IV. AUDITION CONJOINTE DE REPRÉSENTANTS DES TÉLÉVISIONS PAYANTES

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - J'ai jugé utile d'organiser cette journée de réflexion autour de la chronologie des médias, qui sous-tend tout le système de financement de la création, et l'avenir du cinéma auquel nous sommes particulièrement attachés. Nous sommes à la croisée des chemins, dans un contexte très innovant, avec de nouveaux entrants qui perturbent le statu quo . Après avoir reçu les producteurs, créateurs, exploitants et distributeurs ce matin, nous souhaitons entendre vos propositions, alors que les négociations conduites sous la responsabilité du CNC n'ont pas abouti.

M. Maxime Saada, directeur général de Canal+. - Nous avons abordé la question sous l'angle du financement de la création et de la capacité des acteurs de la filière à soutenir le cinéma français et européen.

Il faut distinguer deux types d'acteurs. D'abord la salle, à laquelle je reste très attaché : elle fait du film ce qu'il est, c'est-à-dire un événement. De plus, la sortie en salle contribue significativement aux revenus dégagés par le film. Ensuite, la télévision payante et gratuite : Canal+, Orange, les chaînes hertziennes. Quant à la VoD, après des années d'existence, elle représente un marché très faible en France ; sa contribution au financement du cinéma français est de l'ordre de 15 millions d'euros, à comparer avec les 400 millions de Canal+, d'Orange et des chaînes gratuites. Il convient d'avoir ces données en tête lorsque l'on réfléchit à la pérennisation du financement de la création.

Canal+ a par conséquent cherché, dans ses propositions, à préserver la salle à tout prix. De notre point de vue, qui n'est pas forcément celui des exploitants, ces propositions ne pénalisent en rien l'exploitation en salle. Nous avons eu un accord de principe avec Richard Patry sur ce sujet, avant que l'intervention des grands groupes d'exploitants ne vienne le compromettre.

Il convient ensuite de faire une différence entre les acteurs vertueux et les autres. Aujourd'hui, aucun avantage particulier n'est prévu, dans la réglementation ou l'accord interprofessionnel, pour ceux qui choisissent de s'établir en France, d'y payer leurs impôts et de respecter les quotas. C'est pourquoi nous proposons la mise en place d'un mécanisme basique d'incitation.

Troisième élément que nous avons pris en compte, la situation de Canal+. Le cinéma est de loin la première motivation de l'abonnement - le football est certes un élément moteur pour nos abonnés, mais il reste la deuxième motivation : tous ceux qui aiment le sport aiment le cinéma, mais la réciproque n'est pas toujours vraie. Or ce pilier de notre activité a été affaibli par les offres linéarisées et le piratage qui, au-delà de la chronologie, est le véritable enjeu majeur. Notre image en tant que chaîne de cinéma s'est écornée, nos abonnés trouvant désormais que les films arrivent trop tard sur leur écran. Canal+ ne souhaite pas réduire son investissement dans le cinéma, en volume comme en valeur absolue - au contraire, car face aux plateformes mondialisées, le cinéma français et la fiction en général sont des éléments durables de différenciation. Nous proposons de ramener de dix à six mois le délai minimal entre la sortie en salle et la première diffusion à la télévision. Cette avancée de quatre mois serait appliquée à tous les opérateurs le long de la chaîne qui accepteraient les mêmes contreparties en matière de fiscalité et de quotas : chaînes payantes, chaînes hertziennes, VoD, SVoD - y compris Netflix, s'il se pliait à ces règles. En revanche, les acteurs non vertueux se verraient appliquer la chronologie en vigueur.

