B. POUR UNE DÉCENTRALISATION DE LA DÉCISION DE RÉDUCTION DES VITESSES MAXIMALES AUTORISÉES À 80 KM/H AVEC L'ORGANISATION DE CONFÉRENCES DÉPARTEMENTALES DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE

La décision, annoncée par le Premier ministre à l'occasion du Comité interministériel de la sécurité routière du 9 janvier 2018, de réduire de 90 km/h à 80 km/h la vitesse maximale autorisée sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central au 1 er juillet 2018 a été annoncée brutalement et sans concertation avec les acteurs concernés , au premier rang desquels les gestionnaires de voirie et les usagers.

Une telle mesure de réduction généralisée, qui touchera sans discernement la majorité des routes nationales et départementales hors agglomération, est vécue comme pénalisante par de nombreux territoires enclavés , pour lesquels la route constitue un moyen de déplacement incontournable. Cette mesure est d'autant plus perçue comme injuste que les services de l'État ont parfois refusé, dans ces territoires, d'aménager les routes nationales afin de les transformer en routes à deux fois deux voies. Elle pose par ailleurs un problème d'acceptabilité pour les populations concernées, comme en témoignent les nombreux retours reçus par le groupe de travail sur l'espace participatif ouvert au public, ainsi que sous d'autres formes (courriers, appels, etc.).

La proposition d'instaurer une « clause de rendez-vous », au 1 er juillet 2020, afin d'étudier l'impact sur l'accidentalité de la réduction de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h est peu compréhensible : une telle évaluation aurait dû avoir lieu avant la généralisation de cette mesure à l'ensemble du territoire , sur la base d'une véritable expérimentation. Par ailleurs, l'évaluation de cet impact serait difficile à réaliser compte tenu de l'entrée en vigueur concomitante des autres mesures du plan, qui auront également un effet sur l'accidentalité.

Plutôt que d'appliquer la réduction de vitesse de manière uniforme, le groupe de travail propose que cette décision soit décentralisée au niveau des départements , afin de l'adapter aux réalités des territoires, et qu'y soient associés les acteurs pertinents, afin d'en favoriser l'acceptation.

Une telle décentralisation de la décision est au demeurant la règle s'agissant de la gestion de la voirie et de la détermination des vitesses maximales autorisées . Comme il a été rappelé ci-dessus, les présidents de conseil départemental et les maires ont, en tant qu'autorités investies du pouvoir de police de la circulation, compétence pour réduire les vitesses limites sur les routes dont ils ont la gestion.

Cette faculté est d'ailleurs fréquemment utilisée , par exemple pour réduire la vitesse au sein des agglomérations à travers la mise en place de zones de circulation apaisée (zones de rencontre, zones 30), et a fait la preuve de son efficacité et du sens de responsabilité des élus locaux .

Zones de rencontre et zones 30

Les articles R. 411-3-1 et R. 411-4 du code de la route prévoient la possibilité pour les maires , après consultation des autorités gestionnaires de la voirie concernée et, s'il s'agit d'une section de route à grande circulation, après avis conforme du préfet, de créer et d'aménager :

- des zones de rencontre , définies comme « une section ou ensemble de sections de voies en agglomération constituant une zone affectée à la circulation de tous les usagers » 31 ( * ) . Au sein de ces zones, les piétons peuvent circuler sur la chaussée, sans y stationner, et bénéficient de la priorité sur les véhicules. Les chaussées sont à double sens pour les cyclistes, sauf disposition différente prise par l'autorité de police. La vitesse des véhicules est limitée à 20 km/h ;

- des zones 30 , au sein desquelles la vitesse des véhicules est limitée à 30 km/h. Toutes les chaussées sont à double sens pour les cyclistes, sauf dispositions différentes prises par l'autorité de police.

Ces zones s'accompagnent d'une signalisation particulière et, généralement, d'aménagements destinés à réduire la vitesse des véhicules y circulant (ralentisseurs, plateaux surélevés, chicanes, revêtements de couleurs différentes, mobilier urbain, etc.).

