Rapport d'information n° 564 (2017-2018) de Mmes Laurence COHEN , Nicole DURANTON , M. Loïc HERVÉ , Mmes Françoise LABORDE , Noëlle RAUSCENT et Laurence ROSSIGNOL , fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 12 juin 2018

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N° 564

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juin 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur les violences faites aux femmes ,

Par Mmes Laurence COHEN, Nicole DURANTON, M. Loïc HERVÉ, Mmes Françoise LABORDE, Noëlle RAUSCENT et Laurence ROSSIGNOL,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : Mme Annick Billon, présidente ; M. Max Brisson, Mmes Françoise Cartron, Laurence Cohen, Laure Darcos, Joëlle Garriaud-Maylam, Françoise Laborde, M. Marc Laménie, Mme Claudine Lepage, M. Claude Malhuret, Mme Noëlle Rauscent, vice-présidents ; Mmes Maryvonne Blondin, Marta de Cidrac, Nassimah Dindar, secrétaires ; Mmes Anne-Marie Bertrand, Christine Bonfanti-Dossat, Céline Boulay-Espéronnier, Marie-Thérèse Bruguière, MM. Guillaume Chevrollier, Roland Courteau, Mmes Chantal Deseyne, Nicole Duranton, Jacqueline Eustache-Brinio, Martine Filleul, M. Loïc Hervé, Mmes Victoire Jasmin, Claudine Kauffmann, Valérie Létard, M. Martin Lévrier, Mme Viviane Malet, M. Franck Menonville, Mmes Marie-Pierre Monier, Christine Prunaud, Frédérique Puissat, Laurence Rossignol, Dominique Vérien.

AVANT-PROPOS

COMBATTRE LES VIOLENCES, PREMIÈRE DES INÉGALITÉS
ENTRE FEMMES ET HOMMES

La délégation aux droits des femmes a centré son programme de travail de la session 2017-2018 sur le thème des violences faites aux femmes .

Ce choix s'est imposé dès la reconstitution de la délégation, en novembre 2017, après le dernier renouvellement du Sénat, à un moment où les violences, plus particulièrement les violences sexuelles, étaient au coeur du débat public.

2017 : UN TOURNANT DÉCISIF DANS LA DÉNONCIATION
DES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

Deux thématiques distinctes ont marqué l'actualité de la rentrée parlementaire de 2017 dans le domaine des violences.

Sur le plan judiciaire , deux affaires très médiatisées , qui ont suscité une vive émotion 1 ( * ) , ont posé en termes nouveaux le problème de l'adaptation de la définition pénale du viol , fondée sur les critères de « violence, menace, surprise ou contrainte » exercées sur la victime, et ont inspiré une réflexion sur la question du consentement de celle-ci, a fortiori quand elle est particulièrement jeune ( onze ans en l'occurrence, dans ces deux décisions de justice qui ont ému l'opinion).

L'un des aspects du débat juridique causé par ces affaires a concerné la définition d'un âge en-deçà duquel toute victime serait considérée comme ayant subi un viol , sans que la question de son consentement ait à se poser 2 ( * ) : treize ans, quatorze ans ou quinze ans ?

Ces deux affaires ont fait écho à la réflexion entreprise au début de 2017 sur la question du délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur des mineurs . Ce travail a été inspiré par la publication, par Flavie Flament, de La consolation en octobre 2016, dédié « à tous ces enfants réduits au silence, à qui la mémoire et la parole sont revenus trop tard, à tous ces enfants qu'il est encore temps de consoler », livre dans lequel elle révèle le viol qu'elle a subi à l'âge de treize ans.

La mise en place, à l'initiative de Laurence Rossignol, alors ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes, d'une Mission de consensus , co-présidée par le magistrat Jacques Calmettes et Flavie Flament 3 ( * ) et dont les auditions ont commencé en février 2017, a posé la question de l'imprescriptibilité des crimes sexuels commis sur des mineurs et a préconisé l'allongement du délai de prescription à trente années (au lieu de vingt) à compter de la majorité de la victime, afin que celle-ci puisse porter plainte jusqu'à ses quarante-huit ans.

Parallèlement à l'actualité judiciaire de l'automne 2017, la révélation publique, par des actrices américaines, en octobre 2017, de faits de harcèlement et d'autres agressions sexuelles attribués à un producteur célèbre de cinéma américain a conduit à la mise en cause d'attitudes inadmissibles - sexisme, comportements constitutifs d'agressions sexuelles - qui ne s'est limitée, loin s'en faut, ni au monde du spectacle et des médias, ni à des personnalités connues.

Il est résulté de ce qui est devenu l'« affaire Weinstein » un processus de dénonciation de cas de harcèlement sexuel qui, porté par les réseaux sociaux, n'a épargné aucun milieu professionnel et a revêtu une dimension mondiale .

À bien des égards, le mouvement issu de ces révélations a constitué un tournant et restera le fait marquant des derniers mois de 2017 , même si ses vecteurs (les hashtag MeToo et BalanceTonPorc ) n'ont pas fait l'unanimité.

De manière significative, le déferlement de témoignages qui a suivi l'« affaire Weinstein » ne s'est pas limité au harcèlement sexuel et aux autres violences subies par les femmes, mais a conduit, dans une approche plus globale, à souligner la fréquence et le caractère inacceptable de comportements relevant du sexisme et de la misogynie . Il a contribué à placer au coeur de l'actualité toutes les problématiques liées aux violences sexuelles et aux comportements sexistes, excédant très largement la question des mineurs victimes .

Ce mouvement pose aussi, de manière plus générale, la question cruciale du corps des femmes et du niveau de tolérance que doit définir la société à l'égard de tout comportement d'appropriation qui en menace la dignité : il s'agit là d'une préoccupation essentielle pour la délégation aux droits des femmes , car elle est le premier enjeu de l'égalité entre femmes et hommes .

Face à une actualité aussi dense, le Gouvernement a annoncé, le 15 octobre 2017, le dépôt d'un projet de loi destiné à renforcer la lutte contre les violences sexuelles 4 ( * ) . Ce point a été confirmé par le Président de la République lors d'un événement organisé, de manière symbolique, le 25 novembre 2017 (Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes), auquel les membres de la délégation ont été invités à assister.

Parallèlement à la préparation de ce projet de loi, le dépôt de nombreuses propositions de loi, portant plus spécifiquement sur les agressions sexuelles et le viol de mineurs, a montré la volonté des parlementaires, dans les deux assemblées, d'apporter leur contribution à une réflexion sur les « angles morts » de la législation contre les violences, encouragée par le contexte de la « grande cause du quinquennat ».

LE CHOIX DE LA DÉLÉGATION : UNE APPROCHE GLOBALE DES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

La délégation aux droits des femmes a donc décidé, dès sa première réunion, le 9 novembre 2017, d'apporter sa contribution à ce débat.

Elle a ainsi souhaité aborder la problématique des violences dans une perspective plus large que les questions posées par l'actualité immédiate - les mineur(e)s victimes et le harcèlement sexuel - sans limiter son propos à la préparation de sa contribution à la discussion du projet de loi annoncé par le Gouvernement 5 ( * ) .

La délégation a en effet estimé difficile de traiter les viols sur mineurs indépendamment de la thématique du viol dans son ensemble, y compris dans sa dimension conjugale . Le viol relève en effet d'un rapport de domination qui revient à s'approprier le corps de l'autre en niant son identité, par-delà les circonstances spécifiques de l'agression, l'âge de la victime ou les relations entre celle-ci et son bourreau.

Dans le même esprit, elle a considéré que les violences sexuelles ne pouvaient être appréhendées indépendamment des autres violences faites aux femmes , sans omettre le sexisme , qui constitue, plus particulièrement au travail et dans l'espace public, le terreau de ces violences .

La démarche de la délégation a en effet été guidée par la volonté de mettre en évidence les points communs à toutes les femmes victimes de violences, et plus particulièrement :

- la difficulté de dénoncer des comportements souvent minimisés ce n'est pas si grave », « on n'en meurt pas », « sois patiente, il va changer ») ;

- les contraintes d'une procédure judiciaire à l'issue incertaine , après l' épreuve d'un dépôt de plainte aléatoire ;

- la tendance à inverser la culpabilité aux dépens des victimes elle l'a bien cherché », « elle n'a pas d'humour », « elle l'a provoqué », « elle n'aurait pas dû boire », « elle aurait dû s'habiller autrement ») ;

- la gravité des conséquences de ces violences pour leur santé, mentale et psychologique ;

- le fait que les comportements subis constituent un « parcours de violences » aggravé par la précarité sociale qui menace la plupart des victimes.

Dans le même esprit, la délégation a jugé indissociables de son analyse les conséquences, sur les enfants , des violences au sein des couples , dans la logique de l'alerte exprimée le 16 novembre 2017 devant la délégation par Édouard Durand, magistrat et co-président de la commission Violences de genre du Haut conseil à l'égalité : « Un enfant témoin est un enfant victime ».

Compte tenu de l'importance qu'elle attache aux violences faites aux femmes, la délégation a souhaité confier ce travail à une équipe de six co-rapporteurs , afin que les conclusions de la délégation reflètent le consensus le plus large :

- Nicole Duranton pour le groupe Les Républicains ;

- Laurence Rossignol pour le groupe Socialiste et républicain ;

- Loïc Hervé pour le groupe Union Centriste ;

- Françoise Laborde pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen ;

- Laurence Cohen pour le groupe Communiste républicain citoyen et écologiste ;

- Noëlle Rauscent pour le groupe La République En Marche.

Entre novembre 2017 et mai 2018, la délégation a donc procédé à 18 auditions et réunions de travail ainsi qu'à trois déplacements : le 22 janvier 2018 au Pôle judiciaire de la Gendarmerie nationale , à Pontoise, le 12 mars 2018 au foyer Une femme, un toit (FIT) 6 ( * ) , spécialisé dans l'accueil des jeunes femmes victimes de violences , et le 17 mai 2018 dans les locaux parisiens de l'association Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF), responsable du numéro national de référence pour l'accueil et l'orientation téléphoniques des femmes victimes de violences .

Elle a ainsi entendu quelque 35 experts et spécialistes (statisticiens, magistrats, avocats, responsables associatifs, médecins, etc.) 7 ( * ) , ainsi que deux victimes , Flavie Flament et Sandrine Rousseau.

Laurence Rossignol, co-rapporteure, a par ailleurs assisté aux auditions du groupe de travail constitué en octobre 2017 par la commission des lois du Sénat sur les infractions sexuelles commises sur les mineurs, dont la rapporteure, Marie Mercier, a été entendue par la délégation le 31 mai 2018.

Les travaux de la délégation ont intégré la dimension ultramarine des violences faites aux femmes , à laquelle elle est très attentive, grâce à l'implication des trois sénatrices des Outre-mer 8 ( * ) qui l'ont rejointe lors du renouvellement de septembre 2017. Le 15 février, la délégation a donc procédé, avec la délégation sénatoriale aux Outre-mer, à l'audition des auteurs 9 ( * ) d'un avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) intitulé Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer . Publié en mars 2017, ce document restera longtemps encore la référence sur un sujet qui mérite toute l'attention des parlementaires français.

Ces travaux se sont déroulés parallèlement à la réflexion de nos collègues Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac sur les mutilations sexuelles féminines , dont le rapport d'information ( Mutilations sexuelles féminines : une menace toujours présente, une mobilisation à renforcer 10 ( * ) ) a été rendu public le 15 mai 2018.

LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES,
UNE SOURCE DE PRÉOCCUPATION PARTAGÉE

Le présent rapport s'ajoute à des travaux déjà nombreux, dans la période récente, sur les violences faites aux femmes. Cette abondante bibliographie, alimentée jour après jour par une production régulière de la presse quotidienne et hebdomadaire et des sources d'information en ligne, montre très clairement à quel point ce sujet se situe au coeur de l'actualité .

Entre autres exemples de publications officielles récentes, mentionnons :

- les rapports d'information publiés sur l'ensemble des violences faites aux femmes , en 2014 par la délégation aux droits des femmes du CESE 11 ( * ) puis en 2016 par la délégation de l'Assemblée nationale 12 ( * ) ;

- le rapport d'information présenté en mars 2016 par la délégation sur les violences conjugales et porté par une équipe de co-rapporteurs associant tous les groupes politiques alors représentés au Sénat 13 ( * ) ;

- les études remarquables et pionnières du Haut conseil à l'égalité éditées en 2015 sur le harcèlement dans les transports 14 ( * ) , en 2016 sur le viol et les violences sexuelles 15 ( * ) , étendues en 2017 aux cyber-violences 16 ( * ) puis, en 2018, au harcèlement dit « de rue » 17 ( * ) . Tous ces travaux demeurent des sources d'inspiration pour la délégation , qui tient à rendre hommage à l'expertise du HCE ;

- le rapport de la Mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur des mineur.e.s , rendu public le 10 avril 2017, qui constitue le document de référence sur cette question essentielle pour les très jeunes victimes ;

- le rapport d'information du groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs 18 ( * ) , publié en janvier 2018 et dont la délégation tient à souligner la particulière qualité ;

- enfin, le rapport d'information sur le viol de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, publié le 22 février 2018 19 ( * ) .

En raison d'une telle abondance de sources sur les sujets liés aux violences faites aux femmes, la délégation a souhaité centrer son analyse sur les informations rassemblées dans le cadre des auditions auxquelles elle a procédé , en évitant autant que possible les redites par rapport aux travaux qui font désormais autorité sur ces sujets .

LE TOURNANT DE FIN 2017 : QUELLE SIGNIFICATION ?

Cette question implique tout d'abord de s'interroger sur le moment auquel s'est produite la libération de la parole des femmes.

Pourquoi ce tournant a-t-il eu lieu précisément à l'automne 2017 , alors que la question du harcèlement s'était posée avec une acuité renouvelée en mai 2016 lors de l'« affaire Baupin » 20 ( * ) , et que le problème des crimes sexuels sur les mineurs avait été largement commenté au début de 2017, lors du lancement des travaux de la Mission de consensus, à la suite de la parution du livre témoignage de Flavie Flament ?

S'agissant des crimes sexuels sur mineurs , il semble que l'indignation suscitée par les affaires judiciaires de Pontoise et de Meaux soit liée à l'émotion particulière due au jeune âge - onze ans seulement - des victimes . Comme l'a fait observer à la délégation Édouard Durand, magistrat et co-président de la commission Violences de genre du HCE, le 16 novembre 2017 : « À Pontoise, la société est parvenue à voir la scène [...] et les conséquences de cet acte sur le développement mental, affectif, corporel et sexuel de l'enfant ».

Toute personne était donc en mesure de s'imaginer à la place des proches de ces enfants, plus facilement peut-être que par le biais de la Mission de consensus qui pouvait, malgré la participation directe d'une victime - Flavie Flament elle-même - à ses réflexions, passer pour un travail de spécialistes.

Quant au déferlement sans précédent de dénonciations de faits de harcèlement, d'agressions sexuelles ou de comportements sexistes à la suite de l'« affaire Weinstein », il peut sembler étonnant que des femmes, en France, aient été encouragées à s'inscrire dans le sillage d'actrices américaines plutôt que dans celui de femmes politiques françaises , alors même que ces dernières, il faut le souligner, ont contribué par leur courage à une prise de conscience qui a permis le tournant de 2017 .

Serait-ce que l'univers politique français leur semble résolument étranger, alors que le monde du cinéma hollywoodien, pourtant très éloigné de leur quotidien, leur « parle » davantage ? Ou bien ont-elles considéré que des femmes politiques, dont la vocation est d'exercer le pouvoir, doivent être plus à même de se défendre que des actrices s'opposant à la toute-puissance de l'industrie cinématographique ?

On peut aussi estimer que par son ampleur, la vague encouragée par l'« affaire Weinstein » a eu sur la parole des femmes une influence désinhibante que ne pouvaient exercer dans les mêmes proportions les quelques rares élues françaises à s'être élevées contre les pratiques de leur milieu politique.

Les causes du déclenchement du mouvement de l'automne 2017 tiennent probablement à ces divers facteurs conjugués .

S'il semble clair qu'il y aura un « avant » et un « après » l'« affaire Weinstein » , il est important de s'interroger sur la portée du mouvement de protestation que celle-ci a contribué à déclencher.

La libération de la parole se démarque en effet par son caractère mondial : venu des États-Unis, elle touche tous les continents et la plupart des pays , y compris la Suède , de manière quelque peu paradoxale pour un pays considéré comme un modèle d'égalité entre femmes et hommes, où pourtant des actrices de cinéma et de théâtre dénoncent des faits de harcèlement et d'autres agressions sexuelles dès novembre 2017.

Cette démarche étonne par ses dimensions inédites , en lien avec le développement et le succès de nombreuses plates-formes participatives paye ton » 21 ( * ) ), dénonçant des comportements sexistes dans des secteurs extrêmement divers 22 ( * ) , au point que même le domaine religieux 23 ( * ) a été affecté par cette vague de protestation. Celle-ci illustre la profondeur de l' exaspération suscitée par des comportements sexistes et insultants devenus inacceptables et souligne le franchissement décisif d'un seuil de tolérance qui invite à se demander pourquoi ces agissements avaient si longtemps été passés sous silence, voire tolérés, dans notre pays.

Ce phénomène frappe par son ampleur , indissociable des réseaux sociaux sur lesquels on compte dès le 17 octobre 2017, trois jours après le lancement du hashtag BalanceTonPorc , 150 000 messages échangés et 16 000 personnes ayant témoigné de harcèlement, d'agression ou de viol 24 ( * ) .

Pour la philosophe Geneviève Fraisse, la fin de l'année 2017 marque ainsi le passage de l'affrontement entre une victime isolée et un auteur de violence singulier à une dénonciation collective 25 ( * ) .

Cette vague de protestation fait ressortir la signification politique de l'événement : selon la philosophe, la logique de fait divers , présente dans l'affaire Strauss-Kahn, a laissé place à un « moment politique » 26 ( * ) .

Dans cette logique, la « prise de la parole » qu'évoque Geneviève Fraisse à propos des suites de l'« affaire Weinstein » fait écho à une « prise de la Bastille » symbolique.

UNE QUESTION DÉCISIVE : QUELLES RELATIONS
ENTRE HOMMES ET FEMMES VOULONS-NOUS ?

La délégation estime que les événements de 2016-2017 doivent constituer l'occasion d'une prise de conscience susceptible de renforcer l'égalité entre les femmes et les hommes , au lieu d'alimenter la « guerre des sexes » dont la menace a été agitée de manière récurrente depuis le début de l'« affaire Weinstein ».

À cet égard, elle estime que la tribune publiée dans le journal Le Monde en janvier 2018 27 ( * ) pour assimiler la libération de la parole à l'expression d'une « haine des hommes et de la sexualité » suscite quelques interrogations.

On peut certes comprendre les réserves inspirées aux signataires de cette tribune par des « mises en accusation publiques » de personnes à qui n'a été « [laissée] la possibilité ni de répondre ni de se défendre ». On peut admettre aussi que le seuil de tolérance à l'égard de certains comportements puisse varier selon les personnes, et que les signataires de la tribune considèrent comme anodins des gestes que d'autres femmes estiment inacceptable (« [toucher] un genou », « [parler] de choses intimes lors d'un dîner professionnel »).

On peut toutefois regretter que la libération de la parole favorisée par l'« affaire Weinstein » ait été ainsi caricaturée.

La délégation estime pour sa part que les hommes méritent mieux que la « liberté d'importuner » jugée par les auteures de la tribune « indispensable à la liberté sexuelle ». Elle ne saurait accepter que la liberté sexuelle passe par la « liberté d'importuner ».

Elle est convaincue au contraire que la séduction n'implique pas la « pulsion sexuelle par nature offensive et sauvage » défendue par la tribune, mais que l'amour s'épanouit d'autant mieux entre partenaires égaux .

La délégation souhaite ramener le débat à sa vraie dimension : quelle société voulons-nous et, surtout, quelles relations entre femmes et hommes ?

Est-ce une société où une femme qui consulte pour des rapports conjugaux douloureux interrompt son traitement car son « mari aime mieux quand [elle a] mal » 28 ( * ) ?

Est-ce une société où, dans les établissements scolaires, les filles ne peuvent aller aux toilettes sans être protégées des agressions des garçons par un digicode, sont insultées ou agressées si elles portent une jupe, et où des fellations tarifées sont pratiquées dans les toilettes 29 ( * ) ?

Est-ce une société où un conjoint peut refuser l'achat de chaussures à sa femme, pour être certain qu'elle ne s'éloignera pas de son domicile 30 ( * ) ?

Est-ce une société où les violences dites conjugales concernent les relations amoureuses entre jeunes, et où une adolescente de quatorze ans porte sur les bras les hématomes causés par son « petit ami » 31 ( * ) ?

LES PREMIERS CONSTATS DE LA DÉLÉGATION

Au terme de son analyse, la délégation tient à remercier tous les experts qui ont bien voulu lui faire partager une expérience très précieuse , acquise au cours de nombreuses années d'accueil et d'accompagnement des victimes de violences .

Interpellée par les réticences auxquelles continuent à se heurter les victimes lors du dépôt de plainte , malgré d'incontestables progrès liés à un réel effort de formation des personnels de la police et de la gendarmerie , la délégation estime que la décision doit impérativement, en la matière, revenir à la victime qui se voit encore trop fréquemment opposer un refus 32 ( * ) .

Elle partage à cet égard le constat opéré par Élisabeth Moiron-Braud, magistrate 33 ( * ) , qui a participé directement aux travaux de la Mission de consensus : « Ce n'est pas à nous de décider à la place des victimes ce qui est bon ou mauvais pour elles » 34 ( * ) . Le droit de porter plainte, garanti par le code pénal, doit devenir effectif à l'échelle du territoire, afin que toutes les victimes soient écoutées à la hauteur des violences dénoncées.

La délégation tient aussi à saluer l'implication de tous les acteurs de la lutte contre ces violences (associations, travailleurs sociaux, médecins, etc.) et forme des voeux pour que les moyens qui leur sont consacrés évoluent en cohérence avec la gravité de ce fléau .

S'agissant plus particulièrement des associations , dont le rôle crucial dans l'accompagnement des victimes est une évidence, la délégation souligne la nécessité primordiale de renforcer leurs moyens face à une « libération de la parole » qui suscite une augmentation sensible des sollicitations qui leur sont adressées. Il s'agit là du premier constat dressé par la délégation au cours de son travail.

À cet égard, elle s'est alarmée de l'obligation dans laquelle s'est trouvée l' Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), association de référence pour l'accompagnement des femmes victimes de harcèlement et de violences sexuelles sur leur lieu de travail, de fermer son accueil téléphonique, le 31 janvier 2018, faute de moyens humains adaptés à l'afflux d'appels constatés dans des proportions croissantes depuis mai 2016.

La délégation souhaite également souligner sa préoccupation constante de la protection des enfants contre des violences dont ils sont trop souvent des victimes méconnues. Dans cet esprit, la délégation s'est étonnée qu'une proposition de loi 35 ( * ) puisse reformuler l'article 373-2-9 du code civil pour faire de la résidence alternée la règle en cas de séparation des parents, sans plus se référer au cas où « la remise directe de l'enfant à l'autre parent présente un danger pour l'un d'eux ».

La délégation souhaite par ailleurs insister, comme elle l'a fait en conclusion du rapport d'information de Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac sur les mutilations sexuelles féminines, sur l'importance de la participation des hommes au combat contre les violences, décisif pour l'avenir de notre société . Dans cette logique, la délégation tient à saluer la participation de sénateurs à ses travaux .

La délégation rappelle que les violences faites aux femmes, dans leur spectre large, sont encouragées par une conception rétrograde et stéréotypée des rapports entre hommes et femmes, marquée par des préjugés tenaces à l'encontre des femmes et par la conviction de leur infériorité.

Largement partagé, ce constat, qui conclut la plupart des travaux de la délégation, impose de combattre les stéréotypes sexistes qui confortent les comportements insultants et violents à l'encontre des femmes dont on constate malheureusement, aujourd'hui, de nombreuses manifestations.

Il impose aussi d'appeler à la mise en place d'un programme ambitieux et exigeant d'éducation à l'égalité, dès le plus jeune âge, qui soit digne de la « grande cause du quinquennat », et à l'application effective des séances d'éducation à la sexualité prévues par le code de l'éducation 36 ( * ) .

Enfin, les témoignages aussi perturbants qu'alarmants que la délégation a entendus au cours de son travail sur l'ampleur des violences faites aux femmes, de tous les âges et dans tous les milieux, la conduisent :

- à rappeler que les violences constituent la première des inégalités entre les hommes et les femmes et une injustice majeure faite à celles-ci ;

- et à insister sur son attachement à l'égalité entre les femmes et les hommes, principe essentiel de notre République.

2016-2017 : UN TOURNANT DÉCISIF DANS LA PRISE DE CONSCIENCE
DES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ? CHRONOLOGIE

- 9 mai 2016 : début de ce qui deviendra l'« affaire Baupin ».

- Octobre 2016 : publication par Flavie Flament de son livre La consolation et révélation du viol qu'elle a subi à l'âge de treize ans.

- Février-avril 2017 : travaux de la Mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur mineur.e.s ; la mission rend son rapport le 10 avril 2017.

- 6 mars 2017 : communiqué de presse du procureur de Paris annonçant le classement sans suite, pour prescription, des plaintes pour agression sexuelle et harcèlement sexuel dans le cadre de l'« affaire Baupin » ; le parquet de Paris reconnaît toutefois que « les faits dénoncés [...) sont pour certains d'entre eux susceptibles d'être qualifiés pénalement ».

- septembre 2017 : Sandrine Rousseau publie Parler , témoignage vécu sur l'« affaire Baupin ».

- 26 septembre 2017 : un homme de vingt-huit ans ayant eu un rapport sexuel avec une petite fille de onze ans est poursuivi par le parquet de Pontoise pour atteinte sexuelle et non pour viol.

- 5 octobre 2017 : révélation de faits de harcèlement et d'agressions sexuelles par des actrices américaines ; début de la campagne MeToo sur les réseaux sociaux.

- 15 octobre 2017 : début de la campagne BalanceTonPorc sur les réseaux sociaux en France.

- 27 octobre 2017 : lancement du « numéro anti-relou » pour aider les femmes à décourager des « dragueurs » insistants sans se mettre en danger. Les journalistes ayant pris cette initiative sont victimes en quelques heures de plus de 20 000 messages d'insulte et de haine ainsi que de menaces de mort et de viol en ligne. Un forum de discussion destiné au jeune public est mis en cause dans ces agressions massives et coordonnées. Dès le 29 octobre 2017, le « numéro anti relou » doit être temporairement désactivé.

- 10 novembre 2017 : un homme accusé du viol d'une fillette de onze ans est acquitté par la cour d'assises de Seine-et-Marne, qui a considéré comme non contrainte la relation sexuelle ayant eu lieu huit ans plus tôt entre l'enfant et son agresseur.

- 25 novembre 2017 : le Président de la République annonce depuis l'Élysée des mesures destinées à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes dans le cadre de la « grande cause du quinquennat ».

- 21 décembre 2017 : occupation du lycée Pissaro de Pontoise et dénonciation par les filles de gestes et propos déplacés des garçons.

- 10 janvier 2018 : publication dans le journal Le Monde d'une tribune signée d'un « collectif » de cent femmes défendant la « liberté d'importuner, indispensable à la liberté sexuelle », et s'inquiétant de l'instauration d'un « climat de société totalitaire » attribué à une « campagne de délations » assimilée à une « justice expéditive ».

- 31 janvier 2018 : l'AVFT, association de référence dans la lutte contre le harcèlement sexuel, est contrainte par l'insuffisance de ses moyens de fermer son accueil téléphonique face à un afflux de demandes sans précédent.

- 27 février 2018 : le parquet de Pontoise ouvre une information judiciaire pour viol sur mineur de quinze ans, le tribunal correctionnel saisi pour atteinte sexuelle s'étant déclaré incompétent le 13 février et ayant demandé une nouvelle enquête.

I. DES POINTS COMMUNS À TOUTES LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

A. UNE MÉCONNAISSANCE LARGEMENT RÉPANDUE

Chaque année, l' Étude nationale sur les morts violentes au sein des couples 37 ( * ) rappelle que les violences au sein des couples tuent en France une femme tous les trois jours .

Quant aux violences sexuelles , 200 000 personnes déclarent chaque année en être victimes , selon l'enquête Cadre de vie et sécurité (CVS) réalisée au sein du ministère de l'Intérieur 38 ( * ) . Une autre enquête, effectuée dans le cadre de l'INED, Violences et rapports de genre ( Virage ), fait pour sa part état de 580 000 femmes victimes 39 ( * ) .

S'agissant plus spécifiquement du viol , qui fait selon l'enquête CVS précitée 93 000 victimes déclarées chaque année (52 000 femmes et 2 500 hommes d'après Virage ), un sondage récent révélait par ailleurs que 12 % des femmes interrogées déclaraient avoir été victimes d'« une « pénétration sexuelle avec violence, contrainte ou surprise », 7 % affirmant avoir été violées une fois, et 5 % « quelques ou plusieurs fois » 40 ( * ) .

Pourtant, la méconnaissance largement répandue du contenu juridique de ces violences conduit à poser la question de leur approche statistique . Or disposer de chiffres précis est une exigence compte tenu de la gravité d'un fléau dont l'ampleur a été comparée par l'une des expertes entendues par la délégation à une « épidémie » 41 ( * ) .

1. Viol, viol conjugal, harcèlement sexuel, agissement sexiste, agression sexuelle : des notions juridiques difficiles à appréhender

Un premier constat que la délégation a tiré de ses auditions est que les violences faites aux femmes , et notamment les violences sexuelles, sont mal connues . Leur contenu juridique précis est largement ignoré . On a pu l'observer avec la « libération de la parole » à l'oeuvre depuis l'automne 2017 : les témoignages très nombreux qu'elle a inspirés mêlent souvent remarques sexistes et injures, harcèlement, exhibitionnisme, agression sexuelle et viol.

Il ressort de ces témoignages que le « ressenti » des personnes semble parfois en décalage avec la réalité juridique et administrative.

a) Les idées reçues sur le viol et les agressions sexuelles

On relève ainsi une ignorance de la définition légale du viol , crime dont relèvent par exemple une fellation ou une pénétration digitale.

Dans le même esprit, la violence est généralement considérée comme un élément constitutif du viol ; la représentation commune imagine le viol commis dans un parking ou dans une ruelle sombre, par un inconnu, sous la menace d'un couteau. Or le violeur est en général un proche de la victime (famille, collègue, voisin, etc.) ; l'état de panique de celle-ci rend superflu l'usage d'une arme. Lors de son audition par la délégation, le 16 novembre 2017, Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du HCE, a insisté sur les limites d'une approche centrée sur la victime du viol , qui conduit à se focaliser sur l'hypothèse de son consentement , plutôt que sur le comportement de l'agresseur . Or c'est en inversant le regard que l'on pourra mettre en évidence les « moyens - menace, surprise ou violence - que l'agresseur a utilisés pour forcer [la victime] ». Ce qui est devenu l'« affaire de Pontoise » est emblématique d'une conception erronée, ne tenant pas compte du fait que la victime n'est pas toujours en mesure de résister à son prédateur .

La délégation s'étonne par ailleurs que soit répandue l'ignorance du fait que les agressions sexuelles constituent un délit : « Pourquoi je porterais plainte ? Les garçons qui m'ont agressée ne m'ont pas violée ! » 42 ( * ) . Beaucoup de personnes ignorent que la définition pénale de l'agression sexuelle 43 ( * ) concerne tout contact physique non désiré à connotation sexuelle, comme par exemple un baiser forcé ou un attouchement imposé 44 ( * ) (à cet égard, le HCE dénonce la fréquence de gestes tels que la « main aux fesses » ou le « frottement » dans son Avis relatif au harcèlement sexiste et aux violences sexuelles dans les transports en commun , publié en avril 2015 45 ( * ) , et rappelle que ces comportements constituent des agressions sexuelles).

Cette méconnaissance conduit à une certaine acceptation de ces violences par la société et une tendance trop répandue à les minimiser .

b) Une méconnaissance préoccupante de la part des professionnels, qui limite les dépôts de plainte

Plus préoccupante encore est l'ignorance qui peut être le fait de professionnels . L' Enquête sur les refus d'enregistrer les plaintes pour violences conjugales , effectuée pendant cinq mois 46 ( * ) par la Fédération nationale Solidarité Femmes et publiée en mars 2018, note ainsi le refus opposé à un dépôt de plainte pour viol conjugal au motif que « le viol entre époux n'existe pas et qu'il s'agit d'un devoir conjugal », et qu'il ne saurait y avoir viol sans violences physiques : selon ce professionnel, si la femme avait fini par accepter le rapport sexuel, « c'est qu'elle était consentante » 47 ( * ) .

Ce témoignage, sur lequel le rapport reviendra ultérieurement, met en évidence une ignorance regrettable du viol conjugal prévu par l'article 222-22 du code pénal.

Le même document fait également état du refus de prendre des plaintes pour violences physiques au sein des couples (« une association signale qu'une gendarmerie aurait répondu à une femme victime de violences physiques au sein de son couple qu'il n'y avait pas d'infraction pénale » 48 ( * ) ).

Malgré des années de politiques publiques de lutte contre les violences au sein des couples, celles-ci restent trop souvent - même de la part de certains professionnels - reléguées à la sphère privée , voire tolérées , comme le suggère l'expression de « crime passionnel ».

Ce constat souligne l' enjeu crucial de la formation et de la sensibilisation des acteurs . Ce point essentiel a été relevé par l'ensemble des personnes auditionnées par la délégation, qui ont préconisé l'instauration d'une formation obligatoire aux violences sexuelles , en formation continue, pour les personnels de la police et de la gendarmerie ainsi que pour les magistrats.

Ce rapport reviendra ultérieurement sur la question de la formation et de la sensibilisation des professionnels : il s'agit pour la délégation d'une recommandation classique , qui conclut tous les travaux qu'elle consacre au sujet des violences.

c) Le harcèlement sexuel, un terme générique au contenu imprécis

Quant au harcèlement sexuel , il est devenu un terme générique dans le débat public pour se référer à des agissements divers, du sexisme à l'agression sexuelle, comme l'a récemment montré le recours à cette notion pour qualifier des comportements ayant pour cadre la rue ou les transports. « À l'époque [du collège], on ne savait pas faire la différence entre harcèlement, agression et viol. Je ne suis même pas sûre qu'on sache le faire aujourd'hui », estime de manière éclairante une lycéenne dont les propos, cités par Le Monde dans une analyse du harcèlement sexuel dans les collèges et lycées 49 ( * ) , sont représentatifs de la confusion qui caractérise la définition précise des violences sexuelles.

(1) Harcèlement sexuel et agissement sexiste au travail

Quant au harcèlement sexuel au travail 50 ( * ) , il est souvent assimilé au « chantage sexuel » qui n'est pourtant qu'un de ses aspects 51 ( * ) .

Ses dimensions sexistes sont en général ignorées. Or et le sexisme et la grivoiserie, et la « situation intimidante, hostile ou offensante » à laquelle se réfère la loi, sont reconnus parmi les éléments constitutifs du harcèlement sexuel, comme le précise la circulaire du ministère de la Justice du 7 août 2012 : la « situation intimidante, hostile ou offensante » peut en effet résulter de « propos ou comportements ouvertement sexistes, grivois, obscènes, tels que des paroles ou écrits répétés constituant des provocations, injures ou diffamations, même non publiques ».

De même peut être méconnu le fait 52 ( * ) :

- que le harcèlement sexuel n'implique pas l'existence d'un pouvoir hiérarchique : l'article 222-33 du code pénal se réfère au fait d'« imposer à une personne » un comportement à connotation sexuelle, sans mention d'un lien de subordination ;

- qu'il peut concerner des relations entre particuliers , en dehors de relations de travail : fourniture de biens ou de services (location d'un logement, entrée dans une discothèque), inscription dans un établissement de formation, résultats d'examen ;

- que la notion de « pression grave » exercée sur la victime peut recouvrir des situations très variées : non seulement l'hypothèse où l'« acte de nature sexuelle » serait imposé en contrepartie d'un avantage comme l'obtention d'un emploi, l'obtention d'une augmentation, l'obtention d'un contrat de bail, la réussite à un examen... »), mais aussi la circonstance où céder au chantage sexuel permettrait d' éviter « une situation particulièrement dommageable , telle qu'un licenciement ou une mutation dans un emploi non désiré, une augmentation significative du montant d'un loyer payé au noir, un redoublement lors des études... ».

Cette ignorance met en danger les femmes , qui peuvent être confrontées à une ambiance de travail constitutive de harcèlement sexuel. Elle est également susceptible de mettre en cause la responsabilité juridique des employeurs et managers , qui pourraient être insuffisamment vigilants face à des comportements dont ils minimiseraient la gravité pour les victimes .

Quant à l' agissement sexiste , défini à l'article L. 1142-2-1 du code du travail et par l'article 6 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires , il proscrit « tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Il n'est pas défini dans le code pénal.

Si l'on se réfère aux témoignages de sexisme recensés sur certaines plates-formes en ligne 53 ( * ) , les propos relatés auraient clairement dû être sanctionnés par l'employeur. Certains relèvent toutefois aussi de l'injure, de la discrimination, voire de la menace de viol.

(2) Une notion adaptée à la rue ou aux transports ?

Depuis quelques années, la notion de harcèlement a été utilisée pour qualifier des situations vécues par les femmes dans la rue ou les transports, voire dans le cadre d'échanges privés lors de circonstances festives.

L'association Stop Harcèlement de Rue a contribué à faire connaître l'exaspération de femmes devant des interpellations injurieuses, des commentaires insultants sur leur tenue vestimentaire, des invitations sexuelles plus qu'insistantes, des gestes à connotation sexuelle imposés...

Cette évolution préoccupante, en lien avec des comportements mettant en cause la place des femmes dans l'espace public, avait été relayée par la délégation dès 2016 dans un rapport d'information sur les femmes et la laïcité 54 ( * ) .

En mai 2017, la pétition des habitantes du quartier de la Chapelle-Pujol, à Paris 55 ( * ) , a placé cette interrogation sur la disparition des femmes de l'espace public au coeur de l'actualité.

Pour de trop nombreuses femmes, ce qu'elles subissent dans l'espace public va bien au-delà de la « drague lourde » à laquelle les représentations communes réduisent de tels comportements. Ceux-ci, en réalité, mettent en cause leur sécurité . Selon un récent rapport du Centre Hubertine Auclert 56 ( * ) , les franciliennes seraient tout particulièrement exposées aux violences sexistes et sexuelles dans l'espace public, plus fréquemment dans les transports que dans la rue, et la tranche d'âge la plus menacée serait celle des jeunes femmes de 20 à 25 ans.

Faut-il pour autant parler de « harcèlement » ?

Certains des agissements entrant dans la catégorie du « harcèlement de rue » (ou du harcèlement dans les transports qui en est proche) procèdent certes du « harcèlement d'ambiance » dont le code du travail a défini les contours : ils ont une connotation sexuelle , ils sont constitutifs d'une situation intimidante, hostile ou offensante et présentent un caractère dégradant ou humiliant . De surcroît l'insistance de leur auteur semble satisfaire la condition de répétition prévue par la loi.

La notion de harcèlement ne recouvre cependant qu'une partie des comportements qu'il importe aujourd'hui de réprimer ; pour sanctionner ceux-ci, la délégation s'est prononcée, dans le cadre d'un précédent rapport d'information, en faveur de la création d'un délit autonome pour réprimer des agissements qui mettent en cause l'égalité entre femmes et hommes 57 ( * ) .

Ce rapport reviendra ultérieurement sur ce point.

2. Le besoin de statistiques précises traitant spécifiquement les violences faites aux femmes dans leur globalité : l'exemple de l'enquête Virage

La méconnaissance des violences sexuelles tient en effet aussi au manque de statistiques existant sur ce phénomène , bien que plusieurs enquêtes aient été menées depuis 2000 pour mieux appréhender ces violences.

LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES : DIVERS OUTILS STATISTIQUES

Première enquête statistique sur les violences envers les femmes en France, l'enquête Enveff 58 ( * ) avait été réalisée en 2000, à la suite de la Conférence de Pékin en 1995. Afin de cerner le phénomène dans sa globalité, elle portait sur l'ensemble des violences subies par les femmes d'âge adulte- physiques, sexuelles, verbales, psychologiques- dans tous les aspects de leur vie : au sein du couple, dans les relations familiales, au travail ou dans l'espace public.

Depuis 2007, l'enquête annuelle Cadre de vie et sécurité 59 ( * ) est menée par l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONRDP) et l'Institut national des études statistiques et économiques (Insee), en application de la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI) 60 ( * ) . Pour autant, cette enquête concerne un champ beaucoup plus vaste que celui des violences faites aux femmes . Les statistiques qu'elle offre sur ce thème sont donc partielles .

À ces ressources s'ajoute l'enquête sur la sexualité des Français 61 ( * ) , réalisée dans le cadre de l'INSERM auprès de 12 000 personnes par 61 enquêteurs et 13 chercheurs, qui comporte un chapitre sur « Les agressions sexuelles en France : résignation, réprobation, révolte ».

L'enquête Virage a été lancée en 2015 , quinze ans après l'enquête Enveff pour affiner la connaissance des violences faites aux femmes . Effectuée dans le cadre de l'INED, elle porte aussi sur les violences subies par les hommes, l'objectif étant de saisir les multiples formes de la violence et de l'aborder dans une perspective permettant de comprendre la spécificité des violences subies selon le sexe de la victime. Les personnes interrogées sont âgées de 20 à 69 ans.

Enfin, l'organisme européen de statistiques Eurostat met en place, dans la logique de la Convention d'Istanbul, une enquête sur la base des standards internationaux de mesure des violences fondées sur les rapports de genre, ce qui pourrait avoir pour conséquence de faire évoluer la méthodologie de l'enquête CVS 62 ( * ) .

Chacune de ces enquêtes ayant un périmètre spécifique et s'appuyant sur une méthodologie propre, il peut en résulter des écarts significatifs dans les résultats : ainsi l'enquête Virage fait-elle état de 580 000 femmes victimes de violences sexuelles chaque année, alors que pour CVS ce nombre est de 200 000 personnes.

a) Les violences à l'encontre des femmes : des chiffres alarmants

Les premiers résultats de l'enquête Virage , effectuée en 2015 dans le cadre de l'INED, ont été présentés à la délégation le 22 février 2018 par Christelle Hamel, chercheure à l'INED 63 ( * ) . Ils mettent à jour à la fois l' ampleur des violences sexuelles et le fait qu'elles n'ont pas baissé depuis quinze ans .

Par ailleurs, l'enquête Virage fournit des éléments très éclairants sur la répétition et la gravité des faits , et permet d'appréhender les contextes et les âges . Elle fournit aussi des éléments sur les modes de contrainte exercés sur les victimes, ce que l'on peut désigner par l'extorsion du consentement 64 ( * ) . Enfin, elle révèle que les auteurs de violences sont très majoritairement des personnes connues des victimes, et non des marginaux.

Cette enquête, qui porte sur les hommes comme sur les femmes, souligne qu'au cours de sa vie, une femme sur sept et un homme sur vingt-cinq sont victimes d'agression sexuelle (hors harcèlement sexuel et exhibitionnisme).

Parmi les femmes ayant travaillé au cours des douze mois précédant l'enquête, 1,04 % déclarent avoir subi au moins une forme de violence sexuelle : cette proportion représente 0,6 % de l'ensemble des femmes , soit plus de 128 000 femmes .

2,57 % des femmes de 20 à 69 ans déclarent avoir vécu au moins une forme de violence sexuelle au travail , dans les études ou dans l' espace public .

Dans le cadre de relations conjugales , 0,28 % des femmes déclarent avoir subi au moins une forme de violence sexuelle de la part de leur partenaire au cours des douze mois précédant l'enquête.

Enfin, 0,10 % des femmes de 20 à 69 ans déclarent avoir subi au moins une forme de violence sexuelle dans le cadre de leur famille ou de relations avec des proches 65 ( * ) . Au total, 0,43 % des femmes déclarent une forme de violence dans le cadre privé (c'est-à-dire dans le contexte familial ou conjugal au sens large).

Toutes catégories juridiques confondues, les violences sexuelles ont concerné pendant l'année précédant l'enquête 580 000 femmes qui en ont été victimes (197 000 hommes).

Selon les premiers résultats de l'enquête, 14,47 % des femmes de 20 à 69 ans déclarent au moins une forme d'agression sexuelle au cours de leur vie , parmi lesquelles :

- près d'un quart ont été victimes d'un viol ;

- plus d'un sixième, d'une tentative de viol ;

- près d'un tiers, d'attouchements du sexe.

Les viols rapportés par les personnes interrogées sont au nombre de 52 500 pour les femmes (2 500 pour les hommes) soit 0,26 % des femmes interrogées ; le nombre de tentatives de viol s'élève à 37 000 pour les femmes (0,18 % des femmes interrogées) et 1 000 en ce qui concerne les hommes.

L'enquête Virage révèle donc qu'au cours de sa vie, une femme sur 26 est violée, une sur sept agressée sexuellement.

Pour près de 3/5 ème des femmes qui ont été victimes de viol ou de tentative de viol, le premier fait s'est produit avant l'âge de 18 ans (et avant quinze ans pour deux femmes victimes sur cinq) ; 1/7 ème des femmes qui ont été victimes de viol dans le couple l'ont été avant l'âge de 18 ans .

Les violences sexuelles sont donc un phénomène massif , qui concerne une proportion importante de la population, ce qui est le signe d'une tolérance sociale préoccupante à l'égard de ce fléau.

Comme l'a souligné à juste titre Christelle Hamel le 22 février 2018, les statistiques des violences faites aux femmes « présentent l'ampleur des épidémies ».

b) Une méthodologie scientifique laissant peu de prise à la subjectivité des réponses

L'enquête Virage se fonde sur une méthodologie scientifique, avec des techniques d'interrogations fondées sur des questions factuelles et précises, qui ne laissent pas à la personne interrogée de marge d'appréciation sur ce qu'elle a subi et qui ne font pas référence aux notions juridiques que recouvrent les violences, afin d' éviter que l'ignorance de ces concepts affecte les résultats de l'enquête .

Il s'agit là du seul outil de mesure des violences qui soit conforme aux standards scientifiques internationaux définis par la division statistique de l'ONU en la matière.

L'enquête s'appuie sur un questionnaire mené par téléphone , pendant une heure, par 67 enquêtrices et 43 enquêteurs d'un institut de sondage auprès de 27 000 personnes, hommes et femmes, âgés de 20 à 69 ans.

Les 27 000 personnes interrogées par Virage (hommes et femmes, âgés de 20 à 69 ans) constituent un échantillon représentatif de la population résidant en « ménage ordinaire » 66 ( * ) : l'enquête ne prend donc pas en compte les personnes vivant en institution 67 ( * ) .

La phase de collecte des informations a duré neuf mois, de février à novembre 2015.

L'enquête est présentée aux personnes sollicitées pour répondre aux questions comme une enquête sur les « modes de vie, la santé et les situations d'insécurité », afin d'éviter à la personne interrogée de se mettre d'emblée dans la situation d'une victime potentielle, ce qui pourrait influencer ses réponses.

L'intérêt de la méthodologie sur laquelle repose Virage , outre les dimensions satisfaisantes de l'échantillon retenu, est qu'elle guide les réponses :

- de manière à limiter l'incidence de la subjectivité , nécessairement importante quand on aborde des sujets aussi intimes 68 ( * ) ;

- de manière à respecter les catégories juridiques des diverses formes de violences, ce qui n'est pas le cas de la plupart des sondages ;

- et qu'elle supprime l'aléa lié à l'ignorance répandue, auprès du public, du contenu juridique des différentes notions faisant l'objet de cette enquête.

En effet, les enquêteurs utilisent ainsi une terminologie différente du vocabulaire courant . Ils ne recourent pas aux termes de « viol » ou d'« agression sexuelle », qui sont associés à des représentations trop hétérogènes d'une personne à l'autre pour permettre une mesure fiable du phénomène.

C'est pourquoi « l'enquête Virage a fait le choix de [tenter] de se rapprocher des catégories juridiques, et de décrire plus précisément les actes subis par les personnes, afin de mieux inclure les violences subies par les hommes ». « C'est en listant la nature des agressions ou gestes que les personnes ont subis que nous nous rapprochons des catégories juridiques » 69 ( * ) .

À cet égard, Christelle Hamel a mis en garde sur la crédibilité des sondages réalisés sur de petits échantillons constitués par quota 70 ( * ) et auto-administrés par Internet, qui sont moins représentatifs et moins fiables, en laissant une part importante à la subjectivité des personnes interrogées , puisqu'il leur est demandé de définir eux-mêmes la violence qu'ils ont subie : or la méconnaissance de la réalité des différentes formes de violences sexuelles, précédemment évoquée, souligne les limites de l'« auto-classement » sur lequel reposent de nombreux sondages récents, notamment en ligne.

Ainsi, un sondage réalisé par l'Institut Jean Jaurès en février 2018 71 ( * ) sur le viol et les violences sexistes, auprès de 2 167 femmes, suscite-t-il quelques interrogations.

Selon ce sondage, 7 % des femmes déclarent avoir été violées « une fois », mais 5 % l'ont été « plusieurs » ou « de nombreuses fois ». Or selon Virage , la proportion de femmes victimes de viol serait de 0,26 % ; elle serait de 0,01 % pour les hommes (soit 52 400 femmes victimes et 2 700 hommes).

Ces différences tiennent à l'échantillon retenu (27 000 pour Virage ; 2 000 personnes pour le sondage, ce qui induit de plus grandes marges d'erreur) et à la méthode de sélection par quotas, qui permet une moins bonne représentativité que la sélection aléatoire dans une tranche d'âge, méthode utilisée dans l'enquête Virage de l'INED comme dans l'enquête Cadre de vie et sécurité (CVS) de l'INSEE.

De surcroît, le questionnaire de l'Institut Jean Jaurès a été diffusé auprès des personnes interrogées par Internet, sans filtrage de l'enquêteur . Par ailleurs, on note que les méthodes d'interrogation laissent parfois une certaine marge d'interprétation à la personne interrogée , comme le montre les choix suivants :

« Nous allons parler des violences sexistes. Vous personnellement, avez-vous déjà fait l'objet des différents types de violences sexistes suivants : De comportements déplacés ; Propositions dérangeantes ; Insultes ou de remarques à caractère sexiste ; Gestes grossiers à connotation sexuelle ; Caresses ou attouchements à caractère sexuel sans votre consentement ; Messages pornographiques sur Mails ou SMS ; Acte de pénétration sexuelle avec violence, contrainte ou surprise ».

Cette dernière formulation, recourant aux notions de « violence, contrainte, menace ou surprise » prévues par le code pénal, n'est, semble-t-il, pas utilisée dans les enquêtes scientifiques, ce qui rend toute comparaison difficile.

Dans le même esprit, un sondage effectué en octobre 2017 sur les violences sexuelles et le harcèlement 72 ( * ) estimait que « plus d'une femme sur deux (53 %) et plus de six jeunes femmes sur dix (63 %) [avaient] déjà été victimes de harcèlement ou d'agression sexuelle au moins une fois dans leur vie ».

Ce sondage se référait aux réponses auto-déclarées en ligne par un échantillon de 995 personnes 73 ( * ) : il appelle les mêmes remarques que l'exemple précédent.

Ces deux sondages ont coïncidé avec un moment où les violences sexuelles donnaient lieu à un dévoilement massif sur les réseaux sociaux, ce qui pouvait encourager les réponses positives . En revanche, l'enquête Virage a été réalisée avant l'emballement médiatique qui a suivi l'« affaire Weinstein », dans un contexte moins propice à la révélation de violences sexuelles . Il n'est donc pas exclu que l'effet #Metoo se fasse sentir dans les enquêtes scientifiques à venir, dans le sens d'une plus forte déclaration des violences.

c) Le besoin d'analyses statistiques cohérentes dans la durée

L'enjeu des enquêtes telles que Virage dépasse celui de la connaissance statistique du phénomène des violences et de son expansion très inquiétante. Elle contribue en effet à la reconnaissance des victimes . Selon Christelle Hamel, « ENVEFF a permis de sortir de l'ignorance et de la volonté de ne pas savoir. Elle a eu pour effet de contribuer à libérer la parole des victimes . Avec ces statistiques, elles pourront constater qu'elles ne sont pas seules et leur peur de ne pas être crues diminuera ».

La chercheuse a néanmoins regretté les difficiles conditions dans lesquelles a été menée l'enquête , en raison de difficultés budgétaires : « Le travail de préparation de l'enquête Virage s'est avéré compliqué et chronophage en raison de la recherche de financement , et l'enquête aurait pu ne pas voir le jour ».

L'étude n'a pas été aussi complète que ce qui était initialement envisagé et certains dimensions des violences n'ont pas pu être approfondies, ce que Christelle Hamel a regretté : « Nous voulions interroger 35 000 personnes à l'origine, notamment pour obtenir des résultats plus précis sur les femmes migrantes. Leurs effectifs dans l'enquête restent trop faibles pour répondre à toutes nos questions sur le sujet. (...) Outre l'enquête Virage , nous pourrions réaliser de nombreuses enquêtes, notamment sur la population qui arrive dans les services d'urgence des hôpitaux, les femmes qui font une IVG, etc. Ces enquêtes sont réalisées dans d'autres pays, mais ne sont pas menées en France. C'est dommage » 74 ( * ) .

Elle a suggéré la création d'une agence nationale de recherche sur les violences faites aux femmes , ce qui se justifierait en outre par l'ampleur du phénomène : « Nous avons donc besoin d'une agence dotée de moyens, bénéficiant d'un financement interministériel, annualisé. De nombreux domaines sont touchés par ces violences : le travail, la famille, les études, la santé, la police, la justice, etc... Tous les ministères sont concernés » ; « La création d'une telle agence est une recommandation qui, en tant que chercheuse, me semble indispensable », a-t-elle fait observer.

Ce besoin est fortement ressenti dans les territoires ultramarins, comme cela a été exprimé à de nombreuses reprises, au cours de l'audition conjointe organisée le 15 février 2018 par la délégation aux droits des femmes et la délégation sénatoriale aux Outre-mer, sur le rapport du CESE Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer 75 ( * ) .

Le premier axe de recommandations de ce rapport vise précisément à renforcer la connaissance de ces violences , comme l'a alors rappelé Ernestine Ronai, co-rapporteure : « Les éléments statistiques manquent pour certains territoires ; ils sont, par exemple, inexistants en Guyane et à Mayotte. À cet effet, nous proposons que l'enquête Virage sur les violences, menée en Hexagone et, prochainement, en Guadeloupe, à La Réunion et probablement en Nouvelle-Calédonie 76 ( * ) , soit reproduite dans l'ensemble des territoires ultramarins ».

La délégation juge fondamental de disposer de statistiques précises , reposant sur des bases scientifiques et régulièrement actualisées , sur les différentes formes de violences faites aux femmes. Elle estime que les enquêtes comme Virage sont nécessaires pour progresser dans la connaissance et la compréhension des violences faites aux femmes, mais aussi pour favoriser la libération de la parole. Elle souhaite que l'enquête Virage soit étendue à l'ensemble des Outre-mer.

Elle plaide pour une extension systématique des enquêtes existantes sur les violences faites aux femmes à l'enjeu spécifique des violences faites aux femmes en ligne .

Elle recommande la mise à l'étude de la création d'une agence nationale de recherche sur les violences faites aux femmes , pour approfondir la connaissance statistique des différentes formes de violences, sans oublier les territoires ultramarins .

B. DES VIOLENCES SPÉCIFIQUES

Tant par leur nature que par leurs conséquences pour les victimes, les violences à l'encontre des femmes présentent d' importantes spécificités . Ce constat, par ailleurs classique, a été confirmé par toutes les auditions auxquelles la délégation a procédé et ce rapport en rappelle ci-après les principaux aspects.

1. Par leur nature
a) Le profil des victimes et des agresseurs : une différence essentielle par rapport aux violences subies par les hommes

Les enquêtes statistiques comme CVS et Virage révèlent des différences substantielles entre victimes de violences, en fonction de leur sexe :

- les hommes sont généralement sujets aux violences via des affrontements ou bagarres avec des inconnus ;

- les violences faites aux femmes sont le plus souvent des agressions sexuelles , commises dans le cadre familial ou professionnel , par des hommes qu'elles connaissent.

S'agissant plus particulièrement des violences physiques auxquelles sont exposés les jeunes , une étude de l'INSEE portant spécifiquement sur la tranche d'âge de 10 à 25 ans montre des différences importantes entre filles et garçons 77 ( * ) :

- en ce qui concerne les violences physiques enregistrées par la police et la gendarmerie, « pour les garçons , [elles] atteignent un pic autour de quatorze ans suivi d'une légère décrue » ; « pour les filles , après un premier pic à quatorze ans, les violences physiques repartent à la hausse à partir de 18 ans, avec l'apparition des violences conjugales » ;

- quant aux violences sexuelles , l'âge auquel les garçons y sont plus particulièrement exposés est compris entre quatre et huit ans et la proportion de garçons victimes décroît ensuite ; pour les filles , la prévalence augmente entre dix et treize ans ; l'exposition est la plus forte entre treize et quinze ans ; elle décroît lentement entre quinze et dix-sept ans.

b) L'omniprésence de la dimension sexuelle

Un autre constat qui s'est imposé à la délégation tient au fait que les violences sexuelles sont indissociables des violences faites aux femmes .

Ce point est confirmé par les statistiques .

Selon l'enquête Virage , les femmes sont six fois plus souvent victimes de viols et de tentatives de viols que les hommes .

En 2016, parmi les 6 890 personnes majeures et les 7 240 mineur(e)s enregistrés comme victimes de viol par la police et la gendarmerie, les femmes représentent la très grande majorité (84 %) :

- 93 % des majeurs ;

- 80 % des mineurs 78 ( * ) .

L'étude de l'INSEE précitée sur les jeunes victimes de violences montre que « Les filles sont nettement surreprésentées parmi les victimes de violences sexuelles : 88 % des victimes [...] » 79 ( * ) .

De surcroît, ces violences, quand les femmes en sont victimes, concernent tous les âges de la vie , alors que les hommes sont menacés par les violences sexuelles dans l'enfance. À cet égard, le Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol , a évoqué deux cas limites de viol lors de son audition par la délégation 80 ( * ) : une petite fille de deux jours et une victime âgée de 80 ans ...

Ces violences menacent par ailleurs les femmes dans tous les espaces de leur vie : dans leur foyer, à l'école, au travail, dans la rue et les transports...

Quant à la menace de viol , elle est très courante à l'encontre des femmes, même en dehors du contexte strictement sexuel, comme l'a montré la situation de la journaliste victime d'un « raid » sur Internet, après avoir dénoncé le sexisme d'un site de jeu en ligne.

Les cyber-violences sont très éclairantes de la dimension sexuelle latente dans toute violence faite aux femmes , comme l'a souligné le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) 81 ( * ) dans un récent avis consacré au harcèlement sexiste et sexuel en ligne 82 ( * ) . Ce rapport reviendra ultérieurement sur cet aspect spécifique des violences faites aux femmes.

La diffusion - ou la menace de diffusion - de vidéos ou de photos à caractère privé sur les réseaux sociaux est devenu un élément du quotidien de nombreuses jeunes filles et femmes, comme ont pu le constater plusieurs membres de la délégation au cours d'une visite au pôle judiciaire de la Gendarmerie nationale, à Pontoise 83 ( * ) . Le rapport du HCE souligne combien les jeunes filles, entre quinze et dix-huit ans, sont spécifiquement exposées à ce type de violence .

Le chantage sexuel , qui est l'un des aspects du harcèlement, existe aussi dans le cadre scolaire , comme le relève un reportage récent sur la situation des jeunes filles dans les établissements scolaires, qui cite la tentative de suicide d'une adolescente d'à peine plus de douze ans ainsi menacée par un garçon : « Si tu ne couches pas avec moi, je dis à tout le monde que tu l'as fait » 84 ( * ) . Dans la même logique, les jeunes filles insultées sur les réseaux sociaux pour avoir « refusé les avances d'un camarade » ne sont malheureusement pas rares, comme le rappelait une analyse du harcèlement sexuel dans les collèges et lycées publiée par Le Monde 85 ( * ) . Or on connaît le poids de la pression qui pèse tout particulièrement dans les collèges du fait de l'importance, pour les filles, de leur réputation.

Ce constat fait partie des raisons pour lesquelles la délégation rappelle inlassablement l'importance cruciale de la prévention de ces comportements, notamment grâce à l'éducation à la sexualité et à l'égalité, dès le plus jeune âge.

c) L'inversion de la culpabilité aux dépens de la victime

Selon le Docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre, entendue par la délégation le 30 novembre 2017, « dans toutes les situations violentes, il y a une inversion de la culpabilité , toujours assumée par la victime » 86 ( * ) , dans une logique de contrôle social : la victime « l'a bien cherché », elle a « provoqué » son agresseur. Celui-ci se trouve dédouané de toute responsabilité par le comportement de sa victime Pourquoi a-t-elle bu ? », « Que faisait-elle si tard seule dans la rue ? »), ou sa tenue vestimentaire Elle l'a allumé, avec sa robe courte et ses hauts talons » ; « Quand on se maquille comme ça, on va au-devant des ennuis »).

Ce transfert de responsabilité mérite qu'on s'y arrête, car il semble spécifique aux violences sexuelles faites aux femmes. Comme le relevait Susan Brownmiller 87 ( * ) dans sa réflexion pionnière sur Le viol , à propos des « juges américains acquittant systématiquement les violeurs si la victime était en minijupe ou ne portait pas de soutien-gorge », cette représentation du viol centrée sur la responsabilité de la victime tient à la « volonté que les femmes conservent une mentalité de victime » 88 ( * ) .

L'inversion de culpabilité associée au viol va de pair, dans notre société, avec un niveau de tolérance anormalement élevé tant pour les violences faites aux femmes que pour les violences sexuelles.

Parmi les représentations courantes du viol contribuant à sa banalisation , les clichés suivants contribuent à faire de ce crime une fatalité inévitable , à excuser l'agresseur et à imputer son crime à la victime 89 ( * ) :

- seraient plus particulièrement menacées les filles aguichantes (pourtant, le viol concerne toutes les femmes, quels que soient leur apparence physique, leur âge ou leur milieu) ;

- le viol serait causé par la misère sexuelle et par les pulsions sexuelles irrépressibles des hommes (le Docteur Emmanuelle Piet a au contraire insisté, lors de son audition, sur la stratégie de l'agresseur qui choisit sa victime et élabore un « scénario » 90 ( * ) , comme l'a illustré entre autres exemples l'« affaire de Pontoise ») ;

- le viol serait un phénomène marginal , imputable à des agresseurs inconnus agissant dans une rue sombre (or si l'on se réfère aux 52 500 femmes victimes d'un viol chaque année selon l'enquête Virage , ce crime concerne en France 143 femmes adultes par jour ; encore ce chiffre ne correspond-il pas à la totalité des victimes puisque cette enquête concerne les tranches d'âge 20-69 ans) ;

- la sexualité des femmes serait passive , dépendante des initiatives des hommes ; leur consentement serait relatif : comme l'a rappelé Laurence Rossignol lors de son audition, le 23 novembre 2017, à propos de la manière dont le cinéma aborde la question du consentement, « de nombreux films mettent en scène un homme qui passe outre le consentement d'une femme. Pourquoi s'en priverait-il ? Pour autant qu'il soit suffisamment convainquant, la femme se laisse convaincre et finalement elle a l'air très contente ! » 91 ( * ) .

Cette inversion de la culpabilité est également présente dans les violences conjugales . Elle est particulièrement bien intégrée par les victimes, souvent convaincues qu'elles sont responsables des pulsions violentes de leur compagnon . Cette conviction est ancrée dans les représentations sociales, au point qu'un reportage récent la cite à propos d'une très jeune victime de violences au sein de couples dits non-cohabitants , une dimension encore relativement peu connue des violences conjugales : « J'pense [que mon père] n'était pas assez rassuré par ma mère. Comme Youssef, c'est aussi moi qui le rassure pas, c'est aussi un peu d'ma faute, tu crois pas ? » 92 ( * ) .

2. Un coût humain et social très élevé
a) Des conséquences très graves pour les victimes

Les conséquences des violences sont terribles pour les victimes. Elles affectent aussi bien leur santé - physique et psychologique - que leur intégration sociale et professionnelle.

(1) Une limitation de leurs libertés

Le rapport du HCE sur le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports 93 ( * ) a mis en évidence la nécessité où se trouvent les femmes de modifier leurs habitudes « pour diminuer les risques d'exposition à ces violences », qu'il s'agisse de leurs horaires , de leur itinéraire , de leur comportement (éviter de croiser le regard des hommes, ne pas s'asseoir à côté d'hommes, faire semblant de parler au téléphone pour éviter d'apparaître seule) ou de leurs choix vestimentaires (vêtements « neutres », « tenue moins féminine » excluant talons et jupe).

Le rapport précité du HCE sur le harcèlement sexuel et sexiste en ligne rapporte une logique similaire d'autocensure liée au cyber-harcèlement 94 ( * ) .

Les violences faites aux femmes ont donc des conséquences sur leur liberté, en les contraignant à adapter leur comportement pour limiter les risques d'agression.

(2) Une altération durable de leur santé
(a) Des souffrances psychologiques considérables

La Mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineur.e.s a mis en évidence les conséquences de ces violences sur la santé psychique et physique des victimes à court, moyen et long termes. Elle relève que « près de 50 % des victimes de viol ou de tentative de viol déclarent avoir subi des blessures physiques, qu'elles soient visibles ou non, et 76 % des victimes affirment que cette agression a causé des dommages psychologiques plutôt ou très importants ».

Ce constat vaut pour toutes les violences subies par les femmes, qui causent à leurs victimes des souffrances psychologiques considérables. Comme les violences sexuelles subies pendant la jeunesse, ces violences sont régulièrement cause de conduites addictives , de troubles anxio-dépressifs et de tentatives de suicide . Elles augmentent par ailleurs le risque de développer des maladies liées au stress .

Ces conséquences très préoccupantes avaient été exposées à la délégation en 2015 par le Docteur Muriel Salmona, psychiatre et spécialiste du psycho-trauma, dans le cadre de la préparation du rapport 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales 95 ( * ) .

Plusieurs des personnalités auditionnées par la délégation en vue de l'élaboration du présent rapport ont souligné la gravité des conséquences psychologiques qui affectent les victimes de violences, notamment lorsqu'elles se produisent dans le cadre familial : isolement, perte de confiance et d'estime de soi, honte, incapacité à se défendre, voire stress post-traumatique. Comme l'a souligné le Docteur Emmanuelle Piet lors de son audition, à propos de 54 200 témoignages téléphoniques reçus par le Collectif féministe contre le viol de la part de victimes : « Nous constatons une volonté de nuire, d'anéantir le libre arbitre et de nier la personne ». La gravité de ces souffrances est extrême : « Je n'ai encore jamais rencontré de victime de viol qui n'ait pas eu, à un moment donné, le sentiment qu'elle allait mourir », a rapporté la présidente du Collectif féministe contre le viol 96 ( * ) .

Ces souffrances psychologiques sont aggravées par l'isolement de la victime, opéré par la stratégie de l'agresseur .

Cet isolement tient d'abord au silence dans lequel l'agresseur enferme sa victime en la terrorisant, comme l'a rappelé de manière éclairante le Docteur Emmanuelle Piet lors de son audition : « Si tu parles, ta mère se suicidera et ta famille sera brisée ; Si tu parles, tu te retrouveras nue sur Facebook ». Ce silence, qui lui garantit l'impunité , est lié à la honte qu'il fait peser sur la victime, indissociable de la souffrance de celle-ci.

De manière générale, l' emprise qu'exerce l'auteur de violences sur sa victime a été commentée devant la délégation par le Docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre, s'agissant plus particulièrement du contexte conjugal : le processus commence par « une étape de séduction pendant laquelle il va solliciter les instincts protecteurs de la femme en se posant en victime afin d'attirer sa bienveillance » ; puis surviennent les propos méprisants et dévalorisants , destinés à saper la confiance en soi de la victime. L'objectif est parallèlement d' isoler celle-ci, en lui faisant quitter son travail, en la privant progressivement de toute vie sociale. Dans le cadre des violences au sein des couples, ce processus d'isolement assure de surcroît à l'auteur de violences la dépendance économique de la victime.

Ces étapes successives de l'emprise conduisent la femme à considérer que ce qu'elle vit est normal . Ses repères sont brouillés par une communication « perverse », qui consiste à dire une chose et son contraire (« je t'aime ; tu es nulle »), à faire espérer à la victime que les choses vont s'arranger.

En ce qui concerne plus particulièrement le viol , le syndrome post-traumatique est une conséquence malheureusement répandue de ce crime. Selon le Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol , « 80 % des victimes de viols présentent de tels syndromes, alors que le taux est de 40 % après un attentat ». Elle jugerait souhaitable d'étendre la prise en charge des soins psychologiques des victimes de violences sexuelles aux consultations des psychologues, sans la limiter aux consultations des psychiatres.

Dans le même esprit, Sandrine Rousseau a regretté, lors de son audition, une prise en charge insuffisante des soins psychologiques nécessités par le suivi des victimes d'agressions sexuelles . Elle a déploré que les victimes soient bien souvent dans l'incapacité de se faire suivre, ce qui aggrave encore leur isolement. Elle suggère donc de permettre aux femmes qui déposent plainte le remboursement à 100 % des soins, notamment psychologiques, liés à leur agression, au moins jusqu'à ce que la justice ait statué 97 ( * ) .

Le Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol , a de surcroît recommandé, lors de son audition, d 'améliorer la recherche sur le psycho-trauma , pour mieux prendre en compte les conséquences des violences sexuelles pour la société dans son ensemble.

Comme l'a fait remarquer à la délégation Laurence Rossignol lors de son audition du 23 novembre 2017 : « Le nombre insuffisant de praticiens formés pour traiter les épisodes psycho-traumatiques est apparu patent après les récents attentats de masse. Un groupe de travail du ministère de la Santé travaille sur cette question et doit faire des propositions à l'assurance-maladie pour examiner l'extension de la prise en charge à 100 % à vie au profit de l'ensemble des adultes victimes de violences sexuelles , comme cela existe pour les enfants victimes de violences sexuelles, pris en charge dans le cadre d'ALD (affection de longue durée) pour les pathologies relevant du traitement des violences sexuelles qu'ils ont subies ».

La délégation relève que le Haut conseil à l'égalité a préconisé une telle recommandation dans son avis sur le viol de 2016, mais qu'elle n'a pas été suivie d'effet à ce jour.

À cet égard, la délégation prend acte avec intérêt des annonces faites par le Président de la République le 25 novembre 2017 en vue de la mise en place, dès 2018, de dix unités pilotes spécialisées dans la prise en charge globale du psycho-trauma dans les centres hospitaliers , où les soins seraient pris en charge par la Sécurité sociale .

Préoccupée par la nécessité de favoriser la reconstruction des victimes par un accompagnement psychologique adapté , la délégation :

- plaide pour une prise en charge à 100 % des soins psycho-traumatiques liés aux violences sexuelles , pour les victimes majeures, comme cela existe déjà pour les victimes de terrorisme et pour les mineurs victimes de violences sexuelles ;

- souhaite que l'annonce de la mise en place d' unités pilotes spécialisées dans le psycho-trauma , le 25 novembre 2017, soit rapidement suivie d'un déploiement concret , y compris dans les Outre-mer .

Les souffrances psychologiques ne sont pas atténuées, loin s'en faut, par un parcours judiciaire que tous les interlocuteurs de la délégation s'accordent à considérer comme long 98 ( * ) , pénible et aléatoire pour les victimes , a fortiori parce qu'un procès implique la perspective effrayante de rendre publique leur humiliation , comme l'a rappelé le Docteur Marie-France Hirigoyen lors de son audition.

En outre, les victimes se heurtent aux exigences probatoires de la procédure pénale , comme l'a relevé avec lucidité le procureur de Paris lors de son audition par la délégation : « Le parcours judiciaire de la victime ne sera jamais facile. On peut s'attacher à le faciliter, mais il ne sera jamais facile pour autant (...). Toute parole, dans le cadre d'une procédure, a vocation à être contestée par la personne accusée » 99 ( * ) . Le sentiment d'être trahie par l'institution judiciaire, de voir sa parole mise en doute, n'est bien évidemment pas de nature à aider les victimes à se reconstruire.

Ce rapport reviendra ultérieurement sur ce point.

(b) Une santé physique souvent dégradée

Les conséquences physiques des violences sont également très sérieuses : perte ou prise de poids, perte de cheveux, troubles dermatologiques graves...

Lors de son audition, le 7 décembre 2017, Marie Pezé, psychologue spécialiste du harcèlement et des souffrances au travail, s'est référée à l'enquête Sumer 100 ( * ) qui montre que les comportements humiliants et hostiles tels que le harcèlement sexuel ou le sexisme ordinaire affectent majoritairement les femmes et déclenchent chez elle, outre des syndromes anxio-dépressifs, des pathologies spécifiques . Elle a fait valoir le fait que 30 % des femmes en situation de violences au travail présentaient des pathologies d'ordre gynécologique , « ce qui est un chiffre colossal » 101 ( * ) . À cet égard, elle a regretté que la santé au travail soit insuffisamment prise en compte dans le cadre des études de médecine.

Par ailleurs, elle a déploré l' insuffisance du nombre de consultations relatives aux souffrances au travail (130 actuellement en France), en lien avec un maillage territorial qu'elle a jugé perfectible. Elle a estimé que les progrès effectués à l'égard du suivi de l'épuisement professionnel devraient étendre les dispositifs concernés à la prise en charge des agressions sexuelles dans le milieu professionnel, pour autant que les médecins-conseils y soient formés.

Elle a par ailleurs jugé souhaitable d' améliorer l'information sur les consultations de souffrance au travail et a estimé que le ministère du Travail et le ministère de la Santé devraient afficher sur leurs sites Internet la liste des consultations disponibles sur tout le territoire .

(3) Une intégration sociale et économique menacée

Les conséquences des violences sur les victimes ne se limitent pas à leur santé physique et mentale. Le décrochage scolaire, ou la perte de leur emploi, menace souvent les victimes de violences, que leur santé dégradée empêche dans de nombreux cas de poursuivre leurs études ou une activité professionnelle , avec un risque accru de précarité .

Le rapport de La Mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineur.e.s a ainsi relevé les conséquences des violences sexuelles subies dans la jeunesse sur la scolarité et le travail des victimes, « puisqu'elles ont des conséquences négatives significatives sur l'apprentissage et les capacités cognitives, avec notamment des troubles sévères de l'attention ».

Auditionnée dans le cadre du rapport d'information de Marta de Cidrac et Maryvonne Blondin sur les mutilations génitales féminines 102 ( * ) , le Docteur Ghada Hatem, gynécologue, fondatrice de La Maison des femmes de Saint-Denis, relevait lors de son audition par la délégation, le 14 décembre 2017, que la dégradation des résultats scolaires d'une adolescente pouvait faire partie des premiers signaux d'alerte pour la communauté éducative .

Ce constat excède largement l'excision, qui fait partie des consultations proposées par La Maison des femmes de Saint-Denis.

S'agissant du harcèlement scolaire , qui revêt à l'égard des jeunes filles des dimensions spécifiques (chantage sexuel, menace sur la réputation, diffusion sur les réseaux sociaux de photos à connotation sexuelle...), les observateurs remarquent une baisse sensible des résultats des très jeunes victimes, plus particulièrement quand le cyber-harcèlement attente à leur dignité et à leur réputation en ligne .

Quant aux conséquences professionnelles des violences subies par les victimes de harcèlement sexuel ont été qualifiées de « catastrophiques » par le Docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre : « Les femmes, en général, perdent leur travail. Leur état de fragilité les empêche souvent d'ailleurs d'en retrouver un ». Elle a assimilé les violences à une véritable « perte de chances » pour les victimes, notant que ces dernières sont « cassées dans leur développement personnel », les humiliations qu'elles ont subies restant « ancrées dans leur mémoire » 103 ( * ) .

Pour Marie Pezé, psychologue, spécialiste du harcèlement et des souffrances au travail, entendue le 7 décembre 2017, le traumatisme vécu par les victimes atteint leurs capacités mentales : « les bilans neuropsychologiques des femmes en état d'épuisement professionnel attestent de capacités intellectuelles définitivement altérées , le fonctionnement cérébral de femmes brillantes issues des plus grandes écoles étant définitivement amoindri, certaines n'arrivant même plus à renseigner des formulaires de Sécurité Sociale, non pas en raison d'une dépression, mais parce que leurs capacités de concentration et de logique sont définitivement entamées : elles ne pourront vraisemblablement jamais retrouver du travail ».

La dégradation de la situation économique et sociale des victimes a, elle aussi, été soulignée dans le rapport d'information précité sur les mutilations sexuelles féminines : lors de son audition par la délégation, la directrice de Women Safe - Institut en santé génésique , centre pionnier de prise en charge des victimes d'excision et lieu d'accueil pluridisciplinaire des femmes victimes de violences, faisait observer :

- que l'un des points d'entrée à l'institut était l'hébergement d'urgence et que 49 % de ses patientes n'étaient couvertes que par l'Aide médicale d'État (AME) ;

- et que la précarité sociale caractérisant de nombreuses patientes faisait obstacle à leur parcours de soins et à leur intégration 104 ( * ) .

Ce rapprochement confirme que les violences faites aux femmes s'inscrivent dans un parcours global où l'on rencontre les insultes et le dénigrement, les violences intrafamiliales, le harcèlement, le viol, y compris le viol conjugal et pour certaines femmes, le mariage précoce et forcé, les mutilations sexuelles, la traite des êtres humains, la prostitution forcée et la « prostitution de survie » 105 ( * ) . Ce constat valide la notion de continuum des violences faites aux femmes dénoncé par les acteurs de la lutte contre ce fléau.

b) Le coût des violences pour la collectivité : une dimension ignorée

Les violences faites aux femmes induisent un coût très significatif, quoique mal connu, pour la collectivité .

La question du coût des violences faites aux femmes a été posée devant la délégation par le Docteur Emmanuelle Piet, à partir des constats qu'elle a pu faire dans le cadre du Collectif féministe contre le viol (CFCV) : « En étudiant le devenir de ces femmes victimes de viol à partir des appels qu'elles nous adressent, nous avons constaté que 10 à 15 % d'entre elles finissaient par souffrir d'un handicap les empêchant de travailler. Il faut donc mesurer le coût humain et social très important des violences sexuelles » 106 ( * ) .

Dans le même esprit, cet aspect a été relevé par Dominique Rivière au cours de la présentation du rapport du CESE sur les violences faites aux femmes dans les Outre-mer 107 ( * ) : « Les violences faites aux femmes représentent, évidemment, un gâchis humain pour les victimes, leurs enfants et les auteurs : elles ont également un coût économique , du fait notamment des pertes d'emplois et du versement des réparations , que plusieurs études ont tenté de mesurer. Voilà un argument supplémentaire pour lutter contre ce phénomène, si son caractère humainement inacceptable ne suffisait pas... » 108 ( * ) .

Un raisonnement similaire a été appliqué par Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), aux conséquences économiques des violences subies par les femmes, du sexisme au viol, en tant que frein à l'égalité professionnelle : « Les stéréotypes de sexe ne créent pas en eux-mêmes les inégalités, mais ils les légitiment en les rendant invisibles et naturelles. Ils peuvent aboutir à un traitement différencié des hommes et des femmes, c'est-à-dire à un système discriminatoire appelé le sexisme » 109 ( * ) .

Diverses études confirment ces intuitions.

Une étude de France Stratégie de septembre 2016 consacré au Coût économique des discriminations 110 ( * ) a étudié l'incidence considérable des discriminations et des inégalités professionnelles dont le coût global s'élèverait, selon cette étude, à 150 milliards d'euros environ 111 ( * ) .

Un rapport du HCE de septembre 2016 estimait pour sa part le coût des violences faites aux femmes à 2,5 milliards d'euros par an 112 ( * ) .

En 2015, le coût des violences au sein des couples et de leurs incidences sur les enfants avait été évalué à 3,6 milliards d'euros , pour l' année 2012 , par une étude de chercheurs du Centre d'études européen de Sciences Po, du Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques de Sciences Po, du Centre d'études pour l'emploi et de l'Observatoire national de protection de l'enfance. Encore s'agissait-il, selon les chercheurs, d'une hypothèse basse.

Selon cette étude, les seuls coûts directs s'élèveraient à 775 millions d'euros par an : il s'agit des dépenses médicales , de police et de gendarmerie , ainsi que le recours aux aides sociales . Au sein de cet ensemble, la santé représenterait une dépense annuelle de 290 millions d'euros ; les prestations sociales - arrêts de travail, allocations pour parent isolé, etc. - seraient de 229 millions d'euros par an.

Quant aux coûts indirects , ils sont liés au « manque à gagner » pour la société, en raison des périodes pendant lesquelles ni la victime ni l'agresseur, pour des raisons différentes, ne peuvent travailler. Plus difficiles à apprécier, ces coûts sont estimés par ces chercheurs à 2,8 milliards d'euros annuels 113 ( * ) .

La délégation n'est pas en mesure d'apprécier la pertinence scientifique des évaluations précédemment citées des coûts, directs et indirects, des violences faites aux femmes. Il serait certainement utile de procéder à une nouvelle expertise économique du coût lié, pour notre pays, aux violences faites aux femmes, dans toutes leurs dimensions .

Ce constat d'un coût important, pour la société, des violences, n'est pas propre à la France.

Selon une analyse de la Banque mondiale 114 ( * ) , qui date de 2013 mais dont on peut penser que les constats sont toujours valables, « Le moment est venu d'établir que cette forme de violence touche non seulement aux droits humains et à la santé publique, mais qu'elle compromet aussi l'économie et le développement , en ralentissant la croissance et en sapant les efforts de réduction de la pauvreté ». D'où l'intérêt de la Banque mondiale pour les travaux qui visent à mesurer le coût réel de la violence, « en tenant compte de toutes ses dimensions : la douleur et les souffrances qu'elle génère mais aussi le fardeau qu'elle fait peser sur les systèmes de santé et d'autres services publics, la charge pour la justice , les pertes en salaire et en productivité ou encore ses répercussions sur les prochaines générations ».

Une étude réalisée en Australie en 2000, citée par la Banque mondiale, est éclairante : le coût annuel des violences domestiques y était estimé à 8,4 milliards de dollars. Le même document de la Banque mondiale fait état, pour le Chili , d'une estimation de la seule « perte de capacité productive des femmes » à 1,7 milliards de dollars par an. Enfin, selon une étude de l'agence ONU Femmes datant de février 2013, le coût des violences domestiques au Vietnam équivaudrait à environ 1,7 % du PIB 115 ( * ) .

La délégation est convaincue que les moyens qui doivent impérativement être consacrés à la lutte contre les violences faites aux femmes ne sauraient être appréciés à l'aune de la contrainte budgétaire , et que la lutte contre ces violences doit faire l'objet d'un effort décisif .

Elle souhaite qu'il soit procédé à une analyse précise des conséquences économiques de l'ensemble des violences faites aux femmes , comportant le chiffrage de leurs coûts directs et une estimation de leurs coûts indirects . Elle demande que les conséquences budgétaires en soient tirées pour garantir des moyens à la hauteur des besoins .

C. UNE ORIGINE COMMUNE : LA CONVICTION DE L'INFÉRIORITÉ DES FEMMES ET LA NÉCESSITÉ DE SA PRÉVENTION PAR L'ÉDUCATION, DÈS LE PLUS JEUNE ÂGE

1. Une préoccupation pour la délégation : la banalisation du sexisme

Un autre constat mis en lumière par les auditions de la délégation tient au processus continu des violences faites aux femmes , depuis l'agissement sexiste qui en constitue le terreau, et qui tient à des propos ou gestes destinés à humilier les femmes, jusqu'au harcèlement sexuel et au viol.

a) Des comportements répandus mettant en cause l'égalité entre femmes et hommes

Qu'il s'agisse des violences conjugales, des injures, des violences sexuelles, des comportements relevant du harcèlement sexuel (au travail, en ligne, dans le cadre scolaire, dans la rue...), les violences dont sont victimes les femmes, dans tous les milieux, à tous les âges et dans toutes les circonstances de la vie, y compris dans leur couple, relèvent d'une conviction partagée par leurs auteurs :

- que les femmes sont quantité négligeable et, surtout, que leur corps n'a pas à être respecté et qu'il est à la disposition des hommes ;

- que les violences commises à l'encontre des femmes ne sont « pas si graves ».

Plusieurs des personnes entendues par la délégation ont insisté sur ce point, notamment le Docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre. Selon elle, toutes les violences sont liées , qu'elles soient physiques, sexuelles ou psychologiques , qu'elles soient commises au sein de la famille ou à l'extérieur du foyer .

Une manifestation commune à ces violences réside dans la banalisation d'attitudes sexistes et la non-reconnaissance de leurs conséquences sur les victimes. Celle qui regimbe « n'a pas d'humour », c'est généralement elle la fauteuse de trouble, et non celui qui attente à sa dignité .

Les affaires Baupin puis Weinstein ont encouragé les femmes à partager leurs expériences de sexisme ou de misogynie ; leurs témoignages illustrent clairement combien l'ambiance sexiste - au travail, dans la rue ou dans le couple - est toxique, et à quel point elle peut encourager des comportements de harceleur, voire de prédateur .

Le florilège ci-après est emprunté à des plates-formes participatives où des femmes partagent des « perles » de collègues, de supérieurs hiérarchiques, d'enseignants, voire de leurs ex-partenaires (ces exemples ont été choisis parmi les rares qui ne comportent pas de terme excessivement grossier) :

Dans le couple 116 ( * ) :

- « Je fais ça parce que je t'aime » ;

- « Sans moi tu n'es rien » ;

- « J'ai tous les droits sur ta fille et toi ».

En milieu hospitalier 117 ( * ) :

- « Alors l'externe, tu es plutôt tanga ou string ? » ;

- « Qui se désigne pour être mon cadeau ? Bon, pas toi parce qu'il doit y avoir des toiles d'araignées et de la poussière là-dessous » (à propos d'une infirmière jugée trop âgée).

À l'université 118 ( * ) :

- « À votre âge, votre cerveau n'a pas fini de se développer, c'est plus long chez les femmes. Vous n'avez tout simplement pas ce qu'il faut pour faire une thèse » (de la part d'un maître de conférences en sciences économiques) ;

- « Si les femmes restaient à la maison il y aurait moins de chômage » (cours d'économie, première année de licence) ;

- « Les filles de toute façon, vous ne finirez pas votre cursus. Vous allez tomber enceintes et laisser tomber vos études par la même occasion » (enseignement de biologie cellulaire) ;

- « Tout ce que vous avez à savoir, c'est additionner et soustraire pour acheter le poisson au marché » (première année de licence d'histoire).

Au travail 119 ( * ) :

- « Ce ne sera pas facile, mais si ça l'était, les femmes pourraient le faire » (de la part du responsable, au cours d'une réunion de chantier à laquelle assiste une seule femme) ;

- « Mais un bisou c'est rien, pourquoi tu veux pas que je t'embrasse? Bisou, c'est pour le plaisir... Les femmes sont nées pour le plaisir » ;

- « Habille-toi plus sexy la prochaine fois, montre tes seins aux clients un peu! » ;

- « C'est toi la responsable commerciale sur ce projet? Notre seule chance de gagner l'affaire, c'est que tu mettes un double Wonderbra » ;

- « Elle est moins bonne que l'autre mais elle a plus de connaissances, tant pis » (entendu par une salariée juste embauchée, à propos de sa concurrente).

Cette imprégnation sexiste facilite insidieusement l'acceptation des femmes qui n'osent pas réagir , et encourage aussi la tolérance de la société à l'égard de violences généralement minimisées.

C'est un point sur lequel a insisté Laurence Rossignol au cours de son audition devant la délégation, le 23 novembre 2017 : « L'une des spécificités des violences faites aux femmes est ce continuum menant des violences sexistes quotidiennes au meurtre : c'est bien un ensemble de représentations dans lesquelles les violences sexuelles ou psychiques sont banalisées ou qui mettent en scène des femmes dans des situations dégradantes , qui permettent à la ? culture du viol ? de prospérer ».