Nous avons accepté deux contreparties dans le cadre de nos discussions avec le CNC. La première est le dégel de la VoD. À sa diffusion sur Canal+, un film sort du marché de la location à la demande pendant environ un an ; d'autres fenêtres viennent ensuite s'intercaler. Les chaînes hertziennes bénéficient de la même exclusivité. J'étais d'abord opposé au dégel : la possibilité pour nos concurrents de faire la publicité d'un film que nous diffusons, accessible chez eux pour 3,99 euros, écorne sérieusement la valeur d'exclusivité pour Canal+. Mais, dans ce monde de concurrence dure, il est impossible d'obtenir des contreparties sans concessions. J'ai également été sensible aux arguments de Pascal Rogard - nous ne sommes pas toujours en désaccord - en faveur du principe de continuité d'exploitation des oeuvres. Il est regrettable, voire incompréhensible que des films sortent du marché à certaines périodes : le consommateur doit pouvoir y accéder à tout moment. C'est pourquoi, contrairement à TF1 semble-t-il, nous avons accepté le principe du dégel de la VoD sur l'ensemble de la fenêtre de Canal+, allant ainsi au-delà des demandes des opérateurs eux-mêmes qui ne souhaitaient qu'un dégel partiel.

La seconde contrepartie que nous avons acceptée est l'extension de nos engagements jusqu'à 2022 ou 2023.

En revanche, nous nous sommes opposés à la proposition, formulée par Christophe Tardieu, de fenêtres « glissantes » ou « coulissantes » permettant la diffusion par des éditeurs gratuits des films que notre chaîne n'a pas préachetés. La justification invoquée est la double pénalité que constitue l'absence de préachat et le très long délai jusqu'à la diffusion télévisée, à cause des fenêtres successives ; mais pour nous, un tel mécanisme inciterait de nombreux acteurs à préacheter des films dans le seul but de nous en priver, sachant qu'ils pourraient ensuite les diffuser dans la fenêtre de Canal+.

Nous avons besoin de simplicité : un mécanisme qui n'est pas compris par le consommateur ne bénéficie à personne. Casser la récence en nous imposant ces fenêtres, c'est annuler notre dernier avantage sur le cinéma, compromettant à terme notre capacité à financer des films.

M. David Kessler, directeur général d'Orange Studio. - Il y a un accord large sur la nécessité de raccourcir la chronologie, au vu des habitudes des consommateurs et des exigences en matière de disponibilité. Je partage la conclusion de Maxime Saada : l'une des exigences de la réforme est la simplification. Le paysage audiovisuel est marqué par des systèmes très compliqués, que très peu de gens sont capables de décrire sans se tromper. C'est pourquoi les mécanismes de type « fenêtre glissante » doivent être abordés avec prudence : il faut que chacun s'y retrouve.

Je partage également l'attachement à la salle, créatrice de valeur sur le plan financier, mais aussi en termes d'image puisque c'est le succès en salles qui fonde une large partie de la valeur ultérieure du film. Mais ce n'est pas parce que la VoD n'a pas encore pris son envol qu'il faut la négliger : en témoigne sa progression spectaculaire dans des pays comme l'Allemagne, où la lutte contre le piratage est organisée différemment.

Je suis favorable à une distinction entre les acteurs, payants ou gratuits, qui participent à l'écosystème fondé sur le préfinancement, qui ouvre certains droits, et les autres. Je partage également les propos de mon collègue sur la nécessité de retarder les acteurs qui ne participent pas à ce système. Le cinéma est un élément fondamental de notre chaîne OCS. Nous sommes attachés à ce mécanisme.

Le sujet s'est complexifié. Même si les discussions étaient difficiles, les membres de la profession sont toujours parvenus à s'accorder sur la chronologie des médias. Dans un monde clos, le système de préfinancement était vertueux et facile à mettre en oeuvre. Or nous faisons désormais face à l'apparition de nouveaux acteurs qui durcissent le jeu et menacent les modèles historiques. Chacun est inquiet pour ses fenêtres et ses contreparties, d'où une crispation générale.

Je ne suis pas convaincu que nous parviendrons à un accord interprofessionnel classique : il faudra une intervention des pouvoirs publics. Il est néanmoins indispensable de préserver certains avantages. Comme Canal+, nous avons dit au CNC que nous étions prêts à certaines concessions au nom de la fluidité. Nous acceptons, nous aussi, le dégel de la VoD, l'essentiel étant, dans un monde instable, de préserver cet îlot de stabilité qu'est l'écosystème actuel favorable à la production française.

