C. LES PROBLÉMATIQUES SPÉCIFIQUES AUX MINEURS VICTIMES D'INFRACTIONS SEXUELLES

Des travaux récents ont analysé avec exhaustivité les enjeux de la prise en charge des mineurs victimes d'infractions sexuelles . La délégation n'a donc pas souhaité ajouter une étude spécifique sur ce sujet à celles qui existent déjà et dont elle a souligné la qualité 260 ( * ) . Néanmoins, elle a voulu inscrire dans sa réflexion deux des aspects significatifs des violences sexuelles contre les mineurs qui ont émergé dans le débat public, à la suite de plusieurs affaires judiciaires récentes : les délais de prescription et la question de l'âge du consentement .

La délégation a pris acte de la position de la plupart des acteurs du monde judiciaire quant à des évolutions législatives en ce domaine : d'après le rapport du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises contre les mineurs, « selon la majorité des professionnels du droit entendus par le groupe de travail, l'arsenal répressif et complet et adapté ».

Il n'en demeure pas moins que des marges de progression lui paraissent nécessaires pour garantir davantage de cohérence dans les pratiques judiciaires et répondre aux attentes légitimes des victimes et des associations .

1. Un consensus sur l'allongement du délai de prescription de l'action publique des crimes sexuels commis sur les mineurs de vingt à trente ans

L'hypothèse d'un allongement du délai de prescription de l'action publique des crimes sexuels commis sur les mineurs a été analysée de façon rigoureuse et exhaustive par la Mission de consensus présidée par Flavie Flament et le magistrat Jacques Calmettes, à la demande de Laurence Rossignol, alors ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes. Ce travail reste le document de référence sur le sujet .

LA MISSION DE CONSENSUS SUR LE DÉLAI DE PRESCRIPTION
APPLICABLE AUX CRIMES SEXUELS COMMIS SUR LES MINEUR-E-S

Face au constat des difficultés persistantes posées par les délais de prescription en vigueur dans notre droit, malgré des réformes législatives récentes, Laurence Rossignol, alors ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes a proposé à Flavie Flament, victime de violences sexuelles dans son enfance , et au magistrat Jacques Calmettes de co-présider une Mission de consensus sur le délai de prescription de l'action publique des crimes sexuels commis sur les mineur-e-s.

À l'image de la co-présidence fondée sur la complémentarité du vécu de la victime et de l'expertise du magistrat , la mission s'est attachée à prendre en compte tous les aspects du sujet, en réunissant des personnalités qualifiées aux profils très différents .

Une série d'auditions pluridisciplinaires a ainsi été organisée dans une approche globale, spécifiquement conçue pour croiser le regard des professionnels, « experts métiers », et la parole des victimes et des associations, « experts du vécu ».

Du 16 février au 7 mars 2017, cinq séquences d'auditions ont permis à 27 personnes d'être entendues : psychiatres, psychologues, psychanalystes, chercheurs et chercheuses spécialistes du cerveau et de la mémoire, magistrats, avocats, enquêteurs, fonctionnaires de police, victimes et associations.

Ces échanges ont permis de mettre en lumière les conséquences, à court et moyen termes, des crimes sexuels commis sur les mineur-e-s , du point de vue psychique et psychologique, ainsi que les raisons qui rendent si difficile la libération de la parole . À partir de ces éléments, il a été possible d'analyser la question juridique de la prescription pour aboutir à une proposition de consensus.

Au terme de ses travaux, la mission de consensus a élaboré plusieurs recommandations relatives à la libération de la parole des victimes et à leur accompagnement . Elle s'est prononcée pour l'instauration d'un délai de prescription dérogatoire d'une durée de trente ans, commençant à courir à la majorité de la victime, en ce qui concerne les crimes sexuels commis sur les mineur-e-s.

Source : rapport de la Mission de consensus

a) Le cadre juridique de la prescription

Le délai de prescription de l'action publique des crimes sexuels commis sur les mineurs est de vingt ans à compter de la majorité de la victime, ce qui lui permet de porter plainte jusqu'à ses trente-huit ans.

Dans son rapport sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineur-e-s, la Mission de consensus rappelle le cadre juridique de la prescription 261 ( * ) .

La justification de la prescription des poursuites a traditionnellement trois fondements :

- le droit à l'oubli ou le droit au pardon pour les auteurs d'infraction ;

- la sanction de l'exercice tardif des poursuites pénales ;

- le dépérissement des preuves .

Ces fondements ont été progressivement remis en cause du fait de l'allongement de la durée de la vie humaine et des progrès de la science , permettant l'émergence de nouvelles techniques de recueil et de conservation des preuves .

En outre, la société récuse de plus en plus le concept même de droit à l'oubli ou de droit au pardon face au caractère insupportable de certains crimes , dont font partie les crimes sexuels commis contre des mineurs.

Le législateur a tenu compte de ces attentes : il a reporté le point de départ du délai de prescription à la majorité de la victime et, depuis 1998, a allongé les délais de prescription de droit commun (trois ans pour les délits et dix ans pour les crimes), notamment pour les infractions commises sur les mineurs.

La loi Perben du 9 mars 2004 262 ( * ) a créé un délai dérogatoire pour les crimes sexuels sur les mineurs . Elle a porté à vingt ans le délai de prescription de l'action publique des crimes mentionnés à l'article 706-47 du code de procédure pénale et commis sur un mineur (viol, meurtre ou assassinat précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie). Ce délai, qui commence à courir à partir de la majorité de la victime, lui laisse la possibilité de porter plainte jusqu'à ses trente-huit ans.

La loi du 27 février 2017 263 ( * ) a réformé l'ensemble des délais de prescription en matière pénale . Ainsi, les délais sont portés de dix à vingt ans pour l'ensemble des crimes, et de trois à six ans pour l'ensemble des délits.

Si elle a supprimé la plupart des délais dérogatoires, cette loi reconnaît néanmoins la spécificité de certains crimes particulièrement graves qui justifient, à titre d'exception, l'allongement du délai de prescription à trente ans 264 ( * ) . Ces crimes ont été rassemblés dans l'article 7 du code de procédure pénale. En revanche, le délai de prescription de l'action publique des crimes sexuels commis sur les mineurs est resté fixé à vingt ans, comme les crimes sexuels commis sur les majeurs .

b) La question de la prescription dans le cas des crimes sexuels commis contre les mineurs : quel droit à l'oubli ?
(1) De multiples arguments plaident en faveur d'un allongement des délais de prescription en cas de crimes commis sur des mineurs

Tous les interlocuteurs entendus par la délégation ont souligné la spécificité des crimes sexuels commis sur les mineurs et le temps nécessaire à la reconstruction psychologique des victimes , en lien avec l'amnésie post-traumatique qui peut affecter les victimes d'agressions sexuelles, et plus particulièrement les mineurs. Ce point a été mis en évidence dans le cadre de la Mission de consensus.