De façon imagée et très éclairante, le Docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre, entendue par la délégation le 30 novembre 2017, compare l'ensemble des violences faites aux femmes à un iceberg : « il y a eu un temps où l'on ne parlait que des violences physiques, des femmes qui étaient tuées par leur compagnon. Mais si l'on veut prévenir les violences, il faut se situer en amont et être en mesure de repérer les situations préalables à l'émergence de violences physiques (...) La partie émergée de l'iceberg est donc constituée par les homicides et les violences physiques : c'est ce qui se voit . Les violences psychologiques ne sont pas toujours identifiées car elles sont limitées à un espace déterminé (le travail, par exemple, ou la famille) et elles répondent à une définition floue (...). Dans la partie immergée de l'iceberg, il y a le sexisme et les inégalités , qui ne sont pas qualifiables de violences à proprement parler et qui ne sont pas pris au sérieux par les auteurs : "je voulais plaisanter", disent-ils. À la base de la violence, il y a la capacité de la désigner comme telle, de la nommer. Or le sexisme crée un climat qui amène à accepter un geste déplacé et à le considérer comme normal. Mais il faut en avoir conscience : le sexisme prépare le terrain à d'autres violences ».

Ce constat a été partagé par Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle (CSEP), qui a rappelé au cours de son audition, le 7 décembre 2017 : « le sexisme ordinaire crée un terreau favorable aux dérives en tous genres ».

Lors de la visite de la délégation dans les locaux parisiens de la Fédération nationale Solidarité Femmes , le 17 mai 2018, les responsables de l'association ont évoqué la conception des femmes qui se révèle lors des stages destinés à la responsabilisation des auteurs de violences conjugales , au cours desquelles elles sont conduites à intervenir. Ces hommes assument une vision très rétrograde du rôle des femmes et de leur place dans la société, nient l'égalité entre les sexes et minimisent la violence dont ils ont été reconnus coupables.

Ce point confirme, lui aussi, l'importance de la prévention des stéréotypes sexistes, dès le plus jeune âge, comme cela a été mentionné précédemment.

Dans son ouvrage Le sexisme au travail, fin de la loi du silence ? 120 ( * ) , Brigitte Grésy montre l'impact du sexisme ordinaire sur les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes et la continuité qui peut exister de la remarque sexiste au harcèlement, puis au viol. Selon elle, « le sexisme au travail s'entend de toute croyance qui conduit à considérer les personnes comme inférieures à raison de leur sexe ou réduites essentiellement à leur dimension sexuelle, et de tout geste, propos, comportement ou pratique, fondés sur une distinction injustifiée entre les personnes en raison de leur sexe, et qui entraîne des conséquences préjudiciables en termes d'emploi, de conditions de travail ou de bien-être . Il inclut des actes allant du plus anodin apparemment, à la discrimination fondée sur le sexe, au harcèlement sexuel, sexiste ou moral motivé par le sexe de la personne, à l'agression sexuelle, la violence physique, le viol ».

Dans cet esprit, Brigitte Grésy estime que « l'égalité professionnelle doit aujourd'hui être traitée par des politiques structurelles sur l'embauche et la formation, mais aussi en agissant sur la culture symbolique du sexisme » 121 ( * ) .

Ces remarques confirment que la lutte contre les violences faites aux femmes est un prérequis de l'égalité femmes-hommes.

b) Le poids du sexisme dans les violences scolaires

Les violences scolaires sont un phénomène désormais mieux connu, même si ses conséquences spécifiques pour les filles n'ont été envisagées que récemment . Un premier rapport, élaboré en 2011, n'abordait pas particulièrement cette dimension. Selon Amandine Berton-Schmitt, chargée d'étude au centre Hubertine Auclert 122 ( * ) , en ce qui concerne les violences à l'école, « On est encore un peu prisonnier de notre universalisme : au nom d'une école de la République une et indivisible, on a du mal à assumer une approche discriminée ente les sexes » 123 ( * ) .

LE HARCÈLEMENT SCOLAIRE : QUELQUES DÉFINITIONS

Selon une première enquête réalisée en 2011 sur le harcèlement scolaire 124 ( * ) , qui ne s'appuyait pas sur une approche différenciant les filles des garçons , le harcèlement scolaire concernait 14 % des élèves dans ses formes « verbales et symboliques » et 10 % dans ses formes physiques, 11,7 % des élèves cumulant violences physiques et verbales répétées à l'école.

Cette analyse relevait :

- une stratégie des auteurs fondée sur la violence, l'intention de nuire, la répétitivité et l'isolement de la victime (l' ostracisme est ainsi une dimension extrêmement courante du harcèlement scolaire) ;

- le choix de victimes stigmatisées pour leur apparence physique (poids, taille, couleur des cheveux), leur sexe ou identité de genre (garçons jugés efféminés, etc.), leur appartenance à un groupe social particulier ou des centres d'intérêt différents.

Le rapport identifiait donc une « violence répétée, verbale, physique ou psychologique, perpétrée par un ou plusieurs élèves à l'encontre d'une victime qui ne peut se défendre, en position de faiblesse, l'agresseur agissant dans l'intention de nuire à sa victime ».

Il soulignait aussi le rôle des nouvelles technologies de la communication dans l'aggravation de ces comportements, le cyber-harcèlement « abolissant la distinction entre harcèlement à l'école et poursuite de ce harcèlement hors l'école ».

Ce rapport relevait par ailleurs les conséquences scolaires du harcèlement sur les victimes , principalement à travers des fonctions cognitives altérées par ces violences.

Certes, les violences en milieu scolaire ne constituent pas un phénomène massif . L'enquête sur le climat scolaire rendue publique le 21 décembre 2017 fait ainsi état de 94 % d'élèves affirmant se sentir bien dans leur collège, plus particulièrement les filles 125 ( * ) .

L'enquête confirme que les violences au collège prennent des formes différentes pour les filles et les garçons :

- les coups, les bagarres et les bousculades sont plus fréquemment cités par les garçons ;

- les filles évoquent davantage l' ostracisme , le sentiment d'humiliation et les insultes via les réseaux sociaux ou le téléphone portable, des insultes sexistes et des attouchements sexuels .

Les filles sont donc plus fréquemment la cible de violences psychologiques.

En revanche cette enquête révèle que le voyeurisme (aux toilettes, lors des séances de sport...) ne menace pas les élèves en fonction du sexe et que les garçons y sont, eux aussi, exposés.

Ces statistiques comportent aussi des signaux d'alerte sur la situation des filles dans les collèges :

- elles sont moins nombreuses que les garçons à déclarer avoir beaucoup d'amis (89 % au lieu de 92 %), probablement en lien avec le ressenti d'ostracisme qui les concerne davantage ;

- elles sont plus exposées à un sentiment d'insécurité , tant aux abords du collège (+ 3 points pour les garçons) que dans les transports scolaires (84 % des filles s'y sentent en sécurité, 89 % des garçons ;

- les insultes à caractère sexiste augmentent : elles concernaient 5,5 % des collégiens en 2013, et 8,3 % de ces élèves aujourd'hui.

Encore faut-il avoir conscience que ces statistiques sont probablement sous-estimées et que la réalité est certainement plus alarmante . Les enquêtes de victimation s'appuient en effet sur les réponses des personnes : or l'âge du collège n'est pas celui où l'on évoque le plus volontiers des questions intimes. « Si c'est au collège que le harcèlement est le plus significatif, c'est aussi un âge où l'on parle très peu », relève Johanna Dagorn, sociologue 126 ( * ) . Une infirmière scolaire témoigne : « Il ne faut pas croire que les élèves débarquent à l'infirmerie et se livrent facilement. [...] Souvent, aussi, ce n'est pas la victime qui vient, mais une amie. [...] Quand on voit revenir un peu trop souvent une ou un ado avec un mal de ventre, un mal de tête, on comprend que quelque chose ne va pas, mais mettre des mots sur des maux prend du temps » 127 ( * ) .

Les violences sexistes à l'école. Une oppression viriliste : ce rapport au titre éclairant, rendu public par l'Observatoire européen de la violence à l'école le 31 mai 2018, met en évidence une construction de l'inégalité des sexes à l'école qui tient à la responsabilité du « refus du féminin » et à une « oppression viriliste » 128 ( * ) .

L'objet de cette enquête était, à la suite de l'« affaire Weinstein », d'analyser les origines de la « surexposition [à la violence] des femmes devenues adultes » 129 ( * ) .

Dû à Éric Debarbieux, ancien délégué ministériel à la prévention du harcèlement scolaire, ce document, qui s'appuie sur une enquête réalisée auprès de 47 604 élèves, constate que les violences sexistes visent aussi les garçons en raison d'une « oppression conformiste » qui constitue un « piège pour les deux sexes » 130 ( * ) , car elle menace les garçons considérés comme faibles, ceux qui ne se conforment pas aux standards de la virilité, dont la sexualité est considérée comme « déviante » et qui réussissent bien en classe - car les résultats satisfaisants sont assimilés à la féminité.

Éric Debarbieux estime donc que les violences sexistes s'exercent « contre le féminin », les garçons faibles étant assimilés aux filles .

Le rapport souligne toutefois que si l'école est à la fois le lieu de violences sexistes très inquiétantes, elle est aussi l'institution la plus à même de traiter et prévenir ces violences .

2. Un constat partagé : promouvoir la prévention par l'éducation à l'égalité et à la sexualité dès le plus jeune âge

Face à ce constat, la délégation ne peut que rappeler une nouvelle fois l'importance de l'éducation à la sexualité et de la sensibilisation à l'égalité entre femmes et hommes, dès le plus jeune âge.

Il s'agit là, pour la délégation, d'un point essentiel : plusieurs de ses précédents rapports ont ainsi insisté sur cette exigence 131 ( * ) .

À cet égard, la délégation se félicite que le rapport d'information du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs recommande que soit garantie, sur tout le territoire, l'obligation légale d'éducation à la sexualité 132 ( * ) .

a) Une obligation légale insuffisamment respectée

La loi du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception 133 ( * ) a prévu des séances d'éducation à la sexualité en milieu scolaire . L'article L. 312-16 du code de l'éducation dispose ainsi qu'une « information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupe d'âge homogène » 134 ( * ) . Plus récemment, la loi du 13 avril 2016 135 ( * ) a ajouté que ces « séances présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes ».

Or, force est de constater que cette obligation légale est insuffisamment mise en oeuvre . Le rapport que le HCE a consacré en 2016 à l'éducation à la sexualité regrettait notamment une application de la loi « parcellaire » et « inégale selon les territoires car dépendante des bonnes volontés individuelles » 136 ( * ) . Il établissait un constat global d'insuffisance et d' inadaptation des séances d'éducation à la sexualité :

- 25 % des écoles ayant répondu à l'enquête effectuée par le HCE entre septembre et novembre 2015 auprès de 3 000 établissements 137 ( * ) déclaraient n'avoir mis en place « aucune action ou séance en matière d'éducation à la sexualité » ;

- « Parmi les 12 millions de jeunes scolarisé.e.s chaque année, seule une petite minorité bénéficie tout au long de leur scolarité de séances annuelles d'éducation à la sexualité, comme la loi l'a prévu » ;

- « les personnels de l'éducation nationale sont très peu formés à l'éducation à la sexualité » ;

- ces séances sont le plus souvent abordées dans un esprit de prévention du SIDA et des grossesses non désirées ;

- la notion de « respect » est évoquée mais « les questions de violences sexistes et sexuelles ou d'orientation sexuelle sont les moins abordées ».

Il est donc impératif que les séances d'éducation à la sexualité intègrent la dimension essentielle de l'éducation à l'égalité et à la prévention des stéréotypes prévue par l'article L. 312-17-1 du code de l'éducation « dans les établissements secondaires, par groupes d'âge homogène » .

Selon l'enquête réalisée auprès des établissements scolaires par le HCE, les trois principaux obstacles à l'organisation de l'éducation à la sexualité sont :

- le manque de moyens financiers ;

- la disponibilité du personnel ;

- la gestion des emplois du temps .

Il est donc important de sensibiliser les chefs d'établissement à l'importance de l'éducation à la sexualité , conçue pour valoriser l'égalité entre femmes et hommes, et de les encourager à inscrire ces séances dans les projets d'établissement .

Un reportage sur une de ces séances, effectué dans un collège parisien et publié le 25 novembre 2017 par L'Express 138 ( * ) , montre de manière éclairante le rôle décisif de l'équipe encadrante dans ce domaine. « Quand je suis arrivée il y a deux ans, ces interventions étaient ponctuelles, elles avaient lieu quand un problème survenait », relève la CPE, qui a pris l'initiative de mettre en place les trois séances annuelles requises, pour toutes les classes de la 6 ème à la 3 ème . Selon le récit publié par l'hebdomadaire, l'échange entre élèves, d'abord orienté sur la puberté, aborde également les relations entre filles et garçons, pour valoriser l'égalité, et permet aux garçons de prendre conscience de l'effet de certaines expressions dégradantes qu'ils emploient parfois à l'égard des filles .

Ce reportage souligne aussi l'importance de la participation de l'infirmière scolaire à ces séances. Les infirmières scolaires sont, en effet, c'est une évidence, particulièrement bien placées pour accueillir les jeunes filles en difficulté. Ce point conduit la délégation à rappeler la nécessité de donner à la médecine scolaire les moyens nécessaires à l'accomplissement de ses missions , qui figure parmi les conclusions du rapport précité de Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac sur les mutilations sexuelles féminines.

La formation des personnels de l'Éducation nationale est par ailleurs considérée par les établissements scolaires ayant répondu à l'enquête du HCE comme « le principal facteur facilitateur ». Des ressources pédagogiques de qualité existent dans ce domaine. Certaines sont diffusées en ligne par l'INPES (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé) 139 ( * ) . D'autres outils concernent plus spécifiquement les questions d'égalité et de prévention des violences 140 ( * ) et méritent une large diffusion auprès des personnels concernés.

Ces ressources doivent donc être mieux connues et plus largement diffusées auprès de la communauté éducative.

b) L'enjeu : lutter contre l'influence auprès des jeunes de modèles de relations très inégalitaires diffusés en ligne et dont les filles sont les premières victimes

Comme l'ont souligné des témoignages rassemblés par L'Express en mai 2018 sur les « violences sexistes » subies par les filles dans les établissements scolaires 141 ( * ) , insultes et agressions sexuelles semblent le quotidien de nombreuses élèves, au point que la présidente de l'association Stop aux violences sexuelles affirme qu'elle « [peut] donner les tarifs exacts des fellations pratiquées dans les toilettes de certains établissements » 142 ( * ) . Selon les jeunes filles qui ont pris l'initiative du blocus du lycée Camille-Pissaro de Pontoise, le 21 décembre 2017 : « On a voulu crier notre ras-le-bol face aux agissements de certains garçons qui multipliaient les injures, les provocations, les mains aux fesses » 143 ( * ) .

Il y a donc urgence à développer une éducation à sexualité assortie d'une information sur l'égalité dans le cadre des établissements d'enseignement, dès le plus jeune âge : les enquêtes de terrain comme le reportage ci-dessus évoqué montrent qu'au lycée, il est déjà trop tard.

Faute d'une éducation à la sexualité adaptée aux besoins des jeunes, c'est donc la pornographie qui, avec les réseaux sociaux, accompagne leurs débuts dans la vie amoureuse. Tel est l'enjeu de l'éducation à la sexualité.

Les lacunes de cette politique publique conduisent en effet les jeunes à se tourner, à l'âge critique de l'entrée dans la vie amoureuse, vers les sources d'information qui leur sont accessibles pour trouver les réponses à leurs questions : Internet , plus particulièrement les réseaux sociaux, et la pornographie .

Or ces vecteurs favorisent la diffusion de représentations très stéréotypées, empreintes de fortes inégalités entre les sexes .

Les jeunes y sont confrontés à des messages diffusant un modèle de relations sexuelles à la fois violentes, fondées sur la domination masculine , et valorisant une logique de performance qui peut d'ailleurs déstabiliser autant les garçons que les filles. Ces contenus pérennisent aussi la conviction que les hommes ont des besoins sexuels irrépressibles , qu'il appartient aux femmes de satisfaire, et dont ils ne sont pas réellement responsables. On connaît les conséquences de cette approche sur la prostitution et les violences sexuelles. Le rapport précité du HCE relève que « la frontière entre sexualité et violence paraît très mince [pour] certains garçons » 144 ( * ) .

Quant aux jeunes filles, elles subissent sur les réseaux sociaux la « double injonction de devoir se montrer désirables mais ?respectables? », remarque le HCE.

Les deux captures d'écran ci-après, effectuées sur jeuvideo.com 145 ( * ) , illustrent clairement ces dangers : banalisation des violences sexuelles et dénigrement grossier des femmes .

Comme le faisait observer le 12 octobre 2017 le professeur Israël Nisand dans un entretien très éclairant, reproduit par France info : « Quand on demande aux jeunes pourquoi vous regardez autant de porno, ils nous répondent : "Pour voir ce que les meufs elles aiment" [...]. C'est une catastrophe ! [...] Les responsables [des établissements scolaires, ndlr] le savent : il se passe des choses dans les collèges en termes de sexe et de sexualité collective . Il y a des fellations dans les toilettes ! » 146 ( * ) . Le professeur Nisand en tirait la conséquence que l'éducation à la sexualité, dès l'âge de quatre ans, devait impérativement être effective, et qu'elle devait être conçue de manière à diffuser une culture d'égalité dans les établissements d'enseignement scolaire .

L'importance d'une application pleine et entière de cette obligation légale a été plus particulièrement mise en valeur par le Défenseur des Droits, qui a plaidé pour une mise en oeuvre obligatoire dans tous les établissements scolaires , dans le cadre d'une approche globale d'éducation à la sexualité permettant de lutter contre les stéréotypes . Cette recommandation figure à la fois dans l'avis qu'il a adressé à la délégation à la suite de son audition 147 ( * ) sur le harcèlement sexuel au travail, et dans son rapport d'activité 2017.

Dans le même esprit, le Docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre, a jugé cruciale la prévention du sexisme, du harcèlement et de toutes les violences sexuelles par l'éducation . Elle a noté à cet égard la responsabilité des médias et des émissions de téléréalité, qui véhiculent des images dégradantes des femmes et une conception de leur rôle encourageant des rapports inégaux entre femmes et hommes. Cette préoccupation a également été relayée par les membres de la délégation le 19 avril 2018, au cours de l'audition de Sylvie Pierre-Brossolette sur l'action du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) pour promouvoir les droits des femmes 148 ( * ) .

3. Un impératif : revoir le cadre légal de l'éduction à la sexualité

Force est de constater que le cadre légal de l'éduction à la sexualité est devenu difficile à comprendre.

Les articles L. 312-16 à L. 312-17-2 du code de l'éducation, qui constituent un ensemble intitulé L'éducation à la santé et à la sexualité 149 ( * ) , prévoient en effet, outre les trois séances annuelles d'éducation à la sexualité :

- une information sur les conséquences de la consommation d'alcool par les femmes enceintes sur le développement du foetus dans les collèges et lycées ;

- une information sur la législation relative au don d'organes à fins de greffe réservée aux lycées et aux établissements d'enseignement supérieur.

De plus, l'article L. 312-16, dédié à l'éducation à la sexualité, comprend également, ce qui n'est pas très compréhensible, un « cours d'apprentissage sur les premiers gestes de secours ».

Par ailleurs, deux articles distincts portent sur des modules spécifiquement liées aux problématiques de l'égalité femmes-hommes :

- l'article L. 312-17-1 dispose que l'« information consacrée à l'égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple est dispensée à tous les stades de la scolarité » ; le code ne mentionne pas de nombre de séances ni de classe précise, se bornant à indiquer que cette « information » est « dispensée à tous les stades de la scolarité » ;

- l'article L. 312-17-1-1 vise pour sa part une « information sur les réalités de la prostitution et les dangers de la marchandisation du corps » , « dispensée dans les établissements secondaires ».

L'intérêt de lier éducation à la sexualité et sensibilisation à l'égalité , qui doivent être approchées conjointement, pose la question de la fusion des deux articles du code de l'éducation qui les définissent , a fortiori parce que ces modules sont les seuls qui concernent tous les stades de l'enseignement .

CODE DE L'ÉDUCATION
« L'ÉDUCATION À LA SANTÉ ET À LA SEXUALITÉ »

Article L. 312-16. - Une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupes d'âge homogène. Ces séances présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes. Elles contribuent à l'apprentissage du respect dû au corps humain. Elles peuvent associer les personnels contribuant à la mission de santé scolaire et des personnels des établissements mentionnés au premier alinéa de l'article L. 2212-4 du code de la santé publique ainsi que d'autres intervenants extérieurs conformément à l'article 9 du décret n° 85-924 du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d'enseignement. Des élèves formés par un organisme agréé par le ministère de la santé peuvent également y être associés.

Un cours d'apprentissage sur les premiers gestes de secours est délivré aux élèves de collège et de lycée, selon des modalités définies par décret.

Article L. 312-17. - Une information est également délivrée sur les conséquences de la consommation d'alcool par les femmes enceintes sur le développement du foetus, notamment les atteintes du système nerveux central, dans les collèges et les lycées, à raison d'au moins une séance annuelle, par groupe d'âge homogène. Ces séances pourront associer les personnels contribuant à la mission de santé scolaire ainsi que d'autres intervenants extérieurs.

Article L. 312-17-1. - Une information consacrée à l'égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple est dispensée à tous les stades de la scolarité. Les établissements scolaires, y compris les établissements français d'enseignement scolaire à l'étranger, peuvent s'associer à cette fin avec des associations de défense des droits des femmes et promouvant l'égalité entre les hommes et les femmes et des personnels concourant à la prévention et à la répression de ces violences .

Article L. 312-17-1-1. - Une information sur les réalités de la prostitution et les dangers de la marchandisation du corps est dispensée dans les établissements secondaires, par groupes d'âge homogène. La seconde phrase de l'article L. 312-17-1 du présent code est applicable.

Article L. 312-17-2. - Une information est dispensée dans les lycées et les établissements d'enseignement supérieur sur la législation relative au don d'organes à fins de greffe et sur les moyens de faire connaître sa position de son vivant soit en s'inscrivant sur le registre national automatisé prévu à l'article L. 1232-1 du code de la santé publique, soit en informant ses proches. Ces séances peuvent associer les personnels contribuant à la mission de santé scolaire ainsi que des intervenants extérieurs, issus notamment des associations militant pour le don d'organes. De même, une sensibilisation au don du sang est dispensée dans les lycées et les établissements d'enseignement supérieur, au besoin avec l'assistance d'intervenants extérieurs.

Convaincue que la lutte contre les violences faites aux femmes passe avant tout par un effort de prévention , la délégation :

- souhaite que soient effectivement assurées, sur tout le territoire, les séances d'éducation à la sexualité prévues par le code de l'éducation ;

- recommande que l'égalité entre filles et garçons , entre femmes et hommes, qui en est indissociable, s oit intégrée aux séances d'éducation à la sexualité , afin qu'elles contribuent à la diffusion d'un modèle de société égalitaire auprès des jeunes ;

- appelle à une large diffusion des outils pédagogiques existants , afin de permettre à l'ensemble de la communauté éducative de s'approprier le contenu de cette information ;

- juge indispensable que l'éducation à la sexualité et à l'égalité fasse partie de la formation initiale des personnels éducatifs ;

- demande que l'obligation posée par le code de l'éducation soit rappelée à tous les chefs d'établissement , afin que ceux-ci mettent en oeuvre effectivement ces séances ;

- propose que l'éducation à la sexualité soit intégrée , dans ses deux dimensions (sexualité et égalité), aux formations dispensées aux personnels encadrant des dispositifs d'accueil pour jeunes mineurs , comme le BAFA.

Elle rappelle par ailleurs l' importance essentielle de la médecine scolaire et la nécessité de renforcer ses moyens par le recrutement d'infirmier-ères et de médecins scolaires, sur l'ensemble du territoire.

Elle préconise une nouvelle rédaction des articles du code de l'éducation concernant l'éducation à la sexualité et l' « information consacrée à l'égalité entre les hommes et les femmes » , de manière à faire en sorte que la dimension de l'égalité soit indissociable de l'éducation à la sexualité.

II. COMMENT AMÉLIORER LE TRAITEMENT DES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ?

Face à des constats partagés par l'ensemble des acteurs de la lutte contre les violences faites aux femmes, la délégation a souhaité apporter sa contribution à l'élaboration de réponses adaptées à l'ampleur de ce fléau , qu'il s'agisse du parcours judiciaire des victimes ou des questions posées par le harcèlement sexuel, les violences sexuelles commises à l'encontre de mineurs, les violences conjugales et intrafamiliales et les nouvelles formes de violences telles que les cyber-violences, les violences subies par de très jeunes femmes au sein de couples « non-cohabitants » ou des violences relevant du harcèlement dit « de rue ».

La délégation souhaite rappeler que la politique publique de lutte contre les violences a beaucoup progressé au fil des ans , grâce aux lois et aux plans successifs adoptés depuis le début des années 2000.

Elle estime que les progrès à réaliser dans ce domaine ne résident que marginalement dans les quelques lacunes d'un arsenal législatif désormais relativement complet . De nombreuses difficultés relayées par les auditions auxquelles elle a procédé depuis le début de la session 2017-2018 tiennent en effet à une sensibilisation inégale, selon les territoires, des professionnels de la magistrature et des forces de sécurité à l'égard des violences faites aux femmes. Ce constat souligne l'importance d'une démarche de prévention dont la nécessité a été évoquée par tous les interlocuteurs de la délégation.

A. LE PARCOURS DES VICTIMES DE VIOLENCES SEXUELLES, DE L'ÉCOUTE À LA RÉPONSE PÉNALE

Tous les interlocuteurs de la délégation ont été unanimes sur un point : le parcours des victimes demeure compliqué et difficile , du dépôt de plainte à la réponse pénale.

Les victimes ne semblent pas suffisamment écoutées, alors que, comme Flavie Flament l'a exprimé avec une grande émotion, au cours de son audition du 18 janvier 2018, qui fut un temps forts des travaux de la délégation : « Les victimes sont des expertes de ce qui leur arrive ».

Ainsi que l'a affirmé avec force, au cours de son audition du 17 janvier 2018 Sandrine Rousseau, fondatrice de l'association Parler : « Aujourd'hui, en France, parler est vraiment un parcours extrêmement compliqué et douloureux » 150 ( * ) . Flavie Flament, elle aussi, a témoigné de la difficulté pour une victime de  « libérer sa parole ».

L'une de ces difficultés tient notamment à la longueur du parcours des victimes, depuis le dépôt de plainte jusqu'à la décision judiciaire . Comme l'a indiqué à la délégation Maître Carine Durrieu-Diebolt, avocate qui a défendu la jeune victime de ce qui est devenu « l'affaire de Pontoise », au cours de son audition, le 14 décembre 2017, une procédure peut durer au total entre huit et dix années au pénal , auxquelles s'ajoutent environ deux ans de procès civil en réparation de la victime .

L'avocate a imputé cette défaillance aux manques de moyens de la justice . Selon elle, s'il est important d'inciter les victimes de violences à porter plainte, la justice manque de moyens ; les services de police et de gendarmerie sont saturés et il faut parfois cinq ans pour étudier un dossier : « Les juges d'instruction comme les juridictions sont débordés. La France est dotée d'un budget de la justice qui est parmi les plus faible d'Europe, quand on le rapporte au nombre d'habitant. Il équivaut à la moitié du budget allemand de la justice par habitant ».

La délégation note à cet égard que la proposition n° 19 du rapport de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises contre les mineurs appelle à « renforcer les moyens de la justice, en particulier des cours d'assises, pour permettre des délais de jugement raisonnables ».

Pour sa part, le procureur de Paris a reconnu que le parcours des victimes ne pourra jamais être facile, en raison des exigences d'impartialité de la procédure pénale . Il a néanmoins souligné les efforts menés à son initiative pour « faciliter » ce parcours : « On peut néanmoins s'attacher à faire disparaître un certain nombre d'embûches et d'anomalies qui n'ont pas lieu d'être dans le parcours des victimes. C'est le travail que nous avons essayé de lancer depuis quelques années au parquet de Paris. Nous ne sommes pas encore parvenus au terme de ce processus, qui exige des efforts permanents ».

1. Le dépôt de plainte, une phase décisive à mieux accompagner

La première difficulté à laquelle se heurtent les victimes concerne le dépôt de plainte. L'enjeu est ainsi de favoriser la parole des victimes et de garantir un accueil à la hauteur de la gravité des faits qu'elles ont subis.

a) Inciter les victimes à déposer plainte et garantir leur accompagnement par les associations, dans le contexte actuel de libération de la parole

Comme l'ont relevé plusieurs interlocuteurs de la délégation, le nombre de dépôts de plaintes de femmes victimes de violences est très inférieur au nombre des faits. Plus préoccupant encore, le taux de condamnations demeure très faible.

Les statistiques sont à cet égard éloquentes.

(1) Un nombre de plaintes particulièrement faible

Selon un document transmis à la délégation par la Direction générale de la Police nationale daté du 26 décembre 2017, sur la période 2012-2016, seules 15 % des victimes de violences sexuelles se sont rendues au commissariat ou à la gendarmerie, 13 % ont été vues par un médecin à la suite de l'agression et 6 % ont reçu un certificat d'incapacité totale de travail (ITT).

« Le taux de dépôt de plainte est très faible , précise cette note, puisque 12 % des victimes de viol ou de tentative de viol et 5 % des victimes d'agressions sexuelles ont déposé plainte sur cette même période ».

Par ailleurs, les statistiques des faits constatés et enregistrés par les logiciels de rédaction des procédures de police et de gendarmerie en métropole et dans les Outre-mer font état, depuis 2014, d'un nombre annuel de viols qui s'établit à 19 600 environ (auxquels s'ajoutent 6 000 faits pour exhibition sexuelle et 2 000 faits pour atteinte sexuelle).

Pourtant, en 2015, année au cours de laquelle les faits de viol enregistrés dans le logiciel s'étaient établis à 17 736, plus 6 635 pour l'exhibition sexuelle, 7 471 pour harcèlement conjugal, 2 620 pour les atteintes sexuelles et 1 381 pour le harcèlement sexuel, il semble que« les juges n'[aient] condamné cette année-là que 1 048 cas aux assises et 4 668 auteurs de violences sexuelles en correctionnelle » 151 ( * ) .

Le décalage est donc considérable entre les faits enregistrés lors des plaintes et les faits sanctionnés par la justice .

Présidente du Collectif féministe contre le viol , le Docteur Emmanuelle Piet a estimé, au cours de son audition du 18 janvier 2018, que seules 12 000 plaintes pour viols sont déposées chaque année, ce qui paraît très faible au vu du nombre réel de viols. En outre, depuis quinze ans, on ne recense selon elle que 1 300  condamnations aux assises à ce titre.

Dans le même esprit, le Défenseur des Droits a cité au cours de son audition du 25 janvier 2018 une enquête de 2006 qui a conclu que seules 10 % des femmes victimes d'un viol ou d'une tentative de rapport forcé au cours des douze derniers mois ont déposé plainte en 2005, en soulignant que cette proportion n'avait pas varié depuis.

Selon le Docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre, qui s'est exprimée devant la délégation le 30 novembre 2017, la question de la preuve en cas de harcèlement, le risque de contre-attaque de l'agresseur et l'épreuve de la procédure judiciaire sont des éléments dissuasifs pour les victimes et expliquent leur difficulté à parler. Ces facteurs sont évidemment valables pour l'ensemble des violences faites aux femmes.

De surcroît, il ne faut pas négliger non plus une certaine méconnaissance des victimes en ce qui concerne la nature de l'agression qu'elles ont subie ( cf. supra ). Ce point a été évoqué par Maître Carine Durrieu-Diebolt. Selon elle, les victimes ne connaissent pas bien les définitions juridiques des différents types de violences sexuelles : « Une deuxième difficulté est le droit tel qu'il est compris et entendu par les victimes. Souvent, elles ne comprennent pas qu'une fellation ou qu'une pénétration digitale est un viol, ou que l'absence de violences physiques n'exclut pas le viol. Il y a une carence d'information par rapport aux définitions ».

Des campagnes d'information peuvent être utiles pour sensibiliser la population à la réalité des violences et à la nécessité de les dénoncer pour les réprimer et, à terme, les prévenir. Toutefois, de telles campagnes impliquent des financements adéquats , comme l'a rappelé Dominique Guillen-Isenmann, présidente de la Fédération Nationale Solidarité Femmes au cours de son audition du 18 janvier 2018 : « Les campagnes de sensibilisation des professionnels et du grand public dépendent de nos finances, qui, comme vous vous en doutez, sont limitées. De telles campagnes, variables selon les années, influent notamment sur la masse des appels reçus au 3919 ».

L'intérêt des campagnes d'information régulières sur les violences en direction de la société a également été souligné par Élisabeth Moiron-Braud, magistrate, secrétaire générale de la MIPROF, au cours de son audition du 18 janvier 2018 : « Il faut que la société tout entière change de regard sur les violences ».

(2) Les moyens dédiés aux associations : un véritable enjeu dans le contexte de libération de la parole

Malgré tout, les statistiques les plus récentes montrent que la parole est en train de se libérer , en lien avec plusieurs affaires survenues depuis 2016, au niveau national et international. Ainsi, l'association AVFT ( Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail ), spécialisée dans la défense des victimes de violences sexuelles au travail, structure de référence dans ce domaine et dont l'expertise est unanimement reconnue , a constaté une multiplication par trois du nombre de saisines entre mai 2016 et fin 2016 .

De même, le procureur de la République de Paris a indiqué, au cours de son audition, le 22 février 2018, que, depuis l'automne 2017, les signalements de harcèlement et d'agression sexuelle se révèlent beaucoup plus nombreux (20 % à 30 %). En revanche, le parquet n'a pas constaté plus de plaintes pour viols.

Dans ce contexte, il est fondamental de garantir un accompagnement adapté aux victimes . Si le rôle de l'entourage peut être important - Sandrine Rousseau a souligné la nécessité d'impliquer l'entourage de façon à ce qu'il se sente concerné et l'amener à réagir, l'accompagnement des victimes passe avant tout par les associations .

Sur ce sujet, Marylin Baldeck, déléguée générale de l'AVFT, a regretté le manque de moyens auquel doivent faire face les structures qui accompagnent et soutiennent les femmes victimes de violences dans leur parcours judiciaire : « Nous manquons de moyens, mais l'association n'est pas seule dans cette situation . C'est le cas de l'ensemble des structures et institutions publiques qui accompagnent, soutiennent, orientent, conseillent et défendent les femmes victimes de violences dans leur parcours judiciaire (...) Alors que le nombre de dossiers qui nous parviennent a été multiplié par deux entre 2015 et 2017, nos effectifs et les subventions publiques dont nous bénéficions sont restés stables depuis treize ans (...). Nous nous heurtons à l'éternelle question des moyens et de la volonté politique » 152 ( * ) .

Le 31 janvier 2018, l'association s'est d'ailleurs vue contrainte de fermer son accueil téléphonique face à un afflux de demandes sans précédent, faute de moyens suffisants . L'AVFT a en effet dû faire le choix de concentrer ses efforts sur le suivi des dossiers en cours d'examen.

À cet égard, la délégation remarque que la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes a annoncé, dans le cadre du plan sur l'égalité professionnelle, le lancement d'un numéro national d'écoute sur le harcèlement au travail, par le biais d'un appel d'offres 153 ( * ) .

Alors qu'il existe déjà une association référente en ce domaine, qui accomplit dans la durée un travail remarquable, il aurait probablement été plus judicieux de lui donner les moyens de poursuivre son travail plutôt que de créer une nouvelle structure et d'allouer à ce dernier projet d'autres crédits 154 ( * ) .

La délégation tient aussi à souligner que le numéro de téléphone de l'AVFT figure sur de très nombreux outils de communication réalisés par des employeurs, tant publics que privés, à l'attention de leur personnel dans le cadre de leur obligation légale d'information.

L'AVFT est donc un acteur bien identifié par les victimes et par tous les partenaires institutionnels de la lutte contre le harcèlement et les violences sexistes et sexuelles au travail .

Au-delà de la question des moyens, se pose celle de la formation du personnel de la nouvelle plate-forme nationale à l'écoute et à l'orientation des victimes, compétence qui ne s'improvise pas. On peut aussi s'interroger sur l'éventuelle coordination de cette plate-forme avec le numéro national de référence 3919.

Ce n'est pas parce que l'AVFT a dû fermer sa ligne le 31 janvier 2018, car elle a jugé l'accueil téléphonique compromis par l'afflux des demandes, qu'elle ne poursuit pas sa mission de prise en charge, d'accompagnement et de suivi des victimes sur le long terme. Il s'agit d'un travail qui mobilise de réelles compétences juridiques et relationnelles et un suivi des dossiers dans la durée, comme l'exige la longueur des procédures judiciaires.

De la même manière, la délégation a été alertée par les difficultés financières rencontrées par la Fédération Nationale Solidarité Femmes, au cours de son déplacement dans les locaux parisiens de la Fédération, le 17 mai 2018, alors même que l'association vient de se voir attribuer le label « Grande cause nationale », ce que d'ailleurs on ne peut que saluer.

Les interlocutrices de la délégation ont fait état de difficultés pour faire face à des charges fixes significatives (loyer et frais de personnel). En outre, les représentantes de la FNSF ont indiqué que, pour traiter les 50 000 appels reçus et pris en charge au 3919 et pour assurer le suivi de 30 000 victimes au sein des services d'accueil, trois équivalents temps plein (ETP) seraient les bienvenus sur la plate-forme, toute l'année , ce qui n'est pas le cas. Actuellement, faute de moyens en adéquation avec les missions de la fédération, celle-ci ne peut pleinement traiter que 60 % des appels reçus au 3919 . Si 80 % des appels sont traités par le pré-accueil, une perte de 30 à 40 % des appels au deuxième niveau d'écoute peut être déplorée.

Enfin, au cours de son audition devant la délégation, le 23 novembre 2018, notre collègue Laurence Rossignol a estimé nécessaire de maintenir et de créer des contrats aidés dans le milieu associatif dédié aux droits des femmes . Ce point lui paraît d'autant plus important dans le contexte actuel de libération de la parole. Or les arbitrages budgétaires du Gouvernement au cours de l'automne 2017 ne vont pas dans ce sens .

En définitive, la délégation constate une nouvelle fois un hiatus entre les ambitions affichées par le Gouvernement dans le cadre de la « Grande cause du quinquennat » et la réalité des moyens attribués aux associations sur le terrain .

Ce motif d'inquiétude sur les moyens des associations a été relayé par d'autres interlocuteurs de la délégation. Cette dernière a d'ailleurs fait écho à ces préoccupations, à travers plusieurs communiqués de presse 155 ( * ) . Elle avait notamment conclu ainsi son communiqué de presse du 2 février 2018 : « alors que la parole se libère, il est crucial de faire en sorte qu'elle soit entendue ».

La délégation estime donc qu'il est impératif de donner aux associations les moyens d'exercer leurs missions d'accueil, d'orientation et d'accompagnement des victimes. Il s'agit là d'un prérequis pour toute action publique de lutte contre les violences faites aux femmes .

La délégation rend hommage à l'action des associations engagées dans la lutte contre les violences faites aux femmes et recommande que les subventions qui leur sont attribuées fassent l'objet d'un effort spécifique , dans un cadre pluriannuel , pour leur permettre de faire face à l'intensification de leur activité liée au contexte de la libération de la parole.

b) Une urgence : garantir un bon accueil aux victimes et l'enregistrement de leur plainte, quel que soit le type de violence : l'enjeu de la formation des professionnels

Une autre difficulté rencontrée par les femmes victimes de violences concerne l'accueil qu'elles reçoivent dans les commissariats ou les antennes de gendarmerie lorsqu'elles se décident à porter plainte . Pour Maître Carine Durrieu-Diebolt, entendue par la délégation le 14 décembre 2017, l'accueil des femmes victimes de violences relève de la « loterie » selon les antennes de gendarmerie et les commissariats.

Selon Sandrine Rousseau, la formation de tous les personnels susceptibles d'être en contact avec les victimes , du dépôt de plainte jusqu'au terme de la procédure, est une préoccupation récurrente exprimée par les victimes qui ont rejoint son association.

(1) Des efforts indéniables pour renforcer la formation des professionnels...

Une note transmise à la délégation par la Direction générale de la police nationale 156 ( * ) (DGPN) présente les efforts qui ont été réalisés pour améliorer l'accueil des victimes de violences sexuelles dans les commissariats. Ces efforts passent par la formation des personnels concernés et par une professionnalisation de l'accueil .

Ainsi, les policiers, quel que soit leur grade 157 ( * ) , bénéficient dans leur formation initiale et continue d'enseignements sur l'accueil et la prise en charge des victimes et suivent, de manière obligatoire dans la formation initiale et dans le cadre de la formation continue, des modules sur les violences sexuelles, les violences intra et extra-familiales et les violences sur conjoint et ascendant.

De surcroît, les kits de formation « Anna » et « Élisa » élaborés par la Mission interministérielle de protection des femmes contre les violences et de lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), en concertation avec la police et la gendarmerie nationales, sont systématiquement utilisés comme support de formation. Composés d'un court métrage, d'un livret d'accompagnement et d'une fiche réflexe d'aide à l'audition des victimes de violences au sein du couple et/ou de violences sexuelles, ils permettent de mieux appréhender le repérage d'une situation à risque, l'évaluation du phénomène d'emprise et de faciliter la rédaction d'une audition .

La DGPN indique que, depuis début août 2014, 12 000 policiers ont pu visualiser ces films , tant en formation initiale que dans le cadre des différentes formations continues dédiées.

De plus, la Police nationale a progressivement mis en place une professionnalisation de l'accueil des victimes , à travers un vaste plan de formation spécifique des personnels d'accueil 158 ( * ) .

Selon la DGPN, « ce dispositif a permis d'améliorer la prise en charge des victimes par la nomination et la mise en place d'une formation à l'attention de "Référents accueils ". Les référents sont généralement des officiers ou gradés désignés dans les services en raison de leur intérêt pour cette mission. La formation leur permet « d'optimiser l'organisation, la coordination et l'évaluation du service d'accueil qui leur est confié ». Depuis sa mise en place en 2014, cette action de formation d'une durée de deux jours a été suivie par 346 référents sur les 522 désignés 159 ( * ) .

Ce document de la DGPN indique aussi que, parallèlement à la formation des référents, a été mise en place une nouvelle formation proposée aux agents occupants des fonctions permanentes ou occasionnelles à l'accueil , qu'ils soient administratifs, agents de sécurité, gardiens de la paix ou gradés. Selon la DGPN, « ce stage de quatre jours leur permet d'appréhender les enjeux de la mission d'accueil et d'adapter leur comportement aux attentes du public pour assurer au mieux leur rôle ». Depuis sa création en mai 2014, 972 agents ont suivi cette formation .

De surcroît, un article du Figaro du 25 janvier 2018 présente les mesures prises par la police et la gendarmerie pour recueillir les plaintes des victimes de violences sexuelles, en hausse depuis l' « affaire Weinstein ». Par exemple, dans une note envoyée le 10 novembre 2017 à ses services, citée par le quotidien, le directeur général de la gendarmerie nationale rappelle que « la lutte contre les violences faites aux femmes exige une mobilisation de l'ensemble des échelons et unités de la gendarmerie nationale » 160 ( * ) .

La délégation salue également la création, en 2009, au sein des commissariats, des brigades de protection de la famille (BPF), qui contribuent à une meilleure prise en charge au sein des commissariats des victimes de violences . Au nombre de 183, leurs effectifs comptent 1 281 policiers dédiés et spécifiquement formés , lesquels traitent des procédures judiciaires liées à la protection de la famille et des personnes particulièrement vulnérables victimes de violences ou de maltraitance dans la sphère familiale ou le cadre de vie habituel.

Parallèlement, le rôle des brigades de protection de la famille est de faire bénéficier ces victimes du soutien et de l'assistance nécessaires, en les orientant vers les partenaires présents dans les commissariats ( cf. infra ).

(2) ... qui doivent être poursuivis et amplifiés

Pourtant, malgré ces efforts pour former et sensibiliser les policiers et les gendarmes, les femmes victimes de violences peuvent encore être mal accueillies dans les commissariats et antennes de gendarmerie , se heurtant parfois au refus de prendre leur plainte . C'est tout l'enjeu de la formation des professionnels à l'accueil et à l'orientation des femmes victimes de violences.

À cet égard, la délégation a consulté avec intérêt les résultats d'une enquête menée par la FNSF sur les refus d'enregistrer les plaintes pour violences conjugales, dont les principaux résultats sont présentés dans l'encadré ci-après.

LES PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS DE L'ENQUÊTE DE LA FNSF SUR LE REFUS D'ENREGISTRER LES PLAINTES DES FEMMES VICTIMES DE VIOLENCES

5 mois d'enquête : participation de l'équipe du 3919 et de 29 associations Solidarité Femmes

22 associations (76 %) ont constaté des refus d'enregistrer des plaintes et 7 (24 %) n'en ont pas constaté

73 déclarations de refus d'enregistrer des plaintes ont été constatées : 57 dans 22 associations et 16 au 3919

Dans 23 situations sur 73 (32 %) les difficultés sont observées durant un week-end ou un jour férié 161 ( * )

Les motifs de refus d'enregistrer une plainte ont été classés en sept catégories :

* le déni de la qualification pénale des faits (63 refus) ;

* l'absence de certificat médical/ITT/preuves (18 refus) ;

* le manque de moyens humains (6 refus) ;

* la mise en cause du témoignage/de la santé psychique de la victime (4 refus) ;

* le parti pris pour l'agresseur/justification des violences (4 refus) ;

* l'incompétence territoriale/administrative (3 refus) ;

* autres motifs divers (5 refus).

La raison la plus courante des refus d'enregistrer les plaintes est le déni de la qualification pénale des faits qui concerne 63 refus, soit 86 % des refus signalés.

* 36 refus sur 63 (57 %) concernent les violences psychologiques (harcèlement, insultes, menaces, y compris menaces de mort, mises à la porte du logement...). 5 commissariats et gendarmeries auraient refusé de prendre en compte les menaces de mort rapportées par des femmes victimes.

16 cas, soit 25 %, impliquaient des violences physiques

3 cas concernent des faits de violences sexuelles (moins déclarées)

2 situations sont relatives à des violences économiques (moins déclarées)

2 refus visent des violences administratives (moins déclarées)

* 2 refus concernent les violences sur enfants et une soustraction d'enfant.

La deuxième raison est l'absence de certificat médical/ITT/preuves : 18 refus (soit 25 %). De telles situations auraient lieu dans dix départements différents, répartis sur tout le territoire.

S'agissant de la mise en cause du témoignage/de la santé psychique de la victime : 2 refus sur les 4 constatés concernent des femmes en situation de handicap.

Source : Solidarité femmes, fédération nationale : enquête sur le refus d'enregistrer les plaintes pour violences conjugales, mars 2018.

Dans son enquête, la Fédération nationale Solidarité Femmes note que la formation des gendarmes, policières et policiers en matière de violences au sein des couples a été progressivement renforcée ( cf. supra ) : « Le nombre de personnes référentes concernant ce type de violences n'a cessé de croître, tout comme celui des intervenants sociaux présents au sein des commissariats et gendarmeries. Le protocole-cadre du 13 novembre 2013 a affirmé qu'en matière de violences au sein des couples, le dépôt de plainte doit être le principe et la main courante ou procès-verbal de renseignement judiciaire l'exception », rappelle-t-elle.

Toutefois, les difficultés qui subsistent parfois s'expliquent en particulier par un turn over fréquent des effectifs au sein des commissariats, des services de gendarmerie et des parquets, comme l'a indiqué à la délégation Dominique Guillen-Isenmann, présidente de la FNSF, au cours de son audition, le 18 janvier 2018. Selon elle, ce facteur explique que « Ce qui est fait une fois ne suffit pas » et que « le travail de formation des acteurs doit être mené en continu ».

D'ailleurs, la FNSF revendique à juste titre d'être associée à la formation de ces professionnels. Dominique Guillen-Isenman a rappelé à cet égard qu'en 2006, la Fédération et le Centre national d'information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF) ont signé une convention avec le ministère de l'Intérieur afin d'améliorer l'accueil et l'accompagnement des femmes victimes de violences en collaboration avec les services de police et de gendarmerie. En outre, depuis 2009, les référents violences des commissariats d'Ile-de-France sont formés tous les ans à la thématique des violences par la FNSF . Enfin, de nombreuses associations Solidarité Femmes assurent des permanences au sein des commissariats et gendarmeries.

La délégation salue ces efforts et estime qu'ils doivent être poursuivis et amplifiés . Elle note par ailleurs qu'une plate-forme de signalement a été mise en place par l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) en 2014. Cette plate-forme enregistre les signalements des citoyens, victimes ou témoins d'un comportement susceptible de mettre en cause des agents affectés dans un service de la police nationale. Ce type de dispositif peut aussi contribuer à améliorer l'accueil des victimes de violences dans les commissariats .

Par ailleurs, la délégation approuve les directives qui ont été données par le parquet de Paris pour garantir que le service de police accueille la victime qui se présente au commissariat, comme l'a indiqué le procureur de la République de Paris à la délégation au cours de son audition, le 22 février 2018 : « Il est également impératif que le service de police accueille la victime qui se présente au commissariat . Nous avons en effet constaté des situations dans lesquelles la victime se présentait à un service et, parce que tous les agents étaient occupés, elle était renvoyée chez elle et invitée à revenir plus tard. Nous avons souligné que cette pratique était à proscrire et que les victimes devaient être traitées immédiatement ».

La question de la formation ne concerne pas que les policiers et les gendarmes, mais aussi les magistrats, s'agissant notamment de la formation continue. Maître Carine Durrieu-Diebolt, auditionnée par la délégation le 14 décembre 2017, estime qu'il faudrait imposer aux magistrats et aux avocats une formation aux violences sexuelles en formation continue , pour les former à la question du psycho-traumatisme, des mécanismes de sidération et de dissociation qui peuvent expliquer certains comportements déstabilisants de la part des victimes.

La délégation note à cet égard que l'offre de formation existe . L'École nationale de la magistrature (ENM) délivre chaque année, en formation continue, un remarquable module sur les violences sexuelles qui aborde l'ensemble des sujets, sous la direction d'Ernestine Ronai , responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis et co-présidente de la commission Violences de genre du Haut conseil à l'égalité162 ( * ). Or ce module est suivi sur la base du volontariat .

Comme l'a suggéré Maître Carine Durrieu-Diebolt au cours de son audition devant la délégation, le 14 décembre 2017, un tel enseignement devrait être obligatoire à la prise de poste des magistrats susceptibles d'avoir à traiter des affaires de violences sexuelles (juge d'instruction notamment), en lien avec la problématique du turn over des effectifs sur les différents postes : « La formation pour les magistrats en poste relève de la formation continue, facultative. Or les magistrats changent de poste durant leur carrière. Un magistrat peut être juge civil durant dix ans, avant de devenir juge d'instruction. Au bout de ce délai, il a pu oublier sa formation initiale. C'est pourquoi il faudrait à mon avis que tout juge d'instruction suive cette formation, qui ne dure que deux jours, ou bien instaurer un parcours spécialisé, avec des juges d'instruction spécialisés dans ce type de violences ».

Cette préoccupation rejoint celle exprimée par Dominique Guillen-Isenmann, présidente de la Fédération Nationale Solidarité Femmes , qui a évoqué l'importance de la formation en ce qui concerne le repérage des victimes : « Un travail important de formation doit être aussi mené dans les parquets et chez les JAF. Pour les médecins, en particulier les médecins de famille, il faut améliorer le repérage ainsi que la formation sur les conséquences physiques et psychiques des violences. Pourtant, le Conseil de l'ordre estime qu'un médecin ne doit pas poser de questions précises sur les violences. Ce dogme ne pourrait-il pas être questionné ? ».

La formation des médecins aux violences sexuelles doit notamment leur permettre de mieux rédiger les certificats d'incapacité totale de travail (ITT) en cas de violences, une notion pas toujours bien appréhendée par les professionnels , qui n'en mesurent pas toujours l'importance pour la suite de la procédure judiciaire. En effet, l'ITT, établie par un médecin légiste, contribue à la qualification pénale des faits (contravention ou délit) et détermine donc l'orientation de la procédure. Elle correspond à la durée pendant laquelle la victime éprouve une gêne notable dans tous les actes de la vie courante.

C'est un point sur lequel a insisté Maître Carine Durrieu-Diebolt, au cours de son audition devant la délégation, le 14 décembre 2017 :

« En ce qui concerne les certificats médicaux (...), la notion d'ITT pose problème . Dans l'affaire de Pontoise, le certificat médical était favorable à la victime, puisqu'il mentionnait bien l'état de sidération et de dissociation, mais il ne comportait malheureusement aucune indication en termes d'ITT (...). Le médecin aurait pu écrire « sous réserve d'un nouvel examen ultérieur ». L'avocat de la défense ne manque pas de remarquer cette lacune, cela lui donne un argument. Les psychologues ou psychiatres peuvent trouver des modèles sur Internet. Les médecins commencent à être formés à la rédaction des certificats, mais cette formation devrait être systématique et non pas aléatoire ».

Dans son rapport Combattre les violences faites aux femmes, des plus visibles aux plus insidieuses 163 ( * ), le Comité économique, social et environnemental (CESE) insistait sur l'importance d'« informer les médecins sur l'intérêt majeur du certificat médical de coups et blessures comme support à une plainte pour violences ».

Pour le CESE, « certificat médical et ITT sont des éléments essentiels dans la constitution d'un dossier de plainte pour violences, que les médecins doivent bien maîtriser ». Le CESE recommandait donc qu'un guide de rédaction de ce certificat soit fourni à tous les médecins, de même qu'une explication de la notion juridique d'ITT, notion encore mal connue de certains praticiens.

À cet égard, dans son rapport de 2016 sur les violences conjugales 164 ( * ) , la délégation saluait le travail de la MIPROF qui a élaboré un certificat médical type en collaboration avec l'Ordre des médecins 165 ( * ) .

La délégation partage pleinement ces constats et estime que la formation de tous les acteurs concernés est un enjeu fondamental pour avancer dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

Elle a déjà eu l'occasion de formuler des recommandations relatives à la formation des professionnels , qu'il s'agisse des violences conjugales, de la traite des êtres humains ou des mutilations sexuelles 166 ( * ) . Cet enjeu concerne surtout la formation continue , puisque la formation initiale des magistrats et des policiers prévoit d'ores et déjà des modules sur ce thème.

La délégation considère donc qu'un enseignement approfondi sur la question des violences sexuelles devrait être obligatoirement suivi en formation continue par tous les professionnels susceptibles d'être en contact avec les victimes de violences sexuelles.

Notre collègue Claudine Lepage a attiré son attention, au cours de sa réunion du 12 juin 2018, sur la nécessité d'inclure dans cet effort de formation les personnels des postes diplomatiques et consulaires , qui constituent pour de nombreuses victimes de violences la porte d'entrée vers des structures d'accueil et d'accompagnement, y compris pour de très jeunes victimes, comme c'est souvent le cas s'agissant des mariages forcés et des mutilations sexuelles féminines.

Afin de garantir à toutes les victimes de violences une prise en charge adaptée sur l'ensemble du territoire, condition essentielle du dépôt de leur plainte et d'un parcours judiciaire prenant en compte leurs souffrances, la délégation réaffirme la nécessité de sensibiliser tous les professionnels susceptibles d'être en contact avec des femmes victimes de violences , y compris dans les postes diplomatiques et consulaires, à la difficulté de l'écoute de ces personnes. Elle demande que cette formation continue constitue une obligation pour ces personnels.

c) La pré-plainte en ligne, une solution adaptée aux victimes de violences ?

En ce qui concerne la problématique du dépôt de plainte , la délégation s'est interrogée sur la pertinence du projet de plate-forme de signalement en ligne des violences sexistes et sexuelles annoncée par le Président de la République dans son discours du 25 novembre 2017.

Les réactions des interlocuteurs de la délégation se sont avérées partagées à cet égard.

Dans tous les cas a été mise en exergue la nécessité de conserver un contact humain avec les victimes .

Le Docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre, entendue par la délégation le 30 novembre 2017, s'y est montrée plutôt favorable lors de son audition, soulignant qu'« elle est de nature à aider les victimes à franchir le pas, à condition toutefois que cette démarche se traduise par un suivi immédiat des autorités compétentes » 167 ( * ) .

Selon Sandrine Rousseau, présidente de l'association Parler , auditionnée le 17 janvier 2018, la pré-plainte en ligne pourrait présenter un intérêt dans les zones rurales où les victimes sont particulièrement isolées.

En revanche, le Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol , a émis des doutes lors de son audition sur la pertinence de la pré-plainte en ligne , relevant que celle-ci suppose que les victimes sachent écrire et manier Internet, et y aient accès . Elle a aussi souligné le besoin des victimes d'avoir un contact humain empathique .

Certains des interlocuteurs du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs 168 ( * ) se sont montrés beaucoup plus réservés encore, redoutant que cette procédure, favorisant le sentiment d'impunité lié à l'anonymat, mène à des mises en cause relevant de la diffamation ou à des dénonciations calomnieuses . Ils ont notamment pointé un risque d'instrumentalisation dans les situations de séparation . Selon eux, de telles dérives pourraient de surcroît entraîner une surcharge de travail pour les enquêteurs. Ils ont donc mis en garde contre certains effets de la pré-plainte en ligne.

La délégation estime que la pré-plainte en ligne peut constituer un outil utile pour aider les victimes à franchir le pas du dépôt de plainte, mais qu'elle doit être accompagnée d'un contact humain au commissariat ou à l'antenne de gendarmerie , de façon à pouvoir établir un rendez-vous et à faciliter la mise en oeuvre des procédures de recueil des preuves, qui sont cruciales pour la suite de la procédure judiciaire.

Dans cet esprit, elle a pris connaissance avec intérêt de la création d'une brigade numérique, au mois de février 2018 169 ( * ) .

Le document de présentation de la brigade numérique la décrit comme une « démarche innovante, dont l'objectif est de proposer aux usagers un contrat simplifié et rénové avec la gendarmerie nationale, en tout lieu et en tout temps, pour répondre à leurs interrogations ». Située à Rennes, elle est composée de « 20 gendarmes sélectionnés pour leur expérience et leurs qualifications professionnelles, ainsi que pour leurs compétences linguistiques ». Dans ce cadre, la victime sera accompagnée depuis chez elle dans ses démarches et orientée vers les commissariats et les associations compétentes .

Comme l'ont expliqué à la délégation les gendarmes du Pôle judiciaire de la gendarmerie nationale de Pontoise, le 22 janvier 2018 170 ( * ) , la brigade numérique consiste en une plateforme Internet ouverte 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, conçue comme un nouveau vecteur de contact entre la population et la Gendarmerie nationale . Cette dernière en attend des résultats positifs, notamment pour ce qui concerne la prise en charge des femmes victimes de violences. En effet, elle devrait permettre de limiter l'épreuve que constitue tout déplacement à la gendarmerie pour les victimes, tout en leur prodiguant les premiers conseils dont elles ont besoin pour leur parcours.

Le document précité indique à cet égard que « l 'accent a été mis sur l'accueil des femmes victimes de violences » et que « les militaires de la brigade numérique ont suivi une formation spécifique à laquelle ont participé l'association France Victimes et 3919 Violences femmes info ».

La délégation salue la création de cette brigade numérique , qui pourra représenter un soutien utile pour les victimes de violences dans des territoires isolés ou caractérisés par l'absence d'anonymat, ce qui peut être le cas des zones rurales ou des territoires ultramarins .

S'agissant plus précisément de l'isolement des victimes de violences en zone rurale, problématique pour leur prise en charge et leur protection, la délégation réitère une recommandation formulée dans son rapport d'information sur la situation des agricultrices, tenant à la désignation de référents agissant comme le relais d'associations spécialisées 171 ( * ) .

Afin d'offrir des lieux d'accueil aux femmes victimes de violences sur tout le territoire, la délégation suggère que, lorsqu'il n'existe pas de structure associative dédiée à la lutte contre les violences, notamment en zone rurale, des référents agissant comme le relais des associations spécialisées soient identifiés et formés à l'accueil et à l'orientation des victimes.

En conclusion, la délégation note que plusieurs dispositifs de pré-plainte en ligne ou de plateformes de signalement ont été annoncés ou mis en place au cours des derniers mois , de façon dispersée, ce qui semble pouvoir affecter la cohérence de l'ensemble . Certains de ces outils sont spécifiquement dédiés aux violences sexuelles, d'autres non.

Outre la plateforme annoncée par le Président de la République le 25 novembre 2017 172 ( * ) et la brigade numérique ci-dessus évoquée, le décret n° 2018-388 du 24 mai 2018 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « pré-plainte en ligne » 173 ( * ) prévoit que le système de pré-plainte en ligne , existant depuis 2013 pour les atteintes aux biens, sera élargi à certains faits de discriminations , de provocation aux discriminations, à la haine ou à la violence ou à des délits de diffamation ou d'injure, dans le cadre d'une expérimentation de 12 mois .

En outre, plusieurs numéros nationaux devraient être appelés à fonctionner simultanément, puisque la secrétaire d'État a annoncé la création d'un numéro national dédié aux victimes de harcèlement sexuel , ce qui pose probablement la question de la coordination de ce numéro avec le 3919 .

La délégation s'interroge donc sur la cohérence de tous ces outils et de leur lisibilité pour les victimes . Alors que les moyens des associations sont calibrés au plus juste, on est en droit de s'étonner de la multiplication de plusieurs dispositifs voisins , dont il n'est pas toujours aisé d'identifier la mission. Pourtant, la simplicité et la clarté sont très importantes pour l'accueil et l'orientation des victimes.

2. Un véritable besoin : améliorer les conditions de recueil de la parole des victimes

Les difficultés du parcours des victimes tiennent également aux conditions d'accueil et de recueil de leur parole .

a) Le manque de confidentialité

Tout d'abord, Sandrine Rousseau, fondatrice de l'association Parler, a mis en exergue le manque d'anonymat et de confidentialité qui existe généralement dans les commissariats et les services de gendarmerie. Il est rare que l'accueil qui y est fait soit propice à la libération de la parole .

Pour y remédier, elle propose d'instaurer un code , qui permettrait aux personnels présents d'adresser la victime à la personne qui recueillerait son témoignage et sa plainte . Un tel code faciliterait donc l'orientation de la victime vers un lieu adapté au recueil de la parole ou vers un référent violences. La délégation estime que ce code pourrait être par exemple « 3919 », en référence au numéro d'appel des services d'urgence dédiés à l'écoute des femmes victimes de violences .

En outre, une telle solution aurait le mérite d'éviter à la victime de prononcer en public les mots de viol ou d'agression sexuelle et, par le choix d'un terme neutre tel que « 3919 », de respecter sa dignité .

La délégation est tout à fait favorable cette proposition.

La délégation propose donc que soit mis en place, dans les postes de police et de gendarmerie, un code dédié aux violences faites aux femmes, assurant l'orientation des victimes dans des conditions de discrétion et d'anonymat indispensables au respect de leur dignité . La délégation suggère le choix du code « 3919 », par référence au numéro national d'accueil des femmes victimes de violences.

b) Des locaux généralement peu adaptés

Un deuxième point relatif aux conditions matérielles de l'accueil des victimes de violences concerne les locaux eux-mêmes . Ainsi, Sandrine Rousseau a regretté le manque de lieux adaptés à l'accueil des victimes de violences sexuelles dans les commissariats et les hôpitaux . Pourtant, comme elle l'a souligné en se référant à sa propre expérience, une victime a besoin de se sentir en confiance pour être en capacité de parler .

À cet égard, la délégation note qu'il existe des salles spécifiques pour accueillir les enfants victimes de violences. Il s'agit des salles « Mélanie » 174 ( * ) .

De la même manière, pourrait être envisagé l'aménagement de salles dédiées aux personnes victimes de violences physiques, notamment les femmes victimes de violences sexuelles ou de violences conjugales. Cela implique cependant de disposer des moyens nécessaires pour aménager de tels locaux .

c) L'audition dans les locaux de la police ou de la gendarmerie, un moment éprouvant pour les victimes

Un moment particulièrement éprouvant pour les victimes de violences sexuelles est celui de l'audition dans les locaux de la police ou de la gendarmerie .

La délégation estime donc qu'il faut limiter la répétition des faits aux différents intervenants de la chaîne pénale, depuis le dépôt de plainte jusqu'à l'éventuel procès.

De ce point de vue, elle relève avec intérêt que le parquet de Paris a donné des instructions s'agissant de la primo-audition des victimes, dans le but d'éviter des auditions multiples et renouvelées. Selon le procureur de la République de Paris, entendu par la délégation le 22 février 2018, « ces directives ne sont pas encore formalisées, mais nous avons réuni tous les services de police parisiens pour en parler ; le message est en train de passer. Nous insistons sur le fait que la primo-audition n'est pas nécessaire si aucun fonctionnaire présent n'est compétent et n'a été formé à cette fin . Elle n'est utile que si elle permet de recueillir suffisamment d'éléments pour appeler le parquet et lui permettre de saisir le service compétent . En tout état de cause, mieux vaut réserver la première audition au service de police qui sera saisi de l'enquête et des investigations que de procéder à une primo-audition qui ne sera pas concluante ».

La délégation approuve pleinement cette analyse et invite les autres parquets à adopter des directives allant dans ce sens.

La délégation salue une pratique du parquet de Paris consistant à attacher un soin particulier à la première audition des victimes, afin de leur éviter la répétition de leur témoignage quand cette épreuve peut leur être épargnée, et estime que cette formule pourrait constituer un modèle pour les autres parquets.

Dans le même esprit, sans méconnaître la problématique des moyens , la délégation estime que la captation vidéo systématique des auditions de victimes de violences sexuelles , déjà recommandée pour les victimes mineures, serait une orientation utile. Une telle mesure éviterait aux victimes la répétition éprouvante des faits au cours du parcours judiciaire.

La délégation souhaite la mise à l'étude de l'extension, aux femmes victimes de violences, de pratiques qui ont fait leurs preuves à l'égard des enfants victimes : l' aménagement de salles dédiées , sur le modèle des salles « Mélanie », et la généralisation de la captation vidéo des auditions, afin d'épargner aux victimes la répétition du récit de leur agression à tous les intervenants de la chaîne judiciaire.

3. Les prélèvements médicaux, une étape nécessaire pour l'établissement des preuves

Plusieurs des interlocuteurs de la délégation ont attiré son attention sur le caractère perfectible des conditions de réalisation des prélèvements médicaux , nécessaires à l'établissement de la preuve du viol ou de l'agression sexuelle.

a) Les conditions d'examen de la victime et les traitements préventifs

Pour Sandrine Rousseau, fondatrice de l'association Parler , l'examen de médecine légale pratiqué sur les victimes à la suite de l'agression pour constater le viol, après le dépôt de plainte, est souvent mal vécu par les victimes . Elle a estimé que le fait que ces prélèvements intimes puissent être réalisés par des hommes était « insupportable pour des femmes qui viennent de subir un viol ».

Une telle réaction des victimes est largement compréhensible, compte tenu du traumatisme qu'elles peuvent avoir subi. La délégation appelle sur ce point à une plus grande sensibilisation des personnels des unités médico-judiciaires (UMJ) qui réalisent ce type de prélèvements.

De surcroît, comme l'a indiqué Sandrine Rousseau les victimes ressentent très douloureusement l'obligation de suivre des traitements préventifs , particulièrement lourds, contre le VIH ou les hépatites en cas de viol. Ces traitements semblent nécessaires même quand l'auteur est arrêté, ce qui suppose que ce dernier ne subit pas d'examens pour vérifier que l'intérêt de ces traitements, qui pourraient peut-être être épargnés à la victime.

La délégation suggère que les auteurs présumés de viol, lorsqu'ils sont appréhendés, soient systématiquement soumis à des examens médicaux , de façon à ne pas infliger aux victimes des traitements préventifs particulièrement contraignants (VIH, hépatites...).

b) Des inégalités territoriales persistantes

Un autre point de vigilance sur lequel les interlocuteurs de la délégation ont attiré son attention tient aux inégalités territoriales dans la répartition des unités médico-judiciaires (UMJ). Cet écueil a notamment été souligné par les gendarmes du Pôle judiciaire de la Gendarmerie nationale, entendus lors du déplacement de la délégation à Pontoise, le 22 janvier 2018.

Actuellement, on compte environ 50 UMJ pour 100 départements . Or dans les départements qui en sont dépourvus, il est compliqué de procéder à des prélèvements rapidement après une agression sexuelle ou un viol. Cette absence de structure dédiée est d'autant plus problématique qu'elle peut dissuader les victimes de porter plainte . C'est pourquoi la gendarmerie réfléchit à la mise en place d'une Mallette d'aide à l'accompagnement et à l'examen des victimes de violences sexuelles (MAEVAS) 175 ( * ) .

Cet outil, en cours de déploiement, présente un intérêt certain puisqu'il pourrait faciliter la réalisation systématique de prélèvements en cas d'agression sexuelle, dans tous les territoires .

Préoccupée des difficultés liées au recueil des preuves de violences sexuelles , qui contribuent à des sanctions insuffisantes, la délégation soutient le projet de développement de la Mallette d'aide à l'accompagnement et à l'examen des victimes d'agressions sexuelles (MAEVAS), réalisée par la Gendarmerie nationale. Elle est favorable à son extension à la Police nationale, de façon à garantir un traitement égalitaire des victimes de violences sexuelles sur l'ensemble du territoire .

c) Vers une réalisation des prélèvements indépendamment du dépôt de plainte ?

Une autre problématique relative au parcours judiciaire des victimes concerne le lien entre le dépôt de plainte et la prise en charge des prélèvements réalisés dans les unités médico-judiciaires (UMJ). Cet aspect avait été utilement éclairé par le Haut conseil à l'égalité dans son rapport sur le viol 176 ( * ) .

Au cours de son audition devant la délégation, le 22 février 2018, le procureur de la République de Paris a ainsi évoqué les difficultés tenant à la réalisation de prélèvements avant un dépôt de plainte : certaines victimes ne portent pas plainte mais se présentent directement aux UMJ ou à l'AP-HP pour un examen médical et la réalisation de prélèvements. Or lorsqu'aucune procédure n'est en cours, cet examen n'est pas pris en charge au titre des frais de justice.

François Molins a indiqué que le p arquet de Paris travaille à la mise en place d'une procédure pour que les examens et prélèvements soient réalisés même en l'absence d'une plainte . Dans ce cas, si la victime l'accepte, le service de police en serait avisé. Le parquet s'engagerait alors à prendre en charge financièrement, au titre des frais de justice, les examens médicaux et prélèvements, dès lors que la plainte permettrait d'ouvrir une procédure pénale.

La délégation note par ailleurs que, dans son discours du 25  novembre 2017, le Président de la République a annoncé la mise en place, dans les unités médico-judiciaires, d'un système de recueil de preuves sans dépôt de plainte .

Il faut noter qu'un tel système existe déjà à la Cellule d'accueil d'urgences des victimes d'agressions ( CAUVA ) de Bordeaux , mise en place il y a près de vingt ans, et qui permet aux victimes de faire réaliser des prélèvements sur réquisition judiciaire ou directement, c'est-à-dire sans plainte préalable 177 ( * ) .

Au cours de son audition du 16 novembre 2017, Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du HCE, a évoqué les résultats très positifs de ce dispositif, qui aboutit bien souvent au dépôt d'une plainte : « Dans les UMJ, le fait de prélever l'ADN pour le ressortir en cas de plainte montre que vous êtes crue. Or les victimes de violences sexuelles portent rarement plainte, de peur qu'on ne les croie pas, car l'agresseur les prétendra consentantes . À Bordeaux, où est expérimenté ce dispositif, une étude sur dix ans a montré que pour les personnes qui se sont rendues aux UMJ indépendamment d'une plainte, le taux de plaintes passait de 10 à 30 % . Cela suppose d'avoir quelques moyens techniques, un lieu de recueil et un répertoire ; mais si la volonté politique existe, cela se fera ! ».

La proposition du Président de la République viserait donc à s'inspirer d'un dispositif qui a fait ses preuves en le dupliquant dans d'autres territoires.

La délégation note que La Maison des Femmes de Saint-Denis permet aussi aux victimes de réaliser des prélèvements hors dépôt de plainte, tout en leur expliquant que ces prélèvements sont fondamentaux dans la perspective d'un dépôt de plainte ultérieur. C'est ce qu'a indiqué le Docteur Ghada Hatem à la délégation, au cours de son audition, le 14 décembre 2017 : « Nous avons souhaité offrir aux femmes toute la palette des outils dont elles pourraient avoir besoin, en commençant par le soin. Il s'agit là d'une porte d'entrée essentielle, car elle permet à la femme de parler le plus simplement possible de ce qu'elle vit. Cela inclut le recueil des preuves physiques, notamment si les violences sont récentes, même dans le cas où les victimes ne souhaitent pas porter plainte. Nous leur expliquons que ces preuves sont pour elles une sécurité, car le certificat ou les photos que nous réalisons pourront attester l'ancienneté des faits, par exemple en cas de répétition de l'agression, au cas où elles se sentiraient prêtes à déposer plainte dans le futur. Cela permettra alors de conforter leur parole . »

Il semblerait donc que certaines structures en pointe dans la lutte contre les violences faites aux femmes n'aient pas attendu la généralisation du dispositif au niveau national pour offrir aux victimes la possibilité de réaliser des prélèvements sans plainte préalable.

Si elle est indéniablement susceptible de faciliter le parcours des victimes, la généralisation d'une telle mesure ne serait pas sans poser des difficultés juridiques, indépendamment de la question des moyens et de la problématique de la répartition territoriale des UMJ. Ainsi, la duplication du dispositif bordelais sur tout le territoire nécessiterait sans doute une expertise plus précise, afin d'approfondir plusieurs questions . Par exemple, il conviendrait de savoir si les victimes qui sont passées par ce dispositif déposent plainte par la suite. Cela pose aussi un enjeu de confidentialité des données et de procédure pénale : quelle serait la durée adéquate de conservation de ces données probatoires hors dépôt de plainte ? Quelle serait la capacité de stockage des données des UMJ - question des moyens financiers pour conserver ces éléments de preuve médicaux - ? Quelles personnes seraient habilitées à traiter ces données ? Cela impliquerait sans doute la création d'un scellé médical, réalisé par une autorité médicale et non judiciaire. Plus généralement, quel serait le lien entre l'autorité médicale et l'autorité judiciaire dans ces procédures ?

Autant de questions qui ne peuvent trouver une réponse sans une expertise approfondie. La délégation ne sous-estime pas ces difficultés techniques et juridiques, mais demeure convaincue que la possibilité de réaliser des prélèvements indépendamment du dépôt de plainte marquerait un progrès dans la prise en charge des victimes de violences sexuelles .

La délégation est favorable à la généralisation, après expérimentation dans des territoires pilotes, du recueil des preuves indépendamment du dépôt de plainte par les victimes de violences sexuelles, et au déploiement plus large d'un dispositif comparable à celui mis en place au CAUVA de Bordeaux.

4. Une nécessité : protéger les victimes qui déposent plainte

A la lumière de ses auditions, la délégation a pris conscience d'une lacune tenant à la protection des victimes qui déposent plainte .

Ce problème a notamment été évoqué par Sandrine Rousseau, fondatrice de l'association Parler . Selon elle, beaucoup de femmes qui déposent plainte reçoivent des menaces . Elle suggère donc d'organiser une protection systématique de ces victimes tant que la justice n'a pas statué : « Un autre problème concerne la protection des victimes. Beaucoup de femmes qui déposent plainte reçoivent des menaces contre elles-mêmes ou leurs enfants, surtout quand elles connaissent leur agresseur. Je pense que tant que la justice n'a pas statué, il faut organiser la protection de ces femmes . Les juges peuvent demander une protection dans ces situations, mais ce n'est pas systématique et cela se fait rarement en pratique, et de façon assez légère. Certaines victimes ressentent une profonde détresse face à ces menaces : les gérer en plus de leur traumatisme leur est tout simplement impossible ».

De même, le Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV), a relevé au cours de son audition, le 18 janvier 2018, le caractère imparfait de la procédure judiciaire sur ce point, soulignant que « les prévenus comparaissent tous libres devant le tribunal et ils sont encore libres pendant les suspensions d'audience ». Selon elle, il faut éviter la confrontation de la victime avec son agresseur . Cette confrontation peut en effet conduire la victime à se sentir menacée lorsqu'elle se trouve en présence de son agresseur dans la salle d'audience. C'est pourquoi les associations accompagnent les victimes au tribunal lorsqu'elles le peuvent : « Nous ne pouvons cependant pas assister à toutes les auditions. Or il est impossible pour la victime d'y côtoyer son agresseur . La protection des victimes dans les salles de justice n'est pas assurée à l'heure actuelle. Dans le cabinet du juge, les choses sont souvent mieux faites, ce qui n'est pas le cas dans les salles d'attente qui réunissent les témoins, les victimes, les agresseurs et leurs amis. C'est effrayant. Il faut réfléchir à organiser les choses différemment ».

Le sentiment du Docteur Piet a été corroboré par le témoignage de notre collègue Laurence Cohen , co-rapporteure, qui a évoqué sa propre expérience au cours de la même audition : « Il faut réfléchir à ne pas réunir dans les commissariats et les tribunaux les victimes et leurs familles, ainsi que les agresseurs. J'ai été convoquée dans un commissariat en tant que témoin pour une comparution face à un agresseur. Je peux vous dire que c'est très impressionnant. Pourtant, je n'avais pas les mêmes raisons qu'une victime d'avoir peur de cette confrontation : il faut impérativement protéger les victimes et les témoins ».

Plus généralement, les gendarmes rencontrés au Pôle judiciaire de la Gendarmerie nationale à Pontoise, le 22 janvier 2018, ont également évoqué la nécessité de mener une réflexion sur la protection des victimes qui déposent plainte , notamment à travers des structures d'hébergement adaptées.

En ce qui concerne les Outre-mer, Ernestine Ronai a relevé l'urgence de renforcer les solutions de mise à l'abri, car « il est particulièrement difficile pour une victime de se protéger des représailles sur une île » 178 ( * ) .

La délégation préconise la mise à l'étude de solutions pour assurer la protection globale des victime s de violences et de leur famille , du dépôt de la plainte à son aboutissement judiciaire.

5. Une difficulté : la question de la correctionnalisation des viols

La délégation est convaincue que le viol est un crime et qu'à ce titre, il relève de la compétence des cours d'assises ; il est passible d'une peine de quinze ans de réclusion criminelle , voire davantage en cas de circonstances aggravantes.

a) Un paradoxe : un crime jugé comme un délit

Les auditions de la délégation ont fait émerger une problématique majeure du parcours judiciaire des victimes de violences sexuelles : la correctionnalisation des viols . Cela implique une déqualification du viol en agression sexuelle , constitutive d'un délit, avec des peines de prison inférieures à celles requises en cas de viol.

Selon une étude réalisée en Seine-Saint-Denis, citée par Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du HCE, 46 % des agressions jugées devant le tribunal correctionnel étaient en réalité des viols. C'est une proportion très importante .

En outre, le viol est plus correctionnalisé que d'autres crimes comme le trafic de stupéfiants 179 ( * ) . On peut s'interroger sur cette spécificité .

De surcroît, au sein des viols, ce sont les viols conjugaux qui sont « presque systématiquement » requalifiés en agressions sexuelles, selon Josette Gonzales, avocate à la Fédération Nationale Solidarité Femmes , auditionnée le 18 janvier 2018 par la délégation ( cf. infra ).

La plupart des interlocuteurs de la délégation - représentants des associations et avocates - se sont élevés contre cette correctionnalisation.

Pour Sandrine Rousseau, fondatrice de l'association Parler , il est indispensable de lutter contre cette pratique « scandaleuse » : « Le viol est un crime et doit être jugé comme tel ».

Selon le Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV), « La correctionnalisation n'est pas pédagogique et n'a aucun sens », tandis que les assises sont importantes pour la prise de conscience de l'accusé , pour lui permettre de comprendre la peine à laquelle il est condamné : « Dans une audience d'assises, le temps nécessaire est laissé pour traiter les dossiers. L'audition des témoins permet d'éclairer les choses et de comprendre le contexte . L'accusé comprend en outre la peine à laquelle il est condamné et peut prendre conscience de ce qu'il a fait (...). Finalement, même si c'est incontestable, les procès d'assises sont longs - et ce d'autant plus que l'appel est désormais possible - à tout le moins les dossiers y sont traités en profondeur ».

Dans le même esprit, Ernestine Ronai a elle aussi défendu la vertu pédagogique du procès aux assises , à condition toutefois que la victime soit accompagnée par une association et préparée au procès : « Quel est l'intérêt de la cour d'assises ? Certes, elle coûte cher, mais elle présente le grand avantage de juger selon une procédure orale , ce qui signifie que la victime et l'agresseur entendent les éléments du dossier lors de l'audience, les experts, la famille. La valeur pédagogique de ce principe est très forte, car la victime peut se reconstruire et l'agresseur peut reconnaître les faits , même s'il était dans le déni au départ. Or la compréhension est essentielle pour la prévention de la récidive » 180 ( * ) .

Maître Carine Durrieu-Diebolt, entendue par la délégation le 14 décembre 2017, n'est pas favorable non plus à cette pratique car « le viol est un crime qui relève en tant que tel des assises ».

Selon elle, la seule hypothèse justifiant la correctionnalisation concerne les victimes se trouvant dans l'incapacité de parler (cela concerne notamment de jeunes adolescentes). Elle constate que la correctionnalisation des viols est moins fréquente en province, où les assises sont moins sollicitées. S'agirait-il donc d'une pratique plus prégnante dans les grandes villes ?

b) Une décision dans l'intérêt des victimes ou liée au manque de moyens de la Justice ?

Le débat sur la correctionnalisation est complexe et met en présence des points de vue très opposés. À l'inverse des associations et de certains avocats de plaignantes, les magistrats estiment que la correctionnalisation des viols peut parfois se justifier dans l'intérêt des victimes 181 ( * ) .

Tout d'abord, les magistrats estiment que le passage devant un tribunal correctionnel garantit un jugement plus rapide , et rappellent qu'il se fait en accord avec la victime ou ses représentants légaux. En effet, selon la loi Perben 2 182 ( * ) , le magistrat doit demander son accord à la victime avant de correctionnaliser .

Ce point a toutefois été nuancé par Maître Carine Diebolt, auditionnée le 14 décembre 2017, qui considère que la victime est souvent « contrainte à une décision qui la satisfait rarement » : « Elle a l'impression que le crime est sous-estimé, ce qu'elle ressent comme une injustice, alors qu'elle sait pertinemment qu'elle a été victime d'un viol ».

De plus, selon les magistrats, la correctionnalisation peut présenter la vertu d'épargner à la victime un procès qui peut être particulièrement éprouvant , les avocats de la défense n'hésitant pas à remettre en cause sa moralité. Contrairement au tribunal correctionnel, le procès aux assises est fondé sur l'oralité des débats qui implique une confrontation avec l'agresseur , conformément aux exigences d'un procès équitable, fondées sur la présomption d'innocence et le respect des droits de la défense.

En outre, plusieurs magistrats auditionnés dans le cadre du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs ont mis en avant le fait que les peines prononcées par le tribunal correctionnel peuvent aller jusqu'à dix ans d'emprisonnement , alors qu'il peut arriver qu'aux assises on aboutisse à des peines inférieures à dix ans 183 ( * ) .

Selon les magistrats, le verdict du procès aux assises serait parfois plus aléatoire que celui du tribunal correctionnel , en raison de la présence d'un jury populaire, alors que le tribunal est composé de magistrats et de juristes. On a effectivement pu le constater avec « l'affaire » de Meaux, lorsqu'un homme accusé du viol d'une fillette de onze ans a été acquitté par la cour d'assises de Seine-et-Marne, en novembre 2017.

À l'inverse, plusieurs interlocuteurs de la délégation ont dénoncé une correctionnalisation « en opportunité » , qui tient essentiellement au manque de moyens de la justice et à l'encombrement des juridictions . Le manque de moyens de la justice a plus particulièrement été dénoncé par Maître Carine Durrieu-Diebolt ( cf. supra ) 184 ( * ) .

Ce point de vue a été résumé avec force par le Docteur Emmanuelle Piet, « « La correctionnalisation est une justice de misère ».

Sensible aux épreuves particulières qui résultent pour les victimes d'un procès aux assises et consciente que les délais de jugement devant les tribunaux correctionnels présentent parfois l'intérêt d'une plus grande rapidité, la délégation s'oppose néanmoins au principe même de la correctionnalisation , qui consiste à juger comme des délits des infractions qui constituent des crimes. Elle s'élève contre toute correctionnalisation « en opportunité » , en lien avec le manque de moyens de la Justice et la surcharge des cours d'assises 185 ( * ) .

c) Une pratique parisienne intéressante : l'exclusion de la correctionnalisation ab initio

Au cours de son audition devant la délégation, le 22 février 2018, le procureur de la République de Paris a présenté la pratique de son parquet en ce qui concerne la répression des infractions sexuelles 186 ( * ) . Celui-ci a mis en place un protocole de répartition des saisines entre la police judiciaire, qui traite les affaires les plus graves et les plus complexes, et la sécurité publique, en charge des autres affaires. Les violences sexuelles représentent quelques milliers d'infractions, parmi les 350 000 à 400 000  procédures traitées chaque année par le parquet de Paris .

Selon François Molins, il n'y a pas de correctionnalisation des faits de viol au sein du couple ab initio , mais cela arrive souvent à l'issue de l'instruction, à la demande des victimes . De même, il constate très peu de correctionnalisation ab initio concernant les agressions sexuelles, car elles sont considérées par le parquet comme des « infractions graves, qui nécessitent des réponses rapides et efficaces ».

La délégation salue la pratique du parquet de Paris s'agissant de la répression des infractions sexuelles , tout en relevant qu'un tel dispositif nécessite des moyens qui ne sont pas forcément accessibles à tous les parquets du territoire.

d) Une solution : la spécialisation des magistrats ou des chambres de jugement ?

Comme l'a indiqué Maître Carine Durrieu-Diebolt, il existe à Paris une antenne des mineurs qui prévoit un parcours de justice spécifique pour les mineurs agresseurs, avec des magistrats spécialisés et une cour d'assises des mineurs. Selon elle, il serait intéressant d'envisager un parcours judiciaire dédié pour les violences sexuelles, en s'inspirant de ce modèle .

Elle a insisté à cet égard sur la difficulté de défendre un dossier devant des magistrats non formés. Elle propose donc d'envisager la création de chambres spécialisées en matière de violences sexuelles , avec des magistrats spécialisés qui traiteraient le viol comme un crime, mais sur une durée plus resserrée qu'aux assises, ce qui permettrait de résoudre le problème des assises saturées.

De surcroît, le procureur de la République de Paris a indiqué à la délégation qu'il existe une spécialisation de fait au parquet de Paris, puisqu'une chambre correctionnelle dédiée traite l'ensemble des dossiers relatifs aux violences sexuelles : « Dans la phase de jugement, nous avons de fait, même si elle n'est pas officialisée, une spécialisation de chambre correctionnelle. A Paris, tous ces dossiers sont en effet jugés par une même chambre du tribunal correctionnel (...) ce qui nous assure une unité de jurisprudence (...) et des peines qui, en cas de correctionnalisation, restent sérieuses puisqu'elles se situent entre trois et cinq ans d'emprisonnement. Cela assure une réponse pénale qui a un certain sens ».

La délégation a entendu ces éléments d'information et de proposition avec intérêt.

Elle note que le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice propose l'expérimentation , entre 2019 et 2021, dans deux à dix départements, d'un tribunal criminel départemental composé de cinq magistrats professionnels pour juger (en premier ressort et hors mineurs et récidive) les crimes punis de quinze à vingt ans de réclusion (soit 57 % des affaires jugées par les cours d'assises) 187 ( * ) . Elle s'interroge sur les effets d'une telle évolution pour ce qui concerne la répression pénale des viols .

Soucieuse de favoriser la cohérence du traitement des violences sexuelles, sur l'ensemble du territoire, la délégation préconise la mise à l'étude d'une spécialisation des magistrats et de la création de chambres spécialisées .