M. Régis Turrini, secrétaire général d'Altice. - Nouvel entrant sur le marché, Altice, que je représente à côté de nos glorieux aînés, enregistre déjà des résultats notables. La plateforme SFR Play est le premier service de VoD par abonnement en France. Nous avons financé des séries à succès comme Taken, les Médicis ou Riviera dont la saison 2 est en production. Hier, nous avons annoncé la prochaine étape : le lancement, le 22 août, d'une chaîne exclusivement consacrée au cinéma et aux séries, Altice Studio, qui diffusera 400 films par an et deux nouvelles séries par mois. Devançant les éventuelles questions, je précise que si la chaîne émettra depuis le Luxembourg, tête de pont de nos activités européennes où se trouvent nos infrastructures techniques, elle respectera les obligations en matière de diffusion d'oeuvres européennes et françaises et la chronologie.

Nous constituons ainsi une offre globale en bouquet, associant linéaire et non linéaire. La chronologie des médias, élément essentiel de l'exception culturelle, est, de l'avis de tous, obsolète. L'avenir appartient davantage à la SVoD qu'à la chaîne de télévision linéaire classique. La chronologie en vigueur a été fixée en 2009, c'est-à-dire à une autre époque, celle de l'iPhone 3, des trois opérateurs mobiles - contre quatre aujourd'hui. Une époque où l'activité de Netflix consistait à envoyer des DVD à ses clients par la voie postale... Les usages ont changé : chaque foyer compte en moyenne sept écrans, les données téléchargées explosent. La frontière entre linéaire et non-linéaire disparaît sous nos yeux, c'est pourquoi nous proposerons cette offre globale associant la SVoD - SFR Play - et le linéaire - Altice Studio.

Depuis un an et demi, nous proposons un catalogue de films français. Nos préachats sont néanmoins freinés par la chronologie des médias en vigueur : il est plus rentable de préfinancer une série qu'un film que nous ne pourrons diffuser que 36, voire 48 mois après sa sortie en salle. Un exemple : nous avons annoncé hier le préfinancement de Place Publique, d'Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri. Le tournage aura lieu cet été pour une sortie à l'automne 2018, une diffusion sur Altice Studio douze mois après, en 2019, et enfin sur notre plateforme de SVoD en 2021 ou plus probablement en 2022, à cause du gel des droits ! Si nous ne trouvons pas un modèle acceptable par tous, les gagnants seront les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) ou Alibaba, qui n'obéissent pas aux mêmes règles, au détriment de la création française.

Pour l'organisation des fenêtres de diffusion, le critère du niveau de financement de la production - que le service soit linéaire ou non - doit à nos yeux être préféré à celui du mode technique de diffusion. Il convient de ramener la fenêtre de la VoD par abonnement à la même durée que celle de la télé payante, c'est-à-dire douze mois. Cela seul répondra aux nouveaux usages et attentes des consommateurs.

Nous traversons une période où il est possible de faire évoluer la régulation, car les acteurs du marché doutent de plus en plus de la pérennité d'un modèle qu'ils perçoivent comme archaïque. Une nouvelle chronologie les rassurerait.

M. Jean-Pierre Leleux . - Merci pour vos propos extrêmement clairs. Je retiens des échanges que nous avons eus depuis ce matin que le piratage est un enjeu majeur. D'une manière générale, que pensez-vous qu'il faille faire pour débloquer le système ?

M. Christian Manable . - Monsieur Saada, pouvez-vous nous éclairer sur le bras de fer que Canal+ a engagé avec la société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) en refusant de lui payer les droits d'auteur ?

M. Régis Turrini . - Petit nouveau sur le marché, Altice n'a pas participé aux discussions avec le CNC. Nous découvrons donc la difficulté qu'il y a à se mettre d'accord... Pour cette raison, nous n'avons pas d'opinion sur les propositions des différents acteurs.

Le vrai sujet, sur lequel nous aimerions faire progresser la chronologie des médias, reste selon nous la SVoD, que je ne crois pas contraire aux intérêts des salles ou de la télévision payante.