Au cours de son audition du 18 janvier 2018, Flavie Flament a évoqué les f reins à la parole des enfants victimes de violences sexuelles : la honte, le conflit de loyauté avec la famille, la situation d'emprise et l'amnésie post-traumatique : « S'attaquer à un enfant est un crime spécifique : ils ne sont pas construits de la même façon qu'un adulte et se trouvent submergés par une forme de honte et partagés entre des conflits de loyautés concurrentes . L'amnésie traumatique est également un phénomène important . Le fait qu'une victime puisse enfin libérer sa parole et sentir une écoute en face d'elle, une attention particulière portée à son vécu, est essentiel à sa reconstruction. En cela, l'allongement des délais de prescription est une occasion supplémentaire donnée à des enfants traumatisés de pouvoir s'en sortir ».

Ces freins entravent la parole des victimes et empêchent beaucoup d'entre elles de porter plainte . Comme le relève la Mission de consensus, le délai de vingt ans actuellement en vigueur ne prend pas suffisamment en compte le caractère tardif de la révélation . En outre, l'âge limite de trente-huit ans prévu par la loi correspond à une période de la vie des victimes où elles peuvent avoir des contraintes familiales importantes, ce qui est susceptible de les dissuader d'engager des procédures judiciaires longues et difficiles. Enfin, d'après le rapport de la Mission de consensus, l'amnésie traumatique serait souvent levée après 40 ans, c'est-à-dire à un âge où les faits sont déjà prescrits .

Maître Carine Durrieu-Diebolt, auditionnée par la délégation le 14  décembre 2017, a abondé dans le sens de la Mission de Consensus sur ce point : « Souvent, cette amnésie est levée vers 35-40 ans, lorsque la victime construit sa propre vie familiale. Il faut un temps de prise en charge psychologique indispensable pour que la victime puisse être capable de porter plainte et de supporter la procédure. Cela demande du temps ».

Pour toutes ces raisons , la plupart des interlocuteurs de la délégation se sont montrés favorables à un allongement des délais de prescription de vingt à trente ans en cas de crimes sexuels commis sur les mineurs , certains allant même jusqu'à préconiser l'imprescriptibilité de ces crimes, à la différence des magistrats entendus par le groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs 265 ( * ) .

Le Docteur Emmanuelle Piet a notamment rappelé que le Collectif Féministe contre le viol (CFCV) défend l'imprescriptibilité des crimes sexuels sur les personnes depuis 1987 : « Certes, la loi actuelle est satisfaisante, mais depuis 1987, le CFCV défend l'imprescriptibilité des crimes sur les personnes. Nous avons été responsables de la première modification de la loi en 1989 sur le report de la prescription à dix ans après la majorité. Nous savons que nous avançons à petits pas. Nous avons donc accepté ce délai de dix ans, comme nous avons entériné celui de vingt. Nous accepterons un délai de prescription de trente ans ».

En outre, un autre argument majeur en faveur de l'allongement des délais de prescription concerne la pluralité des victimes et le fait que les violeurs sont très souvent des récidivistes qui sévissent pendant de longues années et font parfois de très nombreuses victimes. Ce point a plus particulièrement été mis en exergue par le Docteur Emmanuelle Piet : « Nous savons par ailleurs que les violeurs ne commettent jamais des actes uniques , et qu'ils ont des carrières épouvantablement longues (...) Les violeurs le sont à vie . Ils n'envisagent leurs rapports sexuels que sous l'angle de la domination . (...) Les violeurs se conduisent toujours de la même façon. Un violeur d'enfants qui agit sur sa fille, violera sa petite fille s'il n'est pas arrêté. Pour cette raison essentielle, la prescription n'a pas de sens ».

De même, au cours de son audition, le 16 novembre 2017, devant la délégation, Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du HCE, a souligné qu'il était « rare que le violeur n'ait agressé qu'une seule personne, même s'il est difficile de détecter les réitérants, c'est-à-dire ceux qui recommencent mais ne se font pas arrêter ».

Enfin, Maître Carine Durrieu-Diebolt a fait part de sa pratique d'avocate, citant les conséquences de la prescription sur deux soeurs ayant été victimes du même agresseur : « L'aînée voulait porter plainte, mais les faits étaient prescrits . Elle les a évoqués dans sa famille. Elle a alors appris que sa jeune soeur en avait aussi été victime. Cette dernière a déposé plainte, et l'aînée a ainsi pu témoigner . Il n'y a pas eu de déperdition de la preuve. Cet exemple démontre bien que, parfois, au-delà de la prescription actuelle, des procédures peuvent aboutir ».

La délégation estime que la spécificité des crimes sexuels commis sur les mineurs justifie un allongement du délai de prescription , d'autant plus que, comme l'a souligné la Mission de consensus, le délai dérogatoire dont bénéficiaient les mineurs avant la loi de 2017 n'existe plus , puisque la prescription des crimes sexuels est de vingt ans, qu'ils aient été commis sur un mineur ou un adulte. À cet égard, elle a été sensible à l'argument développé par Élisabeth Moiron-Braud, magistrate, secrétaire générale de la MIPROF et rapporteure de la Mission de consensus : « Considérant que les crimes sexuels sur mineurs présentent des spécificités et un caractère de particulière gravité incontestées, un délai dérogatoire de prescription devrait pouvoir s'appliquer , alors même que l'article 7 de la loi de 2017 a prévu un délai dérogatoire de trente ans pour les crimes de guerre et le trafic de stupéfiants ou les infractions terroristes ».

En outre, ainsi que l'a souligné à juste titre Élisabeth Moiron-Braud, au cours de son audition, le 18 janvier 2018, « Dans notre société de la mémoire, l'oubli n'apparaît plus pertinent, à l'heure où la parole de la victime est de plus en plus entendue » .

Cet argument a également été invoqué par Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du Haut conseil à l'égalité, au cours de son audition du 16 novembre 2017 : « Les conséquences du viol d'un mineur sont telles que le droit à l'oubli n'a pas de sens dans ce cas . La victime, elle, n'est pas dans l'oubli. Pourquoi l'agresseur ne subirait-il pas de conséquences, quand bien même s'il s'agit d'un homme devenu âgé qui a autrefois violé sa petite fille ? ».