6. Des circonstances aggravantes à compléter

Au-delà du débat sur la correctionnalisation, la délégation a identifié au cours de ses travaux une lacune de notre droit pénal dans la répression des infractions sexuelles , s'agissant plus particulièrement de l'article 222-28 du code pénal qui définit les circonstances aggravantes s'appliquant aux agressions sexuelles.

Lors de son audition devant la délégation, le 22 février 2018, le procureur de la République de Paris a indiqué à la délégation que le régime des circonstances aggravantes lui paraissait perfectible s'agissant des violences sexuelles, car il ne prévoit pas le cas où l'agression aurait entraîné une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à 8 jours : « « Aujourd'hui, cette circonstance n'est pas prévue dans le code et il s'agit là d'une lacune », a-t-il fait observer.

LES CIRCONSTANCES AGGRAVANTES EN MATIÈRE DE VIOLENCES SEXUELLES

Articles 222-27 et 222-28 du code pénal

Article 222-27. - Les agressions sexuelles autres que le viol sont punies de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Article 222-28. - L'infraction définie à l'article 222-27 est punie de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende :

1° Lorsqu'elle a entraîné une blessure ou une lésion ;

2° Lorsqu'elle est commise par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ;

3° Lorsqu'elle est commise par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;

4° Lorsqu'elle est commise par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ;

5° Lorsqu'elle est commise avec usage ou menace d'une arme ;

6° Lorsque la victime a été mise en contact avec l'auteur des faits grâce à l'utilisation, pour la diffusion de messages à destination d'un public non déterminé, d'un réseau de communication électronique ;

7° Lorsqu'elle est commise par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ;

8° Lorsqu'elle est commise par une personne agissant en état d'ivresse manifeste ou sous l'emprise manifeste de produits stupéfiants ;

9° Lorsqu'elle est commise, dans l'exercice de cette activité, sur une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle.

La délégation propose donc d'introduire dans le code pénal une circonstance aggravante pour les agressions sexuelles ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à huit jours .

7. La réparation financière, un droit des victimes à mieux faire valoir

Au-delà de la condamnation de leur agresseur dans le cadre du procès pénal, les victimes de violences sexuelles peuvent obtenir une réparation au titre de leur préjudice .

Au cours de son audition devant la délégation, le 7 décembre 2017, Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) a mis en avant l'importance de la réparation financière, notamment dans les affaires de harcèlement , estimant qu'il faut travailler dans cette direction. Elle a observé que, dans notre pays, prime souvent une logique de sanction ou de condamnation avant une logique de réparation .

Si la première est bien sûr indispensable, il convient selon elle de ne pas oublier la seconde. En effet, les personnes ayant fait l'objet de violence sexuelle - sexisme, harcèlement sexuel, agression sexuelle - peuvent obtenir des dommages et intérêts de l'auteur de ces actes 188 ( * ) .

En outre, selon Maître Carine Durrieu-Diebolt, avocate spécialisée dans la réparation des dommages corporels, entendue le 14 décembre 2017 par la délégation, cette procédure est indispensable en droit des victimes : « Celles-ci vont se porter partie civile dans la procédure pénale. L'avocat évoque l'infraction et le traumatisme psychologique, qui a un retentissement par la suite, et peut donner lieu à des dommages et intérêt ».

À cet égard, Carine Durrieu-Diebolt a regretté que les demandes de réparation formulées par des avocats puissent aboutir à des « indemnités dérisoires et sous-évaluées » au regard de l'ampleur du traumatisme subi par les victimes et des conséquences de leur agression : « La demande au forfait est théoriquement interdite, même si certains avocats en requièrent avec des sommes dérisoires. Une étude de la Gazette du Palais , fondée sur les résultats des jugements, citait le cas d'une mineure de huit ans violée par un voisin, qui a obtenu une indemnité de 15 000 euros, montant dérisoire par rapport aux conséquences de cette agression sur la vie de la petite victime » 189 ( * ) .

L'avocate a également souligné l'intérêt d'une démarche d'indemnisation auprès de la commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI), qui peut offrir une forme de reconnaissance du traumatisme de la victime , à travers une exposition précise des préjudices subis devant le tribunal. Mais, là encore, l'avocate a regretté la pénurie de psychiatre formés et d'experts, déplorant le manque de moyens de la Justice : « Souvent, si les victimes n'envisagent pas initialement de réclamer des dommages et intérêts, elles demandent ensuite une évaluation des préjudices (...). Cela intéresse les victimes non pas pour l'argent, mais pour la reconnaissance de leur traumatisme à travers une exposition détaillée des préjudices subis devant le tribunal (...) Par ailleurs, il n'y a pas assez de psychiatres formés . Lorsque j'ai demandé (...) une psychiatre femme, le président de la CIVI m'a répondu qu'il ferait le maximum mais que rien n'était sûr : les psychiatres experts à la CIVI sont sous-payés, beaucoup se désistent et celui qui reste n'est pas forcément spécialisé dans ce type de contentieux ... Il y a toujours et encore un problème de moyens. C'est une difficulté de fond ».

La délégation recommande de renforcer l'information des victimes de violences sur les procédures de réparation financière , notamment en matière de harcèlement sexuel au travail, pour les aider à mieux faire valoir leur droit à une indemnisation au titre des préjudices qu'elles ont subis.

8. Un impératif : développer une prise en charge globale des victimes pour les aider à se reconstruire

Au cours de ses travaux, la délégation a mesuré la nécessité de développer une prise en charge globale des victimes pour les aider à se reconstruire et à retrouver des conditions de vie décentes. Elle a d'ailleurs dressé le même constat dans le cadre de son rapport sur les mutilations sexuelles féminines 190 ( * ) .

En effet, les femmes victimes de viols, de violences sexuelles ou de violences conjugales ont de nombreuses problématiques à gérer : ressources, hébergement, logement, emploi... La reconstruction doit concerner tous les aspects de leur vie . Ainsi que l'a souligné Françoise Brié, directrice générale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes , au cours de son audition, le 18 janvier 2018,  « Les femmes se reconstruisent plus efficacement, et se trouvent moins dans la souffrance quand elles ont par exemple retrouvé un emploi ».

a) Un modèle : La Maison des Femmes de Saint-Denis et son approche pluridisciplinaire

De ce point de vue, La Maison des Femmes de Saint-Denis est un exemple très abouti de ce type de prise en charge globale (médicale, psychologique, mais aussi sociale) des femmes victimes de violences 191 ( * ) .

Comme l'a expliqué le Docteur Ghada Hatem, fondatrice de La Maison des Femmes de Saint-Denis, lors de son audition devant la délégation, le 14 décembre 2018, le parcours de prise en charge des victimes de violences doit être simple et coordonné , pour leur éviter d'avoir à répéter à de multiples intervenants un récit douloureux, ce qui a pour conséquence de réactiver leur traumatisme, ou bien d'avoir à organiser elles-mêmes cette prise en charge, ce dont elles sont bien souvent incapables : c'est sur ces principes qu'est fondée La Maison des Femmes de Saint-Denis, à travers une prise en charge globale .

Le Docteur Ghada Hatem a indiqué à la délégation la démarche qui a guidé la création de La Maison des Femmes : « Nous avons souhaité offrir aux femmes toute la palette des outils dont elles pourraient avoir besoin, en commençant par le soin . Il s'agit là d'une porte d'entrée essentielle, car elle permet à la femme de parler le plus simplement possible de ce qu'elle vit ».

Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de mai 2017 192 ( * ) a conclu à la « nécessité d'ouvrir des lieux d'accueil de ce type partout sur le territoire » . Les auteurs du rapport estiment que, « quelles que soient les organisations retenues, trois compétences devraient être réunies pour une réponse complète et efficace : des compétences médicales incluant la santé mentale, des compétences de travail social et des compétences relatives au travail de coordination ». Ils recommandent donc de « réunir, dans un cadre hospitalier, les compétences médicales - dont santé mentale -, de travail social et de coordination dans des organisations dont les contours peuvent varier en fonction des caractéristiques du territoire et des structures ».

Selon le Docteur Ghada Hatem, ce document « conclut à notre légitimité en mettant en avant le socle incompressible qui doit être financé par l'État : soins médicaux, soins psychologiques, accompagnement social. Nous travaillons à mettre en place ce financement avec l'ARS d'Ile-de-France ». Par ailleurs, le rapport de l'IGAS souligne la nécessité d'organiser le pilotage national de la dimension hospitalière de la prise en charge des violences faites aux femmes .

Ghada Hatem a également exprimé son ambition de nouer des partenariats avec des structures comparables à la sienne , dans d'autres pays européens. À cet égard, elle a souligné l'action des European family justice centers , regrettant que notre pays ne fasse pas partie de ce réseau : « les European family justice centers mènent une action similaire à la nôtre, au niveau européen, à la différence près qu'ils n'incluent pas les soins . Ils ont pris contact avec nous par le biais de la fondation Kering qui est notre meilleur soutien et ils nous ont "adoubés", faisant de notre structure le premier dispositif français à avoir rejoint ce mouvement (...). Nous devrions réfléchir pour intégrer notre pays à ce mouvement . Tout comme nous, ces centres proposent une prise en charge psycho-juridico-sociale, et notre volet santé les intéresse beaucoup. Nous essayons de construire un socle commun ».

Au cours de leur audition, le 18 janvier 2018, les représentantes de la Fédération Nationale Solidarités Femmes (FNSF) ont également insisté sur l'importance de la mise en réseau des différents acteurs pour l'accompagnement des victimes sur le terrain, dans le cadre d'un accompagnement global. Elles estiment à cet égard que la prise en charge du syndrome post-traumatique ne peut être déconnectée des autres actions menées pour aider les victimes . Selon Françoise Brié, directrice générale de la FNSF, « Il est nécessaire que des personnes soient formées au repérage et à la culture commune sur les violences sexistes (...). Il importe en effet que les femmes, une fois repérées, puissent être orientées vers les services adéquats dans les différents départements ».

La délégation souligne l'importance d'une prise en charge pluridisciplinaire des femmes victimes de violences , dans un cadre partenarial associant les services hospitaliers, dont les UMJ, et les autres acteurs du territoire (collectivités, notamment le conseil départemental, autres structures de santé, professionnels de santé, associations, plus particulièrement d'aide aux victimes et de gestion de l'hébergement d'urgence). Elle salue à cet égard l'action de La Maison des femmes de Saint-Denis.

Elle estime qu'un ensemble de recommandations regroupant les bonnes pratiques en matière d'accueil et d'accompagnement des femmes victimes de violences devrait être élaboré à destination de tous les professionnels de santé, cette mission pouvant être confiée à la Haute Autorité de Santé (HAS) ou à la MIPROF.

b) Un autre exemple de bonne pratique : le schéma départemental d'aide aux victimes à Paris

Par ailleurs, la délégation a été très intéressée par les bonnes pratiques instaurées par le parquet de Paris pour favoriser une prise en charge pluridisplinaire des victimes et une mise en réseau des différents acteurs impliqués dans la chaîne pénale . Ainsi, le procureur de la République de Paris a précisé au cours de son audition, le 22 février 2018, que dans les affaires de viol, le parquet accompagne systématiquement ses enquêtes d'un examen médical et d'une évaluation de l'impact psychologique du viol sur la victime.

Par exemple, les sections de permanence du parquet de Paris saisissent systématiquement le Centre d'information sur les droits des femmes (CIDF) pour obtenir une évaluation personnalisée pour toutes les victimes d'infractions criminelles, pour les faits commis au sein du couple. C'est l'association Paris Aide aux victimes qui est saisie pour les faits commis en dehors du couple.

En outre, le parquet de Paris a élaboré, en lien avec la Mairie de Paris, un schéma départemental d'aide aux victimes , unique en France, qui travaille avec le réseau spécialisé dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Selon le procureur de la République de Paris, 80 recommandations sont en cours de mise en oeuvre, dont le suivi est assuré par un chargé de mission dédié. Il estime par ailleurs important d'engager en parallèle un travail de réseau qui renvoie directement aux comités locaux d'aide aux victimes , maintenant placés sous l'égide de la déléguée interministérielle aux victimes, « très impliquée dans ce chantier ».

De plus, il a indiqué à la délégation que des comités locaux d'aide aux victimes ont été institués au niveau départemental et a plaidé pour une mise en cohérence des dispositifs d'aide aux victimes sur le territoire , à travers l'élaboration d'un schéma départemental .

Pour autant, comme l'a souligné François Molins, ces actions exigent « du temps et des moyens car il faut un diagnostic précis de la situation, nécessaire pour corriger les dysfonctionnements et améliorer ce qui doit l'être : lorsque tous les départements auront mis en place ce type de schéma, je pense que l'on observera des résultats intéressants ».

Indépendamment des actions menées par le parquet de Paris, la délégation rappelle l'intérêt des brigades de protection de la famille , créées en 2009 au sein de la police nationale dans les commissariats. Leur rôle est notamment de fournir aux victimes le soutien et l'assistance nécessaire, en les orientant vers les partenaires présents dans les commissariats .

Une note de la DGPN 193 ( * ) transmise à la délégation indique que ces partenaires sont les 263 intervenants sociaux/ISCG 194 ( * ) , les 73 psychologues et les professionnels des associations d'aide aux victimes oeuvrant dans 123 permanences au sein des commissariats. Celles-ci sont tenues sur la base de conventions passées avec France Victimes , le Centre National d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles - Fédération Nationale des Centres d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CNIDFFF-FNCIDFF), la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF) et d'autres associations locales.

En outre, en plus de ces acteurs non policiers, la Police nationale dispose de 213 correspondants départementaux « aide aux victimes », de 414 correspondants locaux et de 163 référents violences conjugales, qui sont tous des policiers spécialement formés ( cf supra ).

Enfin, la délégation tient à saluer tout particulièrement l'action menée par le parquet de Paris pour accompagner la victime, en cas de classement sans suite d'une procédure, par l'envoi d'un courrier circonstancié lui expliquant les motifs de ce classement, de préférence à l'imprimé Cassiopée très lapidaire, et par son orientation vers une association d'aide aux victimes ou vers un délégué du procureur. François Molins a annoncé la mise en place d'un bureau d'aide aux victimes particulier pour amorcer un accueil immédiat des victimes les plus gravement traumatisées.

Plus généralement, un autre point important souligné par le procureur de la République de Paris pour garantir la réussite des politiques de lutte contre les violences faites aux femmes tient à la pérennité de ces politiques : « Il existe, à mon sens, une deuxième condition à la réussite des politiques publiques, c'est la pérennité (...). Les politiques publiques doivent survivre aux acteurs administratifs qui les mettent en place et les portent ».

À cet égard, il estime qu'une mission d'évaluation de cette politique publique pourrait être confiée aux Procureurs généraux : « Si cette mission était développée, et accompagnée des moyens nécessaires, je pense que la pérennité et l'efficacité des politiques publiques s'en trouveraient améliorées ».

La délégation a été sensible à ces arguments.

B. LE CAS PARTICULIER DU HARCÈLEMENT SEXUEL : AMÉLIORER LA FORMATION ET LA SENSIBILISATION POUR PRÉVENIR DES SITUATIONS PRÉJUDICIABLES À TOUS DANS L'ENVIRONNEMENT DE TRAVAIL

Les auditions auxquelles la délégation a procédé sur le harcèlement sexuel mettent en évidence la nécessité de poursuivre la connaissance statistique du phénomène, a fortiori dans le contexte actuel de libération de la parole. Quant au cadre juridique, il semble aujourd'hui relativement abouti, et les difficultés paraissent résider davantage dans son application. À cet égard, des avancées sont encore nécessaires pour renforcer la prévention et la sensibilisation des acteurs du monde du travail aux enjeux des violences sexuelles.

1. Une connaissance statistique à amplifier

Les statistiques disponibles en matière de harcèlement sexuel sont pour l'essentiel issues d'une enquête réalisée par le Défenseur des Droits en 2014. Selon les résultats de cette étude, un quart des agressions sexuelles se font au travail, et une femme active sur cinq estime avoir été confrontée au harcèlement au travail (23 % dans le secteur privé, et 19 % dans le secteur public, s'agissant des femmes de 18 à 64 ans). Les ordres de grandeur entre le secteur privé et la fonction publique sont donc comparables.

En outre, selon cette étude, 57 % des actifs s'estiment plutôt mal informés sur le harcèlement au travail, près de neuf actifs sur dix pensent qu'il n'est pas suffisamment reconnu dans les situations de travail , et plus de sept actifs sur dix estiment qu'il est difficile à identifier.

Selon le Défenseur des Droits, on constate une augmentation des expériences rapportées depuis les années 2000, dans un contexte de reconnaissance sociale des victimes et de mobilisation des pouvoirs publics et de la société civile. Il importe donc de disposer d'enquêtes actualisées sur le harcèlement sexuel, notamment au travail .

Le Défenseur des Droits recommande de renforcer la connaissance des situations de harcèlement sexuel (fréquence, circonstances, recours entamés et raisons de l'éventuelle absence de démarche), par le biais de la réalisation d'une nouvelle enquête . Ce travail pourrait par exemple être réalisé dans le cadre de l'étude Virage , pilotée par l'Institut national des études démographiques (INED).

Afin d'améliorer la connaissance des situations de sexisme et de harcèlement sexuel au travail, la délégation souhaite que l'enquête du Défenseur des droits sur le harcèlement au travail , réalisée en 2014, soit régulièrement actualisée .

2. Un dispositif juridique étoffé
a) Un cadre législatif relativement abouti
(1) La loi de 2012

Le cadre juridique du harcèlement sexuel concerne tant la loi pénale que le droit du travail . Il a évolué au fil du temps de manière à prendre en compte les manifestations diverses du harcèlement, s'écartant de la définition initiale qui impliquait une relation hiérarchique et centrée sur l'obtention de « faveurs de nature sexuelle », pour s'étendre à des agissements portant atteinte à la dignité de la personne par leur caractère « dégradant ou humiliant ».

Le 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel, saisi par le moyen d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), a abrogé l'article 222-33 du code pénal relatif au harcèlement sexuel issu de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale. Le juge constitutionnel a en effet considéré que cet article ne définissait pas assez précisément les éléments constitutifs de l'infraction de harcèlement sexuel et méconnaissait le principe de légalité des délits et des peines .

Une nouvelle loi a été adoptée par le Parlement dès le mois de juillet 2012 195 ( * ) , après plusieurs semaines d'intenses travaux pour améliorer la définition du harcèlement sexuel 196 ( * ) . La définition actuellement en vigueur résulte donc de la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel.

DÉFINITIONS DU HARCÈLEMENT SEXUEL ANTÉRIEURES À LA LOI DU 6 AOÛT 2012

La définition initiale supposait une relation de subordination :

L'article 222-33 du code pénal, issu de la loi n° 92-684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes, se référait au « fait de harceler autrui en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ».

Cette définition s'est étendue au fil des évolutions législatives, sans que les sanctions (un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende) soient modifiées :

- l'élément matériel de l'infraction a été élargi par la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs aux « pressions graves », s'ajoutant aux « ordres », « menaces » ou « contraintes » initialement prévus ;

- la relation hiérarchique a disparu de la définition résultant de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle ») qui supprimait également les précisions concernant les moyens utilisés par le harceleur. Parallèlement, l'article L. 1153-1 du code du travail disposait alors que « les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers sont interdits ».

Les objectifs du législateur, en 2012, étaient :

- d'adopter une définition du harcèlement sexuel qui soit suffisamment précise , tout en prenant en compte des comportements très divers , dont tous ne visent pas des relations sexuelles et ne s'inscrivent pas nécessairement dans un lien de subordination ;

- d'assurer la cohérence du code pénal , du droit du travail et du statut des trois fonctions publiques .

LES TRAVAUX DU GROUPE DE TRAVAIL SÉNATORIAL DE 2012
SUR LE HARCÈLEMENT SEXUEL

Le groupe de travail sur le harcèlement sexuel, constitué en mai 2012 au Sénat entre la délégation aux droits des femmes et les commissions des lois et des affaires sociales pour préparer l'examen du projet loi destiné à combler le vide juridique résultant de la décision du Conseil constitutionnel, a clairement exposé les priorités des sénateurs et sénatrices , auxquelles la loi votée a donné satisfaction 197 ( * ) :

- tirer les conséquences de situations n'impliquant pas la répétition d'actes de harcèlement : cette exigence a été retenue par la loi, qui distingue les situations où la qualification de harcèlement sexuel exige la répétition (il s'agit des « propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à [la] dignité [de la personne] en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ») de celles où un acte isolé suffit à établir l'infraction : « le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers » 198 ( * ) ;

- prendre en considération les comportements qui visent davantage à humilier les personnes qu'à l'obtention de « faveurs sexuelles » : or par ses références aux atteintes à la dignité de la victime et à la création d'une « situation intimidante, hostile ou offensante » , la loi de 2012 est précisément centrée sur les conséquences des agissements du harceleur sur la victime ;

- ne pas limiter la définition du harcèlement sexuel à l'existence d'un pouvoir hiérarchique , tout en faisant de l'abus d'autorité une circonstance aggravante de l'infraction : tel est précisément l'angle retenu pour l'article 222-33 du code pénal, qui se réfère au fait d'« imposer à une personne », sans mention d'un lien de subordination ;

- sanctionner l'ensemble des manifestations de l'infraction , c'est-à-dire tout propos, acte ou comportement , physique, verbal ou non, y compris les « propos écrits ou envoyés à la victime par courrier ou par Internet, dès lors qu'ils ont une connotation sexuelle et que, directement ou indirectement, ils ont un caractère intimidant, humiliant ou offensant ou qu'ils portent atteinte à la dignité de la personne » 199 ( * ) : la circulaire d'application du ministère de la justice du 7 août 2012 200 ( * ) précise à cet égard que les faits constitutifs de harcèlement sexuel relèvent d'une gamme très large d'agissements , intégrant les « attitudes » : il s'agit de « comportements de toute nature (propos, gestes, envois ou remises de courriers ou d'objets, attitudes...) » et que la condition concernant la connotation sexuelle des comportements n'exige pas « qu'ils présentent un caractère explicitement et directement sexuel ».

La loi de 2012 définit deux dimensions du harcèlement sexuel , qui se distinguent en fonction de leur répétition éventuelle .

S'il y a répétition , la définition repose sur des « propos ou comportements » :

- qui « portent atteinte à la dignité de la personne » en raison de leur « caractère dégradant ou humiliant » ;

- ou qui créent un environnement hostile, intimidant ou offensant pour la victime.

Le code pénal s'appuie sur deux critères cumulatifs : ces comportements doivent à la fois être imposés ou revêtir une « connotation sexuelle ».

L'article 222-33 du code pénal assimile au harcèlement sexuel les « pressions graves » exercées, même de manière non répétée , dans le but d'obtenir un acte de nature sexuelle. On notera :

- que dans ce cas de figure, le consentement n'entre pas en ligne de compte ;

- et que la pression peut être exercée dans un but « réel ou apparent », ce qui permet de prendre en considération l'hypothèse où la victime aurait toutes les raisons de supposer qu'elle fait l'objet d'un chantage sexuel, même si l'attitude du harceleur n'est pas réellement explicite.

L'article L. 1153-1 du code du travail actuellement en vigueur reprend cette définition double du harcèlement sexuel, selon que les faits constitutifs du harcèlement sont ou non répétés .

Par ailleurs, certaines des précisions apportées par la circulaire du ministère de la Justice du 7 août 2012 méritent d'être rappelées :

- le non-consentement de la victime , qui se déduit du verbe imposer , s'apprécie au regard du contexte , sans qu'il soit nécessaire que la victime l'ait fait connaître de façon explicite ;

- le sexisme et la grivoiserie sont reconnus parmi les éléments constitutifs du harcèlement sexuel : la « situation intimidante, hostile ou offensante » peut en effet résulter de « propos ou comportements ouvertement sexistes, grivois, obscènes, tels que des paroles ou écrits répétés constituant des provocations, injures ou diffamations, même non publiques » ;

- la circulaire intègre à la définition du harcèlement les provocations commises « en raison de l'orientation ou de l'identité sexuelle de la victime. Il peut évidemment s'agir de comportements homophobes ou dirigés contre des personnes transsexuelles ou transgenres » ;

- la notion de « pression grave » exercée sur la victime peut recouvrir des situations très variées : non seulement l'hypothèse où l'« acte de nature sexuelle » serait imposé en contrepartie d'un avantage comme l'obtention d'un emploi, l'obtention d'une augmentation, l'obtention d'un contrat de bail, la réussite à un examen... »), mais aussi l'hypothèse où le fait de céder au chantage sexuel permettrait d' éviter « une situation particulièrement dommageable , telle qu'un licenciement ou une mutation dans un emploi non désiré, une augmentation significative du montant d'un loyer payé au noir, un redoublement lors des études... ».

Enfin, la circulaire inscrit le harcèlement sexuel dans un cadre global , soulignant que « Les dispositions de l'article 222-33 ont en tout état de cause une portée générale et s'appliquent dans tous les milieux, notamment les milieux sportifs ou éducatifs ». Elle mentionne à cet égard, entre autres exemples, le cas de propriétaires de logement , d' examinateurs (examens et concours) ou d' employeurs qui exigeraient une relation sexuelle en échange de la signature d'un contrat de bail, d'un résultat- favorable ou d'une embauche.

Selon le Défenseur des Droits, entendu par la délégation le 25 janvier 2018, la loi du 6 août 2012 a marqué un changement radical dans la conception du harcèlement sexuel , qui se définit non plus seulement par l'intention de l'auteur (obtenir des faveurs sexuelles), mais par les conséquences de son comportement sur la victime . Cette définition modifiée figure aujourd'hui à l'identique dans le code pénal 201 ( * ) , le code du travail 202 ( * ) et le statut des fonctionnaires 203 ( * ) .

LA DÉFINITION ACTUELLE DU HARCÈLEMENT SEXUEL

Article 222-33 du code pénal

I - Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

II - Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou d'un tiers.

Article L1153-1 du code du travail

Aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

Statut des fonctionnaires (Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires - article 6 ter )

Aucun fonctionnaire ne doit subir les faits :

a) soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

b) soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire :

1° Parce qu'il a subi ou refusé de subir les faits de harcèlement sexuel mentionnés aux trois premiers alinéas, y compris, dans le cas mentionné au a, si les propos ou comportements n'ont pas été répétés ;

2° parce qu'il a formulé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces faits ;

3° ou bien parce qu'il a témoigné de tels faits ou qu'il les a relatés.

Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou enjoint de procéder aux faits de harcèlement sexuel mentionnés aux trois premiers alinéas.

Pour autant, selon Jacques Toubon, la loi du 27 mai 2008 transposant les directives européennes sur les discriminations 204 ( * ) donne du harcèlement sexuel une définition qui va encore au-delà de celle qu'a adoptée le législateur en 2012 : dans son article 1 er , elle assimile le harcèlement à une discrimination, permettant de considérer comme du harcèlement des actes « à connotation sexuelle », ayant pour effet de créer un « environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant », même s'ils ne sont pas répétés , contrairement à ce que supposent le I de l'article 222-33 du code pénal et le 1° de l'article L. 1153-1 du code du travail.

ARTICLE 1 ER DE LA LOI N° 2008-496 DU 27 MAI 2008

Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de sa grossesse, de son apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son patronyme, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, de son état de santé, de sa perte d'autonomie, de son handicap, de ses caractéristiques génétiques, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable.

Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.

La discrimination inclut :

1° Tout agissement lié à l'un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ;

2° le fait d'enjoindre à quiconque d'adopter un comportement prohibé par l'article 2.

Le Défenseur des Droits recommande donc d'harmoniser les différentes définitions du harcèlement sexuel pour prendre en compte tout agissement, même non répété, s'il porte atteinte à la dignité de la personne ou crée à son encontre une situation humiliante et offensante . L'objectif est d'aboutir à une prise en considération plus large du phénomène de harcèlement 205 ( * ) .

(2) Les apports ultérieurs à la loi de 2012

Par ailleurs, la loi de 2012 a été complétée récemment par plusieurs dispositions visant à lutter contre le sexisme au travail et à mieux indemniser les victimes de harcèlement .

Ainsi, la loi relative au dialogue social et à l'emploi de 2015 206 ( * ) a introduit l'agissement sexiste dans le code du travail (à l'initiative, d'ailleurs, de plusieurs membres de la délégation aux droits des femmes du Sénat). Cette disposition figure désormais à l'article L. 1142-2-1 du code du travail.

ARTICLE L. 1142-2-1 DU CODE DU TRAVAIL
RELATIF À L'AGISSEMENT SEXISTE

Nul ne doit subir d'agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

On notera que la définition de l'agissement sexiste reprend la notion d'environnement « intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » inspiré de la directive européenne transposée en 2008.

De plus, la loi du 8 août 2016 relative au travail et à l'emploi 207 ( * ) , dite loi « El Khomri », a étendu l'agissement sexiste au statut de la fonction publique 208 ( * ) .

De surcroît, cette loi prévoit l e remboursement par l'employeur des indemnités chômage versées à une personne licenciée à la suite d'un traitement discriminatoire ou d'un acte de harcèlement, ainsi que le versement d'une indemnité plancher de six mois pour tout salarié licencié en raison d'un motif discriminatoire ou à la suite d'un harcèlement dont il a été victime.

Comme le Défenseur des Droits et l'association AVFT, la délégation aux droits des femmes préconise de porter le montant de cette indemnité plancher à douze mois . Plusieurs de ses membres avaient d'ailleurs déposé des amendements en ce sens au moment de l'examen de la loi « El Khomri ».

Au cours de son audition, le 31 janvier 2018, Marylin Baldeck, déléguée générale de l' Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) a rappelé que l'AVFT milite depuis 2013 pour que le montant de l'indemnisation des victimes de discrimination au travail soit au moins égal à douze mois de salaire : « ce niveau d'indemnisation qui assure aux victimes une meilleure prise en charge des préjudices , mais encourage aussi les employeurs à respecter leurs obligations de prévention , doit, selon l'AVFT, bénéficier à toutes les victimes dans une démarche d'harmonisation ».

La délégation souhaite que soit porté à douze mois de salaire le montant de l'indemnité plancher au profit de toute personne licenciée après avoir été victime de harcèlement.

Un autre point souligné par le Défenseur des Droits lors de son audition tient au fait que les victimes de harcèlement sexuel bénéficient d'un aménagement de la charge de la preuve devant les juridictions civiles et administratives , ce qui peut les aider à obtenir gain de cause. Ainsi, la loi « El Khomri » a aligné le régime probatoire du harcèlement sexuel sur celui des discriminations en généra l 209 ( * ) , tel que prévu par l'article 4 de la loi du 27 mai 2008 précitée.

Autrement dit, le salarié victime de harcèlement ne doit plus établir des faits qui permettent de présumer l'existence de harcèlement, mais seulement « présenter des éléments de faits » . Selon le Défenseur des Droits, « ce changement lexical est particulièrement important : établir des faits renvoie à une démonstration et va au-delà de la simple présentation prévue en matière de discrimination. Cette nouvelle formulation va donc renforcer les droits des victimes de harcèlement sexuel ».

Il s'agit là d'une avancée importante.

ARTICLE L. 1154-1 DU CODE DU TRAVAIL

Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement .

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Pour autant, cette disposition est généralement méconnue des victimes, notamment dans des cas de harcèlement sexuel pour l'accès aux biens et aux services (par exemple un logement ou une demande crédit). Le Défenseur des Droits recommande donc, dans son avis transmis à la délégation 210 ( * ) , de mieux informer les victimes de harcèlement sexuel que l'aménagement de la charge de la preuve vaut également pour les faits commis lors de l'accès aux biens et aux services , point qui n'est selon lui pas suffisamment connu à l'heure actuelle 211 ( * ) .

Enfin, le cadre légal du harcèlement a récemment été modifié par la loi du 27 février 2017 réformant la prescription 212 ( * ) , qui a porté de trois à six ans le délai de prescription du harcèlement sexuel , au même titre que les autres délits.

(3) Plusieurs points de vigilance

Plusieurs dispositions adoptées dans le cadre des « ordonnances travail » 213 ( * ) sont susceptibles d'avoir des incidences en matière de prévention du harcèlement sexuel et des violences sexuelles dans les entreprises, et nécessitent donc une certaine vigilance de la part du législateur.

Tout d'abord, la délégation note avec satisfaction que la procédure de prise d'acte en raison du harcèlement a finalement été exclue du plafonnement des indemnités prévu en cas de licenciement abusif , au même titre que les autres licenciements pour motif discriminatoire.

En outre, la délégation a entendu la préoccupation exprimée par Marylin Baldeck, déléguée générale de l'AVFT, au cours de son audition du 31 janvier 2018, concernant une disposition remettant en cause une jurisprudence protectrice pour les salariées victimes de harcèlement .

Ainsi qu'elle l'a rappelé, selon une jurisprudence constante de la Chambre sociale de la Cour de cassation , le licenciement d'un salarié pour dénonciation de faits de harcèlement sexuel est nul de plein droit, sauf à ce que l'employeur puisse démontrer l'absence de fondement de ces allégations, et quand bien même d'autres motifs de licenciement auraient été mentionnés dans la lettre de licenciement. Ces motifs complémentaires n'ont alors même pas à être examinés par le juge, au regard de la gravité des faits de harcèlement.

Or une disposition des « ordonnances travail » revient sur cette jurisprudence, à travers une mesure relative à la pluralité des motifs de licenciement.

En effet, la réforme du code du travail prévue par les ordonnances travail a créé un article L. 1235-2-1 qui dispose : « en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l'un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d'examiner l'ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas échéant, dans l'évaluation qu'il fait de l'indemnité à allouer au salarié, sans préjudice des dispositions de l'article L. 1235-3-1 ».

L'AVFT dénonce cette évolution et en conteste l'utilité même, alors que les licenciements intervenus pour avoir dénoncé des faits de harcèlement sexuel sont selon elle peu fréquents, les employeurs usant d'autres motifs pour licencier ces salariés.

Enfin, la délégation estime qu'il conviendra d'être vigilant sur les conséquences de la fusion des instances représentatives du personnel (IRP) dans les nouveaux Comités sociaux et économiques (CSE) en matière de prévention du harcèlement sexuel au travail.

En effet, le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) est compétent pour interpeller les employeurs et demander des enquêtes en matière de sexisme et de harcèlement sexuel. Aux termes de l'article 4612-1 du code du travail, avant la réforme de 2017 214 ( * ) , il avait pour mission de « contribuer à l'amélioration des conditions de travail, notamment en vue de faciliter l'accès des femmes à tous les emplois et de répondre aux problèmes liés à la maternité ». En outre, son rôle a été renforcé par la loi du 8 août 2016 qui a introduit l'obligation de proposer des actions de prévention du harcèlement moral, du harcèlement sexuel et des agissements sexistes 215 ( * ) .

De même, les délégués du personnel peuvent mettre en oeuvre le droit d'alerte au titre de « faits de harcèlement sexuel et moral » (art. L. 2313-2 du code du travail avant réforme).

LA CONTRIBUTION DES DÉLÉGUÉS DU PERSONNEL ET DES CHSCT À LA PRÉVENTION
DU HARCÈLEMENT ET À LA DÉTECTION DES SITUATIONS DE HARCÈLEMENT

L'article L. 2313-2 du code du travail, modifié par la loi du 6 août 2012 sur le harcèlement sexuel, a étendu aux faits de harcèlement les « atteintes aux personnes » fondant le droit d'alerte des délégués du personnel auquel l'employeur devait répondre en procédant « sans délai à une enquête avec le délégué » et en prenant les « dispositions nécessaires pour remédier à cette situation ».

Le code du travail prévoyait alors, en cas de carence de l'employeur ou de divergence entre celui-ci et le délégué du personnel sur la réalité des faits, la saisine du conseil de prud'hommes « qui statue selon la forme des référés ».

Or ce droit d'alerte des délégués du personnel, très protecteur pour les victimes de harcèlement, qu'il soit moral ou sexuel, ne figure plus dans la version de l'article L. 2313-2 du code du travail résultant de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 216 ( * ) .

La même remarque vaut pour les CHSCT, consultés sur les mesures de prévention du harcèlement et susceptibles en application de l'article L. 4612-3 du code du travail de « proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral et sexuel » ainsi que des agissements sexistes, le refus de l'employeur dans ce cas devant être motivé.

L'évolution du CHSCT est un sujet de préoccupation pour la délégation .

Compte tenu de ses prérogatives spécifiques en matière de prévention du harcèlement sexuel, la délégation sera attentive à ce que la fusion du CHSCT et des délégués du personnel dans le nouveau CSE ne dilue pas la question des violences sexistes et sexuelles et ne la rende pas secondaire, parmi les autres préoccupations traitées par le CSE .

Ce risque a été évoqué par Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) au cours de son audition du 7 décembre 2017, par Sandrine Rousseau, fondatrice de l'association Parler, lors de son audition du 17 janvier 2018, et par Marylin Baldeck, déléguée générale de l'AVFT, entendue le 31 janvier 2018.

Selon cette dernière, « la fusion des instances représentatives du personnel (IRP) - dont le CHSCT au sein d'une nouvelle instance, le Comité Social et Économique (CSE), peut s'analyser à la fois positivement , puisque celui-ci récupère des compétences en matière de traitement du harcèlement sexuel , mais aussi fort négativement, en diluant la spécificité du CHSCT , instance dédiée exclusivement aux questions de sécurité et de santé au travail. Plusieurs dispositions des ordonnances permettent de conclure des accords directement au niveau de l'entreprise, en dépossédant les branches de certaines de leurs prérogatives ; aussi nous étonnons-nous que n'ait pas été laissée la possibilité aux entreprises qui le désiraient de conserver leur CHSCT lorsqu'il fonctionnait bien ».

Pour sa part, le Défenseur des Droits a jugé plutôt positive la fusion des IRP dans le CSE et ne craint pas une dilution des sujets , estimant qu'il est prématuré de porter un jugement à ce stade : « il est encore trop tôt (...) pour juger des conséquences de la mise en oeuvre de la réforme du CHSCT en matière de lutte contre le harcèlement sexuel en milieu professionnel. Pour ma part, je ne suis pas certain qu'il faille s'en inquiéter : elle pourrait conduire, et cela est positif, l'ensemble des membres du nouvel organe à se saisir du dossier de manière efficace, en ne traitant pas la question uniquement sous l'angle de la santé au travail ».

La délégation note en revanche que la mission de prévention du harcèlement sexuel et moral confiée par l'article L. 4622-2 du code du travail aux services de santé au travail, chargés de conseiller l'employeur en la matière, a été préservée par l'article 2 de l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017.

La délégation attire l'attention sur les risques d'affaiblissement de la prévention et de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail et d'un accompagnement dégradé des victimes , qui pourraient résulter de la fusion des institutions représentatives du personnel (IRP) au sein du nouveau comité social et économique (CSE) prévue par les « ordonnances travail » 217 ( * ) .

Elle souhaite qu'une vigilance particulière accompagne la mise en place de ces nouvelles instances.

b) Des avancées jurisprudentielles importantes

Au-delà des modifications législatives récentes, la jurisprudence en matière de harcèlement sexuel a également évolué de manière favorable aux victimes.

Au cours de son audition par la délégation, le 25 janvier 2018, le Défenseur des Droits a salué la reconnaissance du « harcèlement d'ambiance » ou harcèlement sexuel dit « environnemental », dans un arrêt du 7 février 2017 de la cour d'appel d'Orléans 218 ( * ) .

LA RECONNAISSANCE DU HARCÈLEMENT SEXUEL D'AMBIANCE
PAR LA JURISPRUDENCE

« Compétent en matière de discrimination sexiste et de harcèlement sexuel au travail, le Défenseur des droits a contribué cette année à faire avancer la jurisprudence en présentant ses observations au soutien de la reconnaissance du harcèlement sexuel d'ambiance devant la cour d'appel d'Orléans.

Une salariée, rédactrice dans un journal, se plaignait d'un environnement de travail particulièrement hostile, ponctué de blagues salaces, de propos insultants envers les femmes, de photographies humiliantes affichées sur les murs de l' open-space , de fonds d'écran pornographiques. Confortant les recommandations du Défenseur des Droits, la cour d'appel a retenu la notion de harcèlement d'ambiance fondée sur le sexe. »

Source : rapport d'activité 2017 du Défenseur des Droits

Au terme de l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans, le harcèlement sexuel est reconnu quand une salariée est confrontée à un environnement de travail marqué par des commentaires sexuels , d'images à caractère pornographique ou encore de commentaires dégradants sur les femmes, sans pour autant qu'une salariée soit explicitement visée .

De surcroît, un deuxième arrêt important a été rendu au mois de mai 2017 par la Cour de cassation 219 ( * ) . La Cour admet qu'un acte unique suffise à caractériser le harcèlement sexuel (la répétition n'est donc pas nécessairement exigée) , y compris lorsqu'il n'y a pas de « pressions graves » et lorsqu'il n'y a pas d'intention, de la part de l'auteur, d'obtenir un acte de nature sexuelle. Pourtant, la lecture de la loi ne l'invitait pas forcément à une telle interprétation.

La Cour de Cassation considère donc que le harcèlement sexuel peut être caractérisé par un « comportement non répété » et laisse à la libre appréciation des juges du fond le point de savoir dans quelles circonstances un acte unique est suffisant pour prononcer la condamnation civile d'un employeur pour harcèlement sexuel.

Ces évolutions jurisprudentielles sont très positives et pourraient inspirer un tournant favorable à la protection des victimes de harcèlement , tout en facilitant la reconnaissance de leur préjudice.

***

Le cadre législatif et jurisprudentiel du harcèlement sexuel est donc relativement complet et protecteur pour les victimes . Pour autant, plusieurs des interlocuteurs de la délégation ont insisté sur l'application perfectible de la loi , notamment par les petites entreprises.

Comme l'a affirmé en particulier le Défenseur des Droits au cours de son audition du 25 janvier 2018, « la législation française en matière de lutte contre les délits sexuels mériterait d'être plus systématiquement appliquée ». Ce point tient notamment à un manque d'information et de formation au sein des entreprises.

3. La formation et de la sensibilisation : un enjeu déterminant

La prévention et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l'environnement de travail (entreprise et fonction publique) ne passent pas que par des mesures législatives ou réglementaires. Elles tiennent également à la bonne information et à la mobilisation des employeurs et des salariés. À cet égard, le rôle des partenaires sociaux est important .

Pour rappel, l'article L. 1153-5 du code du travail crée à l'égard de l'employeur un devoir de prévention et d'information , en l'engageant :

- à informer « par tous moyens » les salariés , personnes en formation, stagiaires et candidats à l'embauche ou à un stage du texte de l'article 222-33 du code pénal, qui doit être affiché dans les lieux de travail et dans les locaux ou à la porte des locaux où se fait l'embauche ;

- à prendre « toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner ».

Ces obligations s'inscrivent dans le cadre de l'obligation générale faite à l'employeur d'« assurer la sécurité » et de « protéger la santé mentale des travailleurs » (article L. 4121-1 du code du travail), par des « actions de prévention », des « actions d'information et de formation » et la « mise en place d'une organisation et de moyens adaptés ».

ARTICLE L. 4121-1 DU CODE DU TRAVAIL

L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;

2° des actions d'information et de formation ;

3° la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

De plus, l'article L. 4121-2 du code du travail impose à l'employeur d'intégrer à la prévention « les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel » .

Selon la circulaire du 12 novembre 2012 du ministère du Travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social relative au harcèlement dans les relations de travail 220 ( * ) , les actions de formations mises en oeuvre par l'employeur peuvent viser à « améliorer la connaissance, la prévention et l'identification des phénomènes de harcèlement ». L'adoption de mesures appropriées visant à « faciliter le repérage des faits de harcèlement » fait partie de la démarche de prévention visée par la circulaire.

La délégation constate une réelle mobilisation de l'administration pour faire progresser la prévention et le traitement du harcèlement sexuel et des violences sexuelles en général dans la fonction publique .

Des efforts similaires sont attendus pour renforcer la mobilisation dans les entreprises , sous l'impulsion des ministères concernés, mais aussi des partenaires sociaux.

a) Une réelle mobilisation de l'administration pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans la fonction publique

Comme cela a été rappelé plus haut, la loi du 13 juillet 1983 a intégré la notion de harcèlement en 1992 (loi du 2 novembre 1992 relative à l'abus d'autorité en matière sexuelle dans les relations de travail) . Seuls ont donc été pris en compte, dans un premier temps, les agissements de supérieurs hiérarchiques envers des subordonnés. La loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale a par la suite rendu la définition du harcèlement sexuel indépendante des relations hiérarchiques , élargissant ainsi la notion aux agissements entre collègues, voire d'un subordonné à l'égard d'un supérieur. Enfin, la loi de 2012 a aligné les dispositions du statut du fonctionnaire sur le code pénal , reprenant la double définition du harcèlement sexuel selon qu'il peut, ou non, résulter d'actes répétés.

Deux circulaires de 2014 et 2018 font de la lutte contre le harcèlement une priorité dans la fonction publique .

(1) La circulaire du 4 mars 2014

Tout d'abord, la circulaire du 4 mars 2014 relative à la lutte contre le harcèlement dans la fonction publique 221 ( * ) envisage de manière globale la lutte contre le harcèlement, tant moral que sexuel . Ce texte estime à juste titre que « les situations de souffrance liées au harcèlement dans l'administration rendent impérieuses, en amont, la mise en oeuvre de mesures préventives ». La circulaire précise les obligations de l'employeur public à l'égard des victimes, dans le cadre de la protection fonctionnelle prévue par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 :

- une obligation de prévention du harcèlement (changement d'affectation, éloignement ou suspension des fonctions) et l'engagement d'une procédure disciplinaire contre l'auteur des faits ; on notera que la protection fonctionnelle ne peut en principe être refusée ;

- une obligation de réparation ;

- une obligation d'assistance juridique des victimes pour les aider dans les procédures judiciaires entreprises, y compris au pénal.

Ainsi que le rappelle la circulaire du 4 mars 2014, « la logique préventive passe d'abord, dans la fonction publique, par un plein exercice de la responsabilité hiérarchique », qui s'inscrit dans l'obligation générale faite aux chefs de service de « veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité » 222 ( * ) . Les administrations sont en effet soumises, en matière de santé et de sécurité au travail, aux mêmes obligations que les autres employeurs .

La responsabilité de l'administration peut être engagée devant le juge administratif si aucune mesure n'a été prise pour faire cesser des agissements dont elle a eu connaissance et dont elle a pu vérifier la réalité. En cas d'engagement devant le juge de sa responsabilité, l'administration doit apporter la preuve qu'elle a mis en oeuvre des moyens pour faire cesser les agissements de harcèlement, sa carence constituant une faute de service : l'administration peut être condamnée pour sa négligence et son inertie, indépendamment des suites pénales éventuelles .

On notera que l'obligation d'affichage prévue, à titre d'information des personnels, par l'article L. 1153-5 du code du travail, concerne les employeurs privés ; elle s'applique toutefois aux personnels des personnes publiques employées dans les conditions du droit privé. Elle peut aussi s'inscrire, pour les employeurs publics, dans la démarche de prévention qui relève de leur responsabilité.

Par ailleurs, la circulaire se réfère à la déontologie des agents publics et aux valeurs de la fonction publique : « l'agent public, harceleur, contrevient donc à ses obligations en adoptant un comportement répréhensible, contraire à sa mission et indigne de ses fonctions ». De surcroît, l'article 40 du code de procédure pénale prévoit une obligation de signalement pour tout fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, « acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit » : le juge admet toutefois que le signalement au procureur de la République puisse être fait par le supérieur hiérarchique du fonctionnaire ayant eu connaissance des faits délictueux.

Enfin, la circulaire de 2014 engage les employeurs publics à mobiliser, pour prévenir les faits de harcèlement, les CHSCT et les médecins de prévention . Elle mentionne également la formation initiale et continue des agents publics, qui « revêt une importance stratégique » pour prévenir le harcèlement, tant sexuel que moral. Elle invite les administrations à mettre en place dans cette logique des « formations spécifiques pour mieux connaître, prévenir et traiter le harcèlement », pour « renforcer la prise de conscience des situations de harcèlement » et la « maîtrise du cadre juridique » pour permettre aux agents concernés de réagir de la manière la plus adaptée.

(2) La circulaire du 9 mars 2018

La circulaire du 9 mars 2018 relative à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans la fonction publique 223 ( * ) actualise celle du 4 mars 2014 pour accompagner le plan d'action ambitieux contre les violences sexuelles et sexistes annoncé par le Président de la République le 25 novembre 2017 .

La circulaire décline un plan de prévention et de traitement des violences sexuelles et sexistes en trois axes au demeurant classiques : la prévention par la formation et la sensibilisation des acteurs, le traitement des signalements et la sanction des comportements de harcèlement.

- Axe 1 : Prévenir les violences sexuelles et sexistes dans la fonction publique .

Dans ce cadre, la circulaire invite les responsables administratifs à déployer à partir de 2018 un « plan ambitieux de formation à la prévention et à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes », indiquant qu'« une formation initiale et continue dédiée à la prévention et à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes sera élaborée dans les trois versants de la fonction publique ». Cette formation sera prioritairement destinée aux agents en situation d'encadrement, aux référents Égalité et diversité, aux personnels des ressources humaines , aux médecins du travail et de prévention, aux inspecteurs de santé et sécurité au travail et aux représentants du personnel, mais aussi aux élèves des écoles de service public dans le cadre de leur formation initiale . Un référentiel commun sera élaboré.

En outre, le volet prévention du plan prévoit d'« informer et sensibiliser le plus grand nombre d'agents sur les situations de violences et les acteurs à mobiliser ». À cet effet, les employeurs publics pourront par exemple mettre en place un affichage dédié dans les espaces communs , reposant sur un message explicite « « Zéro tolérance en matière de violences sexuelles et sexistes », le rappel du numéro vert 3919 « Violences Femmes info » et créer un dépliant ad hoc permettant à tout agent de savoir qui contacter et quelle procédure suivre lorsqu'il est victime de tel acte ou en a connaissance.

- Axe 2 : Traiter les situations de violences sexuelles et sexistes.

Il s'agit tout d'abord de définir et mettre en oeuvre un dispositif de signalement et de traitement des violences sexuelles et sexistes . La circulaire indique que « les employeurs publics sont tenus de définir et de mettre en place un dispositif de signalement (cellule d'écoute ou dispositif équivalent) et de traitement des violences sur le lieu de travail ainsi qu'un circuit RH de prise en charge permettant d'accompagner les agents victimes . »

Quel que soit le format retenu pour le signalement, le dispositif (cellule d'écoute ou personne référente) devra comporter toutes les garanties nécessaires en termes d'accueil, de confidentialité, d'expertise, de qualité et de rapidité de traitement et de suivi des saisines .

La délégation relève que le ministère des Armées a su mettre en place avec succès , dès 2014, une cellule d'écoute, d'information, d'accueil et d'accompagnement des victimes, dénommée « Thémis » , dont l'action a été présentée à la délégation par Érick Dal, contrôleur général des armées, chef de la cellule Thémis , le 19 décembre 2017 224 ( * ) .

Certes, ce dispositif ne saurait à lui seul, il faut en être conscient, prévenir les faits de harcèlement et les comportements sexistes. L'actualité récente a illustré la persistance d'agissements inacceptables à l'égard des jeunes filles dans certaines classes préparatoires aux écoles militaires. La ministre des Armées a d'ailleurs réagi à ces comportements dans la logique de l'esprit de tolérance zéro qui avait présidé à la mise en place de la cellule Thémis .

Le rapport d'information fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale par Pascale Crozon et Guy Geoffroy sur l'évaluation de la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel 225 ( * ) , publié en novembre 2016, consacrait un développement particulier à la cellule Thémis et estimait que celle-ci constitue un modèle de structure d'accueil et d'accompagnement des victimes.

Parmi leurs recommandations, les députés suggéraient de « développer dans la fonction publique des dispositifs tels que celui mis en place par le ministère de la Défense avec la mise en place de la cellule Thémis » 226 ( * ) , ce qui souligne le caractère exemplaire de celle-ci, comme l'avait tout particulièrement relevé Catherine Coutelle, alors présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, lors de l'examen du rapport précité 227 ( * ) .

S'agissant du traitement des signalements , la circulaire rappelle que lorsque des faits constitutifs d'une violence sexuelle ou sexiste sont signalés par un agent, l'administration doit, dans les délais les plus brefs, procéder à une enquête interne , orienter le plaignant vers les acteurs adéquats, faire cesser les faits en prenant toute mesure conservatoire et s'assurer que la victimes ne subit pas d'actes de représailles .

Il s'agit ensuite de protéger et accompagner les victimes . À cet égard, la circulaire rappelle que l'obligation de protection des agents s'impose à tout employeur public et rappelle les trois obligations recouvrées par la protection fonctionnelle (prévention, assistance juridique et réparation) et que la responsabilité de l'employeur peut être engagée en cas de carence en matière de prévention et de traitement des violences dont peuvent être victimes les agents publics sur leur lieu de travail. Enfin, les employeurs publics sont incités à étendre l'application de ces dispositifs aux violences et au harcèlement d'origine extra-professionnelle détectés sur le lieu de travail.

- Axe 3 : Sanctionner les auteurs de violences sexuelles et sexistes.

Le troisième volet du plan met en exergue la nécessité d'une exemplarité des employeurs dans la sanction de ces violences et rappelle les dispositions concernées du code pénal. La circulaire rappelle par ailleurs que les actes constitutifs de violences sexuelles ou sexistes doivent être sanctionnés par le biais de la procédure disciplinaire 228 ( * ) et/ou par le juge pénal . Ils peuvent également donner lieu à une indemnisation par le juge civil .

LA CELLULE THÉMIS : UN DISPOSITIF EXEMPLAIRE DE SIGNALEMENT
ET D'ACCOMPAGNEMENT DES VICTIMES AD HOC
MIS EN PLACE AU SEIN DU MINISTÈRE DES ARMÉES

La cellule Thémis a été créée par une décision du 21 juillet 2014 . Il s'agit d'une cellule d'accueil des signalements et d'enquête administrative , sous l'autorité du contrôle général des armées. Elle permet à chaque personnel , qu'il soit civil ou militaire, homme ou femme, du ministère de la Défense, victime ou témoin de harcèlement, de discriminations ou de violences sexuelles, commises soit en service, soit dans les lieux soumis à son autorité de le signaler .

En effet, le plan d'action ministériel contre les cas de harcèlement, discriminations et violences sexuelles du ministère de la Défense, présenté le 15 avril 2014, a prévu la mise en oeuvre d'une douzaine d'actions selon quatre axes complémentaires : l'accompagnement des victimes, la prévention de tels faits, la transparence de l'action du ministère et la sanction des auteurs.

L'article 2 de la décision du 21 juillet 2014 précise que cette cellule « est chargée d'étudier les cas de harcèlement, violence et discrimination sexuels commis au sein du ministère de la Défense et de ses établissements publics, en liaison avec les inspecteurs généraux des armées . »

À ce titre, cette cellule :

- reçoit les signalements des cas par tous moyens ;

- propose à l'autorité hiérarchique les mesures conservatoires nécessaires ;

- informe les victimes sur leurs droits ;

- peut conduire des enquêtes administratives . Dans ce cas, elle peut indiquer à l'autorité habilitée la ou les sanctions disciplinaires susceptibles d'être prises, sans préjudice d'une éventuelle procédure judiciaire ;

- communique aux inspecteurs généraux des armées, aux inspecteurs d'armée ou de service ou à l'inspecteur du personnel civil les cas qui ont fait l'objet d'une procédure « évènement grave » et dont le traitement lui paraît justifier la saisine de la cellule ;

- apporte tous conseils au commandement ;

- et contribue à l'élaboration des statistiques en matière de harcèlements, violences et discriminations sexuels.

Une personne victime de harcèlement peut également se tourner vers un psychologue en contactant le réseau Écoute Défense , qui a été créé pour accompagner les victimes de stress post-traumatique et leur entourage, et qui est aussi ouvert à l'accueil des victimes de harcèlement, de discriminations et de violences sexuelles.

Depuis sa création, en 2014 229 ( * ) , la cellule Thémis a été saisie ou s'est saisie près de 300 fois pour des motifs relevant de sa compétence .

Selon le responsable de la cellule Thémis , « le flux des nouveaux dossiers ouverts est, en moyenne, de six à sept par mois ; actuellement onze dossiers sont en phase « instruction », vingt-deux en « action du commandement », et 79 dossiers en « suivi » 230 ( * ) .

Plusieurs enseignements peuvent être tirés sur le profil des victimes au regard des statistiques disponibles de la cellule Thémis :

- 90 % des signalements sont faits par les femmes ;

- le ratio civil/militaire (21 %/79 %) correspond sensiblement au rapport des deux populations au sein du ministère, mais la répartition des infractions semble différente : on constate davantage de harcèlement chez les civils, et d'agressions chez les militaires ;

- le nombre des infractions et leur répartition restent stables au fil du temps ;

- le harcèlement sexuel reste l'infraction la plus déclarée .

La délégation souhaite saluer le travail précurseur mené par le ministère des Armées à travers la création, dès 2014, de la cellule Thémis , dédiée au signalement des violences et à l'accompagnement des victimes. Elle estime que ce dispositif pourrait inspirer d'autres structures, privées ou publiques , souhaitant mettre en place un accompagnement complet des victimes de harcèlement ou de violences dans le cadre professionnel.

b) Des efforts à poursuivre pour améliorer la prévention et le traitement des violences sexistes et sexuelles dans les entreprises
(1) Une prise de conscience et un engagement plus marqués des partenaires sociaux

Si la mobilisation et les outils qui l'accompagnent existent dans la fonction publique, l'engagement des employeurs sur la prévention du harcèlement doit encore être renforcé dans les entreprises, à travers une intensification des outils de formation et de sensibilisation .

Au cours de son audition, le 25 janvier 2018, le Défenseur des Droits a regretté une mise en oeuvre partielle, par les entreprises, des obligations prévues en matière de harcèlement . Il constate notamment que peu d'organisations ont mis en place des actions d'information et de prévention.

Ainsi, selon l'enquête réalisée en 2014 à son initiative, seuls 18 % des actifs interrogés affirment que leur employeur a pris de telles mesures. Il s'agit essentiellement des entreprises de grande taille, 91 % des entreprises de moins de dix salariés n'ayant mis en oeuvre aucune action .

Pour autant, la délégation observe une prise de conscience récente et plus marquée de la part des syndicats et du patronat sur le harcèlement sexuel dans l'environnement de travail.

Cette prise de conscience se traduit notamment par une action destinée à renforcer l'information des employeurs et des salariés sur le cadre juridique du harcèlement et des violences sexuelles et sur les moyens d'y faire face.

Par exemple, la Confédération générale du travail (CGT) a élaboré en 2016 un guide complet intitulé Outils pour l'action syndicale. Combattre les violences sexistes et sexuelles, que la délégation a consulté avec intérêt.

La délégation relève également une implication plus marquée du Medef sur ces questions . Comme le relevaient Pascale Crozon et Guy Geoffroy dans leur rapport de 2016 231 ( * ) , la répression du harcèlement sexuel souffrait au sein du syndicat patronal de deux stéréotypes tenaces fondés sur la « séduction » ou « l'esprit latin » qui existerait dans les relations entre les hommes et les femmes en France d'une part, et le risque d'une « guerre des sexes » comme il en existerait aux États-Unis d'autre part.

Ils illustraient ce constat par un extrait des propos liminaires d'une note écrite transmise par le Medef dans le cadre de leurs travaux : « Nous souhaitons rappeler que la France relève d'une culture latine, et qu'il n'est sans doute pas souhaitable d'appliquer chez nous des idées relevant directement d'une conception anglo-saxonne des relations entre les hommes et les femmes. La connaissance de nos différences fait notre richesse, et est à la base du vivre ensemble tel que nous le concevons ».

Fort heureusement, les éléments transmis par le Medef à la délégation en réponse à sa demande de contribution écrite dans le cadre du présent rapport ne reprennent pas ces stéréotypes . Ils insistent au contraire sur le caractère « perturbateur d'ambiance » des allusions à caractère sexuel ou des propos sexistes en entreprise , selon un baromètre réalisé en interne par le Medef 232 ( * ) en 2017, et sur le fait que les stéréotypes de genre sont vécus comme la deuxième source de moquerie au sein de l'entreprise, derrière « les heures d'arrivée et de départ ».

Les propositions du Medef pour la prévention du harcèlement sexuel s'inspirent notamment des travaux du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) 233 ( * ) :

- le chef d'entreprise est invité à afficher son engagement sur le sujet ;

- les entreprises sont incitées à sensibiliser et former la direction, les managers et les collaborateurs et, plus généralement, à créer un climat de confiance, en rappelant qu'une culture d'entreprise tolérant les remarques sexistes sera susceptible de créer un terreau propice aux agissements sexistes, voire au harcèlement sexuel . Il paraît important de mettre à disposition des collaborateurs des informations sur les procédures à suivre en cas de problème 234 ( * ) .

En ce qui concerne la communication , le Medef propose d'impliquer les représentants des salariés dans la conception d'outils de prévention et d'information ou de politique d'accompagnement ; de définir un code de conduite mentionnant explicitement les actes prohibés dans l'entreprise 235 ( * ) ; de communiquer auprès des fournisseurs, des clients, des partenaires et usagers sur l'adhésion de l'entreprise à ces engagement, notamment en l'affichant dans les lieux accessibles à tous dans ses publicités, sur son site Internet et ses réseaux sociaux ; d'engager des procédure de labélisation ; de veiller à construire une communication interne et externe à l'entreprise dépourvue de stéréotypes de sexe .

En ce qui concerne la sensibilisation des collaborateurs , le Medef suggère une offre de formation et de conférences en ligne ou en présentiel 236 ( * ) sur ces sujets, pour apprendre à réagir face aux situations de sexisme et de harcèlement, et pour analyser ses propres comportements. Il cite à titre d'exemple la mise en place d'un module de e-learning dédié à la prévention du harcèlement déployé auprès des salariés du groupe PSA, une conférence organisée en novembre 2017 pour « comprendre les stéréotypes de genre et instaurer une culture non sexiste » accessible en ligne, ainsi que l'organisation d'une conférence en live streaming le 19 décembre 2017 pour tous les collaborateurs du groupe BNP Paribas.

Il envisage aussi de développer des actions valorisant la mixité au sein de l'entreprise 237 ( * ) , ou encore d'impliquer les entreprises dans des journées d'action à l'occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes (25 novembre) ou de la Journée internationale des droits des femmes (8 mars) 238 ( * ) .

Au-delà de la communication et de la sensibilisation, le Medef émet des propositions sur l'instauration de dispositifs d'alerte professionnelle des situations de harcèlement , voire, quand cela est possible, d'une cellule d'écoute dédiée permettant de garantir la traçabilité et la confidentialité des données recueillies, de repérer et de traiter ces situations.

Il cite à cet égard la mise en place d'une messagerie dédiée au sein des groupes PSA ou BNP Paribas ainsi que des applications dédiées, telles que « App-Elles » et « HandsAway », destinées aux victimes et aux témoins.

La délégation observe que les grandes entreprises pourraient s'inspirer, pour la mise en place de ce dispositif, de la cellule Thémis mise en place au ministère des Armées ( cf. supra ).

En ce qui concerne les TPE et les PME, il conviendrait d'envisager au moins la désignation au sein de l'entreprise de personnes de confiance ou de référents , formés à cet effet et indépendants de la hiérarchie, dont le rôle serait de recevoir les témoignages, d'accompagner et d'orienter les victimes, et d'alerter la direction.

La délégation est consciente que l'ensemble des bonnes pratiques proposées par le Medef n'est pas forcément transposable dans toutes les entreprises, notamment les plus petites d'entre elles . Les actions mises en oeuvre sont d'ailleurs généralement le fait de grandes entreprises. Au cours de son audition, Brigitte Grésy a estimé que les PME-TPE sont moins bien outillées que les grandes entreprises en matière de lutte contre le sexisme : selon elle, « nous avons besoin de régulation et d'outils d'encadrement pour faciliter le travail des PME ». Il est donc important d'encourager des initiatives visant à ouvrir les formations ou actions portées par les grandes entreprises aux TPE-PME .

Plus généralement, le Medef a mis en garde contre la tentation d'imposer des sujétions aux entreprises qui ne seraient pas en mesure de mettre en oeuvre ce type d'actions . Il a marqué sa préférence pour la prise de conscience de ces enjeux par la mise en place d'actions volontaires. Selon lui, « toute démarche contraignante serait contreproductive ».

Il n'en demeure pas moins que la contrainte est parfois le seul moyen d'obtenir des résultats tangibles en matière d'égalité entre les femmes et les hommes.

(2) Mieux tirer parti des leviers de la négociation et de la régulation

Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), au cours de son audition devant la délégation, le 7 décembre 2017 239 ( * ) , a présenté des propositions très concrètes pour améliorer la prévention du sexisme, du harcèlement et des violences sexuelles dans l'entreprise. Elle a suggéré de d'activer les leviers de la négociation et de la régulation .

Sur le premier point, Brigitte Grésy a estimé que l'obligation de négocier un accord sur l'égalité professionnelle et la qualité de vie au travail constituait une disposition d'ordre public, pour les entreprises de plus de cinquante salariés. Cette obligation porte sur neuf domaines d'action , dont la « santé et la sécurité » au travail. Selon Brigitte Grésy, ce levier de la négociation pourrait être amélioré en complétant la référence à la « santé et sécurité au travail » par une référence aux « violences sexistes et sexuelles » dans la partie réglementaire du code du travail qui présente les indicateurs de la base de données économique et sociale.

En ce qui concerne la régulation , Brigitte Grésy recommande de travailler sur une amélioration du contenu du règlement intérieur . L'article L. 1321-2 du code du travail impose de citer dans le règlement intérieur les agissements sexistes à côté des harcèlements moral et sexuel. Pour mémoire, le règlement intérieur, « acte règlementaire de droit privé », obligatoire dans les entreprises ou les établissements employant habituellement au moins vingt salariés, est élaboré de manière unilatérale par l'employeur.

Brigitte Grésy propose notamment de modifier les modalités de diffusion du règlement intérieur , en complétant l'article R. 1321-1 240 ( * ) du code du travail par un alinéa qui prévoirait que le règlement intérieur serait remis en main propre à tout nouvel employé, contre une décharge affirmant qu'il a pris connaissance de ce règlement.

À cet égard, elle a cité l'exemple de la Belgique, pays dans lequel toute nouvelle personne recrutée doit signer le règlement intérieur de son entreprise.

La délégation suggère :

- que le règlement intérieur des entreprises comporte des dispositions précises en matière de prévention et de répression des comportements menaçant l'égalité femmes-hommes ;

- qu'il soit donné en main propre à toute personne recrutée, contre remise d'une décharge qui engagerait le nouveau salarié à se conformer à ces exigences.

Plus généralement, la délégation rappelle son attachement à la mixité au travail . Il ne s'agit pas d'instaurer des mesures qui aboutiraient à une codification artificielle et excessive des rapports entre les hommes et les femmes au sein de l'entreprise, telle qu'elle peut exister dans certains pays. Les situations de harcèlement ou de violence sexuelle au travail ne sont pas le quotidien des salariés. Il s'agit de situations extrêmes dont il faut éviter la survenance, la prévention du harcèlement étant dans l'intérêt de tous.

(3) Des outils de communication et d'information à mobiliser

Dans la fonction publique comme en entreprise, la délégation attire l'attention sur l'importance des guides généraux et des campagnes de sensibilisation en matière de prévention du harcèlement sexuel. À cet égard, elle souhaite citer plus particulièrement plusieurs outils méthodologiques récents, dont il convient d'assurer une large diffusion :

- le kit pour Agir contre le sexisme : trois outils pour le monde du travail (CSEP, 2016) , qui présente dix leviers de lutte contre le sexisme ordinaire ;

- le Guide de prévention et de traitement des situations de violences et de harcèlement dans la fonction publique 241 ( * ) ;

- les Fiches pratiques sur la conduite à tenir dans les situations de harcèlement sexuel au sein de la fonction publique 242 ( * ) .

Il existe par ailleurs des outils de communication internes aux entreprises . Si de nombreux guides ont déjà été créés et sont disponibles en ligne 243 ( * ) , il paraît important de relayer les guides généraux réalisés au niveau national, existant sur le sujet.

La délégation salue l'élaboration de ces outils et encourage leur diffusion à large échelle dans toutes les entreprises et les administrations.

Il semble important que les entreprises communiquent de manière continue sur leur engagement, les dispositifs d'alerte, les procédures à suivre en cas de problème, l'accompagnement des collaborateurs et les sanctions existantes. En outre, ces informations doivent être facilement et rapidement accessibles aux salariés.

Afin d'informer et de sensibiliser le plus grand nombre de salariés aux enjeux du harcèlement et des violences sexuelles au travail, la délégation préconise une large diffusion du kit Agir contre le sexisme : trois outils pour le monde du travail , élaboré par le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP).

Elle propose par ailleurs d'étendre la diffusion des Fiches pratiques sur la conduite à tenir dans les situations de harcèlement sexuel au sein de la fonction publique aux services des ressources humaines des entreprises privées et aux organisations syndicales, en les adaptant à l'environnement de travail des entreprises.

La délégation tient également à mentionner et à saluer la récente campagne d'information menée par le Défenseur des Droits pour améliorer la sensibilisation de tous au harcèlement 244 ( * ) . L'objectif de cette campagne est de donner les moyens d'identifier et de réagir face au harcèlement sexuel au travail et de connaître les intervenants à saisir 245 ( * ) .

Dans ce cadre, des supports d'information ont été transmis à près d'un millier de structures sur l'ensemble du territoire national, susceptibles d'accueillir des personnes victimes de harcèlement sexuel et de les accompagner dans leur démarche. Cette campagne s'est également déployée sur les réseaux sociaux, avec le hashtag #Unefemmesurcinq .

(4) Une formation en interne à renforcer

Parallèlement à la sensibilisation des employeurs et des salariés par l'information, il convient aussi de renforcer la formation de tous aux problématiques du harcèlement , ce qui est un gage pour bien accueillir les victimes présumées et ne pas les laisser sans solution, mais aussi pour garantir un environnement de travail serein, au bénéfice de tous, employeurs comme salariés .

À cet égard, Brigitte Grésy propose de rendre obligatoire, par la loi, une formation aux violences sexistes et sexuelles, pour tous les salariés, et notamment les membres des comités sociaux et économiques (CSE) - les nouvelles instances représentatives du personnel -, les partenaires sociaux, les managers et les responsables des ressources humaines. Une telle mesure pourrait être réalisée en deux temps.

Tout d'abord, la loi du 27 janvier 2017 246 ( * ) sur l'égalité et la citoyenneté a créé un article L. 1131-2 du code du travail pour faire en sorte que dans « toute entreprise employant au moins 300 salariés et toute entreprise spécialisée dans le recrutement, les employés chargés des missions de recrutement reçoivent une formation à la non-discrimination à l'embauche au moins une fois tous les cinq ans ». Brigitte Grésy propose d'étendre la possibilité de diffuser cette information dans les TPE et les PME.

Sans méconnaître les contraintes de moyens des TPE et des PME par rapport aux grandes entreprises, la délégation souscrit à l'objectif légitime de former le plus de salariés possible aux enjeux de la discrimination et du harcèlement en entreprise.

Ensuite, au-delà de cette formation à la discrimination à l'embauche, Brigitte Grésy propose d'ajouter aux formations obligatoires prévues à l'article L. 1131-2 du code du travail une formation sur les violences sexuelles et sexistes à destination de tous les salariés , au moins pour les managers, les partenaires sociaux, les responsables des ressources humaines et les responsables de la santé et de la sécurité au travail.

La délégation préconise de modifier l'article L.1131-2 du code du travail 247 ( * ) pour étendre la formation obligatoire à la non-discrimination, destinée aux employés chargés des missions de recrutement, aux violences sexistes et sexuelles .

Elle suggère aussi la mise à l'étude d'une extension de ces obligations de formation prévues par l'article L. 1131-2 du code du travail dans les entreprises de 300 salariés et plus, aux entreprises de moins de 300  salariés .

La délégation attache une importance particulière aux dispositions susceptibles de permettre la formation du plus grand nombre de salariés sur le harcèlement et les violences sexuelles au travail. Celui lui paraît un enjeu crucial pour aider les employeurs et les managers à assumer leurs responsabilités juridiques en matière de santé et de sécurité au travail , dans l'intérêt de tous.

(5) Quelles perspectives d'évolution dans les entreprises ?

La délégation prend acte du fait que le Gouvernement s'est engagé à adopter de nouvelles mesures pour renforcer la prévention et la lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles au travail, dans le cadre du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel 248 ( * ) .

Tout d'abord, des dispositions en matière d'information aux victimes de harcèlement figurent dans le projet de loi initial déposé à l'Assemblée nationale.

Selon son exposé des motifs, « le chapitre IV introduit des dispositions dont l'objectif est à la fois de favoriser l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment sur le plan des rémunérations, et de lutter contre les violences sexuelles et sexistes au travail ».

L'article 62 prévoit ainsi l'obligation pour l'employeur d'afficher les voies de recours civiles et pénales ouvertes en matière de harcèlement sexuel et les coordonnées des services compétents .

Cette disposition sera sans doute de nature à aider les victimes à faire valoir leurs droits auprès des interlocuteurs adéquats (par exemple, les coordonnées du Défenseur des Droits).

De surcroît, la délégation a noté que la ministre du Travail et la secrétaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes ont présenté le 9 mai 2018 quinze actions pour mettre un terme aux écarts de salaires injustifiés - estimés à 9 % au niveau national - et lutter contre les violences sexistes et sexuelles au travail . Ce plan « pour une égalité professionnelle réelle entre les femmes et les hommes » résulte d'une concertation avec les syndicats et le patronat .

Selon les annonces des ministres, les actions qui nécessitent des mesures législatives seront introduites lors de l'examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Parmi les quinze actions du plan d'action pour l'égalité professionnelle présenté le 9 mai 2018, cinq concernent directement la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et rejoignent les préoccupations exprimées par la délégation .

LES CINQ ACTIONS DU PLAN POUR L'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE
VISANT À LUTTER CONTRE LES VIOLENCES SEXISTES ET SEXUELLES

1. Mobiliser les acteurs du dialogue social

* Confier un rôle de prévention aux commissions paritaires régionales interprofessionnelles et aux branches

* Introduire un volet dédié à la prévention des violences sexistes et sexuelles dans le document unique d'évaluation des risques

2. Former

* Former les inspecteurs du travail de façon systématique pour détecter les violences et apporter les réponses adéquates

* Former les professionnels de la médecine du travail de façon systématique pour accompagner les victimes, ainsi que les personnels de santé

* Former les délégués syndicaux et les élus du personnel au titre de leur formation en santé, sécurité et conditions de travail

* Former les conseillers prud'homaux

3. Informer

* Sensibiliser l'encadrement et les services des ressources humaines des grandes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire, et les chefs des petites entreprises, dans des conditions à définir par un accord de branche ou d'entreprise, et par les commissions paritaires régionales interprofessionnelles

* Informer sur les voies de recours possibles par tout moyen, en rendant obligatoire la communication par l'employeur, sur le lieu de travail, des contacts du Défenseur des Droits, de l'Inspection du travail, du référent en médecine du travail et les référents internes à l'entreprise qui seront obligatoires

4. Accompagner les victimes

* Mettre en place des référents formés et identifiables pour tous les salariés : un référent choisi parmi les représentants des élus du personnel, et un référent dans les services de médecine du travail

* Dans les entreprises de plus de 250 salariés, instituer un référent au sein des Ressources humaines

* Soutenir les associations oeuvrant en faveur de l'accompagnement des victimes

5. Sanctionner

* En cas de faits avérés, sanctionner les coupables de façon proportionnée aux violences, le cas échéant par une mutation, voire un licenciement

* Les DIRECCTE orienteront les employeurs ayant besoin de conseils sur la sanction appropriée

* Un guide pratique sera élaboré avec les partenaires sociaux pour clarifier les sanctions adaptées à chaque situation

Source : document de présentation du plan d'action pour l'égalité professionnelle, présenté par le Gouvernement le 9 mai 2018.

Si ces propositions vont dans le bon sens , elles ne pourront être effectives qu'à travers des moyens adaptés , notamment du point de vue des subventions aux associations (cf. supra ), mais également en ce qui concerne les effectifs de l'inspection du travail , qui a un rôle central à jouer dans la prévention du harcèlement sexuel et doit aussi être davantage mobilisée en matière de lutte contre les agissements sexistes.

Comme l'a rappelé Brigitte Grésy au cours de son audition, le 7 décembre 2017, l'article L. 1153-56 du code du travail prévoit des sanctions disciplinaires à l'encontre de « tout salarié ayant procédé à des faits de harcèlement sexuel ». La circulaire précitée du 12 novembre 2012 du ministère du Travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social 249 ( * ) rappelle la compétence de l'Inspection du travail pour le constat des infractions, qu'il s'agisse des faits de harcèlement ou des discriminations qui lui seraient liées : « les faits de harcèlement peuvent être constatés sur procès-verbal établi notamment par les Inspecteurs et Contrôleurs du travail et sont passibles des sanctions prévues par le code pénal ».

Or, selon Brigitte Grésy, les effectifs de l'Inspection du travail ont diminué de 20 % depuis 2010 250 ( * ) . C'est un constat préoccupant , alors que l'Inspection du travail a, entre autres missions, celle d'informer sur les dispositions relatives au harcèlement et aux agissements sexistes . De fait, elle ne paraît pas en mesure d'évaluer la réalité ou l'efficacité de la sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles . Plus globalement, cela pose aussi un problème d'égalité , puisque le traitement des violences sexistes et sexuelles n'est pas homogène sur l'ensemble du territoire , en fonction des effectifs de l'Inspection du travail.

La délégation rappelle l'importance du rôle de l'Inspection du travail dans la prévention et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail.

Elle souhaite que ses effectifs soient renforcés de façon à garantir une égalité territoriale en ce domaine.

La délégation note que la lutte contre les violences et le harcèlement au travail fait aussi l'objet d'une mobilisation internationale . En effet, l'Organisation internationale du travail (OIT) a annoncé au début de mai 2018 sa décision d'entamer un processus de négociation des normes internationales en matière de violences et de harcèlement au travail.

Dans ce cadre, les diplomates et représentants des employeurs et des employés devront arrêter le cadre formel de ces normes : convention ou recommandations. Selon le directeur de l'OIT, qui défend la mise en place de systèmes de protection des victimes et des lanceurs d'alerte, ainsi que le principe des sanctions, un sondage réalisé auprès des États membres de l'organisation révèle un « fort soutien pour une convention » 251 ( * ) .

Notre pays ne peut donc s'exonérer de ses responsabilités dans ce domaine .

4. Comment améliorer la répression du harcèlement ?
a) Un nombre de plaintes et de condamnations toujours peu élevé au pénal

Comme l'a souligné Marylin Baldeck, déléguée générale de l'AVFT, au cours de son audition par la délégation, le 31 janvier 2018, « si l'arsenal législatif actuel est grosso modo satisfaisant, la réponse pénale est loin de l'être . »

Dans leur rapport sur l'application de la loi de 2012, Pascale Crozon et Guy Geoffroy constataient en 2016 252 ( * ) que le nombre de condamnations pour harcèlement sexuel au pénal était rare .

Ils observaient que l'adoption de la loi du 6 août 2012 ne semblait pas avoir provoqué une hausse du nombre de plaintes et de condamnations.

Selon les données alors transmises par la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice aux députés, entre 30 et 40 condamnations pénales pour des faits de harcèlement sexuel ont été prononcées chaque année entre 1994 et 2003, et de 70 à 85 condamnations entre 2006 et 2010. En 2012 et 2013, compte tenu de la censure du Conseil constitutionnel et de l'entrée en vigueur de la loi du 6 août 2012, le nombre de condamnations fut très faible 253 ( * ) . En 2014, sur 1 048 plaintes déposées pour des faits de harcèlement sexuel, seulement 65 condamnations ont été prononcées et 50 % des poursuites ont donné lieu à des procédures alternatives.

Au total, les députés notaient que le nombre de condamnations restait particulièrement peu élevé , avec un taux de 6,2 % de plaintes seulement aboutissant à des condamnations 254 ( * ) .

Les deux tableaux ci-après, transmis par la DACG à la délégation, confirment ces constats et montrent que le nombre de condamnations pour harcèlement sexuel demeure limité par rapport aux condamnations pour agressions sexuelles 255 ( * ) .

Condamnations en infraction principale pour agression sexuelle, viol,
exhibition, harcèlement sexuel et atteinte sexuelle 256 ( * )

Infraction

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016*

Agression sexuelle

5 614

5 526

5 496

4 907

4 761

4 838

4 422

4 159

4 232

4 260

Viol

1 668

1 496

1 412

1 361

1 258

1 275

1 196

1 078

1 027

1 012

Exhibition

1 948

1 935

1 634

1 511

1 485

1 543

1 430

1 374

1 402

1 365

Harcèlement sexuel

56

53

54

48

42

22

16

48

69

88

Atteinte sexuelle

427

458

455

429

418

393

377

322

344

323

Source : DACG - Casier judiciaire national - traitement DACG-PEPP

*2016 : données provisoires

De surcroît, le nombre de condamnations paraît faible quand on le rapporte aux faits constatés et enregistrés par les logiciels de rédaction des procédures de la Police et de la Gendarmerie nationales.

D'après les données transmises à la délégation par la Direction générale de la Police nationale, les faits constatés pour harcèlement sexuel étaient au nombre de 1 267 en 2014, 1 381 en 1 583 en 2016 et 1 682 en 2017.

Par ailleurs, le procureur de la République de Paris a éclairé la délégation sur les chiffres relatifs à la répression du harcèlement au sein de son parquet, lors de son audition, le 22 février 2018. Le nombre de plaintes pour harcèlement sexuel y est d'une centaine de procédures par an. Parmi ces plaintes, les deux tiers ne peuvent donner lieu à poursuite , en raison de problèmes de prescription ou parce que l'infraction n'est pas caractérisée. Autrement dit, seul un tiers des dossiers est susceptible de poursuites devant le tribunal correctionnel .

De surcroît, les saisines du Défenseur des Droits pour des cas de harcèlement sexuel demeurent peu nombreuses (environ dix cas par an depuis la loi de 2012). Cette situation s'explique par le fait que peu de personnes savent que le harcèlement sexuel est une discrimination et que le Défenseur est donc compétent pour en traiter.

Dans ce contexte, Marylin Baldeck  a mis en lumière le fait que « ce sont les conseils de prud'hommes qui pour l'essentiel établissent les faits de harcèlement sexuel et ordonnent la réparation par l'employeur des préjudices des victimes », alors que plus de 80 % des plaintes au pénal sont classées sans suite .

Il est donc primordial de faciliter l'aboutissement des procédures devant les conseils de prud'hommes pour favoriser une condamnation du harcèlement et la réparation du préjudice des victimes . Cela passe notamment par l'établissement de la preuve du harcèlement.

b) La difficulté de la preuve

La faible répression du harcèlement sexuel tient en particulier à la difficulté d'en établir la preuve , plus encore lorsque celui-ci s'est produit hors cadre de travail et quand les faits sont anciens.

En effet, les victimes disposent rarement de preuves , s'agissant de comportements insidieux et cachés .

La délégation estime en conséquence qu'il est fondamental de prendre des mesures pour faciliter l'établissement de la preuve du harcèlement .

Elle a identifié deux pistes d'amélioration à cet égard : elles concernent le témoignage et la recevabilité de certains moyens de preuve .

(1) Faciliter les témoignages des victimes, mais aussi de l'entourage

Un premier obstacle souligné par les interlocuteurs de la délégation en ce qui concerne l'établissement de la preuve du harcèlement tient aux témoignages. On sait que la difficulté à parler ou témoigner est particulièrement grande dans un environnement professionnel , car elle se conjugue avec la peur de perdre son emploi. Il faut donc inciter les victimes et leur entourage témoin du harcèlement à révéler les faits.

Comme l'a indiqué Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), il faut « imaginer un lieu d'écoute et de libération de la parole, soit interne, soit externe à l'entreprise ».

À cet égard, la délégation a noté avec intérêt que le volume des témoignages des collègues est beaucoup plus important si l'enquête est réalisée non pas en interne, mais confiée à un cabinet de conseil extérieur qui recueille les témoignages de manière anonyme . Ce point a été plus particulièrement souligné par Marylin Baldeck, déléguée générale de l'AVFT au cours de son audition du 31 janvier 2018.

En outre, le Docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre, entendue par la délégation le 30 novembre 2017, a cité une bonne pratique dont pourraient s'inspirer les entreprises pour offrir un interlocuteur dédié aux victimes et les inciter à parler sans appréhension de leurs problèmes : les « personnes de confiance » ou ombudsmen , sur le modèle de ce qui se fait au Parlement européen et au Conseil de l'Europe. Il s'agit de personnes spécialement formées, placées en dehors de toute hiérarchie, qui ont pour mission d'accompagner et d'orienter les victimes. La mise en place de ce type de dispositif peut toutefois difficilement se concevoir au sein des TPE et PME .

Pour sa part, et dans le même esprit, Sandrine Rousseau, présidente de l'association Parler , auditionnée le 17 janvier 2018, a suggéré la création de référents dédiés aux violences sexuelles , hors hiérarchie, désignés pour recevoir les témoignages et alerter la direction de l'entreprise.

Le Medef insiste également sur l'importance que le référent soit bien formé à ces questions et qu'il n'y ait pas de rapport hiérarchique ( cf supra ).

Une autre bonne pratique mentionnée par le Medef pour permettre de libérer la parole consiste à élaborer un mail type de dénonciation et d'agression pour faciliter la tâche des victimes présumées ou des éventuels témoins.

En outre, le procureur de la République de Paris a indiqué aux membres de la délégation que le parquet de Paris , lorsqu'il envoie la plainte au commissariat, rappelle systématiquement qu'il faut notifier aux témoins les dispositions des articles 225-1-1 et 225-2 du code pénal . Ces deux articles prévoient une peine de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende à l'égard de toute personne qui prononcerait une sanction professionnelle contre un employé témoignant de faits de harcèlement.

La délégation salue cette bonne pratique qui mériterait d'être encouragée au sein des commissariats . Elle peut en effet faciliter la libération de la parole dans un cadre professionnel.

LES DISPOSITIONS DU CODE PÉNAL
PROTECTRICES DES TÉMOINS DE DISCRIMINATIONS

Article 225-1-1

Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes parce qu'elles ont subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel tels que définis à l'article 222-33 ou témoigné de tels faits, y compris, dans le cas mentionné au I du même article, si les propos ou comportements n'ont pas été répétés.

Article 225-2

La discrimination définie aux articles 225-1 à 225-1-2, commise à l'égard d'une personne physique ou morale, est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsqu'elle consiste :

1° à refuser la fourniture d'un bien ou d'un service ;

2° à entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque ;

à refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ;

4° à subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ou prévue à aux articles 225-1-1 ou 225-1-2 ;

5° à subordonner une offre d'emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ou prévue aux articles 225-1-1 ou 225-1-2 ;

6° à refuser d'accepter une personne à l'un des stages visés par le 2° de l'article L. 412-8 du code de la sécurité sociale.

Lorsque le refus discriminatoire prévu au 1° est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d'en interdire l'accès, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende.

(2) Envisager la recevabilité de tous les enregistrements comme moyen de preuve au civil ?

Un deuxième obstacle souligné par les interlocuteurs de la délégation en ce qui concerne l'établissement de la preuve du harcèlement concerne le refus de prise en compte, par les juridictions civiles, des enregistrements réalisés à l'insu des auteurs présumés .

Ces enregistrements sont parfois le seul moyen pour la victime d'établir la réalité des faits . Or les juridictions civiles, de manière constante, ne les considèrent pas comme des preuves recevables. Selon une jurisprudence constante, « l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectuée et conservée à l'insu de l'auteur des propos évoqué est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue 257 ( * ) ».

Pourtant, de tels enregistrements sont acceptés comme moyen de preuve en matière pénale , conformément à l'article 427 du code de procédure pénale, qui prévoit que « hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction . Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ». Les victimes d'infractions pénales peuvent donc apporter la preuve , même par des procédés tels que des enregistrements audio réalisés à l'insu de l'auteur présumé des faits, à condition que le principe du contradictoire soit respecté .

Dans son avis sur le harcèlement sexuel transmis à la délégation à la suite de son audition 258 ( * ) , le 25 janvier 2018, le Défenseur des Droits recommande de mener un travail sur cette question de la recevabilité des enregistrements dits clandestins par les juridictions civiles , qui « reste parfois la seule manière pour les victimes de démontrer la réalité de ce qu'elles allèguent » 259 ( * ) .