M. Maxime Saada . - Au fond, nos positions, à l'exclusion de celle d'Altice, ne sont guère éloignées. Le CNC a cru qu'il pourrait régler tous les problèmes en discutant de manière bilatérale avec les acteurs du secteur ; je ne sais si c'était la meilleure méthode, mais je constate que malgré tous ses efforts, elle a échoué.

Nous ne sommes pourtant pas opposés à concéder aux chaînes hertziennes une augmentation du nombre de coupures publicitaires, ni à évoluer sur la question des jours interdits - à condition que nous obtenions à notre tour de nouveaux droits. Mais contrairement aux acteurs du cinéma, qui sont très nombreux, les diffuseurs et les financeurs sont bien plus faciles à réunir autour d'une table et il devrait être aisé de trouver un terrain d'entente.

L'attitude d'Altice y ferait toutefois obstacle. Une diffusion depuis le Luxembourg pour des raisons techniques ? Nous arrivons bien, tous autant que nous sommes, à diffuser depuis la France ! Altice préachète des films et les diffuse depuis le Luxembourg sur la fenêtre de Canal+ sans avoir pris aucun engagement en matière de soutien au cinéma français, tandis que nous consacrons, aux termes de l'accord interprofessionnel que nous avons signé, 12,5 % de notre chiffre d'affaires à l'achat de films français et européens. Pourquoi un acteur dispensé d'un tel effort bénéficierait-il des mêmes avantages que nous ? Je ne pourrai pas laisser cette situation perdurer très longtemps.

Je comprends la demande d'Altice, nouvel entrant, de pouvoir proposer un service de SVoD dans la fenêtre de la télévision payante, mais je ne comprends pas les arguments qu'ils avancent pour l'étayer. Dès le 22 août, la plateforme Altice Studio pourra diffuser le film d'Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri dont nous parlions sans attendre les 36 mois réglementaires alors qu'elle n'aura en aucune façon participé au financement du cinéma ! Concurrencer ainsi des acteurs qui financent la création à hauteur de 220 millions d'euros par an sera destructeur de valeur, cela ne fait aucun doute. Si Netflix ou toute autre plateforme achetant des droits dans cent cinquante pays et dont l'abonnement coûte dix euros bénéficie demain de notre fenêtre, le cinéma disparaîtra totalement de Canal+, c'est une certitude absolue. Le risque pour le financement du cinéma français est majeur.

Je ne comprends pas non plus l'argument qui veut que le soutien à la SVoD ferait barrage aux acteurs asiatiques. Les principales plateformes sont américaines : Netflix a plus de 100 millions de clients, et la première plateforme en France n'est pas SFR mais Amazon ! On ne le sait pas encore car leur campagne de communication n'a pas démarré, mais les 3 millions de personnes abonnées à leur offre Prime bénéficient depuis deux mois de vidéos à la demande. Si on accédait à la demande de SFR, ces plateformes américaines en seraient les premières bénéficiaires, alors qu'ils ne contribuent en rien au financement de la création, ne paient aucun impôt en France et ne respectent aucun quota...

M. David Kessler . - Au-delà du préfinancement, considérons l'ensemble des obligations pesant sur les acteurs qui participent au soutien du cinéma français. C'est le respect de cet ensemble d'obligations qui détermine une place dans la chronologie des médias. Une plateforme qui ne les respecterait pas ne devrait pas avoir accès au système.

Nous devrions pouvoir trouver des contreparties aux demandes des uns et des autres. Certaines sont moins convaincantes, notamment celle des coupures publicitaires, car le public s'habitue à voir des films sans trop de coupures - nous pourrions toutefois laisser chacun libre en la matière. Le système des jours interdits est archaïque - le spectateur ignore d'ailleurs son existence. Ma conviction reste que toutes les parties ne parviendront pas à se mettre d'accord, car les crispations sont trop fortes. Les pouvoirs publics ont tenté une médiation, il leur reviendra de siffler la fin de la partie. La préservation de l'écosystème doit rester leur priorité, en garantissant que les acteurs non vertueux ne l'emportent pas sur les vertueux.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Nous nous rejoignons sur ce dernier point.