Pour l'ensemble de ces raisons, la délégation est favorable à un allongement de vingt à trente ans du délai de prescription des crimes sexuels commis sur les mineurs , comme l'ont d'ailleurs recommandé la Mission de consensus présidée par Flavie Flament et Jacques Calmettes et le groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

En revanche, elle s'interroge sur l'imprescriptibilité de l'action publique, actuellement circonscrite aux crimes contre l'humanité 266 ( * ) . Elle rejoint sur ce point la position du procureur de la République de Paris, qui a indiqué qu'il n'était pas favorable à l'imprescriptibilité des crimes sexuels, estimant que cette exception au délai de prescription de l'action publique doit « être réservée aux crimes contre l'humanité et aux génocides , et ne pas devoir être étendue à d'autres formes de criminalité, aussi graves soient-elles ».

Comme l'a rappelé Élisabeth Moiron-Braud : « En France, l'imprescriptibilité est une exception suprême, applicable uniquement aux crimes contre l'humanité, même si la prescription publique ne revêt pas le caractère d'un principe fondamental ni d'un principe de valeur constitutionnelle ».

Pour reprendre les mots de Maître Carine Durrieu-Diebolt, elle « relève d'une autre dimension, car elle concerne les crimes contre l'humanité, les crimes de masse » .

(2) Des arguments contre l'allongement des délais de la prescription essentiellement fondés sur la question des exigences probatoires

La délégation n'a pas été convaincue par les arguments mis en avant par la plupart des magistrats contre un allongement des délais de prescription des crimes sexuels commis sur les mineurs, qui tiennent essentiellement au problème des exigences probatoires 267 ( * ) .

Dans cette logique, une telle évolution ne changerait rien du point de vue de la répression pénale, en raison de l'impossibilité de prouver les faits, tant d'années après leur commission . Par exemple, selon le procureur de la République de Paris, entendu par la délégation le 22 février 2018, « certes, on peut toujours étendre ce délai de prescription, mais cela posera le problème des exigences probatoires, dans la mesure où nous devrons juger devant des juridictions criminelles des faits vieux de vingt ou trente ans, voire davantage si l'on considère que la majorité est le point de départ du délai de prescription. Dans ces dossiers, il n'existerait plus de preuves physiques, biologiques, et parfois plus de témoins ».

Dès lors, loin d'aider les victimes, l'allongement de la prescription ne ferait que créer de la déception et des désillusions , dont celles-ci rendraient responsables la Justice.

Ces arguments peuvent toutefois être discutés.

D'une part, comme l'a relevé Ernestine Ronai au cours de son audition du 16 novembre 2017, le problème de la preuve est le même, vingt ans ou trente ans après les faits . La réussite d'une procédure repose selon elle avant tout sur la qualité de l'enquête menée par les forces de police ou de gendarmerie , et pas seulement sur les prélèvements ADN, dont elle a relativisé l'importance, se référant à une étude effectuée en Seine-Saint-Denis sur les viols jugés aux assises qui constate que « dans 33 % des cas seulement, l'ADN est mobilisé comme moyen de preuve . Cela montre que lorsque l'enquête est bien faite, les policiers bien formés, il y a mille autres façons de trouver des preuves . Ceci vaut également pour la prescription. Souvent, il n'y a pas de témoins de l'agression et, fréquemment, la victime ne se souvient de rien dès le lendemain ... C'est l'enquête qui déterminera les choses , d'où l'importance de la prise en charge psycho-traumatique, d'un bon accompagnement par les UMJ ou les médecins, d'une enquête de voisinage ... À mon avis, il n'y a pas plus d'éléments le lendemain que trente ans après ... (...) Faire des enquêtes de qualité suppose du personnel formé en nombre suffisant : là est le principal défi ».

De plus, Élisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale de la MIPROF et rapporteure de la Mission de consensus, a mis en avant lors de son audition l'apport des progrès scientifiques , qui permettent de recueillir des preuves plusieurs années après les faits : « Il est souvent opposé à l'allongement du délai de prescription le problème du dépérissement des preuves et que plus le temps passe, plus il sera difficile de juger de tels faits. Cependant, les procédures d'enquête se fondent sur la recherche de faisceaux d'indices graves et concordants , des témoignages, des enregistrements... Or nous sommes entrés dans l'ère numérique et les progrès scientifiques permettent une amélioration du recueil des preuves telles que les traces ADN , les caméras de surveillance , les messages ».

En outre, comme elle l'a exprimé avec force, personne n'a le droit de décider à la place des victimes de la pertinence du dépôt de plainte : « La preuve en matière de violences sexuelles pose toujours des difficultés, quel que soit le délai de prescription retenu. L'argument souvent invoqué du traumatisme que représenterait pour les victimes une affaire classée ou un acquittement paraît inopérant. En effet, ce n'est pas à nous de décider à la place des victimes, ce qui est bon ou mauvais pour elles . L'important est que la parole des victimes soit entendue. Si ces dernières ont décidé d'engager une action en justice, elles doivent être accompagnées et soutenues psychologiquement pendant toute la procédure par des associations qui jouent un rôle essentiel ».

Flavie Flament a abondé dans ce sens, en opposant au traumatisme supposé du procès, qui conduirait à déconseiller à la victime de porter plainte, le « traumatisme du non-lieu » et de la parole ignorée, non sans affirmer que « les victimes sont des expertes de ce qui leur arrive » : « Nous sommes une parole qui n'a pas été assez entendue ni considérée. Qui sont ceux qui peuvent parler à la place des victimes, en prétendant savoir mieux qu'elles comment agir ? (...) Je pense qu'il faut expliquer aux victimes les risques qu'elles peuvent courir en portant plainte. Si la victime choisit en connaissance de cause d'aller au procès, le traumatisme ne sera pas celui du non-lieu ».

Dans le même esprit, Josette Gonzales, avocate à la Fédération Nationale Solidarité Femmes , entendue par la délégation le 18 janvier 2018, a estimé « très important que les personnes puissent déposer plainte, même si sur le plan juridique, elles n'obtiennent pas satisfaction ».

En définitive, la délégation a retenu cette très belle phrase de Flavie Flament , qui résume parfaitement les attentes légitimes des victimes d'infractions sexuelles : « Nous n'attendons pas de la justice qu'elle nous répare intégralement, mais qu'elle remette le monde à l'endroit ».

