CONCLUSION : LES PROPOSITIONS

Le rapport Borello a été publié au moment où vos rapporteurs terminaient leurs auditions. Son objet dépasse la seule problématique des contrats aidés pour s'interroger sur le développement de politiques réellement inclusives pour l'ensemble des publics exclus du marché de l'emploi. Toutefois, il fait de nombreuses recommandations sur l'évolution du dispositif des contrats aidés que vos rapporteurs auraient également pu formuler, notamment sur la mise en oeuvre effective du triptyque « emploi, accompagnement, formation ». Ces propositions ont été en grande partie anticipées dans la circulaire du 11 janvier 2018 du ministère du travail évoquée précédemment qui met en place les « parcours emploi compétences ». Vos rapporteurs ont donc jugé inutiles de les rappeler.

En revanche, ils se sont intéressés aux conditions concrètes de succès de ce dispositif, qui reposent moins sur de nouvelles règles -le parcours emploi compétences se distingue peu des contrats aidés - que sur leur application effective. Ils ont également souhaité attirer l'attention sur les publics oubliés par le nouveau dispositif.

Enfin, ils ont lancé des pistes de réflexion pour assurer l'accompagnement financier des associations et permettre le développement d'emplois de qualité afin de réaliser des missions d'intérêt général.

1. Réunir les conditions concrètes pour assurer le succès des parcours emploi compétences

Ø Donner à Pôle Emploi et aux Missions locales les moyens humains et financiers nécessaires pour garantir un accompagnement effectif des bénéficiaires

Les représentants de Pôle Emploi et des Missions locales ont fait part à vos rapporteurs de la difficulté d'assumer les missions d'accompagnement qui leur avaient été confiées ces dernières années. Toutes leurs ressources ont été monopolisées afin de respecter les objectifs très ambitieux qui leur avaient été fixés en termes de volume de contrats aidés à réaliser.

La diminution du nombre des contrats aidés devrait certes leur permettre de réorienter leur action sur un véritable suivi et un accompagnement personnalisé des bénéficiaires du parcours emploi compétences. Néanmoins, la montée en charge d'autres dispositifs dont ils ont la charge risque d'absorber leurs moyens. Il est donc indispensable de s'assurer que Pôle Emploi et les Missions locales disposent des effectifs et des budgets suffisants pour une mise en oeuvre effective des attendus en matière d'engagements (le diagnostic, l'entretien tripartite, le suivi pendant la durée du contrat et, selon les situations, l'entretien de sortie, un à trois mois avant la fin du contrat).

Ø Assurer le financement de formations adaptées aux besoins de leurs bénéficiaires

Toutes les personnes auditionnées ont insisté sur la nécessité d'améliorer la qualité de la formation des demandeurs d'emploi. Dans la réalité, l'offre effective de formation aux bénéficiaires des contrats aidés se heurte souvent à des difficultés de financement en fonction :

Ø de la capacité de l'employeur à financer une formation, notamment face à des OPCA 64 ( * ) inégalement positionnés dans la prise en charge des formations des bénéficiaires de contrats aidés ;

Ø de la capacité des OPCA à financer des formations. D'une part, les OPCA sont inégaux face aux besoins de formation des bénéficiaires des contrats aidés en fonction des branches d'activité qu'ils représentent. Or, il n'existe pas de fongibilité des crédits entre les OPCA pour financer les actions de formation en direction des publics en insertion professionnelle. D'autre part, les crédits mis à la disposition des OPCA par le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) afin de financer des actions de formation professionnelle en direction des demandeurs d'emploi sont insuffisants ;

Ø de la difficulté à financer des formations pour les publics en insertion professionnelle en raison de la multiplicité des acteurs - Pôle Emploi, régions, OPCA, AGEFIPH 65 ( * ) , FIPHP 66 ( * ) , FPSPP, CNSA 67 ( * ) , etc. et de leur manque de coordination.

