EMIÈRE TABLE RONDELES CHANGEMENTS CLIMATIQUES, UNE MENACE POUR LA BIODIVERSITÉ

PREMIÈRE TABLE RONDE - LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES, UNE MENACE POUR LA BIODIVERSITÉ

Daniel SABATIER, Botaniste, écologue des forêts tropicales, chercheur à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), UMR AMAP, Montpellier

Propos de présentation par M. Michel Magras, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Daniel Sabatier a effectué de nombreux séjours en Guyane et dans les pays amazoniens. C'est un spécialiste de la botanique des arbres et des forêts d'Amazonie, du plateau des Guyanes. Il travaille sur les problématiques écologiques en environnement forestier tropical humide, et plus particulièrement sur les relations entre le sol, la végétation et les animaux disséminateurs, sur les structures et les dynamiques forestières.

Le projet qu'il va nous présenter, dénommé DynForDiv, consiste à analyser l'impact sur la séquestration du carbone et la conservation de la diversité biologique d'une accélération généralisée du renouvellement des forêts tropicales consécutive à différents forçages tels que la fertilisation par le CO 2 , le changement climatique ou l'aggravation de la pression anthropique.

Je vous présenterai quelques résultats du projet DynForDiv qui s'est intéressé au forçage de la dynamique forestière et ses conséquences sur les communautés d'arbres en Guyane.

En Guyane, nous n'avons pas encore observé d'impact mesurable du changement climatique sur les forêts ; il ne sera probablement perceptible qu'à relativement long terme. Cependant de nombreuses études relatent une accélération de la dynamique forestière en Amazonie en relation avec le changement climatique.

La carte de la dynamique forestière en Guyane représente une nouvelle façon de voir la forêt guyanaise. Cette carte a été obtenue par des relevés de terrain, des relevés LIDAR aéroporté (scanner laser) et par télédétection. Des forêts à dynamique lente occupent le nord de la Guyane et des forêts à dynamique intense sont caractéristiques du sud. Alors qu'en Europe, la dynamique forestière découle des décisions du gestionnaire, elle est un mécanisme naturel dans les forêts tropicales. La forêt est un édifice instable. Il en résulte une structure spatiale très particulière, formée par les évènements de dégradation suivis d'une reconstitution du couvert forestier (aggradation), dans une matrice relativement stable. Dégradation et aggradation sont les composantes du turnover forestier. Intégré dans le temps, il existe un régime de turnover forestier qui différencie des types de forêts dans leur manière de se reconstituer et de se perpétuer. Lorsque la dégradation et l'aggradation sont à l'équilibre, la forêt se perpétue. Or, cet équilibre semble parfois rompu, probablement par des forçages qui transforment le système forestier pour atteindre un nouvel équilibre. C'est un phénomène que nos études cherchent à comprendre.

Source : Sabatier et al. 2017. Forçages environnementaux et anthropiques du turnover forestier, conséquences sur la diversité des communautés d'arbres en forêt tropicale (DynForDiv) . Rapport final. Programme Biodiversité, Gestion forestière, Changement climatique et Politiques publiques, MEDDE, ECOFOR, 119 p . (c) Daniel Sabatier (AMAP, IRD, Cirad, CNRS, INRA, Université de Montpellier, Montpellier, France)

Les forçages peuvent accentuer la dégradation par rapport à l'aggradation, ce qui fait évoluer la forêt dans un sens régressif. Inversement, certains forçages font acquérir de la biomasse à la forêt. C'est ce qui se produit actuellement ; les forêts sont des puits de carbone.

Il existe deux types de forçages :

- externes : liés à l'environnement physique ou climatique (stress hydriques, turbulences atmosphériques) et qui peuvent parfois découler des activités humaines telles que des coupes à blanc, des exploitations sélectives, un appauvrissement de la faune (la faune disséminatrice qui contribue à la migration des espèces, à la constitution des structures spatiales des populations, et la faune prédatrice qui maintient les équilibres entre les espèces), l'augmentation de la teneur en CO 2 de l'atmosphère etc. ;

- internes : la communauté végétale évolue et les traits spécifiques des espèces changent, ce qui est susceptible de faire fortement évoluer la dynamique forestière lorsque les traits concernés contrôlent la longévité des arbres, leur résistance mécanique ou leur résistance aux pathogènes.

