EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une réunion tenue le mercredi 8 novembre 2017, sous la présidence de M. Vincent Eblé, président, la commission a entendu une communication de M. Albéric de Montgolfier sur le régime fiscal et la rentabilité des biens immobiliers des particuliers.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Cette année, deux réformes sont attendues dans le projet de loi de finances : la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et sa transformation en impôt sur la fortune immobilière (IFI) ; et l'instauration du PFU, le prélèvement forfaitaire unique. Cette politique est justifiée par l'engagement de campagne du Président de la République d'exonérer « tout ce qui finance l'économie réelle ». On a parlé de rente immobilière. Le sujet étant d'actualité, il m'a semblé intéressant d'examiner la notion de rente immobilière. La rente immobilière est-elle un mythe ou une réalité ? L'immobilier est-il une classe d'actifs improductifs qui permet à ses détenteurs de bénéficier d'une rente ?

À l'inverse, les valeurs mobilières contribueraient seules à la croissance de l'économie réelle et devraient voir leur taxation allégée. La question n'est pas nouvelle. La notion de rente immobilière renvoie à celle de surprofit : la rente correspond, dans la théorie économique, à une situation dans laquelle le prix d'une marchandise est fixé à un niveau supérieur à celui qui résulterait d'une concurrence pure et parfaite sur le marché considéré.

Du point de vue de l'investisseur, l'existence d'une rente immobilière devrait donc, en principe, se traduire par une rentabilité avant impôts anormalement élevée, par comparaison aux principales classes d'actifs concurrentes - actions, obligations et placements monétaires. Or, sur une longue période, l'immobilier ne présente pas une rentabilité anormale. Celle-ci provient de deux sources : le gain en capital et le rendement. Il est toutefois nécessaire de comparer cette rentabilité par type de placement.

Les actions présentent un taux plus élevé que les autres classes d'actifs en raison de la prise de risque. S'agissant du placement en logement, la mesure de la rentabilité est particulièrement complexe et doit prendre en compte les frais de transaction, le taux de vacance ainsi que le poids des charges pesant sur les propriétaires, qui grèvent le rendement et faussent les comparaisons avec les autres classes d'actifs. L'immobilier est le seul actif taxé tout au long de sa vie : droits de mutation, taxe foncière, ISF, plus-value, droits de succession, impôts sur le revenu, CSG, etc. A contrario , les actions ne sont pas ainsi taxées.

Les différentes études économiques montrent que l'investissement en logement présente sur une longue période un niveau de rentabilité et de volatilité cohérent, en contradiction avec l'idée qu'il existerait une rente immobilière. Le Conseil général de l'environnement et du développement durable situe la rentabilité du logement locatif sur longue période à un niveau intermédiaire entre les actions et les obligations.

Néanmoins, au cours des vingt-cinq dernières années, l'immobilier est le secteur qui a connu la rentabilité la plus performante. Entre 1990 et 2015, la rentabilité du logement locatif apparaît comparable à celle des actions - 6,2 % par an - en dépit d'un niveau de volatilité significativement inférieur. La surperformance de l'immobilier au cours de la période s'explique non par le rendement, mais principalement par la hausse des prix, notamment en Île-de-France. Le niveau de progression du prix des logements en France est supérieur à celui des autres pays, en particulier ceux de la zone euro.

D'après une étude récente de la Banque de France, la progression rapide des prix observée en France jusqu'à la crise correspondait à une phase de rattrapage par rapport aux autres pays de la zone euro. En tout état de cause, il apparaît paradoxal de s'interroger sur l'existence d'une rente immobilière au moment même où la rentabilité du logement locatif apparaît désormais significativement inférieure, en France, à son niveau tendanciel sur une longue période.

Par ailleurs, la fiscalité française n'apparaît pas particulièrement biaisée en faveur de l'immobilier. Avec 68 milliards d'euros de prélèvements liés au logement, le poids des prélèvements opérés sur les logements est en progression sur les dix années passées. Les prélèvements liés au logement suivent la même évolution que celle des prélèvements obligatoires, augmentant de près de 200 % en trente ans.

Les prélèvements sur le patrimoine immobilier représentaient environ 3,3 % du PIB de la France en 2015 et 7,2 % de l'imposition totale, selon les chiffres de l'OCDE. Entre 1995 et 2015, la part des prélèvements sur le patrimoine immobilier est en hausse de 28 % par rapport à l'ensemble des recettes fiscales et de 39 % au regard du PIB.

Du point de vue des comparaisons internationales, la France apparaît ainsi en deuxième position parmi les pays de l'OCDE, derrière le Royaume-Uni, et bien avant les États-Unis et l'Allemagne. Notre pays aime donc taxer l'immobilier. Pourtant, c'est un actif qui participe à la richesse nationale.

