III. AUDITION CONJOINTE DE REPRÉSENTANTS DES TÉLÉVISIONS GRATUITES

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Nous sommes très heureux d'accueillir Mmes Agnès Lanoë, directrice de la prospective et de la stratégie d'Arte et Marie Grau-Chevallereau, directrice des études réglementaires du groupe M6, ainsi que MM. Xavier Couture, directeur général délégué de France TV et Jean-Michel Counillon, secrétaire général de TF1. Nous poursuivons ainsi notre journée consacrée à la chronologie des médias.

Ce matin, Christophe Tardieu, secrétaire général du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), a utilement dressé un état des lieux et des enjeux sur ce sujet aussi complexe que crucial pour l'avenir du financement de la création.

Le principe de la chronologie des médias repose sur la cohérence et la proportionnalité des différentes fenêtres d'exploitation par rapport au poids et aux obligations de chacun dans le préfinancement des oeuvres. Or la place croissante des plateformes, notamment extra-européennes, qui souvent ne se plient ni aux règles de la chronologie des médias ni aux obligations de financement de la création, contribue à fragiliser un système jusqu'alors efficient et vertueux. En outre, vous nous avez alertés sur la grande difficulté financière dans laquelle se trouvent les acteurs traditionnels.

Nous sommes toujours sous l'empire de l'accord du 6 juillet 2009, conclu pour trois ans, reconduit tacitement depuis. Certes, la loi du 7 juillet 2016 limite à trois ans à la validité de l'arrêté ministériel d'extension. Mais les négociations relancées sous l'égide du CNC pour faire évoluer la chronologie actuelle n'ont à ce jour pas abouti. Notre commission a toujours été soucieuse de construire un environnement juridique et financier de qualité. Il est indispensable de faire évoluer celui-ci aujourd'hui, sinon le modèle français souffrira de la concurrence internationale et s'affaiblira considérablement. La table ronde organisée ce matin avec les créateurs, producteurs, exploitants ou distributeurs a montré une réelle prise de conscience. Au-delà des raccourcissements de certaines fenêtres, les intervenants ont fait part de leur préoccupation concernant la lutte contre le piratage. Un large accord s'est dessiné autour de l'intérêt qu'il y aurait à reconnaître plus de droits à ceux qui investissent fortement dans le cinéma.

Nous avons retenu qu'une évolution possible pourrait consister à appliquer moins systématiquement des contraintes identiques pour tous et à mieux prendre en compte les efforts des investisseurs, comme les succès des films. La question des fenêtres glissantes est posée, pour valoriser au mieux les oeuvres.

Nous souhaitons vous entendre sur la modernisation de la chronologie des médias, ainsi que sur la méthode à retenir compte tenu des difficultés rencontrées par le CNC pour obtenir l'adhésion de l'ensemble des signataires de l'accord de 2009.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis du législateur, alors que le délai d'exclusivité pour les salles a été fixé dans la loi. Une modification du régime des coupures publicitaires lors de la diffusion des films à la télévision relèverait également d'une modification législative. Il en est de même de la fixation des délais applicables à la vidéo et à la vidéo à la demande.

Ne serait-il pas légitime de faire figurer dans la loi les grands principes de la chronologie des médias et de conserver le recours à un accord professionnel pour en déterminer les modalités d'application ?

La directive du 30 juin 1997 prévoit que « la question des délais spécifiques à chaque type d'exploitation télévisée des oeuvres cinématographiques doit, en premier lieu, faire l'objet d'accords entre les parties intéressées ou les milieux professionnels concernés ». Les termes « en premier lieu » signifient-ils que le législateur serait habilité à se saisir de ce sujet en cas de défaillance prolongée des acteurs concernés ? Une loi pourrait ainsi fixer un délai pour réviser l'accord de 2009 au terme duquel une action législative prendrait « le relais ».

Le législateur est soucieux de débloquer la situation et de favoriser un large accord - qui appelle de la part de chacun des efforts et la recherche d'un compromis.