Cette recommandation paraît d'autant plus pertinente que « ces enregistrements constituent (...) un élément faisant partie intégrante du faisceau d'indices constituant la présomption du harcèlement sexuel qu'il appartient à l'employeur de renverser. Les agissements de harcèlement sexuel ont souvent lieu en huis clos, sans témoin, et il est très difficile pour les victimes de solliciter des témoignages de collègues qui seraient toujours en poste ».

Le Docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre, a exprimé le même point de vue au cours de son audition, le 30 novembre 2017 : « les enregistrements de conversations devraient être reconnus comme des preuves, quand bien même ils seraient réalisés à l'insu de l'agresseur ».

La délégation a été convaincue par ces arguments , d'autant plus qu'il est difficile de comprendre pourquoi un enregistrement dit clandestin serait recevable en matière pénale, et pas en matière civile. En outre, un enregistrement réalisé à l'insu de l'auteur présumé qui serait produit comme moyen de preuve devant les juridictions civiles seraient également soumis au principe du contradictoire , comme toute pièce du dossier, permettant au mis en cause de répliquer oralement ou par écrit, voire de le contester. Il n'y aurait donc pas d'atteinte a priori au principe des droits de la défense .

Comme l'a suggéré le Défenseur des Droits, la délégation propose, pour faciliter l'établissement de la preuve dans les affaires de harcèlement sexuel au travail, que soit étudiée la possibilité de tenir compte, devant les juridictions civiles , d'enregistrements réalisés à l'insu de l'auteur présumé des faits, à l'instar de ce qui est déjà admis devant les juridictions pénales.

C. LES PROBLÉMATIQUES SPÉCIFIQUES AUX MINEURS VICTIMES D'INFRACTIONS SEXUELLES

Des travaux récents ont analysé avec exhaustivité les enjeux de la prise en charge des mineurs victimes d'infractions sexuelles . La délégation n'a donc pas souhaité ajouter une étude spécifique sur ce sujet à celles qui existent déjà et dont elle a souligné la qualité 260 ( * ) . Néanmoins, elle a voulu inscrire dans sa réflexion deux des aspects significatifs des violences sexuelles contre les mineurs qui ont émergé dans le débat public, à la suite de plusieurs affaires judiciaires récentes : les délais de prescription et la question de l'âge du consentement .

La délégation a pris acte de la position de la plupart des acteurs du monde judiciaire quant à des évolutions législatives en ce domaine : d'après le rapport du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises contre les mineurs, « selon la majorité des professionnels du droit entendus par le groupe de travail, l'arsenal répressif et complet et adapté ».

Il n'en demeure pas moins que des marges de progression lui paraissent nécessaires pour garantir davantage de cohérence dans les pratiques judiciaires et répondre aux attentes légitimes des victimes et des associations .

1. Un consensus sur l'allongement du délai de prescription de l'action publique des crimes sexuels commis sur les mineurs de vingt à trente ans

L'hypothèse d'un allongement du délai de prescription de l'action publique des crimes sexuels commis sur les mineurs a été analysée de façon rigoureuse et exhaustive par la Mission de consensus présidée par Flavie Flament et le magistrat Jacques Calmettes, à la demande de Laurence Rossignol, alors ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes. Ce travail reste le document de référence sur le sujet .

LA MISSION DE CONSENSUS SUR LE DÉLAI DE PRESCRIPTION
APPLICABLE AUX CRIMES SEXUELS COMMIS SUR LES MINEUR-E-S

Face au constat des difficultés persistantes posées par les délais de prescription en vigueur dans notre droit, malgré des réformes législatives récentes, Laurence Rossignol, alors ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes a proposé à Flavie Flament, victime de violences sexuelles dans son enfance , et au magistrat Jacques Calmettes de co-présider une Mission de consensus sur le délai de prescription de l'action publique des crimes sexuels commis sur les mineur-e-s.

À l'image de la co-présidence fondée sur la complémentarité du vécu de la victime et de l'expertise du magistrat , la mission s'est attachée à prendre en compte tous les aspects du sujet, en réunissant des personnalités qualifiées aux profils très différents .

Une série d'auditions pluridisciplinaires a ainsi été organisée dans une approche globale, spécifiquement conçue pour croiser le regard des professionnels, « experts métiers », et la parole des victimes et des associations, « experts du vécu ».

Du 16 février au 7 mars 2017, cinq séquences d'auditions ont permis à 27 personnes d'être entendues : psychiatres, psychologues, psychanalystes, chercheurs et chercheuses spécialistes du cerveau et de la mémoire, magistrats, avocats, enquêteurs, fonctionnaires de police, victimes et associations.

Ces échanges ont permis de mettre en lumière les conséquences, à court et moyen termes, des crimes sexuels commis sur les mineur-e-s , du point de vue psychique et psychologique, ainsi que les raisons qui rendent si difficile la libération de la parole . À partir de ces éléments, il a été possible d'analyser la question juridique de la prescription pour aboutir à une proposition de consensus.

Au terme de ses travaux, la mission de consensus a élaboré plusieurs recommandations relatives à la libération de la parole des victimes et à leur accompagnement . Elle s'est prononcée pour l'instauration d'un délai de prescription dérogatoire d'une durée de trente ans, commençant à courir à la majorité de la victime, en ce qui concerne les crimes sexuels commis sur les mineur-e-s.

Source : rapport de la Mission de consensus

a) Le cadre juridique de la prescription

Le délai de prescription de l'action publique des crimes sexuels commis sur les mineurs est de vingt ans à compter de la majorité de la victime, ce qui lui permet de porter plainte jusqu'à ses trente-huit ans.

Dans son rapport sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineur-e-s, la Mission de consensus rappelle le cadre juridique de la prescription 261 ( * ) .

La justification de la prescription des poursuites a traditionnellement trois fondements :

- le droit à l'oubli ou le droit au pardon pour les auteurs d'infraction ;

- la sanction de l'exercice tardif des poursuites pénales ;

- le dépérissement des preuves .

Ces fondements ont été progressivement remis en cause du fait de l'allongement de la durée de la vie humaine et des progrès de la science , permettant l'émergence de nouvelles techniques de recueil et de conservation des preuves .

En outre, la société récuse de plus en plus le concept même de droit à l'oubli ou de droit au pardon face au caractère insupportable de certains crimes , dont font partie les crimes sexuels commis contre des mineurs.

Le législateur a tenu compte de ces attentes : il a reporté le point de départ du délai de prescription à la majorité de la victime et, depuis 1998, a allongé les délais de prescription de droit commun (trois ans pour les délits et dix ans pour les crimes), notamment pour les infractions commises sur les mineurs.

La loi Perben du 9 mars 2004 262 ( * ) a créé un délai dérogatoire pour les crimes sexuels sur les mineurs . Elle a porté à vingt ans le délai de prescription de l'action publique des crimes mentionnés à l'article 706-47 du code de procédure pénale et commis sur un mineur (viol, meurtre ou assassinat précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie). Ce délai, qui commence à courir à partir de la majorité de la victime, lui laisse la possibilité de porter plainte jusqu'à ses trente-huit ans.

La loi du 27 février 2017 263 ( * ) a réformé l'ensemble des délais de prescription en matière pénale . Ainsi, les délais sont portés de dix à vingt ans pour l'ensemble des crimes, et de trois à six ans pour l'ensemble des délits.

Si elle a supprimé la plupart des délais dérogatoires, cette loi reconnaît néanmoins la spécificité de certains crimes particulièrement graves qui justifient, à titre d'exception, l'allongement du délai de prescription à trente ans 264 ( * ) . Ces crimes ont été rassemblés dans l'article 7 du code de procédure pénale. En revanche, le délai de prescription de l'action publique des crimes sexuels commis sur les mineurs est resté fixé à vingt ans, comme les crimes sexuels commis sur les majeurs .

b) La question de la prescription dans le cas des crimes sexuels commis contre les mineurs : quel droit à l'oubli ?
(1) De multiples arguments plaident en faveur d'un allongement des délais de prescription en cas de crimes commis sur des mineurs

Tous les interlocuteurs entendus par la délégation ont souligné la spécificité des crimes sexuels commis sur les mineurs et le temps nécessaire à la reconstruction psychologique des victimes , en lien avec l'amnésie post-traumatique qui peut affecter les victimes d'agressions sexuelles, et plus particulièrement les mineurs. Ce point a été mis en évidence dans le cadre de la Mission de consensus.

Au cours de son audition du 18 janvier 2018, Flavie Flament a évoqué les f reins à la parole des enfants victimes de violences sexuelles : la honte, le conflit de loyauté avec la famille, la situation d'emprise et l'amnésie post-traumatique : « S'attaquer à un enfant est un crime spécifique : ils ne sont pas construits de la même façon qu'un adulte et se trouvent submergés par une forme de honte et partagés entre des conflits de loyautés concurrentes . L'amnésie traumatique est également un phénomène important . Le fait qu'une victime puisse enfin libérer sa parole et sentir une écoute en face d'elle, une attention particulière portée à son vécu, est essentiel à sa reconstruction. En cela, l'allongement des délais de prescription est une occasion supplémentaire donnée à des enfants traumatisés de pouvoir s'en sortir ».

Ces freins entravent la parole des victimes et empêchent beaucoup d'entre elles de porter plainte . Comme le relève la Mission de consensus, le délai de vingt ans actuellement en vigueur ne prend pas suffisamment en compte le caractère tardif de la révélation . En outre, l'âge limite de trente-huit ans prévu par la loi correspond à une période de la vie des victimes où elles peuvent avoir des contraintes familiales importantes, ce qui est susceptible de les dissuader d'engager des procédures judiciaires longues et difficiles. Enfin, d'après le rapport de la Mission de consensus, l'amnésie traumatique serait souvent levée après 40 ans, c'est-à-dire à un âge où les faits sont déjà prescrits .

Maître Carine Durrieu-Diebolt, auditionnée par la délégation le 14  décembre 2017, a abondé dans le sens de la Mission de Consensus sur ce point : « Souvent, cette amnésie est levée vers 35-40 ans, lorsque la victime construit sa propre vie familiale. Il faut un temps de prise en charge psychologique indispensable pour que la victime puisse être capable de porter plainte et de supporter la procédure. Cela demande du temps ».

Pour toutes ces raisons , la plupart des interlocuteurs de la délégation se sont montrés favorables à un allongement des délais de prescription de vingt à trente ans en cas de crimes sexuels commis sur les mineurs , certains allant même jusqu'à préconiser l'imprescriptibilité de ces crimes, à la différence des magistrats entendus par le groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs 265 ( * ) .

Le Docteur Emmanuelle Piet a notamment rappelé que le Collectif Féministe contre le viol (CFCV) défend l'imprescriptibilité des crimes sexuels sur les personnes depuis 1987 : « Certes, la loi actuelle est satisfaisante, mais depuis 1987, le CFCV défend l'imprescriptibilité des crimes sur les personnes. Nous avons été responsables de la première modification de la loi en 1989 sur le report de la prescription à dix ans après la majorité. Nous savons que nous avançons à petits pas. Nous avons donc accepté ce délai de dix ans, comme nous avons entériné celui de vingt. Nous accepterons un délai de prescription de trente ans ».

En outre, un autre argument majeur en faveur de l'allongement des délais de prescription concerne la pluralité des victimes et le fait que les violeurs sont très souvent des récidivistes qui sévissent pendant de longues années et font parfois de très nombreuses victimes. Ce point a plus particulièrement été mis en exergue par le Docteur Emmanuelle Piet : « Nous savons par ailleurs que les violeurs ne commettent jamais des actes uniques , et qu'ils ont des carrières épouvantablement longues (...) Les violeurs le sont à vie . Ils n'envisagent leurs rapports sexuels que sous l'angle de la domination . (...) Les violeurs se conduisent toujours de la même façon. Un violeur d'enfants qui agit sur sa fille, violera sa petite fille s'il n'est pas arrêté. Pour cette raison essentielle, la prescription n'a pas de sens ».

De même, au cours de son audition, le 16 novembre 2017, devant la délégation, Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du HCE, a souligné qu'il était « rare que le violeur n'ait agressé qu'une seule personne, même s'il est difficile de détecter les réitérants, c'est-à-dire ceux qui recommencent mais ne se font pas arrêter ».

Enfin, Maître Carine Durrieu-Diebolt a fait part de sa pratique d'avocate, citant les conséquences de la prescription sur deux soeurs ayant été victimes du même agresseur : « L'aînée voulait porter plainte, mais les faits étaient prescrits . Elle les a évoqués dans sa famille. Elle a alors appris que sa jeune soeur en avait aussi été victime. Cette dernière a déposé plainte, et l'aînée a ainsi pu témoigner . Il n'y a pas eu de déperdition de la preuve. Cet exemple démontre bien que, parfois, au-delà de la prescription actuelle, des procédures peuvent aboutir ».

La délégation estime que la spécificité des crimes sexuels commis sur les mineurs justifie un allongement du délai de prescription , d'autant plus que, comme l'a souligné la Mission de consensus, le délai dérogatoire dont bénéficiaient les mineurs avant la loi de 2017 n'existe plus , puisque la prescription des crimes sexuels est de vingt ans, qu'ils aient été commis sur un mineur ou un adulte. À cet égard, elle a été sensible à l'argument développé par Élisabeth Moiron-Braud, magistrate, secrétaire générale de la MIPROF et rapporteure de la Mission de consensus : « Considérant que les crimes sexuels sur mineurs présentent des spécificités et un caractère de particulière gravité incontestées, un délai dérogatoire de prescription devrait pouvoir s'appliquer , alors même que l'article 7 de la loi de 2017 a prévu un délai dérogatoire de trente ans pour les crimes de guerre et le trafic de stupéfiants ou les infractions terroristes ».

En outre, ainsi que l'a souligné à juste titre Élisabeth Moiron-Braud, au cours de son audition, le 18 janvier 2018, « Dans notre société de la mémoire, l'oubli n'apparaît plus pertinent, à l'heure où la parole de la victime est de plus en plus entendue » .

Cet argument a également été invoqué par Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du Haut conseil à l'égalité, au cours de son audition du 16 novembre 2017 : « Les conséquences du viol d'un mineur sont telles que le droit à l'oubli n'a pas de sens dans ce cas . La victime, elle, n'est pas dans l'oubli. Pourquoi l'agresseur ne subirait-il pas de conséquences, quand bien même s'il s'agit d'un homme devenu âgé qui a autrefois violé sa petite fille ? ».

Pour l'ensemble de ces raisons, la délégation est favorable à un allongement de vingt à trente ans du délai de prescription des crimes sexuels commis sur les mineurs , comme l'ont d'ailleurs recommandé la Mission de consensus présidée par Flavie Flament et Jacques Calmettes et le groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

En revanche, elle s'interroge sur l'imprescriptibilité de l'action publique, actuellement circonscrite aux crimes contre l'humanité 266 ( * ) . Elle rejoint sur ce point la position du procureur de la République de Paris, qui a indiqué qu'il n'était pas favorable à l'imprescriptibilité des crimes sexuels, estimant que cette exception au délai de prescription de l'action publique doit « être réservée aux crimes contre l'humanité et aux génocides , et ne pas devoir être étendue à d'autres formes de criminalité, aussi graves soient-elles ».

Comme l'a rappelé Élisabeth Moiron-Braud : « En France, l'imprescriptibilité est une exception suprême, applicable uniquement aux crimes contre l'humanité, même si la prescription publique ne revêt pas le caractère d'un principe fondamental ni d'un principe de valeur constitutionnelle ».

Pour reprendre les mots de Maître Carine Durrieu-Diebolt, elle « relève d'une autre dimension, car elle concerne les crimes contre l'humanité, les crimes de masse » .

(2) Des arguments contre l'allongement des délais de la prescription essentiellement fondés sur la question des exigences probatoires

La délégation n'a pas été convaincue par les arguments mis en avant par la plupart des magistrats contre un allongement des délais de prescription des crimes sexuels commis sur les mineurs, qui tiennent essentiellement au problème des exigences probatoires 267 ( * ) .

Dans cette logique, une telle évolution ne changerait rien du point de vue de la répression pénale, en raison de l'impossibilité de prouver les faits, tant d'années après leur commission . Par exemple, selon le procureur de la République de Paris, entendu par la délégation le 22 février 2018, « certes, on peut toujours étendre ce délai de prescription, mais cela posera le problème des exigences probatoires, dans la mesure où nous devrons juger devant des juridictions criminelles des faits vieux de vingt ou trente ans, voire davantage si l'on considère que la majorité est le point de départ du délai de prescription. Dans ces dossiers, il n'existerait plus de preuves physiques, biologiques, et parfois plus de témoins ».

Dès lors, loin d'aider les victimes, l'allongement de la prescription ne ferait que créer de la déception et des désillusions , dont celles-ci rendraient responsables la Justice.

Ces arguments peuvent toutefois être discutés.

D'une part, comme l'a relevé Ernestine Ronai au cours de son audition du 16 novembre 2017, le problème de la preuve est le même, vingt ans ou trente ans après les faits . La réussite d'une procédure repose selon elle avant tout sur la qualité de l'enquête menée par les forces de police ou de gendarmerie , et pas seulement sur les prélèvements ADN, dont elle a relativisé l'importance, se référant à une étude effectuée en Seine-Saint-Denis sur les viols jugés aux assises qui constate que « dans 33 % des cas seulement, l'ADN est mobilisé comme moyen de preuve . Cela montre que lorsque l'enquête est bien faite, les policiers bien formés, il y a mille autres façons de trouver des preuves . Ceci vaut également pour la prescription. Souvent, il n'y a pas de témoins de l'agression et, fréquemment, la victime ne se souvient de rien dès le lendemain ... C'est l'enquête qui déterminera les choses , d'où l'importance de la prise en charge psycho-traumatique, d'un bon accompagnement par les UMJ ou les médecins, d'une enquête de voisinage ... À mon avis, il n'y a pas plus d'éléments le lendemain que trente ans après ... (...) Faire des enquêtes de qualité suppose du personnel formé en nombre suffisant : là est le principal défi ».

De plus, Élisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale de la MIPROF et rapporteure de la Mission de consensus, a mis en avant lors de son audition l'apport des progrès scientifiques , qui permettent de recueillir des preuves plusieurs années après les faits : « Il est souvent opposé à l'allongement du délai de prescription le problème du dépérissement des preuves et que plus le temps passe, plus il sera difficile de juger de tels faits. Cependant, les procédures d'enquête se fondent sur la recherche de faisceaux d'indices graves et concordants , des témoignages, des enregistrements... Or nous sommes entrés dans l'ère numérique et les progrès scientifiques permettent une amélioration du recueil des preuves telles que les traces ADN , les caméras de surveillance , les messages ».

En outre, comme elle l'a exprimé avec force, personne n'a le droit de décider à la place des victimes de la pertinence du dépôt de plainte : « La preuve en matière de violences sexuelles pose toujours des difficultés, quel que soit le délai de prescription retenu. L'argument souvent invoqué du traumatisme que représenterait pour les victimes une affaire classée ou un acquittement paraît inopérant. En effet, ce n'est pas à nous de décider à la place des victimes, ce qui est bon ou mauvais pour elles . L'important est que la parole des victimes soit entendue. Si ces dernières ont décidé d'engager une action en justice, elles doivent être accompagnées et soutenues psychologiquement pendant toute la procédure par des associations qui jouent un rôle essentiel ».

Flavie Flament a abondé dans ce sens, en opposant au traumatisme supposé du procès, qui conduirait à déconseiller à la victime de porter plainte, le « traumatisme du non-lieu » et de la parole ignorée, non sans affirmer que « les victimes sont des expertes de ce qui leur arrive » : « Nous sommes une parole qui n'a pas été assez entendue ni considérée. Qui sont ceux qui peuvent parler à la place des victimes, en prétendant savoir mieux qu'elles comment agir ? (...) Je pense qu'il faut expliquer aux victimes les risques qu'elles peuvent courir en portant plainte. Si la victime choisit en connaissance de cause d'aller au procès, le traumatisme ne sera pas celui du non-lieu ».

Dans le même esprit, Josette Gonzales, avocate à la Fédération Nationale Solidarité Femmes , entendue par la délégation le 18 janvier 2018, a estimé « très important que les personnes puissent déposer plainte, même si sur le plan juridique, elles n'obtiennent pas satisfaction ».

En définitive, la délégation a retenu cette très belle phrase de Flavie Flament , qui résume parfaitement les attentes légitimes des victimes d'infractions sexuelles : « Nous n'attendons pas de la justice qu'elle nous répare intégralement, mais qu'elle remette le monde à l'endroit ».

En revanche, l'allongement de la prescription suppose deux évolutions complémentaires : comme l'a rappelé Élisabeth Moiron-Braud, une fois la procédure judiciaire enclenchée, il est indispensable que les associations accompagnent les victimes tout au long de ce parcours et que, en cas de non-lieu, la victime soit informée par le magistrat en présence d'une association d'aide aux victimes ( cf. supra ). Par ailleurs, les enquêtes doivent être conduites avec diligence par un personnel formé.

La délégation est favorable à l'allongement de dix ans des délais de prescription de l'action publique de certains crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs, qui permettra aux victimes de porter plainte jusqu'à l'âge de quarante-huit ans révolus .

c) Une bonne pratique à généraliser : permettre aux victimes de déposer plainte, même en cas de prescription

Au-delà de l'allongement des délais de prescription, la délégation a été très intéressée par la pratique mise en place au sein de la section des mineurs du parquet de Paris sur les infractions prescrites , présentée par le procureur de la République de Paris, au cours de son audition, le 22 février 2018 : les victimes sont accueillies, et même en cas de prescription, une enquête est menée et peut aller jusqu'à l'audition du mis en cause dans le cadre d'une audition libre .

Cette procédure peut aboutir à une confrontation, voire à des aveux. Même après de nombreuses années, les victimes peuvent ainsi être aidées à « tourner la page » : La section des mineurs « se trouve (...) confrontée à de nombreuses plaintes de personnes qui ont été victimes dans leur enfance de faits particulièrement graves, qu'elles viennent dénoncer alors que l'action publique est éteinte par le fait de la prescription. A Paris , la Section des mineurs et la Brigade des mineurs ont mis en place une pratique spécifique . Dans les cas de prescription, une enquête est menée et peut se poursuivre jusqu'à l'audition du mis en cause , non pas dans le cadre d'une garde à vue (puisque les faits sont prescrits), mais d'une audition libre . L'expérience démontre que les victimes ont besoin de cette parole posée . Il est même parfois possible de parvenir à des confrontations . Il arrive que des aveux surviennent alors que les auteurs savaient que les faits étaient prescrits, et que des lettres d'excuses soient adressées aux victimes. Cela peut contribuer à des phénomènes de restauration des victimes ».

Selon François Molins, « même si l'infraction est prescrite, il est tout à fait possible d'aménager un parcours "allégé" présentant un intérêt évident, non seulement en termes de prise en charge et de réponse à la victime qu'en termes de pédagogie à l'égard de l'auteur ».

La délégation considère que cette pratique devrait être encouragée au sein des parquets. Elle revient en quelque sorte à reconnaître un « droit imprescriptible » 268 ( * ) des victimes à être entendues par le service enquêteur, indépendamment du délai de prescription de l'action publique , ce qui paraît indispensable à leur reconstruction psychologique.

Convaincue que les victimes de crimes sexuels durant l'enfance ont un droit imprescriptible à être entendues par les services enquêteurs, la délégation encourage la diffusion, au sein des parquets , de la pratique consistant à mener des enquêtes, même en cas de prescription .

2. Une nécessité pour la délégation : instaurer un seuil d'âge en dessous duquel un enfant serait présumé ne pas avoir consenti à une relation sexuelle avec un adulte

Le deuxième sujet essentiel relatif aux infractions sexuelles commises sur les mineurs concerne la question de l'âge du consentement.

a) La notion de consentement et ses limites

La définition pénale du viol et des agressions sexuelles repose sur les notions de « contrainte », « surprise », « menace » ou « violence » 269 ( * ) . Elle ne comporte pas de référence explicite à l'absence de consentement de la victime , mais il appartient à celle-ci de prouver qu'elle a subi ces différentes formes de contrainte et qu'elle n'a pas consenti à l'acte sexuel. La charge de la preuve lui incombe donc.

Au cours de son audition, le 16 novembre 2017, Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du HCE, a insisté sur la nécessité d'analyser les moyens de contrainte de l'agresseur , sans se concentrer sur le prétendu consentement de la victime. Dans cette logique, l'étude Virage évoque les « modes d'extorsion du consentement ».

Sandrine Rousseau, présidente de l'association Parler , entendue le 17 janvier 2018, s'est émue de ce parti pris implicite selon lequel les femmes seraient forcément consentantes à une relation sexuelle : « Les femmes sont supposées consentantes et doivent faire la preuve qu'elles ne l'étaient pas. C'est une question très grave. Cet a priori du consentement me pose problème ». Elle plaide en conséquence pour une « inversion de la charge de la preuve du consentement ».

Dans le même esprit, les représentantes de la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF), auditionnées le 18 janvier 2018, ont estimé que la notion de consentement était une question centrale dans la mesure où, « dans notre système judiciaire, la victime doit prouver qu'elle n'a pas consenti, ce qui est particulièrement problématique en cas de viol conjugal ».

La FNSF souhaiterait donc que la charge de la preuve soit inversée en matière de viol , et qu'il incombe à l'auteur présumé de prouver qu'il a obtenu le consentement de la victime. Ses représentantes se sont référées à cet égard à la Convention d'Istanbul, dont l'article 36, alinéa 2 définit le consentement : « « Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ».

b) La question du prétendu consentement des mineurs à un acte sexuel
(1) L'instauration d'une « présomption de non-consentement » : une mesure fortement attendue par les associations de défense des victimes, mais critiquée par les acteurs du monde judiciaire

Il est important de souligner que ce qu'il est convenu d'appeler « l'affaire de Pontoise » aurait pu avoir une autre conclusion que l'émergence d'une réflexion sur l'adaptation du code pénal aux viols sur mineurs. Cette affaire souligne surtout la nécessité d'une meilleure formation des magistrats sur la réalité des violences sexuelles.

Rappelons en effet que le parquet de Pontoise avait décidé, en septembre 2017, de poursuivre pour atteinte sexuelle - et non pour viol - l'agresseur d'une enfant de onze ans, considérant que celle-ci avait eu avec cet homme de vingt-huit ans une relation sexuelle « sans violence, ni contrainte, ni menace, ni surprise ». Or le même parquet de Pontoise a, le 27 février 2018, décidé d'ouvrir une information judiciaire pour viol dans la même affaire , le tribunal de Pontoise s'étant déclaré incompétent le 13 février 2018 et ayant demandé au parquet de requalifier les faits en viol .

Il est probable que ce changement majeur a été provoqué par l'immense émotion publique suscitée par la première décision . Il n'en demeure pas moins que celle-ci aurait pu être différente si les faits avaient été appréciés à l'aune de la terreur que peut inspirer un prédateur sexuel à une enfant aussi jeune. La différence d'âge aurait probablement pu, avec un autre regard, conduire à considérer comme réunies les conditions de « violence », de « contrainte », de « menace » et de « surprise » et aboutir à l'inculpation de l'agresseur pour viol. Cette affaire aura donc permis de faire progresser la réflexion sur la définition du viol .

Il est important de souligner, comme l'a fait le Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV) lors de son audition, le 18 janvier 2018, que, « dans le droit actuel, pour obtenir la condamnation d'un rapport sexuel avec un enfant, il faut prouver la menace, la contrainte, la violence ou la surprise. Cela n'est pas juste ».

La plupart des interlocuteurs de la délégation se sont montrés favorables à l'instauration d'une présomption d'absence de consentement d'un enfant victime d'un acte sexuel par une personne majeure , qui marquerait clairement dans le code pénal l'interdiction d'une relation sexuelle entre un adulte et un mineur au-deçà d'un certain âge .

Comme l'ont relevé les représentantes de la Fédération Nationale Solidarité Femmes au cours de leur audition, le 18 janvier 2018, il faut absolument protéger les enfants : « Concrètement, il nous semble important que soit interdit tout acte sexuel entre une personne majeure et un ou une mineure, avec une présomption irréfragable de non-consentement, de façon à ce que la victime n'ait pas à apporter la preuve de son absence de consentement ».

La délégation souhaite ici rendre hommage au rôle précurseur et à la clairvoyance du Haut conseil à l'égalité (HCE) qui, dès 2016, dans son avis sur le viol 270 ( * ) , avait soulevé ce débat, bien avant les deux affaires judiciaires récentes qui ont fait polémique et ému l'opinion, et qui ont incité le législateur à se saisir de cette question 271 ( * ) .

Dans son rapport, le HCE relève que, dans notre pays, « la question de l'établissement d'une présomption d'absence de consentement de l'enfant victime d'un acte sexuel n'a jamais été abordée ni a fortiori le seuil d'âge en dessous duquel un enfant n'est pas en capacité de consentir », contrairement à d'autre pays occidentaux ayant introduit dans leur législation une présomption irréfragable d'absence de consentement d'un mineur victime d'actes sexuels . LE HCE cite les cas de l'Espagne, de la Belgique, de l'Allemagne, de l'Angleterre, du Pays de Galles, de la Suisse, du Danemark, de l'Autriche et des États-Unis.

À cet égard, il pointe le dérangeant paradoxe de notre droit , qui peut aboutir à faire condamner plus facilement un auteur d'atteinte sexuelle qu'un auteur de viol sur mineur : « En France l'absence de consentement d'un mineur à un acte sexuel n'est jamais présumé. Il faut donc en rapporter la preuve quel que soit l'âge du mineur. En revanche, cette preuve n'est pas nécessaire pour retenir l'infraction d'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans et moins par un majeur dans la mesure où l'acte sexuel est alors supposé consenti. Nous arrivons donc au paradoxe selon lequel un adulte pourra être poursuivi s'il a eu des relations sexuelles avec un enfant de quinze ans et moins sans que se pose la question du consentement du mineur, alors que l'adulte qui a commis une agression sexuelle avec pénétration sur un mineur de treize ans et moins ne sera poursuivi pour viol que si la preuve du non-consentement de l'enfant a été rapportée ».

Dans son avis précité sur le viol, le HCE propose donc l'instauration d'un seuil d'âge de treize ans en dessous duquel les mineurs seraient présumés ne pas avoir consenti à un acte sexuel. L'instauration d'un seuil d'âge implique qu'il ne sera plus nécessaire de prouver la violence, la menace, la contrainte ou la surprise 272 ( * ) .

L'éventuelle création d'une « présomption de non-consentement » telle qu'annoncée par le Gouvernement, dès le mois d'octobre 2017 273 ( * ) , a suscité des réactions très mitigées chez des acteurs du monde judiciaire 274 ( * ) .

Comme l'indique le rapport du groupe de travail de la commission des lois du Sénat, « le Conseil national des barreaux et le barreau de Paris ne considèrent pas opportun d'instaurer une présomption de non-consentement, même simple, car ce n'est pas le consentement de la victime qui est en cause mais bien l'intention de l'auteur , sur lequel doit reposer la responsabilité de l'acte (...). En matière d'infractions sexuelles, l'efficacité de la répression repose davantage sur le régime de la preuve que sur les éléments constitutifs de l'infraction ».

En outre, selon ce rapport, la détermination d'un seuil d'âge pourrait de façon paradoxale aboutir à une moindre répression de ces infractions : « Comme l'a souligné le représentant de la chambre criminelle de la Cour de cassation (...), l'introduction d'un "âge-seuil" risque d'être interprétée également par les juridictions comme une limite , par exemple pour l'application de la notion de contrainte morale : la création d'une telle présomption ferait ainsi courir le risque que les juridictions ne reconnaissent plus l'existence d'une contrainte morale pour les victimes mineures de plus de treize ou quinze ans . L'instauration d'une présomption de non-consentement en-deçà de treize ans instaurerait une zone "grise" quant à la répression pénale de ces comportements qui pourraient inciter à se reposer exclusivement sur la qualification pénale d'atteinte sexuelle et donc mobiliser insuffisamment la qualification pénale de viol » .

Enfin, notre collègue Marie Mercier, rapporteure, met en garde contre « le risque constitutionnel qui existe à maintenir une circonstance aggravante du viol fondé sur l'âge de la victime (mineure de 18 ans ou mineure de quinze ans) tout en faisant reposer l'élément constitutif de l'infraction sur l'âge de la victime ».

Pour autant, la délégation note avec intérêt que le procureur général près la Cour de cassation n'a pas écarté l'hypothèse d'une présomption simple « renforcée » 275 ( * ) , présumant l'absence de consentement du mineur sauf si l'auteur a pu objectivement et légitimement se tromper sur l'âge de la victime . Cette présomption serait renforcée par la possibilité, pour l'auteur présumé, d'apporter une « contre-preuve » montrant pourquoi il a pu se tromper sur l'âge de la victime 276 ( * ) , garantissant ainsi les droits de la défense .

(2) La question du seuil d'âge : les éléments du débat

La délégation a été particulièrement sensible aux arguments développés par les associations et certains acteurs du monde judiciaire plaidant pour une plus grande protection des mineurs .

Au fil de ces auditions, elle a acquis la conviction de la nécessité d'instaurer un seuil d'âge.

La question de l'âge à retenir a toutefois fait débat entre les interlocuteurs de la délégation.

Comme l'a d'ailleurs souligné notre collègue Marie Mercier dans son excellent rapport sur les infractions sexuelles commises contre les mineurs, « une présomption de culpabilité fondée sur l'âge de la victime présente l'avantage de la clarté. Néanmoins, elle pose incontestablement une double difficulté tenant à la détermination de l'âge pertinent et aux effets inévitables de seuil ». À cet égard, elle a insisté lors de son audition du 31 mai 2018 sur le fait que la définition d'un seuil d'âge pouvait présenter l'avantage d'une solution simple, tout en alertant la délégation sur le risque d'une formule « simpliste » . Elle s'est prononcée en faveur d'une rédaction souple du code pénal, faisant valoir qu'« aucun cas ne ressemble à un autre » 277 ( * ) .

Faut-il retenir l'âge de treize ans, comme le préconise le HCE, ou celui de quinze ans, comme le suggèrent la plupart des propositions de loi déposées au début de la session parlementaire sur ce sujet ?

LES PROPOSITIONS DE LOIS DÉPOSÉES AU PARLEMENT À L'AUTOMNE 2017
POUR AMÉLIORER LA RÉPRESSION PÉNALE DES INFRACTIONS SEXUELLES
COMMISES SUR LES MINEURS

Plusieurs propositions de loi émanant de députés ou de sénateurs ont été déposées depuis la rentrée parlementaire 2017 dans le sillage des « affaires » de Pontoise et Meaux, afin de renforcer la répression pénale des infractions sexuelles commises sur les mineurs.

Parmi d'autres mesures, chacun de ces textes propose d'instaurer un seuil d'âge pour le consentement sexuel des mineurs. Le seuil d'âge varie selon les propositions de loi.

Propositions de loi déposées à l'Assemblée nationale

- Proposition de loi relative à la qualification de viols sur mineur en vue de fixer l'âge minimum de présomption du consentement sexuel à quinze ans , présentée par Patrick Mignola, député, enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 octobre 2017, texte n° 251, XV e législature.

- Proposition de loi visant à améliorer la protection juridique des mineurs victimes de viol, présentée par Bérengère Poletti, députée, enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 octobre 2017, texte n° 252, XV e législature. Ce texte propose un seuil d'âge à quatorze ans .

Propositions de loi déposées au Sénat

- Proposition de loi tendant à renforcer la protection des mineurs contre les agressions sexuelles, présentée par Catherine Deroche, enregistrée à la Présidence du Sénat le 17 octobre 2017, texte n° 28 (2017-2018). Ce texte retient un seuil d'âge de quinze ans .

- Proposition de loi pour une meilleure protection des mineur.e.s victimes de viol et des autres agressions sexuelles, présentée par Laurence Rossignol, sénatrice, enregistrée à la présidence du Sénat le 26 octobre 2017, texte n° 53 (2017-2018). Ce texte retient un seuil d'âge de quinze ans .

- Proposition de loi visant à renforcer la définition des agressions sexuelles et du viol commis sur des mineur-e-s de moins de quinze ans , présentée par Laurence Cohen, sénatrice, enregistrée à la présidence du Sénat le 30 octobre 2017, texte n° 55 (2017-2018).

Instaurer un seuil à l'âge de quinze ans peut paraître plus protecteur pour les jeunes victimes . En outre, ce choix pourrait présenter une certaine cohérence, puisque l'âge de quinze ans est déjà un âge charnière pour la répression des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, à travers le délit d'atteinte sexuelle , même si l'on peut se demander comment un tel seuil s'articulerait avec ce délit défini aux articles 227-25, 227-26 et 222-27 du code pénal.

LE DÉLIT D'ATTEINTE SEXUELLE DANS LE CODE PÉNAL

Article 227-25. Le fait, par un majeur, d'exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Article 227-26. L'infraction définie à l'article 227-25 est punie de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende :

1° Lorsqu'elle est commise par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ;

2° Lorsqu'elle est commise par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;

3° Lorsqu'elle est commise par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ;

4° Lorsque le mineur a été mis en contact avec l'auteur des faits grâce à l'utilisation, pour la diffusion de messages à destination d'un public non déterminé, d'un réseau de communication électronique ;

5° Lorsqu'elle est commise par une personne agissant en état d'ivresse manifeste ou sous l'emprise manifeste de produits stupéfiants.

Article 222-27. Les atteintes sexuelles sans violence, contrainte, menace ni surprise sur un mineur âgé de plus de quinze ans sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende :

1° Lorsqu'elles sont commises par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ;

2° Lorsqu'elles sont commises par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions.

Toutefois, cette solution présenterait l'inconvénient, pour de très jeunes majeurs qui auraient des relations sexuelles consenties avec des adolescentes de quinze ans, de risquer de se voir condamnés pour agression sexuelle ou viol . On peut envisager le cas de parents portant plainte au nom de leur enfant s'ils désapprouvent cette relation.

Ce risque a plus particulièrement été mis en avant par le Défenseur des Droits , dans l'avis qu'il a rendu dans le cadre de son audition par le groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs 278 ( * ) . À cette occasion, le Défenseur des Droits a d'ailleurs particulièrement bien posé les termes du débat ainsi que les enjeux juridiques et constitutionnels de l'introduction d'une présomption de non-consentement des mineurs en dessous d'un certain âge en matière d'agression sexuelle et de viol :

« Sur la nature de la présomption qui pourrait être imposée, le Défenseur des Droits souhaite affirmer son opposition à une présomption irréfragable de non-consentement, telle qu'elle apparaît dans plusieurs propositions de loi , et qui signifierait que la personne mise en cause ne pourrait rapporter la preuve du contraire. Prenons un exemple concret : imaginons qu'une présomption irréfragable soit introduite en vertu de laquelle un mineur de moins de quinze ans ne saurait avoir consenti à l'acte sexuel avec un majeur. Dans ce cas , en cas d'acte sexuel entre un jeune majeur de 18 ans et un mineur de quatorze ans et onze mois, le majeur sera automatiquement renvoyé devant le tribunal correctionnel pour agression sexuelle ou devant la cour d'assises en cas de pénétration, sans même rechercher si la relation sexuelle a été commise sans menace, violence, contrainte ou surprise (...). Le Défenseur des Droits n'est pas favorable à l'introduction d'une telle présomption irréfragable, en ce que cette solution semble contrevenir au principe de la présomption d'innocence et aux droits de la défense ».

Selon lui, une telle disposition serait « contraire au droit européen et pourrait être invalidée par le Conseil constitutionnel, sur la base de ces deux principes fondamentaux de notre droit ».

Il en conclut donc que, « si une telle présomption devait voir le jour, il ne pourrait (...) s'agir que d'une présomption simple . En pratique, cela signifie que la charge de la preuve serait renversée : le mineur serait présumé ne pas avoir consenti à l'acte sexuel, mais l'auteur pourrait conserver un moyen de défense consistant à démontrer l'inverse » 279 ( * ) .

Le rapport d'information de Marie Mercier sur les infractions sexuelles commises sur les mineurs rappelle également avec précision le cadre constitutionnel et conventionnel des présomptions de culpabilité qui doit être pris en compte, selon le groupe de travail, pour garantir la constitutionnalité d'un dispositif qui, à travers un seuil d'âge, établirait une présomption d'absence de consentement .

À cet égard, Laurence Rossignol a évoqué, lors de la réunion de la délégation du 31 mai 2018, le précédent du projet de loi relatif à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), adopté par le Parlement le 16 février 2017. Elle a rappelé que le risque d'inconstitutionnalité avait été objecté pendant la procédure d'examen du texte, mais que celui-ci avait été validé par le Conseil constitutionnel. Elle a jugé regrettable de s'interdire ex-ante une innovation juridique en préjugeant de la position des juges constitutionnels .

PRÉSOMPTION IRRÉFRAGABLE, PRÉSOMPTION SIMPLE
ET INVERSION DE LA CHARGE DE LA PREUVE

En application du principe constitutionnel de présomption d'innocence, la charge de la preuve appartient toujours à l'accusation .

La jurisprudence constitutionnelle accepte les présomptions de culpabilité ou de responsabilité , qui renversent partiellement la charge de la preuve, à la seule condition qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable , que le respect des droits de la défense soit assuré, que les faits permettent d'induire raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité et qu'en outre, s'agissant de crimes et de délits, « la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d'actes pénalement sanctionnés ».

En outre, si la Cour européenne des droits de l'Homme a admis, sous certaines conditions dont elle contrôle concrètement l'application, l'existence de présomptions dans les droits internes, c'est sous réserve qu'elles soient compatibles avec la présomption d'innocence, c'est-à-dire qu'elles soient réfragables , et que la personne poursuivie puisse apporter la preuve du contraire .

Source : rapport d'information de Marie Mercier : protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles

Plusieurs arguments ont été développés par ailleurs pour retenir un seuil d'âge de treize ans de préférence à celui de quinze ans .

De façon générale, la délégation note que, d'après le rapport d'information de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises sur les mineurs, « un plus grand nombre d'acteurs du droit accepterait une présomption (simple) de culpabilité fondée sur l'âge de la victime inférieur à treize ans : en effet, cette présomption exclurait des poursuites automatiques pour viol dans les cas, fréquemment rencontrés par les enquêteurs, de relations sexuelles entre des mineurs de quatorze-seize ans et des jeunes majeurs ».

En outre, la délégation a entendu avec intérêt les raisons exposées par le procureur de la République de Paris, qui est favorable à l'introduction dans le code pénal d'une disposition indiquant clairement qu'il ne saurait exister de consentement pour un viol commis par un adulte sur un mineur, dès lors que l'âge de celui-ci est inférieur à treize ans. Selon lui, « cette position permet de conserver une cohérence avec l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante , qui définit l'âge de treize ans comme une séparation entre sanction éducative et sanction pénale » .

On peut donc tirer argument de l'âge de treize ans fixé par l'ordonnance de 1945 pour l'accès du jeune au discernement et à la responsabilité pénale pour définir par cohérence l'âge à partir duquel un mineur pourrait éventuellement consentir à un acte sexuel . Il s'agirait néanmoins d'une présomption simple et non-irréfragable.

Le procureur de la République de Paris a estimé lors de son audition que, en renvoyant à la nécessité de déterminer une dimension de « violence », « contrainte », « menace » ou « surprise », la définition du viol suppose que les victimes apportent la preuve de leur absence de consentement, ce qui peut être très complexe : « En l'absence de ces critères, il peut y avoir des difficultés : c'est la raison pour laquelle je pense que la fixation d'un âge constituerait la seule façon de sortir de ce débat ».

De surcroît, la délégation souhaite éviter toute confusion entre la réflexion suscitée par « l'affaire » de Pontoise sur l'âge en deçà duquel un enfant serait présumé victime de viol ou d'agression sexuelle et un débat moral sur l'âge auquel il serait acceptable que les jeunes aient des relations sexuelles .

L'objectif de la délégation n'est pas de porter un jugement moral sur la sexualité des jeunes d'aujourd'hui, mais bien de protéger les jeunes victimes et de favoriser une application harmonieuse du code pénal sur l'ensemble du territoire . Comme l'a rappelé le Docteur Ghada Hatem, gynécologue et fondatrice de La Maison des Femmes de Saint-Denis, au cours de son audition, le 14 décembre 2017, en se référant à sa pratique professionnelle, il existe « des exemples de sexualité précoce et épanouie chez des jeunes filles mineures ».

Ce constat rejoint celui de deux chercheurs de l'INED et de l'INSERM, qui avaient en 2008 coordonné et commenté L'enquête sur la sexualité en France 280 ( * ) , qui est restée depuis lors l'étude de référence sur ce sujet et analyse notamment la sexualité des jeunes. Selon ces spécialistes, « La sexualité des moins de quinze ans n'est pas toujours contrainte » 281 ( * ) : mieux protéger par la loi les mineurs ne doit donc pas contribuer à rendre leur sexualité « illégitime », a fortiori pour les jeunes filles.

C'est pourquoi l'âge de treize ans paraîtrait à la délégation plus adapté à ces constats.

En définitive, si ce choix était retenu, coexisteraient deux régimes de protection distincts des mineurs contre les infractions sexuelles commises par des majeurs :

- en dessous de treize ans, il n'y aurait pas besoin de prouver la contrainte, la menace, la surprise ou la violence pour caractériser le viol ou l'agression sexuelle ;

- entre treize et quinze ans subsisterait le régime actuel de l'atteinte sexuelle sur mineurs .

(3) La nécessité de poser dans le code pénal un interdit clair qui garantira un traitement cohérent des jeunes victimes sur l'ensemble du territoire

La délégation tient à saluer le travail réalisé par la commission des lois dans le cadre de son groupe de travail sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs , qui a débouché sur une proposition de loi examinée et adoptée par le Sénat le 27 mars 2018. 282 ( * )

Ses membres estiment « qu'un seuil d'âge est un critère certes objectif mais également arbitraire qui ne prend pas en compte la diversité ni les maturités sexuelles des mineurs, ni leurs capacités de discernement ».

Nos collègues ont eu à coeur de procéder à une « clarification du droit existant permettant à la fois la protection la plus large possible des mineurs mais également l'application concrète de cette modification législative par les magistrats ».

Ils ont fait le choix de compléter la définition du viol inscrite dans le code pénal en y intégrant deux critères pouvant qualifier la « contrainte morale » : l'existence d'une différence d'âge « significative » entre victime et agresseur ou l'incapacité de discernement du mineur .

Néanmoins, cette logique maintient une grande marge d'appréciation pour évaluer la différence d'âge et la capacité de discernement de la victime . Or c'est justement la subjectivité qui a conduit à l'« affaire de Pontoise » et à la prise de conscience par l'opinion de l'intérêt d'une loi pénale d'application stricte pour les enfants victimes de violences sexuelles.

Pour éviter de laisser trop de prise à la subjectivité du magistrat dans la caractérisation de la contrainte, la délégation plaide donc, comme la plupart de ses interlocuteurs, pour l'instauration d'un seuil d'âge en-deçà duquel la contrainte serait caractérisée .

C'est d'ailleurs l'argument qu'a invoqué Élisabeth Moiron-Braud, magistrate et secrétaire générale de la MIPROF, au cours de son audition du 18 janvier 2018. Selon elle, la contrainte morale telle que prévue par le code pénal dans la définition du viol et des agressions sexuelles est difficile à apprécier, ce qui explique des décisions de justice qui varient d'un territoire à l'autre. Instaurer un seuil d'âge assurerait donc une meilleure sécurité juridique en garantissant une jurisprudence plus unifiée des affaires d'infractions sexuelles sur l'ensemble du territoire .

Comme l'a souligné Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du HCE, au cours de son audition du 16 novembre 2017, « il faut par la loi fixer un interdit suffisamment fort. Cela servira à la fois à la pénalisation et à la prévention du viol ».

La délégation souhaite que la définition pénale du viol , dans le cas de victimes particulièrement jeunes , laisse le moins de prise possible à la subjectivité et qu'elle permette une réponse pénale cohérente sur l'ensemble du territoire .

Elle insiste aussi sur le fait que ce débat juridique doit être tranché indépendamment de tout jugement moral sur la sexualité des jeunes .

Elle recommande donc l' instauration d'un seuil d'âge de treize ans dans le code pénal. Tout acte de pénétration sexuelle commis par un adulte sur un enfant de moins de treize ans relèverait ainsi des sanctions prévues en cas de viol , sans que les critères de violence, contrainte, menace ou surprise définis par l'article 222-23 du code pénal soient pris en considération, et sans que puisse être évoquée la question du consentement de la victime .

D. LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES CONJUGALES ET INTRAFAMILIALES : UN ENJEU DE COHÉRENCE ENTRE LE DROIT CIVIL ET LE DROIT PÉNAL

Certaines avancées ont été accomplies depuis quelques années en ce qui concerne la lutte contre les violences conjugales et la protection des femmes - ou hommes - victimes de ces violences, notamment à travers un effort très significatif de formation des professionnels de la justice et de la sécurité.

Pour autant, la délégation a identifié au cours de ses auditions plusieurs marges de progrès pour consolider et parfaire l'efficacité de cette politique publique.

Il s'agit de faire en sorte de :

- mieux réprimer le viol conjugal ;

- garantir une meilleure cohérence de la loi pénale et de la loi civile, notamment s'agissant de la protection des enfants victimes de violences ;

- poursuivre la montée en puissance des dispositifs de protection et de mise à l'abri des victimes de violences conjugales (téléphone grave danger, ordonnance de protection et hébergement d'urgence).

1. Le viol conjugal, un crime toujours très peu condamné

Comme cela a été précédemment évoqué, le viol conjugal est « presque systématiquement requalifié » en agression sexuelle, pour reprendre les termes de Josette Gonzales, avocate à la Fédération Nationale Solidarité Femmes, le 18 janvier 2018.

Il n'est donc pas condamné à la hauteur de la gravité des faits. Les condamnations dans ce type d'affaires sont généralement très inférieures au quantum des peines qui devrait être appliqué au regard de la nature criminelle de cet acte.

Maître Carine Durrieu-Diebolt, entendue par la délégation le 14 décembre 2017, a cité un cas éloquent à cet égard : « Récemment, après huit ans d'instruction, j'ai défendu une victime devant le tribunal correctionnel de Bobigny pour un viol conjugal . C'est éprouvant : la victime doit bénéficier d'un double accompagnement, à la fois psychologique pour se confronter à ses traumatismes, et de la part de l'avocat pour la préparer au procès (...) Dans cette affaire de viol conjugal avec violences - ce qui est une circonstance aggravante -, le tribunal a condamné le conjoint à trois ans de prison dont un an avec sursis, et sans mandat de dépôt ! L'auteur des faits a donc pu bénéficier d'un aménagement de peine et porter un bracelet électronique, alors que la peine encourue aux assises pour les faits commis est de vingt ans de réclusion ».

Lors de son audition, le procureur de la République de Paris a confirmé cette réalité en la nuançant. En effet, il a indiqué que beaucoup de viols conjugaux sont souvent correctionnalisés à l'issue de l'instruction , tout en précisant les motifs qui peuvent guider le choix de la correctionnalisation dans ce contexte : « Dans le cadre des violences sexuelles au sein du couple, ce phénomène de correctionnalisation se produit souvent à l'issue de la procédure d'instruction , car de très nombreuses victimes préfèrent éviter la cour d'assises pour des raisons multiples, que nous pouvons entendre, notamment pour préserver les enfants, mais aussi pour des raisons de pudeur , autant pour la victime que pour l'accusé, qui ne souhaitent pas évoquer, dans un débat public parfois très long, des relations de couple qu'ils ont envie de garder pour eux. Ainsi, de nombreux dossiers sont correctionnalisés, avec l'accord des parties civiles , à l'issue des procédures diligentées par les juges d'instruction ».

Si la délégation peut entendre ces arguments, elle souhaite néanmoins rappeler que la notion de viol conjugal reste encore mal comprise par les victimes, les professionnels et la société en général , parce qu'elle est encore concurrencée par celle de « devoir conjugal ».

Ainsi, le Docteur Ghada Hatem, gynécologue et fondatrice de La Maison des femmes de Saint-Denis, auditionnée par la délégation le 14 décembre 2017, a relevé que le viol conjugal est mal identifié par les médecins : « Nous nous adressons aussi à celles qui sont victimes de violences conjugales, intrafamiliales ou sexuelles, ce qui inclut le viol conjugal. Cette notion reste mal appréhendée par les médecins . On a encore tendance à considérer que les femmes ont un "devoir conjugal". Heureusement, la loi a changé pour réprimer les relations sexuelles non consenties entre époux » 283 ( * ) .

De même, le Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol, entendue le 18 janvier 2018, a cité des exemples assez édifiants relatifs à l'accueil reçu par des femmes venant porter plainte pour viol conjugal dans un commissariat : « Sur le viol conjugal, nous avons encore des témoignages selon lesquels la police a dit : "c'est votre mari, vous n'allez pas faire d'histoires !". Nous entendons encore ce genre de propos tenus par la police, en France ! On nous assène encore le devoir conjugal ! » .

Au cours de leur audition, le 18 janvier 2018, les représentantes de la FNSF ont également attiré l'attention de la délégation sur le fait que certains commissariats ou services de gendarmerie opposeraient aux victimes la notion de « devoir conjugal » . De même, l'enquête de la FNSF précédemment citée sur les refus d'enregistrer les plaintes pour violences conjugales rapporte des propos particulièrement graves. Ainsi, selon une association, « il aurait été (...) affirmé que le viol entre époux n'existe pas et qu'il s'agit d'un ?devoir conjugal?. Il lui aurait été de plus expliqué que s'il n'y avait pas de violences physiques, ce n'était pas un viol, et que si elle avait fini par accepter le rapport sexuel, ?c'est qu'elle était consentante ? » 284 ( * ) .

Bien évidemment, de tels propos sont extrêmement dissuasifs pour les victimes ( cf supra ).

Par ailleurs, le Docteur Piet a établi un lien très clair entre violences conjugales et viols conjugaux , en se fondant sur son expérience de médecin : « Dans les violences conjugales, je pense qu'il y a 100 % de viols ».

Ce lien entre violences conjugales et viol conjugal semble corroboré par l'enquête Virage . En effet, au cours de son audition devant la délégation, le 22 février 2018, Christelle Hamel, chercheure à l'INED sur les statistiques de violences faites aux femmes, a indiqué que 73 % des femmes victimes de violences dans le couple déclarent au moins un viol ou une tentative, et qu'il s'agit d'actes répétés .

Lors de son audition, le 16 novembre 2017, Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du Haut Conseil à l'Égalité, s'est toutefois montrée plutôt optimiste concernant la répression du viol conjugal. Elle a souligné que le nombre de plaintes et de condamnations augmentait, tout en insistant sur l'importance de communiquer sur le viol conjugal et sa gravité pour favoriser une prise de conscience de la société sur ce sujet : « Sur la question du viol conjugal, le nombre de plaintes est en augmentation, de même que celui des condamnations, si les plaintes sont correctement traitées. La notion de "devoir conjugal" commence à s'estomper ! Grâce aux médias, les Français prennent conscience qu'un viol conjugal, ça existe . Sans doute avons-nous encore besoin d'une campagne de grande ampleur, après celle de mars 2016 sur les agressions sexuelles et les viols. La société est prête, agissons en accord avec elle : télévisions, affiches, flyers... ».

La délégation souhaite le lancement d'une campagne d'information et de sensibilisation sur le viol conjugal , pour faire prendre conscience du fait que les relations sexuelles non consenties entre conjoints sont un crime .

2. Un impératif : mieux protéger les enfants victimes de violences conjugales

Les auditions menées par la délégation lui ont permis de prendre conscience de la nécessité de mieux garantir la cohérence de notre législation entre le champ pénal et le champ civil .

Au cours de l'audition de François Molins, procureur de la République de Paris, le 22 février 2018, notre collègue Laurence Rossignol, ancienne ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes, a souligné cet enjeu : « L'articulation entre la justice pénale et la justice civile en matière de violences conjugales me pose problème. Autant je crois qu'il existe une bonne compréhension des faits en matière pénale, autant la justice civile continue de ne pas prendre en compte la parole de la femme ».

a) Un droit de la famille qui ne prend pas toujours suffisamment en compte les situations de violences intrafamiliales

De même, au cours de son audition du 16 novembre 2017, le magistrat Édouard Durand, co-président de la commission Violences de genre du Haut conseil à l'égalité (HCE), a exprimé la conviction qu'il n'est pa cohérent de protéger les victimes de violences conjugales si la législation du droit de la famille n'est pas en adéquation avec cet objectif fondamental .

Il estime donc qu'il est impératif de mieux prendre en compte les situations de violences conjugales en cas de séparation des parents . Il a déploré à cet égard le fait que le modèle unique du droit de la famille soit aujourd'hui celui de la co-parentalité, c'est-à-dire le principe selon lequel le parent est reconnu dans son statut de parent , quelles que soient les circonstances . Or une telle logique, selon lui, met en danger les femmes et les enfants en cas de violences intrafamiliales : « La coparentalité est, de façon étonnante, quasiment le seul paradigme avec lequel nous pensons les rapports entre les hommes et les femmes , les pères, les mères et les enfants dans la famille aujourd'hui, dans un contexte où les séparations conjugales sont extrêmement nombreuses (...). Nous pensons la parentalité comme l'affirmation de la nécessité de préserver la place des pères , qui serait perçue comme fragile (...). Il n'est pas excessif de penser que le souci quasiment exclusif actuellement semble être de préserver la place du père » 285 ( * ) .

b) Une avancée : l'articulation du 5ème plan de lutte contre les violences faites aux femmes et du premier plan de lutte contre les violences faites aux enfants

La délégation note que l'articulation entre la protection des femmes victimes de violences et celle des enfants victimes de violences est l'une des spécificités du 5 ème plan violences . Elle se félicite de cette avancée et tient à rendre hommage à l'action de notre collègue Laurence Rossignol, co-rapporteure, qui est également à l'origine du premier plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants, pour la période 2017-2019. Ces deux plans formalisent l'analyse selon laquelle les enfants sont des co-victimes des violences faites aux femmes, selon la formule d'Édouard Durand : « Un enfant témoin est un enfant victime » 286 ( * ) .

Le 5 ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes souligne la nécessité d'assurer la protection des mères et des enfants pendant la séparation , et intègre les violences économiques aux violences faites aux femmes, au nombre desquelles le non-paiement des pensions alimentaires.

LE 5 ÈME PLAN DE MOBILISATION ET DE LUTTE
CONTRE TOUTES LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES 2017-2019

Le 5 ème plan violences part du constat des avancées importantes qui ont été réalisées pour faire reculer les violences faites aux femmes et mieux protéger les victimes, notamment dans le cadre du 4 ème plan, dont le HCE a dressé un bilan plutôt positif.

Il s'articule autour de trois axes principaux qui déclinent 38 objectifs et couvrent le champ de toutes les violences (violences conjugales, sexuelles, psychologiques...) : l'accès des victimes à leurs droits ; le renforcement de la protection vers des publics spécifiques (enfants, jeunes femmes et femmes vivant en milieu rural) et la lutte contre le sexisme.

Axe 1 : Consolider le parcours de sortie des violences des femmes victimes ( 8 objectifs )

Il s'agit d'assurer l'accès aux droits et de sécuriser les dispositifs qui ont fait leurs preuves pour améliorer le parcours des victimes.

Dans ce domaine, le plan prévoit notamment :

- la consolidation du 3919 et du dispositif des intervenants sociaux dans les commissariats et brigades de gendarmerie ;

- le renforcement de la formation , qui sera systématisée pour certains professionnels : médecins, policiers, gendarmes, mais aussi sapeurs-pompiers ;

- la mise en place d'actions visant à amplifier les dispositifs d'urgence : création de places d'hébergement d'urgence dédiées aux femmes victimes de violences ; mobilisation des dispositifs de protection dans l'urgence que sont l'éviction du conjoint violent, l'ordonnance de protection et le TGD ;

- le développement d'une offre de soins psycho-traumatiques sur le territoire.

Axe 2 : Répondre à la diversité des situations, des territoires et des formes de violences ( 21 objectifs )

Il s'agit de renforcer l'action publique là où les besoins sont les plus importants.

Le plan a pour ambition :

- de mieux articuler la prise en charge des femmes victimes de violences et celle des enfants : cela passe par la formation des professionnels ; la protection des mères et des enfants pendant la séparation (interdiction de la médiation familiale pour fixer l'exercice de l'autorité parentale dans ce type de situation) et après la séparation, grâce à l'action de l'Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (ARIPA) ; l'expérimentation des « espaces de rencontre protégés » et de la « mesure d'accompagnement protégé » ;

- d' améliorer la protection des jeunes femmes particulièrement exposées aux violences, dans le couple et sur Internet , à travers la création de 100 solutions d'hébergement spécialisées dans la prise en charge des 18-25 ans sans enfants ; la mobilisation des missions locales pour les accompagner dans l'insertion professionnelle ; la publication d'un guide sur les violences en ligne et la diffusion de la liste des commissariats dans lesquels les enquêteurs sont formés à la lutte contre les violences sur Internet ;

- d'offrir davantage de dispositifs d'aide aux femmes vivant en milieu rural : mise en place de permanences d'écoute dans les Maisons de service public et sur la base de conventions avec les centres d'information des droits des femmes et des familles (CIDFF) présents en zones rurales ; travail sur la mobilité, à travers l'expérimentation de « bons-taxis » menée dans 25 départements.

Le plan annonce également des actions concrètes qui renforcent « l'accès aux droits des femmes handicapées victimes de violences, des femmes résidant dans les territoires d'Outre-mer et des femmes étrangères ».

Axe 3 : Prévenir les violences en luttant contre le sexisme et la récidive ( 9 objectifs )

Le 5 ème plan violences s'inscrit à cet égard dans la continuité du Plan d'action et de mobilisation contre le sexisme engagé en septembre 2016 : « des campagnes seront menées pour poursuivre le travail de déconstruction des stéréotypes qui constituent le terreau des violences faites aux femmes ».

Enfin, le document de présentation du plan indique que plus de 125 millions d'euros seront engagés pour financer ces mesures entre 2017 et 2019 .

La délégation approuve l'articulation du 5 ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes avec le premier plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants .

Elle souhaite que le Parlement soit régulièrement informé de l'application et de l'évaluation des dispositifs que ces plans prévoient, ainsi que des intentions du Gouvernement en ce qui concerne les plans à venir à l'échéance de 2019 .

Elle regrette à cet égard que le premier Plan d'action national contre la traite des êtres humains (2014-2016) n'ait pas été reconduit et actualisé pour la période 2017-2019.

Pour Édouard Durand, magistrat, co-président de la commission Violences de genre du Haut conseil à l'égalité, le manque de cohérence entre champ pénal et champ civil peut avoir de graves conséquences et il convient de toujours avoir pour objectif l'intérêt de l'enfant, en gardant à l'esprit qu'« un mari violent ne peut pas être un bon père » . Comme il l'a mis en exergue au cours de son audition, « plusieurs études ont montré que l'exposition de l'enfant aux violences conjugales a un impact traumatique plus sévère que l'exposition à la guerre ou au terrorisme ».

Selon lui, « Nous savons aussi qu'un enfant sur deux exposé aux violences conjugales est directement victime de violences physiques exercées contre lui par le violent conjugal . De plus, la fille d'un parent violent court 6,5 fois plus de risques qu'une autre d'être victime d'agressions sexuelles ou de viols par le violent conjugal. L'enjeu, pour le parent violent, c'est le pouvoir, qui passe aussi par le sexuel. Il faut donc prendre en compte la dangerosité des violents conjugaux » 287 ( * ) .

Pour le magistrat, il est impératif de garantir la protection des enfants exposés aux violences conjugales à travers la cohérence de la loi : « Tout l'enjeu pour vous, parlementaires, est de garantir la cohérence de la législation . Car si les mesures de protection de l'enfant, d'assistance éducative prises dans les conseils départementaux ou au sein des services d'aide sociale à l'enfance, visent à garantir son besoin de sécurité, il faut aussi avoir cette priorité en tête quand on détermine les modalités d'organisation de la vie de l'enfant en cas de séparation des parents. Car le besoin de sécurité de l'enfant devrait être identique devant n'importe quel juge ou professionnel de la protection de l'enfance » .

c) Plusieurs exemples de manque de cohérence entre champ pénal et champ civil au détriment des victimes

Édouard Durand a cité plusieurs exemples du manque de cohérence entre champ pénal et champ civil en matière de droit de la famille, au détriment des plus fragiles, appelant à la vigilance du législateur sur ce point.

(1) La question de la résidence alternée

Le premier exemple est celui de la résidence alternée . Plusieurs initiatives législatives récentes, sous forme d'amendements ou de propositions de loi, ont proposé d'adopter le principe d'une résidence alternée qui serait la solution prioritaire à l'égard des enfants 288 ( * ) , au nom de la co-parentalité. L'adoption d'une telle mesure reviendrait à faire de la résidence alternée la norme en cas de séparation des parents, la résidence chez l'un des parents devenant l'exception 289 ( * ) .

Édouard Durand a mis en garde contre les effets d'une telle mesure, qui aboutirait selon lui à affaiblir la protection des victimes de violences conjugales : « Vous devez garantir que la loi protège les besoins fondamentaux de l'enfant et les mères victimes de violences conjugales. Cette proposition de loi viendrait à mon sens fragiliser considérablement tous les efforts qui ont été faits pour la protection des femmes de victimes de violences conjugales . Il n'y a pas de compromis possible ! (...) Quand il y a entente entre les parents, je ne suis pas opposé à la garde alternée à partir de 7 ans. Quand il y a conflit léger, on peut le discuter ; quand il y a conflit sévère, absence ou violence, on ne peut pas protéger les victimes en les laissant sous l'emprise de leur agresseur, même quinze ans après la séparation ».

La délégation a été sensible à ces arguments ; un communiqué de presse, en date du 23 novembre 2017, attire l'attention sur les effets pervers d'une telle évolution et remet en question sa pertinence 290 ( * ) . Ce communiqué de presse juge particulièrement « alarmant que le texte proposé par les députés pour l'article 373-2-9 du code civil ne se réfère plus ni à l'intérêt de l'enfant, ni - ce qui est beaucoup plus grave - aux cas où la présence de l'un des deux parents serait un danger pour l'enfant. Si la loi actuelle s'inscrit dans cette double exigence, celle-ci disparaît dans la proposition de loi ».

Il s'étonne d'ailleurs de l'intérêt de la proposition de loi, puisque l'article 373-2-9 du code civil « autorise d'ores et déjà très largement la résidence alternée, à titre provisoire ou définitif ».

ARTICLE 373-2-9 DU CODE CIVIL

En application des deux articles précédents, la résidence de l'enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux .

À la demande de l'un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l'enfant, le juge peut ordonner à titre provisoire une résidence en alternance dont il détermine la durée. Au terme de celle-ci, le juge statue définitivement sur la résidence de l'enfant en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux.

Lorsque la résidence de l'enfant est fixée au domicile de l'un des parents, le juge aux affaires familiales statue sur les modalités du droit de visite de l'autre parent . Ce droit de visite, lorsque l'intérêt de l'enfant le commande, peut, par décision spécialement motivée, être exercé dans un espace de rencontre désigné par le juge.

Lorsque l'intérêt de l'enfant le commande ou lorsque la remise directe de l'enfant à l'autre parent présente un danger pour l'un d'eux , le juge en organise les modalités pour qu'elle présente toutes les garanties nécessaires . Il peut prévoir qu'elle s'effectue dans un espace de rencontre qu'il désigne, ou avec l'assistance d'un tiers de confiance ou du représentant d'une personne morale qualifiée.

« Il ne s'agit pas de nier l'intérêt de la résidence alternée quand l'harmonie des relations familiales et la situation financière des parents font de cette formule une solution épanouissante tant pour les parents que pour les enfants » , relevait ce communiqué de presse.

L'objectif était de rappeler que 25 enfants ont été tués en 2016 dans le cadre des violences conjugales et de souligner que « l'on ne saurait, sur des questions aussi graves que le droit de la famille, légiférer dans la précipitation , sous peine d'altérer une cohérence législative acquise, dans ce domaine particulièrement complexe, au fil du temps ».

De la même manière, Édouard Durand a invité la délégation à se défier des propositions de loi régulièrement déposées sur l'autorité parentale et l'intérêt de l'enfant 291 ( * ) . Ces textes mettent en avant, a-t-il rappelé, le concept de « syndrome d'aliénation parentale » (SAP) 292 ( * ) dont l'assise scientifique reste à démontrer : « Il faut combattre par tous les moyens les tentatives pour imposer le "syndrome d'aliénation parentale", caution du déni de la maltraitance faite aux enfants. Un parent protecteur qui alerte sur les troubles manifestés par l'enfant est effectivement instantanément suspecté d'aliénation parentale ».

Le Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol , entendue le 18 janvier 2018, a évoqué la dangerosité des « violents conjugaux » pour les enfants et les effets pervers du syndrome d'aliénation parentale qui fait le jeu de l'agresseur au détriment des victimes : « Dans la grande majorité des cas, les viols surviennent dans l'enfance, à des âges parfois très tendres (...). En 1985, lorsque j'ai initié la campagne de prévention contre les agressions sexuelles sur enfants, je me suis heurtée à une ambiance de déni (...). Puis nous avons entendu que les mères ne jouaient pas leur rôle de protection. Mais aujourd'hui, alors que les mères tentent de mener à bien cette protection, elles se heurtent aux accusations de manipulation de leurs enfants. Par conséquent, nous ne parvenons pas à protéger les enfants ».

La délégation met en garde contre les effets de la résidence alternée systématique en cas de séparation des parents, qui remettrait en cause, dans les situations de violences intrafamiliales, la nécessaire protection des enfants et du conjoint. Elle appelle donc à la plus grande vigilance à l'égard d'initiatives législatives qui éluderaient toute référence à une situation potentiellement dangereuse, en raison notamment de violences intrafamiliales, dans la définition des conditions de recours à la résidence alternée prévues par le code civil.

(2) Médiation civile et médiation pénale

Le second exemple d'articulation à revoir entre le droit pénal et le droit civil selon Édouard Durand, magistrat, co-président de la commission Violences de genre du HCE est celui de la médiation pénale et de la médiation civile . En effet, le législateur a exclu le recours à la médiation pénale en cas de violences conjugales. S'agissant de la médiation familiale, l'article 373-2-10 du code civil prévoit que le juge peut enjoindre aux parents de rencontrer un médiateur familial « sauf si des violences ont été commises par l'un des parents sur l'autre parent ou sur l'enfant ».

Édouard Durand a donc plaidé pour que la loi permette au juge d'exclure cette médiation dès lors qu'il y aurait suspicion de violences, sans attendre la preuve de leur commission : « Avec les lois de 2010 et 2014, le législateur a exclu le recours à la médiation pénale dans le cas de violences conjugales (...). Mais le législateur a, parallèlement, ouvert la possibilité de la médiation familiale, donc civile, ordonnée par le juge aux affaires familiales et non par le procureur de la République, dans le cadre de la loi de modernisation de la justice du XX e siècle (...). Il faut, j'en suis convaincu, que la loi prévoie une exception très claire à la médiation familiale, notamment en cas de violences conjugales , en l'excluant dès lors que les violences sont alléguées , et pas seulement attendre qu'elles soient commises . Pour éviter la médiation, il suffirait alors de dire qu'on a été victime de violences pour que le juge se saisisse ensuite du fond du dossier ».

(3) Le problème du « divorce sans juge »

Le troisième exemple développé par Édouard Durand concerne le divorce par consentement mutuel , qui peut désormais être acté devant un notaire. Or , les affaires de divorce peuvent être très complexes en cas de violences conjugales et, dans ces situations, le recours au juge peut être plus protecteur pour la victime : « Souvent, les mères victimes savent que la convention par consentement mutuel est totalement inégalitaire, mais elles défendent le père violent. Cette attitude est compréhensible et la position des juges, ainsi que celle des notaires, est difficile dans ces affaires. Le juge doit-il laisser faire s'il n'est pas d'accord avec la convention ? La société doit, par la voix du procureur, prendre une autre décision pour protéger la mère et l'enfant ».

Le magistrat a évoqué une piste d'évolution devant la délégation, sans méconnaître sa complexité : « Puisque nous sommes à la charnière entre les libertés fondamentales, les libertés privées et l'ordre public, il faudrait renforcer la place du procureur de la République dans le procès familial . Le procureur est déjà très présent au civil, en matière d'assistance éducative. C'est lui qui, le plus souvent, saisit le juge des enfants. Mais il est présent de façon rarissime dans la séparation des parents. Pourtant, l'article 373-2-8 du code civil 293 ( * ) prévoit déjà que le procureur de la République peut saisir le juge aux affaires familiales. C'est assez rare dans les faits. Peut-être le législateur pourrait-il ajouter que le procureur puisse intervenir comme partie dans le procès civil aux affaires familiales ».

Dans le souci de mieux protéger les victimes de violences intrafamiliales dans les situations de séparation , la délégation :

- plaide pour une évolution législative visant à exclure sans ambiguïté le recours à la médiation familiale quand l'un des conjoints fait état de violences de la part de l'autre conjoint ;

- suggère la mise à l'étude d'une intervention du procureur de la République comme partie au procès civil aux affaires familiales (divorce...) en cas de violences intrafamiliales.

(4) L'autorité parentale du parent violent : une évolution nécessaire

Enfin, les auditions menées par la délégation ont permis de rappeler les difficultés posées par l'autorité parentale d'un parent violent, qui laisse la possibilité à celui-ci de continuer à exercer son emprise sur les membres de sa famille . Laurence Rossignol a cité à cet égard le meurtre de la petite Marina par son père, lequel a gardé, malgré sa condamnation aux assises, l'autorité parentale sur ses autres enfants, placés à l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Ce précédent conduit à s'interroger sur le maintien de l'autorité parentale dans un contexte de violences intrafamiliales . La délégation estime que la question doit se poser, que la victime du parent violent soit un enfant ou son conjoint.

Comme l'a souligné Édouard Durand, « Très peu de décisions de justice retirent l'autorité parentale à un parent agresseur et trop peu accordent à un parent protecteur l'exercice exclusif de l'autorité parentale : nous avons encore une conception de l'autorité parentale servant principalement à reconnaître le parent dans son statut de parent (...). Or l'autorité parentale peut être un moyen d'exercer une emprise sur les membres de la famille . De la même façon, en voulant coûte que coûte maintenir un droit de visite et d'hébergement, voire une résidence alternée, au profit du parent agresseur, nous laissons celui-ci continuer à exercer sa domination sur l'enfant ».

À cet égard, Laurence Rossignol a rappelé que le gouvernement auquel elle appartenait avait en 2016 « fait en sorte que le juge ait à justifier les raisons pour lesquelles il maintient l'autorité parentale d'une personne condamnée ».

Sur ce point, la délégation rappelle la recommandation n° 8 qu'elle avait formulée dans son rapport d'information 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales 294 ( * ) : « La délégation suggère au garde des Sceaux de diligenter une mission d'information sur le retrait total de l'autorité parentale par décision expresse du jugement pénal, à l'encontre des père ou mère qui auraient été condamnés comme auteurs, co-auteurs ou complices d'un crime sur la personne de l'autre parent ».

La délégation estime que cette réflexion sur le retrait de l'autorité parental d'un parent ou d'un conjoint reconnu coupable de meurtre est plus que jamais d'actualité.

Doutant qu'un conjoint violent puisse être un bon parent, la délégation suggère la mise à l'étude d'une privation de l'autorité parentale qui viserait le parent condamné - père ou mère - pour violences intrafamiliales.

3. Poursuivre la montée en puissance des dispositifs de protection des victimes de violences

La délégation souhaite attirer l'attention sur les améliorations envisageables en ce qui concerne plusieurs dispositifs de protection et de mise à l'abri des victimes de violences, notamment dans les Outre-mer : l'ordonnance de protection, le téléphone grave danger (TGD) et les solutions d'hébergement - notamment dans les situations d'urgence - pour les victimes.

a) L'ordonnance de protection

Tout d'abord, en ce qui concerne l'ordonnance de protection, les auditions de la délégation ont mis à jour une application de la loi qui s'est éloignée de la volonté initiale du législateur .

Pour mémoire, la loi du 9 juillet 2010 295 ( * ) a élargi les prérogatives du juge civil (en l'occurrence, le juge aux affaires familiales) en introduisant dans le système juridique français l'ordonnance de protection (OP) 296 ( * ) . L'objectif était de renforcer la protection de la victime de violences (physiques et psychologiques), « dans les meilleurs délais » (72 heures, dans l'esprit du législateur), indépendamment d'une procédure pénale en cours ou d'une procédure de divorce .

Au cours des auditions de la délégation, notre collègue Roland Courteau a regretté à plusieurs reprises que, sauf en Seine-Saint-Denis 297 ( * ) , l'ordonnance de protection rencontre des difficultés d'application , étant délivrée « avec parcimonie et tardivement », alors même qu'elle avait été conçue pour répondre aux risques de représailles menaçant les femmes qui portent plainte contre des violences.

Au cours de l'audition du 15 février 2018, Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du Haut conseil à l'égalité, a estimé que le mécanisme des ordonnances de protection monte en puissance , mais que sa bonne application dépend des moyens de la justice et de la formation des magistrats . Elle a indiqué intervenir sur ce thème lors de la formation initiale de tous les magistrats et lors des formations continues.

En outre, a-t-elle rappelé, faisant écho aux préoccupations exprimées par notre collègue Roland Courteau, si la loi prévoit la délivrance de l'ordonnance de protection avant le dépôt de plainte, la réalité est tout autre : « Elle est délivrée dans les faits au moment du dépôt de plainte. Vous devez rappeler la volonté du législateur d'organiser la protection avant le dépôt de plainte » 298 ( * ) .

Également interrogé par Roland Courteau sur l'ordonnance de protection 299 ( * ) , le procureur de la République de Paris a fait valoir l'importance de la formation , notamment celle des avocats : « En procédure pénale, le temps peut être extrêmement rapide : 24 à 48 heures pour la flagrance. Dans une procédure civile, un délai de quinze jours peut apparaître rapide. Cela renvoie aussi au travail de formation et de spécialisation des avocats. Lorsque la victime se présente devant un avocat, celui-ci doit être en mesure de lui indiquer qu'elle peut solliciter une ordonnance de protection, en précisant bien qu'elle ne l'obtiendra que dans quinze jours . L'avocat doit aussi lui conseiller de porter plainte, si elle est battue, pour qu'une procédure en flagrance soit engagée. À Paris et dans les grandes villes, les barreaux ont mis en place des antennes spécialisées, avec des avocats dédiés aux affaires de violences faites aux femmes ou de mineurs, qui interviennent régulièrement devant les juges aux affaires familiales . Ces avocats devraient donc pouvoir bien orienter les victimes. Je reconnais qu'un délai de quinze jours peut être extrêmement long pour la victime ».

La délégation rappelle l' utilité de l'ordonnance de protection (OP) pour la mise à l'abri des victimes de violences, notamment intrafamiliales. Elle souhaite que la volonté du législateur sur la rapidité de sa délivrance soit respectée, ce qui passe par des moyens budgétaires adaptés .

Comme elle l'a déjà fait dans le cadre d'un précédent rapport d'information 300 ( * ) , elle préconise la généralisation de la convocation de l'ex-partenaire violent, qui conditionne la délivrance de l'ordonnance, par voie d'huissier plutôt que par lettre recommandée avec accusé de réception ; elle invite donc les parquets à privilégier cette modalité de convocation pour sécuriser et accélérer la procédure .

b) Le téléphone grave danger

La délégation considère que le téléphone grave danger (TGD) est un outil très utile et efficace de protection des victimes de violences conjugales. Il est important d'en doter tout le territoire .

Le dispositif de téléprotection grave danger a, dans un premier temps, été mis en place à titre expérimental en 2009 dans le département de la Seine-Saint-Denis . Il a ensuite été généralisé par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes 301 ( * ) .

Dans ce cadre, en cas de grave danger menaçant une personne victimes de violences de la part de son conjoint, de son concubin ou de son partenaire lié par un PACS, le procureur de la République peut attribuer à la victime, pour une durée renouvelable de six mois, et si elle y consent expressément, un dispositif de téléprotection lui permettant d'alerter les autorités publiques . Avec l'accord de la victime, ce dispositif peut, le cas échéant, permettre sa géolocalisation au moment où elle déclenche l'alerte.

Le procureur de la République de Paris a indiqué que son parquet dispose de vingt-cinq téléphones , quinze étant effectivement utilisés et cinq pouvant être mobilisés en cas de besoin. Par ailleurs, cinq téléphones supplémentaires ont été demandés pour porter la dotation parisienne à un total de trente TGD. En outre, ces téléphones seront renouvelés dans le cadre du nouveau marché national mis en oeuvre au niveau du ministère.

Selon François Molins, « Ce dispositif fonctionne très bien et constitue un pan important de la politique pénale du parquet , mais aussi de l'ensemble du réseau. Nous travaillons sur le sujet en bonne entente avec le CIDFF, l'association qui effectue les évaluations à notre demande ».

Au cours de son audition du 15 février 2018 sur les violences faites aux femmes dans les Outre-mer, Ernestine Ronai a appelé les membres de la délégation aux droits des femmes et de la délégation sénatoriale aux Outre-mer à rester vigilants sur la disponibilité des TGD dans les territoires ultramarins . La mise en place du dispositif se heurte notamment selon elle à des problèmes de couverture réseau dans certains territoires : « Soyez attentifs aux téléphones grave danger (TGD) : le troisième appel d'offres risque d'être infructueux dans certains territoires, par manque de couverture réseau (...). Installons au moins des TGD dans les endroits couverts par le réseau - par exemple à Nouméa ».

L'une des recommandations du rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) 302 ( * ) porte ainsi sur l'extension du TGD malgré, parfois, la faiblesse du réseau téléphonique. Cela implique là encore des moyens budgétaires en conséquence, mais aussi un certain volontarisme .

La délégation relève à cet égard que le volontarisme a été mis en avant par le procureur de la République de Paris, qui a évoqué sa propre expérience. À notre collègue Roland Courteau qui estimait que la mise en place des TGD n'était pas qu'une question de moyens, mais aussi de volonté politique, François Molins a ainsi répondu : « Je suis d'accord avec vous. Lorsque je suis arrivé à Paris, en novembre 2011, il n'existait pas de TGD. Au mois de juillet, une convention était signée avec la mairie. Pour avoir exercé les fonctions de procureur en Seine-Saint-Denis, j'avais observé l'efficacité de ce dispositif et je souhaitais vivement en obtenir à Paris. Je les ai obtenus en six mois ».

Dans un souci d'égalité territoriale, la délégation préconise un déploiement rapide, dans tous les Outre-mer , du dispositif téléphone grave danger (TGD).

c) La question cruciale de l'hébergement des victimes de violences, notamment dans les Outre-mer

Enfin, si des progrès ont été réalisés récemment pour améliorer l'accueil des victimes, la question de leur hébergement et de leur mise à l'abri demeure un enjeu fort, notamment dans les Outre-mer .

S'agissant des avancées récentes, Laurence Rossignol, entendue par la délégation le 23 novembre 2017 sur les 4 ème et 5 ème plans de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux femmes, a rappelé que « la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové , dite ALUR a renforcé les obligations des acteurs et actrices départementaux afin de favoriser l'accès au logement social pour les femmes victimes de violences , notamment conjugales. Cette loi réduit en particulier le délai de préavis pour la sortie du logement social partagé avec un conjoint violent ; elle contient par ailleurs de nombreuses dispositions qui permettent de lever les obstacles se dressant devant les femmes qui veulent sortir des situations de violences ».

La problématique de l'hébergement des victimes de violences dans les territoires ultramarins a plus particulièrement émergé au cours de l'audition d'Ernestine Ronai et de Dominique Rivière, le 15 février 2018, sur le rapport précité du CESE, Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer .

Interrogée par notre collègue Viviane Malet sur ce sujet, Ernestine Ronai a estimé que « l'hébergement est un problème majeur ». En effet, on compte quatre centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) pour 1 000 habitants en Guadeloupe, quatre en Guyane, huit à La Réunion, quatre en Martinique, mais 855 en métropole. En outre, certains territoires n'ont pas de foyers mère-enfant.

Le cinquième axe des recommandations du rapport d'Ernestine Ronai et Dominique Rivière porte d'ailleurs sur la consolidation des procédures de soutien aux victimes, notamment le renforcement des solutions de mise à l'abri , car il est particulièrement difficile pour une victime de se protéger d'éventuelles représailles sur une île.

Notre collègue Nassimah Dindar avait également évoqué la question de l'hébergement des victimes de violences dans les Outre-mer, au cours de l'audition de Laurence Rossignol, le 23 novembre 2017 : « Je vous rejoins sur la politique du logement : elle doit être définie au niveau interministériel et intégrer les problématiques des violences faites aux femmes et des violences intrafamiliales, afin qu'une convention conclue avec les bailleurs sociaux permette de disposer d'un intervenant dédié dans chaque groupe d'immeubles. Une association a démontré l'efficacité d'un tel référent de proximité au sein d'une barre d'immeubles ».

La délégation approuve les recommandations formulées par le CESE dans son rapport Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer de mars 2017 303 ( * ) sur le renforcement de la mise en sécurité des victimes par l'accueil et l'hébergement, qui vont dans le sens des préoccupations exprimées par nos collègues ultramarines et note qu'elles sont toujours d'actualité 304 ( * ) .

Enfin, en ce qui concerne l'hébergement des victimes de violences, la délégation a été alertée par plusieurs interlocuteurs 305 ( * ) sur la perspective d'une réduction substantielle des crédits dédiés aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) à l'horizon 2020 puis 2022. La baisse des moyens envisagée par le Gouvernement dans le cadre des négociations budgétaires aurait nécessairement un impact sur le nombre de places disponibles .

Il s'agit là d'un sujet d'inquiétude pour la délégation, qui estime que la situation des CHRS devra faire l'objet d'une vigilance particulière au moment de l'examen des prochaines lois de finances .

De surcroît, les interlocuteurs de la délégation ont attiré son attention sur la nécessité de conserver des lieux d'accueil spécialisés et non mixtes pour les victimes de violences , et tout particulièrement les migrantes exposées à un long parcours de violences.

La délégation exprime son attachement à la spécialisation et à la non-mixité des dispositifs d'hébergement pour les femmes victimes de violences , qui garantit une prise en charge adaptée de ces personnes extrêmement vulnérables.

En matière de mise à l'abri et d'hébergement des victimes de violences, la délégation recommande :

- d'accroître significativement dans les Outre-mer l'offre d'hébergement pour les femmes victimes de violences, notamment dans les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et dans les établissements accueillant des femmes avec enfants ;

- de mettre en oeuvre, en matière d'hébergement d'urgence, des partenariats entre l'État, les bailleurs sociaux, les collectivités territoriales et les associations spécialisées, pour faciliter la connaissance de l'offre de logements disponibles et favoriser le relogement pérenne des femmes victimes de violences et de leurs enfants.

Convaincue de la nécessité de prévoir des hébergements adaptés aux femmes victimes de violences pour une prise en charge efficace et une meilleure protection de ces personnes, notamment des femmes migrantes, la délégation plaide en faveur du maintien d'une spécialisation des CHRS et d'une offre d'hébergement non-mixte sur l'ensemble du territoire.

E. DE NOUVELLES FORMES DE VIOLENCES FAITES AUX FEMMES À MIEUX PRENDRE EN COMPTE

1. Un « angle mort » de la politique publique de lutte contre les violences faites aux femmes : les violences dans le cadre des couples dits « non-cohabitants »

Au fil de ses auditions, la délégation a identifié un point d'amélioration relatif aux très jeunes femmes qui peuvent être victimes de violences dans le cadre d'une relation de couple dit « non-cohabitants » .

Cela concerne par exemple les étudiantes qui ont une relation sans pour autant vivre avec l'homme qu'elles fréquentent. Cela peut même concerner des relations de couples adolescents, comme l'a relevé Christelle Hamel, chercheure à l'INED, lors de son audition, le 22 février 2018.