En revanche, l'allongement de la prescription suppose deux évolutions complémentaires : comme l'a rappelé Élisabeth Moiron-Braud, une fois la procédure judiciaire enclenchée, il est indispensable que les associations accompagnent les victimes tout au long de ce parcours et que, en cas de non-lieu, la victime soit informée par le magistrat en présence d'une association d'aide aux victimes ( cf. supra ). Par ailleurs, les enquêtes doivent être conduites avec diligence par un personnel formé.

La délégation est favorable à l'allongement de dix ans des délais de prescription de l'action publique de certains crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs, qui permettra aux victimes de porter plainte jusqu'à l'âge de quarante-huit ans révolus .

c) Une bonne pratique à généraliser : permettre aux victimes de déposer plainte, même en cas de prescription

Au-delà de l'allongement des délais de prescription, la délégation a été très intéressée par la pratique mise en place au sein de la section des mineurs du parquet de Paris sur les infractions prescrites , présentée par le procureur de la République de Paris, au cours de son audition, le 22 février 2018 : les victimes sont accueillies, et même en cas de prescription, une enquête est menée et peut aller jusqu'à l'audition du mis en cause dans le cadre d'une audition libre .

Cette procédure peut aboutir à une confrontation, voire à des aveux. Même après de nombreuses années, les victimes peuvent ainsi être aidées à « tourner la page » : La section des mineurs « se trouve (...) confrontée à de nombreuses plaintes de personnes qui ont été victimes dans leur enfance de faits particulièrement graves, qu'elles viennent dénoncer alors que l'action publique est éteinte par le fait de la prescription. A Paris , la Section des mineurs et la Brigade des mineurs ont mis en place une pratique spécifique . Dans les cas de prescription, une enquête est menée et peut se poursuivre jusqu'à l'audition du mis en cause , non pas dans le cadre d'une garde à vue (puisque les faits sont prescrits), mais d'une audition libre . L'expérience démontre que les victimes ont besoin de cette parole posée . Il est même parfois possible de parvenir à des confrontations . Il arrive que des aveux surviennent alors que les auteurs savaient que les faits étaient prescrits, et que des lettres d'excuses soient adressées aux victimes. Cela peut contribuer à des phénomènes de restauration des victimes ».

Selon François Molins, « même si l'infraction est prescrite, il est tout à fait possible d'aménager un parcours "allégé" présentant un intérêt évident, non seulement en termes de prise en charge et de réponse à la victime qu'en termes de pédagogie à l'égard de l'auteur ».

La délégation considère que cette pratique devrait être encouragée au sein des parquets. Elle revient en quelque sorte à reconnaître un « droit imprescriptible » 268 ( * ) des victimes à être entendues par le service enquêteur, indépendamment du délai de prescription de l'action publique , ce qui paraît indispensable à leur reconstruction psychologique.

Convaincue que les victimes de crimes sexuels durant l'enfance ont un droit imprescriptible à être entendues par les services enquêteurs, la délégation encourage la diffusion, au sein des parquets , de la pratique consistant à mener des enquêtes, même en cas de prescription .

2. Une nécessité pour la délégation : instaurer un seuil d'âge en dessous duquel un enfant serait présumé ne pas avoir consenti à une relation sexuelle avec un adulte

Le deuxième sujet essentiel relatif aux infractions sexuelles commises sur les mineurs concerne la question de l'âge du consentement.

a) La notion de consentement et ses limites

La définition pénale du viol et des agressions sexuelles repose sur les notions de « contrainte », « surprise », « menace » ou « violence » 269 ( * ) . Elle ne comporte pas de référence explicite à l'absence de consentement de la victime , mais il appartient à celle-ci de prouver qu'elle a subi ces différentes formes de contrainte et qu'elle n'a pas consenti à l'acte sexuel. La charge de la preuve lui incombe donc.

Au cours de son audition, le 16 novembre 2017, Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du HCE, a insisté sur la nécessité d'analyser les moyens de contrainte de l'agresseur , sans se concentrer sur le prétendu consentement de la victime. Dans cette logique, l'étude Virage évoque les « modes d'extorsion du consentement ».

Sandrine Rousseau, présidente de l'association Parler , entendue le 17 janvier 2018, s'est émue de ce parti pris implicite selon lequel les femmes seraient forcément consentantes à une relation sexuelle : « Les femmes sont supposées consentantes et doivent faire la preuve qu'elles ne l'étaient pas. C'est une question très grave. Cet a priori du consentement me pose problème ». Elle plaide en conséquence pour une « inversion de la charge de la preuve du consentement ».

Dans le même esprit, les représentantes de la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF), auditionnées le 18 janvier 2018, ont estimé que la notion de consentement était une question centrale dans la mesure où, « dans notre système judiciaire, la victime doit prouver qu'elle n'a pas consenti, ce qui est particulièrement problématique en cas de viol conjugal ».

La FNSF souhaiterait donc que la charge de la preuve soit inversée en matière de viol , et qu'il incombe à l'auteur présumé de prouver qu'il a obtenu le consentement de la victime. Ses représentantes se sont référées à cet égard à la Convention d'Istanbul, dont l'article 36, alinéa 2 définit le consentement : « « Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ».

b) La question du prétendu consentement des mineurs à un acte sexuel
(1) L'instauration d'une « présomption de non-consentement » : une mesure fortement attendue par les associations de défense des victimes, mais critiquée par les acteurs du monde judiciaire

Il est important de souligner que ce qu'il est convenu d'appeler « l'affaire de Pontoise » aurait pu avoir une autre conclusion que l'émergence d'une réflexion sur l'adaptation du code pénal aux viols sur mineurs. Cette affaire souligne surtout la nécessité d'une meilleure formation des magistrats sur la réalité des violences sexuelles.

Rappelons en effet que le parquet de Pontoise avait décidé, en septembre 2017, de poursuivre pour atteinte sexuelle - et non pour viol - l'agresseur d'une enfant de onze ans, considérant que celle-ci avait eu avec cet homme de vingt-huit ans une relation sexuelle « sans violence, ni contrainte, ni menace, ni surprise ». Or le même parquet de Pontoise a, le 27 février 2018, décidé d'ouvrir une information judiciaire pour viol dans la même affaire , le tribunal de Pontoise s'étant déclaré incompétent le 13 février 2018 et ayant demandé au parquet de requalifier les faits en viol .

Il est probable que ce changement majeur a été provoqué par l'immense émotion publique suscitée par la première décision . Il n'en demeure pas moins que celle-ci aurait pu être différente si les faits avaient été appréciés à l'aune de la terreur que peut inspirer un prédateur sexuel à une enfant aussi jeune. La différence d'âge aurait probablement pu, avec un autre regard, conduire à considérer comme réunies les conditions de « violence », de « contrainte », de « menace » et de « surprise » et aboutir à l'inculpation de l'agresseur pour viol. Cette affaire aura donc permis de faire progresser la réflexion sur la définition du viol .