M. Xavier Couture, directeur général délégué, France TV. - Depuis la dernière mouture de la réglementation en vigueur, en 2009, le monde du cinéma n'a jamais été autant menacé. Lorsque j'intervenais comme consultant, j'avais coutume de dire que nous vivons dans un monde de médias, avec deux invariants, Sophocle et l'homme dans la salle, et des intermédiaires périssables entre les deux. Aujourd'hui, dans un monde de réseaux, avec une capacité gigantesque de diffusion de l'image et du son - de piratage également ! - nous avons basculé dans un monde où les intermédiaires sont de plus en plus nombreux. Sur le marché français les opérateurs de téléphonie sont devenus très importants, la concurrence est devenue très vive y compris pour les chaînes gratuites : c'est un nouveau paramètre. Car les industriels de la transmission de l'image et du son abordent la création non comme une fin mais comme un outil de valorisation de leur métier de base. Ces opérateurs se sont trouvés confrontés à d'autres, Netflix aujourd'hui, Amazon demain, qui financent la création au profit de nouvelles formes d'abonnement et de transmission à l'échelle internationale. Les diffuseurs nationaux traditionnels subissent la concurrence sauvage d'acteurs qui ont la planète entière pour terrain de jeu.

Nous sommes les principaux bailleurs de fonds du cinéma parmi les télévisions en clair : 60 millions d'euros par an, 3,5 % de notre chiffre d'affaires, pour produire, en 2016, 64 films dont 19 sont des premiers ou seconds films. Nous comptons ainsi parmi les principaux producteurs d'oeuvres de nouveaux cinéastes. Nous avons remporté une Palme d'or à Cannes en 2015 pour Moi, Daniel Blake , un Grand Prix du jury, cette année, pour Cent vingt battements par minute ; nous avons distribué 507 films en 2016 : familiaux et populaires sur France 2, patrimoniaux sur France 3, plus européens et indépendants sur France 4, axés sur l'exigence et la découverte sur France 5, avec la nouvelle case confiée à Dominique Besnehard qui présente sa cinémathèque idéale.

Si vous m'autorisez ce calcul iconoclaste, sur une soixantaine de films produits chaque année, dix sont éligibles au prime time , les autres sont diffusés en deuxième voire en troisième partie de soirée ; pour une dizaine de cases en prime time, la recette est de 14 millions d'euros, et de 10 millions pour cinquante cases en deuxième et troisième parties : le retour sur investissement est de 25 millions sur 60... Bien sûr, il y les deuxièmes diffusions et d'autres éléments à prendre en compte, mais le retour sur investissement est bien inférieur à ce qu'il est sur les fictions, les magazines, l'information.

En 2005, 500 films étaient diffusés, 1 800 aujourd'hui. Durant la semaine du 19 au 25 juin par exemple, 72 films de cinéma ont été programmés sur les chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT). Je remarque que TMC, C8, W9 et toutes celles qui diffusent beaucoup de cinéma n'ont investi en 2015 que 3,7 millions d'euros : elles pourraient faire mieux ! Il y a aussi des opérateurs non vertueux, les Gafa (Google, Google, Apple, Facebook, Amazon), Netflix. Je rappelle le problème apparu sur le financement, avec l'incertitude sur la taxation, entre pays d'origine ou pays de destination. J'espère, mais ce n'est pas certain, que la transcription de la directive Services de médias audiovisuels (SMA) confirmera la taxation sur le pays de destination.

On recense 13 millions de pirates en France et 2,5 milliards de vidéos consommées illégalement. Les opérateurs de télécoms ne disent pas la vérité : ils ont les moyens d'enrayer le piratage, mais ils ne veulent pas faire de peine à leurs abonnés.

On constate aussi la montée en puissance des plateformes de SVOD comme Netflix ou SFR Play. L'autorité de la concurrence a autorisé le rapprochement d'Altice et NextRadioTV au sein d'une société luxembourgeoise qui, certes, applique les directives françaises, mais pose des problèmes de concurrence à moyen et long terme.

La chronologie des médias autorise une programmation à 36 mois des films pour les plateformes de SVOD, ou vidéo à la demande sur abonnement (VàDA). Cela pose problème en cas de co-financement avec des chaînes payantes, la première diffusion en clair étant renvoyée à 28 ou 30 mois. L'ouverture de notre fenêtre est donc souvent concomitante à celle des plateformes.