Ce phénomène n'est pas anodin, comme l'attestent les statistiques de la FNSF qui a en 2017 recensé des appels de 13 mineures au 3919. Comme l'ont expliqué les représentantes de la Fédération, au cours de leur audition devant la délégation, le 18 janvier 2018, « Nous recevons de très jeunes femmes, dont 11 % de moins de 25 % . Nos structures reçoivent en outre entre 11 et 14 % de femmes âgées de 18 à 25 ans . Nous notons également que dans le cadre des actions de prévention menées dans les établissements scolaires, nos associations sont sollicitées par des jeunes femmes mineures à propos de leurs relations amoureuses . Leurs démarches sont compliquées par le fait que ces dernières résident chez leurs parents, de sorte qu'un accompagnement particulier doit être mis en place. Par ailleurs, nous constatons que les femmes de 18 à 25 ans victimes de violences dans le couple font les mêmes demandes que les autres femmes , c'est-à-dire conseil, accompagnement et hébergement. Enfin, 18 % des femmes en très grand danger qui sollicitent l'éloignement géographique ont entre 18 et 25 ans ».

Soucieuse de développer une prise en charge adaptée à ce public particulièrement fragile , qui nécessite un accompagnement spécifique , la FNSF favorise la mise en place d'un chat sur le 3919 , afin de travailler avec les jeunes femmes au moyen d'outils de communication adaptés à leur génération, en lien avec les associations du réseau Solidarité Femmes .

De surcroît, comme l'a souligné Laurence Rossignol au cours de son audition du 23 novembre 2017, le cinquième plan violences a identifié cette problématique et prévoit des mesures à destination de ce public très vulnérable : « Le 5 ème plan s'intéresse aussi à un "angle mort" des politiques publiques antérieures, celui des jeunes femmes âgées de 18 à 25 ans , installées ou non en couple, et qui, majeures soumises à des violences, ne relèvent plus du traitement des violences faites aux enfants mais ne se reconnaissent pas toujours dans les politiques de lutte contre les violences conjugales, parce qu'elles ne considèrent pas être sous statut conjugal . Existent ainsi des violences, qui n'en sont pas moins dramatiques, exercées par des garçons au sein des couples non-cohabitants, instables et éphémères. Ces jeunes femmes peuvent aussi souffrir de violences parentales qui perdurent au-delà de leur majorité . Entre 2014 et 2017, nous avons créé 1 500 nouvelles places d'hébergement, mais pas toujours au sein des seuls centres dédiés aux femmes, comme l'auraient souhaité les associations ».

Ainsi, le 5 ème plan prévoit la création de 100 solutions d'hébergement spécialisées pour les 18-25 ans . À cet égard, la délégation souhaite rendre hommage à l'action de l'association FIT , Une femme, un toit, spécialisée dans l'accueil des jeunes femmes victimes de violences et dirigée par Marie Cervetti 306 ( * ) .

La délégation salue les mesures du 5 ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes qui concernent plus particulièrement les jeunes femmes de 18 à 25 ans .

Elle souhaite que les actions engagées à ce titre soient poursuivies et que soient renforcés la prévention et le traitement de cet aspect spécifique des violences faites aux femmes.

Elle est favorable à une modification du code pénal qui prévoirait une circonstance aggravante en cas de violences commises dans un couple dit « non-cohabitant » , selon les préconisations judicieuses du Haut conseil à l'égalité (HCE).

2. Les violences faites aux femmes en ligne
a) Un champ étendu, du cyber-contrôle au raid numérique

Internet et les réseaux sociaux ont indéniablement élargi le spectre des violences faites aux femmes . Les violences faites aux femmes en ligne sont nombreuses, diverses et ont bien souvent le même impact que des agressions physiques s'agissant de leurs conséquences sur les victimes.

Ce phénomène a plus particulièrement été mis à jour et analysé par la députée Catherine Coutelle, alors présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, dans son rapport d'information sur le projet de loi pour une République numérique 307 ( * ) , ainsi que par le Haut conseil à l'égalité dans son avis En finir avec l'impunité des violences faites aux femmes en lignes : une urgence pour les victimes 308 ( * ) .

Comme l'écrit le HCE, « en dépit d'une mobilisation historique contre les violences sexistes et sexuelles facilitée par les réseaux sociaux (...), Internet n'est toujours pas un espace de liberté et de sécurité pour les femmes (...) : les violences qu'elles y subissent y sont massives . 73 % des femmes déclarent en être victimes, et pour 18 % d'entre elles, sous une forme grave ».

Le HCE s'est plus particulièrement intéressé à deux formes de violences faites aux femmes en ligne 309 ( * ) :

- d'une part, le cyber-contrôle dans le couple , qui consiste pour un conjoint ou ex-conjoint violent à surveiller l'activité de sa compagne ou ex-compagne (conversations, déplacements, dépenses...), souvent à son insu, en recourant à des logiciels espions, c'est-à-dire des logiciels malveillants qui s'installent dans un ordinateur ou sur des appareils mobiles , dans le but de collecter et transférer des informations sur l'environnement dans lequel il est installé. Au cours du déplacement de la délégation au Pôle judiciaire de la gendarmerie nationale à Pontoise, le 22 janvier 2018, le colonel Duvinage, chef du Centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N) du Service central de renseignement criminel (SCRC), a indiqué aux sénatrices 310 ( * ) que ces logiciels se retrouvent par exemple dans les couples en instance de séparation - l'homme surveille sa femme sur son téléphone portable, avant ou après la rupture - ou bien de la part de pères souhaitant contrôler leurs filles adolescentes 311 ( * ) ;

- d'autre part, le harcèlement sexiste et sexuel en ligne 312 ( * ) , qui consiste à envoyer des messages ou à publier des propos insultants, dénigrants voire menaçants à l'égard d'une personne . Dans le cadre de son rapport précité, le HCE a réalisé un testing inédit avec l'aide de plusieurs partenaires 313 ( * ) en juillet 2017, sur les principaux réseaux sociaux 314 ( * ) . Or il apparaît que 92 % des contenus sexistes signalés dans ce cadre, qu'il s'agisse d'insultes, de menaces de viols ou d'incitation à la haine, n'ont pas été supprimés par les plateformes 315 ( * ) .

La délégation constate donc que les violences en ligne semblent largement tolérées, alors qu'elles devraient faire l'objet d'une réprobation explicite s'accompagnant du retrait rapide des contenus litigieux.

De surcroît, un phénomène particulièrement grave concerne les attaques groupées contre une victime unique, qualifiées de « raids numériques » . Il s'agit d'opérations organisées de harcèlement sexiste et sexuel en ligne, à l'égard d'une seule victime, de la part de multiples internautes. Ces « raids » peuvent prendre la forme d'attaques contre les comptes électroniques de la victime, de menaces de mort, menaces de viol ou de menaces contre la famille de la victime. Plusieurs journalistes ont récemment été victimes de tels « raids », ce qui a mis à jour l'ampleur et la gravité de ces pratiques.

Or le cadre juridique actuel ne permet pas de lutter efficacement contre ces attaques coordonnées menées en ligne . Leurs auteurs échappent aujourd'hui aux poursuites car ils n'ont pas agi de façon répétée : or la répétition est un élément constitutif du délit de harcèlement qui correspond aux pratiques du harcèlement en ligne 316 ( * ) .

Au cours de la visite de la délégation au Pôle judiciaire de la gendarmerie nationale à Pontoise, le colonel Duvinage, chef du Centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N) du Service central de renseignement criminel (SCRC), a souligné les difficultés pratiques auxquelles se heurtent les enquêteurs dans ce type d'affaires : faute de temps et de moyens, ils ne peuvent ouvrir une enquête sur tous les auteurs de la menace et concentrent généralement leur attention sur les auteurs des propos les plus virulents 317 ( * ) .

Afin de répondre aux lacunes du droit pénal en ce domaine, le Haut conseil à l'égalité préconise d'adapter les définitions du harcèlement pour lutter contre les « raids » , en prévoyant que la répétition, élément constitutif des délits de harcèlement, puisse résulter de l'action unique mais concertée de plusieurs personnes.

Le Gouvernement semble avoir pris la mesure de cet enjeu , puisque le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes comporte une disposition allant dans ce sens 318 ( * ) .

Le texte du Gouvernement prévoit que les délits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral, punis respectivement de trois et deux ans de prison, seront constitués « lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime de manière concertée par plusieurs personnes, alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée » 319 ( * ) .

Très préoccupée par l'ampleur et la gravité des violences faites aux femmes sur Internet et sur les réseaux sociaux , la délégation est favorable à une pénalisation des « raids numériques » qui s'attaquent plus particulièrement aux femmes et à ceux qui défendent leurs droits . Elle salue la proposition du Haut conseil à l'égalité sur ce sujet et soutient l'article 3 du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, qui vise à étendre la définition pénale du harcèlement aux « agissements concertés », afin de réprimer spécifiquement le harcèlement en ligne.

b) Les jeunes filles particulièrement exposées

Le cyber-harcèlement affecte de manière spécifique les jeunes filles. De fait, le harcèlement scolaire passe de plus en plus par le cyber-harcèlement : le rapport précité du HCE rappelle qu'une fille sur cinq, entre douze et quinze ans, rapporte avoir été insultée en ligne sur son apparence physique (poids, taille notamment). Selon ce rapport, trois filles dans chaque classe serait concernées par des « photos, vidéos ou textos envoyés sous la contrainte et/ou diffusés sans [leur] accord et/ou reçus sans l'avoir souhaité ».

Une étude du Centre Hubertine Auclert sur le cyber-sexisme dans les établissements scolaires franciliens 320 ( * ) , réalisée en 2015-2016, relevait que 29 % des jeunes filles (et 16 % des garçons) avaient affirmé avoir déjà subi des violences sexistes en ligne.

Le suicide d'une jeune fille insultée et menacée sur son téléphone et sur sa page Facebook par des élèves de son collège en 2013, est devenu le symbole tragique de la démultiplication des violences liées au numérique et, plus particulièrement, aux réseaux sociaux . Il faut toutefois être conscient du fait que « le cyber-harcèlement ne vient que prolonger une violence physique déjà bien installée en milieu scolaire », comme le relevait une analyse du harcèlement dans les lycées et collèges publiée par Le Monde 321 ( * ) .

c) Des violences aux conséquences tout aussi graves que des violences physiques, qui nécessitent des réponses adaptées

Selon le HCE, les violences faites aux femmes en ligne ont un seul objectif : « Contrôler la place des femmes et les exclure de l'espace public présentiel ou numérique ».

De fait, d'après les chiffres cités dans le rapport du HCE, les femmes victimes de harcèlement en ligne développent des stratégies d'évitement :

- une femme victime de harcèlement en ligne sur cinq rapporte avoir fermé un compte en ligne pour se protéger ;

- 41 % des femmes de 15 à 29 ans affirment qu'elles s'autocensurent en ligne par crainte d'être victimes de harcèlement en ligne.

Ces violences ne sont en rien virtuelles et sont tout aussi graves que des violences physiques . Elles présentent par ailleurs des spécificités qui les rendent encore plus nuisibles pour les victimes, notamment la difficulté à identifier des agresseurs protégés par leur anonymat et le potentiel de diffusion élargi des contenus.

C'est pourquoi elles peuvent être particulièrement dévastatrices pour les victimes. La délégation insiste à cet égard sur la situation dramatique des jeunes filles victimes de harcèlement dans le cadre scolaire, comme cela a été précédemment évoqué ( cf supra ).

d) Le nécessaire renforcement des outils juridiques pour mieux lutter contre les violences faites aux femmes en ligne

Face à la gravité des violences faites aux femmes en ligne, la délégation estime nécessaire de renforcer les outils de prévention et de répression . Cette évolution passe notamment par une meilleure régulation des contenus des réseaux sociaux et par un accès plus maîtrisé des jeunes aux réseaux sociaux, travail qui doit se faire en lien avec l'Éducation nationale.

À cet égard, la délégation souligne l'intérêt du permis Internet , initiative partenariale entre la Gendarmerie nationale, le groupe Axa et l'Éducation nationale, dispositif clé de prévention et de sensibilisation des plus jeunes aux enjeux de la cyber-criminalité .

Par ailleurs, au cours de son audition par la délégation, le 30 novembre 2018, le Docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre, a regretté une prévention insuffisante du harcèlement en milieu scolaire . Elle a cité l'exemple du Québec, État dans lequel ont lieu des interventions d'un conseiller en prévention dans les écoles, de la maternelle à la terminale, autour de jeux de rôle proposés aux élèves.

Plus généralement, s'agissant de la lutte contre le cyber-harcèlement, la délégation retient avec intérêt les pistes de propositions élaborées par le HCE pour améliorer la prévention et la répression des violences faites aux femmes en ligne :

- reconnaître le phénomène , en réalisant la première enquête de victimation sur le sujet et en lançant une campagne de sensibilisation ;

- améliorer l'information des femmes et former les forces de l'ordre et les professionnels de la justice, notamment sur le cyber-contrôle dans le couple ;

- s'agissant du harcèlement sexiste et sexuel en ligne, renforcer la responsabilité des réseaux sociaux , en fixant un délai maximal de réponse de 24 heures aux signalements sur leurs plateformes , comme c'est désormais le cas en Allemagne , et les inviter à améliorer la modération des contenus hébergés.

Enfin, elle a relevé avec intérêt que les représentants de la Direction générale de la Gendarmerie nationale entendus par le groupe de travail de la commission des lois estiment que « le délit d'harcèlement sexuel défini à l'article 222-33 du code pénal pourrait faire l'objet d'une nouvelle circonstance aggravante qui serait constituée lorsque les faits sont commis à l'aide d'un réseau de communication électronique » 322 ( * ) .

Afin de renforcer la prévention du harcèlement sexiste et sexuel en ligne et la protection des victimes, la délégation :

- préconise la création d'une circonstance aggravante du délit de harcèlement sexuel, qui serait constituée lorsque les faits sont commis à l'aide d'un réseau de communication électronique ;

- souhaite inciter les réseaux sociaux à s'engager à renforcer la modération des contenus sexistes et à automatiser le repérage par algorithme et la suppression des contenus sexistes ;

- recommande que les plateformes soient contraintes de réagir aux signalements dans les plus brefs délais et de mettre en place une procédure d'urgence en cas d'attaque contre un(e) internaute ;

- est d'avis que le repérage du cyber-contrôle doit faire partie de la formation, tant initiale que continue, des personnels des services de police et de gendarmerie ainsi que des magistrats.

De surcroît, la délégation considère avec intérêt la création d'une application numérique pour aider les victimes de cyber-violences, annoncée par le Président de la République dans son discours du 25 novembre 2017.

C'est la Fédération Nationale Solidarité Femmes qui est chargée de développer cette application sur téléphone mobile. Selon les représentantes de la Fédération entendues le 18 janvier 2018, l'application est en cours d'élaboration. Les interlocutrices de la délégation ont également souligné l'intérêt de la mise en place d'un chat sur le 3919, afin de travailler avec les jeunes femmes, en lien avec les associations du réseau Solidarité Femmes , ce qui nécessitera une fois encore des moyens adéquats.

Enfin, la délégation constate qu' Internet est un vecteur croissant de recrutement des prostituées , en particulier de jeunes filles mineures, par le biais d'une offre en ligne . Ce phénomène est particulièrement préoccupant.

Comme cela a été souligné dans le cadre du déplacement au Pôle judiciaire de la gendarmerie à Pontoise, le 22 janvier 2018, il existe de très nombreux sites d'offres de prostitution en ligne, plus ou moins explicites . Toutefois, la frontière entre un site officiellement présenté comme un site de rencontres et un site d'offres de prostitution est parfois ténue et difficile à qualifier pénalement.

Ainsi que l'a indiqué le Colonel Duvinage, chef du Centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N) du Service central de renseignement criminel (SCRC), aux membres de la délégation, l'infraction de proxénétisme peut notamment être qualifiée via les éléments techniques de connexion 323 ( * ) qui ne peuvent être obtenus que sur réquisition judiciaire dans le cadre d'une enquête déjà ouverte. Mais une enquête ne peut être ouverte que si l'infraction est matérialisée.

Ce constat pose notamment la question de la responsabilité pénale des plateformes, lesquelles disposent de ces éléments techniques de connexion. Or selon le code des postes et des communications, les hébergeurs ne sont pas responsables pénalement et civilement des contenus qu'ils abritent et ne sont passibles de sanctions que si, avertis de contenus litigieux, ils se sont abstenus de les retirer.

Ainsi, l'article L. 32-3-4 du code des postes et des communications électroniques n'impose-t-il pas de police proactive pour les annonceurs et hébergeurs, mais uniquement une obligation de réaction .

ARTICLE L. 32--3-4 DU CODE DES POSTES
ET DES COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES

Toute personne assurant dans le seul but de rendre plus efficace leur transmission ultérieure, une activité de stockage automatique, intermédiaire et temporaire des contenus qu'un prestataire transmet ne peut voir sa responsabilité civile ou pénale engagée à raison de ces contenus que dans l'un des cas suivants :

1° elle a modifié ces contenus, ne s'est pas conformée à leurs conditions d'accès et aux règles usuelles concernant leur mise à jour ou a entravé l'utilisation licite et usuelle de la technologie pour obtenir ces données ;

2° elle n'a pas agi avec promptitude pour retirer les contenus qu'elle a stockés ou pour en rendre l'accès impossible, dès qu'elle a effectivement eu connaissance , soit du fait que les contenus transmis initialement ont été retirés du réseau, soit du fait que l'accès aux contenus transmis initialement a été rendu impossible, soit du fait que les autorités judiciaires ont ordonné de retirer du réseau les contenus transmis initialement ou d'en rendre l'accès impossible.

3. Pour la création d'un délit autonome d'agissement sexiste

Le phénomène dit du « harcèlement de rue » recouvre un large spectre de comportements sexistes ou à connotation sexuelle , qu'il s'agisse de commentaires dégradants sur l'attitude vestimentaire ou l'apparence d'une personne, de regards insistants et de sifflements, ou du fait de suivre une femme dans la rue ou dans les transports .

Dans son avis relatif au harcèlement sexiste et aux violences sexuelles dans les transports en commun 324 ( * ) , le Haut conseil à l'égalité a révélé l'ampleur d'un phénomène qui « empoisonne la vie des femmes au quotidien » , sans pour autant être réprimé. Ainsi, selon les résultats d'une consultation menée dans le cadre de ce travail, 100 % des utilisatrices des transports en commun ont déjà été victimes de harcèlement sexiste et sexuel au moins une fois au cours de leur vie .

En outre, les premières conclusions de l'enquête Virage font apparaître que 25 % des femmes déclaraient avoir subi au moins un fait de violence dans l'espace public en 2014 .

Les comportements en cause ne se limitent pas à la rue ou aux transports : ils se manifestent dans l'espace public au sens large.

L'article 4 du projet de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexistes et sexuelles crée une contravention pour « outrage sexiste » visant à réprimer de telles attitudes 325 ( * ) .

La délégation observe que la plupart des comportements recouvrés sous le terme de « harcèlement de rue » peuvent d'ores et déjà être réprimés par le droit existant . Le code pénal prévoit ainsi plusieurs incriminations susceptibles de réprimer les comportements d'outrage sexiste 326 ( * ) .

Certes, l'incrimination de harcèlement sexuel peut difficilement être mobilisée, en raison de l'exigence de répétition du comportement de l'auteur présumé quand le harcèlement sexuel prend la forme de « propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (article 222-33 du code pénal).

Pour autant, l'article 222-27 du code pénal dispose que « les agressions sexuelles autres que le viol sont punies de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ». Ainsi, l'agression sexuelle, qui implique un contact physique entre l'auteur et sa victime, permettrait de sanctionner les « frotteurs » ou les auteurs d'attouchements tels que des « mains aux fesses ».

De surcroît, en l'absence de contact physique, d'autres incriminations existent pour réprimer des comportements importuns : l'exhibition sexuelle, définie par l'article 222-32 du code pénal, les violences légères 327 ( * ) ou l'injure, définie comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective » 328 ( * ) .

Enfin, la délégation rappelle que la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté 329 ( * ) a marqué une évolution importante dans le renforcement de l'arsenal législatif en matière de lutte contre le sexisme . Elle a ainsi introduit à l'article 132-77 du code pénal une circonstance aggravante générale nouvelle de sexisme . Elle implique une aggravation notable des peines encourues.

ARTICLE 132-77 DU CODE PÉNAL

Lorsqu'un crime ou un délit est précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature qui soit portent atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime ou d'un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de son sexe, son orientation sexuelle ou identité de genre vraie ou supposée, soit établissent que les faits ont été commis contre la victime pour l'une de ces raisons, le maximum de la peine privative de liberté encourue est relevé ainsi qu'il suit :

1° il est porté à la réclusion criminelle à perpétuité lorsque l'infraction est punie de trente ans de réclusion criminelle ;

2° il est porté à trente ans de réclusion criminelle lorsque l'infraction est punie de vingt ans de réclusion criminelle ;

3° il est porté à vingt ans de réclusion criminelle lorsque l'infraction est punie de quinze ans de réclusion criminelle ;

4° il est porté à quinze ans de réclusion criminelle lorsque l'infraction est punie de dix ans d'emprisonnement ;

5° il est porté à dix ans d'emprisonnement lorsque l'infraction est punie de sept ans d'emprisonnement ;

6° il est porté à sept ans d'emprisonnement lorsque l'infraction est punie de cinq ans d'emprisonnement ;

7° il est porté au double lorsque l'infraction est punie de trois ans d'emprisonnement au plus.

Le présent article n'est pas applicable aux infractions prévues aux articles 222-13 , 222-33 , 225-1 et 432-7 du présent code, ou au huitième alinéa de l' article 24 , au troisième alinéa de l' article 32 et au quatrième alinéa de l' article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ni lorsque l'infraction est déjà aggravée soit parce qu'elle est commise par le conjoint, le concubin de la victime ou le partenaire lié à celle-ci par un pacte civil de solidarité, soit parce qu'elle est commise contre une personne afin de la contraindre à contracter un mariage ou à conclure une union ou en raison de son refus de contracter ce mariage ou cette union.

Malgré tout, certains comportements sexistes et contraires au principe d'égalité entre les femmes et les hommes sont encore difficilement condamnables par le droit actuel. La délégation s'est intéressée à ce vide juridique dans le cadre de son rapport La laïcité garantit-elle l'égalité femmes-hommes ? 330 ( * )

Elle y constate que les agissements sexistes sont définis à l'article L. 1142-2-1 du code du travail et à l'article 6 bis de la loi de 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Aux termes de ces articles, « nul ne doit subir d'agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

Comme le notait alors la délégation, « cette définition permet d'aller au-delà des manifestations parfois jugées excusables, que l'on considère, à tort, sans véritable conséquences pour celles qui en font les frais. Sur la base de l'agissement sexiste peuvent en effet être sanctionnés, sur le lieu de travail, les comportements tels que le refus de serrer la main d'une collègue ou la récusation de son autorité, pour le seul motif qu'elle est une femme ».

Contrairement toutefois à la définition du harcèlement sexuel, qui a son équivalent dans le code pénal, l'agissement sexiste ne figure que dans le code du travail : il ne concerne donc que les comportements s'exprimant dans le cadre des relations professionnelles ; la loi ne prévoit pas à ce jour de sanction, sauf dans le cadre disciplinaire .

Pourtant, il est souhaitable que l'interdiction des comportements sexistes ne s'arrête pas au lieu de travail, mais que ceux-ci constituent un délit autonome.

Lors de l'examen de ce rapport d'information par la délégation, l'une de nos collègues avait évoqué le cas d'hommes « qui prennent leur certificat de nationalité mais qui refusent, au cours de cette cérémonie de serrer la main d'une parlementaire, parce que c'est une femme ! » 331 ( * ) .

La délégation relevait qu'un tel comportement de la part d'une personne venant de revoir la nationalité française posait problème. Sa position n'a pas évolué. Elle estime plus que jamais « nécessaire de montrer la détermination des pouvoir publics français face à ce type de provocation, car de tels comportements ne sauraient être considérés comme anecdotiques dès lors qu'en s'adressant à une élue, lors d'une manifestation officielle, ils visent non seulement la dignité d'une personne, mais aussi l'autorité de l'État » 332 ( * ) .

Particulièrement alarmée par la diffusion de comportements qui conduisent à mettre en cause la présence des femmes dans l'espace public et par la multiplication de propos, comportements et attitudes qui portent atteinte à leur dignité, la délégation recommande, comme elle l'a fait en 2016 en conclusion d'un précédent rapport 333 ( * ) , la création dans le code pénal d'un délit autonome d'agissement sexiste , assorti d'une circonstance aggravante lorsque la victime d'un tel agissement est une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public.

III. LES CONCLUSIONS DE LA DÉLÉGATION

Au terme de ce travail sur les violences faites aux femmes, la délégation présente dix constats et des points de vigilance et formule 36 recommandations.

A. DIX CONSTATS ET POINTS DE VIGILANCE EN MATIÈRE DE VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

1. La délégation est convaincue que les violences faites aux femmes sont la première des inégalités entre femmes et hommes et que les événements de 2016-2017 doivent constituer l'occasion d'une prise de conscience de la nécessité de renforcer l'égalité entre les femmes et les hommes .

Elle estime que ces violences sont encouragées par une généralisation inquiétante de comportements sexistes qui menacent les femmes dans tous les aspects de leur vie (au travail, dans les transports et dans l'espace public, à l'école...) et par la diffusion préoccupante d'une conception du rôle des femmes dans notre société qui s'appuie sur la conviction erronée de l'infériorité des femmes, contraire aux valeurs de notre République.

2. Convaincue que la dénonciation du sexisme ne doit pas être réduite à la prétendue « guerre des sexes » dont le spectre a été agité de manière récurrente depuis le début de l'« affaire Weinstein », elle appelle les hommes à rejoindre le combat contre les violences faites aux femmes et la dénonciation du sexisme .

3. Elle insiste sur l'importance de la prévention , dimension essentielle de ce combat, qui implique :

- un effort de sensibilisation au respect et à l'égalité entre filles et garçons, entre femmes et hommes, dès le plus jeune âge ;

- et la mise en oeuvre effective de l'obligation légale d'éducation à l'égalité et à la sexualité .

4. La délégation affirme sa préoccupation constante de protéger les enfants , non seulement des violences sexuelles , mais aussi des conséquences des violences intrafamiliales , car elle estime qu' un enfant témoin est un enfant victime.

5. La délégation exprime sa profonde considération à tous les acteurs et actrices de la lutte contre les violences faites aux femmes , dont elle salue l'engagement et l'implication.

Elle rappelle que les associations sont le véritable « bras armé » de la politique publique de lutte contre les violences faites aux femmes ; elle tient à rendre hommage à leurs responsables et à leurs bénévoles .

Elle souligne l' importance cruciale des moyens qui doivent leur être attribués , et notamment des subventions aux associations . Elle estime que, faute de crédits suffisants sur le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes », la lutte contre toutes les violences faites aux femmes risque de ne pas être à la hauteur de la « Grande cause du quinquennat » .

6. La délégation manifeste son soutien aux institutions où sont accueillies et soignées les femmes victimes de violences , comme La Maison des femmes de Saint-Denis , structure exemplaire dont elle considère que le modèle devrait être largement diffusé dans d'autres territoires .

7. Alertée par la gravité des conséquences des violences sur les victimes, qu'il s'agisse des menaces sur leur santé ou du risque de précarité sociale qui en est indissociable, la délégation est persuadée que la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes passent aussi :

- par une meilleure connaissance statistique de l'ampleur du phénomène ;

- et par une évaluation rigoureuse du coût économique et social de ces violences .

8. Soucieuse de garantir aux victimes un accompagnement adapté à leur fragilité et à leurs souffrances et de faciliter leur parcours judiciaire , la délégation :

- souhaite que soient réprimées à leur juste mesure des infractions qui portent atteinte à la dignité des femmes et qui menacent leur sécurité ;

- réaffirme l'importance décisive de la formation de tous les professionnels susceptibles de se trouver en contact avec des victimes de violence ;

- souligne la nécessité d'une prise en charge pluridisciplinaire des femmes victimes de violences, dans un cadre partenarial associant les services hospitaliers - dont les Unités médico-judiciaires (UMJ) - et les autres acteurs du territoire (collectivités, professionnels de santé, associations).

9. Attachée à un traitement égal de ces violences sur l'ensemble du territoire , qu'il s'agisse de l' accueil des victimes, de leur accompagnement ou de la condamnation des violences , la délégation :

- affirme son attachement à une politique publique ambitieuse de lutte contre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer ;

- salue l'ambition du 5 ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes , et se félicite qu'il traite les violences faites aux femmes dans leur globalité , sans omettre la prostitution et la traite des êtres humains ;

- rappelle l'importance de la continuité des politiques publiques de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, au-delà des gouvernements et des personnes qui les portent ;

- plaide pour un renforcement des moyens de la justice , de façon à garantir des délais de jugement raisonnables aux victimes et à éviter que le recours à la correctionnalisation des viols soit la seule réponse possible à l'encombrement des cours d'assises.

10. La délégation insiste une nouvelle fois sur l'importance de la Convention d'Istanbul dans la lutte contre les violences faites aux femmes et appelle tous les pays du Conseil de l'Europe qui n'y auraient pas encore procédé à une ratification rapide de ce texte essentiel pour la protection des femmes.

B. 36 RECOMMANDATIONS

Les 36 recommandations adoptées par la délégation visent à :

- approfondir la connaissance des violences et de leur coût pour la société ;

- renforcer leur prévention par une organisation effective de l'éduction à la sexualité, conformément au code de l'éducation ;

- améliorer l'accueil et la prise en charge des victimes de violences ;

- garantir une répression pénale efficace et rigoureuse de ces violences ;

- mieux protéger les plus jeunes victimes ;

- poursuivre le combat contre les violences intrafamiliales ;

- et renforcer la lutte contre le harcèlement sexuel au travail .

1. Pour une connaissance statistique approfondie des violences faites aux femmes et de leur coût pour la société

Recommandation n° 1 - La délégation juge fondamental de disposer de statistiques précises , reposant sur des bases scientifiques et régulièrement actualisées , sur les différentes formes de violences faites aux femmes. Elle estime que les enquêtes comme Virage sont nécessaires pour progresser dans la connaissance et la compréhension des violences faites aux femmes, mais aussi pour favoriser la libération de la parole. Elle souhaite que l'enquête Virage soit étendue à l'ensemble des Outre-mer.

Elle plaide pour une extension systématique des enquêtes existantes sur les violences faites aux femmes à l'enjeu spécifique des violences faites aux femmes en ligne .

Afin d'améliorer la connaissance des situations de sexisme et de harcèlement sexuel au travail, la délégation souhaite que l' enquête du Défenseur des Droits sur le harcèlement au travail , réalisée en 2014, soit régulièrement actualisée .

Elle recommande la mise à l'étude de la création d'une agence nationale de recherche sur les violences faites aux femmes , pour approfondir la connaissance statistique des différentes formes de violences, sans oublier les territoires ultramarins .

Recommandation n° 2 . - La délégation est convaincue que les moyens qui doivent impérativement être consacrés à la lutte contre les violences faites aux femmes ne sauraient être appréciés à l'aune de la contrainte budgétaire , et que la lutte contre ces violences doit faire l'objet d'un effort décisif .

Elle souhaite qu'il soit procédé à une analyse précise des conséquences économiques de l'ensemble des violences faites aux femmes , comportant le chiffrage de leurs coûts directs et une estimation de leurs coûts indirects . Elle demande que les conséquences budgétaires en soient tirées pour garantir des moyens à la hauteur des besoins .

2. Pour renforcer la prévention de violences qui s'inspirent d'une conception rétrograde de la place des femmes dans la société, et pour faire de l'égalité entre garçons et filles, femmes et hommes le premier rempart contre ces violences

Recommandation n° 3 . - Convaincue que la lutte contre les violences faites aux femmes passe avant tout par un effort de prévention , la délégation :

- souhaite que soient effectivement assurées, sur tout le territoire , les séances d'éducation à la sexualité prévues par le code de l'éducation ;

- recommande que l'égalité entre filles et garçons , entre femmes et hommes, qui en est indissociable, soit intégrée aux séances d'éducation à la sexualité , afin qu'elles contribuent à la diffusion d'un modèle de société égalitaire auprès des jeunes ;

- appelle à une large diffusion des outils pédagogiques existants , afin de permettre à l'ensemble de la communauté éducative de s'approprier le contenu de cette information ;

- juge indispensable que l'éducation à la sexualité et à l'égalité fasse partie de la formation initiale des personnels éducatifs ;

- demande que l'obligation posée par le code de l'éducation soit rappelée à tous les chefs d'établissement , afin que ceux-ci mettent en oeuvre effectivement ces séances ;

- propose que l'éducation à la sexualité soit intégrée , dans ses deux dimensions (sexualité et égalité), aux formations dispensées aux personnels encadrant des dispositifs d'accueil pour jeunes mineurs , comme le BAFA.

Elle rappelle par ailleurs l'importance essentielle de la médecine scolaire et la nécessité de renforcer ses moyens par le recrutement d'infirmier-ères et de médecins scolaires, sur l'ensemble du territoire.

Elle préconise une nouvelle rédaction des articles du code de l'éducation concernant l'éducation à la sexualité et l'« information consacrée à l'égalité entre les hommes et les femmes » , de manière à faire en sorte que la dimension de l'égalité soit indissociable de l'éducation à la sexualité.

3. Pour améliorer l'accueil et la prise en charge des victimes de violences

Recommandation n° 4 . - La délégation recommande que les subventions attribuées aux associations engagées dans la lutte contre les violences faites aux femmes fassent l'objet d'un effort spécifique , dans un cadre pluriannuel , pour leur permettre de faire face à l'intensification de leur activité liée au contexte de la libération de la parole .

Afin d'offrir des lieux d'accueil aux femmes victimes de violences sur tout le territoire, la délégation suggère que, lorsqu'il n'existe pas de structure associative dédiée à la lutte contre les violences, notamment en zone rurale, des référents agissant comme le relais des associations spécialisées soient identifiés et formés à l'accueil et à l'orientation des victimes.

Recommandation n° 5 . - Afin de garantir à toutes les victimes de violences une prise en charge adaptée sur l'ensemble du territoire , y compris dans les postes diplomatiques et consulaires, condition essentielle du dépôt de leur plainte et d'un parcours judiciaire prenant en compte leurs souffrances, la délégation :

- propose que soit mis en place, dans les postes de police et de gendarmerie, un code dédié aux violences faites aux femmes, assurant l'orientation des victimes dans des conditions de discrétion et d'anonymat indispensables au respect de leur dignité . La délégation suggère le choix du code « 3919 », par référence au numéro national d'accueil des femmes victimes de violences ;

- réaffirme la nécessité de sensibiliser tous les professionnels susceptibles d'être en contact avec des femmes victimes de violences , y compris dans les postes diplomatiques et consulaires, à la difficulté de l'écoute de ces personnes. Elle demande que cette formation continue constitue une obligation pour ces personnels ;

- souhaite la mise à l'étude de l'extension, aux femmes victimes de violences, de pratiques qui ont fait leurs preuves à l'égard des enfants victimes : l' aménagement de salles dédiées , sur le modèle des salles « Mélanie », et la généralisation de la captation vidéo des auditions, afin d'épargner aux victimes la répétition du récit de leur agression à tous les intervenants de la chaîne judiciaire ;

- salue une pratique du parquet de Paris consistant à attacher un soin particulier à la première audition des victimes, afin de leur éviter la répétition de leur témoignage quand cette épreuve peut leur être épargnée, et estime que cette formule pourrait constituer un modèle pour les autres parquets.

Recommandation n° 6 . - Préoccupée des difficultés liées au recueil des preuves de violences sexuelles , qui contribuent à des sanctions insuffisantes, la délégation :

- est favorable à la généralisation, après expérimentation dans des territoires pilotes, du recueil des preuves indépendamment du dépôt de plainte par les victimes de violences sexuelles, et au déploiement plus large d'un dispositif comparable à celui mis en place à la Cellule d'accueil d'urgence des victimes d'agressions (CAUVA) de Bordeaux ;

- soutient le projet de développement de la Mallette d'aide à l'accompagnement et à l'examen des victimes d'agressions sexuelles (MAEVAS), réalisée par la Gendarmerie nationale. Elle est favorable à son extension à la Police nationale, de façon à garantir un traitement égalitaire des victimes de violences sexuelles sur l'ensemble du territoire ;

- estime qu'un ensemble de recommandations regroupant les bonnes pratiques en matière d'accueil et d'accompagnement des femmes victimes de violences devrait être élaboré à destination de tous les professionnels de santé. Cette mission pourrait être confiée à la Haute Autorité de Santé (HAS) ou à la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF).

Recommandation n° 7 . - La délégation suggère que les auteurs présumés de viol, lorsqu'ils sont appréhendés, soient systématiquement soumis à des examens médicaux , de façon à ne pas infliger aux victimes des traitements préventifs particulièrement contraignants (VIH, hépatites...).

Recommandation n° 8 . - Préoccupée par la nécessité de favoriser la reconstruction des victimes par un accompagnement psychologique adapté , la délégation :

- plaide pour une prise en charge à 100 % des soins psycho-traumatiques liés aux violences sexuelles , pour les victimes majeures, comme cela existe déjà pour les victimes de terrorisme et pour les mineurs victimes de violences sexuelles ;

- souhaite que l'annonce de la mise en place d' unités pilotes spécialisées dans le psycho-trauma , le 25 novembre 2017, soit rapidement suivie d'un déploiement concret , y compris dans les Outre-mer .

Recommandation n° 9 . - La délégation préconise la mise à l'étude de solutions pour assurer la protection globale des victimes de violences et de leur famille , du dépôt de la plainte à son aboutissement judiciaire.

Recommandation n° 10 . - La délégation recommande de renforcer l'information des victimes de violences sur les procédures de réparation financière , notamment en matière de harcèlement sexuel au travail, pour les aider à mieux faire valoir leur droit à une indemnisation au titre des préjudices qu'elles ont subis.

4. Pour garantir une répression pénale efficace et rigoureuse des violences faites aux femmes

Recommandation n° 11 . Sensible aux épreuves particulières qui résultent pour les victimes d'un procès aux assises et consciente que les délais de jugement devant les tribunaux correctionnels présentent parfois l'intérêt d'une plus grande rapidité, la délégation s'oppose néanmoins au principe même de la correctionnalisation , qui consiste à juger comme des délits des infractions qui constituent des crimes. Elle s'élève contre toute correctionnalisation « en opportunité » , en lien avec le manque de moyens de la Justice et la surcharge des cours d'assises.

Recommandation n° 12 . - Soucieuse de favoriser la cohérence du traitement des violences sexuelles, sur l'ensemble du territoire, la délégation préconise la mise à l'étude d'une spécialisation des magistrats et de la création de chambres spécialisées .

Recommandation n° 13 . - La délégation propose d'introduire dans le code pénal une circonstance aggravante pour les agressions sexuelles ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à huit jours .

Recommandation n° 14 . - Particulièrement alarmée par la diffusion de comportements qui conduisent à mettre en cause la présence des femmes dans l'espace public et par la multiplication de propos, comportements et attitudes qui portent atteinte à leur dignité, la délégation recommande, comme elle l'a fait en 2016 en conclusion d'un précédent rapport 334 ( * ) , la création dans le code pénal d'un délit autonome d'agissement sexiste , assorti d'une circonstance aggravante lorsque la victime d'un tel agissement est une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public.

Recommandation n° 15 . - Très préoccupée par l'ampleur et la gravité des violences faites aux femmes sur Internet et sur les réseaux sociaux , la délégation est favorable à une pénalisation des « raids numériques » qui s'attaquent plus particulièrement aux femmes et à ceux qui défendent leurs droits . Elle salue la proposition du Haut conseil à l'égalité (HCE) sur ce sujet et soutient l'article 3 du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, qui vise à étendre la définition pénale du harcèlement aux « agissements concertés », afin de réprimer spécifiquement le harcèlement en ligne.

Recommandation n° 16 . - Afin de renforcer la prévention du harcèlement sexiste et sexuel en ligne et la protection des victimes, la délégation :

- préconise la création d'une circonstance aggravante du délit de harcèlement sexuel , qui serait constituée lorsque les faits sont commis à l'aide d'un réseau de communication électronique ;

- souhaite inciter les réseaux sociaux à s'engager à renforcer la modération des contenus sexistes et à automatiser le repérage par algorithme et la suppression des contenus sexistes ;

- recommande que les plateformes soient contraintes de réagir aux signalements dans les plus brefs délais et de mettre en place une procédure d'urgence en cas d'attaque contre un(e) internaute ;

- est d'avis que le repérage du cyber-contrôle doit faire partie de la formation, tant initiale que continue, des personnels des services de police et de gendarmerie ainsi que des magistrats.

5. Pour une meilleure protection des plus jeunes victimes

Recommandation n° 17 . - La délégation est favorable à l'allongement de dix ans des délais de prescription de l'action publique de certains crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs, qui permettra aux victimes de porter plainte jusqu'à l'âge de quarante-huit ans révolus .

Recommandation n° 18 . - La délégation souhaite que la définition pénale du viol , dans le cas de victimes particulièrement jeunes , laisse le moins de prise possible à la subjectivité et qu'elle permette une réponse pénale cohérente sur l'ensemble du territoire .

Elle insiste aussi sur le fait que ce débat juridique doit être tranché indépendamment de tout jugement moral sur la sexualité des jeunes .

Elle est donc favorable à l'instauration d'un seul d'âge de treize ans dans le code pénal. Tout acte de pénétration sexuelle commis par un adulte sur un enfant de moins de treize ans relèverait ainsi des sanctions prévues en cas de viol, sans que les critères de violence, contrainte, menace ou surprise définis par l'article 222-23 du code pénal soient pris en considération, et sans que puisse être évoquée la question du consentement de la victime .

Recommandation n° 19 . - Convaincue que les victimes de crimes sexuels durant l'enfance ont un droit imprescriptible à être entendues par les services enquêteurs, la délégation encourage la diffusion, au sein des parquets , de la pratique consistant à mener des enquêtes, même en cas de prescription .

Recommandation n° 20 . - La délégation salue les mesures du 5 ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes qui concernent plus particulièrement les jeunes femmes de 18 à 25 ans .

Elle souhaite que les actions engagées à ce titre soient poursuivies et que soient renforcés la prévention et le traitement de cet aspect spécifique des violences faites aux femmes.

Elle est favorable à une modification du code pénal qui prévoirait une circonstance aggravante en cas de violences commises dans un couple dit « non-cohabitant » , selon les préconisations judicieuses du Haut conseil à l'égalité (HCE).

6. Pour continuer le combat contre les violences intrafamiliales

Recommandation n° 21 . -  Doutant qu'un conjoint violent puisse être un bon parent, la délégation suggère la mise à l'étude d'une privation de l'autorité parentale qui viserait le parent condamné - père ou mère - pour violences intrafamiliales.

Recommandation n° 22 . - La délégation met en garde contre les effets de la résidence alternée systématique en cas de séparation des parents, qui remettrait en cause, dans les situations de violences intrafamiliales, la nécessaire protection des enfants et du conjoint. Elle appelle donc à la plus grande vigilance à l'égard d'initiatives législatives qui éluderaient toute référence à une situation potentiellement dangereuse, en raison notamment de violences intrafamiliales, dans la définition des conditions de recours à la résidence alternée prévues par le code civil.

Recommandation n° 23 . - Dans le souci de mieux protéger les victimes de violences intrafamiliales dans les situations de séparation , la délégation :

- plaide pour une évolution législative visant à exclure sans ambiguïté le recours à la médiation familiale quand l'un des conjoints fait état de violences de la part de l'autre conjoint ;

- suggère la mise à l'étude d'une intervention du procureur de la République comme partie au procès civil aux affaires familiales (divorce...) en cas de violences intrafamiliales.

Recommandation n° 24 . - La délégation approuve l'articulation du 5 ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes avec le premier plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants .

Elle souhaite que le Parlement soit régulièrement informé de l'application et de l'évaluation des dispositifs que ces plans prévoient, ainsi que des intentions du Gouvernement en ce qui concerne les plans à venir à l'échéance de 2019 .

Elle regrette à cet égard que le premier Plan d'action national contre la traite des êtres humains (2014-2016) n'ait pas été reconduit et actualisé pour la période 2017-2019.

Recommandation n° 25 . - Dans un souci d'égalité territoriale, la délégation préconise un déploiement rapide, dans tous les Outre-mer , du dispositif téléphone grave danger (TGD).

Recommandation n° 26 . - La délégation rappelle l'utilité de l'ordonnance de protection (OP) pour la mise à l'abri des victimes de violences, notamment intrafamiliales. Elle souhaite que la volonté du législateur sur la rapidité de sa délivrance soit respectée, ce qui passe par des moyens budgétaires adaptés .

Comme elle l'a déjà fait dans le cadre d'un précédent rapport d'information 335 ( * ) , elle préconise la généralisation de la convocation de l'ex-partenaire violent, qui conditionne la délivrance de l'ordonnance, par voie d'huissier plutôt que par lettre recommandée avec accusé de réception ; elle invite donc les parquets à privilégier cette modalité de convocation pour sécuriser et accélérer la procédure .

Recommandation n° 27 . - En matière de mise à l'abri et d'hébergement des victimes de violences, la délégation recommande :

- d'accroître significativement, dans les Outre-mer, l'offre d'hébergement pour les femmes victimes de violences, notamment dans les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et dans les établissements accueillant des femmes avec enfants ;

- de mettre en oeuvre, en matière d'hébergement d'urgence, des partenariats entre l'État, les bailleurs sociaux, les collectivités terrotoriales et les associations spécialisées, pour faciliter la connaissance de l'offre de logements disponibles et favoriser le relogement pérenne des femmes victimes de violences et de leurs enfants.

Convaincue de la nécessité de prévoir des hébergements adaptés aux femmes victimes de violences pour une prise en charge efficace et une meilleure protection de ces personnes, notamment des femmes migrantes, la délégation plaide en faveur du maintien d'une spécialisation des CHRS et d'une offre d'hébergement non-mixte sur l'ensemble du territoire.

Recommandation n° 28 . -  La délégation souhaite le lancement d'une campagne d'information et de sensibilisation sur le viol conjugal , pour faire prendre conscience du fait que les relations sexuelles non consenties entre conjoints sont un crime.

7. Pour renforcer la lutte contre le harcèlement sexuel au travail

Recommandation n° 29 . - La délégation attire l'attention sur les risques d'affaiblissement de la prévention et de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail et d'un accompagnement dégradé des victimes, qui pourraient résulter de la fusion des institutions représentatives du personnel (IRP) au sein du nouveau comité social et économique (CSE) prévu par les « ordonnances travail » 336 ( * ) . Elle souhaite qu'une vigilance particulière accompagne la mise en place de ces nouvelles instances.

Recommandation n° 30 . - Afin d'informer et de sensibiliser le plus grand nombre de salariés aux enjeux du harcèlement et des violences sexuelles au travail, la délégation préconise une large diffusion du kit Agir contre le sexisme : trois outils pour le monde du travail , élaboré par le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP).

Elle propose par ailleurs d'étendre la diffusion des Fiches pratiques sur la conduite à tenir dans les situations de harcèlement sexuel au sein de la fonction publique aux services des ressources humaines des entreprises privées et aux organisations syndicales, en les adaptant à l'environnement de travail des entreprises.

Recommandation n° 31 . - La délégation souhaite saluer le travail précurseur mené par le ministère des Armées à travers la création, dès 2014, de la cellule Thémis , dédiée au signalement des violences et à l'accompagnement des victimes.

Elle estime que ce dispositif pourrait inspirer d'autres structures, privées ou publiques , souhaitant mettre en place un accompagnement complet des victimes de harcèlement ou de violences dans le cadre professionnel.

Recommandation n° 32 . - La délégation rappelle l'importance du rôle de l'Inspection du travail dans la prévention et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail . Elle souhaite que ses effectifs soient renforcés de façon à garantir une égalité territoriale en ce domaine.

Recommandation n° 33 . - La délégation souhaite que soit porté à douze mois de salaire le montant de l'indemnité plancher au profit de toute personne licenciée après avoir été victime de harcèlement.

Recommandation n° 34 . - La délégation suggère :

- que le règlement intérieur des entreprises comporte des dispositions précises en matière de prévention et de répression des comportements menaçant l'égalité femmes-hommes ;

- qu'il soit donné en main propre à toute personne recrutée, contre remise d'une décharge qui engagerait le nouveau salarié à se conformer à ces exigences.

Recommandation n° 35 . - Comme l'a suggéré le Défenseur des Droits, la délégation propose, pour faciliter l'établissement de la preuve dans les affaires de harcèlement sexuel au travail, que soit étudiée la possibilité de tenir compte, devant les juridictions civiles , d'enregistrements réalisés à l'insu de l'auteur présumé des faits, à l'instar de ce qui est déjà admis devant les juridictions pénales.

Recommandation n° 36 . - La délégation préconise de modifier l'article L. 1131-2 du code du travail 337 ( * ) pour étendre la formation obligatoire à la non-discrimination, destinée aux employés chargés des missions de recrutement, aux violences sexistes et sexuelles .

Elle suggère aussi la mise à l'étude d'une extension de ces obligations de formation prévues par l'article L. 1131-2 du code du travail dans les entreprises de 300 salariés et plus, aux entreprises de moins de 300 salariés .

EXAMEN EN DÉLÉGATION

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, avant de donner la parole à nos six co-rapporteurs pour qu'ils nous présentent leur travail, je voudrais rappeler les circonstances dans lesquelles notre délégation a souhaité centrer ses travaux, depuis le début de cette année, sur les violences faites aux femmes.

Ce choix a été arrêté dès notre première réunion, le 9 novembre 2017. Nous avons alors souhaité apporter notre contribution au débat suscité par deux décisions de justice, très médiatisées, concernant des violences sexuelles dont avaient été victimes deux petites filles de onze ans. Ces affaires ont en effet - faut-il le rappeler ? - suscité une très vive émotion. Je n'y reviens pas.

Nous avons également souhaité aborder ces problématiques sans limiter notre approche aux violences commises sur des mineurs, qui était le sujet retenu par la commission des lois pour son groupe de travail, dès le mois d'octobre 2017.

Dans le sillage de ce qui est devenu l'« affaire Weinstein », il était important que nous fassions porter nos réflexions sur tout le spectre des violences faites aux femmes, quels que soient leur âge, les circonstances (au travail, dans l'espace public, au sein de la famille, etc.), ou le type de violence (harcèlement et autres agressions sexuelles, viol, violences au sein des couples, etc.).

Je vous invite à cet égard à prendre connaissance de la première partie du rapport, qui met en valeur, comme l'ont fait devant nous les experts que nous avons auditionnés, des points communs à toutes les violences faites aux femmes, comme par exemple l'omniprésence de la dimension sexuelle ou l'inversion de la culpabilité aux dépens de la victime (« elle l'a bien cherché », « comment était-elle habillée ? », etc.).

Le rapport souligne à juste titre que ces violences, quelles qu'elles soient, ont en commun une même origine : la conviction de l'infériorité des femmes, qui peut sévir très tôt, comme le montrent malheureusement les violences scolaires. À cet égard, un récent rapport a souligné le « rejet du féminin » qui se trouve à la base de ces violences, ce qui est très préoccupant, tant pour les filles que pour les garçons.

Car il faut en avoir conscience, la question que posent les violences faites aux femmes, c'est avant tout quelle société nous voulons pour notre pays et, surtout, quelles relations entre les femmes et les hommes !

Sur ce point, le rapport offre une sélection de citations éclairantes du lien entre le sexisme, que l'on pourrait à tort être incité à minimiser, au motif que « ce n'est pas si grave », et la banalisation des violences contre les femmes.

J'en reviens à l'organisation de nos travaux sur les violences. Nous avons décidé, afin de souligner l'importance particulière de ces sujets pour la délégation, de constituer une équipe de co-rapporteurs reflétant la diversité de nos groupes politiques, pour que nos futures conclusions soient inspirées par un esprit de consensus.

Ce rapport est la synthèse de dix-huit auditions et réunions de travail ainsi que de trois déplacements, au cours desquels nous avons entendu quelque trente-cinq experts et spécialistes. Ces chiffres ne comprennent pas, il faut le souligner, les auditions et déplacements organisés spécifiquement dans le cadre du rapport d'information de Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac sur les mutilations sexuelles féminines.

Pour l'essentiel, les constats sur lesquels s'appuie le rapport prennent acte du fait que les violences constituent une inégalité majeure entre les femmes et les hommes. Ils soulignent que le combat contre ces violences exige la participation des hommes et insistent sur la nécessité d'un effort accru de prévention, dès le plus jeune âge.

Ils affirment la priorité absolue qui doit s'attacher à la protection des enfants, y compris de ceux qui, sans être victimes de violences dans leur chair, ne sont pas moins menacés par les violences intrafamiliales auxquelles ils assistent parfois, car « un enfant témoin est un enfant victime », pour reprendre les termes d'Édouard Durand, magistrat, co-président de la commission Violences de genre du Haut conseil à l'égalité .

Ils saluent l'engagement des associations dans la lutte contre les violences, qui suppose que des moyens leur soient attribués en cohérence avec des besoins croissants, en lien avec la libération de la parole des victimes.

Ils rappellent la gravité des conséquences des violences sur la santé des victimes ainsi que le risque de précarité sociale qui résulte trop souvent des traumatismes qu'elles ont subis.

Enfin, ils réaffirment l'importance d'un accompagnement adapté pour les victimes, et affirment l'attachement de la délégation à un traitement égal des violences sur l'ensemble du territoire, sans oublier les Outre-mer, qui reviennent régulièrement dans les recommandations, ce dont il faut féliciter les co-rapporteurs.

Ceux-ci vont maintenant vous présenter les trente-six recommandations qui concluent cet important travail. Elles sont regroupées dans sept blocs thématiques, comme vous pouvez le constater dans le document qui vous a été distribué.

Noëlle Rauscent va vous présenter les premières d'entre elles. Chère collègue, vous avez la parole.

Noëlle Rauscent, co-rapporteure . - Je vous remercie, madame la présidente. Il me revient donc de commencer la présentation de nos recommandations.

Nous proposons deux recommandations pour approfondir la connaissance des violences faites aux femmes et leur coût pour la société (n os 1 et 2), et une recommandation pour renforcer la prévention des violences. Celles-ci s'inspirent en effet d'une conception rétrograde de la place des femmes dans la société. Il s'agit de faire de l'égalité entre garçons et filles, femmes et hommes, le premier rempart contre ces violences (n° 3).

La recommandation n° 1 porte sur l'importance des statistiques. La prévention des violences passe en effet par une bonne connaissance de leur fréquence et de leurs caractéristiques. Nous jugeons donc fondamental de disposer de statistiques précises, reposant sur des bases scientifiques et régulièrement actualisées, sur les différentes formes de violences faites aux femmes. Nous montrons dans le rapport qu'il faut faire attention aux enquêtes d'opinion qui ne sont pas fondées sur une méthodologie scientifique et laissent la place à la subjectivité des personnes interrogées, ce qui ne peut que biaiser les résultats, soit en les amplifiant par rapport à la réalité, soit en conduisant à des sous-estimations.

Nous estimons donc que les enquêtes telles que Virage sont indispensables pour avancer dans la compréhension de ces violences, mais aussi pour favoriser la libération de la parole.

Nous souhaitons que l'enquête Virage soit étendue à l'ensemble des Outre-mer. Nous préconisons aussi une extension systématique des enquêtes existantes sur les violences faites aux femmes à l'enjeu spécifique des violences faites aux femmes en ligne.

Dans le même esprit, afin d'approfondir la connaissance des situations de sexisme et de harcèlement sexuel au travail, nous souhaitons que l'enquête du Défenseur des Droits sur ce sujet, datant de 2014, soit régulièrement actualisée.

Plus généralement, pour faciliter la réalisation de toutes ces enquêtes, nous recommandons la mise à l'étude de la création d'une agence nationale de recherche sur les violences faites aux femmes.

Car, comme l'a dit Christelle Hamel, chercheure à l'Institut national d'études démographiques (INED), au cours de son audition, le 22 février 2018, ces violences sont comparables, par leur ampleur, à une « épidémie ».

La recommandation n° 2 porte sur le coût des violences faites aux femmes pour la société. Nous souhaitons qu'il soit procédé à une analyse précise des coûts économiques directs et indirects de l'ensemble des violences faites aux femmes (les frais médicaux, les frais de justice et de police, le coût social des arrêts de travail...). Il faut que les conséquences budgétaires en soient tirées pour garantir des moyens à la hauteur des besoins.

Enfin, la recommandation n° 3 concerne l'enjeu de la prévention des violences et de l'éducation à l'égalité et à la sexualité, préoccupation récurrente de la délégation, qu'elle a eu l'occasion de formuler dans de précédents travaux.

Nous souhaitons que soient assurées, sur tout le territoire, les séances d'éducation à la sexualité prévues par le code de l'éducation - cet impératif a également été relevé par le groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs. Nous recommandons que l'égalité entre filles et garçons soit intégrée à ces séances, afin qu'elles contribuent à la diffusion d'un modèle de société égalitaire auprès des jeunes.

Voulons-nous une société où les jeunes filles ne peuvent aller aux toilettes dans les collèges que protégées des garçons par un digicode ? Voulons-nous une société où des fellations tarifées ont lieu dans les toilettes des collèges ? Car tel est l'enjeu de cette éducation à la sexualité...

Nous jugeons nécessaire que l'éducation à la sexualité et à l'égalité fasse partie de la formation initiale des personnels éducatifs, pour qu'ils soient sensibilisés à l'importance de cet enseignement.

Nous demandons que l'obligation posée par le code de l'éducation soit rappelée à tous les chefs d'établissement, et nous proposons que l'éducation à la sexualité soit intégrée, dans ses deux dimensions (sexualité et égalité), aux formations destinées aux personnels encadrant des dispositifs d'accueil pour mineurs, par exemple le Brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA).

Nous rappelons l'importance fondamentale de la médecine scolaire et la nécessité de renforcer ses moyens, comme l'ont fait nos collègues Marta de Cidrac et Maryvonne Blondin dans leur rapport sur les mutilations sexuelles féminines, sur l'ensemble du territoire.

Enfin, dans un souci de cohérence, nous préconisons une nouvelle rédaction des articles du code de l'éducation concernant l'éducation à la sexualité et l'information sur l'égalité femmes-hommes, afin de lier explicitement dans ces enseignements égalité et éducation à la sexualité.

Laurence Cohen, co-rapporteure . - Nous proposons sept recommandations pour améliorer l'accueil et la prise en charge des victimes de violences. Il s'agit des recommandations n os 4 à 10.

La recommandation n° 4 reprend une préoccupation malheureusement récurrente de notre délégation, pour appeler au renforcement des subventions aux associations engagées dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Nous avons toutes et tous en mémoire le cas de l' Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) qui s'est vue contrainte de fermer son standard, en janvier dernier, faute de pouvoir faire face à l'afflux des nouvelles demandes, en raison de moyens insuffisants. De même, il nous paraît important que ces subventions soient davantage prévisibles, dans une logique pluriannuelle. C'est un prérequis pour leur permettre de faire face à l'accroissement de leur activité dans le contexte actuel de libération de la parole.

La seconde partie de la recommandation reprend une proposition formulée dans les rapports de la délégation sur les agricultrices et sur les mutilations sexuelles féminines, afin de garantir une prise en charge des victimes dans les zones plus isolées (territoires ruraux...).

La recommandation n° 5 formule plusieurs propositions destinées à garantir à toutes les victimes de violences une prise en charge adaptée, notamment au moment du dépôt de plainte et du recueil de leur témoignage. Dans cet objectif, nous suggérons que soit mis en place, dans les commissariats et en gendarmerie, un mot de passe ou un code dédié à ces violences (par exemple 3919 , par référence au numéro d'urgence bien connu), pour orienter au mieux les victimes et respecter leur dignité, avec davantage de discrétion et d'anonymat. Cette recommandation tire les conséquences de témoignages de victimes choquées d'avoir dû exposer à la cantonade l'objet de leur présence dans un commissariat bondé. Nous réaffirmons la nécessité de la formation de tous les professionnels susceptibles d'être en contact avec des victimes de violence, notamment dans le cadre de la formation continue, qui n'est pas obligatoire. Il s'agit là encore d'une recommandation récurrente de la délégation.

Nous proposons la mise à l'étude de l'extension de salles inspirées des salles Mélanie destinées aux mineurs victimes de violences sexuelles, au profit des femmes victimes de violences, ainsi que la généralisation de la captation vidéo des auditions, pour éviter aux victimes la répétition du récit traumatique ; nous saluons à cet égard la pratique du parquet de Paris qui s'attache justement à éviter aux victimes la répétition de leur témoignage.

La recommandation n° 6 concerne plus particulièrement le recueil des preuves. Nous sommes favorables à la généralisation, après expérimentation, du recueil des preuves indépendamment du dépôt de plainte par les victimes, comme cela se fait au CHU de Bordeaux depuis plusieurs années. Dans le même esprit, nous soutenons le projet de développement de la Mallette d'aide à l'accompagnement et à l'examen des victimes d'agressions sexuelles (MAEVAS), mise en place par la Gendarmerie nationale. Plus généralement, nous estimons qu'un ensemble de recommandations regroupant les bonnes pratiques sur l'accueil et l'accompagnement des victimes de violences devrait être élaboré à destination de tous les professionnels de santé.

La recommandation n° 7 suggère que soient systématiquement réalisés des examens médicaux sur les auteurs présumés de viol, de façon à éviter d'infliger aux victimes des traitements préventifs particulièrement contraignants (VIH, hépatites...).

La recommandation n° 8 plaide pour une prise en charge à 100 % des soins psycho-traumas liés aux violences sexuelles, pour les victimes majeures, comme cela existe déjà pour les victimes de terrorisme et pour les mineurs victimes de violences sexuelles. Nous reprenons ici une recommandation du Haut conseil à l'égalité (HCE) 338 ( * ) . En outre, nous souhaitons que la mise en place d'unités pilotes spécialisées dans le psycho-trauma, annoncée le 25 novembre 2017, soit rapidement suivie d'un déploiement concret, y compris dans les Outre-mer. Ces deux recommandations sont importantes, car l'accompagnement psychologique des victimes est fondamental pour leur reconstruction.

La recommandation n° 9 préconise la mise à l'étude de solutions pour assurer la protection globale des victimes de violences et de leurs familles, du dépôt de la plainte à son aboutissement judiciaire.

Enfin, la recommandation n° 10 appelle à renforcer l'information des victimes de violences sur les procédures de réparation financière, pour les aider à mieux faire valoir leur droit à une indemnisation au titre des préjudices qu'elles ont subis.

Pour conclure, je veux insister sur le fait que le meilleur accompagnement des victimes est assuré à la fois par la cohérence et la complémentarité de ces recommandations.

Nicole Duranton, co-rapporteure . - Nous formulons six recommandations pour garantir une répression pénale efficace et rigoureuse des violences faites aux femmes. Il s'agit des recommandations n os 11 à 16 .

L'objet de la recommandation n° 11 est de rappeler que la délégation s'oppose au principe même de la correctionnalisation, qui consiste à juger comme des délits des infractions qui constituent des crimes. Nous insistons sur le caractère inacceptable de la correctionnalisation. Il est vrai que la correctionnalisation peut être assumée par la victime, par exemple si elle souhaite une procédure plus rapide, mais quand elle est motivée par le manque de moyens de la justice et l'encombrement des cours d'assises, il s'agit, pour reprendre l'expression forte du Docteur Piet, d'une « justice de misère ». Cette recommandation contre la correctionnalisation dite « en opportunité » rejoint les conclusions du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

La recommandation n° 12 préconise la mise à l'étude d'une spécialisation des magistrats et la création de chambres spécialisées, avec pour objectif de renforcer la cohérence du traitement judiciaire des violences sexuelles sur l'ensemble du territoire. Le procureur de la République de Paris en avait parlé lors de son audition, le 22 février 2018.

La recommandation n° 13 reprend une suggestion du procureur de la République de Paris ; elle propose d'introduire une circonstance aggravante pour les agressions sexuelles ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à huit jours. C'est un vide juridique qu'il nous semble important de combler lors de la discussion du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

La recommandation n° 14 reprend l'une des propositions formulées dans le cadre du rapport « Femmes et laïcité » 339 ( * ) de la délégation et traduite dans une proposition de loi déposée par Chantal Jouanno et plusieurs de ses collègues de la délégation, au mois de mars 2017. Elle vise à créer un délit autonome d'agissement sexiste, qui permettrait notamment de pénaliser des comportements tels que le refus de serrer la main d'une femme parce qu'elle est une femme, ou de sanctionner certains comportements dans les transports ou dans la rue qu'il serait difficile de sanctionner comme des agressions sexuelles, même si certains (le frottage, les attouchements) en relèvent.

Nous pensons que la création d'un tel délit dans le code pénal serait plus pertinente que la création de l'outrage sexiste - de niveau contraventionnel - prévue par l'article 4 du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (nous en reparlerons jeudi). De plus, nous suggérons de créer une circonstance aggravante à ce délit, qui serait constituée lorsque la victime de l'agissement sexiste est une personne dépositaire de l'autorité publique (ou chargée d'une mission de service public), comme par exemple une élue, une enseignante ou une policière.

La recommandation n° 15 concerne la répression des actions sexistes malveillantes groupées sur Internet, dites « raids numériques ». Nous saluons les travaux du Haut conseil à l'égalité (HCE) sur ce sujet et exprimons notre soutien à l'article 3 du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Enfin, la recommandation n° 16 formule une série de propositions qui s'inspirent des préconisations du HCE dans ce domaine pour renforcer la prévention du harcèlement sexiste et sexuel en ligne et la protection des victimes : créer une circonstance aggravante du délit de harcèlement sexuel si les faits sont commis par le biais d'un moyen de communication électronique ; inciter les réseaux sociaux à faire preuve de plus de diligence en ce qui concerne la modération des contenus sexistes ; obliger les plateformes à réagir aux signalements dans les plus brefs délais, avec une procédure d'urgence en cas d'attaque contre un-e internaut-e ; renforcer la formation des personnels de police, de gendarmerie et du monde judiciaire sur le repérage du cyber-contrôle.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Avant de commencer mon intervention, je voudrais remercier notre présidente pour la qualité de son écoute et sa capacité à créer du consensus.

Nous proposons quatre recommandations pour garantir une meilleure protection des plus jeunes victimes. Il s'agit des recommandations n os 17 à 20.

La recommandation n° 17 est favorable à l'allongement de dix ans des délais de prescription de l'action publique de certains délits et crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs, ce qui permettrait aux victimes de porter plainte jusqu'à l'âge de quarante-huit ans. Cette mesure serait un progrès par rapport à la loi actuelle. Elle fait l'objet d'un large consensus. Certes, l'imprescriptibilité aurait eu la préférence de certains, et il ne faut pas s'interdire d'y penser. Ce n'est pas un sujet tabou, même si le monde judiciaire, à ce jour, n'y est pas prêt.

La recommandation n° 18 a pour objectif de garantir la plus grande protection possible des mineurs contre les agressions sexuelles et le viol. Nous avons tous en tête les affaires, très médiatisées, et l'émotion qu'elles ont causée.

Cette recommandation présente la position de la délégation sur le débat relatif à l'instauration d'une présomption de non-consentement d'un mineur, en dessous d'un certain âge (à déterminer), à un acte sexuel avec une personne majeure. J'observe que des ministres se sont tout d'abord prononcées en faveur d'une présomption de non-consentement, avant que le Gouvernement finalement recule sur ce point. Je rappelle que le procureur de la République de Paris s'était prononcé en faveur d'un seuil d'âge de treize ans.

Nous le savons, la solution proposée dans le cadre du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, à l'article 2, ne satisfait pas grand monde...

Au terme de nos travaux, nous souhaitons, en cas de viol sur des jeunes mineur-e-s, laisser le moins de prise possible à la subjectivité et trouver une formule dans le code pénal qui garantisse une réponse cohérente sur l'ensemble du territoire et non pas un traitement hétérogène selon les juridictions.

Nous ne voulons pas que puissent se reproduire les « affaires » de Pontoise et de Meaux.

Par ailleurs, il nous paraît important de ne pas lier ce débat juridique à des questions morales sur la sexualité des jeunes. À quel âge est-il acceptable qu'un-e jeune ait des relations sexuelles ? Ce n'est pas l'affaire du législateur. Tel n'est donc pas notre propos.

Une piste possible nous semble être, comme nous en avons déjà parlé le 31 mai et le 7 juin, l'adoption d'une modification du code pénal créant une infraction autonome qui sanctionnerait comme un crime toute relation sexuelle avec pénétration entre une personne majeure et un ou une mineur-e de treize ans. Cette infraction serait sanctionnée comme l'est actuellement le viol avec circonstances aggravantes. Il n'y aurait pas à rechercher si les critères de menace, violence, contrainte et surprise définis par le code pénal seraient réunis. Nous considérons qu'en dessous de treize ans, un enfant n'a pas le discernement nécessaire pour comprendre ce qu'implique une relation sexuelle : on ne doit donc même pas se demander s'il y a consenti.

Une telle solution nous paraît être la plus protectrice des plus jeunes mineurs, tout en respectant les droits de la défense, puisque le parquet conserverait l'opportunité des poursuites et que les avocats du mis en cause pourraient toujours arguer que l'auteur ne connaissait pas l'âge de la victime. Nous avons finalement retenu un seuil de treize ans, car il est cohérent avec le droit pénal qui fixe à cet âge le discernement et la responsabilité pénale des mineurs, et parce qu'il tient compte des relations qui peuvent exister entre des adolescent-e-s et de jeunes majeur-e-s.

Mais ce débat concerne le projet de loi lui-même, sur lequel nous statuerons jeudi.

La recommandation n° 9 exprime le droit imprescriptible de toute victime de crime sexuel dans l'enfance d'être entendue, et encourage à cet égard la diffusion, au sein des parquets, de la pratique consistant à mener des enquêtes, même en cas de prescription, comme cela se fait au parquet de Paris.

Enfin, la recommandation n° 20 soutient les mesures du 5 ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes qui concernent plus particulièrement les jeunes femmes de 18 à 25 ans. La protection de ce public très vulnérable n'est pas toujours suffisante, parce que ces jeunes femmes ne se perçoivent pas comme vivant en couple et ne se considèrent donc pas comme des victimes de « violences conjugales ». Il y a là un angle mort de la lutte contre les violences.

Il convient donc de se féliciter que l'Assemblée nationale ait adopté à l'article 3 bis du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes une disposition prévoyant une circonstance aggravante en cas de violences commises dans un couple dit « non cohabitant », selon les préconisations du Haut conseil à l'égalité.

Françoise Laborde, co-rapporteure . - Nous proposons huit recommandations pour continuer le combat contre les violences intrafamiliales. Il s'agit des recommandations n os 21 à 28.

La recommandation n° 21 reprend une précédente proposition de la délégation, qui avait été émise dans le cadre du rapport de 2016 sur les violences conjugales dont j'étais co-rapporteure 340 ( * ) . Nous suggérons la mise à l'étude d'une privation de l'autorité parentale qui viserait le parent condamné pour violences intrafamiliales. Car, comme l'a très bien dit le juge Édouard Durand, un conjoint violent ne peut pas être un bon parent.

La recommandation n° 22 confirme la position que nous avions déjà exprimée en novembre au moment de la proposition de loi sur la résidence alternée : nous mettons en garde contre les effets d'une résidence alternée systématique, qui remettrait en cause, dans les situations de violences intrafamiliales, la nécessaire protection des enfants et du conjoint. Nous devons être très vigilants sur ce point, car si la proposition de loi en cause n'a finalement pas été examinée à l'Assemblée nationale, nous avons été alertés sur le fait que la mesure pourrait être introduite par voie d'amendement dans le cadre des textes à venir sur la réforme de la justice.

La recommandation n° 23 suggère deux pistes d'évolution visant à mieux garantir la cohérence du droit pénal et du champ civil, dans le souci d'une meilleure protection des victimes de violences intrafamiliales. Il s'agit de mettre à l'étude une évolution législative qui exclurait sans ambiguïté le recours à la médiation civile en cas de violences intrafamiliales déclarées par le conjoint. Il s'agirait aussi d'envisager une intervention du procureur de la République en tant que partie au procès civil aux affaires familiales dans les situations de violences intrafamiliales.

La recommandation n° 24 approuve l'articulation pertinente du 5 ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes et du 1 er plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants, car les deux sont liés.

Nous demandons à ce que le Parlement soit informé de l'application des mesures prévues par ces plans, et des intentions du Gouvernement à leur échéance. Nous souhaitons qu'ils soient reconduits de façon pluriannuelle. À cet égard, nous regrettons que le premier plan de lutte contre la traite des êtres humains (2014-2016) n'ait pas fait l'objet d'une évaluation et n'ait pas été reconduit au-delà de 2016.

La recommandation n° 25 plaide pour un déploiement rapide du téléphone grave danger (TGD) dans les Outre-mer, dans un souci d'égalité territoriale. Nous savons en effet que ce dispositif est efficace pour la protection des femmes contre les violences les plus dramatiques.

La recommandation n° 26, qui reprend, elle aussi, une recommandation du rapport de la délégation sur les violences conjugales, rappelle l'utilité de l'ordonnance de protection et les intentions du législateur sur la rapidité de sa délivrance, et invite les parquets à privilégier une convocation par voie d'huissier.

La recommandation n° 27 porte sur la mise à l'abri et l'hébergement des victimes de violences, en insistant sur la problématique des Outre-mer et sur l'intérêt de prévoir des partenariats entre État, bailleurs sociaux, collectivités et associations.

Cette recommandation réaffirme aussi l'utilité de la spécialisation des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et d'une offre d'hébergement non mixte pour garantir une prise en charge efficace des femmes victimes de violences - notamment les femmes migrantes, dans un contexte où sont annoncées des économies budgétaires sévères sur les crédits des CHRS.

Enfin, la recommandation n° 28 souhaite le lancement d'une campagne d'information et de sensibilisation sur le viol conjugal, notion qui demeure toujours concurrencée par celle de devoir conjugal, même dans l'esprit de certains professionnels des services de police et de la gendarmerie, comme le relève l'enquête de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) sur les difficultés du dépôt de plainte, enquête qui sera annexée au rapport.

Loïc Hervé, co-rapporteur . - Ma présentation concerne le harcèlement sexuel au travail, dont les conséquences sont particulièrement graves pour les victimes, comme nous l'a notamment montré le Docteur Hirigoyen, psychiatre. Nous avons également entendu sur ce sujet le Défenseur des Droits qui a publié un avis dans le cadre de son audition. Cet avis est annexé à notre rapport.

Nous proposons donc huit recommandations pour renforcer la lutte contre le harcèlement sexuel au travail. Il s'agit des recommandations n os 29 à 36.

La recommandation n° 29 concerne la création du Comité social et économique (CSE) par les ordonnances travail. En effet, cette nouvelle instance fusionnera les Institutions représentatives du personnel (IRP), dont les Comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et les délégués du personnel, qui avaient une compétence dans la prévention du harcèlement sexuel au travail. Nous appelons à une vigilance particulière pour que la création de ces nouvelles instances n'aboutisse pas à un affaiblissement de la prévention et de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail.

La recommandation n° 30 suggère la diffusion la plus large d'outils d'information et de sensibilisation, qui existent déjà, sur les enjeux des violences sexistes et sexuelles au travail. Le kit Agir contre le sexisme , élaboré par le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle (CSEP), a par exemple été un élément d'inspiration pour le Medef, d'après la note qui nous a été transmise.

La recommandation n° 31 salue la cellule Thémis mise en place par le ministère des Armées et suggère que ce dispositif de signalement des violences et d'accompagnement des victimes inspire d'autres structures, privées ou publiques. Ce constat de l'intérêt que présente cette cellule est indépendant des événements récents concernant les classes préparatoires à Saint-Cyr. Ces comportements inacceptables ont d'ailleurs été sanctionnés par la ministre des Armées. Il n'en demeure pas moins que le ministère de la Défense a su mettre en place, dès 2014, des procédures innovantes, dont l'intérêt a été souligné en 2016 par la commission des lois de l'Assemblée nationale et par notre délégation dès 2014, lors de la création de Thémis .

La recommandation n° 32 rappelle l'importance du rôle de l'Inspection du travail dans la prévention et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail, et plaide pour un renforcement de ses effectifs, dans un souci d'égalité territoriale.

La recommandation n° 33 est une reprise d'une proposition que la délégation avait formulée au moment de l'examen de la loi dite « El Khomri » 341 ( * ) : porter de six à douze mois de salaire le montant de l'indemnité plancher pour toute personne licenciée après avoir été victime de harcèlement.

La recommandation n° 34 porte sur le règlement intérieur des entreprises. Nous proposons qu'il comporte des dispositions précises sur la prévention et la répression des comportements contraires à l'égalité femmes-hommes, et nous suggérons qu'il soit donné en main propre à toute personne embauchée, contre remise d'une décharge engageant le nouveau salarié à respecter ses exigences en ce domaine.

La recommandation n° 35 rejoint une proposition du Défenseur des Droits. Elle propose de mettre à l'étude la possibilité de tenir compte, devant les juridictions civiles, d'enregistrements audio réalisés à l'insu de l'auteur présumé dans les affaires de harcèlement, comme cela se fait déjà devant les juridictions pénales. Il s'agit de faciliter l'établissement de la preuve dans ces affaires, où les victimes se heurtent souvent à de grandes difficultés pour faire valoir ce qu'elles subissent.

Enfin, la recommandation n° 36 préconise une modification du code du travail concernant la formation obligatoire des employés chargés des missions de recrutement. Cette formation comprend déjà les discriminations. Il s'agit de modifier le code du travail pour l'étendre aux violences sexistes et sexuelles. La recommandation suggère aussi d'envisager une extension de ces obligations de formation, actuellement réservées aux entreprises de plus de 300 salariés, aux entreprises de moins de 300 salariés.

Avant de conclure, je souhaite porter à votre attention que, dans le cadre de l'examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté début juin plusieurs amendements du Gouvernement déclinant son plan pour l'égalité professionnelle. Je relève notamment un amendement qui prévoit qu'un référent en charge de la lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes devra être désigné dans toutes les entreprises d'au moins 250 salariés.

De même, un référent devra être désigné au sein de la délégation du personnel au Comité social et économique (ce point est de nature à nous rassurer s'agissant de la préoccupation exprimée à la recommandation n° 29).

Un autre amendement prévoit que les branches professionnelles devront également s'impliquer dans la prévention des risques liés au harcèlement dans les entreprises, le sujet devant être inclus dans le cadre de la négociation obligatoire sur l'égalité entre les femmes et les hommes. Il faudra être attentif au maintien de ces dispositions dans le projet de loi, au moment de son examen par le Sénat.

Nous en avons terminé avec la présentation de nos recommandations.

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, je constate que le rapport d'information qui vous est soumis, particulièrement sérieux, représente la synthèse de plusieurs mois de travail. Ce travail me semble de surcroît consensuel.

J'observe à l'attention de nos collègues ultramarines qu'il tient le plus grand compte de la situation dans les Outre-mer. Je remercie nos collègues, et plus particulièrement Victoire Jasmin, d'avoir su attirer notre attention sur cette exigence d'égalité entre les territoires.

Je pense qu'un travail comme celui-ci doit impérativement être porté et diffusé par chacun d'entre nous, quelles que soient nos appartenances politiques, pour valoriser le travail du Sénat dans nos départements.

Qui souhaite intervenir sur les recommandations de nos co-rapporteurs ?

Laurence Cohen, co-rapporteure . - Je voudrais revenir sur la présentation de la cellule Thémis qui figure dans le rapport, s'agissant de la lutte contre le harcèlement sexuel : si cette structure et les procédures mises en place par la Défense sont extrêmement prometteuses, il n'en demeure pas moins que le comportement de certains élèves de classes préparatoires à Saint-Cyr est absolument inadmissible. Je tenais à revenir sur ce point.

Annick Billon, présidente . - Je pense que tout le monde souscrit.

Loïc Hervé, co-rapporteur . - Je confirme !

Maryvonne Blondin . - Je salue le travail accompli par nos collègues. Ce rapport sera un document de référence, c'est incontestable. Il est cohérent avec les constats et les conclusions du rapport que j'ai récemment porté avec Marta de Cidrac sur les mutilations sexuelles féminines 342 ( * ) .

On retrouve bien dans ce rapport, très complet, tout ce que nous avons entendu sur les violences dans le cadre des nombreuses auditions que notre délégation a organisées depuis novembre 2017. On y retrouve en particulier nos préoccupations - hélas récurrentes - sur le manque de moyens de la médecine scolaire et sur la formation des professionnels.

À ce sujet, je voudrais vous annoncer que la première décision du nouveau gouvernement espagnol a été de renforcer la formation des magistrats aux violences faites aux femmes. C'est décisif !

Le rapport de nos collègues évoque les moyens des CHRS : c'est en effet un vrai sujet de préoccupation. Limiter leurs moyens revient à compromettre non seulement l'hébergement des personnes, mais aussi leur réinsertion. C'est très préoccupant.

Je suis d'accord avec les rapporteurs, nous devons être vigilants sur l'évolution des instances de représentation du personnel. On ne voit pas bien comment les CSE pourront, compte tenu d'un champ de compétences considérable, défendre efficacement les victimes de harcèlement sexuel.

Je voudrais aussi revenir sur la cellule Thémis : il s'agit là d'une structure exemplaire, car on sait bien qu'en matière de harcèlement, il faut que les victimes ne soient pas contraintes de passer par la hiérarchie. Que les armées aient réussi à mettre en place cet outil, alors-même que la hiérarchie est un élément essentiel du fonctionnement militaire, est vraiment très intéressant.

En conclusion, il faut que le Gouvernement se mobilise pour accompagner la mise en oeuvre de ces recommandations !

Annick Billon, présidente . - Merci, chère collègue, de nous faire voyager grâce à votre expérience de membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Victoire Jasmin . - Ce travail est vraiment impressionnant. Je trouve cette approche transpartisane très enrichissante. Il faut remercier notre présidente d'encourager cette démarche.

Annick Billon, présidente . - Quand il s'agit de lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants, la moindre des choses est que nous rassemblions nos énergies pour avancer ensemble !

Claudine Lepage . - Je suis d'accord, le consensus entre nous est quelque chose de fondamental. J'observe d'ailleurs qu'au Sénat, on ne le trouve qu'à la délégation...

Je voudrais que, lorsque le rapport et les recommandations abordent l'accueil et la prise en charge des victimes, il mentionne le rôle des consulats. C'est important d'être vigilant, comme le sont nos rapporteurs, sur la nécessité d'une prise en charge et d'un accompagnement des victimes de violences sur tout le territoire, mais il ne faudrait pas oublier les postes diplomatiques. Or ceux-ci sont, pour de nombreuses victimes - souvent très jeunes, comme on l'a vu récemment lors de l'examen du rapport sur les mutilations sexuelles féminines - la première porte d'entrée vers un accueil et une prise en charge. N'oublions pas non plus l'importance de la coopération judiciaire internationale, à tout le moins entre pays européens. Les violences, y compris les violences intrafamiliales, ne s'arrêtent pas à nos frontières.

Annick Billon, présidente . - Je suis d'accord. Pouvons-nous considérer que cette correction peut être faite à la recommandation n° 5, adaptée pour toutes les victimes de violences, sur l'ensemble du territoire, qui va mentionner spécifiquement les postes diplomatiques ? Je vois que les co-rapporteurs opinent.

Claudine Lepage . - Ce serait en effet une correction pertinente. Je vous remercie.

La recommandation n° 5 est ainsi amendée .

Marta de Cidrac . - J'ai pris connaissance du rapport avec beaucoup d'intérêt. Mais nous ne devons pas oublier que les inégalités professionnelles, notamment salariales, peuvent elles aussi constituer une violence, du moins être ressenties comme telle. Là encore, c'est une dimension essentielle du travail de notre délégation.

Marie-Thérèse Bruguière . - Je voudrais joindre mes félicitations aux compliments que les rapporteurs ont déjà reçus. Il me semble toutefois qu'à la recommandation n° 21, nous pourrions préciser que le parent qui serait privé de l'autorité parentale, si l'étude envisagée était concluante, pourrait aussi bien être la mère que le père. Les deux cas peuvent se produire : nous savons que des hommes, eux aussi, peuvent être victimes de violences.

Françoise Laborde, co-rapporteure . - Le mot « parent » renvoie aussi bien à un homme qu'à une femme, mais je ne m'oppose pas à cette précision.

La recommandation n° 21 est ainsi amendée .

Annick Billon, présidente . - Pouvons-nous considérer que les trente-six recommandations, amendées comme l'ont suggéré nos collègues Claudine Lepage et Marie Thérèse Bruguière, sont adoptées ? Je ne vois pas d'opposition. Je constate l'unanimité entre nous et je vous en remercie.

Mes chers collègues, nous arrivons à la fin de notre réunion. Il va nous falloir désormais statuer sur le titre du rapport.

Je vais vous lire la liste des propositions que nous soumettons à vos délibérations, liste qui figure dans vos dossiers :

1. Prévenir et combattre les violences, première des inégalités entre les femmes et les hommes

2. Violences faites aux femmes : prévenir et combattre la première des inégalités entre les femmes et les hommes

3. Violences faites aux femmes : renforcer la prévention et la lutte contre la première des inégalités femmes-hommes

4. Renforcer la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes : un impératif/enjeu essentiel/prérequis de l'égalité femmes hommes

5. Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu d'égalité femmes-hommes

Je m'adresse tout d'abord aux co-rapporteurs. Quel titre suggérez-vous ?

Nicole Duranton, co-rapporteure . - C'est le titre n° 5 qui aurait notre préférence, à Laurence Cohen, Françoise Laborde, Loïc Hervé et moi-même, Noëlle Rauscent hésitant entre la première et la cinquième proposition.

Maryvonne Blondin . - Le titre n° 5 me paraît le plus percutant.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Pour ma part, je m'interroge sur le lien entre violence et inégalité - ou égalité. Pour moi, il vaut mieux situer le débat sur le plan du droit. Les violences constituent avant tout une injustice. C'est même une injustice planétaire ! Toutefois, dans la proposition n° 5, j'aime bien la notion d'enjeu.

Annick Billon, présidente . - Je pense que l'injustice renvoie à un constat. L'enjeu nous permet de nous projeter, c'est un terme plus dynamique.

Loïc Hervé, co-rapporteur . - Cette dimension me semble en effet importante.

Marta de Cidrac . - Je rejoins Laurence Rossignol. La dernière proposition me parle plus : pourquoi ne pas se référer à « un enjeu de justice » ?

Céline Boulay-Espéronnier . - Ou « un enjeu de société » ?

Annick Billon, présidente . - J'ai l'impression que cette dernière suggestion fait consensus. Sur la base de la proposition n° 5, nous pourrions donc envisager : « Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société ».

Je vais mettre aux voix cette dernière formule, qui me paraît rassembler nos différentes suggestions.

Ce titre est adopté à l'unanimité. Je constate qu'il en est de même pour le rapport et ses conclusions.

Le rapport d'information, intitulé Prévenir et combattre les violences faites aux femmes : un enjeu de société, est adopté à l'unanimité .

Nous pouvons en féliciter les co-rapporteurs.

Je vous donne rendez-vous ce soir pour entendre Danielle Bousquet, présidente du Haut conseil à l'égalité, sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

I. AUDITIONS ET RÉUNIONS DE TRAVAIL

Audition d'Édouard Durand, magistrat, et d'Ernestine Ronai, co-présidents de la commission « Violences de genre » du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes

(16 novembre 2017)

Présidence d'Annick Billon présidente

Annick Billon, présidente . - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Édouard Durand, magistrat, vice-président chargé des fonctions de juge des enfants au tribunal de grande instance de Bobigny, et Ernestine Ronai, responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, co-présidents de la commission « Violences de genre » du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE).

La délégation a en effet souhaité vous entendre une nouvelle fois, pour commencer avec vous ses travaux sur les violences faites aux femmes. Notre réflexion s'inscrit dans une actualité très chargée : harcèlement et libération de la parole des victimes ; « affaire de Pontoise » qui fait écho aux travaux de la mission Flament-Calmettes ; publication du livre de Sandrine Rousseau sur l'affaire Baupin...

Dans ce contexte, des propositions de loi, dont les auteurs sont de toutes tendances politiques, ont été déposées tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat depuis le début de la session parlementaire. Le Haut conseil à l'égalité, dont vous êtes tous les deux membres, a d'ailleurs largement contribué à l'information sur les violences, en publiant un rapport sur le viol et en travaillant sur le harcèlement en ligne. Vous voudrez certainement nous en dire quelques mots.