Il est important de souligner, comme l'a fait le Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV) lors de son audition, le 18 janvier 2018, que, « dans le droit actuel, pour obtenir la condamnation d'un rapport sexuel avec un enfant, il faut prouver la menace, la contrainte, la violence ou la surprise. Cela n'est pas juste ».

La plupart des interlocuteurs de la délégation se sont montrés favorables à l'instauration d'une présomption d'absence de consentement d'un enfant victime d'un acte sexuel par une personne majeure , qui marquerait clairement dans le code pénal l'interdiction d'une relation sexuelle entre un adulte et un mineur au-deçà d'un certain âge .

Comme l'ont relevé les représentantes de la Fédération Nationale Solidarité Femmes au cours de leur audition, le 18 janvier 2018, il faut absolument protéger les enfants : « Concrètement, il nous semble important que soit interdit tout acte sexuel entre une personne majeure et un ou une mineure, avec une présomption irréfragable de non-consentement, de façon à ce que la victime n'ait pas à apporter la preuve de son absence de consentement ».

La délégation souhaite ici rendre hommage au rôle précurseur et à la clairvoyance du Haut conseil à l'égalité (HCE) qui, dès 2016, dans son avis sur le viol 270 ( * ) , avait soulevé ce débat, bien avant les deux affaires judiciaires récentes qui ont fait polémique et ému l'opinion, et qui ont incité le législateur à se saisir de cette question 271 ( * ) .

Dans son rapport, le HCE relève que, dans notre pays, « la question de l'établissement d'une présomption d'absence de consentement de l'enfant victime d'un acte sexuel n'a jamais été abordée ni a fortiori le seuil d'âge en dessous duquel un enfant n'est pas en capacité de consentir », contrairement à d'autre pays occidentaux ayant introduit dans leur législation une présomption irréfragable d'absence de consentement d'un mineur victime d'actes sexuels . LE HCE cite les cas de l'Espagne, de la Belgique, de l'Allemagne, de l'Angleterre, du Pays de Galles, de la Suisse, du Danemark, de l'Autriche et des États-Unis.

À cet égard, il pointe le dérangeant paradoxe de notre droit , qui peut aboutir à faire condamner plus facilement un auteur d'atteinte sexuelle qu'un auteur de viol sur mineur : « En France l'absence de consentement d'un mineur à un acte sexuel n'est jamais présumé. Il faut donc en rapporter la preuve quel que soit l'âge du mineur. En revanche, cette preuve n'est pas nécessaire pour retenir l'infraction d'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans et moins par un majeur dans la mesure où l'acte sexuel est alors supposé consenti. Nous arrivons donc au paradoxe selon lequel un adulte pourra être poursuivi s'il a eu des relations sexuelles avec un enfant de quinze ans et moins sans que se pose la question du consentement du mineur, alors que l'adulte qui a commis une agression sexuelle avec pénétration sur un mineur de treize ans et moins ne sera poursuivi pour viol que si la preuve du non-consentement de l'enfant a été rapportée ».

Dans son avis précité sur le viol, le HCE propose donc l'instauration d'un seuil d'âge de treize ans en dessous duquel les mineurs seraient présumés ne pas avoir consenti à un acte sexuel. L'instauration d'un seuil d'âge implique qu'il ne sera plus nécessaire de prouver la violence, la menace, la contrainte ou la surprise 272 ( * ) .

L'éventuelle création d'une « présomption de non-consentement » telle qu'annoncée par le Gouvernement, dès le mois d'octobre 2017 273 ( * ) , a suscité des réactions très mitigées chez des acteurs du monde judiciaire 274 ( * ) .

Comme l'indique le rapport du groupe de travail de la commission des lois du Sénat, « le Conseil national des barreaux et le barreau de Paris ne considèrent pas opportun d'instaurer une présomption de non-consentement, même simple, car ce n'est pas le consentement de la victime qui est en cause mais bien l'intention de l'auteur , sur lequel doit reposer la responsabilité de l'acte (...). En matière d'infractions sexuelles, l'efficacité de la répression repose davantage sur le régime de la preuve que sur les éléments constitutifs de l'infraction ».

En outre, selon ce rapport, la détermination d'un seuil d'âge pourrait de façon paradoxale aboutir à une moindre répression de ces infractions : « Comme l'a souligné le représentant de la chambre criminelle de la Cour de cassation (...), l'introduction d'un "âge-seuil" risque d'être interprétée également par les juridictions comme une limite , par exemple pour l'application de la notion de contrainte morale : la création d'une telle présomption ferait ainsi courir le risque que les juridictions ne reconnaissent plus l'existence d'une contrainte morale pour les victimes mineures de plus de treize ou quinze ans . L'instauration d'une présomption de non-consentement en-deçà de treize ans instaurerait une zone "grise" quant à la répression pénale de ces comportements qui pourraient inciter à se reposer exclusivement sur la qualification pénale d'atteinte sexuelle et donc mobiliser insuffisamment la qualification pénale de viol » .

Enfin, notre collègue Marie Mercier, rapporteure, met en garde contre « le risque constitutionnel qui existe à maintenir une circonstance aggravante du viol fondé sur l'âge de la victime (mineure de 18 ans ou mineure de quinze ans) tout en faisant reposer l'élément constitutif de l'infraction sur l'âge de la victime ».

Pour autant, la délégation note avec intérêt que le procureur général près la Cour de cassation n'a pas écarté l'hypothèse d'une présomption simple « renforcée » 275 ( * ) , présumant l'absence de consentement du mineur sauf si l'auteur a pu objectivement et légitimement se tromper sur l'âge de la victime . Cette présomption serait renforcée par la possibilité, pour l'auteur présumé, d'apporter une « contre-preuve » montrant pourquoi il a pu se tromper sur l'âge de la victime 276 ( * ) , garantissant ainsi les droits de la défense .

(2) La question du seuil d'âge : les éléments du débat

La délégation a été particulièrement sensible aux arguments développés par les associations et certains acteurs du monde judiciaire plaidant pour une plus grande protection des mineurs .

Au fil de ces auditions, elle a acquis la conviction de la nécessité d'instaurer un seuil d'âge.

La question de l'âge à retenir a toutefois fait débat entre les interlocuteurs de la délégation.