Canal+ est devenue une plateforme de SVOD par abonnement : une cinquantaine de diffusions autorisées avec un rattrapage de 30 jours ! Sur Canal Play, plus de 300 films récents, dix ou douze mois, sont disponibles, ce qui est très attractif ! C'est un détournement de l'esprit de la loi.

Cela affaiblit le cinéma sur France 2 et France 3. Nos principales demandes concernent donc un rattrapage de sept jours, car le cycle de consommation est la semaine ; un dégel de la VOD locative dans la fenêtre de France TV, avec une exclusivité avant la diffusion sur nos antennes, mais pas après ; pour les films difficiles à programmer en première partie de soirée, l'ouverture des jours interdits ; la capacité de protéger les fenêtres d'exclusivité par rapport aux fenêtres SVOD, c'est une source de confusion ! La VOD payante est à quatre mois, c'est absurde, les films ont une telle rotation dans les cinémas qu'un délai de trois mois laisserait plus de chances au cinéma d'exister. Il faut, je le répète, dégeler la VOD locative à l'acte, sous réserve de respecter la fenêtre du pré-financeur (il faut une exclusivité pour la VOD payante avant la diffusion en clair). Nous sommes très favorables aux fenêtres glissantes, car il y a 260 films produits par an - beaucoup trop - et nombre d'entre eux ne sont pas financés par la pay TV . Lorsqu'un film n'est pas co-financé par une télévision payante, il est légitime que la télévision gratuite qui l'a pré-financé ait les mêmes droits de diffusion qu'une chaîne payante, à dix ou douze mois.

M. Jean-Michel Counillon, secrétaire général, TF1 . - Xavier Couture et moi partageons une analyse globale sur le piratage et sur l'exploitation du cinéma sur les grandes chaînes en clair. TF1 est le deuxième financeur de cinéma parmi les chaînes en clair, avec une autre logique économique que France TV, ce qui induit des positions différentes dans le débat complexe sur la chronologie des médias. France TV contribue plus que TF1 au financement du cinéma mais surtout, il répartit ses apports entre des films très divers ; TF1 concentre ses 46 millions d'euros d'investissement sur 17 films, car il doit rentabiliser toute diffusion... et ce dans un environnement règlementaire de financement du cinéma qui date des années quatre-vingt-dix, autant dire le crétacé supérieur de l'audiovisuel.

Pour nous, la chronologie des médias, c'est une organisation temporelle de l'exploitation des films qui repose sur la complémentarité des fenêtres eu égard aux modalités de financement. Il faut se poser le problème des modalités, précisément. TF1 finance et exploite des films dans le cadre restrictif du décret de 1990, et se heurte à l'arrivée de nouveaux acteurs, à la concurrence des Gafa, à la multiplication des chaînes, à la numérisation de la TNT, aux nombreuses exploitations en amont sur les fenêtres payantes... Si bien qu'un film, quelle que soit sa performance sur TF1, a une marge négative, avec des modalités aussi restrictives qu'en 1990. C'est pourquoi nous nous sommes adressés à l'ensemble de la profession, estimant qu'il fallait adresser un message clair aux pouvoirs publics et appeler à une refonte des modalités de financement du cinéma par les chaînes en clair.

Nous proposons de faciliter les opérations de financement, qui se feraient non plus par chaîne, mais par accord de groupe. Toutes les chaînes de la TNT auraient la possibilité de contribuer à une modalité de financement inédite, avec pour effet de mieux faire circuler les films d'une chaîne à une autre, mais également de mieux les amortir en aménageant plusieurs diffusions sur une fenêtre préfinancée. Ce système impliquerait aussi le versement d'un bonus au cinéma ou la multiplication du nombre de fenêtres de diffusion quand le film est acheté pour TF1 et finalement diffusé sur une chaîne de la TNT.

Aujourd'hui, plusieurs chaînes de télévision en clair peuvent financer le même film, en achetant plusieurs fenêtres simultanées, ce qui est préjudiciable à la diversité. Le système de groupe unique en clair évite ces effets pervers.