M. Maurice Antiste . - Vos services ont-ils des ramifications dans les outre-mer ? Y a-t-il un espace commun d'échanges quotidiens entre vous ?

M. Régis Turrini . - Le droit de la concurrence s'y oppose malheureusement...

M. Maxime Saada . - Le petite taille du secteur fait que nous nous connaissons tous depuis longtemps. Nous avons même parfois été collègues !

Tous nos services sont en effet implantés outre-mer.

M. Bernard Tani, directeur éditions VoD d'Orange . - De même pour Orange VOD et OCS.

M. Régis Turrini . - Ce sera bien sûr aussi le cas de SFR à terme.

Mme Sylvie Robert . - J'ai commencé la journée en disant au CNC que j'étais très préoccupée par l'attitude de Canal+. Les accords courent jusqu'en 2020 ; ils sont fragiles - on sait pourquoi. Vous avez commencé par dire que votre priorité restait le cinéma, mais certains de vos propos ultérieurs m'ont semblé ambigus... L'action de Canal+ est pourtant essentielle au cinéma français, et nous souhaitons préserver ce modèle. Monsieur Saada, nous confirmez-vous le souhait de Canal+ de rester un financeur important du cinéma français ?

M. Maxime Saada . - Résolument et sans aucune hésitation, oui. J'ai, à la demande des organisations interprofessionnelles, pris l'engagement de prolonger l'accord signé avec elles de deux ou trois ans. J'ai dit que nous étions prêts à nous engager non plus en pourcentage mais en valeur absolue, à un niveau supérieur à notre effort actuel. Nous aimons le cinéma français, et y consacrons beaucoup de temps sur notre chaîne. Nous allons réorienter les activités de Studio Canal vers le cinéma français. Tout ce que nous entreprenons vise d'ailleurs à augmenter le nombre d'abonnés à Canal+ afin d'augmenter le financement du cinéma français - voyez l'annonce faite par Orange sur l'accord que nous avons conclu - et le soutien à la fiction française. C'est un élément clé de notre activité et le restera.

Nous payons un peu plus de 120 millions d'euros à la Sacem, la SACD et la Scam. Nous considérons que ces montants sont disproportionnés à la valeur des droits que nous exploitons. Notre offre est pour moitié sportive et nous ne voyons pas l'utilité de payer des droits de doublage ou de musique sur ces programmes. Nous avons abordé le sujet en septembre dernier avec la Sacem, qui perçoit une centaine des 120 millions que nous dépensons - et en reverse une partie à la SACD, à qui nous ne versons que quinze millions d'euros, le reliquat allant à la Scam. Nos partenaires ont longtemps refusé le dialogue ; notre première réunion, qui a finalement eu lieu le 8 novembre, n'a rien donné. Personne, depuis, n'a consenti à revenir autour de la table. Nous avons donc dû recourir à une méthode regrettable, mais efficace : les seuls paiements que nous avons bloqués sont ceux destinés à la Sacem... qui est désormais la seule société de gestion avec laquelle nous avons un dialogue constructif. Nous ne souhaitons aucunement pénaliser les auteurs, mais estimons ne pas devoir être les seuls à financer la création.

Notre effort de 120 millions d'euros représente le double de notre résultat d'exploitation en France, et le tiers de ce que perçoit la Sacem au titre de la télévision et de la radio : ce n'est pas normal. Les Français sont 19 ou 20 millions à regarder la télévision au moyen d'une box , et nous payons plus que tous les fournisseurs d'accès à Internet réunis : ce n'est pas normal non plus. Cessons de faire reposer le financement de la création française sur une poignée d'acteurs. Depuis le 5 juillet, des auteurs pourraient être touchés financièrement, et nous ne souhaitons pas que cela se produise. Nous n'avons qu'un souhait : régler ce problème rapidement. Je suis à la disposition de Pascal Rogard à compter de cet après-midi.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Permettez-moi quelques mots de synthèse de cette journée. D'abord, nous retenons que la chronologie des médias doit être revue. Archaïsme, manque de lisibilité, besoin d'adaptation... nous avons entendu vos critiques. Les chaînes hertziennes ne sont pas nécessairement demandeuses d'une réforme ; celle-ci devra en tout état de cause être globale. Ses différents aspects ont été évoqués : possibilité de diffuser des films en linéaire ou en rattrapage, de procéder à des multidiffusions, de diffuser des films les jours interdits, de faire de la publicité pour le cinéma à la télévision, d'instaurer une troisième coupure publicitaire, de mutualiser l'obligation de préfinancement du cinéma au niveau d'un groupe, renforcer la lutte contre le piratage - sur ce dernier point, notre commission a publié un rapport il y a deux ans, coécrit par Corinne Bouchoux et Loïc Hervé.