Comme l'a d'ailleurs souligné notre collègue Marie Mercier dans son excellent rapport sur les infractions sexuelles commises contre les mineurs, « une présomption de culpabilité fondée sur l'âge de la victime présente l'avantage de la clarté. Néanmoins, elle pose incontestablement une double difficulté tenant à la détermination de l'âge pertinent et aux effets inévitables de seuil ». À cet égard, elle a insisté lors de son audition du 31 mai 2018 sur le fait que la définition d'un seuil d'âge pouvait présenter l'avantage d'une solution simple, tout en alertant la délégation sur le risque d'une formule « simpliste » . Elle s'est prononcée en faveur d'une rédaction souple du code pénal, faisant valoir qu'« aucun cas ne ressemble à un autre » 277 ( * ) .

Faut-il retenir l'âge de treize ans, comme le préconise le HCE, ou celui de quinze ans, comme le suggèrent la plupart des propositions de loi déposées au début de la session parlementaire sur ce sujet ?

LES PROPOSITIONS DE LOIS DÉPOSÉES AU PARLEMENT À L'AUTOMNE 2017
POUR AMÉLIORER LA RÉPRESSION PÉNALE DES INFRACTIONS SEXUELLES
COMMISES SUR LES MINEURS

Plusieurs propositions de loi émanant de députés ou de sénateurs ont été déposées depuis la rentrée parlementaire 2017 dans le sillage des « affaires » de Pontoise et Meaux, afin de renforcer la répression pénale des infractions sexuelles commises sur les mineurs.

Parmi d'autres mesures, chacun de ces textes propose d'instaurer un seuil d'âge pour le consentement sexuel des mineurs. Le seuil d'âge varie selon les propositions de loi.

Propositions de loi déposées à l'Assemblée nationale

- Proposition de loi relative à la qualification de viols sur mineur en vue de fixer l'âge minimum de présomption du consentement sexuel à quinze ans , présentée par Patrick Mignola, député, enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 octobre 2017, texte n° 251, XV e législature.

- Proposition de loi visant à améliorer la protection juridique des mineurs victimes de viol, présentée par Bérengère Poletti, députée, enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 octobre 2017, texte n° 252, XV e législature. Ce texte propose un seuil d'âge à quatorze ans .

Propositions de loi déposées au Sénat

- Proposition de loi tendant à renforcer la protection des mineurs contre les agressions sexuelles, présentée par Catherine Deroche, enregistrée à la Présidence du Sénat le 17 octobre 2017, texte n° 28 (2017-2018). Ce texte retient un seuil d'âge de quinze ans .

- Proposition de loi pour une meilleure protection des mineur.e.s victimes de viol et des autres agressions sexuelles, présentée par Laurence Rossignol, sénatrice, enregistrée à la présidence du Sénat le 26 octobre 2017, texte n° 53 (2017-2018). Ce texte retient un seuil d'âge de quinze ans .

- Proposition de loi visant à renforcer la définition des agressions sexuelles et du viol commis sur des mineur-e-s de moins de quinze ans , présentée par Laurence Cohen, sénatrice, enregistrée à la présidence du Sénat le 30 octobre 2017, texte n° 55 (2017-2018).

Instaurer un seuil à l'âge de quinze ans peut paraître plus protecteur pour les jeunes victimes . En outre, ce choix pourrait présenter une certaine cohérence, puisque l'âge de quinze ans est déjà un âge charnière pour la répression des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, à travers le délit d'atteinte sexuelle , même si l'on peut se demander comment un tel seuil s'articulerait avec ce délit défini aux articles 227-25, 227-26 et 222-27 du code pénal.

LE DÉLIT D'ATTEINTE SEXUELLE DANS LE CODE PÉNAL

Article 227-25. Le fait, par un majeur, d'exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Article 227-26. L'infraction définie à l'article 227-25 est punie de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende :

1° Lorsqu'elle est commise par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ;

2° Lorsqu'elle est commise par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;

3° Lorsqu'elle est commise par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ;

4° Lorsque le mineur a été mis en contact avec l'auteur des faits grâce à l'utilisation, pour la diffusion de messages à destination d'un public non déterminé, d'un réseau de communication électronique ;

5° Lorsqu'elle est commise par une personne agissant en état d'ivresse manifeste ou sous l'emprise manifeste de produits stupéfiants.

Article 222-27. Les atteintes sexuelles sans violence, contrainte, menace ni surprise sur un mineur âgé de plus de quinze ans sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende :

1° Lorsqu'elles sont commises par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ;

2° Lorsqu'elles sont commises par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions.

Toutefois, cette solution présenterait l'inconvénient, pour de très jeunes majeurs qui auraient des relations sexuelles consenties avec des adolescentes de quinze ans, de risquer de se voir condamnés pour agression sexuelle ou viol . On peut envisager le cas de parents portant plainte au nom de leur enfant s'ils désapprouvent cette relation.

Ce risque a plus particulièrement été mis en avant par le Défenseur des Droits , dans l'avis qu'il a rendu dans le cadre de son audition par le groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs 278 ( * ) . À cette occasion, le Défenseur des Droits a d'ailleurs particulièrement bien posé les termes du débat ainsi que les enjeux juridiques et constitutionnels de l'introduction d'une présomption de non-consentement des mineurs en dessous d'un certain âge en matière d'agression sexuelle et de viol :

« Sur la nature de la présomption qui pourrait être imposée, le Défenseur des Droits souhaite affirmer son opposition à une présomption irréfragable de non-consentement, telle qu'elle apparaît dans plusieurs propositions de loi , et qui signifierait que la personne mise en cause ne pourrait rapporter la preuve du contraire. Prenons un exemple concret : imaginons qu'une présomption irréfragable soit introduite en vertu de laquelle un mineur de moins de quinze ans ne saurait avoir consenti à l'acte sexuel avec un majeur. Dans ce cas , en cas d'acte sexuel entre un jeune majeur de 18 ans et un mineur de quatorze ans et onze mois, le majeur sera automatiquement renvoyé devant le tribunal correctionnel pour agression sexuelle ou devant la cour d'assises en cas de pénétration, sans même rechercher si la relation sexuelle a été commise sans menace, violence, contrainte ou surprise (...). Le Défenseur des Droits n'est pas favorable à l'introduction d'une telle présomption irréfragable, en ce que cette solution semble contrevenir au principe de la présomption d'innocence et aux droits de la défense ».

Selon lui, une telle disposition serait « contraire au droit européen et pourrait être invalidée par le Conseil constitutionnel, sur la base de ces deux principes fondamentaux de notre droit ».