J'ai souhaité réaliser des simulations afin de comparer la fiscalité avant et après les réformes envisagées par le Gouvernement. Nous avons pris l'exemple d'un ménage médian et d'un ménage très aisé, et nous avons comparé un placement immobilier et un placement en valeurs mobilières. Dans la quasi-totalité des cas, le taux global d'imposition est plus élevé pour l'immobilier. Évidemment, après la réforme prévue par le Gouvernement, ce taux explose de manière assumée. Nous avons aussi envisagé le cas de l'optimisation fiscale et réalisé une simulation en Pinel. En matière de valeurs mobilières, nous avons choisi un placement en actions optimisé, c'est-à-dire un PEA, un plan d'épargne en actions. Avec la réforme, le taux d'imposition sera de 16 points plus élevé pour l'immobilier que pour les autres actifs.

Le Gouvernement assure que l'immobilier serait improductif. Ce secteur contribue pourtant à 18 % de la valeur ajoutée, et génère 8 % des emplois, en France comme, à quelques légères variations près, dans l'Union européenne. Le Gouvernement répond que les gains de productivité y seraient plus faibles qu'ailleurs. Certes, la bulle immobilière espagnole a mobilisé d'importants volumes de capitaux avant de retomber. Désormais, aussi bien en valeur ajoutée qu'en part dans l'emploi, la contribution de l'immobilier se stabilise et l'on n'a pas observé de déformation de la structure de l'économie au profit de la construction. Le Gouvernement explique alors que l'immobilier aurait un effet d'éviction sur le financement des entreprises. Là aussi, les études économiques infirment cet argument. La dynamique du crédit à l'habitat n'a pas empêché la croissance de l'endettement des entreprises, dont la part dans le PIB a augmenté de plus de 20 points et la part des crédits à l'habitat dans le financement bancaire - 57 % - ne présente pas de caractère atypique en France.

Au niveau microéconomique, les estimations suggèrent même qu'une hausse de l'immobilier favoriserait l'investissement des entreprises, puisqu'elle rehausse la valeur des biens immobiliers qu'elles apportent sous forme de garantie auprès de leurs établissements bancaires. Bref, sur le plan de l'efficacité économique, il ne semble exister aucun motif valable justifiant de pénaliser ou de freiner l'investissement immobilier en France.

Au-delà de l'efficacité économique, l'évolution du marché du logement français suscite également des inquiétudes sur le plan des inégalités. Si la hausse des prix de l'immobilier constitue un motif légitime d'inquiétude s'agissant des bailleurs, la situation est plus nuancée s'agissant des propriétaires occupants, qui représentent 84 % des transactions. En cas de revente, les propriétaires-occupants doivent en effet le plus souvent se reloger à un prix qui a augmenté. En outre, en l'absence de revente, les caractéristiques du marché hypothécaire français ne permettent pas aux propriétaires occupants de tirer parti de la hausse de leur patrimoine immobilier afin de consommer davantage, puisque le crédit hypothécaire rechargeable est interdit chez nous.

Le tableau que vous trouverez dans ma présentation montre que le logement représente une proportion très faible de la richesse patrimoniale des ménages les plus aisés, alors qu'il constitue l'essentiel de la richesse des ménages de la classe moyenne patrimoniale. Voilà pourquoi le rendement de l'IFI ne sera que de 850 millions d'euros, contre 4 milliards d'euros pour l'ISF. En l'absence de hausse des prix de l'immobilier, la hausse de la concentration patrimoniale observée en France aurait été substantiellement plus élevée.

Le taux de propriétaires parmi les jeunes ménages modestes a été divisé par deux en l'espace de seulement 40 ans, tandis que celui des ménages aisés a augmenté de plus de 50 % au cours de la même période.

Sans nier les conséquences néfastes de l'inflation immobilière, notamment en Île-de-France, il faut les ramener à leur juste proportion. Il est temps de s'écarter des faux débats sur l'existence d'une rente immobilière et de s'intéresser au contraire aux vrais problèmes, qui demeurent. Un groupe de travail sur le financement et la fiscalité du logement avait été constitué à l'automne 2015 au sein de notre commission des finances et avait formulé des recommandations, dont certaines restent à mettre en oeuvre.