Au nord de la Guyane, la canopée est régulière et continue, et peut être haute, au-delà de 35 mètres de moyenne, ou basse. Plus au sud, les canopées sont fréquemment chaotiques (disséquées), dans lesquelles de grands arbres d'une soixantaine de mètres de hauteur côtoient des espaces vides. Des canopées ouvertes apparaissent également avec de grandes herbes comme les héliconies, des plantes héliophiles et des manchons de lianes autour des arbres qui sont typiques des forêts très dynamiques. Dans la pénéplaine du Sud, les paysages forestiers sont extrêmement ouverts, avec de larges espaces couverts de végétation de bambous (cambrousses). Cet ensemble de paysages s'inscrit dans le gradient de dynamique forestière nord-sud. On peut suspecter que les forêts à canopée ouverte sont très dynamiques et ont un régime de turnover où la dégradation l'emporte sur l'aggradation, entrainant un processus de régression.

Pour illustrer la relation entre la dynamique et les communautés d'arbres, je vous présente la distribution de deux traits fonctionnels :
En premier lieu, la taille des diaspores, qui conditionne la dissémination et les structures de populations. Au nord, les espèces à diaspores de grande dimension sont prépondérantes. En revanche, dans le sud, les espèces à petites graines sont prédominantes ; elles ont une dissémination à longue portée. En deuxième lieu, la densité des bois, qui est un proxi d'un grand nombre de fonctionnements des arbres, dont la résistance mécanique et la longévité. Les arbres à bois durs sont généralement longévifs, alors que les arbres à bois léger vivent peu de temps (entre quelques dizaines d'années et une centaine d'années). Les communautés des forêts à dynamique lente du nord de la Guyane sont majoritairement constituées d'espèces à bois dur, alors que celles du sud, à dynamique rapide, sont constituées d'espèces à bois léger.

Source : Sabatier et al. 2017. Forçages environnementaux et anthropiques du turnover forestier, conséquences sur la diversité des communautés d'arbres en forêt tropicale (DynForDiv) . Rapport final. Programme Biodiversité, Gestion forestière, Changement climatique et Politiques publiques, MEDDE, ECOFOR, 119 p . (c) Daniel Sabatier (AMAP, IRD, Cirad, CNRS, INRA, Université de Montpellier, Montpellier, France)

En lien avec la dynamique forestière, les communautés ont des fonctionnements biologiques et écologiques différenciés. Elles diffèrent également par leur diversité.

La diversité du mélange d'espèces est relativement basse pour les forêts à dynamique lente. Lorsque la dynamique augmente, la diversité s'accroît (le mélange d'espèces est plus riche, jusqu'à 210 espèces d'arbres pour un hectare de forêt), elle atteint un maximum, puis diminue. Il s'agit du modèle dit « de perturbation intermédiaire ». Toutefois, outre la diversité, l'originalité est également à prendre en compte. Ainsi, les espèces endémiques des trois Guyanes sont bien représentées au nord de la Guyane et peu au sud. Les ubiquistes (réparties sur l'ensemble de l'Amazonie et au-delà) sont beaucoup plus fréquentes et contribuent davantage aux communautés d'arbres du sud de la Guyane qu'à celles du nord.

Le changement climatique impactera-t-il différemment ces forêts ? À ce stade, les modèles climatiques convergent vers la prédiction d'une altération de la saisonnalité du climat, qui passerait de pratiquement quatre saisons à deux : une longue saison sèche et une longue saison des pluies. Le phénomène accentuerait le stress hydrique en saison sèche et l'ennoiement des sols en saison des pluies.

Une expérience a été conduite dans un dispositif forestier d'Amazonie, dans laquelle 50 % de l'eau de pluie a été interceptée pour en priver la forêt. Sous l'effet du stress hydrique engendré par l'expérimentation, on constate une augmentation de la mortalité et une diminution de la croissance pour les espèces à bois léger ; les espèces à bois dense ne sont pas significativement impactées.

En Guyane, dans le dispositif de Paracou où, depuis trente ans, les arbres sont suivis dans des parcelles permanentes et les variations naturelles du climat sont mesurées, on observe des résultats similaires pour la croissance des arbres, qui diminue significativement chez les espèces à bois légers lorsque le stress hydrique augmente. Quelle que soit la densité du bois, la mortalité diminue en cas de déficit hydrique, alors que l'excès d'eau entraîne une surmortalité.