Il en conclut donc que, « si une telle présomption devait voir le jour, il ne pourrait (...) s'agir que d'une présomption simple . En pratique, cela signifie que la charge de la preuve serait renversée : le mineur serait présumé ne pas avoir consenti à l'acte sexuel, mais l'auteur pourrait conserver un moyen de défense consistant à démontrer l'inverse » 279 ( * ) .

Le rapport d'information de Marie Mercier sur les infractions sexuelles commises sur les mineurs rappelle également avec précision le cadre constitutionnel et conventionnel des présomptions de culpabilité qui doit être pris en compte, selon le groupe de travail, pour garantir la constitutionnalité d'un dispositif qui, à travers un seuil d'âge, établirait une présomption d'absence de consentement .

À cet égard, Laurence Rossignol a évoqué, lors de la réunion de la délégation du 31 mai 2018, le précédent du projet de loi relatif à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), adopté par le Parlement le 16 février 2017. Elle a rappelé que le risque d'inconstitutionnalité avait été objecté pendant la procédure d'examen du texte, mais que celui-ci avait été validé par le Conseil constitutionnel. Elle a jugé regrettable de s'interdire ex-ante une innovation juridique en préjugeant de la position des juges constitutionnels .

PRÉSOMPTION IRRÉFRAGABLE, PRÉSOMPTION SIMPLE
ET INVERSION DE LA CHARGE DE LA PREUVE

En application du principe constitutionnel de présomption d'innocence, la charge de la preuve appartient toujours à l'accusation .

La jurisprudence constitutionnelle accepte les présomptions de culpabilité ou de responsabilité , qui renversent partiellement la charge de la preuve, à la seule condition qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable , que le respect des droits de la défense soit assuré, que les faits permettent d'induire raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité et qu'en outre, s'agissant de crimes et de délits, « la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d'actes pénalement sanctionnés ».

En outre, si la Cour européenne des droits de l'Homme a admis, sous certaines conditions dont elle contrôle concrètement l'application, l'existence de présomptions dans les droits internes, c'est sous réserve qu'elles soient compatibles avec la présomption d'innocence, c'est-à-dire qu'elles soient réfragables , et que la personne poursuivie puisse apporter la preuve du contraire .

Source : rapport d'information de Marie Mercier : protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles

Plusieurs arguments ont été développés par ailleurs pour retenir un seuil d'âge de treize ans de préférence à celui de quinze ans .

De façon générale, la délégation note que, d'après le rapport d'information de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises sur les mineurs, « un plus grand nombre d'acteurs du droit accepterait une présomption (simple) de culpabilité fondée sur l'âge de la victime inférieur à treize ans : en effet, cette présomption exclurait des poursuites automatiques pour viol dans les cas, fréquemment rencontrés par les enquêteurs, de relations sexuelles entre des mineurs de quatorze-seize ans et des jeunes majeurs ».

En outre, la délégation a entendu avec intérêt les raisons exposées par le procureur de la République de Paris, qui est favorable à l'introduction dans le code pénal d'une disposition indiquant clairement qu'il ne saurait exister de consentement pour un viol commis par un adulte sur un mineur, dès lors que l'âge de celui-ci est inférieur à treize ans. Selon lui, « cette position permet de conserver une cohérence avec l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante , qui définit l'âge de treize ans comme une séparation entre sanction éducative et sanction pénale » .

On peut donc tirer argument de l'âge de treize ans fixé par l'ordonnance de 1945 pour l'accès du jeune au discernement et à la responsabilité pénale pour définir par cohérence l'âge à partir duquel un mineur pourrait éventuellement consentir à un acte sexuel . Il s'agirait néanmoins d'une présomption simple et non-irréfragable.

Le procureur de la République de Paris a estimé lors de son audition que, en renvoyant à la nécessité de déterminer une dimension de « violence », « contrainte », « menace » ou « surprise », la définition du viol suppose que les victimes apportent la preuve de leur absence de consentement, ce qui peut être très complexe : « En l'absence de ces critères, il peut y avoir des difficultés : c'est la raison pour laquelle je pense que la fixation d'un âge constituerait la seule façon de sortir de ce débat ».

De surcroît, la délégation souhaite éviter toute confusion entre la réflexion suscitée par « l'affaire » de Pontoise sur l'âge en deçà duquel un enfant serait présumé victime de viol ou d'agression sexuelle et un débat moral sur l'âge auquel il serait acceptable que les jeunes aient des relations sexuelles .

L'objectif de la délégation n'est pas de porter un jugement moral sur la sexualité des jeunes d'aujourd'hui, mais bien de protéger les jeunes victimes et de favoriser une application harmonieuse du code pénal sur l'ensemble du territoire . Comme l'a rappelé le Docteur Ghada Hatem, gynécologue et fondatrice de La Maison des Femmes de Saint-Denis, au cours de son audition, le 14 décembre 2017, en se référant à sa pratique professionnelle, il existe « des exemples de sexualité précoce et épanouie chez des jeunes filles mineures ».

Ce constat rejoint celui de deux chercheurs de l'INED et de l'INSERM, qui avaient en 2008 coordonné et commenté L'enquête sur la sexualité en France 280 ( * ) , qui est restée depuis lors l'étude de référence sur ce sujet et analyse notamment la sexualité des jeunes. Selon ces spécialistes, « La sexualité des moins de quinze ans n'est pas toujours contrainte » 281 ( * ) : mieux protéger par la loi les mineurs ne doit donc pas contribuer à rendre leur sexualité « illégitime », a fortiori pour les jeunes filles.

C'est pourquoi l'âge de treize ans paraîtrait à la délégation plus adapté à ces constats.

En définitive, si ce choix était retenu, coexisteraient deux régimes de protection distincts des mineurs contre les infractions sexuelles commises par des majeurs :

- en dessous de treize ans, il n'y aurait pas besoin de prouver la contrainte, la menace, la surprise ou la violence pour caractériser le viol ou l'agression sexuelle ;

- entre treize et quinze ans subsisterait le régime actuel de l'atteinte sexuelle sur mineurs .

(3) La nécessité de poser dans le code pénal un interdit clair qui garantira un traitement cohérent des jeunes victimes sur l'ensemble du territoire

La délégation tient à saluer le travail réalisé par la commission des lois dans le cadre de son groupe de travail sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs , qui a débouché sur une proposition de loi examinée et adoptée par le Sénat le 27 mars 2018. 282 ( * )

Ses membres estiment « qu'un seuil d'âge est un critère certes objectif mais également arbitraire qui ne prend pas en compte la diversité ni les maturités sexuelles des mineurs, ni leurs capacités de discernement ».

