CERTAINS ÉTATS MEMBRES ONT MIS EN PLACE DES DISPOSITIFS DE CONTRÔLE DES INVESTISSEMENTS DIRECTS ÉTRANGERS

Sur le fondement du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qui autorise le contrôle des investissements directs étrangers au titre de l'ordre public ou de la sécurité (1), plusieurs États membres se sont dotés de dispositifs d'examen dont la portée apparaît inégale (2).

LES TRAITÉS AUTORISENT DES CONTRÔLES AU TITRE DE L'ORDRE PUBLIC ET DE LA SÉCURITÉ

L'article 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) permet aux États membres, par dérogation à la libre circulation des capitaux, de prendre des mesures justifiées par des motifs tenant exclusivement à l'ordre public ou à la sécurité publique , sous réserve que celles-ci ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements . Il ne s'agit donc pas de répondre à une préoccupation extensive d'intelligence économique.

La Cour de justice de l'Union européenne a eu l'occasion de préciser que les États membres disposent d'une marge d'appréciation pour déterminer les exigences de l'ordre public et de la sécurité conformément à leurs besoins nationaux. Elle considère toutefois qu'il leur incombe de démontrer le caractère réel et suffisamment grave de la menace et de respecter les principes de proportionnalité et de sécurité juridique .

DES DISPOSITIFS NATIONAUX DE PORTÉE INÉGALE

Dans le cadre défini par le traité et précisé par la Cour, treize États membres , au nombre desquels figurent la France et l'Allemagne, ont mis en place des mécanismes de contrôle des investissements étrangers dont la portée est inégale.

Les seuils de prise de participation à partir desquels un contrôle est exercé vont ainsi de 5 à 50 %. Les secteurs concernés sont plus ou moins étendus mais comprennent généralement le secteur de la défense. Quant aux critères ils sont variés : impact sur des infrastructures, des approvisionnements ou des technologies critiques, contrôle de l'investisseur par un État étranger, accès à des informations sensibles. Enfin, selon les pays, le contrôle intervient soit a priori , soit a posteriori .

En Allemagne, les premières dispositions en matière de contrôle des investissements étrangers ont été introduites en 2004 pour protéger les industries nationales de défense à la suite du rachat des chantiers navals HDW et du motoriste MTU par des fonds d'investissements américains . Le dispositif a été étendu en 2009 et renforcé en juillet 2017 face à la multiplication des initiatives chinoises en vue de prendre le contrôle de savoir-faire technologiques allemands. Le délai d'examen des offres d'achat en provenance d'entreprises situées hors de l'Union européenne a été allongé et le champ des investissements examinés étendu, notamment aux prestataires de services ou fabricants de logiciels utilisés par des sociétés appartenant à des secteurs stratégiques tels que les réseaux d'électricité, les centrales nucléaires, l'approvisionnement en eau, les réseaux de télécommunications, les hôpitaux ou encore les aéroports. L'Allemagne a ainsi récemment empêché, au nom de la sécurité nationale, le rachat d' Aixtron, un producteur d'éclairage LED produisant des puces susceptibles d'être utilisées dans le cadre du programme nucléaire chinois.

En Italie , un décret-loi publié en 2012 a conféré des pouvoirs de contrôle spécifiques au gouvernement en cas de prise de contrôle d'entreprises détenant ou contrôlant des actifs stratégiques dans des secteurs identifiés : la défense et la sécurité nationales, l'énergie, les transports et les télécommunications. Ces investissements peuvent être bloqués ou assortis de conditions.

De son côté, le Royaume-Uni envisage actuellement une extension de son dispositif de contrôle des investissements directs étrangers dans les secteurs technologiques et militaires ainsi que l'abaissement du seuil de chiffre d'affaires de la société cible de 70 millions à 1 million de livres.

La France , quant à elle, est dotée d'un dispositif ancien de contrôle préalable des investissements étrangers 10 ( * ) , et de règlementations sectorielles comme en matière de presse et d'audiovisuel . Dans la suite du rachat du pôle énergie d' Alstom par le groupe américain General Electric ( GE ), elle a étendu en 2014 11 ( * ) , la portée du contrôle à six nouveaux secteurs considérés comme essentiels à la préservation des intérêts nationaux : l'approvisionnement en eau et en énergie, les réseaux et services de transport et de communications électroniques, les établissements, installations et ouvrages d'importance vitale au sens du code de la défense, et le secteur de la santé. Il convient toutefois de souligner que, conformément au droit européen, seule la protection de la sécurité ou de l'ordre public peut justifier un refus ou une conditionnalité de l'investissement .

Le dispositif français de contrôle des investissements directs étrangers
( Titre V du code monétaire et financier - Les relations financières avec l'étranger,
art. L. 151-1 et R. 151-1 et ss
)

Sont soumis à l' autorisation préalable du ministre chargé de l'économie les investissements directs étrangers dans une activité en France qui, même à titre occasionnel, participe à l'exercice de l'autorité publique ou est de nature à porter atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale .

Le code monétaire et financier fixe la liste des activités concernées :

- activités dans les secteurs des jeux d'argent à l'exception des casinos ;

- activités réglementées de sécurité privée ;

- activités de recherche, de développement ou de production relatives aux moyens de faire face à l'utilisation illicite, dans le cadre d'activités terroristes, d'agents pathogènes ou toxiques ;

- activités portant sur les matériels conçus pour l'interception des correspondances et la détection à distance des conversations ;

- activités de services dans le cadre de centres d'évaluation et de certification de la sécurité offerte par les produits et les systèmes des technologies de l'information ;

- activités de production de biens ou de prestation de services de sécurité dans le secteur de la sécurité des systèmes d'information d'une entreprise liée par contrat à un opérateur public ou privé gérant des installations ;

- activités relatives aux biens et technologies à double usage ;

- activités relatives aux moyens de cryptologie et aux prestations de cryptologie ;

- activités exercées par les entreprises dépositaires de secrets de la défense nationale, notamment au titre des marchés classés de défense nationale ou à clauses de sécurité ;

- activités de recherche, de production ou de commerce d'armes, de munitions, de poudres et substances explosives destinées à des fins militaires ou de matériels de guerre et assimilés ;

- activités exercées par les entreprises ayant conclu un contrat d'étude ou de fourniture d'équipements au profit du ministère de la défense, soit directement, soit par sous-traitance, pour la réalisation d'un bien ou d'un service relevant d'un secteur mentionné ci-dessus ;

- activités portant sur des matériels, des produits ou des prestations de services essentielles à la garantie des intérêts du pays en matière d'ordre public, de sécurité publique ou de défense nationale en lien avec :

- l'intégrité, la sécurité et la continuité de l'approvisionnement en électricité, gaz, hydrocarbures ou autre source énergétique, ainsi qu'en eau, dans le respect des normes édictées dans l'intérêt de la santé publique,

- l'intégrité, la sécurité et la continuité d'exploitation des réseaux et des services de transport, des réseaux et des services de communications électroniques, d'un établissement, d'une installation ou d'un ouvrage d'importance vitale,

- la protection de la santé publique.

En cas de prise de contrôle , en droit ou en fait, directe ou indirecte (l'actionnaire final est donc identifié), d'une entreprise française ou d'une branche d'activité d'une entreprise française (par exemple un vaccin dans l'industrie pharmaceutique) exerçant l'une de ces activités, il est procédé à un examen préalable . Faute d'autorisation, l'investisseur fait l'objet d'une injonction de ne pas procéder à l'opération ou de rétablir la situation antérieure, éventuellement assortie d'une sanction pécuniaire.

La demande d'autorisation est instruite par le bureau du contrôle des investissements étrangers de la direction générale du Trésor , en lien avec les administrations concernées, notamment le ministère de la défense, via les hauts fonctionnaires de défense des ministères techniques concernés et le commissaire général à l'information stratégique et à la sécurité, qui est notamment l'interface entre les services de renseignement et ceux du ministère de l'économie.

L'autorisation peut être assortie de conditions visant à s'assurer que l'investissement ne portera pas atteinte aux intérêts nationaux . Ces conditions concernent principalement la préservation par l'investisseur de la pérennité des activités, des capacités industrielles, des capacités de recherche et de développement ou des savoir-faire associés, l'intégrité, la sécurité et la continuité de l'approvisionnement, l'intégrité, la sécurité et la continuité de l'exploitation d'un établissement, d'une installation ou d'un ouvrage d'importance vitale ou des réseaux et services de transport ou de communications électroniques, la protection de la santé publique ou l'exécution des obligations contractuelles de l'entreprise dont le siège social est établi en France, dans le cadre de marchés publics ou de contrats intéressant l'ordre public, la sécurité publique, les intérêts de la défense nationale ou la recherche, la production ou le commerce en matière d'armes, de munitions, de poudres ou de substances explosives.

Lorsque l'accord est subordonné à des conditions, l'entreprise rend compte du respect de celles-ci dans un rapport annuel . Il peut en outre être procédé à des vérifications .

Les décisions de refus ou conditionnelles sont susceptibles d'un recours de plein contentieux. Le juge en contrôle alors la base légale et la motivation, et s'assure du respect du principe de proportionnalité.

À titre comparatif, on signalera qu'aux États-Unis , le Comité pour l'investissement étranger (CFIUS), présidé par le secrétaire au Trésor, a une approche très extensive de la sécurité nationale et formule des réserves, qui conduisent généralement au retrait du projet, lorsque des investissements étrangers sont susceptibles d'interférer avec les exigences de la défense nationale. De manière plus visible, le Président Trump a récemment opposé son veto à l'acquisition de Lattice, une société de semi-conducteurs à application militaire, par Canyon Bridge , un fonds d'investissement contrôlé par des intérêts chinois.


* 10 Introduit par la loi n° 66-1008 du 28 décembre 1966 relative aux relations financières avec l'étranger. Une liste a été introduite en 2005, qui distingue selon que l'investisseur est ou non membre de la Communauté économique européenne ou de l'Espace économique européen.

* 11 Décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable.

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