C. LA PROPOSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

La proposition de la Commission vise quatre domaines : l'assurance-chômage, les prestations pour les soins de longue durée, l'accès des citoyens non actifs à des prestations sociales, et la coordination des régimes de sécurité sociale pour les travailleurs détachés. L'initiative de la Commission doit être encouragée au nom de la lutte contre le tourisme social et la fraude au détachement. Elle gagnerait cependant à être précisée.

1. Les prestations chômage

S'agissant des prestations chômage, la Commission souhaite que les demandeurs d'emploi puissent désormais exporter leurs prestations de chômage durant 6 mois, contre 3 actuellement. La Commission européenne estime que cette prolongation augmentera leurs chances de trouver un emploi et contribuera à la lutte contre le chômage et l'inadéquation des compétences à l'échelle de l'Union. Le Gouvernement français a d'ores et déjà indiqué qu'une telle disposition devrait être assortie d'un renforcement de la coopération sur les contrôles, voire d'un durcissement des obligations d'échanges d'informations entre États. Cette position doit être appuyée. La coopération administrative peut apparaître, pour l'heure, longue et inefficace si l'État sollicité ne répond pas dans les temps. La saisine de la Commission administrative pour la coordination des régimes de sécurité sociale aboutit à un avis non-contraignant. La seule autre voie de recours est celle de la Cour de justice de l'Union européenne, via le recours en manquement. La longueur d'une telle procédure la rend inadaptée. La Commission ne proposait qu'une réduction de la durée de la procédure de conciliation. Les négociations au Conseil ont permis d'imposer le respect des conclusions de la Commission administrative pour la coordination des régimes de sécurité sociale.

Le rapporteur de la commission Emploi et Affaires sociales du Parlement européen, M. Guillaume Balas (France - S&D), milite, quant à lui, en faveur d'une suppression de la limite de 6 mois. Cette option pourrait pénaliser les États disposant de longues périodes d'indemnisation - à l'instar de la France, 36 mois - et ne favoriserait pas le retour à l'emploi.

Un État membre pourra également exiger qu'une personne perdant son emploi ait travaillé au moins 3 mois sur son territoire avant de pouvoir invoquer une expérience antérieure dans un autre État membre pour demander des prestations de chômage. Le rapporteur du Parlement européen souhaite abaisser ce seuil à un mois. À défaut, c'est l'État dans lequel a été antérieurement accomplie cette période minimale qui est compétent pour ouvrir les droits à prestation chômage. La volonté du rapporteur du Parlement européen de réduire le seuil à un mois risque de rompre la perspective d'un meilleur équilibre financier entre les charges des États membres en matière de chômage. La réduction à un seul mois d'activité pose, par ailleurs, la question de la non-représentativité de la rémunération perçue durant cette période. Ce salaire détermine ensuite l'indemnisation. Le délai d'un mois pourrait, par ailleurs, conduire à des pratiques abusives : fraudes ou contrats de complaisance.

En ce qui concerne les travailleurs frontaliers, l'État membre où ils ont travaillé pendant les 12 derniers mois devrait être chargé du paiement des prestations de chômage. La Commission estime logique que l'État membre qui a perçu les cotisations verse les prestations. Pour les périodes inférieures à cette durée, l'État de résidence reste compétent. Les autorités françaises souhaitent, à l'inverse, que soit pleinement appliqué le principe de la loi de « l'État d'activité ». D'autant plus que la procédure de remboursement par l'État de dernière activité des indemnisations versées par l'État de résidence est supprimée. Le dispositif n'était déjà pas très efficace car il ne remboursait qu'entre 3 à 5 mois de prestations. En France, il ne couvrait au total qu'un cinquième du total des prestations versées aux travailleurs frontaliers. Il convient, par ailleurs, de rappeler qu'un travailleurs installé dans un autre pays que son pays de naissance qui perdrait son emploi et souhaiterait retourner dans son pays de naissance est, quant à lui, indemnisé par le pays où il a exercé sa dernière activité. Dans ces conditions, il apparaît logique que les travailleurs frontaliers soient régis par les mêmes dispositions que les autres travailleurs et que l'État de dernière activité soit le seul État compétent, même si cette activité n'a pas duré plus d'un an. Une telle option ne couvre pas, en effet, les nombreux cas de saisonniers. Au regard des équilibres en présence au Conseil - le Luxembourg et les Pays-Bas sont favorables au dispositif de la Commission, l'Allemagne promeut le statu quo et les pays d'Europe orientale sont favorable à une suppression de toute durée minimale -, ramener la durée minimale d'activité à 3 mois constitue une option raisonnable et soutenable.

Enfin, la Commission souhaite limiter les cas de double affiliation concernant les personnes qui bénéficient de prestations de chômage dans un État membre et qui exercent une activité, souvent réduite, dans un autre État membre. Aux termes de sa proposition, la personne serait affiliée dans l'État membre dans lequel elle aurait, pour la dernière fois, exercé une activité de plus de trois mois, ou pour les frontaliers, dans l'État de résidence, s'ils ont exercé moins de 12 mois dans l'État d'activité. L'ensemble peut paraître complexe et peut fragiliser l'application du principe de la primauté de l'État d'activité.