En outre, les formations proposées ne correspondent pas toujours aux besoins de leurs bénéficiaires en raison :

Ø de l'inégale capacité des organismes de formation à construire des offres adaptées et personnalisées pour les demandeurs d'emploi ;

Ø d'une offre de formation variable d'un territoire à l'autre, qui pénalise souvent les publics situés dans des zones rurales ;

Ø des perspectives professionnelles variables en fonction des formations ;

Ø de la pertinence des formations lorsque leur réussite dépend d'un concours ou d'un numerus clausus . Ainsi, l'entrée en école de formation pour devenir auxiliaire de puériculture se fait sur concours. Or, les jeunes en contrat aidé qui souhaitent s'orienter vers ce métier ont la plupart d'entre eux uniquement un CAP Petite enfance. En dépit de la préparation au concours dont ils bénéficient au cours de leur formation, ils se trouvent en concurrence avec des personnes ayant un diplôme BAC+3 et ont du mal à être sélectionnés.

Vos rapporteurs insistent donc sur la nécessité d'assurer le financement des formations à travers une plus grande implication et une meilleure coopération de l'ensemble des parties prenantes - OPCA, employeurs, service public de l'emploi, structures d'insertion par l'activité économique, régions.

Par ailleurs, le contenu des formations doit être adapté aux besoins de leurs bénéficiaires et des solutions innovantes doivent être expérimentées au niveau des départements 68 ( * ) , en coopération avec tous les acteurs de la formation, afin d'assurer une égalité de traitement sur tout le territoire de la République et éviter le choix de certaines formations par défaut.

Ø Intégrer le parcours emploi compétences dans une stratégie globale de retour à l'emploi en levant les contraintes liées au statut et à la rémunération des bénéficiaires de dispositifs d'insertion

La mise en oeuvre effective du triptyque emploi, formation, accompagnement devrait améliorer l'efficacité des anciens contrats aidés. Néanmoins, compte tenu des caractéristiques des bénéficiaires -public éloigné du marché du travail - et de la durée relativement courte des parcours - au minimum neuf mois dans le cadre d'un objectif de durée de douze mois, contre trois ans pour les emplois d'avenir par exemple -, les parcours emploi compétences ne seront dans bien des cas pas suffisants pour permettre à eux seuls l'insertion professionnelle de leurs bénéficiaires. Il est donc particulièrement important que ces derniers s'intègrent dans une stratégie globale de retour à l'emploi qui « vise l'enchaînement sans rupture des actions d'orientation, de formations et de mise en emploi 69 ( * ) ». Afin de pouvoir mobiliser au bon moment les éléments utiles au parcours individuel, il est indispensable d'avoir, au préalable, levé toutes les contraintes liées à la fois au statut et à la rémunération qui pourraient provoquer une éventuelle interruption dudit parcours.

Ø Assoir les parcours emploi compétences dans les territoires en étroite collaboration avec toutes les parties prenantes

Le centralisme républicain n'est guère compatible avec une politique d'insertion efficace, qui nécessite une bonne connaissance du terrain afin de s'adapter aux réalités locales, comme en témoignent les difficultés rencontrées par les prescripteurs pour atteindre les objectifs chiffrés qui leur avaient été fixés en matière d'emplois d'avenir dans les quartiers dits « politique de la ville ». Vu de Paris, il s'agissait de répondre à une nécessité, à savoir la difficile insertion professionnelle des jeunes desdits quartiers. Toutefois, c'était oublier la rareté des offres d'emploi d'avenir dans ces quartiers et le manque de mobilité de leurs habitants 70 ( * ) .

Par conséquent, il est important non seulement que la gestion des parcours emploi compétences soit décentralisée, mais qu'elle repose sur une concertation étroite avec les acteurs territoriaux.

La création récente par le ministère du travail d'un Fonds d'inclusion dans l'emploi devrait contribuer à une gestion plus souple des différents dispositifs d'insertion en rendant fongibles les crédits qui leur sont consacrés.

En revanche, le gouvernement n'a apporté aucune information précise sur la gouvernance de ce Fonds. Vos rapporteurs proposent donc que la gestion de ce Fonds se fasse en étroit partenariat avec les collectivités territoriales et le mouvement associatif et insistent sur la nécessité de faire confiance aux acteurs de terrain.