Une chose est sûre, la chronologie des médias doit s'adapter à la profusion des exploitations. Un film arrive 28 mois voire 36 mois après sa sortie sur une chaîne en clair. Entre-temps, il a été piraté, et il a été extrêmement regardé. Quant au système de télévision de rattrapage de Canal+, c'est en réalité une fenêtre SVOD ouverte à 12 mois.

Si nous ne modifions pas les modalités de financement du cinéma pour les chaînes en clair, je ne suis pas favorable à une nouvelle chronologie des médias. Nous perdons déjà de l'argent avec le système d'amortissement actuel. Introduire de nouveaux acteurs entre la sortie en salle et la fenêtre en clair est pour nous inacceptable. Il faut donc redéfinir les modalités de financement du cinéma, avec un système de financement par groupe et un meilleur amortissement. Alors, et seulement alors, nous serions ouverts à une modification de la chronologie. France Télévisions a une contrainte de diversité à honorer. Nous, nous avons une contrainte d'amortissement. C'est ce qui nous différencie.

Deux aspects fondamentaux de la régulation doivent également être modifiés. La France est le seul pays où des secteurs sont encore interdits à la publicité télévisuelle : on ne peut rien dire des promotions dans la grande distribution, ou sur le cinéma lui-même. Aujourd'hui, le cinéma ne peut toujours pas faire de publicité sur les chaînes qui le financent : c'est absurde ! Nous demandons aussi une troisième coupure publicitaire pour les films d'une durée supérieure à 1 heure et 45 minutes. À l'heure actuelle, nous n'avons droit qu'à deux.

De grâce, donc, ne dissociez pas la chronologie des médias du financement du cinéma. Si vous les découplez, vous créerez des ruptures économiques qui auront de graves conséquences.

Nous avons entendu dire que Canal+ voulait avancer la fenêtre payante à six mois après la sortie en salles. C'est une proposition à étudier : une première fenêtre payante à 12 mois après l'ouverture à six mois proposée, cela fait 18 mois, plus une deuxième fenêtre à six mois pour que les chaînes en clair puissent systématiquement ouvrir leur fenêtre à 22 mois, sans aucune autre variable d'ajustement.

Pour ce qui concerne le SVOD, je ne suis pas favorable à l'ouverture avant 36 mois. Avec sa télévision de rattrapage, Canal+ ouvre en réalité à 12 mois. Nous ne voulons pas qu'il ouvre à six mois.

Par ailleurs, tous les autres acteurs, Netflix, Amazon, par exemple, ne sont pas vertueux. Il n'y aucune raison de faire bouger la chronologie pour ces gens, qui ne sont même pas établis sur le territoire français. La fenêtre à 36 mois nous protège contre ces acteurs, que j'appelle des pirates.

Pour ce qui est la proposition de France Télévisions d'ouvrir la vidéo à l'acte dans nos fenêtres, elle est intéressante. Mais alors, il faudrait que cela soit à notre profit exclusif.

M. Xavier Couture. - Je souscris à l'essentiel de ce qu'a indiqué Jean-Michel Counillon. Néanmoins, mettre en place un système d'investissement au niveau des groupes pourrait contribuer au financement par TF1 de plus de blockbusters encore, au détriment de films de la diversité, dont il a reconnu que nous étions des acteurs majeurs.

M. Jean-Michel Counillon. - En mutualisant les obligations sur l'ensemble des chiffres d'affaires des chaînes et en achetant pour toutes les chaînes, on achèterait mécaniquement plus de films de la diversité pour les chaînes de la TNT. Ce système me semble donc vertueux.

J'ajoute que la solution du groupe unique en clair permettrait de répartir sur l'ensemble des chaînes de télévision d'un groupe le financement d'un film, ce qui serait plus vertueux pour le financement de la diversité. Car ce qui tue la diversité, c'est quand deux groupes historiques en clair se partagent le même blockbuster .

M. Xavier Couture. - L'ouverture de la fenêtre à six mois offrirait un avantage concurrentiel très fort à Canal+. Le marché de la VOD à l'acte, si Canal+ avait droit à sa fenêtre à six mois, serait fortement déstabilisé.