La délégation souhaite réagir à tous ces événements et apporter sa pierre au débat.

Comme nous l'avons décidé jeudi dernier, elle se penchera d'abord sur la question du harcèlement sexuel dans toutes ses dimensions. Nous avons souhaité aussi faire porter notre réflexion sur les violences faites aux femmes handicapées, sujet très peu traité jusqu'à présent, comme d'ailleurs le handicap en général.

Dans la perspective de l'examen du projet de loi annoncé par le Gouvernement, nous travaillerons aussi sur les autres formes de violences faites aux femmes - agressions sexuelles et viols, violences conjugales... -, avec une attention particulière pour la dimension ultramarine de ce problème. Je crois donc que nous aurons d'autres occasions d'échanger avec vous, madame Ronai, pour vous entendre nous présenter le travail que vous avez effectué au Conseil économique social et environnemental (CESE) sur les violences dans les Outre-mer !

Cette préoccupation particulière pour les violences, qui caractérise ce début de session, s'inscrit toutefois dans la continuité des précédents travaux de notre délégation : je rappellerai à cet égard nos rapports d'information sur les femmes victimes de la traite et sur le bilan de dix ans de lutte contre les violences conjugales, tous les deux publiés en mars 2016.

Avant de laisser la parole à nos intervenants, je voudrais aussi signaler qu'Édouard Durand et Ernestine Ronai viennent de publier un travail collectif qu'ils ont coordonné, intitulé Violences conjugales, le droit d'être protégée . Vous nous en parlerez probablement. Je suis certaine que cet ouvrage sera une lecture intéressante pour nos travaux !

Peut-être Monsieur Durand pourrait-il plus particulièrement aborder le thème de la coparentalité et réagir à la récente proposition de loi relative au principe de garde alternée des enfants, sur laquelle nous a alertés la semaine dernière Laurence Rossignol, et qui sera examinée en commission à l'Assemblée nationale le 22 novembre, puis le 30 novembre en séance publique ?

Madame Ronai pourrait ensuite nous présenter les points de vigilance actuels de la lutte contre les violences sexuelles et contre les violences conjugales, en évoquant les mesures législatives susceptibles d'améliorer notre arsenal juridique et en rappelant les principales conclusions de l'avis du HCE sur le viol. Nous souhaiterions également que vous puissiez nous présenter l'étude relative au viol menée dans votre département, indispensable pour notre information.

À l'issue de votre présentation, les membres de la délégation qui le souhaitent feront part de leurs réactions et ne manqueront pas de vous poser des questions. Je vous remercie d'être venus jusqu'à nous et je vous laisse sans plus tarder la parole.

Édouard Durand, magistrat, vice-président chargé des fonctions de juge des enfants au tribunal de grande instance de Bobigny, co-président de la commission « Violences de genre » du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes . - Merci de votre invitation et de votre accueil, madame la présidente. Cette délégation m'a déjà fait l'honneur de m'inviter à présenter mon travail, et je vous sais gré de l'attention que vous voulez bien accorder à l'expérience d'un juge des enfants. Madame Rossignol, je suis très heureux de vous retrouver et très admiratif du travail que vous avez effectué en tant que ministre. Nous pouvons continuer le sillon que vous avez tracé durant tout ce temps, car la cohérence de la législation de ces dernières années est un guide très important. Merci de votre engagement.

Vous m'avez demandé de parler plus particulièrement de droit de la famille et de coparentalité, en évoquant les violences faites dans ce cadre aux femmes et aux enfants. Ernestine Ronai et moi-même avons l'habitude de travailler ensemble sur ces questions : ce qu'elle m'a appris sur ce sujet m'aide à penser mon travail de juge.

Au fond, l'enjeu est la question du rapport entre les libertés individuelles fondamentales appliquées à la famille et l'ordre public. Nous voyons bien aujourd'hui que nous sommes toujours sur une sorte de ligne de crête : nous craignons toujours de tomber, d'un côté, dans l'immixtion excessive de la société et de l'État dans le champ privé de la famille, et, de l'autre, ce qui paradoxalement nous effraie moins, dans le risque de laisser dans le huis clos des familles une totale marge de manoeuvre aux agresseurs sur leurs proches.

À ce propos, permettez-moi de vous citer une phrase de l'oeuvre de Georges Bernanos, Sous le soleil de Satan : « Pour beaucoup de niais vaniteux que la vie déçoit, la famille reste une institution nécessaire, puisqu'elle met à leur disposition, et comme à portée de la main, un petit nombre d'êtres faibles que le plus lâche peut effrayer. Car l'impuissance aime refléter son néant dans la souffrance d'autrui. » D'une certaine manière, comme juge, je peux être spectateur de ces violences, ou alors essayer d'en protéger les victimes.

La coparentalité est, de façon étonnante, quasiment le seul paradigme avec lequel nous pensons les rapports entre les hommes et les femmes, les pères, les mères et les enfants dans la famille aujourd'hui, dans un contexte où les séparations conjugales sont extrêmement nombreuses. Ce principe, qui a émergé sous l'impulsion de la Convention internationale des droits de l'enfant, a été traduit dans notre droit de façon plus explicite par la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, qui définit précisément dans notre code civil les implications du principe de coparentalité 343 ( * ) .

En lien avec cette loi, nous pensons la coparentalité comme l'affirmation de la nécessité de préserver la place des pères, qui serait perçue comme fragile. Or c'est une illusion d'optique, car ce qui est nouveau dans notre droit, et fragile par sa nouveauté, c'est plutôt la reconnaissance de la place des femmes, épouses et mères, et des enfants dans la famille. Nous devons encore penser la coparentalité comme la préservation de la reconnaissance de la femme, épouse et mère, comme sujet de droit.

En réalité, le grand basculement, ce n'est pas la loi du 4 mars 2002 344 ( * ) , c'est la loi du 4 juin 1970 345 ( * ) relative à l'autorité parentale qui nous a fait passer d'un régime de puissance paternelle à un régime d'autorité parentale. Ce fut une nouveauté radicale ! L'autorité se distingue en effet de la puissance par deux éléments : d'une part, l'autorité, contrairement à la puissance, exclut le recours à la violence, et, d'autre part, l'autorité parentale est juridiquement un pouvoir subordonné à une finalité. Or la finalité de l'autorité parentale, en vertu de l'article 371-1 du code civil, c'est la protection de l'enfant, pour reprendre les termes du législateur en 1970, ou l'intérêt de l'enfant, pour citer la loi du 4 mars 2002.

Nous avons donc deux impératifs à préserver. Le premier est la prise en compte de la place de la femme comme sujet de droit dans la famille, et le second est l'appréhension de ce que nous appelons l'intérêt de l'enfant.

Or il n'est pas excessif de penser que le souci quasiment exclusif actuellement semble être de préserver la place du père, ce qui est paradoxal. Pour le comprendre, il faut partir de nos représentations de la place des hommes, des femmes et des enfants dans la famille, de nos représentations personnelles et collectives.

La proposition de loi sur la résidence alternée 346 ( * ) fait référence à l'intérêt de l'enfant. Mais qu'est-ce que l'intérêt de l'enfant dans notre droit ? C'est une notion quasiment exclusivement subjective. L'intérêt de l'enfant, c'est la décision que j'estime, en tant que juge, devoir prendre. Mais mon collègue magistrat dira, pour une situation strictement identique, que l'intérêt de l'enfant est de prendre une décision contraire.

Il faut donc avoir une appréhension un peu plus objective de l'intérêt de l'enfant, en référence à ses besoins fondamentaux, tels qu'ils ont été introduits dans notre droit par la loi du 14 mars 2016 sur la protection de l'enfant 347 ( * ) . Vous avez initié, Madame Rossignol, une démarche de consensus sur les besoins fondamentaux des enfants, qui a réuni beaucoup d'experts, notamment pour centrer la protection de l'enfant sur son besoin de sécurité et de stabilité. Ce besoin passe par la nécessité de lui donner des repères éducatifs constants.

Mais tout l'enjeu pour vous, parlementaires, est de garantir la cohérence de la législation. Car si les mesures de protection de l'enfant, d'assistance éducative prises dans les conseils départementaux ou au sein des services d'aide sociale à l'enfance, visent à garantir son besoin de sécurité, il faut aussi avoir cette priorité en tête quand on détermine les modalités d'organisation de la vie de l'enfant en cas de séparation des parents. Car le besoin de sécurité de l'enfant devrait être identique devant n'importe quel juge ou professionnel de la protection de l'enfance.

J'en viens à la coparentalité et aux violences conjugales.

Lors de la séparation des parents, il convient de distinguer quatre grands types de modèles correspondant à la situation nouvelle : l'entente, le conflit, la violence et l'absence.

Le premier modèle est l'entente. Il arrive que les parents s'entendent sur la séparation, sur l'organisation de la séparation et divorcent par consentement mutuel. Parfois, ils restent très bons amis après la séparation. Mais cela est rare et prend beaucoup de temps. La loi ou le juge ne peuvent faire croire que les parents peuvent s'entendre. C'est leur rendre un très mauvais service et c'est courir le risque que les besoins fondamentaux de l'enfant ne soient pas pris en compte.

Le deuxième modèle est le conflit. Il y a alors désaccord entre deux sujets, mais deux sujets qui respectent mutuellement la parole de l'autre.

Le troisième modèle est la violence conjugale. Ce n'est pas un désaccord entre deux sujets à égalité mais un rapport de domination entre un sujet et un objet, acquise par les passages à l'acte violents.

Le dernier modèle est l'absence ou la présence aléatoire de l'un des parents, le plus souvent le père. Paradoxalement, on en fait grief à la mère et on la suspecte d'avoir écarté le père de la vie de l'enfant, voire de procéder à ce que l'on appelle « l'aliénation parentale » 348 ( * ) .

Madame la présidente, vous avez parlé de la proposition de loi récente sur la résidence alternée. Permettez-moi de vous signaler que vos prédécesseurs ont voté en une nuit une proposition de loi similaire sur la résidence alternée, en référence à un prétendu syndrome d'aliénation parentale. Il y a derrière ce type d'initiative des lobbies qui peuvent être assez puissants.

Avant d'élaborer une loi sur les violences faites aux femmes, les parlementaires procèdent à des auditions, examinent des recommandations d'experts, puis débattent pendant plusieurs mois avant d'aboutir au vote du texte. Il faut aussi un long délai pour évaluer la mise en oeuvre de cette loi et préparer la loi suivante. Il y a donc un contraste entre les délais nécessaires à l'adoption de semblables lois et la précipitation dans laquelle a été voté l'amendement dont je parlais à l'instant 349 ( * ) .

La proposition de loi sur la résidence alternée, qui sera débattue prochainement à l'Assemblée nationale, me glace le sang. Il est proposé que le code civil soit ainsi rédigé : « La résidence de l'enfant est fixée au domicile de chacun des parents, selon les modalités déterminées par convention, d'un commun accord entre les parents, ou à défaut, par le juge. Si la résidence de l'enfant ne peut être fixée pour une raison sérieuse au domicile de chacun de ses parents du fait de l'un d'eux, elle est fixée au domicile de l'autre . »

Il s'agit là d'une rédaction subtile. Ses auteurs ont tiré les conséquences du fait que les controverses sur le concept d'aliénation parentale avaient précédemment empêché la mobilisation du gouvernement et du législateur. Donc, il n'est plus fait référence au syndrome d'aliénation parentale, mais, d'une façon tout aussi fallacieuse, au concept d'intérêt de l'enfant. Or cette notion est mal articulée aux besoins fondamentaux de celui-ci. De plus, est introduite une sorte de distinction, très pernicieuse à mon avis, entre, d'une part, un principe de résidence, et, d'autre part, les modalités réelles de vie de la famille après la séparation, comme si, pour apaiser le divorce, il fallait dire systématiquement que l'enfant a en principe sa résidence chez ses deux parents, mais qu'il faudra traiter ensuite l'organisation concrète de la vie de l'enfant. Or les parents qui se séparent n'ont pas forcément envie que le jugement mentionne simplement la fixation de la résidence chez les deux. Ils veulent que la vie de la famille soit organisée de façon sérieuse et responsable, car le jugement rendu par le juge aux affaires familiales est la loi qui s'applique à la famille, et donc qui garantit la sécurité des relations entre les personnes.

En tant que juge aux affaires familiales, j'ai souvent vu des emplois du temps d'enfants dignes de ministres ou de sénateurs, avec un calendrier hebdomadaire ou mensuel qui comprenait toutes les couleurs de l'arc-en-ciel pour représenter les périodes où ils étaient chez leur père, leur mère ou leurs grands-parents. Comment un enfant peut-il se retrouver dans un tel système ? L'enfant a besoin de repères fondamentaux qui le sécurisent. Ses repères quotidiens doivent donc être préservés par les adultes qui s'occupent de lui. Rappelons-nous la citation de Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit. »

Vous devez garantir que la loi protège les besoins fondamentaux de l'enfant et les mères victimes de violences conjugales. Cette proposition de loi viendrait à mon sens fragiliser considérablement tous les efforts qui ont été faits pour la protection des femmes victimes de violences conjugales. Il n'y a pas de compromis possible ! On ne peut pas introduire dans le code civil des mesures destinées à protéger les victimes de violences, et par cette proposition de loi, affirmer un principe qui balaie les quatre modèles dont je vous ai parlé il y a un instant.

En effet, quand il y a entente entre les parents, je ne suis pas opposé à la garde alternée à partir de sept ans. Quand il y a conflit léger, on peut le discuter ; quand il y a conflit sévère, absence ou violence, on ne peut pas protéger les victimes en les laissant sous l'emprise de l'agresseur, même quinze ans après la séparation.

Malgré le principe de l'autorité parentale, qui a pour finalité la protection et l'intérêt de l'enfant, nous avons encore une conception de l'autorité parentale servant principalement à reconnaître le parent dans son statut de parent. C'est pourquoi, en dépit de la loi du 4 août 2014 350 ( * ) et de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, très peu de décisions de justice retirent l'autorité parentale à un parent agresseur. Et trop peu accordent à un parent protecteur l'exercice exclusif de l'autorité parentale. Or l'autorité parentale peut être un moyen d'exercer une emprise sur les membres de la famille, même à distance, car le juge et le législateur reconnaîtront toujours cette prérogative au parent violent.

De la même façon, en voulant coûte que coûte maintenir un droit de visite et d'hébergement, voire une résidence alternée, au profit du parent agresseur, nous laissons celui-ci continuer à exercer sa domination sur l'enfant. Pourtant, des études ont montré que l'exposition de l'enfant aux violences conjugales a un impact traumatique plus sévère que l'exposition à la guerre ou au terrorisme. Nous savons aussi qu'un enfant sur deux exposé aux violences conjugales est directement victime de violences physiques exercées contre lui par le violent conjugal. De plus, la fille d'un parent violent court 6,5 fois plus de risques qu'une autre d'être victime d'agressions sexuelles ou de viols par le violent conjugal. L'enjeu, pour le parent violent, c'est le pouvoir, qui passe aussi par le sexuel. Il faut donc prendre en compte la dangerosité des violents conjugaux.

J'en viens à mon second sujet. Il existe quatre grands registres de la parenté qu'il ne faut pas confondre : la filiation, l'autorité parentale, le lien, la rencontre.

Commençons par la filiation. Vous connaissez ces situations où, bien que le parent soit incarcéré pour violences conjugales ou sexuelles sur l'enfant, les visites en prison sont maintenues entre eux, car c'est son père. Peut-être, mais la filiation n'emporte pas nécessairement l'autorité parentale ou son exercice. On peut maintenir la filiation sans l'autorité parentale.

Il faut également distinguer entre le lien et la rencontre. Le lien est psychique, la rencontre est physique. Dans le développement de l'enfant, un processus psychique est le détachement par lequel l'enfant s'autorise à ne plus vouloir être en lien avec un parent maltraitant. Or les violences conjugales sont l'une des plus graves maltraitances qui puissent être infligées à l'enfant. Il faut respecter l'enfant dans ce processus de détachement.

C'est pourquoi il faut combattre par tous les moyens les tentatives pour imposer le « syndrome d'aliénation parentale », caution du déni de la maltraitance faite aux enfants. Un parent protecteur qui alerte sur les troubles manifestés par l'enfant est effectivement instantanément suspecté d'aliénation parentale.

J'en viens aux deux propositions envisageables pour protéger à la fois l'enfant victime de violences conjugales et la mère, c'est-à-dire le parent protecteur.

La première piste est le cumul idéal de qualification.

Nous nous accordons aujourd'hui sur le fait que l'enfant est victime ou co-victime des violences conjugales, tant l'impact sur lui de ces violences est sévère. Il n'est pas pour autant reconnu en tant que tel sur le plan pénal, car l'infraction poursuivie est celle qui est commise contre sa mère, la seule victime sur le plan pénal. Mais il est possible que notre droit reconnaisse à l'enfant sa qualité de victime au sens pénal, et ce de deux façons.

On pourrait prévoir que la présence d'enfants dans le couple constitue une circonstance aggravante des violences conjugales. Mais cela ne suffit pas pour reconnaître pleinement la place de l'enfant comme victime. En outre, on suggèrerait ainsi que les violences conjugales seraient moins graves en l'absence d'enfants.

Pourrait ensuite s'appliquer, dans l'idéal, le cumul de qualification : un même fait est poursuivi en même temps sous deux incriminations pénales, par exemple les violences contre la conjointe et celles contre l'enfant. Les conditions exigées sont la pluralité d'objectifs visés par la société et la pluralité de victimes. C'est bien le cas, précisément, des violences conjugales...

La seconde piste relève à mon sens du fantasme juridictionnel.

Puisque nous sommes à la charnière entre les libertés fondamentales, les libertés privées et l'ordre public, il faudrait renforcer la place du procureur de la République dans le procès familial. Le procureur est déjà très présent au civil, en matière d'assistance éducative. C'est lui qui, le plus souvent, saisit le juge des enfants. Mais il est présent de façon rarissime dans la séparation des parents. Pourtant, l'article 373-2-8 du code civil prévoit déjà que « le procureur de la République peut saisir le juge aux affaires familiales ». C'est assez rare dans les faits. Peut-être le législateur pourrait-il ajouter que le procureur puisse intervenir comme partie dans le procès civil aux affaires familiales.

Souvent, les mères victimes savent que la convention par consentement mutuel est totalement inégalitaire, mais elles défendent le père violent. Cette attitude est compréhensible et la position des juges, ainsi que celle des notaires, est difficile dans ces affaires. Le juge doit-il laisser faire s'il n'est pas d'accord avec la convention ? La société doit, par la voix du procureur, prendre une autre décision pour protéger la mère et l'enfant.

Ernestine Ronai, responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, co-présidente de la commission « Violences de genre » du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes . - Merci de nous recevoir, madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs. Ce moment est important, car si de nombreuses actions ont été menées ces dernières années en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, beaucoup reste à faire. Au moment où la parole se libère, le nombre de plaintes pour violences sexuelles - agressions et viols - a augmenté de 26 %. Comment vont-elles être traitées ?

Je suis inquiète, car si les forces de gendarmerie et de police ne prennent pas sérieusement en compte les plaintes et ne conduisent pas correctement les auditions, plus par manque de temps et de formation que dans un esprit malveillant, on risque l'échec. La Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), dont j'étais coordonnatrice nationale jusqu'à la fin de 2016, a publié à l'intention des professionnels concernés un guide d'aide à l'audition en matière de violences sexuelles et conjugales.

Une enquête réalisée à Angers dans les unités médico-judiciaires (UMJ) a montré qu'une seule audition y avait été réalisée avec ce guide. Or il est important d'interroger correctement une victime, de la laisser parler en confiance, sinon elle s'interrompra et ne donnera plus d'éléments pour l'enquête. Logiquement, le procureur classera la plainte sans suite, faute de preuve.

La formation des magistrats aux violences sexuelles et aux violences conjugales est également très importante, tant en formation initiale qu'en formation continue.

Édouard Durand et moi-même intervenons à l'École nationale de la magistrature (ENM) en formation initiale. Nous intervenons aussi en formation continue, lorsque les élèves ont choisi ce thème. Tous les outils nécessaires ont été créés par la MIPROF. Si 400 000 professionnels ont été formés, il faudrait peut-être envisager de rendre obligatoires ces formations pour tous les acteurs mentionnés par l'article 51 de la loi du 4 août 2014 351 ( * ) . Aujourd'hui, seuls les cursus des médecins et des sages-femmes comprennent cette formation pour tous, sans l'asseoir sur le volontariat. Actuellement, les travailleurs sociaux et les enseignants n'y sont pas tenus, ce qui ne semble pas approprié. Or la formation de tous les intervenants garantit un bon accueil des victimes.

Prenons appui sur ce qui existe pour continuer à progresser face à la situation nouvelle que nous vivons aujourd'hui. La libération de la parole à laquelle nous assistons est passionnante, mais elle exige notre vigilance. C'est pour une meilleure condamnation sociétale des agressions sexuelles et des viols que nous avons formulé, sous l'égide du Haut conseil à l'égalité, en octobre 2016, un avis, assorti de douze recommandations, que nous avons adressé à Laurence Rossignol, alors ministre, que je salue.

Les violences sexuelles ont été intégrées au 5 ème plan gouvernemental de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes, et nous souhaitons qu'elles restent une priorité.

Deux questions cependant doivent être traitées. En premier lieu, Édouard Durand et moi-même avons beaucoup travaillé sur les mots : nous ne parlons plus de consentement, mais de contrainte. Le procureur adjoint à Bobigny, avec lequel je travaille, a comparé notre point de vue sur le viol à l'image du braqueur qui utilise un pistolet pour arriver à ses fins. C'est la même chose pour le viol : si l'on ne regarde que la victime, on ne verra pas nécessairement les moyens - menace, surprise ou violence - que l'agresseur a utilisés pour la forcer.

Il est donc extrêmement important de resituer précisément la définition du viol. C'est en 1980, après le procès d'Aix-en-Provence, que le regard a complètement changé sur le viol en se portant sur l'agresseur. On a alors commencé à comprendre que la victime peut ne pas être capable de manifester son non-consentement. C'est précisément le cas de la petite fille de Seine-et-Marne ou de celle de Pontoise... On sait que cette dernière avait montré à l'agresseur son carnet scolaire sur lequel figurait son âge (onze ans), lui suggérant ainsi qu'elle ne pouvait pas être d'accord. Elle pensait qu'il allait comprendre... Elle l'a suivi par peur ! Soyons vigilants pour ne pas nous concentrer exclusivement sur le consentement de la victime, mais également sur les moyens de l'agresseur.

En second lieu, il faut fixer un âge en-dessous duquel la contrainte entre un majeur et un mineur serait automatiquement constituée. Personnellement, je pense que l'âge se discute. Au HCE, nous avons choisi treize ans et moins, car nous voulions que l'écart d'âge entre le jeune majeur et la victime soit suffisant pour que la législation soit inattaquable et que son application ne suscite aucune difficulté. Nous avons choisi un écart suffisamment important - entre treize et dix-huit ans -, mais la discussion reste ouverte. Il faut en tout cas par la loi fixer un interdit suffisamment fort. Cela servira à la fois à la pénalisation et à la prévention du viol.

Par ailleurs, certains envisagent un allongement des délais de prescription. Depuis 2017, la loi fixe un délai de prescription de six ans pour un délit et de vingt ans pour un crime 352 ( * ) . Pour les mineurs, ce délai ne court qu'à partir de l'âge de dix-huit ans car ils ne peuvent pas ester en justice avant leur majorité. Lors des débats, certains souhaitaient mettre à égalité tout le monde - vingt ans pour tous - mais les enfants ne peuvent pas porter plainte avant leurs dix-huit ans : il ne s'agit donc pas de leur donner une dérogation, mais d'appliquer la justice. Si l'adulte n'entend pas ou ne veut pas entendre un enfant révélant des violences sexuelles, la souffrance de l'enfant va perdurer et cela provoquera un stress post-traumatique important. Nous avons tous entendu parler de la mémoire traumatique. Cela peut prendre du temps pour retrouver le souvenir du viol.

L'agression sexuelle d'un enfant provoque des conséquences tellement graves sur son développement affectif, cognitif et physique qu'il faut maintenir l'écart de prescription entre un majeur et un mineur. La Mission de consensus , sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineur-e-s, proposée par Laurence Rossignol et co-présidée par Flavie Flament et Jacques Calmettes, proposait un délai de trente ans. Les conséquences du viol d'un mineur sont telles que le droit à l'oubli n'a pas de sens dans ce cas. La victime, elle, n'est pas dans l'oubli. Pourquoi l'agresseur ne subirait-il pas de conséquences, quand bien même s'il s'agit d'un homme devenu âgé qui a autrefois violé sa petite fille ?

Depuis 2016, l'inceste est entré dans le code pénal avec une définition précise ; il était temps ! Mais toutes les conséquences n'en ont pas été tirées. Dans le code pénal, un crime commis par une personne ayant autorité est une circonstance aggravante, mais l'inceste n'est pas plus pénalisé qu'une agression commise par un moniteur sportif. C'est aberrant ! La relation affective dans le cadre familial devrait être un socle de sécurité, et donc une circonstance aggravante en cas d'agression.

Le Haut conseil à l'égalité propose un accompagnement et une prise en compte des violences sexuelles par deux mesures incluses dans le 5 ème plan gouvernemental de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes, mais qui doivent être mieux appliquées : d'une part, l'intégralité des soins somatiques et psycho-traumatiques des victimes doit être prise en charge à 100 %, à l'instar de ce qui existe pour les victimes du terrorisme. Les victimes du « terrorisme familial » ne doivent pas être traitées différemment. Je co-anime actuellement au ministère de la Santé un groupe de travail sur cette piste, certes coûteuse, mais très importante. Au moment où vous débattez du budget, soyez vigilants !

D'autre part, préservons les preuves d'un viol, même si la victime n'a pas préalablement porté plainte. Actuellement, pour pouvoir se rendre dans une unité médico-judiciaire (UMJ), il faut porter plainte et avoir une réquisition du procureur.

En cas de viol, une femme a le réflexe d'aller voir un médecin pour savoir si elle est enceinte ou atteinte d'une maladie sexuellement transmissible. La Sécurité Sociale paie les analyses et les soins correspondants. Un simple geste supplémentaire permettrait de garder l'ADN de l'agresseur, afin de vérifier dans le fichier national qu'il n'a pas déjà été condamné. Pour la victime, c'est aussi un élément de réalité. Dans les UMJ, le fait de prélever l'ADN pour le ressortir en cas de plainte montre que vous êtes cru. Or les victimes de violences sexuelles portent rarement plainte, de peur qu'on ne les croie pas, car l'agresseur les prétendra consentantes. À Bordeaux, où est expérimenté ce dispositif, une étude sur dix ans a montré que pour les personnes qui se sont rendues aux UMJ indépendamment d'une plainte, le taux de plaintes passait de 10 à 30 %. Cela suppose d'avoir quelques moyens techniques, un lieu de recueil et un répertoire ; mais si la volonté politique existe, cela se fera !

La loi de juillet 2010 353 ( * ) prévoit dans le code de l'éducation nationale des mesures de prévention sur les violences faites aux femmes par le biais de l'éducation à la sexualité et de la sensibilisation à l'égalité. Sept ans après, nous n'y sommes pas du tout. Cela se fait plus ou moins dans les établissements scolaires. Toutefois, en cas d'agression grave, il arrive que l'on nous sollicite en urgence pour intervenir... Cette prévention relève aussi d'une éducation à la sexualité qui ne soit pas uniquement « technique », mais qui évoque des relations humaines respectueuses...

Je voudrais dire un mot des viols jugés aux assises, c'est-à-dire les viols les plus graves. Dans une enquête menée en Seine-Saint-Denis sur les viols jugés aux assises, on constate que dans 33 % des cas seulement, l'ADN est mobilisé comme moyen de preuve. Cela montre que lorsque l'enquête est bien faite, les policiers bien formés, il y a mille autres façons de trouver des preuves. Ceci vaut également pour la prescription. Souvent, il n'y a pas de témoins de l'agression et, fréquemment, la victime ne se souvient de rien dès le lendemain... C'est l'enquête qui déterminera les choses, d'où l'importance de la prise en charge psycho-traumatique, d'un bon accompagnement par les UMJ ou les médecins, d'une enquête de voisinage... À mon avis, il n'y a pas plus d'éléments le lendemain que trente ans après... Souvent, il est rare que le violeur n'ait agressé qu'une seule personne, même s'il est difficile de détecter les réitérants, c'est-à-dire ceux qui recommencent mais ne se font pas arrêter. Faire des enquêtes de qualité suppose du personnel formé en nombre suffisant : là est le principal défi.

Annick Billon, présidente . - Merci de vos interventions. Vous disiez, Édouard Durand, que la proposition de loi relative à la garde alternée vous « glaçait le sang ». En effet, imaginer qu'on règlera d'un seul coup les problèmes de séparation en décidant que la résidence de l'enfant doit être alternée relève d'un certain amateurisme pour le législateur. Nous devrons tous nous mobiliser au moment de son examen par notre assemblée. Je vous ai entendu. Vous avez bien défini les différents cas de séparation ; chacun doit être traité différemment. Vos propos me rassurent dans mes convictions.

Madame Ronai, une prise en charge à 100 % des soins post-traumatiques au profit des victimes de violences sexuelles est une excellente proposition. Toutes les études scientifiques montrent l'importance et la durée du traumatisme des violences conjugales sur les victimes ainsi que sur les enfants, victimes collatérales.

Laurence Rossignol, en tant que ministre, a fait énormément progresser les choses et il est heureux qu'elle fasse partie de notre délégation. Parmi les arguments contre le passage à une prescription de trente ans, la crainte que les preuves aient disparu est très fréquemment objectée. Vous avez montré les limites de cet argument et avez souligné l'importance de la formation de tous les acteurs, cruciale pour recueillir les témoignages et autres preuves. J'en prends note en vue de l'examen du projet de loi annoncé.

Monsieur Durand, pourriez-vous nous éclairer sur la pratique, qui semble devenue assez fréquente, de la correctionnalisation des affaires de viol : existe-t-il des statistiques démontrant un recours plus fréquent au tribunal correctionnel qu'aux assises pour juger ces affaires ? Quels sont selon vous les facteurs expliquant cette pratique ? Quelles peuvent en être les conséquences pour les agresseurs et les victimes ? Cela vous paraît-il une bonne ou une mauvaise évolution ? Si vous pensez que c'est une mauvaise chose, comment selon vous remédier à cette « dérive » ?

Pourriez-vous nous rappeler les différences entre médiation familiale et médiation pénale, et nous expliquer si ces médiations sont pertinentes ou, au contraire, totalement contre-indiquées, dans les cas de violences conjugales ?

Quel regard portez-vous sur la prise en charge des auteurs de violences ou des agresseurs sexuels, notamment s'agissant des stages de responsabilisation ? Quelles seraient selon vous les marges de progression en ce domaine ?

Madame Ronai, pourriez-vous nous dresser un bilan de la formation des professionnels susceptibles d'être en contact avec des femmes victimes de violences conjugales ou sexuelles ? Que reste-t-il à faire en matière de formation des professionnels de justice et de sécurité ? Peut-on, selon vous, aller au-delà de la formation et de la sensibilisation des acteurs pour améliorer l'accueil et la prise en charge des victimes de violences ?

Après la mesure d'accompagnement protégée (MAP), le département de Seine-Saint-Denis met en place une nouvelle mesure, celle de l'espace de rencontre protégé. Pourriez-vous nous dire en quoi consiste cette mesure et quelles sont les conditions actuelles de sa mise en oeuvre ?

Enfin, pourriez-vous nous faire un point sur la mesure d'accompagnement protégé (MAP) mise en place en Seine-Saint-Denis : ce dispositif s'est-il révélé efficace ? A-t-il été généralisé à d'autres départements ou bien existe-t-il uniquement en Seine-Saint-Denis ? Quelles sont les perspectives d'évolution de cet outil ?

Françoise Laborde, co-rapporteure. - Vos interventions s'inscrivent dans l'ensemble des travaux consacrés aux violences par notre délégation. En 2016, nous vous avions entendu sur les traumatismes enfouis dont le souvenir revient grâce aux soins psycho-traumatiques. Vous nous aviez expliqué que la prise en charge devrait être similaire à celle des victimes du terrorisme : voir un psychologue trois mois, six mois ou un an ne suffit pas. Il faut un travail au long cours pour un possible réveil des souvenirs.

Vous avez raison de le souligner une nouvelle fois : l'emprise du parent agresseur peut perdurer par le biais de l'enfant ; la coparentalité ne se limite pas à l'accompagnement à l'école ou à recevoir les papiers...

Parfois, la victime peut de nouveau rencontrer son agresseur, non encore jugé ou dans le cas d'un aménagement de peine. J'aimerais travailler sur cette question de l'aménagement des peines dans le cadre d'un véhicule législatif adapté.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Il était indispensable que notre délégation vous entende. Je n'aurais pas fait le quart de ce que j'ai pu réaliser en tant que ministre sans M. Durand et Mme Ronai. Je cite souvent Édouard Durand : « L'enfant témoin est un enfant victime », ce qui est une révolution dans la prise en compte des violences conjugales. La MIPROF a contribué à changer cet angle de vue.

Je vous suggère un déplacement à l'UMJ de Saint-Malo, hôpital dans lequel est réalisé un remarquable travail de décloisonnement sur l'écoute des enfants et la lutte contre les violences faites aux femmes... Ils ont même réussi à faire réduire le nombre de réitérations, grâce au travail conjoint de la police, de la gendarmerie, du parquet, du siège et des médecins.

Je suis très perplexe sur la « correctionnalisation » du viol. Certains parquetiers engagés dans la lutte contre les violences faites aux femmes considèrent que le tribunal correctionnel assure une plus grande certitude de condamnation. On peut en douter au vu des récentes affaires de Pontoise et de Seine-et-Marne. Dans le premier cas, c'est la qualification d'atteinte sexuelle et non celle de viol qui a été retenue, et le prévenu a été condamné, sous ce motif, à des peines moins sévères. Dans l'affaire de Seine-et-Marne, le jury a acquitté l'auteur des faits, inculpé pour viol. Certes, il peut être difficile de convaincre les jurés...

M. Durand, bravo pour votre raisonnement sur la résidence alternée. Merci également pour vos remarques sur l'autorité parentale. En effet, il convient de dissocier l'autorité parentale du maintien du lien. Comment expliquer que le père meurtrier de la petite Marina ait conservé, après sa condamnation aux assises, l'autorité parentale sur ses frères et soeurs, placés à l'Aide sociale à l'enfance ? Ces enfants doivent solliciter l'accord d'un criminel tortionnaire pour des actes anodins de la vie quotidienne... En 2016, nous avons fait en sorte que le juge ait à justifier les raisons pour lesquelles il maintient l'autorité parentale d'une personne condamnée.

J'avais obtenu une circulaire du ministère de la Justice sur le syndrome d'aliénation parentale, mais elle doit être appliquée. Le processus est lent. Ne relâchons pas la pression, sous peine de revenir en arrière.

Dans la proposition de loi dont j'ai pris l'initiative, mes collègues et moi avons proposé l'âge de quinze ans en deçà duquel l'absence de consentement est présumée, par cohérence avec les atteintes sexuelles. Le HCE a défini un seuil de treize ans en se référant aux autres pays européens, qui depuis ont augmenté cet âge. Ce débat reste ouvert.

Les députés sont sous la pression des « masculinistes » pour la garde alternée. Pour les trouver, prenez la liste des signataires des appels au soutien aux pères sur les grues... Nous avons raison d'être vigilants !

Françoise Cartron. - C'était un grand moment d'entendre vos présentations si claires. Dans les écoles, le retard de prévention est probablement dû au défaut de formation des enseignants, qui considèrent que ce n'est pas leur mission première. Avez-vous des contacts avec les Écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) pour mettre en place des modules de formation obligatoire de prévention et de vigilance à destination des enseignants ?

Je m'interroge, moi aussi, sur les bénéfices de la résidence alternée. Nous le savons, les enfants ont un besoin fondamental de repères et de stabilité. On peut l'observer, même en cas d'entente entre les parents, faire sa valise chaque semaine ne répond peut-être pas aux besoins de l'enfant...

Laurence Cohen, co-rapporteure. - Merci pour cette riche présentation. C'est extrêmement important d'avoir, quelle que soit notre sensibilité politique, un travail sur la protection des mineurs en cas de viol. J'ai déposé avec le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) une proposition de loi fixant l'âge minimal du consentement à quinze ans. Même si je suis membre du HCE, j'ai évolué après plusieurs auditions quant à la maturité des enfants et aux traumatismes engendrés. Le HCE avait aussi choisi l'âge de treize ans pour harmoniser sa position avec celle d'autres pays, qui l'ont changée depuis - comme le rappelait Laurence Rossignol. Soyons également cohérents avec l'âge de la majorité sexuelle. La priorité, c'est de protéger les enfants. Si un consensus se dessine pour treize ans, je ne le refuserai pas. Actuellement, le seuil est à cinq ans ! C'est terrible...

Je suis troublée car des magistrats que j'ai rencontrés ne semblent pas estimer si grave le glissement vers la « correctionnalisation » du viol. En cela, je rejoins Laurence Rossignol. Selon ces magistrates - toutes des femmes - le tribunal correctionnel juge plus vite et le verdict est moins aléatoire, tandis que la cour d'assises rassemble magistrats et jury, avec des risques possibles. Certes, le viol est un crime et relève de la cour d'assises, mais en même temps il n'est pas concevable que les victimes y soient moins bien défendues. Je souhaiterais avoir votre éclairage sur ce point.

Enfin, soyons cohérents : il ne saurait y avoir de véritable politique contre les violences faites aux femmes sans moyens financiers. Oui, prenons en charge 100 % des soins aux victimes de violences. Mais nous ne pouvons pas, dans le même temps, voter un projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) indigent...

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - ... ni un projet de loi de finances !

Marta de Cidrac . - Merci pour cet exposé passionnant. Monsieur Durand, j'ai beaucoup aimé votre expression de « femme, sujet de droit ». Nos analyses sur les droits des femmes gagnent à s'appuyer sur des outils juridiques pointus. Cette remarque vaut pour les droits de l'enfant.

Nous nous interrogeons sur l'âge à partir duquel il y a contrainte. Il me semble étonnant qu'il faille légiférer sur ce sujet. Dès lors qu'il y a une agression, la contrainte ne devrait faire aucun doute... De même, par définition, l'inceste est commis dans le cadre familial : comment définir les circonstances aggravantes en matière d'inceste ?

Nicole Duranton, co-rapporteure . - Merci pour ces interventions passionnantes et enrichissantes. Dans la lutte contre les violences faites aux femmes, il manque une meilleure synergie entre les forces de sécurité et les professionnels de la santé et de la justice. C'est un enjeu majeur. Dans le bilan du HCE de novembre 2016 sur la mise en oeuvre du 4 ème plan de lutte contre les violences faites aux femmes, vous préconisez l'instauration de commissions départementales. Où en sont-elles ?

Par ailleurs, le viol conjugal est souvent passé sous silence au sein du couple, la frontière avec ce que l'on appelait « le devoir conjugal » étant ténue. Seules 2 % des femmes portent plainte. Comment faire changer les mentalités et inverser la tendance ?

Christine Prunaud . - J'ai été passionnée par vos interventions, plus particulièrement sur la garde alternée. Récemment, elle était considérée comme la « moins pire » des solutions pour les enfants, or vous remettez en cause ce présupposé... Nous avons également besoin de travailler ensemble sur l'âge du consentement. Merci de votre engagement.

Édouard Durand . - Merci de vos questions, qui recouvrent bien les enjeux des violences sexuelles, conjugales et familiales...

Ernestine Ronai citait tout à l'heure l'interdit moral. En tant que citoyens, nous assumons de porter un regard moral sur la famille, avec l'interdiction de la violence en son sein. Deux logiques peuvent être adoptées à cet égard. Selon la logique du droit du principe, la famille n'est pas un groupe si spécifique que les principes d'organisation de la société ne peuvent s'appliquer à elle, comme la liberté et l'égalité - être ou non un sujet. Selon la logique du droit du modèle, la famille est un regroupement humain si particulier que l'organisation des rapports en son sein doit se conformer à un modèle spécifique.

Nous pensons pour notre part que le rapport homme-femme, père-mère, mari-épouse doit suivre le droit du principe pour penser l'altérité sexuelle et aussi l'égalité entre les époux. Mais nous pensons aussi que la place des enfants et leur protection doivent suivre la logique du droit du modèle : ils ont des besoins qui sont universels, comme la sécurité, ainsi que le montrait la Mission de consensus demandée par Laurence Rossignol. Nous ne pouvons pas faire ce que nous voulons au sein de la famille. Pour survivre, un enfant doit faire appel à une figure d'attachement - comme lorsqu'on appelle à l'aide en cas de besoin -, souvent la mère. Si l'on ne prend pas cela en compte, on désorganise son développement.

Je reviens sur la remarque de Laurence Rossignol : peut-on faire confiance au juge ? J'en suis persuadé. Mais il y a un risque d'inconstitutionnalité et d'inconventionalité d'une loi qui systématiserait le retrait de l'autorité parentale en cas de viol ou d'agression sexuelle. Actuellement, la loi oblige le juge à se poser la question, mais il ne s'en saisit pas assez et ne justifie que rarement l'absence de retrait d'autorité parentale.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Cela se passe ainsi ?

Édouard Durand . - Il y a trop peu de traitement de l'autorité parentale sur le plan pénal. Souvent, la question n'est pas réglée...

Ernestine Ronai . - ... même en cas de « féminicide » !

Édouard Durand . - Oui. Les magistrats raisonnent au cas par cas, et c'est leur fonction : individualiser la réponse civile ou pénale aux enjeux d'une situation particulière. Mais ils ne peuvent pas faire l'économie des grands modèles, au risque de devenir arbitraires. Souvent, toutefois, au cas par cas, le juge aux affaires familiales fait la même chose, et décide systématiquement l'exercice conjoint de l'autorité parentale dans le cadre de la garde alternée ou du droit de visite et d'hébergement classique, parce qu'il ne se réfère pas à ces grands modèles devant guider le travail des juges...

Selon certains, dans une optique féministe, la résidence alternée permettrait aux mères de dégager davantage de temps pour leur vie personnelle ; c'est illusoire ! Ce qu'elle ferait une semaine comme mère, elle le ferait la semaine suivante comme belle-mère. En tant que législateurs, faites attention à l'espace que vous pensez créer pour ces femmes ; ce n'est pas la bonne solution.

Avec les lois de 2010 et de 2014, le législateur a exclu le recours à la médiation pénale dans le cas de violences conjugales. On ne peut pas avoir d'alternative aux poursuites pénales ni poursuivre son agresseur sous réserve de sa participation à la médiation pénale - cela mettrait les deux personnes sur un même plan. Mais le législateur a, parallèlement, ouvert la possibilité de la médiation familiale, donc civile, ordonnée par le juge aux affaires familiales et non par le procureur de la République, dans le cadre de la loi de modernisation de la justice du XXI e siècle 354 ( * ) . Or cette justice a plutôt comme modèle l'industrie du XIX e siècle : il faut aller toujours plus vite et tendre à des modèles de traitement « tout faits »... Il faut, j'en suis convaincu, que la loi prévoie une exception très claire à la médiation familiale, notamment en cas de violences conjugales, en l'excluant dès lors que les violences sont alléguées, et pas seulement commises. Pour éviter la médiation, il suffirait alors de dire qu'on a été victime de violences pour que le juge se saisisse ensuite du fond du dossier.

Nous sommes souvent victimes d'une illusion d'optique : depuis longtemps, les agresseurs sexuels bénéficient d'une attention sociale, et notamment de soins, éventuellement sous contrainte. Je suis favorable au contrôle par la société des soins aux sujets violents, à ce retrait de liberté nécessaire pour préserver de la violence tant l'espace public que l'espace privé. Mais nous devons avancer au rythme des victimes et non à celui des agresseurs, même si le parcours de soins de l'agresseur est très important, long et patient, et qu'il lui permet de ne plus être violent. Le psycho-traumatisme de la victime peut être très grave. La psychologue Linda Tromeleue nous met en garde : « nous ne devons pas nous laisser infiltrer par la pensée de l'agresseur, car il s'agit de grande criminalité ».

Il existe déjà un interdit - et une infraction - d'atteinte sexuelle pour une relation sexuelle avec un enfant de quatorze ans au plus, et cette qualification a été utilisée à Pontoise pour poursuivre l'agresseur devant le tribunal correctionnel. La loi ne dit pas qu'on est majeur sexuellement à partir de quinze ans - l'idée de majorité sexuelle est perverse - car un enfant est mineur jusqu'à dix-huit ans, et ses parents sont responsables de sa protection, y compris sur le plan de la découverte de sa sexualité. Mais un majeur ne commet pas d'infraction si le mineur de quinze ans ou plus est consentant.

À Pontoise, la société est parvenue à voir la scène, ce qu'il y avait de choquant à se représenter une pensée égalitaire entre cet adulte et cette enfant de onze ans et les conséquences de cet acte sur le développement mental, affectif, corporel et sexuel de l'enfant. Mais nous avons des injonctions sociales très contradictoires : voyez l'hypersexualisation des enfants, sur laquelle Chantal Jouanno a publié un rapport 355 ( * ) . Le pédopsychiatre Maurice Berger a écrit un article : « Que reste-t-il du rôle civilisateur du complexe d'OEdipe ? », dans un environnement affecté d'un côté par l'hypersexualisation de l'enfance, et l'accès précoce à la sexualité, et de l'autre, par une volonté de perfectionner la protection de l'enfance...

Ce qui est moral, c'est de protéger le développement de l'enfant, car il est vulnérable et garant de la continuité du monde. Il faut fixer un seuil d'âge en dessous duquel l'agression est systématiquement qualifiée d'agression sexuelle ou de viol. Un acte sexuel reste possible entre adultes et avec un mineur de quinze ans ou plus, si cet âge est retenu, s'il n'y a ni menace, ni contrainte et ni surprise. En deçà de ce seuil, l'agression est systématiquement constituée.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - En conséquence, vous choisiriez quinze ou treize ans ?

Édouard Durand . - Le « mineur » est celui qui a moins de dix-huit ans, un « mineur de treize ans » a douze ans ou moins, un « mineur de quinze ans » a quatorze ans ou moins - quinze ans exclus. Dans la moyenne des pays européens, le seuil est de treize à quinze ans. Si le seuil de treize ans préconisé par le HCE est choisi, il restera la qualification d'atteinte sexuelle, donc au total trois régimes de qualification. Un seuil de treize ans ? donc jusqu'à douze ans inclus - me semble trop faible. Un seuil à quatorze ans serait une bonne moyenne - c'est une façon de ne pas répondre...

Mme Ronai a prononcé une phrase remarquable sur les tribunaux en parlant des viols jugés aux assises, « c'est-à-dire des viols les plus graves »... Cela dit beaucoup : normalement, chaque viol est un crime, et doit être jugé par la cour d'assises, tandis que le délit est une infraction jugée par le tribunal correctionnel. C'est la juridiction qui détermine la qualité de l'infraction, et non la gravité de l'acte. Or notre système établit une sorte de graduation entre les crimes plus ou moins graves... C'est un problème de principe.

Certains font davantage confiance au magistrat qu'au citoyen, il faudrait peut-être concilier les deux... D'autres experts seraient plus compétents que moi sur ce sujet. Je suis juge des enfants, donc aussi juge pénal des enfants délinquants. Les enfants criminels de moins de seize ans sont jugés par le tribunal pour enfants statuant en matière criminelle ; ceux de seize et dix-sept ans par la cour d'assises des mineurs ; les adultes criminels par la cour d'assises. Or la correctionnalisation ne se produit que pour les cours d'assises des mineurs. On ne correctionnalise pas pour les enfants de moins de seize ans car ils sont quand même jugés par le juge pour enfants. C'est quelque chose de purement opportuniste à mon avis. Le système garde les conséquences de la qualification criminelle des actes des enfants de moins de seize ans : le fichier sur les infractions sexuelles, le casier criminel... Nous sommes beaucoup plus complaisants avec les enfants de plus de seize ans et les adultes qu'avec ceux qui ont moins de seize ans. Inspirons-nous du tribunal pour enfants jugeant en matière criminelle.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Que va dire la Chancellerie!

Ernestine Ronai . - Je voudrais revenir sur la correctionnalisation.

Dans l'enquête que nous avons réalisée en Seine-Saint-Denis, 46 % des agressions sexuelles jugées devant le tribunal correctionnel étaient en réalité des viols. C'est énorme ! Quel est l'intérêt de la cour d'assises ? Certes, elle coûte cher, mais elle présente le grand avantage de juger selon une procédure orale, ce qui signifie que la victime et l'agresseur entendent les éléments du dossier lors de l'audience, les experts, la famille.

La valeur pédagogique de ce principe est très forte, car la victime peut se reconstruire et l'agresseur peut reconnaître les faits, même s'il était dans le déni au départ. Or la compréhension est essentielle pour la prévention de la récidive. Tout le monde sait aussi que les avocats de la défense peuvent être durs avec la victime, et donc extrêmement déstabilisants pour elle. C'est pourquoi la personne qui vient en cour d'assises ne doit pas être seule ; elle doit être accompagnée par une association et préparée à la cour d'assises.

Il est inexact d'affirmer que les affaires jugées en cour d'assises ne donnent pas lieu à condamnation. En Seine-Saint-Denis, selon l'enquête que nous avons réalisée, la décision de poursuivre par le procureur a donné lieu à 92 % de condamnations en cour d'assises et à 82 % en correctionnelle, soit une bonne moyenne de condamnation dans les deux cas. En réalité, quand l'enquête est bien menée, les faits peuvent être reconnus. Il ne faut pas sous-estimer la qualité de l'enquête, capitale pour la suite de la procédure. Or tous les magistrats ne sont pas sensibilisés à son importance.

J'ai indiqué que l'ADN était pris en compte dans 33 % des cas en cour d'assises, et beaucoup moins en correctionnelle. Cela dit, l'ADN n'est pas le seul élément déterminant de preuve.

Autre élément en faveur du maintien des cours d'assises, peut-être en les améliorant : selon le procureur adjoint de Bobigny, les jurés de la société civile ne jugent pas plus mal que les juges de métier, qui peuvent ne pas être très favorables aux victimes. Il faut impérativement dire le droit aux jurés. Personnellement, je reste assez attachée à la cour d'assises et aux moyens qui lui sont accordés.

Sur la question du viol conjugal, le nombre de plaintes est en augmentation, de même que celui des condamnations, si les plaintes sont correctement traitées. La notion de « devoir conjugal » commence à s'estomper ! Grâce aux médias, les Français prennent conscience qu'un viol conjugal, cela existe. Sans doute avons-nous encore besoin d'une campagne de grande ampleur, après celle de mars 2016 sur les agressions sexuelles et les viols. La société est prête, agissons en accord avec elle : télévisions, affiches, flyers ...

Vous avez un rôle à jouer pour nous aider. Ce n'est pas à vous que j'apprendrai l'histoire du budget ridiculement petit du secrétariat d'État chargé de l'Égalité entre les femmes et les hommes. Nous devons engager un vrai travail dans ce domaine, en ayant le souci de rétablir l'expression « droits des femmes » dans l'intitulé de ce département ministériel. C'est à mes yeux très important de parler de violences faites aux femmes plutôt que de violences sexuelles et sexistes, car dans la société actuelle, ce sont les femmes qui sont majoritairement victimes de violences, notamment dans l'espace privé et par une personne connue dans 90 % des cas. Le profil des hommes victimes est différent : les hommes subissent plutôt des violences physiques dans l'espace public, et par des inconnus. Poursuivons donc les efforts consacrés à la lutte contre les violences faites aux femmes.

J'en viens aux circonstances aggravantes.

L'inceste est défini depuis 2016 par le code pénal, mais celui-ci n'a pas prévu une peine spécifique à la hauteur de la gravité de l'inceste. Le fait que l'auteur exerce sur le mineur une autorité est une chose, mais il faudrait ajouter une autre mention différenciant l'inceste du viol ou de l'agression sexuelle. Une agression au sein de la famille ne peut être traitée comme les autres cas.

Je vous rappelle que dans notre avis sur le viol, nous proposions que, jusqu'à dix-huit ans, une relation entre un majeur détenteur de l'autorité parentale et un mineur de dix-huit ans sur lequel s'exerce cette autorité soit considérée ipso facto comme un viol ou une agression sexuelle. Cette idée me paraît très importante et pourrait être intégrée dans une future loi.

Je vous remercie sincèrement de votre attention et de vos questions, car grâce à vous, des évolutions sont possibles. Je connais déjà l'engagement de certains d'entre vous sur ces sujets. Ce combat est long et difficile. Pour le mener à bien, nous avons besoin de vous ! (Applaudissements.)

Annick Billon , présidente . - Nous avons été très heureux de vous recevoir aujourd'hui : nos collègues ont été passionnés par vos interventions et par les pistes de réflexion que vous nous avez livrées. La délégation aux droits des femmes a la ferme volonté de défendre les femmes victimes de violence, forte de son expérience dans ce domaine et avec une dynamique nouvelle due au renouvellement des membres de la délégation. Monsieur Durand, vous êtes un homme de consensus...

Laurence Rossignol, co-rapporteure. - De compromis !

Annick Billon , présidente . - ...en proposant l'âge de quatorze ans ! Pour ma part, je ne m'étais pas aventurée à cosigner les propositions des lois qui ont été déposées depuis quelques semaines sur ce sujet. Je ne voulais pas, en tant que présidente de la délégation, me positionner avant que le débat ne soit ouvert et tranché entre nous.

Vos propos sur la « correctionnalisation » du viol sont très éclairants. Beaucoup reste encore à faire en matière de lutte contre les violeurs mais il faut poursuivre les efforts entrepris en matière de formation et promouvoir une campagne d'information, comme vous le suggérez. Nous devons tous être vigilants car bien souvent, les organismes qui protègent les victimes de violence sont à la merci des budgets et des subventions qui leur sont alloués, sans garantie de pérennité suffisante dans le temps pour agir efficacement sur le long terme. Nous aurons d'autres occasions d'échanger sur tous ces sujets. Merci à tous !

Ernestine Ronai. Nous vous invitons en Seine-Saint-Denis !

Annick Billon, présidente . - Nous acceptons cette invitation avec grand plaisir. Je remercie M. Durand et Mme Ronai, ainsi que tous ceux de nos collègues qui sont intervenus ce matin.

Audition de Laurence Rossignol, ancienne ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, membre de la délégation,
sur les 4ème et 5ème plans de mobilisation et de lutte
contre toutes les violences faites aux femmes

(23 novembre 2017)

Présidence d'Annick Billon présidente

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, ainsi que vous en avez été avisés hier, l'audition de Maudy Piot a été annulée. Nous espérons que la santé de la présidente de Femmes pour le dire, femmes pour agir lui permettra de participer d'ici quelques semaines à une nouvelle audition, conformément à son souhait. Je forme des voeux, en notre nom à tous, pour son rétablissement.

Avant d'entendre notre collègue Laurence Rossignol, ancienne ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, je propose que nous procédions à la désignation des membres du groupe de travail sur les femmes handicapées victimes de violences.

J'ai reçu les candidatures de :

- Chantal Deseyne (LR) ;

- Martin Lévrier (LaREM).

Quels sont les autres membres proposés par les autres groupes à raison d'un sénateur par groupe politique ?

Je prends note de la candidature de Roland Courteau (SOCR).

Nous attendons le retour des autres groupes pour poursuivre la désignation des membres de ce groupe de travail.

Par ailleurs, je rappelle que notre collègue Loïc Hervé est membre pour l'Union centriste de notre groupe de travail sur le harcèlement. Si vous en êtes d'accord, je souhaiterais également participer aux travaux de ce groupe en tant que présidente de la délégation, dans la perspective de l'examen du projet de loi annoncé par le Gouvernement. Je vous en remercie.

J'en viens à notre première séquence.

Cette matinée s'inscrit dans les travaux que nous avons décidé d'entreprendre, non seulement sur le harcèlement et plus globalement sur toutes les agressions sexuelles, mais aussi sur les mutilations sexuelles et sur les violences faites aux femmes handicapées, sujet que Laurence Rossignol a qualifié, lors de notre réunion du 9 novembre, d'« angle mort » des politiques de lutte contre les violences faites aux femmes.

Je vous remercie, madame la ministre, chère collègue, d'avoir accepté d'intervenir devant la délégation deux jours avant la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, pour faire le bilan du 4 ème plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes (2014-2016) et pour nous éclairer sur la mise en oeuvre du 5 ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes (2017-2019).

Nous connaissons toutes et tous votre engagement dans la lutte contre les violences faites aux femmes qui se trouvent depuis plusieurs semaines dans l'actualité quotidienne, nationale et internationale.

Comme l'ont rappelé nos interlocuteurs de la semaine dernière, vous avez largement contribué à faire progresser la lutte contre les violences faites aux femmes à travers une action ministérielle particulièrement dynamique.

Je vous laisse sans plus tarder la parole, puis nous vous poserons des questions.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Merci, madame la présidente, de m'avoir proposé de partager avec toute la délégation mon expérience sur le sujet des violences faites aux femmes.

Je vais donc exposer l'articulation entre les 4 ème et 5 ème plans de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes.

Rappelons que le premier plan de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes a été élaboré en 2004 pour la période 2005-2007 et partait du constat qu'il ne suffisait pas d'aggraver les sanctions pénales pour faire diminuer le nombre des violences faites aux femmes. En effet, ces violences s'inscrivent dans un long continuum qui nécessite à la fois des actions de prévention, d'éducation et d'accompagnement.

Les statistiques indiquent, invariablement, qu'une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son compagnon ou de son ex-compagnon. Je suis cependant quasiment certaine que ces chiffres sont en deçà de la réalité car ils n'intègrent pas les données relatives aux suicides consécutifs aux violences psychiques et psychologiques, ni toutes les maladies engendrées par la consommation de psychotropes, tabac et alcool qui vont généralement de pair avec un état psychologique dégradé.

Pour brosser un tableau schématique :

- les meurtres interviennent dans un nombre non négligeable de cas lors des procédures de séparation, les hommes tuant leur compagne ou ex-compagne au nom de ce qu'ils considèrent comme une « extension du droit de propriété ». Les affaires de meurtres commis par des femmes au sein d'un couple, si elles existent aussi, sont de nature très différente ;

- les violences quotidiennes perpétrées contre des femmes, à leur stade ultime, mènent aussi à leur lot de meurtres ; elles sont donc toutes susceptibles de déboucher sur la mort de la victime de ces violences.

Le premier plan a donc été fondé sur l'idée qu'il fallait une politique globale et concertée autour des violences faites aux femmes. Il faut saluer la continuité de l'action des différents gouvernements, par-delà les alternances politiques, entre le premier plan débuté en 2005 et le 5 ème plan initié en 2016 : il n'y a pas eu d'interruption dans la succession de ces plans pour continuer à améliorer la politique en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.

Le 4 ème plan a été évalué en 2016 par le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE). Cette évaluation a été effectuée dans le cadre de l'élaboration du plan interministériel suivant. Le HCE a dressé un bilan positif et encourageant de la mise en oeuvre du 4 ème plan, considérant qu'un cap qualitatif et quantitatif avait été franchi.

Parallèlement au 4 ème plan, des avancées législatives majeures ont permis de renforcer l'arsenal à la disposition des pouvoirs publics et des victimes :

- la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite ALUR 356 ( * ) a renforcé les obligations des acteurs et actrices départementaux afin de favoriser l'accès au logement social pour les femmes victimes de violences, notamment conjugales. Cette loi réduit en particulier le délai de préavis pour la sortie du logement social partagé avec un conjoint violent ; elle contient par ailleurs de nombreuses dispositions qui permettent de lever les obstacles se dressant devant les femmes qui veulent sortir des situations de violences ;

- la loi du 4 août 2014 357 ( * ) pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a intégré la dimension des violences faites aux femmes handicapées à la politique de prévention du handicap même si, à mon sens, des travaux restent à mener sur ce sujet. Elle prévoit aussi un renforcement du dispositif des ordonnances de protection, une formation des professionnels à la prise en charge des femmes victimes de violences sur laquelle je reviendrai, le développement des obligations des chaînes de télévision et de radio afin d'assurer le respect des droits des femmes et de lutter contre les images dégradantes. Comme je l'évoquais tout à l'heure, l'une des spécificités des violences faites aux femmes est ce continuum menant des violences sexistes quotidiennes au meurtre : c'est bien un ensemble de représentations dans lesquelles les violences sexuelles ou psychiques sont banalisées ou qui mettent en scène des femmes dans des situations dégradantes, qui permettent à la « culture du viol » de prospérer ;

- la loi du 17 août 2015 358 ( * ) relative au dialogue social et à l'emploi a introduit dans le code du travail la notion d'agissement sexiste, à l'initiative, je le rappelle, de plusieurs membres de la délégation ;

- la loi du 13 avril 2016 359 ( * ) visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées pose comme postulat que l'achat, la vente ou le trafic de services sexuels sont des violences à l'encontre des personnes prostituées, majoritairement des femmes.

En parallèle, des campagnes de communication ont permis d'améliorer l'accès aux droits pour les victimes, d'interpeller les auteurs de violences et de faire connaître les sanctions pénales qu'ils encourent : je vous rappelle notamment la campagne portant sur le harcèlement dans les transports.

Les outils visant à répondre à l'urgence et à prévenir la réitération des violences se sont étoffés avec la mise en oeuvre du 3919 , devenu un numéro de référence, que l'on essaye d'imposer dans le paysage médiatique afin qu'il devienne aussi connu que le 15 . De plus, des actions de formation ont été menées au sein des commissariats, gendarmeries et services d'urgence, avec notamment une mesure importante consistant dans la désignation d'un référent-e dans les services d'urgence des hôpitaux. Il s'agit en général d'un médecin ou d'un membre du personnel infirmier, spécialisé et capable d'identifier parmi les femmes qui se présentent aux urgences celles qui n'osent indiquer spontanément que leurs blessures résultent de faits de violences et en dissimulent l'origine sous couvert de douleurs abdominales ou de chutes.

La formation a concerné aussi les personnels éducatifs, la police municipale, les personnels d'animation sportive, culturelle et de loisirs mais aussi ceux de l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), dans un souci d'accompagner les victimes de violences commises contre les femmes réfugiées. À cet égard, j'ai posé pour principe que toute femme réfugiée était présumée avoir été victime de viol pendant son parcours. Ces femmes peuvent par exemple subir des relations sexuelles forcées pour prix de leur acheminement par des passeurs. Les femmes réfugiées seraient donc éligibles à l'ensemble des dispositifs que nous avons mis en place pour l'accompagnement psychologique et physique des victimes de violences ; malheureusement, les résultats à cet égard n'ont pas été à la hauteur de mes espérances.

J'en viens maintenant au 5 ème plan. Il s'inscrit dans la continuité du 4 ème tout en en renforçant les mesures.

Le chiffre de 400 000 personnes formées annoncé par la MIPROF 360 ( * ) a été confirmé lors de son audition du 16 novembre dernier par Ernestine Ronai ; connaissant sa rigueur, ce chiffre m'apparaît représentatif du volume horaire de formation, même si d'aucuns le contestent. Rappelons toutefois que les formations délivrées font beaucoup appel à des outils tels que les MOOC, sans toujours nécessiter la participation physique de l'auditeur aux réunions, lesquelles se déroulent d'ailleurs le plus souvent au plan local dans les services et les structures de terrain, de préférence à des formations organisées à Paris. De même, dans les hôpitaux, le référent forme à son tour les autres personnels hospitaliers.

Le 5 ème plan définit plusieurs priorités : assurer l'accès aux droits et sécuriser les dispositifs qui ont fait leur preuve pour améliorer le parcours des victimes, faciliter la libération de la parole, la révélation des violences, mieux mettre à l'abri les victimes et répondre à l'urgence en déterminant qui doit rester au domicile de la famille. À cet égard, diverses réponses sont possibles selon les situations, notamment en présence d'enfants, car il faut alors gérer les changements d'établissements scolaires, trouver des centres d'hébergement accueillant femmes et enfants parfois nombreux, auquel cas leur maintien au domicile est préférable, pour autant que les mesures d'éloignement du conjoint violent soient respectées. En ce qui concerne les ordonnances de protection et le téléphone grave danger (TGD), je m'étais attachée à ce que les procureurs qui disposent de TGD les attribuent en totalité, ce qui n'a pas toujours été le cas.

Le 5 ème plan entend également alourdir les condamnations des auteurs de violences, non pas en prononçant des peines plus sévères, mais en augmentant le nombre de poursuites diligentées et de condamnations contre ces auteurs. Enfin, nous avons souhaité prendre en compte les violences dans toute leur étendue, élargir la formation à d'autres professionnels, tels que les pompiers, réfléchir à une extension des délais de prescription et améliorer le dépôt de plaintes.

Par ailleurs, l'une des spécificités du 5 ème plan est la connexion entre femmes et enfants. Je rappelle que le fait d'inclure dans le champ des violences faites aux femmes les violences faites aux enfants a fait l'objet de réticences dans le passé, tant était prégnante la crainte qu'une plus grande sensibilité aux violences faites aux enfants ne focalise l'attention sur celles-ci, en dissimulant la compréhension des violences faites aux femmes. Par conséquent, l'appréhension des violences faites aux femmes a infiniment mieux progressé que celle des violences faites aux enfants, qui demeurent un véritable tabou. Certes, les enfants maltraités émeuvent tout le monde mais pas au point de désigner la famille comme étant le premier lieu de la violence qui leur est faite et mettre en oeuvre une vraie politique de lutte contre ces violences, tant nous nous heurtons encore aux représentations protectrices et bienveillantes de la famille. Il faut donc déconstruire ces représentations au préalable.

Mon mérite est limité car c'est Édouard Durand, comme toujours lumineux et limpide, qui est l'inspirateur de l'articulation entre la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants dans le cadre des violences intrafamiliales, à travers la formule : « les enfants témoins de violences sont des enfants victimes ».

Le 5 ème plan souligne la nécessité d'assurer la protection des mères et des enfants pendant la séparation, et intègre les violences économiques aux violences faites aux femmes, au nombre desquelles le non-paiement des pensions alimentaires.

L'intitulé de mon ministère, à ma nomination comme ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes a suscité de nombreux commentaires désobligeants. Leurs auteurs y voyaient le signe d'une régression digne du pétainisme ! Pourtant, ce regroupement a bel et bien permis de mieux articuler l'ensemble des violences intrafamiliales pour mobiliser de concert les dispositifs de lutte contre les violences faites aux femmes et celles faites aux enfants ; ainsi, l'inclusion dans mon ministère du champ de la famille m'a permis de créer l'Agence de recouvrement des pensions alimentaires (Aripa) qui réduit les violences économiques résultant du non-paiement de celles-ci.

Le 5 ème plan s'intéresse aussi à un « angle mort » des politiques publiques antérieures, celui des jeunes femmes âgées de dix-huit à vingt-cinq ans, installées ou non en couple, et qui, majeures soumises à des violences, ne relèvent plus du traitement des violences faites aux enfants mais ne se reconnaissent pas toujours dans les politiques de lutte contre les violences conjugales, parce qu'elles ne considèrent pas être sous statut conjugal.

Existent ainsi des violences, qui n'en sont pas moins dramatiques, exercées par des garçons au sein de couples non-cohabitants, instables et éphémères. Ces jeunes femmes peuvent aussi souffrir de violences parentales qui perdurent au-delà de leur majorité. Entre 2014 et 2017, nous avons créé 1 500 nouvelles places d'hébergement, mais pas toujours au sein des seuls centres dédiés aux femmes, comme l'auraient souhaité les associations.

Le 5 ème plan prévoit la création de 100 solutions d'hébergement spécialisées pour les dix-huit/vingt-cinq ans. Vous connaissez peut être à Paris l'association FIT, Une femme, un toit , spécialisée dans l'accueil des jeunes femmes victimes de violences et dirigée par Marie Cervetti, aux positions très affirmées, et extrêmement efficace dans son travail.

Des femmes vivant en milieu rural nous ont aussi alertés sur le fait que le monde rural ne bénéficie pas et ne bénéficiera jamais du tissu associatif spécialisé qui existe dans les villes ; aussi, en matière de formation, nous nous sommes appuyés sur l'existant pour mettre en place la formation des intervenants sociaux présents en milieu rural, en convention avec la Mutualité sociale agricole (MSA) et les réseaux associatifs : centres sociaux ruraux, familles rurales, missions locales. Nous avons également prévu la création de permanences d'écoute dans des missions de service public.

Enfin, les violences faites aux femmes ont aussi été incluses dans la campagne « Sexisme, pas notre genre ».

Trois mois après le lancement du 5 ème plan de lutte contre les violences faites aux femmes, a été présenté le premier plan de lutte contre les violences faites aux enfants pour 2017-2019, qui formalise l'analyse selon laquelle les enfants sont des co-victimes des violences faites aux femmes.

Constater l'absence de plan interministériel contre les violences faites aux enfants, alors que les plans de lutte contre les violences faites aux femmes en sont déjà à leur 5 ème édition, témoigne du retard pris sur ce sujet. Nous l'avons traité sous l'angle des violences sexuelles, de la mémoire traumatique, de l'amnésie post-traumatique et de ses conséquences sur la santé des enfants. Nous avons aussi mené une campagne de sensibilisation « Le signalement n'est pas une délation ». En effet, il est important de dénoncer les faits, dont nous sommes témoins, de violences à l'encontre d'enfants et de battre en brèche le vieil adage invitant à ne pas se mêler des affaires privées qui se déroulent au sein d'une famille, au motif que les parents sont libres de l'éducation de leurs enfants. L'ouvrage paru dans les années 1970 Crie moins fort, les voisins vont t'entendre est parfaitement révélateur de cet état d'esprit auquel nous devons mettre fin. Les marches blanches en mémoire des victimes ne suffisent pas, il faut éviter que l'irréparable ne soit commis !

J'ai mené campagne pour faire adopter une loi contre les violences éducatives ordinaires, moquée sous la dénomination très réductrice de « loi fessée », à connotation vaguement sexuelle. Or il faut promouvoir l'éducation non violente des enfants. Cette campagne a suscité des incompréhensions de certains parents quant à l'interdiction qui peut leur être imposée de ne pas frapper leur enfant, notamment de la part d'une frange de la France traditionnelle, comme si l'exercice de violences à portée « éducative » était une des composantes de notre identité ! Cette disposition a été introduite dans le projet de loi « Égalité et citoyenneté » (PLEC), mais a fait l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel, qui l'a annulée pour des raisons de procédure, en tant que cavalier législatif. Il faudrait donc que cette mesure puisse être de nouveau examinée et adoptée par le biais d'un autre vecteur législatif.

Le droit des femmes doit passer de sujet sectoriel à transversal ; en effet, au-delà des discours, qu'il s'agisse de celui que prononcera le 25 novembre le Président de la République ou de ceux qui le seront à l'occasion de la journée du 8 mars, force est de constater que l'égalité femmes-hommes et les violences faites aux femmes demeurent des sujets sectoriels qui n'ont pas encore imprégné l'ensemble des politiques publiques. Or une implication interministérielle est nécessaire pour mobiliser toute la société et les acteurs publics contre les violences faites aux femmes. La question des moyens qui y sont affectés est aussi essentielle : au-delà des déléguées départementales aux droits des femmes, les « véritables » services extérieurs du ministère des Droits des femmes ou du secrétariat d'État à l'Égalité femmes-hommes sont les associations. C'est grâce aux associations que se mettent en place les politiques publiques de l'égalité entre femmes et hommes. Or les subventions qui leur sont attribuées ne représentent qu'une part infime des moyens qui sont affectés à un service extérieur de l'État. C'est pourquoi je demande le maintien et la création des contrats aidés dans tout le milieu associatif dédié aux droits des femmes, d'autant plus que ces associations sont actuellement encore plus sollicitées pour assister des femmes depuis que leur parole s'est récemment libérée.

Annick Billon, présidente . - Merci, chère collègue, pour ce témoignage qui souligne votre force de conviction.

Parmi les aspects que vous avez évoqués, je relève la continuité dans la mise en oeuvre des politiques publiques de lutte contre les violences, même si certains aspects portant sur la question des enfants ou la ruralité doivent être précisés. À cet égard, la délégation, au cours de ses travaux sur le thème des agricultrices, a souligné l'importance de la désignation d'associations de référence pour accueillir les femmes victimes de violences en milieu rural, ces associations étant formées par des structures spécialisées, inégalement présentes dans nos territoires.

Vous avez justement indiqué que les moyens sont fluctuants, notamment les subventions attribuées aux associations dans le cadre départemental, qui peuvent se voir fortement réduites, voire disparaître à la suite d'un changement à la tête de cet exécutif local. Comme le soutien aux femmes victimes de violence n'est assuré que par les associations, il peut en résulter de fortes inégalités territoriales, et c'est très regrettable.

Le magistrat que nous avons auditionné la semaine dernière a été limpide dans son propos quant au lien entre les violences faites aux femmes et celles faites aux enfants, en rappelant, comme vous venez de le mentionner, qu'un enfant témoin est un enfant victime, ce dont on n'a sans doute pas assez conscience. Je suis d'accord avec vous, il y a une réticence à se mêler de ce qui se passe dans l'intimité des familles...

Françoise Cartron . - Merci de nous avoir rappelé les progrès accomplis et le chemin restant à parcourir.

Une formation au signalement doit être menée auprès de différents acteurs ; lors de ma carrière d'enseignante, alors que j'avais constaté que l'un de mes élèves présentait des marques de violences physiques, on m'a fortement dissuadée de le signaler en instillant le doute quant à la réalité des faits, voire en faisant apparaître ma démarche comme irréfléchie ! Il faut être conscient de cette difficulté à laquelle sont confrontés les enseignants.

Par ailleurs, je m'interroge sur les critères de nomination des déléguées départementales aux droits des femmes. Je n'ai pas été convaincue, par exemple, par le travail d'une déléguée, qui d'ailleurs est restée en poste fort longtemps, qui n'abordait que des sujets tels que les femmes cheffes d'entreprises, sans se soucier des violences...

Nassimah Dindar . - Je vous remercie, madame la ministre, pour votre exposé. Nous vous avons reçue à La Réunion. Vous connaissez bien l'acuité du problème des violences exercées contre les femmes dans les départements d'Outre-mer (DOM) et vous avez bien décrit l'ensemble des violences intrafamiliales. Je voudrais saluer le fait que les dispositions du 5 ème plan incluent au sein des violences faites aux femmes l'ensemble des violences intrafamiliales comme un sujet indissociable ; lors des rencontres avec des élus locaux, l'aide sociale à l'enfance ne peut être mentionnée sans y associer toute la place donnée aux familles, aux pères parfois absents et à la dégradation des conditions de vie de la mère de famille qui constituent chez nous en Outre-mer autant de problèmes cruciaux. Je rappelle à cet égard un chiffre édifiant publié il y a deux semaines : à La Réunion, 80 % des interventions en urgence de la gendarmerie ont pour cause des violences intrafamiliales.

Dans mon territoire, un cofinancement État-département a permis de créer au sein de cinq gendarmeries des postes d'assistants sociaux qui y effectuent un travail remarquable, ce qui démontre la nécessité de disposer de moyens financiers pour assurer une présence physique de l'autorité.

Je vous rejoins sur la politique du logement : elle doit être définie au niveau interministériel et intégrer les problématiques des violences faites aux femmes et aux violences intrafamiliales, afin qu'une convention conclue avec les bailleurs sociaux permette de disposer d'un intervenant dédié dans chaque groupe d'immeubles. Une association a démontré l'efficacité d'un tel référent de proximité au sein d'une barre d'immeubles.

De plus, le sexisme qui accompagne l'image de la femme dans les médias n'est pas le fait de la seule publicité mais vient aussi du parti pris de les valoriser ou de les dévaloriser ; ainsi les femmes et les hommes politiques ne bénéficient pas d'un égal traitement dans les médias.

Sur la question des moyens, bien que les déléguées aux droits des femmes ne disposent que de budgets dérisoires, celle de La Réunion effectue un travail remarquable avec une dotation infime de 50 000 euros ! Il me semble qu'un travail de ventilation budgétaire devrait définir dans chaque département et région les budgets à allouer au vu des actions à y mener. Plus généralement, les associations ne peuvent disposer d'une visibilité sur leurs actions en l'absence de convention de financement pluriannuelle. Il faudrait à cet égard identifier des référent-e-s au niveau national.

Enfin, comme vous l'avez souligné, le problème de société que sont les violences intrafamiliales doit être traité à un niveau interministériel.

Pour conclure, il me semble qu'un travail reste à mener sur la femme et l'islam de France pour éduquer ces jeunes françaises qui deviendront les parents des futurs musulmans de France.

Victoire Jasmin . - La situation en Guadeloupe est similaire à ce qu'a décrit ma collègue de La Réunion.

En Guadeloupe, les hommes ont longtemps considéré qu'ils étaient propriétaires de leur femme, comme en témoigne l'anecdote suivante : je n'ai appris le prénom de l'une de mes tantes que le jour de ses obsèques car, au cours de sa vie, elle n'était connue que sous la dénomination de « tante Serge », la coutume voulant que la femme prenne le prénom de son époux : Mme Auguste, Mme Gaston... Je pense que c'est une tradition que n'accepteraient plus les jeunes générations.

À cette époque, beaucoup de femmes confrontées à la violence de leur conjoint ne trouvaient nul réconfort auprès de leurs parents et notamment de leur mère, qui les renvoyaient à leur foyer violent.

Même si cela a aussi changé, beaucoup de femmes meurent encore sous les coups en Guadeloupe et en Martinique ; cette violence à l'encontre des femmes existe aussi en France métropolitaine : un policier guadeloupéen y a récemment tué sa femme et plusieurs de ses enfants. Quand les femmes se rebellent contre le joug imposé par leurs hommes, ceux-ci ne l'acceptent pas et peuvent basculer dans une violence extrême.

Par ailleurs, un récent article du Quotidien du médecin mentionne que les femmes en situation précaire négligent souvent leur santé pour s'occuper de leur famille. Il y a là un vrai sujet pour la délégation.

En Guadeloupe, la lutte contre les violences faites aux femmes résiste aux alternances politiques. La déléguée départementale aux droits des femmes est ainsi restée en poste pendant vingt ans et a su décliner sur le terrain les politiques publiques de l'État, avec le concours des associations. Des dispositifs innovants ont été mis en place pour permettre l'expression des femmes dans le cadre de groupes de parole, au sein desquels hommes et femmes conversent pour exprimer leurs non-dits, poser clairement les problèmes sous-jacents à une communication insuffisante entre les sexes et aboutir à un apaisement de relations qui débouchaient auparavant trop souvent sur des violences dont les enfants étaient aussi généralement victimes.

J'ai demandé à la présidente d'une de nos associations locales d'adresser à la présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat une synthèse des actions qui ont été menées en Guadeloupe.

Les personnes handicapées éprouvent notamment des difficultés à accéder aux dispositifs de prévention du cancer du sein et à un suivi gynécologique, car selon leur handicap, elles ne sont pas toujours en capacité de réagir et de signaler leurs maux par elles-mêmes, demeurant alors tributaires de la bonne volonté des personnes qui les assistent.

Nous menons des actions de prévention avec le concours d'associations ou, dans un cadre intercommunal, des CISPD 361 ( * ) , au sein desquels certains bailleurs sociaux s'impliquent en nommant des référents dans les immeubles qui peuvent procéder à des signalements de familles rencontrant des difficultés ; néanmoins, des freins subsistent, des femmes restant hésitantes à faire remonter l'ensemble des informations dont elles peuvent disposer.

Souhaitons que les récentes campagnes de libération de la parole des femmes permettent à terme de surmonter ces réticences afin de nous donner les moyens d'agir.

Françoise Laborde, co-rapporteure . - Même si j'ai éprouvé des réticences à la création de votre ministère, je reconnais cependant que votre action y a été positive.

Notre rapport sur les violences au sein des couples 362 ( * ) pointait déjà la problématique de l'ensemble des violences intrafamiliales, qu'elles s'exercent sur les femmes ou sur les enfants.

Ancienne enseignante en maternelle, je corrobore les propos de Françoise Cartron sur la pusillanimité de l'éducation nationale à procéder à des signalements, les enseignants étant fortement dissuadés de s'y risquer par des intervenants de l'ensemble de sa structure, notamment la médecine scolaire. Une formation au signalement est donc nécessaire, mais il est difficile de faire évoluer les mentalités sur ce point.

J'en suis bien consciente, heureux sont les départements qui disposent d'une déléguée départementale, surtout lorsque celle-ci est efficace, comme c'est le cas en Haute-Garonne !

Comme beaucoup d'autres collègues autour de cette table, j'ai versé une partie de ma dotation parlementaire à des associations ; or, celles qui désormais ne bénéficient plus ni de contrats aidés ni des versements issus de la réserve parlementaire, et doivent se contenter des subsides alloués par l'État ou le département, se trouvent confrontées à de graves difficultés financières.

Certains préfets ont fait le choix de conserver les contrats aidés dans les secteurs de l'éducation, de l'accompagnement ou du social ; cependant, si on leur enjoint de procéder à des mesures d'économie plus drastiques, en réduisant encore le volume global des contrats aidés, rien n'assure que ces secteurs préservés le resteront.

Roland Courteau . - Les propos de Laurence Rossignol confirment que la lutte contre les violences au sein des couples est désormais considérée comme une politique publique à part entière, ce qui n'était pas encore le cas en 2005 lorsque la première proposition de loi destinée à lutter contre ce fléau a été présentée.

« Protéger la mère, c'est protéger l'enfant » nous précise Édouard Durand dans son ouvrage ; à cette fin, il me semble nécessaire de recourir plus fréquemment aux mesures d'accompagnement protégé (MAP) qui permettent d'éviter le contact direct entre le père auteur de violences et la mère.

Puisque la reconstruction de la victime passe par la mise à sa disposition d'un logement, subir des violences conjugales devait constituer un motif prioritaire d'attribution d'un logement social selon les dispositions de la loi de 2010 363 ( * ) ; à ce titre des conventions devaient être signées entre l'État et les bailleurs sociaux : qu'en est-il ?

Le suivi des victimes de violences conjugales, femmes et enfants, notamment dans ses composantes psycho-traumatiques est insuffisant, le nombre d'établissements de soins spécialisés ne pouvant aujourd'hui répondre à une demande de soins souvent lourds, et qui doivent être prodigués pendant des années, voire une vie entière.

L'incrimination des violences psychologiques, non retenue dans la loi de 2006 364 ( * ) , a été reprise dans celle de 2010. Mais qu'en est-il des condamnations prononcées à ce titre ? Elles semblent rarissimes, alors même que la violence psychologique exercée par un agresseur habile détruit lentement un être sans laisser de traces visibles, cette absence de preuves tangibles permettant difficilement de sanctionner leur auteur. Faudrait-il sensibiliser les magistrats à ces violences psychologiques ou en adopter une définition plus large ?

Si notre arsenal législatif est suffisant pour permettre de lutter contre le fléau des violences conjugales, il faudra cependant traiter au plus vite les stéréotypes sexistes dont l'influence est forte dès la prime enfance. Ces stéréotypes sont un ferment des inégalités et ont une responsabilité dans les violences ultérieures envers les femmes.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Monsieur Courteau, l'articulation entre les violences faites aux femmes et les stéréotypes a bien été prise en compte dans le 5 ème plan, qui s'intitule « le sexisme tue aussi », et qui inscrit la mobilisation contre les violences faites aux femmes au sein d'une mobilisation globale contre le sexisme. Plusieurs études s'intéressent au respect du consentement dans le secteur cinématographique : de nombreux films mettent en scène un homme qui passe outre le consentement d'une femme. Pourquoi s'en priverait-il ? Pour autant qu'il soit suffisamment insistant, la femme se laisse convaincre et finalement elle a l'air très contente ! Je vous invite à revoir les films de James Bond, typiques de cette approche...

Céline Boulay-Espéronnier . - Cela évoque aussi l'affaire Weinstein !

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - En matière de signalement des violences, ce n'est pas l'éducation nationale qui est la plus à blâmer, mais plutôt les médecins généralistes, dont le taux de signalement est le plus bas parmi l'ensemble des acteurs qui rencontrent des enfants victimes de violences. Pourtant, ils ne sont pas passibles de poursuites pour dénonciation calomnieuse. En effet, des dispositions législatives les protègent : une proposition de loi déposée il y a dix-huit mois et adoptée au Sénat exonère les médecins de toute poursuite en matière de diffamation en cas de signalement de violences. Bien qu'elle soit redondante avec les textes existants, je l'ai soutenue pour rassurer les médecins sur ce point en leur rappelant la règle.

La culture interne de l'éducation nationale a aussi évolué positivement sur la question du signalement, si l'on veut bien se rappeler qu'il y a encore quelques années, les enseignants pédophiles étaient simplement déplacés d'une académie à une autre !

Les enseignants, inquiets pour leurs élèves, procèdent plus fréquemment à des signalements les veilles de week-end et de vacances scolaires, périodes pendant lesquelles l'enfant sera seul avec ses parents. Les enseignants souffrent cependant de l'absence de retour sur le traitement de leur signalement. Il leur semble que celui-ci est vain : cela les dissuade de faire cette démarche. Les Cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) devraient être associées à des travaux pour que les services d'inspection des rectorats informent l'équipe éducative qui a procédé au signalement ; dans le cas contraire, le découragement guette les enseignants.

À l'issue de chaque intervention sur les droits de l'enfant dans une classe, on constate qu'au moins un enfant se présente à l'intervenant pour décrire ce qu'il vit dans sa famille ; promouvoir les droits de l'enfant à l'école est donc fondamental ! Cela permet de révéler et de faire comprendre aux enfants que des situations qu'ils pensaient jusqu'ici normales, car sous l'autorité de leurs parents, ne le sont aucunement.

Je suis bien d'accord avec nos collègues ultramarines, l'ampleur des violences dans les DOM justifierait que des moyens supplémentaires y soient affectés, notamment pour former l'ensemble des acteurs.

Les déléguées départementales sont choisies par une commission départementale aux droits des femmes sur proposition des préfets, après audition des fonctionnaires qui demandent une mutation sur ce poste ou de contractuels. Les déléguées départementales sont très diverses, comme d'ailleurs tous les personnels de la fonction publique. Elles effectuent leur travail plutôt en solitaire, même si elles rendent compte aux délégations régionales aux droits des femmes.

J'en suis bien consciente, les budgets attribués à la politique de lutte contre les violences faites aux femmes sont dérisoires au regard des besoins, et la retenue dans l'expression des personnes oeuvrant en ce domaine, qui préfèrent la discussion calme aux débordements et autres blocages routiers, à l'inverse de ce que peuvent faire certains groupes catégoriels, n'est pas de nature à faire pression sur le Gouvernement. On peut espérer que la récente libération de la parole des femmes inversera ce rapport de force et soulignera l'ampleur des besoins.

Françoise Laborde est dans le vrai, la suppression de la réserve parlementaire représente une baisse discrète mais réelle des ressources des associations.

Le nombre insuffisant de praticiens formés pour traiter les épisodes psycho-traumatiques est apparu patent après les récents attentats de masse. Un groupe de travail du ministère de la Santé travaille sur cette question et doit faire des propositions à l'assurance maladie pour examiner l'extension de la prise en charge à 100 % à vie au profit de l'ensemble des adultes victimes de violences sexuelles, comme cela existe pour les enfants victimes de violences sexuelles, pris en charge dans le cadre d'ALD (Affection de longue durée) pour les pathologies relevant du traitement des violences sexuelles qu'ils ont subies.

Laurence Cohen, co-rapporteure . - Je reconnais l'ensemble du travail accompli par Laurence Rossignol, féministe convaincue de longue date, même si je suis restée critique sur la dénomination qui avait été retenue pour son ministère et les budgets qui lui avaient été affectés.

Quel que soit le gouvernement, les moyens financiers consacrés aux droits des femmes sont indigents alors même que les violences faites aux femmes non prises en charge induisent des dépenses très importantes pour la société, comme l'a indiqué un rapport du HCE.

Que pourrait-on faire de plus pour alerter et parvenir à débloquer des crédits supplémentaires ? Je salue à cet égard l'amendement adopté par la commission des affaires sociales visant à augmenter les crédits de la lutte contre la prostitution.