Il convient, tout d'abord, de remédier au phénomène de rente foncière pour les terrains nus devenus constructibles, dont les propriétaires bénéficient d'un effet d'aubaine. Accès à la propriété des jeunes générations, PTZ, équilibre entre ancien et construction... Autant de sujets à aborder. Chaque ministre du logement a laissé son nom à un dispositif fiscal, mais ces dispositifs bénéficient davantage aux promoteurs qu'aux particuliers ! Un quart des Français sont logés dans le parc locatif privé ; celui-ci se dégrade et doit être mieux mobilisé.

Le PFU laisse l'immobilier de côté. Et l'IFI est une erreur. Si quelqu'un place un million d'euros dans un gros diamant, un lingot d'or ou des bons du Trésor américains, est-ce plus utile à l'économie française que d'investir dans des terres agricoles, une boutique ou un appartement qui logera une famille ? Mieux vaudrait supprimer complètement l'ISF... On peut vivre sans diamant, mais pas sans toit ! A la question « Y a-t-il une rente immobilière ? », je réponds donc : non !

M. Vincent Éblé , président . - La décomposition du patrimoine par type d'actif selon le niveau de richesse, illustré dans votre diaporama, montre bien que la concentration de la fiscalité sur l'immobilier ne permet pas de toucher la totalité des patrimoines de manière équitable.

M. Claude Raynal . - Le graphique que vous mentionnez est déjà connu. Un autre concerne la très longue période. À propos de vos conclusions...

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Ce sont des pistes.

M. Claude Raynal . - Elles nous agréent : tous ces sujets sont sur la table. Nous ne partageons pas, en revanche, votre proposition - orale - de supprimer totalement l'ISF. Le graphique décomposant la richesse patrimoniale par décile montre bien que plus on est riche, moins la part de l'immobilier dans le patrimoine est importante. Quiconque est normalement constitué doit en déduire qu'il faut continuer à taxer les actifs financiers ! Les grandes fortunes, souvent, louent leur immobilier à des sociétés extérieures. La question est donc de réintroduire l'ISF.

M. Philippe Dallier . - Ce rapport montre que le Gouvernement s'appuie sur quelques idées reçues. Comment la rentabilité est-elle calculée ? La vacance inclut-elle les incidents de parcours ? Deux ans d'impayés de loyers, une procédure, cela peut coûter cher...

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Oui, elle les inclut.

M. Philippe Dallier . - Le Gouvernement, en supprimant l'APL accession ou en suscitant des difficultés avec les bailleurs sociaux, n'incite pas à investir dans ce secteur. C'est nous faire prendre un gros risque, car au sortir d'une crise très rude nous avons besoin de construire.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je partage cet avis.

M. Alain Houpert . - On parle souvent, à propos d'immobilier, de gestion « en bon père de famille ». Dans les zones où les loyers sont très bas, les bailleurs privés peuvent être considérés comme des bailleurs sociaux. L'équilibre entre Paris et le reste de la France est menacé par la baisse de la démographie en zone rurale. Pas sûr que les propriétaires en zone rurale continueront d'investir dans leur bien.

M. Julien Bargeton . - Le sujet n'est pas facile. J'attire toutefois votre attention sur le fait que le graphique dont nous parlons, tiré du livre de Thomas Piketty, grossit considérablement la part des déciles supérieurs.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - C'est parce que l'ISF ne concerne que le dernier centile.

M. Julien Bargeton . - Je vous l'accorde. Mais pour des très riches, l'immobilier a beau ne représenter qu'une petite fraction de leur patrimoine, sa valeur peut être considérable.

L'arbitrage entre placements financiers et l'immobilier, avec des taux d'intérêts faibles, est favorable à l'immobilier. Or un investissement locatif est moins intéressant pour le financement de l'économie. Il faut agir sur les choix individuels. À cet égard, les pistes que vous proposez sont intéressantes.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Plus on est pauvre, moins on a de capacité d'arbitrage. Même pour les classes moyennes supérieures, en région parisienne, la résidence principale constitue la quasi-totalité du patrimoine. On ne peut donc pas parler d'effet d'éviction.

M. Emmanuel Capus . - Ne serait-il pas plus simple de supprimer l'ISF ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - N'anticipons pas...

M. Bernard Delcros . - Nous devons veiller aux équilibres territoriaux. En zone rurale, ce secteur a un fort impact sur l'activité. L'addition des mesures prises risque d'accroître la fracture territoriale en pénalisant les territoires ruraux. Quant à l'ISF, il faut le maintenir ou le supprimer, pas le réduire à un produit de 850 millions d'euros.

M. Arnaud Bazin . - Un mot n'a pas été prononcé, celui de résidence principale. Parfois, la survalorisation des lieux où certains de nos compatriotes résident par tradition familiale les expose à une imposition sans proportion avec leurs revenus.

La commission a donné acte de sa communication à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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