Mme Agnès Lanoë, directrice de la prospective et de la stratégie d'Arte. - Je m'exprime en tant qu'acteur de la diversité, car Arte, oui, est de ce côté du Rubicon. Nous diffusons environ 400 films par an. Arte France Cinéma investit et soutient environ 20 films de fiction, 3 films documentaires et une animation par an. Nous sommes très attachés à la chronologie des médias. Arte est une des seules chaînes à ne pas pratiquer de gel sur la VOD à l'acte. Sur la chronologie des médias, nous préconisons la mise en place de fenêtres glissantes, un système de bon sens pour l'exploitation suivie des oeuvres, qui a le mérite de la simplicité et de ne pas revenir sur les droits acquis. Cela nous paraît fondamental, surtout au moment où Canal+ n'investit pas dans tous les films produits.

Entre 2013 et 2015, un tiers des films produits par Arte France Cinéma n'a pas été achetée par des chaînes de télévision payantes. Il a donc fallu attendre 22 mois, ce qui est très long, avant de pouvoir les proposer gratuitement au public.

Mettre à disposition gratuitement du public ces films est un véritable enjeu social. Il ne faut pas reporter la fenêtre des chaînes de télévision gratuite. Toutes les exploitations avant la diffusion gratuite sont des exploitations payantes.

Pour ce qui est de la fenêtre SVOD par rapport aux chaînes payantes, je pense qu'il faut mettre tous les acteurs autour de la table, pour pouvoir rapprocher les fenêtres.

M. Xavier Couture. - Je tiens à saluer Arte qui, grâce à son statut particulier, se permet d'avoir un service de télévision de rattrapage de cinéma. Cela explique aussi pourquoi cette chaîne a une autre vision sur la question du dégel de la VOD.

Mme Agnès Lanoë. - Nous ne nous permettons pas de le faire, monsieur Couture, nous le faisons car nous avons un accord avec les sociétés d'ayants-droit.

Mme Marie Grau-Chevallereau, directrice des études réglementaires, M6. - M6 investit 23 millions d'euros par an dans le cinéma, dont 20 millions d'euros pour le préfinancement. Nous finançons surtout des films importants, environ une dizaine par an.

L'ensemble des chaînes financent le cinéma pour environ 140 millions d'euros par an, soit 35 % à 40 % de l'investissement total. Vous avez donc devant vous des acteurs qui, pris séparément peuvent donner l'impression de ne pas être de gros contributeurs au financement du cinéma, mais qui, ensemble, jouent un rôle déterminant dans son développement.

Néanmoins, chacun d'entre nous connaît un déficit structurel dans notre investissement en faveur du cinéma. On ne retrouve pas en chiffre d'affaires ce qui est dépensé pour le financement. Le rapport sur ce sujet de la Cour des comptes, en 2014, tout comme le rapport de René Bonnell l'ont bien montré. Cela s'explique par le fait que nous avons énormément de contraintes à honorer, d'exposition notamment.

Le temps d'antenne consacré aux films de cinéma représente pour M6 2 % du temps d'antenne total, contre 40 % pour Canal+, sans la SVOD. On comprend mieux pourquoi nous sommes déficitaires !

Il faut donc revaloriser l'investissement des chaînes gratuites, avec l'introduction de la troisième coupure publicitaire. Mais nous préconisons aussi la levée des jours interdits, la levée de l'interdiction de la publicité pour le secteur du cinéma sur nos antennes. Ces règles sont choquantes alors que Netflix, par exemple, diffuse des films à tout moment, et que le marché publicitaire sur Internet est supérieur à celui sur la télévision !

Par ailleurs, nous avons trop peu de mandats de distribution. J'ajoute que l'accès au compte de soutien a été réformé cinq fois depuis 2001, toujours au profit d'acteurs qui ne sont pas les chaînes. Aujourd'hui, les chaînes gratuites sont restées dans un carcan réglementaire qui date de l'analogique, quand les payantes ont pu se développer sans encombre.

Et voilà que l'on parle d'introduire de nouveaux acteurs sur nos fenêtres ! C'est dur à encaisser quand on est à ce point déficitaire, et que l'on continue, malgré tout, à investir pour financer le cinéma.