Nos collègues ont eu à coeur de procéder à une « clarification du droit existant permettant à la fois la protection la plus large possible des mineurs mais également l'application concrète de cette modification législative par les magistrats ».

Ils ont fait le choix de compléter la définition du viol inscrite dans le code pénal en y intégrant deux critères pouvant qualifier la « contrainte morale » : l'existence d'une différence d'âge « significative » entre victime et agresseur ou l'incapacité de discernement du mineur .

Néanmoins, cette logique maintient une grande marge d'appréciation pour évaluer la différence d'âge et la capacité de discernement de la victime . Or c'est justement la subjectivité qui a conduit à l'« affaire de Pontoise » et à la prise de conscience par l'opinion de l'intérêt d'une loi pénale d'application stricte pour les enfants victimes de violences sexuelles.

Pour éviter de laisser trop de prise à la subjectivité du magistrat dans la caractérisation de la contrainte, la délégation plaide donc, comme la plupart de ses interlocuteurs, pour l'instauration d'un seuil d'âge en-deçà duquel la contrainte serait caractérisée .

C'est d'ailleurs l'argument qu'a invoqué Élisabeth Moiron-Braud, magistrate et secrétaire générale de la MIPROF, au cours de son audition du 18 janvier 2018. Selon elle, la contrainte morale telle que prévue par le code pénal dans la définition du viol et des agressions sexuelles est difficile à apprécier, ce qui explique des décisions de justice qui varient d'un territoire à l'autre. Instaurer un seuil d'âge assurerait donc une meilleure sécurité juridique en garantissant une jurisprudence plus unifiée des affaires d'infractions sexuelles sur l'ensemble du territoire .

Comme l'a souligné Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du HCE, au cours de son audition du 16 novembre 2017, « il faut par la loi fixer un interdit suffisamment fort. Cela servira à la fois à la pénalisation et à la prévention du viol ».

La délégation souhaite que la définition pénale du viol , dans le cas de victimes particulièrement jeunes , laisse le moins de prise possible à la subjectivité et qu'elle permette une réponse pénale cohérente sur l'ensemble du territoire .

Elle insiste aussi sur le fait que ce débat juridique doit être tranché indépendamment de tout jugement moral sur la sexualité des jeunes .

Elle recommande donc l' instauration d'un seuil d'âge de treize ans dans le code pénal. Tout acte de pénétration sexuelle commis par un adulte sur un enfant de moins de treize ans relèverait ainsi des sanctions prévues en cas de viol , sans que les critères de violence, contrainte, menace ou surprise définis par l'article 222-23 du code pénal soient pris en considération, et sans que puisse être évoquée la question du consentement de la victime .


* 260 La délégation renvoie notamment au rapport de la Mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineur-e-s, présidée par Flavie Flament et le magistrat Jacques Calmette, publié le 10 avril 2017, ainsi qu'au rapport d'information Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles, fait par Marie Mercier au nom de la commission des lois du Sénat, n° 289 (2017-2018).

* 261 Les développements ci-après synthétisent la présentation de la Mission de consensus sur le cadre juridique de la prescription.

* 262 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

* 263 Loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale.

* 264 Infractions à la législation sur les stupéfiants, infractions terroristes, infractions relatives à la prolifération d'armes de destruction massive et de leurs vecteurs ; crimes d'eugénisme et de clonage reproductif ; crime de disparition forcée ; crimes et délits de guerre ; certains crimes et délits à l'encontre des mineurs.

* 265 Un co-rapporteur a participé aux auditions du groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur les infractions sexuelles contre les mineurs.

* 266 Une proposition de loi tendant à rendre imprescriptibles les crimes et délits sexuels sur mineurs a par exemple été déposée au Sénat par notre collègue Alain Houpert, le 14 septembre 2017 (texte n° 719, 2016-2017).

* 267 Les développements ci-après sont principalement fondés sur les auditions de magistrats réalisées par le groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, auxquelles a participé l'un des co-rapporteurs de la délégation.

* 268 Selon les termes de la proposition n° 27 du rapport d'information fait par marie mercier au nom de la commission des lois du Sénat, Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles , n° 289 (2017-2018).

* 269 Articles 222-22 et 222-23 du code pénal.

* 270 Haut conseil à l'égalité : Avis pour une juste condamnation sociétale et judicaire du viol et autres agressions sexuelles , publié le 5 octobre 2016.

* 271 De nombreuses propositions de loi ont été déposées sur ce sujet au Parlement, en particulier depuis la rentrée parlementaire d'octobre 2017.

* 272 La recommandation n° 8 du rapport sur le viol du HCE est ainsi formulée : « Instaurer un seuil d'âge de treize ans en dessous duquel un enfant est présumé ne pas avoir consenti à une relation sexuelle avec un majeur ».

* 273 La secrétaire d'État en charge de l'Égalité entre les femmes et les hommes a annoncé dès octobre 2017, dans un entretien au Journal La Croix , le dépôt d'un projet de loi qui comporterait une telle disposition.

* 274 Les développements ci-après se fondent sur les auditions du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, auxquelles un co-rapporteur de la délégation aux droits des femmes a participé.

* 275 C'est la position qu'il a exprimée devant les membres du groupe de travail de la commission des lois, au cours de son audition, le 29 novembre 2017. Il s'est déclaré plus favorable à l'âge de quinze ans qu'à celui de treize ans.

* 276 Il a cité à cet égard des relations « épistolaires » ou « numérisées » qui peuvent précéder des relations sexuelles. Par exemple, si la victime a écrit qu'elle a 17 ans, l'auteur présumé pourra démontrer qu'il a été induit en erreur.

* 277 Le compte rendu de cette audition a été annexé au rapport d'information de la délégation Le projet de loi renforçant les violences sexuelles et sexistes : contribution au débat , n° 574 (2017-2018).

* 278 Avis du Défenseur des droits n° 17-13 du 30 novembre 2017.

* 279 Avis du Défenseur des Droits n° 17-13 du 30 novembre 2017.

* 280 https://www.ined.fr/fr/publications/coeditions/enquete-sur-la-sexualite-en-france/

* 281 Article paru dans Le Monde du 30 mai 2018.

* 282 Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles, rapport d'information de Marie Mercier fait au nom de la commission des lois, n° 289, 2017-2018 et proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles, présentée par Philippe Bas et Marie Mercier, adoptée par le Sénat le 27 mars 2018, texte n° 84 (2017-2018).

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