On remarque que les espèces à bois léger sont le plus négativement impactées par le déficit hydrique. Celles-ci sont typiques des forêts du sud de la Guyane où le climat est plus sec et plus saisonnier qu'au nord. Il y a donc, d'une part, un paradoxe au regard des observations précédentes et, d'autre part, la perception d'une possible vulnérabilité des forêts du sud au changement annoncé du climat.

Les forêts du nord apparaissent moins vulnérables au changement climatique mais l'impact anthropique y est très fort. Il faudrait compléter la carte de l'intensité de l'impact anthropique que je vous présente par le fort développement de l'orpaillage clandestin, y compris dans le sud au sein du Parc amazonien.

Les structures de gestion et de conservation sont asymétriques : au nord, le domaine forestier permanent qui, bien que pourvu d'espaces de conservation, les séries d'intérêt écologique, est l'espace de l'exploitation forestière et couvre une large part des forêts à dynamique lente. Au contraire, au sud, le Parc amazonien, qui est un vaste espace de conservation, couvre majoritairement des forêts à dynamique rapide.

En conclusion, les forêts du nord à dynamique lente semblent être des systèmes forestiers anciens, qui devraient être plus résistants aux changements climatiques, mais les pressions anthropiques y sont plus fortes. Les forêts du sud à dynamique rapide semblent héritées de perturbations à l'époque holocène (dernier 10 000 ans). Elles pourraient être sensibles à une évolution du climat et à un stress hydrique et pourraient voir une accélération de leur dynamique.

Source : Sabatier et al. 2017. Forçages environnementaux et anthropiques du turnover forestier, conséquences sur la diversité des communautés d'arbres en forêt tropicale (DynForDiv) . Rapport final. Programme Biodiversité, Gestion forestière, Changement climatique et Politiques publiques, MEDDE, ECOFOR, 119 p . (c) Daniel Sabatier (AMAP, IRD, Cirad, CNRS, INRA, Université de Montpellier, Montpellier, France)

Le dispositif de conservation et de gestion est donc déséquilibré et devrait être corrigé. Dans le cadre d'une gestion durable, il semble nécessaire de considérer la réduction de l'impact anthropique. Des efforts ont été conduits, qu'il me semble important de poursuivre.

Claudine AH-PENG, Ingénieure Université de La Réunion

Propos de présentation par M. Michel Magras, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Après les dynamiques forestières amazoniennes sous différentes influences liées notamment au changement climatique, nous allons monter en altitude, dans les îles hautes de nos archipels des trois océans, avec le reportage de Madame Claudine Ah-Peng qui, originaire de l'île de La Réunion, a concentré ses travaux sur la compréhension des patrons de diversité et de distribution des organismes le long de gradients environnementaux tels que le gradient d'altitude. Avec la présentation de son projet, MOVECLIM, nous allons découvrir ce que sont les mousses et forêts de nuages comme repères du changement climatique. Ce projet a permis d'initier des collaborations entre les archipels des océans Indien, Pacifique et Atlantique pour mettre en place des protocoles standardisés de suivi sur le long terme des systèmes insulaires. Je vous laisse apprécier les très belles images transmises par Madame Ah-Peng, dans un film qui marie science et poésie.

Un film est projeté sur les bryophytes comme indicateurs du changement climatique.

Les forêts de nuage abritent les bryophytes, dont font partie les mousses. Ce sont les premières plantes à avoir colonisé les terres 450 millions d'années auparavant. Ce groupe de plantes regroupe plus de 830 espèces à La Réunion. Aujourd'hui, ces végétaux sont des indicateurs biologiques des changements climatiques : les « sentinelles de l'environnement ».

Ces plantes n'ont pas de racines et récupèrent de l'atmosphère et des précipitations leurs nutriments et leur eau. Elles sont donc fortement dépendantes des variations environnementales. Il convient de mieux comprendre la vulnérabilité des forêts de nuages face au changement climatique, celles-ci accumulant énormément de diversité biologique.

Les bryophytes agissent comme des éponges. En accumulant l'eau contenue dans l'atmosphère, elles permettent le développement d'un écosystème extrêmement riche en biodiversité. Par ailleurs, les forêts de nuages de l'île ont également une importance capitale pour le maintien des réservoirs d'eau.