2. L'accès aux prestations sociales des citoyens inactifs

Reprenant la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, la proposition de la Commission précise que les États membres peuvent décider de ne pas accorder de prestations sociales aux citoyens mobiles qui sont économiquement non actifs. Par non actifs, la Commission entend ceux qui ne travaillent pas ou qui ne recherchent pas activement un emploi, et qui ne disposent pas d'un droit de séjour légal sur leur territoire.

La Commission rappelle que les citoyens économiquement non actifs n'ont un droit de séjour légal dans un autre État membre que s'ils possèdent des moyens de subsistance et une couverture santé complète. La Commission admet que les demandeurs d'emploi non indemnisés puissent être exclus des prestations d'assistance sociale.

3. Les prestations de soins de longue durée

La proposition précise en quoi consistent les prestations pour des soins de longue durée et à quel endroit les citoyens mobiles peuvent prétendre à ces prestations. Par conséquent, c'est l'État membre où la personne concernée est assurée qui sera chargé de servir les prestations pour des soins de longue durée et de rembourser les dépenses liées aux prestations en nature servies par l'État membre de résidence. La Commission entend, de la sorte, éviter le cumul de prestations.

4. L'individualisation des congés parentaux rémunérés

La législation actuelle prévoit qu'à l'instar de toutes les autres prestations familiales, les congés parentaux rémunérés sont considérés comme bénéficiant à la famille dans son ensemble et sont soumises aux règles anti-cumul.

La Commission souhaite aujourd'hui autoriser les États membres à ne verser le congé parental qu'au seul parent qui exerce une activité dans l'État membre. L'État qui n'est pas prioritairement compétent pourrait reconnaître un droit dérivé au conjoint, consistant au versement intégral du congé parental. Cette solution est appuyée par les autorités françaises.

Les négociations au Conseil ont, par ailleurs, permis de revenir sur la question du complément différentiel de prestations familiales. Le droit de l'Union prévoit en effet une interdiction de cumul de prestations familiales auxquelles un travailleur a droit à la fois dans son État de résidence et dans son État d'emploi. Le droit aux allocations dans le pays de résidence est suspendu à concurrence du montant des allocations de même nature effectivement versées par le pays d'emploi. Dans un arrêt rendu en 2014, la Cour de justice de l'Union européenne a précisé les modalités de calcul du complément différentiel versé, le cas échéant, par l'État de résidence. Le texte élaboré au Conseil prévoit deux paniers de comparaison des prestations : l'un contenant les prestations à caractère individuel et l'autre les prestations familiales 30 ( * ) .

5. La lutte contre la fraude au détachement

La Commission souhaite enfin que les autorités nationales disposent des outils nécessaires pour vérifier le statut des travailleurs détachés au regard de la sécurité sociale. Elle établit des procédures plus claires en matière de coopération entre ces autorités afin de faire face aux pratiques potentiellement déloyales ou abusives. Elle renforce ainsi les obligations incombant aux institutions qui délivrent le document portable A1, qui atteste la législation en matière de sécurité sociale applicable au travailleur détaché, pour ce qui est de l'appréciation des informations pertinentes, afin de garantir l'exactitude des éléments qui sont consignés dans cette attestation. Elle prévoit en outre des délais clairs pour les échanges d'informations entre les autorités nationales. La proposition vise également à faciliter les échanges d'informations d'un pays à l'autre entre les institutions de sécurité sociale et les services de l'inspection du travail, les services de l'immigration ou de l'administration fiscale des États membres, afin de faire en sorte que toutes les obligations juridiques en matière d'emploi, de santé, de sécurité, d'immigration et de taxation soient respectées.

Le texte prévoit un recours aux actes d'exécution pour mettre en place une procédure-type assortie de délai pour la délivrance, le format, le contenu du document - le formulaire A1 - attestant la législation en matière de sécurité sociale qui s'applique. Les actes porteront également sur la détermination des situations dans lesquelles le document est délivré, ainsi que les éléments à vérifier avant la délivrance du document. Ils aborderont la question du retrait du document lorsque son exactitude et sa validité sont contestées par l'institution compétente de l'État membre d'emploi. Le Sénat a déjà transmis à la Commission ses réserves quant à la compatibilité du projet de règlement avec le principe de subsidiarité, en soulignant que les actes d'exécution ne seront pourtant pas soumis aux parlements nationaux au titre du contrôle du respect du principe de subsidiarité 31 ( * ) .


* 30 Arrêt de la Cour du 8 mai 2014, Caisse nationale des prestations familiales contre Ulrike Wiering et Markus Wiering.

* 31 Résolution européenne n° 102 (2016-2017) portant avis sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement modifiant le règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et le règlement (CE) n° 987/2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 (COM(2016) 815 final), 8 mars 2017.

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