La mise en place de ces zones assure un meilleur partage de la route entre usagers et permet d'améliorer la qualité de vie des usagers et des riverains 32 ( * ) .

Le groupe de travail souhaite qu'une telle approche soit privilégiée s'agissant de la réduction de la vitesse autorisée sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central. Telle est également la position exprimée par l'Assemblée des départements de France (ADF) lors de son audition.

Il propose par conséquent l'organisation de conférences départementales de la sécurité routière , co-présidées par les présidents de conseil départemental et les préfets de département, dont le rôle serait d'identifier les routes ou les tronçons de route accidentogènes pour lesquels une réduction de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h permettrait de réduire le nombre d'accidents de manière certaine, en fonction des caractéristiques des voies de circulation et de leur environnement.

Afin d'assurer une concertation large de l'ensemble des acteurs concernés, ces conférences départementales devraient réunir, entre autres, des représentants des services de l'État en charge de la gestion des routes (directions interdépartementales des routes), des services techniques des départements en charge des routes, d'associations d'usagers de la route et de riverains, d'associations de lutte contre la violence routière, ou encore des représentants des chambres consulaires locales.

À cette fin, les conférences départementales pourraient prendre appui sur les commissions départementales de la sécurité routière (CDSR) existantes - à condition le cas échéant d'en modifier la composition afin de prévoir une co-présidence assurée par le président de département et d'en élargir les missions.

Les commissions départementales de la sécurité routière (CDSR)

Les commissions départementales de la sécurité routière, prévues aux articles R. 411-10 à R. 411-12 du code de la route, sont consultées :

- de manière obligatoire préalablement à toute décision relative à l'organisation de manifestations sportives sur des voies ouvertes à la circulation publique et à l'agrément des gardiens et des installations de fourrière ;

- de manière facultative sur tout autre sujet relatif à la sécurité routière tel que l'harmonisation des limitations de vitesse des véhicules sur les voies ouvertes à la circulation publique ou la mise en place d'itinéraires de déviation pour les poids lourds.

Elles sont présidées par les préfets et comprennent :

- des représentants des services de l'État ;

- des élus départementaux désignés par le conseil départemental ou par le conseil de la métropole de Lyon ;

- des élus communaux désignés par l'association des maires du département ou, à défaut, par le préfet ;

- des représentants des organisations professionnelles et des fédérations sportives ;

- des représentants des associations d'usagers.

Le travail d'identification des routes sur lesquelles appliquer une réduction de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h pourrait s'appuyer sur les travaux conduits par l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) , qui procède actuellement au recensement des routes nationales et départementales bidirectionnelles sur lesquelles le plus d'accidents mortels interviennent 33 ( * ) .

Il pourrait également s'inspirer de la démarche entreprise par le département de la Haute-Saône (voir annexe 1), qui a pris en compte sept paramètres techniques d'analyse 34 ( * ) afin d'identifier les routes départementales dont les caractéristiques justifieraient de moduler à la baisse la vitesse autorisée de circulation. Il en ressort que, sur 3 440 kilomètres de routes gérées par le département , 2 924 kilomètres pourraient faire l'objet d'un abaissement de la vitesse limite à 80 km/h.

En tout état de cause, dans un souci d'harmonisation des décisions, il serait utile que les services de l'État définissent les principaux critères devant être retenus dans l'identification des routes accidentogènes des départements , ainsi que leur pondération.

La liste définitive des routes ou tronçons de route sur lesquelles la vitesse serait réduite serait déterminée par un arrêté du président du conseil départemental.

Un bilan de l'efficacité de la mesure et de ses effets en termes d'accidentalité serait réalisé deux ans après la mise en oeuvre des baisses de vitesses, afin, le cas échéant, d'étendre ou de réduire le nombre de voies limitées à 80 km/h.