Sans les bryophytes, l'eau dévalerait directement des montagnes dans les rivières, puis dans l'océan. Il est donc très important d'étudier ces bryophytes dans le cadre des changements climatiques et leurs rôles dans les services écosystémiques. Les pressions sont aujourd'hui importantes sur les forêts de nuages, que partout dans le monde on souhaite utiliser à des fins agricoles ou pour leurs bois (déforestation). Il est important de préserver ces milieux riches et maintenir leur rôle pour la ressource en eau (qualité et stockage).

Les scientifiques du projet MOVECLIM cherchent à déceler les méthodes d'adaptation de ces végétaux face au changement climatique. MOVECLIM est un réseau international et pluridisciplinaire entre les îles des Mascareignes, les Antilles, les Açores, les Canaries et la Polynésie française. Ce projet met en place les premières analyses comparatives de la biodiversité tropicale le long de gradients altitudinaux.

Le projet étudie la diversité et la distribution des bryophytes (mousses, hépatiques et anthocérotes) dans les montagnes et les compare avec des mesures climatiques fines d'humidité et de température, les espèces tendant à se déplacer vers les sommets en cas de réchauffement pour retrouver des conditions plus fraîches.

Il convient de mieux comprendre leur biologie et leur comportement afin d'être capable de prévoir leurs déplacements en altitude en fonction des variations de température ou de précipitations. Les plantes à spores (bryophytes et fougères) sont donc utilisées dans ce projet comme des indicateurs du changement climatique dans les forêts de nuages.

Un premier état des lieux des connaissances accumulées devrait être communiqué après trois ans de recherches, ce qui permettra de commencer à comprendre la vulnérabilité de ces forêts de nuages face au changement climatique dans les îles océaniques.

Christophe BARBRAUD, Directeur de recherches au CNRS en écologie des populations Centre d'études biologiques de Chizé

Propos de présentation par M. Michel Magras, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Monsieur Christophe Barbraud est directeur de recherche au CNRS en écologie des populations. Spécialiste de l'écologie et de la dynamique des populations d'oiseaux marins, et en particulier de l'impact des changements globaux sur ces espèces, il effectue régulièrement des missions de terrain en Antarctique, dans les îles subantarctiques, au Pérou, au Brésil et en France. L'intitulé du projet qu'il va nous présenter parle de lui-même : Oiseaux et mammifères marins : sentinelles des changements globaux dans l'Océan Austral .

Je remercie la délégation sénatoriale aux outre-mer et l'AFB de m'avoir invité à cette table ronde.

L'Antarctique est soumis à l'impact des changements globaux. Par exemple, les eaux de surface de l'océan austral se réchauffent depuis les années 80, ainsi que la colonne d'eau jusqu'à 700 mètres de profondeur depuis le début des années 2000. Cela, combiné à des changements de la circulation atmosphérique, affecte l'étendue de la banquise, avec une rétraction dans certaines zones et une extension dans d'autres, contrairement à l'Arctique où la banquise se réduit sur l'ensemble du pôle.

La banquise fragmentée ( pack ice ) est un habitat fondamental pour une grande partie de la biodiversité marine et terrestre. Toute la chaîne alimentaire se greffe sur cet écosystème, dont les phoques, les baleines et les manchots. Le manchot empereur est totalement dépendant de la banquise. En effet, il s'agit de la seule espèce qui se reproduit en hiver sur la banquise solide et s'alimente au large de celle-ci au niveau de la banquise fragmentée en poissons et crustacés. Elle est donc extrêmement vulnérable aux changements climatiques qui affectent la banquise. Cette espèce est relativement rare, dans la mesure où seules 53 colonies représentant environ 600 000 individus sont réparties sur le pourtour du continent Antarctique. Elle fait partie des espèces menacées.

Source : C. Barbraud

Les suivis de colonies de manchots empereurs pendant plusieurs années afin d'acquérir des données démographiques constituent des observatoires. Seuls quatre observatoires sont actuellement en fonctionnement. La France assure en Terre Adélie un suivi depuis 1952, qui est donc le plus long et le plus complet, avec le soutien logistique de l'Institut polaire français Paul-Émile Victor, de l'État et d'une zone atelier du CNRS.

Au titre des résultats, on constate que la taille de la colonie s'effondre de 50 % à la fin des années 70 et au début des années 80, déclin également observé par des collègues d'autres pays. Cela s'explique par le changement climatique qui induit une réduction de la banquise en ce lieu, ce qui implique une diminution des ressources pour les manchots empereurs et donc une augmentation de la mortalité entraînant une diminution de la population.