Pourrait-on disposer d'une cartographie de la répartition territoriale des déléguées aux droits des femmes, les postes n'étant pas pourvus dans certains départements ?

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - C'est une demande qu'il faudrait formuler auprès de Mme Schiappa.

Laurence Cohen, co-rapporteure . - Si l'ensemble de la délégation partage le constat que les inégalités salariales entre les hommes et les femmes constituent une violence économique, je constate cependant que cette unanimité n'est plus de mise quand il s'agit de faire adopter des dispositions visant à pénaliser davantage les entreprises...

La prise en charge des psycho-traumas des femmes victimes de violences devrait être de 100 %, comme c'est le cas pour les victimes des attentats. La psychiatre Muriel Salmona demande qu'un centre de santé spécialisé dans la prise en charge de ces pathologies soit créé dans chaque bassin de vie pour assurer un suivi des victimes dans le cadre du tiers payant.

Soyons d'autre part attentifs à toujours associer le mot femmes aux expressions « violences intrafamiliales », « sexistes » ou « sexuelles » car ce sont bien les femmes qui en sont principalement victimes !

Christine Prunaud . - Madame la ministre, je salue votre engagement pour les droits des femmes. Élue des Côtes-d'Armor, je suis originaire d'une ville en milieu rural et je déplore que depuis plus d'un an, le poste de chargée de mission aux droits des femmes y soit vacant, ce qui n'est pas sans conséquence sur l'organisation de la coordination de la prévention des violences faites aux femmes. Chaque préfecture doit disposer d'un référent dédié aux droits des femmes, c'est une question d'égalité territoriale ! Je déplore que des courriers adressés à Mme Schiappa sur ce sujet soient restés sans réponse.

Notre délégation est unanime pour demander que lui soit adressé un état des lieux de la répartition territoriale de ces chargées de mission aux droits des femmes.

Le rapport de force doit évoluer et des négociations plus fermes s'engager avec les ministères et les préfets pour exiger des moyens pérennes de financement de la prévention des violences faites aux femmes qui ne repose actuellement que sur des associations, lesquelles se trouvent dans une situation financière extrêmement précaire.

Céline Boulay-Espéronnier . - Dispose-t-on de statistiques sur les signalements des violences faites aux enfants selon que l'on se trouve en zone d'habitat urbain ou périurbain ?

Des cas dramatiques de violences sur enfants exercées au sein du foyer familial ont mis en exergue le rôle joué par les mères qui en sont témoins, sans que l'on sache précisément si elles étaient simplement passives, victimes elles-mêmes de violences ou bien consentantes ; l'arsenal juridique est-il suffisant pour prendre en compte ces situations ?

La dénonciation des violences verbales et psychologiques, qui mènent souvent à des violences physiques doit par ailleurs, selon moi, être encouragée.

Martin Lévrier . - Vice-président d'un organisme de logements sociaux, j'ai eu à traiter des cas dramatiques d'anciennes épouses de militaires qui se trouvaient du jour au lendemain sans domicile du fait d'une séparation.

En effet, au prononcé du divorce entre un militaire et un civil, le conjoint civil doit immédiatement quitter le logement de fonction attribué par l'autorité militaire, faute de quoi il est expulsé ! Cette pratique est d'une incroyable violence ! Ces faits se sont déroulés à Versailles et à Satory au sein de la gendarmerie.

Je propose de mener des actions de prévention systématiques sous couvert d'une formation à la famille, par exemple à l'occasion des entretiens précédant les mariages, en y exposant le respect entre conjoints et en informant sur les moyens d'alerte existants, dont le numéro national 3919 .

Noëlle Rauscent, co-rapporteure . - Beaucoup de femmes ne reçoivent pas la pension alimentaire qui leur est due, pourtant nécessaire à l'équilibre de leur budget et à l'éducation des enfants dont elles ont la charge, sans oser en réclamer le versement par crainte des violences que pourraient exercer leur ex-conjoint à leur encontre. Comment peut-on y remédier ?

En milieu rural, le signalement des violences sur enfants serait accru en améliorant la communication, encore inégale, entre les établissements scolaires et les municipalités ; en tant que maire, j'ai ainsi pu faire avancer le traitement d'un dossier de violences en réunissant les informations issues de l'école et des services de la mairie.

Certes, le parti LaREM dont je suis représentante est favorable à la suppression de la réserve parlementaire ; cependant, Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, a indiqué lors de son audition d'hier qu'une enveloppe de 200 millions d'euros était disponible pour des quartiers urbains en difficultés, ainsi qu'en milieu rural ; les demandes de crédits peuvent donc s'inscrire dans ce cadre.

Chantal Deseyne . - Madame la ministre, je salue votre engagement et votre combat pour la cause des femmes.

Nos modèles éducatifs ne sont pas adaptés à la nécessaire prévention des violences faites aux femmes et aux enfants ; aussi, comment faudrait-il associer l'éducation nationale, le corps médical ainsi que les élus au sein d'une instance qui affirmerait avec force que femmes et petites filles ne sont pas soumises à leur père ou à leur compagnon ?

Comment accompagner les femmes dépendantes économiquement après une séparation et faciliter le recouvrement d'une pension alimentaire impayée ou sous-évaluée ?

Claudine Lepage . - Des femmes françaises avec enfants vivant en Italie, mariées à des conjoints violents, divorcées, ou ayant engagé une procédure de divorce, m'ont indiqué que celles dont le jugement de divorce a été prononcé par un juge italien sont contraintes de rester dans ce pays à proximité du conjoint violent ; la situation devient dramatique lorsque (c'est le cas pour l'une de ces femmes) l'ex-conjoint violent appartient à la mafia. Qu'adviendra-t-il lorsqu'elle reviendra dans sa famille en France ? Comment la protéger ?

Annick Billon, présidente . - Je remercie Martin Lévrier d'avoir souligné le drame que vivent les femmes de militaires divorcées qui doivent immédiatement quitter l'ex-domicile conjugal, parfois avec leurs enfants.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Sur cette question du logement des militaires, je suggère de nous rapprocher du haut fonctionnaire chargé de l'égalité femmes-hommes qui existe au sein du ministère de la Défense comme dans chaque administration centrale, pour mettre en place des dispositifs transitoires, d'autant que ce ministère a montré qu'il est plutôt réceptif sur les questions relatives à l'égalité femmes-hommes.

Un ministère des droits des femmes, même de plein exercice, demeure de facto un « ghetto » dans la mesure où les moyens et les outils dépendent des autres ministères ; j'avais en charge la famille au sein de mon ministère et donc la tutelle de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), ce qui m'a permis de disposer de l'outil de la politique familiale au service des droits des femmes, sans avoir besoin de solliciter d'autres ministères pour disposer des leviers nécessaires.

Pour faire évoluer le monde judiciaire sur les droits des femmes, un grand ministère en charge des Droits des femmes et de la Justice serait une bonne formule à mon avis.

Concernant les violences sur les enfants, le ministère de la Justice ne peut fournir que peu d'éléments, et encore ceux-ci diffèrent-ils des chiffres du ministère de l'Intérieur...

L'Observatoire national de la protection de l'Enfance (ONPE), assisté par les Observatoires départementaux de protection de l'enfance (ODPE), réalise les enquêtes statistiques sur les violences exercées à l'encontre des enfants. Nous ne disposons cependant que de rares données, notamment sur la répartition territoriale de ces violences, et des outils sont en cours de construction. Là encore, des moyens financiers suffisants sont nécessaires.

On note une recrudescence des violences faites aux enfants par les beaux-pères, les femmes étant probablement sous emprise, je veux bien l'admettre dans certains cas. Cependant, ce concept d'emprise, encore récent en droit français, ne doit pas permettre d'exonérer les mères elles-mêmes auteurs, complices ou témoins ! L'incrimination pénale de non-dénonciation de maltraitance sur enfant est applicable à ces mères témoins et j'ai proposé dans une proposition de loi de faire débuter le délai de prescription de cette infraction aux dix-huit ans de l'enfant au lieu de six ans après la commission des faits, ce qui est le cas actuellement.

La question du décloisonnement des politiques sociales, même si cela s'avèrerait coûteux sur le plan humain et budgétaire, est centrale. Elle constitue à mon avis un véritable enjeu de modernisation de l'État.

Concernant la question de Noëlle Rauscent, le mariage est protecteur pour les femmes car son dénouement donne lieu à une procédure judiciaire qui fixe les modalités de calcul et de versement de la pension alimentaire, ce qui n'est pas le cas pour les autres couples qui se séparent. Par ailleurs, je constate que les femmes qui gagnent bien leur vie n'en font pas un sujet. Nous avons mis en place la garantie de pension alimentaire relayée par l'Agence de recouvrement des pensions alimentaires (Aripa) qui permet aux femmes victimes de violences d'utiliser l'écran de cette agence pour faire procéder aux versements de pension. Cette agence fait aussi une avance pour tous les enfants, sans critères de ressources. C'est important pour les mères.

Réserver une enveloppe de 200 millions pour les quartiers urbains et ruraux fragiles, c'est une bonne chose ! Encore faut-il préserver la capacité d'agir des associations têtes de réseaux. En effet, si ces dernières sont exsangues, le tissu associatif présent sur le terrain en sera affecté.

L'affaire dont nous fait part Claudine Lepage relève à mon sens des dispositifs de protection des témoins, comme cela existe dans les affaires judiciaires pour protéger les prostituées qui dénoncent des réseaux ; il existe aussi des mécanismes de mise à l'abri pour les femmes qui subissent des violences. Le cas complexe qui nous est exposé relève toutefois de conventions bilatérales, et il reste à déterminer quel sera l'interlocuteur qui prendra en charge ce dossier : Affaires étrangères, Intérieur, Justice...

Annick Billon, présidente . - Je vous remercie de votre intervention et d'avoir défendu la cause des femmes pendant ces années à la tête du ministère des Droits des femmes.

Chers collègues, je vous remercie de votre participation active à nos travaux. J'observe qu'une belle dynamique se créée au sein de notre délégation.

Audition de Marie-France Hirigoyen, psychiatre,
sur le harcèlement

(30 novembre 2017)

Présidence d'Annick Billon présidente

Annick Billon, présidente . - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Marie-France Hirigoyen, psychiatre, pour nous parler du harcèlement, un phénomène de violence qui affecte les femmes au travail, en ligne, dans les transports et plus généralement dans l'espace public. Un phénomène qui touche aussi les plus jeunes, dès l'école.

Notre réflexion s'inscrit dans une actualité très chargée, que nous avons tous présente à l'esprit.

Comme nous l'avons acté dans notre programme de travail, le harcèlement sera notre principal sujet d'étude, avec les violences sexuelles, jusqu'au dépôt du projet de loi annoncé par le Gouvernement.

Docteur, nous avons besoin de votre expertise sur le phénomène général du harcèlement, moral ou sexuel, qu'il ait lieu au travail, à l'école ou dans les transports, plus particulièrement sous l'angle de ses conséquences pour les victimes.

De surcroît, comment expliquer la prise de parole si tardive des victimes ? Qu'est-ce qui empêche l'émergence de la parole ? Pourquoi l'affaire Weinstein a-t-elle déclenché la libération de la parole à laquelle nous assistons aujourd'hui, à tel point que le nombre de plaintes a augmenté de 30 % pendant le seul mois d'octobre, et pas l'« affaire Baupin » ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous parler plus en détail de votre travail de psychiatre avec les victimes ?

Comment travailler avec les hommes pour lutter contre les violences ?

Avant toute chose, peut-être pourriez-vous commencer par nous donner quelques éléments de définition du harcèlement, notamment sexuel. À cet égard, je dois dire que je m'interroge sur la pertinence du terme de « harcèlement » de rue, car ces comportements me semblent relever de l'agissement sexiste, voire d'agressions sexuelles, plutôt que du harcèlement...

À l'issue de votre présentation, les membres de la délégation feront part de leurs réactions et ne manqueront pas de vous poser des questions.

Je vous remercie d'être venue jusqu'à nous et je vous laisse sans plus tarder la parole.

Marie-France Hirigoyen, psychiatre . - Je travaille sur les violences faites aux femmes depuis les années 1970 : ce phénomène n'est donc pas nouveau par-delà notre actualité. Quand on parle de violences, tous les spécialistes ne s'entendent pas sur les limites de la notion. Où commencent les violences ? Leur définition varie selon qu'on se situe sur le plan légal, social ou culturel. Des comportements qui étaient naguère permis ne le sont plus. Aujourd'hui, nous sommes dans une société non violente : nous tolérons donc beaucoup moins la violence. De surcroît, le monde est devenu plus égalitaire, mais les hommes et les femmes n'ont pas évolué de la même façon.

Les violences faites aux femmes sont comme un iceberg : il y a eu un temps où l'on ne parlait que des violences physiques, des femmes qui étaient tuées par leur compagnon. Mais si l'on veut prévenir les violences, il faut se situer en amont et être en mesure de repérer les situations préalables à l'émergence de violences physiques, les situations qui peuvent dégénérer. Certaines femmes n'avaient jamais été frappées avant d'être tuées par leur compagnon, elles n'avaient pas pu repérer sa dangerosité.

La partie émergée de l'iceberg est donc constituée par les homicides et les violences physiques : c'est ce qui se voit. Les violences psychologiques ne sont pas toujours identifiées car elles sont limitées à un espace déterminé (le travail, par exemple, ou la famille) et elles répondent à une définition floue. Je peux citer le cas d'une patiente réellement terrorisée par son conjoint : elle a déposé des mains courantes mais au commissariat, ses interlocuteurs pensent qu'elle « fait des histoires ». Il faut comprendre que la victime est perdue et qu'elle donne l'impression, vue de l'extérieur, que c'est elle qui pose problème. À l'écouter, on peut avoir l'impression qu'elle s'est « mal débrouillée ».

Dans la partie immergée de l'iceberg, il y a le sexisme et les inégalités, qui ne sont pas qualifiables de violences à proprement parler et qui ne sont pas pris au sérieux par les auteurs : « je voulais plaisanter », disent-ils. À la base de la violence, il y a la capacité de la désigner comme telle, de la nommer. Or le sexisme crée un climat qui amène à accepter un geste déplacé et à le considérer comme normal. Mais il faut en avoir conscience : le sexisme prépare le terrain à d'autres violences.

Je vais vous montrer un petit film intitulé The monkey business illusion . Vous allez voir deux groupes jouant au ballon, l'un habillé de noir, l'autre de blanc. Le test consiste à compter le nombre de passes entre les jeunes filles habillées de blanc.

[Le film est projeté à l'écran.]

Vous avez vu que la bonne réponse est seize. Qui n'est pas arrivé à ce résultat ? (Certains répondent dix, d'autres quinze.)

Qui a vu le gorille traverser la scène ?

Je constate que cette image a échappé à beaucoup d'entre vous.

Qui a vu que le rideau changeait de couleur ?

Même remarque : vos réponses confirment que lorsque l'on est concentré sur un objectif, il se produit une sorte de cécité à voir autre chose, même des événements importants.

Cette cécité permet de comprendre pourquoi des femmes victimes de harcèlement peuvent mettre beaucoup de temps avant de dénoncer les comportements dont elles ont souffert. En témoigne par exemple le cas de ces militantes de l'UNEF, rapporté par Le Monde il y a quelques jours. Accaparées par leur mission de militante, elles ne voyaient pas les violences sexistes liées à un environnement demeuré très masculin. Je peux faire la même remarque sur la situation dans le milieu médical : quand j'étais étudiante en médecine, beaucoup de choses aujourd'hui inacceptables, qui relevaient du harcèlement sexuel le plus grave, semblaient habituelles. Il fallait « faire avec », les femmes ne remarquaient même pas les remarques sexistes dont elles faisaient l'objet. Les progrès de l'égalité entre femmes et hommes et l'accès de femmes à des positions de pouvoir favorisent aujourd'hui la prise de conscience et l'esprit critique.

Revenons sur l' « affaire Baupin ». À l'époque des faits, les victimes n'avaient pas réagi. Ce n'est que par la suite qu'elles ont osé parler. Il est difficile, quand on est jeune, et que l'on n'est pas sûre de soi, de dénoncer ce genre d'agissements. Le soutien d'autres femmes est décisif pour oser en faire état.

Il y a quelques jours, je suis intervenue dans le cadre de l' Association Française des Femmes Médecins ( AFFM ) sur les violences faites aux femmes. Des hommes médecins ont fait valoir le nombre d'hommes tués par leur conjointe : « vous voyez, les femmes aussi sont capables de violence ! ». Ils méconnaissaient le fait que ces situations d'homicides s'inscrivent généralement dans la légitime défense de femmes agressées par un conjoint violent. Mais beaucoup d'hommes ont du mal à l'entendre.

Dans le même esprit, j'ai récemment reçu un message d'un groupe d'études sur le sexisme dont les membres considèrent que l'engagement du chef de l'État dans la lutte contre les violences conjugales relève d'un positionnement sexiste, et qu'il est inspiré par un lobby « misandre ». Ce rappel me conduit à souligner qu'il faut travailler avec les hommes à la lutte contre les violences conjugales.

L'actualité, avec cette accumulation de témoignages de faits de harcèlement et de violence, peut déstabiliser beaucoup d'hommes. Pour moi, il est essentiel de faire attention à éviter d'encourager un amalgame et de favoriser une sorte de guerre des femmes contre les hommes, et inversement. Ce genre de situation ne marche jamais.

Initialement, dans les associations de lutte contre les violences faites aux femmes, il n'y avait vraiment que des femmes, des bénévoles d'ailleurs. Les hommes sont trop peu présents dans ce combat et peut-être insuffisamment sollicités. Pour beaucoup, un homme qui défend les femmes court le risque de ne pas être considéré comme un « vrai mec ». Un jour, j'ai assisté à une réunion sur les violences faites aux femmes, à laquelle a participé un boxeur. On ne pouvait vraiment voir en lui qu'un « vrai mec ». Il a expliqué que dans la boxe, on ne fait pas n'importe quoi et il a montré pourquoi un homme ne devait pas accepter la violence. Ce témoignage illustre l'importance cruciale de la participation des hommes à la lutte et à la prévention des violences faites aux femmes.

Une autre remarque sur la situation des hommes : les évolutions de la société rendent les choses moins faciles pour certains d'entre eux. Le modèle de l'homme « chef de famille » n'est plus valide. Certains hommes, que l'on peut considérer comme fragiles, ont du mal à accepter l'autonomie, par exemple financière ou sexuelle, des femmes d'aujourd'hui. Beaucoup d'hommes sont à la recherche d'un couple fusionnel : or les femmes sont nombreuses à souhaiter un espace d'indépendance. Tous les hommes ne le supportent pas.

De même, avec les enfants, les hommes ne peuvent plus avoir la posture d'autorité qui était de mise autrefois. De manière très concrète, par exemple, les nouvelles technologies soulignent leur perte relative de pouvoir : c'est souvent vers les enfants qu'ils se tournent pour obtenir des explications !

Pour ceux qui sont « mûrs », il n'y a pas de problèmes et ils s'adaptent. Les choses sont plus compliquées pour ceux qui vivent un malaise intérieur. Ces derniers réagissent par un excès de contrôle sur leur compagne, souvent motivé par la jalousie. Des expériences réalisées aux États-Unis ont montré que les hommes se sentant rabaissés ont tendance à sur-réagir avec une attitude « viriliste ». Le nouveau modèle de couple égalitaire fonctionne bien avec les jeunes gens ayant atteint un certain niveau d'instruction et d'éducation. Pour d'autres, on constate un durcissement certain de leur attitude, parfois encouragé par des influences religieuses extrémistes - cela concerne tous les cultes - qui favorisent un modèle ancien de contrôle de la femme par l'homme.

Je vais maintenant évoquer plus particulièrement la violence dans le couple, en lien avec l'emprise. C'est le sujet d'un enseignement que je délivre, à l'attention des futurs magistrats, dans le cadre de l'École nationale de la magistrature (ENM). Quand on parle de violence dans le couple, il faut distinguer conflit et violence, deux notions qui inspirent une certaine confusion. Un conflit est symétrique : même s'il s'exprime violemment, par des disputes et des portes qui claquent, les deux parties sont conscientes qu'elles sont en désaccord et sont capables d'échanger. En revanche, dans la situation de violence, il ne se passe parfois rien, ni bruit, ni porte qui claque. Ce sont des situations souvent très difficiles à détecter.

J'ai un exemple : l'une de mes patientes, dont le mari occupe une situation de notable, m'a décrit une ambiance à la maison où domine d'un côté la peur et de l'autre la colère. Un système d'alarme permet au conjoint de surveiller tout ce qui se passe à la maison. Cette femme n'a jamais été frappée, mais elle vit dans la peur. Quand elle a fait part à ses enfants de son désir de partir, ils ont exprimé la crainte d'être tous tués en même temps qu'elle. Nous sommes pourtant dans une situation où, si cette patiente se rend au commissariat, la police ne fera rien. Or elle est en danger. On le sait bien, c'est quand une femme décide de partir que se déclarent les violences les plus graves. Le moment de la rupture est un moment critique.

Il faut insister sur le lien entre harcèlement sexuel et violences dans le couple : tout cela procède en fait du même phénomène. Le harcèlement existe aussi dans le couple. Physiques, sexuelles, psychologiques : toutes les violences sont liées, à l'extérieur ou à l'intérieur du foyer.

En 2000, j'ai participé au rapport Henrion 365 ( * ) , pour attirer l'attention des professionnels de santé sur l'importance des violences dans le couple. À l'époque, on ne parlait pas du viol conjugal, maintenant il est reconnu par la loi. Là encore, il est très difficile de situer la limite. Quand une femme se soumet, qu'il s'agisse du harcèlement dans le couple ou du harcèlement sexuel au travail, est-ce parce qu'elle a peur ? Est-ce pour ne pas « faire d'histoires » ? Elle ne s'oppose pas, certes, mais cela signifie-t-il qu'elle consent ? Elle peut aussi ne pas avoir décodé la violence qui lui est faite. On l'a vu avec cette affaire concernant des agents de nettoyage travaillant pour un sous-traitant de la SNCF à la gare du Nord. Elles n'ont pas protesté car elles pensaient que ce qu'on leur faisait n'était pas sanctionnable. Or il s'agissait véritablement de harcèlement sexuel.

J'en viens maintenant au processus d'emprise : il s'agit d'une manipulation qui s'installe dans la durée, qui va conduire une femme à perdre son esprit critique. Quand on est agressé dans la rue, on sait que c'est de la violence. Mais quand c'est quelqu'un que l'on aime qui vous frappe, on ne sait pas vraiment ce que c'est. Combien de fois l'ai-je entendu : « mon mari ne me bat pas, mais il m'a déjà donné des claques. » Ou alors : « je suis tombée, mais ce n'est pas de sa faute ». En général, on pense que si la violence n'est pas intentionnelle, ce n'est pas de la violence.

Pour le harcèlement sexuel, la violence se prépare par des micro-violences qui ne sont pas non plus reconnues comme telles. Elle commence par de petites attaques, des réflexions de dénigrement... La victime s'y habitue et elle finit par considérer tout cela comme normal, par estimer que ce n'est pas grave.

Dans la démarche de l'auteur de l'emprise, il y a une étape de séduction pendant laquelle il va solliciter les instincts protecteurs de la femme en se posant en victime afin d'attirer sa bienveillance. C'est une façon d'ôter à la femme toute résistance.

Puis surviennent les propos méprisants et dévalorisants, destinés à casser la confiance en soi de la victime. Parallèlement, celle-ci subit un isolement croissant (elle quitte son travail, ne voit plus ses amis ni sa famille et sa vie sociale disparaît...). Elle se trouve ainsi dans un état de dépendance économique et, coupée de ses relations, n'a plus de recours, plus personne vers qui se tourner. Le contrôle est également très important dans l'emprise. Il est d'ailleurs rendu plus facile par les nouvelles technologies. Il est présenté comme justifié par la jalousie du harceleur. Ces étapes successives de l'emprise conduisent la femme à considérer que ce qu'elle vit est normal. De plus, ses repères sont brouillés par une communication que je qualifie de perverse, qui consiste par exemple à dire une chose puis son contraire, à commencer une phrase sans la finir, en conférant une tonalité inquiétante à des propos anodins, simplement par des notes d'ambiance. La femme a peur, et elle a raison, mais la menace qu'elle subit n'est pas apparente. Si elle en parle, peu de gens peuvent la comprendre. Il faut bien voir que dans toutes les situations violentes, il y a une inversion de la culpabilité, toujours assumée par la victime.

Certaines situations d'emprise ne sont pas loin du fonctionnement sectaire. Je pense notamment à l'isolement de la victime, au contrôle exercé sur elle et à sa culpabilisation permanente. Il faut aussi parler du comportement de pseudo-thérapeutes qui exercent un véritable pouvoir sur des femmes qu'ils amènent à accepter des relations sexuelles.

Je l'ai souvent observé dans mon activité : quand les femmes dénoncent auprès de leurs supérieurs hiérarchiques le harcèlement dont elles sont l'objet ou quand elles vont porter plainte au commissariat pour une violence, ce sont souvent elles qui se sentent coupables : « si je le dénonce, il va être viré ». Dans le cas des violences au sein des couples, les hommes jouent de cette culpabilité quand la femme menace de partir. Il faut savoir que plus la situation de violence a duré, moins les femmes ont de moyens d'en sortir. Il s'agit d'une « impuissance apprise ». C'est encore plus difficile pour la victime de savoir comment réagir quand les agressions sont aléatoires, avec une alternance de phases de séduction et de moments de violence. Les femmes le savent bien au fond d'elles-mêmes : une opposition frontale de leur part est de nature à aggraver la violence, quelle qu'elle soit, même le harcèlement au travail. C'est pour cela que la stratégie déployée par les femmes consiste bien souvent à biaiser, à essayer de trouver les moyens de faire comprendre qu'elles ne sont pas d'accord, sans exprimer frontalement leur refus. Mais ce faisant, elles deviennent en quelque sorte complices. Pourquoi, en effet, réagir aujourd'hui alors qu'hier j'ai laissé faire, se disent-elles ?

On ne le sait pas assez, les situations de violence ont des conséquences dramatiques sur la santé des victimes. Ces femmes développent des troubles psychosomatiques, beaucoup souffrent de dépression. Les conséquences du harcèlement peuvent aller jusqu'au stress post-traumatique. En général, elles perdent confiance en elles, ce qui les prive d'autant plus de moyens de s'en sortir et de se défendre. Perte ou prise de poids, perte de cheveux, troubles dermatologiques graves sont fréquemment la conséquence du harcèlement qu'elles subissent. Souvent d'ailleurs, ces symptômes les aident à sortir du déni. Des patientes me l'ont fait observer : le corps rend visible la violence qu'elles subissent sans toujours s'en rendre compte. Pour moi, ces femmes sont cassées dans leur développement personnel. Le dénigrement et les humiliations qu'elles subissent restent ancrés dans leur mémoire. Ces femmes finissent par penser qu'elles méritent d'être traitées ainsi. Je considère l'ensemble de ces troubles comme une véritable « perte de chances » pour les victimes.

Quant aux conséquences professionnelles du harcèlement pour les victimes, elles sont catastrophiques. Les femmes, en général, perdent leur travail. Leur état de fragilité les empêche souvent d'ailleurs d'en retrouver un. Je connais des cas, en revanche, où le harceleur a été promu : un moyen comme un autre de s'en débarrasser...

J'en viens à la législation sur le harcèlement sexuel. La loi actuelle, adoptée en 2012 366 ( * ) , est parfaitement adaptée aux deux aspects du phénomène, à la fois à ce que l'on peut qualifier d'abus de pouvoir et au harcèlement lié à un environnement humiliant et offensant.

Reste le problème crucial de la prévention par l'éducation, qui à mon avis ne devrait pas être si compliqué à régler. Il s'agit là de la responsabilité des employeurs. Le comportement sexiste peut s'éduquer, même si les choses sont plus compliquées dans la fonction publique que dans le privé, selon moi.

Par exemple, si l'on se réfère à la situation de milieux professionnels qui ont longtemps fonctionné dans un cadre exclusivement masculin, il me semble que l'arrivée des femmes a permis une certaine pacification de l'ambiance qui a soulagé certains hommes, malheureux d'évoluer dans une ambiance sexiste qu'ils ressentaient comme très négative. Il faut le savoir, l'environnement sexiste est souvent mal vécu par les hommes eux-mêmes. C'est à la hiérarchie que revient la responsabilité d'accompagner ces changements. À cet égard, je regrette des pratiques telles que des week-ends professionnels où sont encouragées des ambiances alcoolisées propices à certains débordements. Les femmes qui ne s'y prêtent pas sont stigmatisées ; les hommes qui ne jouent pas le jeu sont mis en cause dans leur virilité même. Or ces réunions sont le plus souvent réservées à des cadres destinés à exercer des responsabilités.

Le harcèlement par abus de pouvoir est, à mon avis, beaucoup plus compliqué à déjouer et à dénoncer. Celui qui a le pouvoir peut en quelque sorte tout se permettre. C'est pour cela que les actrices ont mis si longtemps à prendre la parole.

Par ailleurs, on constate souvent une confusion entre des comportements de séduction (ou prétendus tels), et des propositions sexuelles non désirées.

Dans le second cas, des hommes ne se rendent pas compte que « non, c'est non ». Il faut aussi reconnaître que les femmes devraient savoir opposer un refus clair au lieu d'esquiver pour essayer de trouver un compromis. Or, dans ce domaine, le compromis est par définition difficile ! Il y a une éducation à faire, non seulement des garçons mais aussi des filles, car il est évident que le problème doit être traité dès le plus jeune âge.

Dans certains milieux professionnels, très masculins, des femmes subissent des gestes déplacés non désirés. J'ai entendu un témoignage de ce type, venant d'une policière. Ses collègues masculins trouvaient ça très drôle...

La difficulté pour qualifier le harcèlement sexuel est qu'il résulte d'un mélange de tous ces comportements et agissements et qu'il se met en place progressivement. Les collègues de la victime, d'ailleurs, ont tendance à la considérer comme la favorite du chef. Non seulement ils ne la défendent pas, mais en outre, cela crée un climat malsain pour tout le monde. Il faut travailler avec les hommes pour qu'ils prennent conscience de la différence entre la drague et des propositions sexuelles non désirées, et pour qu'ils arrêtent de faire peser sur les femmes la responsabilité de leur attitude. C'est trop facile d'alléguer des jupes trop courtes !

Une prise de conscience est nécessaire et nous avons des progrès à faire dans le domaine de la sensibilisation au harcèlement. L'une de mes patientes a été traitée de manière différente par la branche américaine de sa société et par la branche française. La branche américaine reconnaissait les faits de harcèlement, au contraire de la branche française. On voit à quel point il nous reste du chemin à parcourir pour reconnaître le harcèlement au travail.

Abordons maintenant la question de la preuve. Toute la difficulté, en matière de harcèlement sexuel, est de réussir à le prouver. Certes, on peut produire des échanges de SMS ou de courriels, le cas échéant avec un constat d'huissier. L' Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT) fait un travail considérable pour accompagner les victimes. L'un des obstacles au dépôt de plainte est que beaucoup de femmes répugnent à rendre publique leur humiliation et à se positionner en victime, ce qui est un risque dans le cadre des suites judiciaires du harcèlement. Il arrive que les cellules de lutte contre le harcèlement mises en place dans les lieux de travail portent plainte en lieu et place des victimes ; dans certains cas, le harceleur porte plainte à son tour pour dénonciation calomnieuse et l'affaire peut se retourner contre celui qui a pris cette initiative. Certaines de mes patientes, que j'oriente vers l'AVFT, décident d'elles-mêmes de ne pas franchir cette étape. Je dois dire que toutes les victimes n'ont pas les ressources nécessaires pour supporter l'épreuve que constitue la procédure judiciaire. Il arrive que le harceleur profère des mensonges extrêmement violents et humiliants dont il est très difficile de se remettre.

En ce qui concerne la loi de 2012 sur le harcèlement sexuel, il s'agit à mon avis d'un texte parfaitement satisfaisant, qui répond bien à la nature complexe du harcèlement. Il reste toutefois à l'appliquer : on se heurte en la matière, comme je l'ai dit à l'instant, au problème de la preuve. Il me semble que les enregistrements de conversations devraient être reconnus comme des preuves, quand bien même ils seraient effectués à l'insu du harceleur. Je pense aussi que la formation des magistrats reste perfectible, notamment pour établir une différence entre harcèlement moral et harcèlement sexuel. La formation au harcèlement devrait être obligatoire pour eux, en formation continue plus particulièrement.

J'ai été sollicitée pour intervenir au Parlement européen et au Conseil de l'Europe, deux institutions qui ont mis en place un système dont on gagnerait à s'inspirer dans notre pays. Il s'agit des « personnes de confiance » ou ombudsmen . Ces personnes, spécialement formées, sont placées en dehors de toute hiérarchie et ont pour mission d'accompagner et d'orienter les victimes. En France, il semble que cette organisation soit peu répandue, ce qui est dommage. Les victimes, se sentant humiliées, ont honte de s'exprimer et sont réticentes à s'adresser à quelqu'un qui relève de leur environnement professionnel. Les DRH ne sauraient être un recours, à mon avis. Il convient plutôt de désigner un intermédiaire neutre, sans lien ni avec la hiérarchie ni avec les collègues de proximité.

Les obligations de prévention des risques psychosociaux, qui reposent sur les employeurs, comprennent la prévention du harcèlement. La législation à cet égard est contraignante, or elle est insuffisamment appliquée. Si l'on se réfère à l'ANI du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail, il y a d'excellentes suggestions pour la prévention du harcèlement. Mais on ne peut s'empêcher de voir dans ce texte un recueil de belles paroles sans conséquences concrètes...

Comment perfectionner la lutte contre les violences dans le couple ? À mon avis, les campagnes d'information visent à l'excès la violence physique. Beaucoup d'hommes et de femmes ne s'y reconnaissent pas. Dans leur esprit, tant qu'il n'y a pas de coup, il n'y a pas de violence. Pour moi, l'éducation à la non-violence doit être plus globale.

S'agissant des difficultés relatives aux plaintes, l'idée d'une pré-plainte en ligne, annoncée par la garde des Sceaux, me semble très prometteuse. Elle est de nature à aider les victimes à franchir le pas, à condition toutefois que cette démarche se traduise par un suivi immédiat des autorités compétentes.

Les stéréotypes sexistes doivent être combattus car ils encouragent des comportements de dénigrement, d'humiliation et de violence. Il faut porter une attention particulière aux images dégradantes de la femme véhiculées par les médias et à la conception du rôle des femmes qui se dégage des émissions de téléréalité. Certaines émissions que je désapprouve vigoureusement sont porteuses de violences potentielles à l'encontre des femmes. Or, les jeunes les regardent assidûment. C'est inquiétant pour l'avenir des relations entre femmes et hommes. Cela me conforte dans la conviction qu'il faut absolument investir dans la prévention pour travailler sur le temps long.

J'ai assisté au Québec à des interventions d'un conseiller en prévention de la violence dans les écoles. Il s'adressait à des élèves de toutes les classes, de la maternelle à la terminale. Grâce à des jeux des rôles mettant les jeunes en situation, il leur expliquait la portée sexuelle de la plupart des insultes dont ils sont familiers. Or les jeunes ne se rendent pas compte de cette dimension, car la plupart du temps, ils ne connaissent pas vraiment le sens de ces expressions. Il faut aussi travailler avec les jeunes pour leur faire prendre conscience de ce que l'autre ressent quand ils l'insultent et l'agressent. Il y a un travail considérable à faire dans ce registre.

J'en viens à l'éducation à la sexualité, à mon avis trop orientée dans notre pays sur les aspects médicaux (prévention du Sida et des maladies sexuellement transmissibles notamment), aux dépens de la notion de respect. Cela nous renvoie à l'échec des ABCD de l'égalité.

Il y a un exemple dont nous pourrions nous inspirer, il s'agit du Nudge 367 ( * ) expérimenté aux États-Unis à l'initiative de Michelle Obama dans le domaine de la lutte contre l'obésité. Peut-être cette méthode serait-elle transposable à l'éducation aux comportements non sexistes ? Il s'agit à mon avis d'une piste à explorer.

Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs, de m'avoir écoutée et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

Annick Billon, présidente . - Merci pour cette intervention très riche. Avant de passer la parole à mes collègues pour la discussion, je voudrais dire que je suis surprise de n'avoir pas entendu dans votre exposé la référence aux « pervers narcissiques » que l'on associe généralement au harcèlement. J'ai assisté récemment dans mon département à une réunion sur le harcèlement au cours de laquelle il a été question de ces pervers comme auteurs. Pourriez-vous développer la question du lien entre harcèlement sexuel et pervers narcissiques ?

Ensuite, je retiens de vos propos que le harcèlement revêt différents visages et que la difficulté principale, face à ce phénomène, reste la question de la preuve.

À cet égard, la réticence ou la difficulté des victimes à dénoncer les faits ne vient-elle pas aussi de leur crainte que leur procédure n'aboutisse pas, en raison de l'absence de preuve ?

Vous avez souligné le rôle des personnes de confiance pour épauler et soutenir les victimes de harcèlement. Ce sont effectivement des jalons essentiels qui peuvent aider la victime à parler.

Je retiens aussi que vous estimez que le dispositif législatif actuel en matière de harcèlement est suffisant, mais qu'il n'est pas encore correctement appliqué, notamment dans les entreprises.

Maryvonne Blondin . - Vous avez cité le problème lié au manque de preuve du harcèlement. S'agissant des agressions sexuelles sur mineurs, la question de la prescription est actuellement présente dans le débat. J'ai évoqué ce sujet avec une magistrate qui a souligné, comme vous, les grandes difficultés de pouvoir apporter une preuve matérielle au bout de vingt ou trente ans. Or notre système juridique est fondé sur la présomption d'innocence et les droits de la défense. Quand on arrive au « parole contre parole », les magistrats peuvent difficilement condamner. On en a une illustration concrète avec la plainte contre un député de la majorité qui vient d'être classée sans suite, faute de preuve.

En ce qui concerne le harcèlement exercé par la hiérarchie, je voudrais citer un rapport de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe auquel j'ai contribué et qui porte sur le harcèlement dans les armées. En France, le ministère de la Défense a mis en place dès 2014 un protocole fondé sur le principe de tolérance zéro pour traiter ce phénomène.

Roland Courteau . - La prévention du harcèlement, qui est en effet fondamentale, passe par la lutte contre les stéréotypes, et ce dès le plus jeune âge. Cela concerne notamment les jouets des enfants (je renvoie à un rapport de la délégation, publié en décembre 2014, sur ce sujet 368 ( * ) ) et cela nécessite une meilleure information des jeunes dans les collèges et les lycées. Nous avions fait en sorte que cette information soit inscrite dans le code de l'éducation, lors du débat sur la loi de 2010 369 ( * ) . Pour information, j'ai rencontré en dix ans environ 14 000 élèves de collège et lycée, à qui j'ai beaucoup parlé de la notion de respect, de la lutte contre les préjugés sexistes et contre les violences, et de l'égalité entre les filles et les garçons.

S'agissant du viol conjugal, il est peu dénoncé car les femmes ont peur. Certains témoignages m'ont d'ailleurs surpris, la victime évoquant son « devoir conjugal », tout en disant que son mari la battait. Voilà qui est stupéfiant de la part des victimes elles-mêmes !

En outre, je m'interroge sur les raisons pouvant expliquer le faible nombre de condamnations au titre des violences psychologiques. S'agit-il d'un problème de définition, de preuve, de témoignage, de formation des magistrats ?

Vous avez dit qu'il faut associer les hommes à la lutte contre les violences faites aux femmes. Je voudrais rappeler que, lorsque j'ai déposé en 2005 une proposition de loi qui a abouti à la loi de 2006 sur les violences 370 ( * ) , j'ai été l'objet de critiques et de moqueries de la part de plusieurs collègues, et cela peut encore arriver. En outre, certaines femmes m'ont demandé à l'époque de quoi je me mêlais...

Annick Billon, présidente . - Cher collègue, merci pour votre engagement que nous connaissons tous.

Laurence Cohen, co-rapporteure . - On voit très bien dans votre exposé que les violences faites aux femmes sont un continuum et s'inscrivent dans un système patriarcal au sein duquel les femmes sont assignées à un rôle mineur depuis la nuit des temps...

N'oublions pas non plus les violences économiques. J'estime pour ma part que les inégalités professionnelles et salariales, qui existent encore en 2017, relèvent de la violence.

Selon un rapport du Défenseur des Droits de 2014, 40 % des femmes qui ont porté plainte pour harcèlement ont perdu leur emploi. Vous avez évoqué les femmes de ménages qui étaient harcelées dans une entreprise sous-traitante de la SNCF. Il semble que les choses commencent à bouger dans le monde syndical, mais il arrive encore que des délégués syndicaux subissent des sanctions pour avoir défendu de telles victimes. Comment mieux les protéger ? Ne devrait-on pas envisager de créer un statut protecteur, un peu à l'image de ce qui existe pour les lanceurs d'alerte ?

Enfin, je voudrais attirer votre attention sur un point de langage. Ernestine Ronai nous a appelés il y a quinze jours à ne pas gommer la référence aux « violences faites aux femmes » dans le langage. Or c'est ce qui se passe quand on se réfère aux violences sexistes et sexuelles. Quand on parle de harcèlement sexuel, on invisibilise en quelque sorte le fait que cette violence affecte très majoritairement des femmes. Soyons vigilants sur ce point.

Pour conclure, je voudrais excuser publiquement notre collègue Victoire Jasmin qui aurait vivement souhaité assister à notre réunion, mais qui a dû repartir en urgence en Guadeloupe à la suite d'un violent incendie au CHU de Point-à-Pitre. Elle m'a demandé de vous le dire ce matin.

Marie-France Hirigoyen . - Bien sûr, il existe un continuum des violences qui s'inscrit dans un système. C'est ce que j'ai essayé d'expliquer. Des violences sexistes aux violences dans le couple et au travail, le processus est le même. Ce continuum facilite insidieusement l'acceptation des femmes qui n'osent pas réagir, mais aussi celle de la société tout entière qui, finalement, considère que ce n'est pas si grave.

Je souscris également à vos propos sur la question du langage et sur la nécessité de conserver la référence à des violences faites aux femmes.

J'en profite pour signaler que le terme « harcèlement de rue » ne me paraît pas du tout approprié. Il faut trouver une autre expression. Le harcèlement s'inscrit dans la répétition. Il y a des définitions juridiques du harcèlement, qu'il soit moral ou sexuel. Ce terme me paraît dangereux car il mène à la confusion et à la banalisation.

Les syndicats sont en train d'évoluer positivement sur la question du harcèlement. Je précise que le syndicaliste qui avait défendu les femmes de ménage que j'ai évoquées a lui-même été licencié. Dans certains syndicats, il a existé une ambiance machiste dont ils n'avaient pas conscience. Peut-être est-ce en train de changer. Il y a toutefois encore beaucoup à faire à ce niveau. On constate notamment une différence entre les prises de conscience individuelles et la direction des syndicats, qui devrait donner des consignes beaucoup plus claires pour cadrer certaines dérives auxquelles on peut assister, aussi bien du point de vue du harcèlement sexuel que moral.

La prévention dans les écoles est essentielle et devrait être faite partout, et pas seulement ponctuellement. Néanmoins, il ne faut pas minimiser les difficultés des enseignants, qui sont eux-mêmes gênés par des jeunes qui recourent à un langage sexuel qui les heurtent.

Roland Courteau . - La loi oblige les établissements scolaires à mettre en place ce type d'information. À ce titre, elle autorise les chefs d'établissement à inviter des associations ou des personnes qualifiées. Je regrette que le ministère de l'Éducation nationale n'ait pas fait passer d'instruction en ce sens, par exemple à l'occasion de la journée du 25 novembre, sept ans après le vote de la loi...

Marie-France Hirigoyen . - Quand il y a des interventions d'associations bénévoles dans les établissements, elles portent généralement sur les aspects médicaux (Sida, MST...). Il y a une sorte de terrain glissant quand il s'agit de parler de respect et de consentement, il est difficile de ne pas tomber dans la leçon de morale.

La semaine dernière, à l'occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, j'ai réalisé plusieurs interventions, dont une à Strasbourg avec Ernestine Ronai. Des classes entières sont venues nous écouter et une mère m'a confié qu'elle regrettait de ne pas être venue avec ses enfants. Il manque en effet quelque chose. Comment mettre en place cette information de façon régulière dans les établissements ?

Ce que vous avez dit sur le devoir conjugal, je l'entends très souvent. Dans certains cas, le mari empêche la femme de sortir et lui dit qu'elle lui « appartient ». Dans d'autres cas plus graves encore, les hommes imposent des pratiques sexuelles à leurs partenaires qui les désapprouvent (échangisme, sadomasochisme). Ces femmes acceptent de se prêter à ces pratiques malgré leur répugnance, en pensant que cela aidera leur couple et que leur conjoint en sera moins violent. Or elles peuvent se faire piéger si elles sont filmées et que le mari menace ensuite de donner la vidéo au juge en cas de séparation. Elles craignent dans ce cas de perdre la garde des enfants.

Je veux redire l'importance d'associer les hommes à la lutte contre les violences faites aux femmes. Il faut qu'ils soient les plus nombreux possibles. Par ailleurs, il ne faut pas tomber dans la caricature et la stigmatisation auxquelles nous incitent certains médias - notamment américains - qui font leurs choux gras des scandales sexuels actuels : la grande majorité des hommes sont respectueux des femmes et non-violents.

J'en profite ici pour faire une incise sur la proposition de loi relative à la résidence alternée, en cours de discussion à l'Assemblée nationale. Ce texte me paraît particulièrement dangereux dans le contexte actuel, comme s'il voulait donner l'opportunité à certains de régler leurs comptes avec des femmes. On ne peut pas fonctionner comme ça, cela ne va rien régler. On a au contraire besoin de travailler ensemble sur ce sujet.

Concernant la prescription, le problème de preuve est réel. Il est vrai qu'on voit des personnes pour qui cela ne remonte qu'aujourd'hui, longtemps après les faits. Mais cela remonte en ce moment aussi, parce qu'on en parle. Il y a une zone grise entre ce qui est humainement acceptable et ce qui est juridiquement démontrable. La justice ne peut agir qu'avec des preuves.

Vous avez parlé de l'armée : il y aurait probablement encore beaucoup à faire. Je pense aussi aux casernes de pompiers et aux policiers...

En ce qui concerne le faible nombre de condamnations au titre des violences psychologiques, il me semble que les magistrats craignent de se faire manipuler, notamment en cas de séparation et de divorce. Toutefois, on ne peut pas simuler la peur. Sur la violence psychologique, la loi précise qu'on peut recueillir tous les éléments de preuve suffisants. En particulier, les praticiens médicaux qui accueillent régulièrement une personne et ont suivi son évolution peuvent rédiger des certificats pour attester de la réalité de ces violences. Le problème est qu'il y a parfois des personnes qui viennent nous voir une fois, se déclarant victimes de violences et demandant un tel certificat. Or il est évident qu'il ne m'est pas possible de rédiger ce type de document pour une personne que je n'aurais vu qu'une ou deux fois. Je précise d'ailleurs que le Conseil national de l'Ordre des médecins nous déconseille de faire le moindre papier dans ces situations.

Je suis très concernée par la violence faite aux enfants en cas de violences conjugales, et cela commence dès la grossesse. On sait qu'un enfant dont la mère enceinte a été victime de violences en sera fortement impacté. Cela donne des enfants de petit poids, voire des enfants qui présentent un stress post-traumatique à la naissance. Plus ils sont jeunes et plus les conséquences seront graves pour leur développement. Enfin, ils risquent eux-mêmes, une fois adultes, de reproduire la violence dans leur couple. C'est pourquoi, lutter contre les violences faites aux femmes, c'est aussi faire oeuvre de prévention pour les générations suivantes.

Céline Boulay-Espéronnier . - Je voudrais pour ma part revenir sur une question qui me paraît importante mais quasiment taboue et très peu abordée dans le déferlement médiatique actuel : qu'en est-il des femmes qui sont harcelées et qui finissent par céder à l'auteur des faits, sous son emprise ? Dans ce cas, comment se passent les procédures lorsqu'elles décident finalement de porter plainte ? Cela ne complique-t-il pas leur situation ?

Marc Laménie . - Je vous remercie beaucoup pour votre exposé. J'ai pris conscience de l'ampleur du sujet. Vous avez évoqué la question cruciale de la formation des magistrats. Cela concerne aussi les gendarmes et les policiers, mais ils manquent parfois de temps pour participer à ces formations. Il faudrait également élargir ces dernières à toutes les forces de l'ordre, aux travailleurs sociaux et aux personnels de l'Éducation nationale, car il y a encore des vides à combler en ce domaine.

Laure Darcos . - Je voulais revenir sur l'AVFT dont vous avez parlé. Il se trouve que, la semaine dernière, dans le cadre de la semaine de lutte contre les violences faites aux femmes, j'ai eu l'occasion de me rendre à l'université Paris-Sud où la présidente avait invité une troupe de théâtre pour une séance de jeux de rôle sur le thème du harcèlement. Dans ce cadre, nous pouvions passer du rôle du harceleur à celui de la victime ou des témoins, et j'ai réalisé que lorsqu'on se trouve dans la position de la victime, on se sent beaucoup plus démuni que lorsqu'on est spectateur.

L'un des jeux de rôle m'a plus particulièrement marquée. Il s'agissait de se mettre à la place du conjoint d'une personne subissant du harcèlement. J'ai pris conscience que dans la plupart des cas, le conjoint peut avoir une tendance à minimiser le harcèlement moral, à s'inquiéter avant tout de la « vertu » de sa femme en cas de harcèlement sexuel, bref, à culpabiliser la victime. Il y a donc un réel travail de sensibilisation à mener.

Comme Annick Billon, j'aurais souhaité aborder la question des troubles psychiques des auteurs de harcèlement. Par exemple, existe-t-il une corrélation entre les harceleurs et la bipolarité ? Cette pathologie présente-t-elle un terrain favorable au harcèlement ?

Annick Billon, présidente . - À ce stade de notre réunion, je veux insister sur trois éléments décisifs lorsque l'on évoque les questions de harcèlement. Premièrement, la définition du harcèlement et la question des limites qui varient en fonction des époques et des personnes. Deuxièmement, le rôle essentiel de l'éducation des jeunes et de la formation de tous les acteurs en contact avec les victimes. Troisièmement, l'importance de l'écoute, et notamment celle de l'entourage des personnes harcelées et des policiers qui prennent la plainte, pour mettre en confiance les victimes et leur permettre de parler, sans bloquer la parole.

Céline Boulay-Espéronnier . - Au bout du compte, quel peut être l'intérêt d'une femme victime de harcèlement à déposer plainte quand on connaît le parcours semé d'embûches qui l'attend ?

Marie-France Hirigoyen . - J'ai eu l'occasion de faire avec l'Unicef, en 2015, des séances de prévention sur le harcèlement scolaire. Dans ce cadre, nous avions demandé à des jeunes de jouer différents rôles : celui du proviseur, du harceleur et du harcelé notamment. Cet exercice a donné des résultats très probants. Il était malheureusement limité aux seules classes de seconde, et ponctuel. Nous devrions développer ce type d'initiatives et les étendre à toutes les classes.

Sur la réaction des conjoints harcelés, je vous invite à regarder le film Trois huit de Philippe Le Guay, qui met en scène un travailleur victime de harcèlement moral chez Saint-Gobain. Le fils ne supporte pas que son père soit victime et le critique comme quelqu'un de faible. Je souligne à cet égard que les compagnes ont encore plus de mal à comprendre que leur mari ou conjoint soit victime de harcèlement moral, car cela va à l'encontre de leur représentation de la virilité.

S'agissant du harcèlement sexuel, il faut savoir que certaines femmes ne parlent pas car elles craignent la réaction de leur conjoint. Je pense notamment à des victimes de harcèlement sexuel à l'AP-HP qui refusaient de parler, redoutant le déshonneur qui pourrait en rejaillir sur leur famille. Cela explique le silence de beaucoup de femmes.

En ce qui concerne l'accueil des victimes, il faut admettre qu'il y a eu beaucoup de progrès. Dans la plupart des grandes villes, on trouve des référents dédiés pour suivre ce type de plaintes. Ils sont en général bien formés et sensibilisés. Il faudrait accentuer la formation de ces professionnels qui ont une mission complexe et qui peuvent être déroutés par l'ambivalence des victimes.

Il faut le savoir, beaucoup de victimes de harcèlement sexuel que je vois, et qui d'ailleurs ne s'en remettent pas, ont fini par céder. L'exemple classique est celui du déplacement professionnel, au cours duquel le harceleur se retrouve dans la chambre voisine de sa victime et ira frapper à sa porte. La femme ouvrira pour éviter un scandale à l'hôtel. Ou encore une réunion tardive qui aboutit à ce que le harceleur ramène sa victime chez elle en voiture, en l'absence de métro.

Ces femmes ont cédé par lassitude, pour avoir la paix. Ce faisant, elles deviennent complices malgré elles. Mais consentir n'est pas souscrire ! Ces femmes sont épuisées psychologiquement. Malheureusement, elles sont bien souvent, après avoir cédé, rongées par la culpabilité, craignant que leur comportement ne soit ébruité. Injustice suprême, ces victimes perdent souvent leur travail, quand les harceleurs sont rarement sanctionnés.

Céline Boulay-Espéronnier . - Il me semble que cette injustice n'est pas assez mise en avant.

Marie-France Hirigoyen . - Je pense aussi à une jeune femme étrangère qui n'était pas encore régularisée, et qui a préféré céder à son harceleur, craignant de ne pas obtenir ses papiers en cas de refus.

Ce n'est pas parce que ces femmes ont cédé qu'elles ne pourront pas déposer plainte, mais cela complique leur situation.

En ce qui concerne le profil psychique des harceleurs, je dirais que la bipolarité n'est pas une excuse. Par ailleurs, faisons attention à ne pas galvauder la notion de « pervers narcissique » (que j'ai moi-même contribué à faire connaître). Il faut faire une différence entre les hommes immatures et machistes en raison de leur éducation, qui peuvent évoluer si on les sensibilise au problème, et ceux qui sont atteints de troubles de la personnalité. Notre société valorise dangereusement les comportements limite de ces hommes autoritaires et manipulateurs. Ils arrivent souvent à monter dans l'échelle sociale et développent des stratégies de pouvoir en toute impunité. Notre société ne cadre pas assez ce type de comportements. Je dirais que les psychologues rencontrent aujourd'hui beaucoup moins de personnes névrosées que de personnes atteintes de troubles de la personnalité, qui sont dans une recherche effrénée de pouvoir au détriment des autres. C'est une raison de plus pour poser des limites.

Annick Billon, présidente . - Nous vous remercions pour cette audition passionnante. Certes, tout ne peut pas être réglé par la loi, il y a un travail à mener dans un esprit de prévention, sur l'éducation et la formation, et l'on peut à cet égard se réjouir des annonces du ministre de l'Éducation nationale, qui souhaite mettre en place des mesures de sensibilisation à destination des jeunes.

Audition de Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP),
sur le harcèlement sexuel et les agissements sexistes au travail

(7 décembre 2017)

Présidence d'Annick Billon présidente

Annick Billon, présidente . - Dans la continuité de l'audition de Marie-France Hirigoyen la semaine dernière sur le harcèlement, nous entendons ce matin Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), pour évoquer les agissements sexistes au travail, qui sont encore bien présents, si l'on se réfère aux chiffres existants.

Je remercie Brigitte Grésy d'avoir une nouvelle fois accepté notre invitation. Je rappelle que nous l'avions auditionnée en 2016, avant l'examen de la « El Khomri 371 ( * ) ».

Le CSEP, sous son égide, a publié en mars 2015 un important rapport intitulé Le sexisme dans le monde du travail, entre déni et réalité , qui dresse un panorama complet du sexisme dans le monde du travail, de sa prise en compte dans le droit et des instruments de régulation et de sensibilisation mis en oeuvre au sein des entreprises.

En 2016, madame la secrétaire générale, vous avez publié un ouvrage intitulé Le sexisme au travail, fin de la loi du silence , dont je recommande vivement la lecture. Comment définiriez-vous le sexisme et comment situez-vous l'agissement sexiste et le harcèlement ?

Qu'en est-il de la prévention de l'agissement sexiste depuis son introduction dans le code du travail par l'article 20 de la loi du 17 août 2015 372 ( * ) , à l'initiative de plusieurs membres de notre délégation ? Cette disposition est-elle mobilisée par les plaignantes et leurs avocats ? Quelle est la portée effective de cette interdiction ?

Pouvez-vous faire état de politiques d'entreprises prenant en compte les violences sexistes et sexuelles ? Quels leviers juridiques proposez-vous dans ce domaine ?

Nous nous interrogeons également sur les conséquences éventuelles de la disparition des Comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et des délégués du personnel prévue par les ordonnances, pour ce qui concerne la prévention du sexisme dans l'entreprise. Ne peut-on craindre, en effet, que le CHSCT, qui peut interpeller les employeurs et demander des enquêtes en matière de sexisme et de harcèlement sexuel, ne soit affaibli dans cette prérogative par la fusion des instances représentatives du personnel ?

À cet égard, la CGT vient de recommander la mise en place de « référent-e-s violences » dans les entreprises pour accompagner les victimes, diligenter des enquêtes et suivre la mise en oeuvre de mesures de prévention. Qu'en pensez-vous ? Ces référent-e-s ont-ils leur place dans le code du travail modifié par les ordonnances ?

Le CSEP a-t-il constaté, dans le cadre de la libération de la parole, une hausse du nombre de plaintes et une plus grande mobilisation des entreprises et des syndicats en matière de prévention du harcèlement et du sexisme ?

Par exemple, le kit élaboré par le CSEP pour agir contre le sexisme dans le cadre de la campagne « Sexisme, pas notre genre » est-il largement diffusé dans les entreprises ?

Qu'en est-il plus particulièrement du MEDEF ? A-t-il, à votre connaissance, favorisé la mise en place d'outils pour aider les employeurs à s'approprier leur devoir de prévention ?

Nous comptons sur vous pour nous apporter des éléments de réponse sur ces nombreuses interrogations, ainsi que, le cas échéant, sur d'autres points que je n'aurais pas soulevés et qui vous paraîtraient importants.

À l'issue de votre présentation, les membres de la délégation feront part de leurs réactions et ne manqueront pas de vous poser des questions.

Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes . - Je suis très heureuse de revenir devant vous, alors que la situation au regard du harcèlement a profondément changé. Je suis les questions d'égalité depuis 1999, à des postes différents - cheffe de service des Droits des femmes, directrice de cabinet de la ministre chargée des Droits des femmes, Inspectrice générale des affaires sociales - mais toujours sous l'angle des politiques publiques. Aujourd'hui, je constate un changement de posture. Un quart des agressions sexuelles se fait au travail et une salariée sur cinq est victime de harcèlement sexuel. Il existe un décalage entre la réalité du phénomène et sa prise en compte dans les structures collectives. Je précise que je n'évoque que la situation sur le marché du travail, qui est le champ d'action du CSEP, et non dans la fonction publique, qui relève du Conseil commun de la fonction publique. J'ajoute aussi que j'interviens aujourd'hui à titre personnel, et que les opinions que je vais exprimer devant vous ne reflètent pas la position officielle du CSEP.

On peut distinguer trois étapes.

Jusqu'en 2010 environ, l'égalité professionnelle était traitée comme un bloc : la situation respective des hommes et des femmes était évaluée à l'aune de différents critères : embauche, formation, qualifications... Les violences et le harcèlement sexuel étaient traités à part. Ainsi, généralement, le 8 mars on parle de l'égalité professionnelle, et le 25 novembre - Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes - on évoque le harcèlement sexuel et les autres violences sexuelles au travail.

Grâce à différents mouvements, français et anglo-saxons, on a assisté à un changement à partir des années 2010, et surtout à partir de 2013. On a pris conscience de la « tragédie des 20 % ». Alors que les femmes représentent plus de la moitié de l'humanité, il y a toujours un « gap » entre elles et les hommes. Les chiffres sont parlants : alors que 83 % des femmes âgées de vingt-cinq à quarante-neuf ans travaillent, l'écart de rémunération avec les hommes en moyenne brute annuelle s'élève à 27 % ; 25 % des experts des médias sont des femmes ; 20 % des salariés à temps partiel sont des hommes ; les hommes ne prennent en charge que 20 % du temps domestique. S'agissant de la mise en oeuvre de la loi Copé-Zimmermann 373 ( * ) , si l'on prend en compte l'entièreté de son champ d'application, on a seulement 30 % de femmes dans les conseils d'administration des entreprises visées par la loi de 2011, alors que l'objectif était d'atteindre 40 %.

L'arsenal juridique de l'égalité est très complet, même si on peut toujours l'améliorer. Le discours politique sur l'égalité est tout à fait à la hauteur. Pourtant, tout se passe comme si les politiques publiques en faveur de l'égalité réelle, pourtant menées avec conviction, ne produisaient pas tous leurs effets. Cela s'explique par les résistances archaïques fondées sur la persistance des stéréotypes de sexe entre les femmes et les hommes, si bien mis en valeur par Françoise Héritier. Ces stéréotypes sont fondés sur la binarité des compétences et des aptitudes - masculin contre féminin, dur contre mou, rigueur contre intuition, actif contre passif -, et sur la stigmatisation et l'infériorisation de tout ce qui relève du féminin. Dans la vie comme dans la grammaire, le masculin l'emporte sur le féminin !

Les stéréotypes de sexe ne créent pas en eux-mêmes les inégalités, mais ils les légitiment en les rendant invisibles et naturelles. Ils peuvent aboutir à un traitement différencié des hommes et des femmes, c'est-à-dire à un système discriminatoire appelé le sexisme. Le sexisme au travail, c'est à la fois une idéologie qui érige la supériorité d'un sexe sur l'autre, et des actes, comportements, propos et attitudes qui infériorisent les femmes dans le monde du travail, ce qu'on peut appeler le sexisme ordinaire, et peuvent aussi porter atteinte à leur intégrité physique (harcèlement sexuel, agressions sexuelles, viol) et, in fine , créent une souffrance telle qu'elle produit des impacts forts, y compris sur la performance au travail.

Le CSEP a fait une enquête en 2013 auprès de 20 000 cadres, hommes et femmes, et en 2015 auprès de 16 000 non cadres sur la question du sexisme ordinaire : 80 % des personnes interrogées ont déclaré avoir été victimes de sexisme au travail. Pour 90 % de ces personnes, le sexisme avait eu des conséquences négatives sur leur sentiment d'efficacité au travail et sur leur confiance en elles.

Il s'agit donc d'un phénomène massif et insuffisamment appréhendé. Le sexisme au travail couvre un champ qui va du sexisme ordinaire jusqu'au harcèlement sexuel, à l'agression sexuelle, au viol, en passant par la discrimination. Selon moi, il ne faut pas dire qu'il y a un continuum strict des violences : celui qui fait une blague sexiste à la machine à café n'est pas forcément celui qui va agresser sexuellement. Du moins, ce sujet n'est pas documenté. Simplement, le sexisme ordinaire crée un terreau favorable aux dérives en tous genres.

En 2015, nous avons abouti, grâce à votre délégation, à l'introduction de l'agissement sexiste dans le code du travail, grâce à la loi Rebsamen : « Nul ne doit subir d'agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. » Sont visés tous les petits mots ou comportements qui, l'air de rien, de façon sournoise, délégitiment, infantilisent, décrédibilisent les femmes dans le monde du travail.

Aux côtés de l'agissement sexiste, on trouve le harcèlement sexuel et l'agression sexuelle.

Il faut se demander si la discrimination à raison du sexe est une discrimination comme les autres. Doit-on s'en tenir à un principe d'équivalence des discriminations ? Les femmes sont non pas une minorité visible, mais une majorité invisible. Majoritairement, les femmes et les hommes travaillent et vivent ensemble tout au long du jour et de la nuit : il existe une interdépendance entre eux pour les besoins de la reproduction et du désir, ce qui crée une porosité entre la sphère du travail et la sphère privée. Sont ainsi importées dans la sphère du travail des représentations de la femme imprégnées de l'image privée. La femme a une double image, positive et négative : elle est celle qui protège, la mère, et celle qui pervertit, la putain. Et cette irruption de l'intime dans le monde du travail brouille les relations interpersonnelles et participe de l'invisibilité du phénomène.

À cela s'ajoute l'utilisation du temps, c'est-à-dire la charge, notamment mentale : les femmes assurent encore 80 % du travail domestique et les deux tiers du temps parental.

De ce fait, on ne peut pas utiliser pour les femmes les mêmes leviers d'action que ceux applicables aux autres groupes discriminés. Si les lois ne fonctionnent pas à l'égard des discriminations à l'encontre des femmes, c'est parce que le sexisme au travail repose sur des systèmes de pensée archaïques très ancrés. Il faut donc prendre en charge ce problème culturellement. Quelques illustrations de cet ancrage profond des inégalités : les métiers majoritairement féminins sont sous-valorisés par rapport à ceux qui sont majoritairement masculins. Je le dis souvent, il est aussi difficile de porter une personne âgée dépendante - le quotidien de celles qui travaillent dans les métiers du Care - que de porter un sac de ciment, ce que l'on retrouve dans les métiers industriels, mais ce n'est pas valorisé comme tel dans la classification des métiers. Toutes les compétences discrètes des femmes - gestion des conflits, anticipation... - sont moins valorisées que les compétences requises dans les secteurs comme la chimie ou la sidérurgie, qui se réfèrent à une conception classique de la pénibilité. On nous dit que les big datas, fondés sur les algorithmes savants, vont faire disparaître les discriminations entre les sexes, alors que les données fournies pour construire les algorithmes intègrent les stéréotypes sexistes.

Entre 2013 et 2015, donc, a émergé l'idée que le sexisme faisait déraper les choses. C'était une première évolution.

Puis est arrivée l'affaire Weinstein, et l'explosion de la parole et de l'écoute. Dès lors, les questions de politique d'égalité professionnelle ne peuvent qu'intégrer les atteintes à l'intégrité du corps des femmes, ce qui n'était pas le cas auparavant. Tout à coup, le 8 mars s'invite le 25 novembre, et les questions relatives aux violences s'inscrivent dans la réflexion sur l'égalité professionnelle ! L'égalité professionnelle doit aujourd'hui être traitée par des politiques structurelles sur l'embauche et la formation, mais aussi en agissant sur la culture symbolique du sexisme.

Pour répondre à votre question, madame la présidente, il n'y a eu jusqu'à présent aucun contentieux sur le fondement de l'agissement sexiste, car on ne se l'est pas encore approprié. Aujourd'hui, nous avons l'occasion de mettre sur la table la question des violences sexistes et sexuelles. Auparavant, je considérais le sexisme non pas comme de la violence, mais comme des actes qui infériorisaient les femmes. Certains partenaires sociaux travaillent depuis longtemps sur cette question, comme la CGT ou la CFDT, FO également. Aujourd'hui, il me semble qu'il est plus facile de traiter tout en bloc : le sexisme ordinaire, l'agression sexuelle, le harcèlement sexuel, le viol.

Alors que peut-on faire ? Je vais vous exposer ma position personnelle sur la question et non la position officielle du CSEP, comme je le disais tout à l'heure.

On peut agir sur un certain nombre de leviers. Le premier est celui de la négociation. L'obligation de négocier un accord sur l'égalité professionnelle et la qualité de vie au travail est une disposition d'ordre public. Cette obligation de conclure un accord - à défaut, l'entreprise doit produire un plan unilatéral - doit être respectée par toutes les entreprises de plus de 50 salariés, sous peine d'une sanction qui peut aller jusqu'à 1 % de la masse salariale. Cette obligation porte sur neuf domaines d'action - le neuvième a été ajouté en 2014 et concerne « la santé et la sécurité au travail ». Les entreprises de plus de 300 salariés doivent décliner au moins quatre domaines sur neuf ; celles de moins de 300 salariés, trois domaines sur neuf. Un domaine est obligatoire : l'égalité des rémunérations.

Il est temps d'ajouter à la formule « santé et sécurité au travail » les mots « dont les violences sexistes et sexuelles ». Dans la partie réglementaire du code du travail, il faudrait prévoir un indicateur sur les violences sexistes et sexuelles.

Le deuxième levier est celui de la prévention. On prend désormais en considération les risques psychosociaux. Dans l'Accord national interprofessionnel de 2010 sur le harcèlement et la violence au travail et dans celui du 19 juin 2013, il était indiqué que la question de la violence et des stéréotypes devait être prise en compte.

Aux termes de l'article L. 4121-2 du code du travail, les employeurs doivent mettre en oeuvre des actions de prévention fondées sur neuf principes généraux. Parmi ceux-ci figuraient déjà les risques liés au harcèlement moral et sexuel. Ont été intégrés en 2016 ceux liés aux agissements sexistes.

Nous avons donc les moyens législatifs pour agir. Mais 80 % des entreprises (source CGT) ne prévoient pas de plan de prévention. La CGT a proposé une disposition nouvelle prévoyant une sanction.

Par ailleurs, aux termes de l'article L. 4121-3 du code du travail, l'évaluation des risques doit tenir compte de l'impact différencié de l'exposition aux risques en fonction du sexe. Cela traduit l'idée que les risques n'atteignent pas de la même façon les hommes et les femmes. Peu de choses sont faites dans ce domaine. Il faudrait mettre en place un groupe de travail pour élaborer un outil prévoyant une méthode d'évaluation des risques pour la santé liés aux violences sexistes et sexuelles, et des mesures de prévention à intégrer dans le document unique d'évaluation des risques et le plan de prévention. Nous avons là dans la loi une pépite que l'on n'exploite pas !

Avec l'intégration du CHSCT dans le Comité social et économique (CSE) a émergé la crainte d'une dilution des sujets. Aujourd'hui, un seul délégué peut saisir le CSE sur un sujet donné ; mais il faudra être vigilant. Cette peur a été exprimée lors de la dernière réunion plénière du CSEP, qui portait sur la prise en compte des violences sexistes et sexuelles au travail.

Une déléguée syndicale nous a indiqué avoir participé à une réunion où le nombre de présents et de sujets évoqués était tel que des cas de harcèlement n'avaient pu être évoqués. Quelle portée donnons-nous à la parole et à ces sujets sensibles ?

Au-delà de la prévention, il faut recourir davantage à des instruments de régulation dans l'entreprise, et notamment le règlement intérieur, qui est sous-utilisé. C'est un acte réglementaire de droit privé, obligatoire dans les entreprises et les établissements de plus de vingt salariés, et établi de manière unilatérale par l'employeur. Il y a des clauses obligatoires en matière d'hygiène, de sécurité et de règles générales de discipline. La loi du 8 août 2016 374 ( * ) a obligé, via l'article L. 1321-2 du code du travail, à citer dans le règlement intérieur les agissements sexistes à côté des harcèlements moral et sexuel. Le CSEP a analysé plusieurs règlements intérieurs ; la plupart du temps, la formulation des dispositions est insensible au genre ; le contenu de la loi de 2012 375 ( * ) - le harcèlement est caractérisé par la répétition ou une pression grave - n'est pas inscrit dans les règlements intérieurs, et la technicité et la généralité de ses dispositions sont telles qu'elles sont incompréhensibles si elles ne sont pas expliquées et commentées.

Il faudrait recommander aux entreprises de libeller une clause générale, afin que l'ensemble du personnel ait des comportements respectueux envers les hommes et les femmes. Une circulaire de la Direction générale du travail pourrait ainsi obliger les règlements intérieurs à comporter l'intégralité des dispositions de la loi de 2012 sur les harcèlements moral et sexuel, ainsi que sur les agissements sexistes, exemples à l'appui.

En Belgique, toute nouvelle personne recrutée doit signer le règlement intérieur. On pourrait ainsi compléter l'article R. 1331-1 du code du travail par un deuxième alinéa prévoyant que le règlement intérieur est remis en mains propres à tout nouvel employé et signé à nouveau en cas d'avenant au règlement intérieur contre une décharge affirmant sur l'honneur qu'il a pris connaissance du règlement intérieur.

Autre instrument, les codes d'éthique, qui nous viennent des États-Unis, et qui sont une base d'autorégulation. Nous en avons examiné plusieurs, américains ou français. Généralement, ils sont insensibles au genre - sauf un code d'éthique français. Il faudrait obliger l'employeur à intégrer dans ce document le sexisme au sens large, et à définir ses différentes manifestations, en rappelant l'interdiction des agissements liés au sexe. Il en est de même dans le label Égalité, qui prévoit des dispositions très complètes dans son cahier des charges, mais mentionne le sexisme sans autre précision. Le sexisme ordinaire, l'humour sexiste devant la machine à café doivent être prohibés, mais pas l'humour...

Troisième pilier, la formation doit être renforcée. Je vous ai apporté des guides qui fleurissent dans des organisations comme FO, la CFDT ou certaines entreprises. Ces outils de sensibilisation sont essentiels. J'ai moi-même fait du sexisme sans le savoir. Ce sexisme exclut les femmes et les auto-exclut. Nous sommes tous tombés dans la marmite des stéréotypes depuis que nous sommes petits, et avons intégré leurs prédictions auto-réalisatrices.

La formation et la sensibilisation sont essentielles. Il faut rendre obligatoire, par la loi, une formation aux violences sexistes et sexuelles. Le CSEP a réalisé un guide et interrogé les entreprises. Les formations à la négociation collective étaient nombreuses, surtout depuis la loi Génisson (encore une sénatrice !) de 2001 376 ( * ) qui rendait obligatoire la négociation sur l'égalité professionnelle. Et ces formations se sont renforcées lors de la loi de 2010 qui prévoit des sanctions. Mais il existe aussi le mythe de « l'égalité déjà là » et les entreprises se sont tournées depuis quelques années davantage vers les formations sur les stéréotypes de sexe mais sans en tirer toutes les conséquences sur les effets du sexisme. Dès lors, il faudrait rendre obligatoire une formation aux violences sexistes et sexuelles, pour tous les salariés, et en particulier pour les membres des Comités sociaux et économiques (CSE, futures instances représentatives du personnel), les partenaires sociaux, les managers et les responsables des ressources humaines. Ces formations doivent permettre de réfléchir, de montrer comment certains comportements peuvent déboucher sur du sexisme, et lutter contre certains travers : la femme qui se sent coupable, dont on booste la confiance, ou bien l'absence d'interrogation sur la responsabilité collective du sexisme... Aujourd'hui, il faut des formations liant les violences sexistes et sexuelles à l'égalité professionnelle, et intégrer une obligation de former. La loi du 27 janvier 2017 377 ( * ) a modifié l'article L. 1131-2 du code du travail pour faire en sorte que dans « toute entreprise employant au moins trois cents salariés et toute entreprise spécialisée dans le recrutement, les employés chargés des missions de recrutement reçoivent une formation à la non-discrimination à l'embauche au moins une fois tous les cinq ans. » Prévue à l'article L. 4141-2 du code du travail, la formation à la sécurité est également obligatoire. Rajoutons donc dans les formations obligatoires une formation sur les violences sexuelles et sexistes à destination de tous les salariés, sinon au moins aux managers, partenaires sociaux, responsables des ressources humaines et responsables de la santé et de la sécurité au travail.

Quatrième point, au-delà de la prévention et de la sensibilisation, il faut s'attaquer au traitement des victimes du sexisme. Les délégués du personnel ont un droit d'alerte, prévu à l'article L. 2313-2 du code du travail. L'employeur peut alors diligenter une enquête avec le délégué. C'est une organisation juridique intéressante. Parallèlement, certaines entreprises ont mis en place un dispositif d'alerte professionnelle comme des cellules d'écoute ou le traitement des plaintes et réclamations. Ainsi, chez Areva, « tout salarié doit pouvoir faire état et porter à la connaissance de l'entreprise des événements discriminatoires - discriminations, agissements ou harcèlements discriminatoires. » Les parties rappellent que de telles situations peuvent remonter par les voies normales et habituelles que sont les lignes hiérarchique, fonctionnelle, les ressources humaines, les représentants du personnel, les déontologues, voire les voies judiciaires. Ces réclamations peuvent également être portées à la connaissance du responsable en charge de la lutte contre les discriminations au sein de la Direction de la diversité et de l'égalité des chances. Cette possibilité est aussi ouverte à des tiers témoins. Le traitement des réclamations et alertes est interne au groupe, centralisé et complémentaire aux voies de recours précitées, soumises à autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

Ces cellules d'alerte existent seulement dans certaines entreprises. Il faut aussi faire attention à certains points : le choix ou non du principe d'anonymat ou de la confidentialité, pour éviter les dénonciations calomnieuses ; la légitimité des instances ou des personnes saisies de l'alerte ; le périmètre de l'alerte ; la traçabilité des données recueillies. On pourrait imaginer un lieu d'écoute et de libération de la parole, soit interne, soit externe à l'entreprise, comme évoqué dans l'accord national interprofessionnel de 2002.

L'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 378 ( * ) relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique crée le dispositif du lanceur d'alerte, d'abord pour la lutte contre la corruption économique. Mais le lanceur d'alerte y est défini comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit ». Un décret précise qu'il faut un référent légitime, stable, une pratique de signalement, et prévoit comment pratiquer les signalements.

Un travail reste à mener sur le lanceur d'alerte et le droit d'alerte pour savoir s'il faut construire quelque chose, éventuellement obligatoire - mais en mutualisant pour les petites entreprises - afin de permettre le recueil de la parole, qui doit être bienveillant sans être complaisant. Le conflit est consubstantiel à toute vie collective, et donc à la vie dans l'entreprise, il peut être riche sauf s'il est lié à un motif de discrimination et notamment en raison du sexe : dans ce cas, il détruit la personne. Le sexisme est différent de la compétition entre les individus. On vit huit à douze heures ensemble chaque jour en entreprise... Il faut faire la part des choses : sensibiliser, prévenir et traiter.

Les effectifs de l'Inspection du travail ont diminué de 20 % depuis 2010. D'après la circulaire de novembre 2012 du directeur général du travail, consécutive à la loi sur le harcèlement, elle a comme mission d'informer sur les nouvelles dispositions, donc sur celles concernant les agissements sexistes. Mais la sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles ne fait pas l'objet d'une évaluation par l'Inspection du travail. Autre mission, elle contrôle et peut réaliser des enquêtes. Mais le traitement des violences sexistes et sexuelles n'est pas identique dans toutes les régions ; il faudrait se pencher sur ce sujet.

Cinquième pilier, les sanctions et les réparations doivent être renforcées. L'entrepreneur se doit d'être réactif. Il a différents moyens, comme son pouvoir disciplinaire, insuffisamment utilisé. Il doit insister sur le caractère inacceptable de ces violences. Il faut aussi permettre la réparation, soit en nature sur le contrat de travail ou la rémunération, soit en dommages et intérêts ou indemnités.

Le CSEP a rédigé un Kit pour agir contre le sexisme ; trois outils pour le monde du travail , sous le logo « Sexisme, pas notre genre ! » dont Mme Rossignol est responsable...

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - ...et même coupable !

Brigitte Grésy . - Nous avons travaillé sur dix leviers de lutte contre le sexisme ordinaire - ou les violences sexistes et sexuelles, c'est la même chose... Ce guide est un must dans les entreprises : souvent, on nous en demande 40, 50 ou 100 exemplaires. Il est téléchargeable sur le site du CSEP. Plusieurs entreprises s'inspirent de ce kit pour réaliser leurs guides, complétés avec leurs propres exemples. Elles se l'approprient donc totalement, ce qui est une très bonne chose. Les leviers de lutte contre le sexisme valorisés par le kit sont : construire un programme d'action contre le sexisme, porté au plus haut niveau de l'entreprise ; définir clairement les actes prohibés ; mettre en place une politique de prévention du sexisme ; intégrer la lutte contre le sexisme dans le dialogue social ; sensibiliser à la question du sexisme l'ensemble des personnes appartenant à l'entreprise ; prendre en charge les victimes et traiter les situations de sexisme ; instaurer une vigilance sur les stéréotypes de sexe dans les procédures du ressort des ressources humaines ; construire une communication interne et externe dépourvue de caractère sexiste - au contraire de la dernière campagne de communication du Salon de l'étudiant , par exemple, qui cantonnait les femmes aux métiers du Care et à la communication ; assurer une promotion active du programme d'action contre le sexisme ; établir un baromètre de confiance au sein de l'entreprise et procéder à des évaluations régulières...

Annick Billon, présidente . - Merci de votre intervention. Pourquoi, à votre avis, n'y-a-t-il pas de contentieux à ce stade sur le fondement de l'agissement sexiste ? Est-ce parce que ce type de contentieux a peu de chances de prospérer ?

On peut observer, il me semble, des différences de traitement dans l'accueil des femmes victimes de violence selon les entreprises et la taille des entreprises. Souvent, les obligations sont plus importantes dans les grandes entreprises que dans les PME, instaurant de facto une inégalité de traitement des femmes. Les grandes entreprises ont établi des guides, qu'en est-il des PME ?

Françoise Laborde, co-rapporteure . - Merci de votre intervention. Vous nous aidez à avancer. De nombreuses choses existent déjà, même si les dispositifs peuvent toujours être améliorés. Il faut de la formation, de la prévention et appliquer les sanctions, vous avez raison de le souligner.

Je réagis positivement à vos propositions sur le règlement intérieur des entreprises ; j'avais fait adopter certaines dispositions dans le code du travail lors de la discussion de la loi « El Khomri » 379 ( * ) , notamment à la suite de l'affaire Baby Loup. Le règlement intérieur est un outil qu'il faut absolument mobiliser. Si l'on arrive à responsabiliser l'encadrement supérieur, les directeurs des ressources humaines et l'ensemble des salariés, ce sera une grande avancée. Inspirons-nous de l'exemple belge que vous nous avez commenté pour responsabiliser les salariés. Une fois le règlement intérieur signé, la personne est censée l'avoir lu. Cela doit accompagner la signature du contrat de travail. Renforçons la loi et insistons aussi sur tout ce qui existe déjà.

Laurence Cohen, co-rapporteure . - Merci pour cet exposé complet. La loi est extrêmement riche, mais tout le problème réside dans son application. Creusons cette piste : faut-il augmenter les sanctions, notamment financières ? Actuellement, certaines entreprises peuvent se défausser. Tenons compte des entreprises vertueuses sur l'égalité salariale et professionnelle, qui jouent le jeu et appliquent la loi.

Rappelons-nous que faire évoluer la condition des femmes, c'est faire progresser toute la société. En 2017, je suis horrifiée par l'absence d'égalité salariale : c'est une perte pour le budget de l'État et pour la protection sociale. Le patriarcat est un système puissant.

Vous rappelez votre manque de moyens pour diffuser le guide sur le sexisme. Dès qu'il s'agit de droit des femmes, c'est le bénévolat qui domine. Vous êtes bien placée pour le savoir, madame la secrétaire générale. Les budgets ne sont pas à la hauteur des enjeux ; c'est scandaleux !

Marta de Cidrac . - La discrimination sexiste et sexuelle est-elle un facteur aggravant d'autres discriminations ? J'ai moi-même entendu une jeune femme d'origine indienne se plaindre de discrimination pour raisons sexistes et sexuelles, et on lui a répondu que c'était plutôt du racisme de base... J'ai l'impression que les deux discriminations se cumulaient. Comment faire la part des choses dans le code du travail ?

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Je vous recommande la lecture du livre de Brigitte Grésy, La Vie en rose , excellent ouvrage pour comprendre les stéréotypes de sexe. Après le discours de l'Élysée du 25 novembre du Président de la République, la ministre du Travail a été chargée d'organiser une table ronde et un groupe de travail. Où en est-on ? Le CSEP a-t-il été sollicité ?

Par ailleurs, je m'adresse tant à l'agrégée de grammaire qu'à la spécialiste des stéréotypes. Quel est votre avis sur l'écriture inclusive et la féminisation de la langue ?

Laure Darcos . - Après toutes ces années d'observation du monde du travail, avez-vous détecté une corrélation entre le sexisme au travail et la parité ? Dans le secteur de l'édition dans lequel je travaille, les femmes sont majoritaires, et la question du sexisme se pose moins. Dans le monde politique, il a fallu instaurer des quotas et la parité... Lors des élections locales, le sexisme est moins présent qu'auparavant. Les hommes reconnaissent que les femmes travaillent différemment et nous montrent plus de respect. Mais ce n'est pas encore le cas au Parlement, vous l'avez souligné...

Dans ma société, la responsabilité sociétale de l'entreprise (RSE) est une question souvent saisie par les femmes. Lorsque les femmes sont à parité, voire majoritaires, le regard est différent. Qu'en est-il aussi de l'égalité salariale ? Malgré la loi Copé-Zimmermann, il est très difficile pour des femmes d'accéder à des postes d'administrateurs, a fortiori de membres de comités exécutifs et ce même si, comme moi, elles ont suivi une formation spécifique...

Roland Courteau . - Plus nous creusons ce sujet, plus je suis choqué. Stendhal, en 1840, affirmait : « L'admission des femmes à l'égalité parfaite sera la marque la plus sûre de la civilisation et elle doublera les forces intellectuelles du genre humain ». Les choses ont changé, mais les inégalités salariales n'ont été réduites que de 3 % en vingt ans. À ce rythme, nous atteindrons l'égalité parfaite en 2186... Il est nécessaire de s'attaquer aux stéréotypes sexistes dès le plus jeune âge !

Annick Billon, présidente . - Merci, cher collègue, pour cet éclairage littéraire et historique.

Brigitte Grésy . - Il n'y a pas de contentieux spécifique sur les agissements sexistes, mais parfois des entreprises concluent de magnifiques accords qui ne les empêchent pas de tolérer des agissements sexistes. Nous avons écrit ce guide pour montrer que les leviers d'action ne sont pas forcément les mêmes. On joue sur la culture, mais les stéréotypes perdurent. Ce sont souvent les grandes entreprises qui se saisissent du sujet. Dans les accords sur l'égalité, il y a eu environ 2 000 mises en demeure depuis 2003 et 100 pénalités. Plus de 80 % d'entre elles concernent des PME. Lorsqu'il n'y a pas de service de ressources humaines ou de structuration suffisante, les responsables font comme ils peuvent, à flux tendu. Dans les PME, il y a aussi une telle proximité avec les individus qu'il peut y avoir des ajustements de l'ordre de l'interrelationnel - sauf présence de déviants notoires. Mais cela repose sur la bonne volonté, à la différence des grandes entreprises qui mettent en place des politiques structurées.

Il existe une énorme différence dans la prise en compte de l'égalité professionnelle selon la taille des entreprises. Seules les entreprises de plus de 50 salariés doivent signer un accord, alors que celles de moins de 50 salariés n'ont à prendre en considération qu'un objectif d'égalité professionnelle. Il faudrait un véritable site Internet sur l'égalité professionnelle porté par le ministère du Travail et celui des Droits des femmes, facile d'accès, et comprenant de nombreux exemples : comment faire un accord, qu'est-ce que le sexisme, comment le traiter...

Nous avons aussi besoin de régulation et d'outils d'encadrement pour faciliter le travail des PME. À l'heure du numérique, il n'y a pas suffisamment d'informations disponibles sur Internet.

Il faut responsabiliser les entreprises. Faut-il augmenter les sanctions - c'est une piste possible - augmenter le nombre de domaines concernés, renforcer certains d'entre eux ? Certaines dispositions, actuellement uniquement supplétives, pourraient être déclarées d'ordre public.

Il y a un véritable problème d'appropriation des outils relatifs à l'égalité. Faut-il aller jusqu'au name and shame ou privilégier le name and honour ?

Peut-être faut-il aussi prendre en compte la recommandation européenne sur la transparence des rémunérations. Les lois anglaises et finlandaises vont plus loin. Il y a un mouvement vers la transparence des rémunérations. En France, les entreprises sont obligées d'en faire une synthèse portée à la connaissance des salariés et disponible sur le site Internet, mais il n'existe qu'un seul indicateur sur les rémunérations moyennes ou médianes. Il faudra travailler sur la transparence dans ce domaine et, éventuellement, prendre des sanctions.

Nous avons une obligation de progrès. On pourrait établir des classements, comme le baromètre Ethics and board , sur la place des femmes dans le top 100 des entreprises - mais, rappelons-le, ce baromètre ne traite pas des rémunérations. Il manque une réflexion plus globale sur l'impact de l'égalité professionnelle et de l'égalité de rémunération. Il faut avoir conscience du fait que lorsqu'on améliore les conditions de travail des femmes sur les chaînes de montage, en créant des outils de portabilité par exemple, on améliore aussi l'ergonomie pour les hommes moins costauds ou qui prennent de l'âge !