Le calendrier de mise en place des conférences départementales de la sécurité routière et d'identification des routes nationales et départementales devant être limitées à 80 km/h pourrait être le suivant :

Calendrier de définition des routes nationales et départementales sur lesquelles la vitesse maximale autorisée serait fixée à 80 km/h

1 er janvier 2021

1 er juin 2018

Décembre 2018

1 er janvier 2019

Juin 2018 - Décembre 2018

Ce calendrier devrait permettre une mise en oeuvre simultanée de la réduction de la vitesse maximale autorisée avec les autres mesures prévues par le plan gouvernemental.

* * *

La solution proposée par le groupe de travail de décentraliser la décision de réduction de la vitesse maximale autorisée aurait le mérite de prendre en compte les enjeux de sécurité routière tout en assurant une proportionnalité de la mesure ainsi qu'une concertation large des acteurs concernés au plan local, deux paramètres qui font défaut à la décision prise par le Gouvernement.

La lutte contre la violence routière est un combat sans relâche, mais qui ne peut être mené sans y associer les parties prenantes et sans faire oeuvre de pédagogie.

Au cours de leurs auditions, vos rapporteurs ont, à plusieurs reprises, été alertés sur le risque que les politiques de sécurité routière ne soient vues que sous un angle punitif , alors qu'elles devraient être conçues de façon à associer le plus grand nombre d'acteurs autour d'un constat partagé, source d'acceptabilité et donc d'efficacité.

L'organisation de conférences départementales de la sécurité routière pourrait à cet égard contribuer à développer cette culture de la concertation, qui manque aujourd'hui à la politique de sécurité routière française, et pourrait permettre de sensibiliser les citoyens sur la nécessité de prendre de nouvelles mesures en vue de réduire le nombre d'accidents ainsi que leur gravité.

À cela s'ajoute le besoin de renforcer la politique de sécurité routière sur deux volets :

- sur le volet de la prévention , d'une part, afin de réduire les comportements à risque qui portent une responsabilité centrale en matière d'accidentalité. L'usage des téléphones portables et technologies au volant constitue notamment une nouvelle cause d'inattention et d'accidents extrêmement préoccupante, et probablement sous-estimée. À cet égard, l'efficacité des mesures de prévention annoncées dans le plan gouvernemental, qui s'inscrivent pour l'essentiel dans la continuité de la politique de prévention précédente, dépendra principalement des moyens qui seront consacrés à leur mise en oeuvre. Le groupe de travail considère également que le surplus financier qui serait issu de la réduction de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h sur certaines routes devrait être alloué au financement de mesures de prévention, comme des mesures de sensibilisation dans les écoles primaires ;

- sur le volet du contrôle des comportements à risque, d'autre part, qui restent encore trop peu détectés et sanctionnés par les forces de l'ordre. Le groupe de travail partage à ce sujet les propositions faites par le Gouvernement visant à agir plus sévèrement contre ces comportements. Il est impératif de renforcer les moyens coercitifs par un accroissement de la présence et des contrôles des forces de l'ordre. Il pourrait également être envisagé de mettre en place des indicateurs de suivi afin d'évaluer la pertinence et l'efficacité des mesures de contrôle.

Prévention et concertation sur les mesures de sécurité routière en amont, contrôle et sanction des comportements en aval, telle est l'ambition qui devrait être portée pour la politique de sécurité routière française .


* 31 Article R. 110-2 du code de la route.

* 32 Lucie Bruyère, « Cinq ans après la mise en place des zones de rencontre, quel bilan ? », in Techni.Cités n° 269, mai 2014.

* 33 Ces chiffres sont en cours de consolidation par l'ONISR au moment de la rédaction de ce rapport.

* 34 Confort dynamique des véhicules (soit leur stabilité sur la route), largeur de la chaussée de la route,

concept de « route qui pardonne » (présence de zones de récupération, absence d'obstacles latéraux), distances de visibilité sur les carrefours et les virages, homogénéité de l'itinéraire et nature du trafic circulant sur l'itinéraire.

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