À partir de ces connaissances et des projections climatiques du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), des scénarios d'évolution de la population ont été élaborés pour les cent prochaines années. La trajectoire de la population indique que d'ici 2100, la population diminuerait de 80 % toutes choses égales par ailleurs. La même modélisation a été réalisée à l'échelle de toutes les colonies connues, qui montre une diminution de 20 % de la population mondiale avec l'extinction d'une partie des colonies d'ici la fin du siècle.

L'activité humaine engendre une augmentation des gaz à effet de serre qui ont des conséquences sur la température, la circulation des vents et d'autres paramètres physiques dans l'océan austral et en Antarctique, qui induiront des perturbations de la banquise susceptibles de s'accélérer vers la fin du siècle, et auront par conséquent un impact sur l'écosystème et la biodiversité liée à cette banquise et in fine sur les prédateurs comme les manchots empereurs.

Par ailleurs, il existe des forçages naturels, qui s'ajoutent au forçage anthropique. Nous ignorons encore l'effet des polluants sur ces prédateurs. Les concentrations de polluants générés par les activités humaines sont en augmentation dans les pôles et nous manquons encore de connaissances sur les capacités d'adaptation de ces espèces à ces importantes perturbations environnementales.

Les conséquences des changements globaux sur d'autres prédateurs supérieurs ont également été étudiées dans les terres australes, notamment sur les manchots royaux et les grands albatros. Les changements sont parfois bénéfiques et parfois négatifs pour ces espèces. Ces espèces jouent ainsi un rôle de sentinelle des changements globaux et de leurs impacts sur les écosystèmes polaires. La France a un rôle important à jouer, grâce aux suivis de longue durée qu'elle entreprend sur de nombreux aspects de la biodiversité. Ces suivis sont relativement uniques par leur durée et le nombre d'espèces suivies. Il est primordial de maintenir ces suivis à long terme dans les terres australes.

Stéphanie GUYOMARD-RABENIRINA,
Responsable adjointe de l'unité Environnement Santé
Institut Pasteur de Guadeloupe

Propos de présentation par M. Michel Magras, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer

Madame Stéphanie Guyomard-Rabenirina est notre première lauréate COP21. Elle est biologiste médicale de formation et a rejoint l'Institut Pasteur de Guadeloupe en 2007 après avoir été en poste à Madagascar puis au Sénégal. Spécialiste en microbiologie, elle a participé au développement de différents projets portant sur les interactions entre bactéries environnementales et bactéries humaines en lien avec les activités anthropiques. Elle est responsable technique du projet sur les brumes de sable primé par le ministère des outre-mer : les objectifs de ce projet sont d'étudier la diversité et la fréquence des agents microbiens transportés par les poussières sahariennes, puis d'évaluer leur impact sur la santé humaine et sur l'environnement.

Je vous présente l'avancement de notre projet, qui porte sur la diffusion microbienne par les poussières sahariennes en Guadeloupe et leur impact environnemental potentiel.

La Guadeloupe est périodiquement exposée aux brumes de sable entre les mois d'avril et d'octobre. Comme nous pouvons l'observer sur l'animation satellite, les brumes colorées en brun proviennent de la région du Sahara-Sahel qui est la plus grande source de poussières du sol aéroportée sur la terre. Ces poussières sont capables de transporter des organismes de grande taille mais également des micro-organismes responsables de maladies humaines ou animales et pouvant altérer l'environnement qu'elles impactent comme ce fut le cas dans les années 1980 avec la mort du récif corallien provoqué par un champignon du genre Aspergillus .

Une augmentation du flux de poussière a été mise en évidence ces vingt-cinq dernières années ce qui correspond au début de la sécheresse au Sahel. Le réchauffement climatique entrainant une sécheresse accrue au Sahel, le transport de pathogènes par les poussières sahariennes risque fortement d'augmenter ces prochaines années.

Sources de gauche à droite : earth.nullschool.net et https://worldview.earthdata.nasa.gov/

Il nous a donc paru important de caractériser les agents microbiens transportés par ces poussières sahariennes en comparant la diversité microbienne observée durant les épisodes de brumes de sables et en dehors de ceux-ci, afin d'identifier les microorganismes qui sont susceptibles d'avoir des conséquences sur la santé humaine et animale et sur l'environnement.