Ø Affiner les critères d'évaluation de l'impact des parcours emploi compétences

La méthode d'évaluation retenue jusqu'à présent pour mesurer l'efficacité des contrats aidés est trop réductrice. Elle est basée sur un seul critère - le retour à l'emploi - et n'établit pas de distinction entre les publics bénéficiaires. La catégorie « plus de 50 ans » mériterait d'être divisée au moins en deux en ajoutant une catégorie « plus de 58 ans » par exemple. De même, la durée de chômage (plus d'un an) devrait être affinée (plus de deux ans, plus de trois ans). Vos rapporteurs proposent donc qu'une réflexion soit menée afin d'élargir les critères pris en compte pour l'évaluation de l'efficacité des dispositifs (resocialisation, réussite dans la formation suivie, etc.) et d'affiner les statistiques sur les publics ciblés. Si les outils informatiques le permettaient, l'idéal serait de pouvoir combiner certains critères, tels que l'âge et la durée du chômage, afin d'avoir une vision réaliste de l'efficacité des dispositifs.

Ø Donner une visibilité pluriannuelle aux acteurs du terrain

La plupart des personnes interrogées se sont plaintes que les politiques d'insertion manquaient de visibilité. Comme le fait remarquer l'Union nationale des missions locales : « Les dispositifs sont créés ou arrêtés, sans qu'il n'y ait d'analyses préalables de ceux qui existent, de leur efficacité et des conséquences possibles de leur suppression ou de la redondance entre eux ». Vos rapporteurs recommandent donc une stabilisation des dispositifs à moyen terme ainsi qu'une plus grande visibilité sur les volumes concernés à travers une programmation pluriannuelle.

2. Redonner une perspective aux « oubliés » du dispositif

Le recentrage du dispositif des contrats aidés voulu par le gouvernement exclut de facto les publics les plus éloignés du marché du travail et pour lesquels le suivi d'une formation a un impact réduit sur leur « employabilité ». Il s'agit essentiellement des demandeurs d'emploi les plus âgés, qui sont au chômage depuis plusieurs années. Cela concerne une partie non négligeable des demandeurs d'emploi handicapés.

Aucune alternative ne leur est proposée, les renvoyant ainsi à leur « inutilité sociale » et à la perception des minima sociaux.

Le rapport Borello reconnaît l'impact négatif de la réduction drastique des contrats aidés et de leur plus grande sélectivité sur ces catégories de population, mais n'apporte aucune solution convaincante : refusant d'instaurer une dérogation en matière de formation pour ces publics, il leur propose le « prêt de main d'oeuvre » ou un « service civique ».

Vos rapporteurs affirment la nécessité de donner une perspective à cette population. Ils comprennent les réticences de Jean-Marc Borello sur la création d'une dérogation en matière de formation, qui affaiblirait la cohérence du dispositif et son efficacité. Toutefois, ils rappellent que les priorités arrêtées par le gouvernement, notamment en ce qui concerne l'éducation nationale et l'Outremer, ne sont pas forcément compatibles avec un recentrage des contrats aidés sur leur objectif d'insertion professionnelle.

Par ailleurs, c'est la méthode choisie par le gouvernement, sans concertation ni étude d'impact sur les conséquences liées à la réduction du nombre des contrats aidés, qui oblige à rechercher une solution dans l'urgence. Par conséquent, vos rapporteurs proposent d'augmenter temporairement le volume des contrats aidés de 50 000 et de les dédier aux chômeurs de longue durée de plus de 55 ans. Parallèlement, ils proposent l'organisation d'une réflexion au niveau national afin d'élaborer une stratégie en faveur de l'emploi des chômeurs âgés de longue durée. L'accélérateur d'innovation sociale French Impact pourrait également être sollicité pour identifier et soutenir des projets innovants.

3. Réformer les relations entre les pouvoirs publics et les associations afin d'assurer le développement de la vie associative

Ø Redonner confiance aux associations

L'accumulation de mauvaises nouvelles en direction du secteur associatif à la fin de l'année 2017 a notablement tendu les relations entre le monde associatif et le gouvernement. La baisse drastique du nombre des contrats aidés, la diminution du taux de prise en charge ainsi que la plus grande sélection des employeurs en fonction des capacités à proposer les conditions d'un parcours insérant ont remis en cause le fragile économique d'une multitude d'associations. Certes, le gouvernement a annoncé un plan d'action en faveur de secteur associatif pour avril 2018, mais sans plus de précision.

Vos rapporteurs estiment qu'il est indispensable que le gouvernement retrouve à court terme la confiance des associations. Plusieurs mesures permettraient d'y parvenir.

D'abord, le ministère de l'éducation nationale et de la vie associative devrait faire réaliser une enquête semestrielle sur l'impact de la réforme des contrats aidés sur les associations en fonction de leur taille, de leur situation géographique et de leur secteur d'activité.

