce qui concerne le documentaire, une étude du CNC estime que, sur 191 films préfinancés, 24 ne l'étaient pas par les chaînes payantes. Ce sont 24 films qui sont donc concernés par la fenêtre glissante de la télévision linéaire, ce qui est peu. Il ne faut donc pas envisager la fenêtre glissante comme un danger pour la chronologie des médias. Ce n'est pas une révolution, mais une évolution. Il n'est pas question de mettre le système à terre.

Il s'agit, en outre, de 24 films modestes. Ce sont ceux-là qui souffrent de la rigidité de la chronologie des médias. Arte, qui est plutôt volontaire dans le financement des documentaires, est aujourd'hui réticente compte tenu de la fenêtre à deux ans pour ces films.

Si la salle bénéficie actuellement de quatre mois d'exclusivité, le fait que celle-ci s'achève n'empêche pas la poursuite de l'exploitation en salle. La typologie d'exploitation en salle des documentaires est très différente de celle de la fiction, qui, en règle générale, enregistre un nombre d'entrées maximum dans les premières semaines, puis décroît. Le documentaire, quant à lui, connaît une montée assez lente, mais se maintient plus longtemps après la sortie en salle que la fiction. Souvent la diffusion en salle se maintient quatre mois après la sortie, et continue à faire du chiffre, aussi modeste soit-il, en dépit du fait que les films soient disponibles en VàD ou en DVD. Cela démontre que la superposition des fenêtres n'arrête pas l'exploitation de l'oeuvre. Les réalisateurs qui sortent des films en salle passent souvent un an en voyage pour accompagner le film en salle. C'est encore plus le cas pour le documentaire, les salles, bien souvent, ne diffusant pas le documentaire sans que le réalisateur soit là pour en parler, alors que le film est sorti en VàD et en DVD.

Enfin, les jours interdits et la publicité pour le cinéma et la télévision sont des questions dont il faut débattre. Pour l'instant, nous sommes assez réticents à ouvrir la publicité pour le cinéma à la télévision, mais il faut se rendre compte que cette interdiction, si elle concerne la télévision linéaire, ne joue pas pour YouTube, qui est notamment regardé par les jeunes. Cette exception constitue un problème à terme et un danger pour la diversité et le cinéma.

M. Radu Mihaileanu. - Canal+ offre aujourd'hui 35 rediffusions à heures fixes sur dix mois, la télévision par rattrapage et la SVàD, ce qui représente 140 millions d'euros par an, contre 20 à 30 millions d'euros par an pour Orange. Or la gestion de Canal+ apparaît imprévisible, et la chaîne peut disparaître sous sa forme actuelle. SFR, qui par ailleurs souhaiterait occuper cette même fenêtre, est quant à lui localisé au Luxembourg. Que faire de cette fenêtre si Canal+ disparaît ? C'est une question essentielle. Il s'agit de ne pas tout déstabiliser. Le cinéma en souffrirait terriblement. Nous demandons des gages à Canal+ depuis un bon moment, mais nous n'avons aucune visibilité dans ce domaine.

Mme Carole Scotta. - Il est très important de limiter la durée d'exposition des oeuvres sur les plateformes de SVàD, dont les périodes d'exclusivité sont illimitées.

S'il existe une telle diversité en France, c'est aussi parce que les producteurs conservent des droits et peuvent les exploiter sur le long terme. Il faut, pour protéger la création, étudier les contrats des acteurs à qui l'on propose d'entrer dans le système et veiller qu'ils ne puissent s'approprier des oeuvres sans reverser des droits. Il ne faut pas limiter notre réflexion à ceux qui investissent beaucoup, mais aussi favoriser de nouveaux entrants, dont certains pourraient rejoindre le système vertueux que nous défendons tous.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie chaleureusement d'avoir exposé vos points de vue et formulé vos propositions.

À ce stade, nous n'avons pas encore de doctrine, car il nous faut entendre l'ensemble des acteurs. Nous aurions aimé auditionner Netflix ou Amazon, mais nous n'avons pas pu les convaincre.

DEUXIÈME TABLE RONDE

Mercredi 12 juillet 2017

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