Pour cela, des prélèvements d'air sont réalisés à l'aide d'un biocollecteur sur trois sites. Deux sites sont situés sur les côtes, l'air qui y est prélevé provient directement de la mer avant qu'il ne traverse les terres. L'air prélevé sur l'autre site situé en milieu urbain à l'Institut Pasteur est en outre chargé de la pollution anthropique. La recherche des bactéries cultivables est effectuée en plaçant directement les milieux de cultures dans le biocollecteur. Les bactéries sont ensuite dénombrées et identifiées en spectrométrie de masse.

Une extraction du matériel génétique est réalisée à partir des filtres sur lesquels les particules de l'air de diamètre supérieur à 0,2 um ont été retenues. L'ADN extrait est ensuite envoyé à l'Institut Pasteur à Paris pour séquençage à haut débit des ADNr 16S et 18S ce qui permet d'identifier l'ensemble des bactéries et des eucaryotes (principalement des champignons) présents dans l'échantillon.

À ce jour, 24 prélèvements ont été réalisés : 14 pendant les épisodes de brumes avec un indice ATMO toujours supérieur à 7 et souvent égal à 10, un indice supérieur à 8 correspondant à une mauvaise qualité de l'air. 10 prélèvements ont été réalisés en dehors des épisodes de brumes.

En période de brumes, nous avons isolé 275 souches bactériennes dont 56% ont pu être identifiées, il s'agissait en majorité de bactéries des genres Bacillus et Saprophyticus . Ces mêmes genres ont été retrouvés majoritairement hors période de brumes mais avec un moins grand nombre d'espèces donc une moindre diversité. Que ce soit en dehors ou pendant les épisodes, la diversité bactérienne était plus importante sur le site de l'Institut Pasteur en milieu urbain.

Aucune bactérie pathogène pour l'homme ou l'animal n'a encore été mise en évidence. Le genre Bacillus est le plus fréquent dans les sables du Sahara et est principalement représenté par l'espèce Bacillus megaterium impliquée dans le cycle du phosphore et notamment dans la minéralisation du phosphore organique afin qu'il puisse être utilisé par les végétaux. Ces poussières riches en fer et en phosphore agissent en tant qu'engrais pour les végétaux, ce qui a un effet bénéfique dans la majorité des cas mais qui va également favoriser la prolifération des sargasses qui sont des algues pélagiques responsables d'une véritable nuisance lorsqu'elles se déposent sur les côtes des Caraïbes et en particulier de la Martinique et de la Guadeloupe.

Vous pouvez constater sur cette image du Port de Saint-François, l'ampleur du phénomène tel que nous l'avons vécu en 2015 qui fut une année également particulièrement marquée par les épisodes de brumes de sable qui ont débuté tôt dans l'année (dès le mois de février) avec des épisodes exceptionnellement longs.

Les premiers résultats d'analyses de métagénomique montrent également une plus grande diversité bactérienne lors des épisodes de brumes. Chaque couche représente un phylum bactérien et l'on observe que lors des épisodes de brumes les souches sont plus nombreuses que dans les prélèvements réalisés en dehors des épisodes de brumes. L'ordre des Bacillales qui comprend le genre Bacillus est le plus fréquemment retrouvé durant les épisodes de brumes ce qui conforte les résultats obtenus à partir des cultures et est concordant avec les études précédentes. Deux autres genres présents lors des épisodes de brumes ( Deinococcus thermus Gemmatimonatedes ) non retrouvés dans les prélèvements témoins ont été décrits comme des bio-indicateurs des épisodes de poussières de sable.

Les premiers résultats d'analyse des eucaryotes sont assez décevants puisque seules 18 % des séquences ont pu être identifiées. Différentes pistes sont explorées pour améliorer le rendement de l'identification comme l'utilisation d'autres marqueurs ou d'autres logiciels.

Nous allons également tenter d'identifier les virus présents dans les échantillons, ces analyses spécifiques seront réalisées en 2018 grâce à du matériel approprié reçu tardivement.

Le projet a été prolongé d'un an. Les prélèvements seront poursuivis en 2018 ce qui nous permettra de comparer la diversité microbienne sur deux années consécutives. Ce projet est également intégré dans un projet multipartenarial plus vaste financé par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), qui étudie l'association entre l'exposition aux particules de l'air d'origine saharienne et la croissance foetale en Guadeloupe. La caractérisation minéralogique et chimique permettra de compléter la caractérisation de ces brumes et de mieux identifier le risque pour la santé humaine et animale et pour l'environnement.

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