Par ailleurs, le gouvernement devrait lancer une campagne d'information auprès des associations sur les dispositifs d'accompagnement existants , tels que les dispositifs locaux d'accompagnement, avec pour objectif soit de trouver une solution permettant de compenser la perte d'un ou plusieurs emplois aidés, soit au contraire de les rendre éligibles en tant qu'employeur des nouveaux contrats aidés.

En effet, toute création d'emploi nécessite au préalable une réflexion sur les besoins de l'association, son projet associatif, les critères objectifs de recrutement, les articulations bénévoles-salariés ainsi que la place de la formation et de la progression de l'employé dans l'association.

De nombreux structures existent pour accompagner les associations dans leur développement, mais d'une part elles sont mal connues des associations, et d'autre part leur grande diversité 71 ( * ) rend le dispositif particulièrement opaque.

Ø Assurer une période de transition permettant une réduction progressive du nombre des contrats aidés

À l'instar de ce qui a été proposé en faveur des chômeurs âgés de longue durée, vos rapporteurs recommandent d'augmenter temporairement le volume des contrats aidés de 50 000 en les réservant aux associations de moins de cinq salariés. Au total, le nombre de contrats aidés pour 2018 s'élèverait à 300 000, contre 320 000 estimés pour 2017. 250 000 pourraient être budgétés en 2019 et 200 000 en 2020. Cette diminution annoncée à l'avance et moins drastique que celle imposée par le gouvernement permettrait à la fois aux employeurs concernés d'anticiper cette baisse et de limiter ses effets négatifs.

Ø Réformer en profondeur les relations entre l'Etat et les associations

La question du renouvellement des relations entre l'Etat et les associations dépasse largement l'objet de la mission de vos rapporteurs. Toutefois, ils souhaiteraient évoquer quelques pistes de réflexion qui s'inspirent de la charte d'engagements réciproques signées entre l'Etat, le mouvement associatif et les collectivités territoriales le 14 février 2014.

D'abord, il conviendrait de revoir la tarification des prestations assumées par les associations. En effet, la pression à la baisse exercée depuis des années par les pouvoirs publics non seulement les fragilise économiquement, mais les force à mener une politique salariale particulièrement austère, qui se traduit par la multiplication des contrats précaires et un niveau général de rémunération bien inférieur à celui observé dans la fonction publique.

Ensuite, il est indispensable de revoir en profondeur l'équilibre entre la commande publique et la subvention en stabilisant cette dernière sous forme d'appui dans la durée aux missions et non à des projets particuliers. Elle devrait être davantage utilisée comme mode de contractualisation entre associations et pouvoirs publics.

4. Expérimenter une réduction des exonérations de cotisations sociales pour financer des emplois utiles socialement

Vos rapporteurs ont été marqués par les travaux des économistes Clément Carbonnier, Bruno Palier et Michaël Zemmour. Ces derniers démontrent qu'un transfert d'une partie des exonérations générales des cotisations patronales et des dépenses fiscales qui relèvent de la politique des «services à la personne » au profit du financement direct d'emplois publics d'intérêt social (telle que la garde d'enfants et l'aide aux personnes âgées) non seulement créeraient plus d'emplois, mais en plus des emplois de qualité.

Vos rapporteurs estiment qu'une telle politique mériterait d'être expérimentée . Cette création d'emplois financés par l'Etat pourrait en outre préfigurer la rénovation des relations entre l'Etat et les associations, largement investies dans la garde d'enfants et l'aide aux personnes âgées. Elle pourrait également constituer une sortie durable vers l'emploi pour les bénéficiaires de contrats aidés qui souhaitent s'orienter dans ces secteurs d'activité.


* 64 Organismes paritaires collecteurs agréés.

* 65 L'Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées.

* 66 Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique.

* 67 Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

* 68 Bien que la région ait compétence en matière de formation professionnelle, l'échelon régional apparaît inadapté pour recenser les formations souhaitées et mutualiser les dispositifs en raison de sa trop grande taille géographique.

* 69 Rapport Borello précité, page 31.

* 70 Rapport de l'Institut Schwartz précité, page 18.

* 71 Dans son rapport précité, le Comité national olympique sportif français en dénombrait huit dans le secteur associatif sportif.

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