Autre suggestion : inscrire dans la loi quelques grands principes sur la chronologie des médias - le CNC souhaitait ainsi faire bénéficier les acteurs vertueux d'une chronologie précoce, pratique qui pourrait encourager les acteurs établis en France et stimulerait l'entrée de nouveaux acteurs. Dernière piste : traiter les acteurs de manière différenciée selon leur respect de critères déterminés : ceux qui investissent significativement dans le financement de la création bénéficieraient, par exemple, de la fenêtre des services de cinéma payant de dix mois au lieu de trente-six.

Je note que les fenêtres glissantes ou coulissantes soulèvent plus de réticence de votre part. Vous avez aussi évoqué le dégel de la VoD et l'avancement de quatre mois de la fenêtre de diffusion des films sur la télévision payante - six mois après leur sortie en salle au lieu de dix mois -, qui devrait mieux répondre aux attentes des spectateurs et freiner le piratage. Voilà quelques pistes qui nous permettront, j'espère, d'avancer.

N'oublions pas de prendre en compte les publics, qui attendent que nous nous adaptions aux nouveaux usages, aux nouveaux supports, et que nous facilitions l'accès à la création.

M. Bernard Tani . - Permettez-moi de dire un mot sur les services de télévision de rattrapage, qui posent un problème de lisibilité - le public sait en principe faire la différence entre ce qui est gratuit et ce qui est payant - et sont en contradiction complète avec la proposition de valeur des chaînes payantes.

Le syndicat des éditeurs de vidéo à la demande, qui regroupe tous les éditeurs installés en France, n'a pas été convié aux négociations récentes. Or la vidéo payante à l'acte, à la location comme à l'achat, apporte une contribution indirecte non nulle au financement de la création, car si les recettes en salles couvrent dans le meilleur des cas les frais d'édition, la marge d'exploitation du distributeur repose, elle, sur la VoD. Autrement dit, si la VoD ne progresse pas, les distributeurs mettent moins d'argent dans la projection des films en salle. Le dégel de la fenêtre de la VoD, à cet égard, n'est motivé que par un souci de lisibilité...

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Ce n'est pas qu'une question de lisibilité, c'est aussi une question d'accès du public aux oeuvres.

M. Bernard Tani . - Oui, mais cela ne générera pas le surcroît de chiffre d'affaires escompté puisque l'avancée de la fenêtre de la télévision payante de dix à six mois réduira à deux mois la disponibilité exclusive des films en VoD.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - D'aucuns estiment que les spectateurs vont majoritairement voir ou revoir les films deux mois après leur sortie.

M. Maxime Saada . - C'est le cas pour 80 % d'entre eux en effet.

M. Bernard Tani . - Pour quelques profils de films, la consommation est plus étalée dans le temps.

M. Maxime Saada . - Madame la présidente, vous avez raison d'appeler en conclusion à accéder aux désirs du public, mais une part importante des spectateurs ne demande rien tant que de regarder un film dès sa sortie sans avoir à le payer ! Le nombre des internautes qui piratent les films est en effet estimé à 13 millions, et chaque film que nous diffusons a, en moyenne, déjà été vu quatre fois illégalement ! Nous perdons ainsi 500 000 abonnés...

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Vous vous adressez à la bonne commission, mais nous manquons malheureusement de temps pour vous exposer tout le travail que nous avons fait sur ce sujet - je songe notamment au rapport de Corinne Bouchoux et Loïc Hervé intitulé « La Hadopi : totem et tabou ».

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