Pour ce qui est de la chronologie des médias, les chaînes gratuites se sont accordées sur le principe des fenêtres glissantes. Le but est de lutter contre le piratage et de mieux exposer les oeuvres. Notre position est claire : hors de question de voir arriver de la SVOD fournie par des groupes extérieurs, comme SFR ou les Gafa, sur nos fenêtres, alors qu'ils n'ont pas financé les films !

Nous sommes en revanche favorables à une refonte globale du financement pour discuter ensuite de la chronologie.

Pour ce qui est des accords évoqués, nous sommes plutôt frileux, ces accords ayant plutôt, historiquement, profité aux grands groupes. Mais cela peut changer.

M. Jean-Pierre Leleux , rapporteur pour avis de la commission de la culture sur les crédits de la mission Audiovisuel et avances à l'audiovisuel public . - La chronologie des médias est un sujet complexe. C'est pourquoi, madame la présidente a voulu y consacrer une journée. Depuis 2009, les tentatives de rapprochement des acteurs en la matière ont toutes été vaines. Pourtant, ces mêmes acteurs veulent des solutions. Comment pouvons-nous agir ? Il faudra bien, nous le voyons, que des concessions soient faites de part et d'autre. Notre rôle ne sera pas simple, il le sera d'autant moins que la Commission européenne, dans une directive, précise que ces questions de fenêtres doivent être soumises à un accord entre professionnels, sauf pour la fenêtre des 4 mois. Le paysage audiovisuel est aujourd'hui bouleversé par l'irruption de nouveaux acteurs. Le laisser en l'état, c'est le fragiliser.

De nos échanges, je retiens qu'il ne faut pas dissocier la question de la chronologie des médias de celle du financement. Nous n'échapperons pas non plus à une réflexion du financement du cinéma par les plateformes, dont l'offre suscite l'appétit du public, lequel est, in fine , le seul décideur. Les protections que nous mettons en place peuvent très bien se trouver débordées par les attentes du public. Sauf à imaginer deux marchés différents : un pour les plateformes et l'autre pour le cinéma.

Je sens un consensus se dégager ici - ce n'est pas le cas partout - sur le dégel de la VOD, sur la troisième coupure, avec une différence à maintenir, bien sûr, entre les chaînes publiques et les chaînes payantes, mais aussi sur les publicités sur le cinéma.

Quant à Canal+, on peut dire que c'est un SVOD qui se cache. Si on autorise l'ouverture de la VOD à six mois pour les télévisions payantes, les SVOD profiteraient-elles de la même ouverture ?

M. Jean-Michel Counillon. - Que Canal+ utilise son service de télévision de rattrapage comme SVOD ne peut se justifier.

M. Xavier Couture. - On pourrait raccourcir la fenêtre de 36 mois, dès lors que les plateformes deviennent également des pré-financeurs.

M. Jean-Pierre Leleux . - Les plateformes vertueuses, s'entend.

M. Jean-Michel Counillon. - Nous avons un problème avec la notion d'opérateurs vertueux. Si Netflix prend l'engagement de financer des films et de localiser quelques frais intermédiaires en France, cela ne suffit pas à en faire un opérateur vertueux ! Un groupe détenteur d'une licence en France, régulé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), localisé en France, qui paie ses impôts en France : voilà un opérateur vertueux.

Il vaut mieux fermer le système plutôt que l'ouvrir partiellement. La fenêtre à 36 mois offre les meilleures conditions pour le financement.

Mme Nathalie Lasnon, directrice des affaires réglementaires et de la concurrence, TF1 . - Le chiffre d'affaires que nous retirons de la diffusion des films n'a rien à voir avec l'investissement initial consenti. Ce n'était pas le cas dans les années quatre-vingt-dix. Cela s'explique par le fait que nous avons vu se multiplier les fenêtres d'exploitation supplémentaires. Or tout ce qui vient multiplier la consommation du téléspectateur avant le passage au clair viendra dégrader notre modèle économique. La question est de savoir comment pérenniser le financement du cinéma par le clair quand le déficit de ce dernier s'aggrave.

Mme Marie Grau-Chevallereau. - Pour gagner quelques dizaines de millions d'euros, au mieux, versés par les plateformes, qui se paieront ainsi une belle opération marketing, nous perdrons en réalité des dizaines de millions d'euros de plus !

M. Xavier Couture. - Il faut bien voir la modification des usages qui est à l'oeuvre.

En termes de financement, il ne m'apparaîtrait pas choquant que les oeuvres prises à l'unité et financées dans des conditions équivalentes à celles pratiquées par les opérateurs vertueux soient diffusées dans un cadre différent de la règle commune des plateformes de SVOD.

M. Jean-Pierre Leleux . - Trois remarques. La première : à force de vouloir se protéger, on cumule des règles qui finissent par étouffer les acteurs. Nous ne voulons pas compliquer encore la chronologie des médias. La deuxième, qui est une question : comment nos groupes réagissent-ils à cette nouvelle concurrence et comment envisagent-ils de s'adapter ? La troisième : plutôt que des séquences à durée déterminée de 4 mois, 6 mois ou 10 mois, ne serait-il pas plus pertinent d'attribuer à chaque fenêtre une durée variable selon qu'un film trouve son public ou pas.

M. Jean-Michel Counillon. - C'est une proposition qui avait été explorée par le CNC, et qui revenait à aménager la chronologie en fonction du poids de l'acteur dans le film. Autant le dire : on ne s'y retrouvait pas. Ce système créait une opacité telle que de nouveaux problèmes apparaissaient.

Tout ce qui rend variable la chronologie des médias est nuisible à la clarté des modalités d'exploitation des films. Nous voulons un système simple, avec des fenêtres simples.

L'idée de faire entrer les fenêtres SVOD dans les fenêtres existantes crée une inquiétude majeure : la destruction du financement du cinéma par la télévision en clair privée.

Le constat unanime, en France comme en Europe : le cinéma offre un retour sur investissement négatif pour les grandes chaînes privées. La plupart des chaînes européennes ne financent d'ailleurs plus de cinéma : elles financent des séries. Il n'y a qu'en France où les chaînes doivent financer pour la diffusion de films en clair.

La chronologie des médias préserve bon an mal an cet équilibre. Mais les films sont d'ores et déjà trop utilisés. Je rappelle d'ailleurs que la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine a fait passer en régime de copie privée l'enregistrement de films sur le cloud : cela contribue à délinéariser la chronologie des médias. Tout se passe comme si on fermait continûment la fenêtre d'exploitation des films sans modifier les conditions de financement du cinéma.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Le besoin a été nettement exprimé d'une réforme globale, où chacun devra se sentir responsabilisé, afin d'assurer la survie de l'exception culturelle. Une stratégie collective s'impose. Un certain nombre d'adaptations sont nécessaires : par exemple, les jours interdits semblent obsolètes...

M. Jean-Michel Counillon . - Cela peut vous paraître contrintuitif, mais nous les soutenons !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Autres adaptations réclamées, les multidiffusions, la possibilité d'exposer les films sur l'intégralité de l'offre, linéaire ou de rattrapage, une lutte accrue contre le piratage... Il serait bon, je crois, d'inscrire dans la loi les grands principes de la chronologie des médias, afin d'encourager les grands acteurs établis en France qui contribuent à la création et de stimuler les nouveaux venus. Il faudra préciser les contours des opérateurs vertueux. Les fenêtres glissantes sont une mesure de bon sens pour favoriser une exploitation suivie, sans trous dans la raquette propices au développement du piratage. Dégeler la VOD pendant les fenêtres de diffusion télévisée, avancer la diffusion des films sur la télévision payante, l'avancement de la diffusion des films sur la télévision payante... Tout cela n'épuise pas le champ de la lutte, qui doit être conduite au niveau européen, contre les nouveaux acteurs, les Gafa - il y faut un volontarisme sans faille. En conclusion, il faudra forcément que tous acceptent un compromis, quitte à y perdre parfois un peu, pour avancer collectivement...

M. Xavier Couture . - La modification des usages par l'arrivée de nouveaux outils est si rapide qu'il faut éviter d'être trop rigide, car c'est inefficace. C'est pourquoi je suis hostile à l'inscription dans la loi les détails de la chronologie des médias.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Une innovation technologique chasse l'autre : voyez ce qui s'est passé avec Hadopi. Difficile d'anticiper !

TROISIÈME TABLE RONDE

Mercredi 12 juillet 2017

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