Il faut faire le même raisonnement à propos des temps de vie. Pour moi, il y a un droit individuel de chacun à la parentalité. La performance au travail est liée au réseau d'interdépendances, souvent prises en charge par les femmes. Si l'on prend en compte l'équilibre du temps de vie, on laisse du temps non seulement pour la vie familiale, mais aussi pour le mandat syndical, le sport, la récupération...

Laure Darcos . - Pour les femmes politiques aussi !

Brigitte Grésy . - Lorsque les femmes sont arrivées en nombre dans le secteur médical, certains craignaient une dévaluation de l'exercice de la médecine. Certes, les femmes avec de jeunes enfants ont fait en sorte de ne pas avoir à se réveiller trois fois par nuit pour des urgences, et ont préféré se regrouper dans un cabinet où une personne par nuit gérait les urgences. Et d'ailleurs, avoir trois regards sur un même patient plutôt qu'un n'est pas forcément plus mal. Ce sont les conditions de l'exercice de la médecine qui changent, pas forcément sa qualité qui se déprécie...

À chaque fois qu'on met de l'égalité, on transforme les processus d'organisation et les modèles culturels. C'est valable dans tous les domaines. Cette problématique est insuffisamment traitée. On considère l'égalité comme un business case : mettez de l'égalité, votre chiffre d'affaires va augmenter. Et, en conséquence, les femmes sont recrutées pour leur valeur ajoutée. Elles ont été exclues du contrat social ( cf. Rousseau) sous prétexte qu'elles étaient différentes et incapables de faire. Voilà qu'elles sont incluses précisément au motif qu'elles devraient être différentes, et donc complémentaires des hommes. Le talent des femmes est tellement repéré que des analystes mettent en évidence l'augmentation du PIB qui résulterait d'un taux d'activité des femmes équivalent à celui des hommes et de l'égalité de rémunération. Les inégalités de rémunération sont donc responsables d'un manque à gagner en cotisations sociales et en fiscalité, en talents, en absence d'équilibrage des compétences et en gâchis des capacités extrêmement pénalisant. Mais ne les traitons pas seulement par le prisme de la performance. Il s'agit aussi d'un modèle social à transformer. On ne peut faire la révolution numérique et la transition énergétique si l'on ne pose pas la question du salarié au travail. L'arrivée des femmes aux postes de gouvernance est un fait et les hommes auront moins accès à des postes de gouvernance. Mais est-ce une catastrophe ? Qu'est-ce qu'une belle carrière ? Là aussi, il y a une réflexion à mener. On pourrait avoir des postes de management, puis d'audit, avant de manager de nouveau, et différemment... Une carrière ne serait pas linéaire mais irait dans plusieurs directions. Il faut imaginer des conditions de travail et des carrières différentes.

Vous évoquiez le manque de moyens, sachez que je suis bénévole depuis cinq ans à mon poste...

Quant au cumul des discriminations, à la question de l'intersectionnalité, ils ne sont pas suffisamment étudiés - on parle de discrimination systémique, avec par exemple le cumul sexe, origine et âge. On a progressé sur la discrimination directe, mais la discrimination à raison du sexe est une discrimination indirecte. La discrimination systémique a un effet multiplicateur. Mais notez que le fait d'être une femme d'origine indienne travaillant dans l'informatique par exemple peut être un avantage, voyez à Bangalore...

Une table ronde, multilatérale, sur les violences sexistes et sexuelles se tiendra en janvier, et le CSEP est mobilisé. Tous les partenaires sociaux doivent envoyer leurs remarques à Muriel Pénicaud avant le 15 décembre. Je n'en sais pas plus.

La féminisation des titres de fonction est le B-A BA. Au Moyen Âge, on féminisait de manière assez systématique. Vaugelas et Malherbe sont responsables de l'idéologie ayant imposé le masculin, le mâle étant considéré comme plus noble que la femelle. Au XIX e siècle, on disait encore la médecine et la médicineuse. L'introduction de l'école publique obligatoire à la fin XIX e siècle a abouti à simplifier les règles - et à les appauvrir. Contrairement à ce que prétendent les tenants du masculin, il n'y a pas de neutre dans la langue française.

Laurence Cohen, co-rapporteure . - Et il y a eu l'Académie française...

Brigitte Grésy . - Oui, au XX e siècle, elle a noyauté le sujet. Mais une femme fait bouger les choses de l'intérieur... Je suis partisane de l'écriture inclusive car elle donne de la visibilité aux femmes. Ajouter « .e » ou « .e.s » est certes long, mais au prix d'une contrainte légère, à laquelle on s'habitue car ce « point milieu » devient un réflexe ; on obtient des textes riches de toutes les différences, comme un tableau de Brueghel, qui font apparaître la multiplicité de la population, au lieu de la neutralité qui noyait la diversité. La règle de la proximité - on ne peut faire plus simple ! - a été utilisée par Ronsard. Elle s'imposera, je ne suis pas inquiète. Auparavant, l'absence de féminisation des fonctions représentait une inégalité de traitement entre madame la directrice d'école et madame le directeur d'une grande banque.

La montée en puissance de la parité réduit le sexisme. L'appropriation et la familiarisation avec des visages féminins réduit le sexisme, même si cela n'empêche pas des poches de résistance, des montées de la masculinisation et des poussées de peurs identitaires qui ressurgissent, comme la peur inspirée il y a quelques années par les ABCD de l'égalité. Non, ce n'est pas parce que l'on agit comme le font majoritairement les hommes à certains postes que l'on deviendra un homme... Faisons la différence entre l'identité et l'orientation sexuelle et l'identité sexuée. Les femmes et les hommes ne sont pas faits pareil mais peuvent faire pareil dans le monde du travail, quasiment à tous les postes. Cela ne doit pas créer de peurs identitaires.

Annick Billon, présidente . - Je vous remercie.

Audition de Marie Pezé, docteure en psychologie, spécialiste de psychopathologie du travail, sur les conséquences pour les victimes du harcèlement et des agressions sexuelles au travail

(7 décembre 2017)

Présidence d'Annick Billon présidente

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons notre matinée sur les violences sexuelles et sexistes au travail par l'audition de Marie Pezé, docteure en psychologie, ancienne experte judiciaire, responsable du réseau de consultation « Souffrance au travail ».

Madame Pezé, vous êtes à l'origine de la création de la première consultation « Souffrance au travail » à l'hôpital de Nanterre. Nous aimerions que vous nous parliez des conséquences du harcèlement et du sexisme sur la santé physique et mentale des personnes concernées.

Bien sûr, la souffrance au travail dépasse le sujet du harcèlement ; elle trouve souvent son origine dans certaines formes de management qui induisent beaucoup de pression chez les salariés. À cet égard, quelle est la spécificité du sexisme ordinaire et du harcèlement sexuel par rapport aux autres formes de souffrance au travail ?

Dans son ouvrage Le sexisme au travail, fin de la loi du silence , Brigitte Grésy, que nous venons d'entendre, souligne que les liens entre souffrance psychique et travail ne font pas encore l'objet d'analyses très précises, et qu'ils sont souvent déniés, encore plus lorsqu'ils concernent le sexisme ordinaire. Qu'en pensez-vous ? Pourriez-vous développer ce point ?

Dans le cadre de votre consultation, quelle proportion représentaient les personnes victimes de sexisme et/ou de harcèlement sexuel ? S'agissait-il majoritairement de femmes ?

Enfin, pourquoi les victimes de violences sexuelles et sexistes au travail parlent-elles tardivement ? Qu'est-ce qui rend l'émergence de la parole si difficile ?

Madame Pezé, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.

Nous comptons sur vous pour nous apporter des éléments de réponse sur ces questions, ainsi que, le cas échéant, sur d'autres points que je n'aurais pas soulevés et qui vous paraîtraient importants !

À l'issue de votre présentation, les membres de la délégation feront part de leurs réactions et ne manqueront pas de vous poser des questions. Je vous laisse sans plus tarder la parole.

Marie Pezé, docteur en psychologie, spécialiste de psychopathologie du travail . - Je vous remercie de me recevoir. Je pense qu'il est important de préciser que la consultation que j'ai créée en 1996 a d'emblée été axée sur ce qu'on appelle la division sexuelle du travail, véritable terreau du sexisme ordinaire dans ce pays. C'est bien cette discrimination de système que je vais vous présenter ce matin. Car au-delà de la partie apparente, qui émerge actuellement sur les réseaux sociaux, cela fait trente ans, en réalité, que l'on étudie les conséquences de cette division sexuelle du travail sur la santé des femmes.

Je vous renvoie à cet égard à l'enquête Sumer réalisée par la DARES et la Direction générale du travail (DGT) tous les six ans. Il s'agit d'une enquête épidémiologique prédictive qui porte sur 23 millions de salariés, illustrée par des chiffres très précis sur les tableaux cliniques des femmes et des hommes, faisant apparaître une spécificité des pathologies féminines dans le monde du travail. C'est une donnée encore méconnue, en raison d'une forme de « construction de l'ignorance » sur toutes ces questions de souffrance au travail.

Je précise qu'il y a aujourd'hui 130 consultations dédiées à la souffrance au travail et que nous essayons de développer dans ce domaine un bon maillage territorial. J'ai également été à l'origine, avec Christophe Dejours, de la création du certificat de psychopathologie du travail, le seul délivrant un enseignement sur cette division sexuelle du travail et formant des cliniciens à même de prendre en charge ces spécificités.

La question de la différence de traitement au travail des hommes et des femmes et des conséquences qui en résultent sur leur santé a été présente dès l'origine de ma consultation. J'ai en effet travaillé pendant trente ans dans un service de chirurgie de la main, pionnier dans la prise en charge des troubles musculo-squelettiques (TMS) chez les femmes, au sein duquel j'ai pu constater la prévalence de ces troubles et du syndrome du canal carpien chez les femmes. Les chirurgiens de l'époque l'expliquaient par des causes hormonales, se référant à la grossesse ou à la ménopause. On peut le dire, le sexisme ordinaire imprégnait les théories scientifiques de l'époque, qui n'étaient donc pas très crédibles... Il a fallu attendre longtemps pour que le lien entre l'apparition préférentielle et tendancielle de ces TMS chez les femmes et les postes déqualifiés qu'elles occupaient dans la hiérarchie des métiers, soit établi.

C'était une importante avancée. Il me paraissait en effet très difficile d'expliquer à l'ouvrière qui vissait 27 bouchons par minute que les pathologies dont elle souffrait étaient imputables à son OEdipe, alors que c'est à ce poste que l'assignait l'organisation du travail. De même, comment aurais-je pu dire aux jeunes femmes cadres travaillant dans le quartier de la Défense que le masochisme féminin était responsable de leur moindre rémunération, à hauteur de 30 % ? De la même manière, il me paraissait incongru de demander aux jeunes femmes harcelées pourquoi elles n'étaient pas parties plus tôt - c'est ce que leur disaient les psychiatres -, alors que démissionner fait perdre ses droits sociaux, ce qu'une femme en situation de monoparentalité - cas hélas très répandu dans notre pays - ne peut absolument pas se permettre...

Je voudrais vous faire comprendre ce qui me paraît être le terreau de tout le reste. On peut lutter contre le sexisme ordinaire, contre le harcèlement sexuel au travail, mais quand le premier message qu'on envoie à une jeune femme qui se présente sur le marché du travail, c'est qu'il va falloir qu'elle accepte d'être payée entre 20 et 30 % de moins qu'un homme, quand on lui indique lors de son entretien d'embauche qu'elle est jeune et aura des enfants, et que de ce fait elle n'évoluera pas dans sa carrière, on lui fait intérioriser sa prétendue infériorité. Les femmes intègrent ainsi dans leur inconscient ce que Danièle Kergoat appelle la « position féminine fautive » (c'est-à-dire que tout ce qui peut arriver est la faute des femmes) et la nécessité d'adopter des comportements de soumission pour pouvoir « se faufiler et passer entre les gouttes ».

Nous ne voulons pas de cette règle sociale implicite pour nos filles, nos soeurs et nos enfants : il est donc temps de leur envoyer un message de véritable égalité.

Pour bien comprendre les implications de la division sexuelle du travail, il est important de se référer aux travaux de Danièle Kergoat et Héléna Hirata, toutes deux directrices de recherche au CNRS, spécialistes de ce sujet depuis de nombreuses années. Des recherches existent dans ce domaine, mais elles n'ont pas encore « infusé » dans l'ensemble de la société.

La division sexuelle du travail s'inscrit dans une conception de la société fondée sur deux caractéristiques : d'une part, l'assignation prioritaire des hommes à la sphère productive et celle des femmes à la sphère reproductive ; d'autre part, la captation par les hommes des fonctions à très forte valeur politique, religieuse et militaire. Il en résulte deux principes organisateurs du marché du travail : on distingue des travaux d'hommes et des travaux de femmes, les premiers valant plus que les seconds. Et encore aujourd'hui, c'est une réalité quotidienne !

Les hommes ont construit une hiérarchie des métiers reflétant le paradigme de l'assignation des hommes au dehors, à l'espace public, et des femmes au-dedans, à l'espace privé, ainsi que le fonctionnement physique, psychologique, social, des hommes et leurs ambitions. Or ils n'ont pu mettre au point une telle organisation que parce que les femmes les libéraient de la prise en charge des enfants et de la sphère domestique.

Dans notre pays, on constate la permanence d'une organisation « au masculin neutre ». Aux hommes, l'attribution des métiers de conception et de direction, aux femmes celle des métiers de subordination, d'exécution et de prise en charge des autres (ce que l'on appelle le Care ).

Je vous rappelle, mesdames, que nous sommes naturellement assignées à la prise en charge des enfants, des vieillards, de l'aspirateur, de la cuisine ! Autant de savoir-faire prétendument naturels qui induisent sur le marché du travail des embauches avec de faibles qualifications, peu de formation et encore moins de reconnaissance.

Les femmes se trouvent ainsi confrontées à ce que j'appellerais une double peine : une embauche discriminatoire accompagnée de la mise en invisibilité, dans une organisation du travail « au masculin neutre », de la seconde journée qu'elles doivent encore assumer de manière tendancielle même si, fort heureusement, les jeunes hommes s'occupent désormais un peu plus des enfants. Mais, vous le savez, toutes les études mettent en avant la persistance de la prise en charge des tâches domestiques par les femmes, ce qui s'accompagne d'une lourde charge mentale. C'est une réalité.

Nous sommes le seul pays, en Europe et parmi les États anglo-saxons, à maintenir cette organisation du travail au masculin neutre. Certains de mes proches sont partis à l'étranger. Par exemple aux Pays-Bas, où tout le monde prend son mercredi et quitte le travail à 17h30. Ou encore au Canada, où, alors qu'ils travaillaient comme cadres supérieurs jusqu'à 21h00 en France, ils se sont retrouvés seuls dans leur open-space , le premier jour, à 17h30, car tous leurs collègues étaient partis chercher leurs enfants à l'école. À Tübingen, enfin, ville universitaire allemande où il est exclu de travailler le week-end. À ma connaissance, ces trois pays ne sont pas en voie de développement et leur économie se porte bien !

Comment expliquer que dans notre pays, les entreprises persistent à organiser les réunions tard le soir, à donner les rapports à taper aux secrétaires en fin de journée, si ce n'est parce que perdure une organisation du travail pour des hommes débarrassés de la prise en charge de la vie familiale par les femmes ? L'idéologie managériale à la française repose sur le « présentéisme », alors qu'ailleurs il est considéré comme de l'incompétence. Dans notre pays, si vous n'êtes pas encore au bureau à vingt heures, on considère que vous n'êtes pas « corporate », ni engagé dans la vie de l'entreprise. En conséquence, la femme qui quitte le bureau à dix-huit heures subit des remarques du type « tu prends ton après-midi ? ». Ce travers me préoccupe d'autant plus que je suis convaincue que si nous parvenions à faire bouger cette idéologie managériale, nous pourrions résoudre la question des épuisements professionnels qui détruisent actuellement les intelligences françaises, mais aussi les foyers. Je rappelle que le taux de divorce dans les cas de burn-out est de 80 %.

Il est donc extrêmement important de s'attaquer aux fondements de cette idéologie, car cela permettrait de faire progresser la santé au travail, qu'il s'agisse de celle des hommes ou de celle des femmes.

Pour en revenir à la division sexuelle du travail, l'enquête Sumer est très précise sur le fait que les comportements humiliants et hostiles tels que le harcèlement sexuel ou le sexisme ordinaire affectent majoritairement les femmes, et déclenchent chez elles des syndromes anxio-dépressifs et des pathologies spécifiques. Chez les hommes, le mal-être au travail provient plutôt de l'absence de reconnaissance ou de l'inadéquation de certains postes par rapport à leurs ambitions sociales.

Je vais maintenant vous parler plus en détail des dégâts de la division sexuelle du travail sur le corps des femmes.

En premier lieu, les femmes qui évoluent dans une organisation du travail « au masculin neutre » et qui y occupent un poste important ont tendance à « neutraliser » leur corps féminin. Ainsi, comme Michèle Alliot-Marie l'a fait à l'époque où elle était ministre et où on ne l'a plus jamais vue en robe, la plupart des femmes cadres adoptent « l'uniforme » de mise - noir ou bleu marine -, plutôt des tailleurs pantalons, des coupes de cheveux sportives, des bijoux de bon aloi et un maquillage discret - car il faut tout de même se maquiller. Il s'agit pour ces femmes d'être coquettes sans être sexy, de montrer qu'elles sont des femmes, mais sans risquer d'attirer les éventuelles réflexions des hommes.

Ceci n'est pas sans conséquence, surtout quand on sait que les femmes entrent généralement dans le monde du travail avec une grosse différence de salaire et se heurtent à une progression ralentie de leur carrière, à travers des grossesses qu'on leur reproche : combien de femmes ne retrouvent pas leur poste au retour de congé maternité ? Combien sont placées dans une voie de garage pour finalement bénéficier d'une retraite au montant dérisoire ?

La neutralisation du corps féminin et le sentiment d'être en faute parce qu'on est une femme - la position féminine fautive dont je parlais à l'instant - induisent des pathologies spécifiques. Dans nos 130 consultations « souffrance et travail », nous accueillons des milliers de patients et de patientes chaque année. Cela représente une belle cohorte clinique, mais, faute de moyens - car c'est moi finalement qui finance le réseau par les formations que je peux dispenser - on ne peut pas analyser ce magnifique matériau clinique issu de nos consultations, qui pourrait certainement vous servir dans vos travaux.

30 % de femmes en situation de discrimination au travail, avec toute la panoplie des comportements dont Brigitte Grésy vous a parlé, présentent des pathologies de la sphère gynécologique. C'est un chiffre colossal. L'identité et la construction identitaire partent du corps réel. La construction du deuxième corps, celui que j'appelle le corps érotique, imaginaire, sexué ou genré, s'appuie sur ce corps physique, mais c'est aussi là qu'il vient s'éteindre quand cette identité sexuelle est mise à mal. Ainsi, les femmes victimes de la division sexuelle du travail présentent très rapidement des métrorragies (règles abondantes) ou des aménorrhées (disparition des règles) - dont elles ne s'étonnent d'ailleurs même plus -, mais aussi des kystes des ovaires et du sein, des cancers de l'ovaire, du sein et de l'utérus. La sphère corporelle étant soumise au stress aigu dans le cadre de la souffrance au travail, cela provoque une hyper-sécrétion de cortisol qui va entraîner l'atteinte des différentes fonctions sollicitées au travail.

À cet égard, j'ai du mal à comprendre pourquoi notre pays continue à rattacher la santé au travail au ministère du Travail, plutôt qu'au ministère de la Santé, ce qui fait que la santé au travail n'est pas incluse dans les études de médecine. Cela ne facilite pas l'identification des atteintes à la santé au travail. A l'inverse, dans d'autres pays où il n'y a pas plus de médecine du travail qu'en France - je pense au Japon et aux États-Unis par exemple - les cardiologues ont fait des études remarquables montrant des liens entre des risques cardio-vasculaires et les conditions de travail des femmes. Je pense notamment à une enquête américaine sur les femmes cadres qui montre que ces femmes présentent des taux d'infarctus de 45 %, corrélés avec la double journée, des postes à très haute responsabilité et très peu de congés ou d'arrêts maladie. Nous savons que les trois principaux critères des infarctus féminins sont des durées de travail supérieures à 60 heures par semaine, des changements de tâches constants et un vécu d'impasse, c'est-à-dire la sensation que rien ne change malgré l'expression de ce qui ne va pas dans l'organisation de leur travail.

Peut-être certaines d'entre vous se reconnaissent-elles dans ces situations, car c'est comme ça que le travail des femmes se passe sur le terrain. Nous savons aussi que le taux d'infarctus féminin explose en France mais on entend encore que cela est dû au fait que les femmes boivent et fument comme des hommes ! Jamais, en France, vous n'entendez un cardiologue parler du présentéisme exigé au travail, de la double journée qui est demandée aux femmes et de la charge mentale, pour expliquer ces statistiques affolantes.

Laissez-moi vous dire à quel point cette charge mentale est préoccupante du côté des hommes comme des femmes. Le clivage est un mécanisme de défense inscrit dans le psychisme. On ne le contrôle pas. Une femme au travail ne peut donc pas s'empêcher de penser à tout ce qu'elle doit faire à la maison : préparer le dîner du soir, récupérer les chemises au pressing, faire le repassage, penser à appeler le pédiatre parce que le petit dernier démarre une rhino, et comme il n'est pas question de le garder à la maison, il va donc falloir prescrire, voire « sur-prescrire », des antibiotiques...

La surconsommation française de médicaments n'y est pas étrangère. Ma fille vit à Amsterdam et l'on n'y prescrit jamais d'antibiotiques quand les petits sont malades : les employeurs renvoient chacun des deux parents à leur domicile pour qu'ils puissent s'occuper de leur enfant malade. Et cela va de soi. Une autre culture de santé est possible ; les rapports sociaux de sexe et la construction de la division sexuelle du travail représentent donc un enjeu crucial de santé publique, qui dépasse le problème du sexisme ordinaire et du harcèlement sexuel au travail. Il s'agit de préserver notre société du chaos social dans tous les aspects de la vie des travailleurs (vie privée et vie sociale).

Pour conclure, je souhaiterais vous présenter trois cas concrets, ce que j'appelle des « vignettes », pour vous aider à prendre la mesure de ce qui se passe sur le terrain.

Le premier cas est celui d'une jeune femme, secrétaire depuis six ans dans une entreprise de cordistes. Ce type d'entreprise emploie principalement des hommes ancrés dans leur virilité, mais cette jeune femme a néanmoins su y faire sa place. Les ressources humaines lui ont attribué des toilettes séparées. Un jour, le patron de l'entreprise la convoque pour lui annoncer qu'il vient d'embaucher un nouveau cordiste et qu'il anticipe des relations compliquées avec cette personne. Effectivement, la première chose que le nouveau recruté va faire sera de souiller les toilettes de la jeune femme pour « marquer son territoire ». À longueur de journée, il va l'humilier, faire des gestes déplacés. Cette jeune femme va alors se plaindre à son patron et au service des ressources humaines, lequel, tout en lui disant qu'elle a mauvais caractère, va prendre la décision de poser un verrou sur ses toilettes. Or cette décision est une erreur : il aurait fallu convoquer le salarié et le recadrer, dans la logique de l'obligation légale de sécurité des salariés à la charge de l'employeur. Ce cadenas témoignait d'une faiblesse disciplinaire vis-à-vis du salarié. La situation n'a donc fait qu'empirer jusqu'à ce que la victime fasse une crise de nerfs sur son lieu de travail. Elle n'a pas été soutenue par sa hiérarchie. Elle a été arrêtée pour maladie. Elle présentait les symptômes d'un stress post-traumatique. Trois jours après le début de son arrêt maladie, son employeur l'a appelée pour lui proposer une rupture conventionnelle, synonyme de perte d'emploi. Le médecin du travail, mal formé, a seulement reproché à l'employeur l'absence d'effectif féminin au sein de l'entreprise, ce qui n'était pas le problème en l'espèce. C'est dire l'importance de la formation !

Le deuxième cas est celui d'une jeune femme qui travaille dans une boutique de manucure et d'esthétique. Elle subit un attouchement sexuel de la part de son patron. Celui-ci lui demande par ailleurs de faire de fausses attestations afin de licencier deux employées qui ne lui plaisent pas. La jeune femme refuse. Les choses s'enveniment. Elle va voir le médecin du travail qui l'arrête dans le cadre d'un accident du travail. La Sécurité sociale refuse et diligente un enquêteur qui se rend sur place pour entendre le patron. Ce dernier lui raconte que son employée se prostitue dans l'hôtel voisin du salon entre douze heures et quatorze heures. L'enquêteur de la Sécurité sociale, mandaté pour s'assurer que l'incident déclaré par la salariée a bien eu lieu sur le lieu de travail, va alors se rendre à l'hôtel pour vérifier si cette jeune femme loue une chambre entre midi et deux.

Comme en témoigne cette réaction hallucinante de l'enquêteur, qui excède ses prérogatives, il est consternant de réaliser que le sexisme ordinaire imprègne les comportements et les raisonnements intellectuels de tout un chacun. Nous avons pris en charge cette jeune femme et déposé un recours devant la Sécurité sociale pour obtenir la reconnaissance de son arrêt en accident du travail. Notre réseau compte des inspecteurs du travail, des juristes et des avocats. La jeune femme a déposé plainte pour harcèlement sexuel contre son patron et sera défendue par l'une des avocates avec laquelle nous travaillons.

Le troisième cas que je vais vous décrire me paraît encore plus grave. Il concerne une jeune femme, commerciale dans une entreprise dont je ne citerai pas le nom, embauchée par un responsable qui apprécie ses compétences et souhaite qu'elle « fasse carrière ». Six mois après son embauche, au cours d'une soirée de fin d'année, le responsable qui l'a recrutée, dans l'impunité d'une atmosphère alcoolisée, l'humilie en public par un geste sans ambiguïté et une proposition d'ordre sexuel. La jeune fille en sort bouleversée et honteuse, contrairement à son agresseur dont la conscience morale est émoussée par l'alcool. Certains de ses collègues la plaignent et proposent de témoigner, quand d'autres disent : « que veux-tu, c'est comme ça ». On voit l'enjeu de la prévention et de la sensibilisation, car ces personnes n'ont pas réalisé qu'il s'agissait d'une agression sexuelle.

Après cet incident, la jeune femme passe toute l'année suivante à essayer d'éviter cet homme qui lui fait régulièrement des propositions ou lui impose des gestes déplacés. Au cours de la soirée festive de l'année suivante, le même homme récidive et lui fait de nouveau subir en public des attouchements sexuels. La jeune femme est tétanisée et c'est un autre responsable qui les sépare de force. La victime se retrouve en état de stress post-traumatique et tombe dans ce que l'on appelle la dissociation. Anesthésiée, elle parvient juste à dire qu'elle veut rentrer chez elle. Son responsable la ramène donc à l'hôtel, il monte dans l'ascenseur et au moment d'appuyer sur le bouton de son étage, il lui rappelle que dans cette entreprise, « quand on veut y arriver, il faut coucher ». Elle finit par le suivre et passe la nuit avec lui. Il faut bien avoir à l'esprit que l'état de dissociation pose la question du consentement. À partir de là, il devient impossible à la jeune femme d'avoir des rapports sexuels avec son mari. Elle grossit de quarante kilos. Elle est de plus en plus mal et leur couple s'en ressent. Son mari finit par l'inviter à parler ce qui lui est arrivé au travail en lui expliquant qu'il en va de la survie de leur couple - il faut souligner un réel changement d'attitude, positif, chez les jeunes compagnons d'aujourd'hui. En effet, cette parole de bienveillance et d'écoute de la part de son mari lève la dissociation, et la jeune femme parvient à lui raconter ce qui s'est passé. Son mari va l'accompagner au commissariat pour porter plainte. C'est à ce moment-là que je l'ai reçue pour faire l'expertise nécessaire et montrer l'impact d'une dissociation, qui peut durer des années avant de permettre au refoulement de remonter à la surface. La jeune femme a perdu son travail. Vous pensez bien qu'entre le bon commercial agressif et la petite jeune récemment embauchée, le choix a été vite fait. Je tiens à souligner que certaines entreprises autorisent de tels comportements, qui permettent à leurs employés d'être agressifs et de conquérir des marchés. Vous avez même des réunions de travail le lundi matin dans certaines entreprises dédiées aux prouesses érotiques du week-end des employés... Cela « booste » leur combativité dans les affaires, dit-on...

Enfin, le dernier cas est celui d'une jeune femme cadre de très haut niveau qui subit depuis plusieurs mois, sur les écrans de veille de ses collègues de l' open-space , la présence d'images pornographiques, chose banale dans certaines entreprises. La jeune femme se plaint à sa hiérarchie qui refuse d'intervenir en considérant que « ce n'est pas méchant ». Un jour, excédée, elle décide elle aussi d'afficher sur son écran d'ordinateur une image pornographique. Que croyez-vous qu'il arriva : elle fut convoquée immédiatement et mise à pied pendant huit jours par sa hiérarchie...

Voilà le genre de situations que nous affrontons au quotidien. La balle est désormais dans votre camp, car c'est vous qui avez la possibilité de faire changer les choses.

Annick Billon, présidente . - Je vous remercie de cet exposé qu'illustrent des situations de violences vécues dans le monde du travail.

Je considère que les violences sexistes et sexuelles s'exercent non seulement à l'encontre des collaborateurs d'une entreprise mais aussi dès leur recrutement, notamment lors des entretiens collectifs pendant lesquels les candidates féminines sont dévalorisées. J'ai été surprise quand j'en ai fait l'expérience pendant mon propre parcours.

La formation et la prévention sont essentielles dans le traitement de ces violences, tout autant que la nécessité que les femmes qui en sont victimes bénéficient d'un accompagnement bienveillant et d'une écoute attentive, en particulier de la part de personnels formés pour recueillir leurs témoignages.

Marta de Cidrac . - J'avoue que la gravité des situations que vous exposez me laisse pantoise ! Comment votre association est-elle amenée à connaître les cas de ces femmes et à les prendre en charge ? Quels sont les moyens dont vous disposez, non seulement pour exercer votre expertise, mais aussi pour assurer l'intervention de conseils ?

Marie Pezé . - Une forte implication est indispensable pour déconstruire la peur qui habite ces femmes terrorisées.

Bien que les voies d'entrée du réseau « Souffrance et travail » soient multiples, on constate que ces femmes nous sont majoritairement adressées dans le cadre d'examens complémentaires par des médecins généralistes, des psychiatres ou encore des médecins du travail, soumis au secret médical et qui doivent impérativement noter dans le dossier médical du travail les faits dénoncés dont la chronologie est fondamentale pour l'expert judiciaire.

Notre site « Souffrance et travail » propose les adresses des consultations en accès direct ; je regrette que ni le ministère de la Santé ni celui du Travail ne mentionnent sur leur propre site la liste de ces dernières et des lieux dédiés à l'écoute de ces femmes, alors même que notre réseau dispose pourtant de toutes les compétences cliniques et juridiques.

La prise en charge de ces femmes par notre réseau est coordonnée entre différents intervenants :

- le médecin du travail pour déterminer les leviers à exercer au sein de l'entreprise ;

- un psychiatre de notre réseau spécialiste dans le traitement de leurs pathologies ;

- le médecin conseil de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), pour requalifier en accident du travail leur état de stress aigu ou post-traumatique, afin d'en imputer la cause à l'entreprise et de permettre aux patientes de bénéficier d'une meilleure prise en charge par l'assurance maladie ;

- nos avocats spécialisés qui assurent le suivi de la procédure judiciaire.

Toutefois, outre cette coordination médico-administrative, notre réseau mène un travail essentiel pour sortir ces femmes de la solitude, car elles souffrent bien d'une « pathologie de la solitude » et éprouvent une grande honte à exprimer ces faits, qui les affectent dans leur intimité.

Ces femmes doivent comprendre qu'elles ne sont désormais plus seules et seront accompagnées et assistées lors des auditions et expertises ; le cas échéant, une demande de protection peut être formulée auprès des forces de l'ordre.

Christine Prunaud . - Dans d'autres pays que la France, pourtant aussi développés économiquement, la valeur que l'on attribue au travail et le partage des charges familiales au sein des couples diffère de celles qui prévalent dans l'hexagone.

Tout travail n'est pas émancipateur, surtout pour les femmes !

Je suis admirative du travail que vous menez avec des moyens dont nous avons bien compris l'insuffisance.

Françoise Cartron . - Je salue votre bienveillance à l'égard de toutes ces femmes que vous accompagnez.

Les sénateurs sont aussi des employeurs d'assistants parlementaires, dont la gestion administrative est confiée à une association que j'ai présidée pendant les trois dernières années. Face à certaines situations, il a été décidé de mettre en oeuvre des mesures d'accompagnement, afin de permettre aux assistants, dans le respect de l'anonymat, de confier leurs souffrances à un médecin du travail qui déterminera les suites à y donner.

Marie Pezé . - Les médecins du travail ne sont pas formés à la prise en charge de ces pathologies et sont souvent mal à l'aise lorsque des patients en font état !

Le réseau « Souffrance au travail » possède un site Internet classé d'intérêt général, visité mensuellement par 80 000 personnes, et dont le financement est assuré par le produit des formations que j'anime ; il propose un accès à 130 consultations, dont 50 en région parisienne, ainsi que des guides pratiques dont celui des violences sexistes et sexuelles au travail , élaboré par Marylin Baldeck, délégué générale de l' Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) , qui intervient dans le certificat de spécialisation en psychopathologie du travail. Je vous invite donc à diriger ces salarié-es vers l'une de nos consultations spécialisées dans le traitement de ces violences.

Françoise Cartron . - C'est bien la démarche que nous préconisons lorsque le médecin du travail nous alerte, mais il est essentiel que les collaborateurs puissent bénéficier en premier recours du concours d'un intervenant de proximité, en l'occurrence le médecin du travail, pour libérer la parole. Un guide sera bientôt diffusé au sein de l'institution pour faire connaître l'ensemble de ces démarches.

Les enseignants devraient aussi être sensibilisés pour ne pas appeler systématiquement la mère d'un enfant au moindre souci bénin de santé, en la culpabilisant par des propos alarmistes. Ils devraient être formés pour juger si l'état de l'enfant nécessite vraiment des soins immédiats, pour éviter de soumettre la mère à l'injonction de venir chercher immédiatement son enfant.

Marie Pezé . - Les vieux réflexes perdurent, d'autant que le manque d'infirmières et de médecins scolaires se fait cruellement sentir !

Roland Courteau . - Peut-on considérer que les atteintes dont vous parlez sont psychologiques et neurologiques ? Quelles sont les conditions pour espérer guérir d'un traumatisme ?

Enfin, dispose-t-on de statistiques fiables sur les victimes qui osent déposer une plainte ?

Marie Pezé . - Les atteintes sont incontestablement tant psychologiques que neurologiques, notamment dans les cas de burn out qui affectent principalement les postes d'encadrement supérieur et dirigeant, le diagnostic de surmenage étant alors établi par nos neuropsychologues à l'issue de batteries de tests systématiquement proposés.

Les bilans neuropsychologiques des femmes en état d'épuisement professionnel attestent de capacités intellectuelles définitivement altérées, le fonctionnement cérébral de femmes brillantes issues des plus grandes écoles étant définitivement amoindri, certaines n'arrivant même plus à renseigner des formulaires de Sécurité sociale, non pas en raison d'une dépression, mais parce que leurs capacités de concentration et de logique sont définitivement entamées : elles ne pourront vraisemblablement jamais retrouver du travail.

L'une d'elle n'a que quarante-cinq ans et son coeur bat encore à 140 battements par minute après six mois d'arrêt maladie car elle se sent toujours oppressée par un état de stress aigu qui nécessite de lui prescrire des béta bloquants.

C'est une part du génie français qui ainsi s'abîme irrémédiablement !

Dans ce genre de situation, il convient de consulter au plus vite, mais aussi de pouvoir bénéficier du soutien de son compagnon dans l'épreuve ; je constate d'ailleurs que les jeunes hommes sont aujourd'hui plus attentifs et solidaires de leur femme que ne l'étaient encore il y a quelques années ces hommes qui opposaient généralement la suspicion aux propos relatés par leur compagne. Récemment, le compagnon d'une jeune femme en contrat aidé, harcelée par des photographies et des messages graveleux adressés par son employeur, a parfaitement réagi en conservant ces preuves et en lui conseillant d'enregistrer les propos qui lui étaient tenus par son harceleur. Il faudrait que les enregistrements soient acceptés comme preuve aux prudhommes comme c'est le cas au pénal. Dans cette affaire, la DRH de l'entreprise alertée par la directrice de la mission locale a immédiatement fait un signalement à l'inspection du travail, signe que les mentalités évoluent. Rappeler les règles légales et indiquer les démarches à effectuer, notamment pour recueillir des preuves, permettra aux femmes et aux hommes qui les soutiennent d'agir à bon escient.

Marylin Baldeck, déléguée générale de l' AVFT , que vous recevrez bientôt, pourra vous préciser les données statistiques sur les dépôts de plaintes par des victimes de violences sexuelles au travail.

Beaucoup de victimes négocient leur départ avec le concours d'un juriste, estimant qu'une indemnisation vaut réparation, seules déposent plainte celles qui disposent d'éléments probants suffisamment solides.

Noëlle Rauscent, co-rapporteure . - Les comportements que vous rapportez existent aussi en milieu rural où ils peuvent parfois être encore plus graves, mais les femmes qui y sont confrontées, notamment au sein des TPE, ne savent à qui se confier, sinon à leur médecin généraliste.

Marie Pezé . - Les comportements excessifs existent dans tous les milieux professionnels, comme l'illustre le cas de cette vendeuse qui doit se soumettre à un viol quotidien de la part de son chef pour conserver son poste ; 6 % des viols sont commis dans le cadre professionnel.

Le choix des futurs auditeurs du certificat de spécialisation en psychopathologie, effectué par notre association, vise un maillage territorial de cette compétence. Il faut éviter que des territoires soient démunis. Le concours des associations dans les territoires, notamment avec la Mutualité sociale agricole (MSA), est nécessaire pour progresser, tout autant que l'implication des hommes, tant les poncifs qui accablent les femmes les desservent quand elles veulent se faire entendre.

La Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), qui effectue déjà un extraordinaire travail d'information sur l'épuisement professionnel et son suivi, en imposant désormais une visite de pré-reprise par le médecin du travail, pourrait étendre ces dispositifs à la prise en charge des agressions sexuelles dans le milieu professionnel, pour autant que les médecins conseils soient formés.

Annick Billon, présidente . - Je vous remercie, madame, pour la richesse de votre exposé.

Chers collègues, je vous remercie de votre participation active à nos travaux.

Échange de vues avec Carmelina de Pablo, présidente,
Françoise Bey et Nora Husson, vice-présidentes de l'association
Élues contre les violences faites aux femmes (ECVF)

(12 décembre 2017)

Participantes : Annick Billon, présidente,
et Françoise Laborde, vice-présidente

Annick Billon, présidente . - Merci d'être venues jusqu'à nous pour nous parler de l'action d' Élues contre les violences faites aux femmes . Je vous remercie de me faire connaître les axes d'intervention de votre association contre les violences faites aux femmes.

Comme vous l'imaginez, notre délégation a décidé de centrer ses réflexions, depuis la reprise de ses travaux en novembre dernier, sur le thème des violences faites aux femmes, dans la perspective du projet de loi annoncé par le Gouvernement.

Nous souhaitons ne pas limiter notre travail aux aspects législatifs de la lutte contre les violences et contre le sexisme. Nous aimerions aussi pouvoir relayer, à travers les recommandations qui concluront notre rapport sur les violences, des bonnes pratiques susceptibles de servir d'exemples dans d'autres territoires et d'autres collectivités, par exemple en matière d'accueil et d'écoute des victimes, de prévention des violences et du sexisme, de formation et de sensibilisation des acteurs.

Enfin, je suis persuadée que les collectivités qui ont mis en place de bonnes pratiques dans le domaine de la lutte contre les violences sont tout simplement des collectivités sensibles à l'égalité entre femmes et hommes, qui méritent d'être connues et mises en valeur par notre délégation.

Carmelina de Pablo . - L'association, créée en 2003 par Geneviève Fraisse et Francine Bavay, est composée d'élus ou d'anciens élus, de tout parti politique démocratique et de tout niveau territorial. À l'époque, on ne parlait pas volontiers de la lutte contre les violences faites aux femmes. En dépit de la visibilité que l'on donne aujourd'hui à cette problématique, il reste encore beaucoup à faire.

Nous organisons un colloque chaque année. Le thème du dernier événement portait précisément sur « les bonnes pratiques » ; nous voulions démontrer aux élus-es que l'on peut faire des choses et que cela fonctionne.

La lutte contre les violences faites aux femmes doit être transversale et doit être conduite partout. Le dernier contre-exemple que l'on pourrait citer, en matière de sexisme, est celui d'une publicité destinée à soutenir la création d'une ligne TGV à Béziers, montrant une femme ligotée sur des rails, attendant le train qui va la percuter !

Nous pensons qu'il est inadmissible que l'on puisse encore actuellement subir ce genre d'images ; il faut que les politiques prennent conscience des violences faites aux femmes et de ce qu'implique ce genre de représentation.

Nora Husson . - Le « fil rouge » de notre association est la sensibilisation des personnes. Les élus-es sont confrontés-es chaque jour à des femmes victimes de violence-s qui viennent chercher de l'aide. L'enjeu consiste à ce que les élus-es soient bien informés-ées des dispositifs qui existent localement afin d'orienter ces femmes au mieux. Il faut aussi faire prendre conscience aux élu-e-s que, à chaque échelon territorial, on peut agir. Le colloque que nous avons organisé en 2016 a été intéressant dans ce sens, car il a montré qu'avec peu de moyens, on peut tout de même faire avancer les choses.

Carmelina de Pablo . - Notre objectif est également de faire baisser la tolérance de la société envers les violeurs. La presse présente généralement ces hommes comme étant de bons pères de famille, avec un métier respectable. Il n'empêche qu'un viol est un crime !

Annick Billon, présidente . - Quelles relations entretenez-vous avec les associations d'élus-es ? Avec l'Association des Maires de France ? Je vois que vous avez un volet très important sur la formation. Toutes les associations de maires proposent des formations sur les finances, l'urbanisme, les espaces verts, les cantines. En tant qu'adjointe à l'urbanisme, aucune formation sur les violences faites aux femmes ne m'a jamais été proposée. Pourquoi ne vous connaît-on pas mieux ?

Carmelina de Pablo . - Les sollicitations de rencontres que nous faisons auprès des associations d'élu-e-s restent sans réponse. Les hommes élus considèrent que les violences faites aux femmes ne constituent pas un sujet. Un exemple : le conseil régional d'Ile-de-France a souhaité, il y a un an, proposer une formation obligatoire pour les élus. Seuls cinq élus de la région Ile-de-France y ont participé. Je ne doute pas une seconde que le travail d'information auprès des élus a été fait ; on ne peut que constater une réticence de leur part à considérer qu'ils doivent se former afin de changer leur appréhension de ce sujet. Le thème de cette formation portait notamment sur les violences faites aux femmes et sur le sexisme en politique.

Annick Billon, présidente . - Il y a une obligation de parité dans toutes les instances, même si les regroupements de communes l'ont rendue moins visible. Je suis persuadée qu'il y aurait une possibilité de mieux faire connaître le sujet des violences. Ces formations sont, à mon sens, perçues à tort comme « militantes » alors qu'elles visent essentiellement à éduquer pour lutter contre un fléau épouvantable, ce qui est bien différent.

Nora Husson . - De quoi parle-t-on lorsque l'on parle de violences ? De défense des droits des femmes, évidemment. Nous travaillons avec deux expertes, Ernestine Ronai et Muriel Salmona, qui ont rédigé des travaux reconnus. Nos formations sont conçues et encadrées par des personnes qui savent de quoi elles parlent, elles permettent aux élus de comprendre l'impact sur les victimes, sur leur famille, leurs enfants, leur travail, des violences qu'elles subissent. Nous essayons surtout d'aider les élus à appréhender les actions qu'ils peuvent mener sur leurs territoires.

Carmelina de Pablo . - Les élus locaux sont tous confrontés à des situations de violences envers les femmes.

Annick Billon, présidente . - Qu'en est-il des petites communes ? Les femmes ne sont-elles pas réticentes à faire état de ces violences, au risque de voir leur situation familiale connue de tous ? N'est-ce pas plus facile dans les grandes villes ou les grandes agglomérations, où il y a plus d'anonymat ?

Françoise Bey . - C'est le cas dans l'agglomération strasbourgeoise. Les accueils des femmes victimes de violences sont concentrés en centre-ville, notamment parce qu'il est nécessaire d'avoir des structures, et les financements pour les accompagner. Nous essayons de faire participer financièrement le département, mais les subventions restent minimes.

Cette question de la proximité entre habitants des petites communes est un frein à la libération de la parole des femmes et les empêche de sortir de leur situation. Les violences existent partout, dans les milieux ruraux comme dans les villes.

Annick Billon, présidente . - D'où l'importance de former les élus-es dans les territoires moins denses. Une personne qui vient demander un logement social par exemple, alors qu'elle en habite déjà un, lance peut-être un appel au secours...

Françoise Laborde, co-rapporteure . - Dans les communes ou collectivités de communes, les femmes élues qui assistent à ces formations peuvent éventuellement participer à la transmission de leur contenu : qu'en pensez-vous ? L'association Élues locales , qui travaille énormément sur le sujet de la formation des élue-e-s, est-elle intéressée par les formations que vous proposez ? J'ai contribué à l'implantation d' Élues locales 31 dans mon département de la Haute-Garonne. L'association fonctionne très bien et commence à acquérir une visibilité certaine.

Carmelina de Pablo . - Nous ne sommes malheureusement pas assez nombreuses, et de plus, nous sommes implantées dans des territoires trop éloignés les uns des autres, ce qui nous empêche de solliciter efficacement les diverses associations nationales. Mais nous avons prévu de nous y atteler dès le début de l'année prochaine. Nous avons des petits moyens, pas beaucoup de subventions, mais nous sommes obstinées !

Annick Billon, présidente . - Il serait intéressant d'associer les parlementaires des départements afin d'attirer l'attention des associations de référence.

Carmelina de Pablo . - Nous travaillons également, par le biais d'échanges d'informations, avec les déléguées départementales aux droits des femmes et à l'égalité, auxquelles les préfectures n'accordent pas, il faut le dire, beaucoup de moyens.

Annick Billon, présidente . - Que pensez-vous du discours prononcé par le Président de la République, le 25 novembre dernier, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, et du lancement de la grande cause du quinquennat ?

Françoise Bey . - Ce sont pour moi de belles annonces, mais la question des moyens que le Gouvernement va consacrer à cette grande cause reste posée. La révision de la loi pénale sur le délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs est à mon sens une bonne chose, de récents faits d'actualité ont démontré qu'il fallait intervenir dans ce domaine. En ce qui concerne l'âge du consentement sexuel, je pense qu'il faut entendre l'avis des pédopsychiatres.

Nous nous battons depuis longtemps pour que, dès la maternelle, les enfants soient éduqués et sensibilisés aux stéréotypes. À Strasbourg, chaque année, ont lieu « les semaines de l'égalité et de lutte contre les discriminations » qui comprennent un volet sur l'égalité filles-garçons à l'école, et qui sont destinées aux élèves de maternelle jusqu'aux collégiens.

Nora Husson . - Un élan plus fort devrait être donné à la lutte contre les préjugés sexistes, à l'éducation au respect de l'égalité filles-garçons, de l'égalité femmes-hommes, au respect des droits des femmes, dès le plus jeune âge. Les ABCD de l'égalité nous semblaient aller dans le bon sens ; ils ont été, à notre avis, mal interprétés. C'est dommage.

Il faut trouver des moyens humains, financiers pour que la formation des enseignants, des personnels de l'éducation, des personnels socio-éducatifs, soit développée.

Il nous semble également, au regard des récentes affaires judiciaires - de Pontoise et de Meaux - que les magistrats devraient être mieux sensibilisés et formés à cette problématique des violences faites aux femmes.

Les annonces faites par le Président de la République n'ont rien de spectaculaire ; nous attendons de connaître les moyens qui permettront de les financer. Les lignes budgétaires existent. Le Président s'est engagé à ce que les crédits votés soient versés. Nous allons être vigilantes sur les moyens donnés aux déléguées départementales qui, du fait de leur changement de statut - autrefois rattachées aux préfectures de régions, elles sont désormais rattachées aux Directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) - ne bénéficient plus aujourd'hui de la même visibilité.

Annick Billon, présidente . - En ce qui concerne la question de la formation des magistrats, il semble qu'il y ait une disparité selon les territoires. Au tribunal de grande instance de Bobigny, huit magistrats sont formés et spécialisés dans les affaires de violences sexuelles envers les mineurs.

Carmelina de Pablo . - La formation des magistrats ne suffit pas. Celle des personnels de gendarmerie ou de police nous semble également essentielle, car les femmes victimes de violences n'y sont pas toujours très bien accueillies.

Cécile Werey . - Il n'y a pas d'harmonisation en France sur l'accueil des victimes car il n'y a aucune obligation en matière de formation, du moins en ce qui concerne la formation continue.

Carmelina de Pablo . - S'agissant des délais de prescription, il faut tenir compte du temps qu'il faut à certaines femmes pour porter plainte. Le délai de prescription ne devrait pas s'appliquer dans ce type de situation. Mais c'est un avis personnel, pas celui de l' ECVF .

La majorité sexuelle est aujourd'hui fixée à l'âge de quinze ans pour les filles comme pour les garçons. Pour quelle raison devrait-on fixer un seuil de non-consentement différent de cet âge ?

Je souhaiterais également souligner l'hypersexualisation des femmes imposée par notre société depuis quelques années. Nous avons l'injonction d'être à la fois de bonnes épouses, de bonnes mères, et de ressembler aux femmes dont les photographies, souvent très suggestives, font la une des magazines. Cette publicité, qui « chosifie » les femmes, est en contradiction avec tout l'arsenal développé par les politiques publiques destinées à lutter contre ces phénomènes. C'est souvent cette image là des femmes - l'image suggestive - qui l'emporte !

Françoise Bey . - À Strasbourg, depuis 2010, sous l'impulsion de la conseillère déléguée aux droits des femmes, le maire, Roland Ries a créé une « Mission des droits des femmes ». La ville a signé la Charte européenne pour l'égalité des femmes et des hommes dans la vie locale. Un plan d'action interne, destiné à promouvoir l'égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes, a été mis en place. Grâce à l'administration conjointe de la ville de Strasbourg et de la communauté de communes, nous avons pu développer cette thématique dans les petites communes. Nous organisons chaque année un colloque avec les associations qui oeuvrent dans le domaine de la lutte contre les violences faites aux femmes. De 500 personnes à ses débuts, le colloque accueille aujourd'hui plus de 3 000 personnes et suscite désormais l'intérêt des médias.

Annick Billon, présidente . - Comment travaillent entre eux les élus en charge de ces questions au sein de leurs collectivités respectives ?

Françoise Bey . - Nous avons encouragé une méthode de travail transversale intéressant toutes les directions, au sein de la mairie. Le regard par le biais du genre permet de s'intéresser à tout le monde. Nous avons, par exemple, mis en place des marches exploratoires au sein de certains quartiers afin de recueillir la parole des habitants - femmes et hommes - concernés par le réaménagement de ces quartiers.

Françoise Laborde, co-rapporteure . - Les élus masculins ont du mal à comprendre la nécessité de la mise en place de marches exploratoires.

Françoise Bey . - En dépit des campagnes d'information que nous menons, notamment contre le sexisme, certains élus prétendent ne pas savoir comment accueillir la parole des personnels victimes d'actes ou de paroles inappropriés, ni comment les orienter. Nous avons aujourd'hui dans la collectivité une personne dédiée à l'accueil, à l'écoute et à l'orientation de ces personnels. Nous avons remarqué une libération de la parole des femmes au sein de la collectivité.

Carmelina de Pablo . - Les maires des villes de plus de 20 000 habitants ont également l'obligation de fournir un rapport de situation comparée (RSC). Ils peuvent refuser de voter le budget en l'absence de ce rapport, qui précise les situations respectives des hommes et des femmes agents des collectivités territoriales (accès aux postes à responsabilités, mixité des filières et des métiers, écarts de rémunération, etc.).

Françoise Bey . - À Strasbourg, le RSC est présenté en comité technique paritaire auquel assistent les syndicats, ce qui nous permet d'envisager ensemble les points à améliorer.

Carmelina de Pablo . - Le rapport de situation comparé est certes contraignant, mais il oblige à établir un état de la situation et peut permettre une évolution positive de l'égalité entre les hommes et les femmes au travail.

Les élus peuvent adhérer individuellement à notre association, les communes, les conseils régionaux le peuvent également. L'adhésion d'une collectivité nous permet d'avoir une plus grande visibilité, car lors du débat qui a lieu, au sein de la collectivité, sur l'adhésion à l'association, les élus, hommes et femmes, prennent conscience de la nécessité de lutter contre les violences faites aux femmes au travail.

Audition du Docteur Ghada Hatem, gynécologue-obstétricienne, fondatrice de La Maison des femmes de Saint-Denis, sur La Maison des femmes de Saint-Denis et les soins aux femmes victimes de violences

(14 décembre 2017)

Présidence d'Annick Billon présidente

Annick Billon, présidente . - Chers collègues, nous accueillons ce matin le Docteur Ghada Hatem, gynécologue.

Le Docteur Hatem a pris l'initiative de créer La Maison des femmes de Saint-Denis, qui assure une prise en charge globale des femmes victimes de violences, qu'il s'agisse des violences conjugales, des viols, y compris incestueux, et des mutilations sexuelles, pour lesquelles est proposée une prise en charge globale, médicale et psychologique, mais aussi sociale.

La Maison des femmes de Saint-Denis a récemment fêté son premier anniversaire : nous vous remercions, Docteur, de nous présenter le bilan de ce lieu de soins et d'accueil unique, dont la création n'allait pas de soi et pour lequel vous avez déployé une énergie hors du commun.

Docteur, vous incarnez à vous seule les deux préoccupations majeures de notre délégation. Nous avons en effet souhaité cette année travailler sur les violences faites aux femmes pour préparer l'examen du projet de loi annoncé par le Gouvernement. Nos questionnements concernent plus particulièrement le drame des victimes de violences sexuelles, notamment des victimes les plus jeunes, et les obstacles qui jalonnent leur parcours judiciaire. Nous nous intéressons, bien sûr, à l'accompagnement médical et psychologique de ces victimes, jeunes et moins jeunes.

Nous préparons aussi un travail sur les mutilations sexuelles en vue de la semaine du 6 février : vous avez bien voulu accepter de participer à la table ronde que nous organiserons le jeudi 8 et nous vous en remercions chaleureusement.

Notre deuxième sujet de travail, à plus long terme quant à lui, concerne l'avenir de la gynécologie : c'est dire, Docteur, si nous avons vocation à vous revoir souvent, ce dont je me réjouis.

Ghada Hatem, médecin chef de La Maison des femmes de Saint-Denis . - Je vous remercie de me recevoir et de me donner ainsi l'occasion de vous exposer une initiative qui me tient à coeur. La Maison des femmes est un lieu atypique et innovant que nous avons conceptualisé progressivement, au gré des constats qui ressortaient de mes consultations, au cours desquelles j'ai notamment appris que la violence peut se nicher dans tous les secteurs de la vie sociale. J'exerce à Saint-Denis depuis sept ans. Vous le savez, c'est l'un des départements les plus pauvres de France. J'ai été frappée par le fait que la pauvreté et l'immigration aggravent les inégalités en matière de violence, rendant les choses encore plus difficiles pour les femmes concernées.

À l'hôpital Delafontaine, la population que nous recevons est très diverse : on y compte plus d'une centaine de nationalités et de dialectes parlés. En tant que responsable de la maternité pendant cinq ans, j'ai observé que les femmes qui y sont accueillies sont fréquemment victimes de violences, liées notamment, pour celles qui sont d'origine subsaharienne, à leur parcours migratoire. De plus, pas moins de 14 % des femmes qui accouchent dans notre maternité ont été victimes de mutilations sexuelles. D'où mon idée d'ouvrir un lieu hospitalier et de vie à la fois, pour accueillir indifféremment toutes les femmes vulnérables. Nous nous adressons à celles qui sont en demande d'IVG, car cet acte, contrairement à ce que l'on entend parfois dire, n'est jamais simple à décider pour les femmes, qui se posent beaucoup de questions. Nous nous adressons aussi à celles qui sont victimes de violences conjugales, intrafamiliales ou sexuelles, ce qui inclut le viol conjugal. Cette notion reste mal appréhendée par les médecins. On a encore tendance à considérer que les femmes ont un « devoir conjugal ». Heureusement, la loi a changé pour réprimer les relations sexuelles non consenties entre époux.

Nous avons également mis en place une consultation spécifique pour les victimes d'inceste. Il s'agit pour nous d'un énorme problème de santé publique. Enfin, l'une de nos unités s'intéresse spécifiquement à la prise en charge des femmes victimes de mutilations sexuelles.

J'ai souhaité accueillir toutes ces femmes dans un lieu situé dans l'enceinte de l'hôpital, sans être toutefois l'hôpital. La Maison des femmes est dotée d'un accès direct par la rue, les femmes qui ont besoin de nous n'ont pas à passer par l'accueil de l'hôpital. Je peux témoigner que cela change tout. Les femmes qui viennent nous voir comprennent très vite que cela va changer leur parcours, en leur évitant un passage administratif souvent long et laborieux. Cela rassure ces femmes particulièrement vulnérables, qu'elles soient sans papier ou privées de toute estime d'elles-mêmes après toutes les humiliations qu'elles ont subies.

Ainsi, le simple fait de pousser le portillon et d'entrer directement dans La Maison des femmes simplifie grandement leur venue. Du reste, cette idée de simplification a guidé la conception globale de la prise en charge que nous leur offrons. En effet, toutes les études, y compris la dernière commanditée par Marisol Touraine en 2014, s'accordent sur le fait que le parcours de prise en charge des victimes de violences doit être simple et coordonné, pour leur éviter d'avoir à ressasser à de multiples intervenants un récit douloureux, dont la répétition a pour conséquence de réactiver leur traumatisme, ou bien d'avoir à organiser elles-mêmes cette prise en charge, ce dont elles sont incapables.

Très conscients de cet impératif, nous avons souhaité offrir aux femmes toute la palette des outils dont elles pourraient avoir besoin, en commençant par le soin. Il s'agit là d'une porte d'entrée essentielle, car elle permet à la femme de parler le plus simplement possible de ce qu'elle vit. Cela inclut le recueil des preuves physiques, notamment si les violences sont récentes, même dans le cas où les victimes ne souhaitent pas porter plainte. Nous leur expliquons que ces preuves sont pour elles une sécurité, car le certificat ou les photos que nous réalisons pourront attester l'ancienneté des faits, par exemple en cas de répétition de l'agression, au cas où elles se sentiraient prêtes à déposer plainte dans le futur. Cela permettra alors de conforter leur parole.

Une fois que nous avons accueilli ces femmes et recueilli leur parole, en leur ayant montré - chose essentielle - que nous les croyons et que nous allons tout mettre en oeuvre pour les accompagner, nous évaluons ensuite les urgences et les besoins : si le mari d'une victime est derrière la porte avec un fusil, ce n'est évidemment pas nous qui pouvons régler le problème, et il faut appeler d'urgence les services de police. Cependant, les femmes viennent rarement nous voir dans ce contexte d'urgence immédiate.

Si nous percevons la détresse d'une victime et un syndrome de stress post-traumatique, nous la confions immédiatement à une équipe de psychologues pour la prendre en charge, ce qui est fondamental.

S'il y a besoin de procédures, nous sollicitons les juristes, les avocats et les policiers qui travaillent bénévolement à nos côtés. Par exemple, un ancien policier, délégué police-population, a choisi d'exercer cette fonction au sein de La Maison des femmes et vient une fois par semaine à ce titre. Nous avons également recours à une policière de la brigade criminelle qui vient également quelques heures par semaine. Sa présence contribue à rétablir le lien de confiance, parfois abîmé, entre les victimes et la police. Dans ce cadre, les femmes - notamment les plus vulnérables d'entre elles - entendent qu'elles ont des droits même si elles sont en situation irrégulière, ce qu'elles ne savent pas. La continuité des actions mises en oeuvre garantit l'efficacité de la prise en charge « holistique », c'est-à-dire globale, que nous pouvons offrir et qui nous a permis de tirer d'affaire plusieurs jeunes filles.

Après dix-huit mois d'exercice, nous sommes débordés par notre succès : fréquentation des femmes, intérêt des médias, acteurs du secteur médico-social ou étudiants qui souhaitent s'impliquer. De nombreux bénévoles nous ont rejoints, dont beaucoup de jeunes femmes d'un excellent niveau de diplôme, qui sont heureuses de trouver un cadre concret où s'investir sur le terrain. C'est cela qui les attire chez nous. Leur aide nous est très précieuse. La solidarité qui se déploie est une belle chose à observer.

Nous avons également suscité de l'intérêt dans d'autres régions ou départements. Le CHU Saint-Pierre nous a contactés car il souhaitait reproduire notre concept à Bruxelles. Leur centre vient d'ouvrir au 320, rue Haute et nous célébrerons la création, demain, de notre première « petite soeur ». De même, nous avons reçu hier des représentants du Centre d'accueil, information, sexualité (CACIS) de Bordeaux, très actif et engagé, avec qui nous avons partagé savoir-faire et expérience. Nous avons aussi été reçus par le service d'urbanisation de Nantes et abordés par la région PACA. Tous ces échanges nous ont incités à publier un kit pratique expliquant comment ouvrir une Maison des femmes . Plus généralement, notre structure suscite beaucoup d'intérêt et me semble répondre à un besoin qui n'était pas pris en compte jusque-là.

Par ailleurs, les European family justice centers mènent une action similaire à la nôtre, au niveau européen, à la différence près qu'ils n'incluent pas les soins. Ils ont pris contact avec nous par le biais de la fondation Kering qui est notre meilleur soutien et ils nous ont « adoubés », faisant de notre structure le premier dispositif français à avoir rejoint ce mouvement. J'avoue que je ne comprends pas que la France ne soit pas intégrée dans ce dispositif qui intègre aussi bien des Ukrainiens, des Belges, des Berlinois, que des Anglais ou des Ecossais. Nous devrions réfléchir pour associer notre pays à ce mouvement. Tout comme nous, ces centres proposent une prise en charge psycho-juridico-sociale, et notre volet santé les intéresse beaucoup. Nous essayons de construire un socle commun.

C'est une grande satisfaction pour moi de constater que notre exemple peut inspirer des réalisations comparables.

Le président Macron a rappelé, le 25 novembre dernier, l'importance pour la France de s'investir dans le domaine de la lutte contre les violences faites aux femmes, y compris en ce qui concerne les mutilations sexuelles. Il a évoqué la création de dix lieux de soin innovants, sans en préciser les contours : nous sommes restés un peu « sur notre faim » et nous aimerions avoir davantage de précision. Nous aimerions aussi être sollicités pour mettre en place ces expérimentations, car nous avons suffisamment bataillé pour que La Maison des femmes existe ! Nous souhaitons contribuer à l'ouverture de nouveaux lieux d'accueil, à Bordeaux notamment.

Annick Billon, présidente . - La Maison des femmes est le résultat d'une conception intelligente, qui a su rassembler en un lieu unique écoute attentive des victimes et démarches administratives. La simplification de leur parcours et un accueil centré sur les soins, tels sont, si j'ai bien compris, les deux piliers de votre projet, dont le maître mot est la bienveillance. À quelle forme de structure administrative vous rattachez-vous ? Quels sont vos liens avec l'hôpital ? Parmi les personnes que vous accueillez, combien vont jusqu'à déposer une plainte ? Enfin, quel est votre avis à l'égard de la question des viols de mineurs, sur l'âge du consentement, sujet fort évoqué dans les médias ?

Ghada Hatem . - Initialement, la direction de l'hôpital Delafontaine de Saint-Denis avait accepté de nous donner un terrain. Nous avons travaillé dur pendant trois ans pour trouver les financements nécessaires à la réalisation de notre projet. Ils proviennent pour un tiers de la région, qui subventionne La Maison des femmes au titre de lieu de planning familial aux missions élargies ; pour un tiers, du département, car Stéphane Roussel qui préside le Conseil général de Seine-Saint-Denis nous a beaucoup soutenus ; et pour un tiers, de dons en provenance de quinze fondations privées, parmi lesquelles la fondation Kering - j'en ai parlé à l'instant -, dont la présidente a joué un rôle essentiel pour développer notre mécénat auprès de fondations comme Elle , L'Oréal , Sanofi , Aéroports de Paris , etc.

Marisol Touraine, alors ministre, nous a accordé 160 000 euros en 2017 et autant en 2018. Elle a missionné des inspecteurs de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) pour évaluer l'intérêt de reproduire notre dispositif. Le rapport, qui date de mai 2017, est public depuis une semaine. Il conclut à notre légitimité en mettant en avant le socle incompressible qui doit être financé par l'État : soins médicaux, soins psychologiques, accompagnement social. Nous travaillons à mettre en place ce financement avec l'Agence régionale de santé (ARS) d'Ile-de-France.

Le rapport de l'IGAS conclut à la nécessité d'ouvrir des lieux d'accueil de ce type partout sur le territoire, même si l'offre de soins peut être modulable selon les besoins des régions. Il sollicite la Haute autorité de santé (HAS) sur la définition de ce que doit être la prise en charge des violences faites aux femmes. Un groupe de travail devrait voir le jour à ce sujet, qui réservera une place particulière aux enfants, car ceux-ci portent toute leur vie les répercussions douloureuses de l'agression qu'ils ont vécue, lorsqu'ils ont été victimes directes de violences.

De plus, l'IGAS nous a demandé de clarifier notre position par rapport à l'hôpital. Nous sommes une unité de l'hôpital, avec un personnel rémunéré par l'hôpital. Parmi ceux qui exercent à nos côtés, il y a deux sages-femmes, un sexologue, un psychologue, et une secrétaire dont la Fondation Sanofi financera le salaire pendant trois ans. François-Henri Pinault, président de la Fondation Kering, s'est engagé à nous financer pendant deux années supplémentaires. Nous avons créé une association de la Maison des femmes par l'intermédiaire de laquelle nous menons des campagnes de crowdfunding . L'association est très active sur les réseaux sociaux et a gagné en notoriété grâce à la campagne « Pied dans la porte ». Nous renforçons notre projet, brique après brique.

Quant à l'âge du consentement, c'est une question sur laquelle je reste embarrassée en tant que gynécologue. La notion de consentement absolu avant la majorité est délicate. J'ai reçu dans mon cabinet des jeunes filles de quatorze ans qui vivaient une sexualité parfaitement épanouie avec leur ami de dix-sept ans. On peut toujours déplorer la précocité des premiers rapports sexuels... Il n'en reste pas moins que certaines jeunes filles sont très matures et ne sont pas forcément des victimes. C'est pourquoi, retenir comme limite l'âge de treize ans me semble plus adapté à la réalité des pratiques ; mais, à mon avis, les situations doivent être traitées au cas par cas.

Françoise Laborde, co-rapporteure . - Toulouse pourrait avoir besoin d'un lieu comme La Maison des femmes , au même titre que Bordeaux. Votre kit d'ouverture m'intéresse et je souhaiterais beaucoup visiter votre établissement.

Notre délégation a travaillé pendant plusieurs mois, en 2015-2016, sur le thème des femmes et des religions dans le cadre d'un rapport paru il y a un peu plus d'un an.

En travaillant à l'élaboration de ce document, nous nous sommes plus particulièrement préoccupées du lien entre les soins gynécologiques et le poids des injonctions religieuses qui pèsent spécifiquement sur les femmes, dans la logique d'une morale qui fait reposer sur le corps des femmes l'honneur des pères, des frères et des maris.

Selon les informations qui nous ont été communiquées il y a un an environ par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), il semblerait que les demandes de certificats de virginité sont moins fréquentes aujourd'hui qu'il y a une dizaine d'années, quand le CNGOF a publié un communiqué intitulé « Les gynécologues-obstétriciens défendent les femmes contre l'intégrisme musulman » 380 ( * ) .

Partagez-vous ce point de vue, selon lequel les demandes de certificats de virginité se font plus rares, ou êtes-vous toujours sollicitée pour cela, particulièrement de la part de très jeunes patientes ?

Pouvez-vous nous parler des réfections d'hymen, qui sont parfois pour certaines jeunes femmes une question de survie ?

D'après les femmes que vous traitez et accompagnez, êtes-vous en mesure de nous parler du fléau des mariages forcés ?

Ghada Hatem . - Vous êtes les bienvenues à La Maison des femmes . Nous ferions avec plaisir à Toulouse ce que nous avons fait à Bordeaux.

Je suis très sensible aux liens entre femmes et religions. Étant libanaise, je viens d'un pays où la religion est inscrite sur les cartes d'identité. L'irruption du communautarisme en France m'a beaucoup surprise. Dans ma pratique, j'ai constaté une augmentation du nombre des demandes de certificats de virginité. Ce constat est sans doute lié au fait que je travaille dans un département qui se caractérise par une très grande diversité.

Toutes les religions, à mon avis, sont liberticides pour les femmes.

Sur le terrain, je reçois des jeunes filles qui ont eu une vie amoureuse pendant quatre ou cinq ans, sans l'accord de leur famille. Elles sont contraintes d'épouser un homme du village dont leur famille est originaire, et pour cela il faut qu'elles soient vierges. J'ai beau leur expliquer qu'elles démarreront leur vie conjugale sur un énorme mensonge, rien n'y fait. Elles ont pourtant un niveau de formation important, travaillant comme infirmières ou juristes, et elles ont bénéficié de la « respiration laïque », pour reprendre les mots de la philosophe Catherine Kintzler. Mais elles refusent, sur ce sujet spécifique, de s'opposer à leur communauté.

Je délivre quelques certificats de virginité, soit quand la jeune fille qui me le demande est manifestement en danger, soit quand elle me paraît extraordinairement angoissée. Les jeunes filles idéalisent souvent celui qu'on leur impose comme mari avant de découvrir la triste réalité. Les réseaux sociaux amplifient le phénomène. J'ai rencontré une femme d'un haut niveau de diplôme, fonctionnaire de catégorie A qui, victime de tromperie, s'est mariée à presque quarante ans avec un homme qu'elle avait rencontré sur Internet, qui l'a frappée, volée, et compromis sa carrière. Ce type de situation constitue l'humiliation suprême pour ces jeunes femmes qui n'osent parfois plus retourner dans leur pays d'origine.

Roland Courteau . - Merci pour votre action. Si ce type de structure n'existait pas, il faudrait l'inventer ! Le rapport que nous avons produit en 2016 sur le bilan de l'application des lois entre 2006 381 ( * ) et 2016 382 ( * ) en ce qui concerne les violences faites aux femmes ne disait pas autre chose 383 ( * ) .

Les enfants sont exposés aux violences et sont aussi des victimes collatérales des violences conjugales. Accueillez-vous des enfants dans votre établissement ? Comment reconnaître qu'un enfant est victime en cas de violences conjugales ? Comment parler aux enfants de ce type de violence ?

Les prises en charge des victimes de mutilations sexuelles sont-elles en augmentation ? Est-ce parce que les mutilations se multiplient ? Ou parce que les femmes parlent davantage ?

Ghada Hatem . - S'agissant des enfants, nous accueillons de jeunes adolescentes dans le cadre de notre consultation IVG et contraception. En cas de demande d'IVG par de très jeunes femmes, nous posons toujours la question du viol ou de l'inceste et nous faisons intervenir des psychologues. En effet, lorsqu'on n'est pas formé à recueillir cette parole, il arrive que l'on pratique des IVG en occultant le fait que cette grossesse est issue d'un viol. La prise en charge de ces très jeunes filles à La Maison des femmes nous permet de leur faire rencontrer des psychologues, des assistantes sociales, des conseillères conjugales, et de mieux les accompagner.

Nous réalisons également - et ce sujet me tient à coeur - des IVG tardives pour motif médico-psycho-social. La loi française offre cette opportunité. Vous savez qu'on peut interrompre une grossesse quand la vie de l'enfant à venir est gravement compromise. La loi française, très ouverte à ce sujet, permet d'intervenir à un stade avancé de la grossesse. Pour les femmes victimes de maltraitance ou souffrant de difficultés médico-psycho-sociales, nous pouvons interrompre les grossesses pour viol assez tardivement. Par exemple, nous intervenons fréquemment sur des jeunes filles de douze ou treize ans qui ont fait des dénis de grossesse après un viol. C'est toutefois une prise en charge douloureuse et complexe.

Pour ce qui concerne les violences conjugales, nous n'avons pas de consultations dédiées aux enfants, mais nous les accueillons avec les mères et nous sommes formés à reconnaître et analyser les comportements inhabituels des enfants. Je remercie la ministre Laurence Rossignol ici présente, et que je salue, qui a oeuvré pour que les enfants soient reconnus comme co-victimes des violences conjugales.

Dans certains cas, les enfants peuvent aussi être victimes de comportements incestueux. Je pense par exemple à deux jeunes garçons qui accompagnaient leur mère en consultation et qui avaient des comportements très étranges. Nous avons sollicité le psychologue et, en les interrogeant, nous nous sommes aperçus que le couple était séparé mais que le père les accueillait hélas régulièrement et avait avec eux des comportements incestueux. Nous avons fait signalement sur signalement, mais la mère étant jugée fragile, vulnérable et incapable de s'occuper de ses enfants, leur père continue à les recevoir. C'est terrifiant ! Il faut donc développer les lieux d'accueil et sensibiliser les personnels à l'interprétation des indices tels que ceux qui nous ont alertés.

S'agissant des mutilations sexuelles, du fait des travaux initiés en Seine-Saint-Denis il y a trente ans à la suite du décès d'une petite fille qui avait subi une excision, elles ont pratiquement cessé sur le sol français. Mais nous n'avons pas de certitude. Il n'y a quasiment plus d'excisions sur le territoire Français, même si certaines familles continuent à se cotiser pour faire venir des exciseuses de l'étranger. En revanche, beaucoup de jeunes filles sont excisées lorsqu'elles retournent en vacances dans leur pays d'origine, parfois même contre l'avis de leurs parents. Il suffit que ces derniers manquent de vigilance pour qu'une grand-mère ou une tante prenne l'initiative d'une mutilation sexuelle. C'est un vrai sujet de préoccupation. Un travail important de prévention et d'assistance est réalisé par les PMI, les médecins étant formés pour examiner les petites filles avant et après leur voyage dans leur pays d'origine. Cependant, la PMI ne prend plus en charge les enfants après six ans. Certaines petites filles sont excisées à six ans et ne reçoivent aucun soutien. J'entends à cet égard des histoires édifiantes : une enfant enjouée, qui était première de la classe, excisée pendant les vacances, pourra changer totalement de comportement et voir ses résultats scolaires chuter, sans que personne ne se préoccupe de lui en demander la cause. Il est donc important de former et de faire des campagnes d'information et de prévention, comme par exemple la campagne « Alerte excision » lancée au printemps 2017 par l'association Excision, parlons-en ! pour prévenir et protéger les adolescentes. Cette campagne devrait être renouvelée en 2018. Il faut aussi mentionner la campagne « Protégeons la jeune génération » de l'association Équipop (Équilibre et population).

Il faut aussi être très actif sur le terrain scolaire. Pour notre part, nous menons une action de formation sur l'éducation à la sexualité dans les lycées et les collèges de l'académie de Créteil, à l'initiative du Fonds sur la santé des femmes (FSF). Alors que la loi prévoit cette éducation à la sexualité, de la maternelle à la terminale, à raison de trois séances par année scolaire, elle n'est que très peu dispensée en pratique.

Martine Filleul . - Je constate une grande différence entre les régions en ce qui concerne les financements accordés aux droits des femmes. Dans les Hauts-de-France, dont je suis élue, la question des femmes et du Planning familial est l'objet de toutes les économies. Les financements dédiés aux associations qui luttent contre les violences faites aux femmes subissent de fortes restrictions budgétaires. Comment contribuer à instaurer une égalité de traitement sur tout le territoire français en ce domaine ?

Ghada Hatem . - Le Planning familial est un outil puissant, qu'il faut pérenniser et développer. Les Américains nous l'envient. C'est en tant que Centre de planning familial que nous avons commencé notre action.

Victoire Jasmin . - L'action que vous menez est exemplaire. Vous n'avez pas mentionné les maladies sexuellement transmissibles (MST) dans les soins que vous dispensez aux femmes qui s'adressent à vous. Or les femmes peuvent en contracter lors des agressions dont elles sont victimes.

Ghada Hatem . - Il s'agit là d'une mission traditionnelle, que nous assurons en délivrant aux victimes un traitement préventif. Nous bénéficions par l'hôpital d'un centre de dépistage anonyme du Sida. Le sujet des MST est traditionnel. La prévention est, sur ce terrain, à mon avis, bien implantée.

Marie-Thérèse Bruguière . - Votre exposé m'a beaucoup touchée et a éveillé en moi des souvenirs. J'ai travaillé pendant vingt-trois ans dans une maternité qui accueillait des femmes accouchant sous X, souvent à la suite d'un viol. C'était à Montpellier. Les viols qui donnent lieu à des naissances ont des conséquences terribles, car les enfants sont souvent abandonnés. En quarante-deux ans de travail à l'hôpital, la seule amélioration efficace que j'ai constatée était liée à l'action du Planning familial . Les violences faites aux femmes sont fréquentes, et pas seulement dans les populations subsahariennes. La population gitane est aussi largement touchée. D'après votre expérience, les femmes qui décident de garder leur enfant né d'un viol se posent-elles la question du devenir de cet enfant ?

Ghada Hatem . - Il n'est qu'à lire Les noces barbares de Yann Quéffelec : la vie des enfants nés d'un viol est terrible ! Certaines femmes africaines font le choix de garder leur enfant, même s'il est issu d'un viol. Je me souviens de l'une d'elles, qui avait tout perdu, son mari, ses enfants, et qui se disait : « Cet enfant, c'est tout ce qui me reste », ou bien encore : « Plus seul au monde et plus mal aimé que moi, il y a lui. »

Ce qui importe, c'est de continuer à lutter pour l'éducation sexuelle, en impliquant les parents. Dans certains milieux, les jeunes filles n'ont aucune possibilité de dialoguer avec leurs parents en matière de comportement sexuel. Elles ne prennent pas la pilule et font comme si de rien n'était lorsqu'elles n'ont plus leurs règles, avant que nous les récupérions, malheureusement.

Annick Billon, présidente . - Recevez-vous beaucoup de jeunes filles qui subissent des violences sexuelles ? Le sujet des violences au sein des couples que l'on appelle « non-cohabitants » intéresse particulièrement Laurence Rossignol.

Ghada Hatem . - Je remercie Laurence Rossignol, qui nous a beaucoup aidés. Oui, nous recevons beaucoup de ces jeunes filles, victimes parfois d'un partenaire beaucoup plus âgé, dans ce qui peut nous apparaître comme une forme de prostitution. Cependant, elles sont en couple ; il est difficile d'intervenir. Le cyber-harcèlement est un autre phénomène dangereux.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Les policiers et gendarmes auditionnés dans le cadre du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises contre les mineurs, auquel la délégation est associée, ont attiré notre attention sur une forte augmentation de la prostitution de jeunes mineures. Cette prostitution est relativement consentie : c'est le « syndrome Zahia », du nom de cette jeune femme qui sortait avec un footballeur célèbre. Toutes ces jeunes filles ont un souteneur derrière elles. Il faudrait leur proposer une prise en charge globale. Voilà un autre chantier à venir.

Ghada Hatem . - Effectivement, on ne peut pas porter plainte et ces situations sont très compliquées à traiter. On constate aussi la prostitution chez les jeunes filles Roms, parfois juste pour manger. Certaines sont mariées à douze ans, déscolarisées, et nous ne faisons même plus de signalements aux CRIP 384 ( * ) . Certaines de mes patientes sont de jeunes Roms de quinze ans qui viennent consulter pour stérilité, car elles sont mariées depuis trois ans et n'ont pas encore d'enfants !

Annick Billon, présidente . - La volonté politique doit accompagner notre mouvement pour éviter les inégalités liées à des différences de traitement selon les territoires. Formation, prévention, éducation à la sexualité et à l'égalité : voilà ce qui aidera les jeunes à être conscients de ce qui est acceptable ou pas.

Je suis heureuse de vous remettre notre rapport d'information sur la place des femmes dans les religions. C'est le fruit de l'important travail mené sous la présidence de Chantal Jouanno en 2015 et 2016. Nous vous remercions.

Audition de Carine Durrieu-Diebolt, avocate au barreau de Paris, spécialisée dans la défense des victimes de violences sexuelles

(14 décembre 2017)

Présidence d'Annick Billon présidente

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série de réunions sur le thème des violences par l'audition de Maître Carine Durrieu-Diebolt, avocate au barreau de Paris et spécialisée dans la défense des victimes de violences, pour évoquer plus précisément le parcours des victimes de violences sexuelles.

Ce parcours est souvent long et difficile, depuis l'épreuve de la prise de parole et du dépôt de plainte jusqu'au procès et au verdict - à supposer qu'il n'y ait pas eu de classement sans suite. Il nécessite un accompagnement spécifique, en particulier pour les plus jeunes victimes.

Je vous remercie de nous faire partager votre expérience et de nous aider à avancer sur le sujet des violences sexuelles, dans la perspective de l'examen du projet de loi annoncé par le Gouvernement.

Concernant l'accueil et l'accompagnement des victimes, quel est le profil des personnes que vous recevez ? Quel est leur âge, leur milieu social, le type d'atteintes qu'elles ont subies - harcèlement, agressions ou viols, dans l'espace public ou sur Internet ? Avez-vous constaté une hausse des sollicitations auprès de votre cabinet depuis l'affaire Weinstein ? Quelles sont selon vous les principales difficultés auxquelles se heurtent les victimes de violences sexuelles dans le cadre de leur parcours judiciaire ? Comment remédier à ces obstacles ? Comment accompagnez-vous les victimes ? Quels conseils leur donnez-vous ?

Par ailleurs, que pensez-vous des annonces du Président de la République destinées à garantir un meilleur accompagnement, mais aussi un meilleur repérage des victimes - procédure de signalement en ligne, mise en oeuvre d'un questionnaire systématique des femmes par tous les professionnels de santé, présence de référents de la police et de la gendarmerie dans les lieux d'accueil pour faciliter le dépôt de plainte, recueil et préservation des preuves dans les Unités médico-judiciaires (UMJ) indépendamment du dépôt de plainte, création d'une dizaine d'unités spécialisées dans la prise en charge du psycho-trauma ? Toutes ces mesures nécessiteront des financements...

Sur la réponse judiciaire, que pensez-vous de la correctionnalisation de certaines affaires de viols ? Avez-vous déjà conseillé à une victime de choisir la correctionnalisation plutôt qu'un procès aux assises, et le cas échéant, pour quelles raisons ?

L'arsenal législatif actuel sur les viols et agressions sexuelles sur mineurs vous paraît-il adapté ? Nous pensons notamment à la question du consentement qui fait la une de l'actualité, mais aussi à celle des délais de prescription des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs. À cet égard, les mesures législatives évoquées par le Président de la République (instauration d'un seuil de quinze ans pour la présomption de non-consentement des mineurs à un acte sexuel, et allongement des délais de prescription de vingt à trente ans à partir de la majorité de la victime) vous semblent-elles pertinentes ?

Merci, Maître, de nous apporter des éléments de réponse sur ces diverses questions, ainsi que, le cas échéant, sur d'autres points que je n'aurais pas soulevés et qui vous sembleraient importants.

À l'issue de votre présentation, les membres de la délégation feront part de leurs réactions et ne manqueront pas de vous poser des questions.

Je vous remercie et je vous laisse sans plus tarder la parole.

Carine Durrieu-Diebolt, avocate au barreau de Paris . - Je suis avocate à Paris depuis 1995, spécialisée dans la réparation des dommages corporels. J'ai d'abord travaillé sur le droit de la santé, notamment sur la responsabilité médicale. Depuis cinq ans, je me suis spécialisée dans les violences faites aux femmes. Je suis titulaire du diplôme universitaire « Violences faites aux femmes » de l'université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis, dirigé par Ernestine Ronai. Dans ce cadre, j'ai notamment suivi des formations sur le psycho-traumatisme, et des enseignements de sociologie - autant de matières qui ne sont pas proposées dans les cursus de droit. J'ai aussi suivi la formation concernant les violences sexuelles organisée par l'École nationale de la magistrature (ENM) dans le cadre de la formation continue. Actuellement, une formation initiale est obligatoire sur ce sujet à l'ENM, mais la formation continue des magistrats relève du volontariat. De façon générale, il y a un problème de formation des professionnels rencontrés tout au long de son parcours par la victime. J'y reviendrai.

Je reçois des victimes de toutes origines, de tous âges et de toutes catégories professionnelles. Mon cabinet traite plus souvent de viols et d'agressions sexuelles, rarement de harcèlement sexuel. Les seuls cas que j'aie eus à traiter ont été des cas de harcèlement sexuel au travail, avec une action souvent double, devant le Conseil des prud'hommes et au pénal. Les procédures aux prud'hommes ont plus de chance d'aboutir, alors que 80 % des plaintes au pénal sont classées sans suite. J'ai aussi traité des cas de harcèlement sexuel émanant d'anciens conjoints, accompagnant des violences physiques.

Vous le savez, le viol est un crime renvoyé aux assises, tandis que l'agression sexuelle relève du tribunal correctionnel. L'atteinte sexuelle est la qualification juridique retenue par le parquet dans l'affaire de Pontoise - je suis l'avocate de la victime -, ce qui a suscité une grande émotion médiatique...

Je centrerai mon intervention sur quatre points, en commençant par le temps judiciaire dans le parcours des victimes, sous deux problématiques : les délais de prescription et les délais de procédure. Dans un deuxième temps, j'évoquerai le droit mal compris par les victimes, puis les victimes mal entendues par la justice avec la question de la formation des professionnels, et enfin, la sous-estimation des préjudices subis par les victimes à travers la réparation du dommage corporel, pour vous montrer le long parcours judiciaire jusqu'à la reconnaissance.

Le délai de prescription a fait l'objet de nombreux débats, au regard du temps nécessaire à la reconstruction psychologique et de l'amnésie traumatique dont peuvent être victimes les mineurs agressés sexuellement. Souvent, cette amnésie est levée vers 35-40, ans lorsque la victime construit sa propre vie familiale. Il faut un temps de prise en charge psychologique, indispensable pour que la victime puisse être capable de porter plainte et de supporter la procédure. Cela demande du temps. C'est pourquoi je suis très favorable à l'allongement des délais de prescription. Récemment, j'ai défendu deux soeurs agressées par un cousin. L'aînée voulait porter plainte, mais les faits étaient prescrits. Elle les a évoqués dans sa famille. Elle a alors appris que sa jeune soeur en avait aussi été victime. Cette dernière a déposé plainte, et l'aînée a ainsi pu témoigner. Il n'y a pas eu de déperdition de preuves. Cet exemple démontre bien que, parfois, au-delà de la prescription actuelle, des procédures peuvent aboutir. En revanche, l'imprescriptibilité relève d'une autre dimension, car elle concerne les crimes contre l'humanité, les crimes de masse. Je ne suis donc pas favorable à l'imprescriptibilité des infractions sexuelles commises contre les mineurs.

Autre élément, la durée de la procédure est rarement évoquée, alors qu'elle est très éprouvante pour les victimes. Certes, le fait que les délais de procédure soient de six à huit ans pour une procédure pénale peut décourager certaines victimes de porter plainte. L'enquête est plus ou moins rapide, l'instruction dure plusieurs années, sauf si l'agresseur est en détention provisoire - cas très rare -, et peut être ralentie par des recours de la défense, avant un renvoi en cours d'assises ou devant le tribunal correctionnel. Les procédures, au total, peuvent durer de huit à dix ans au pénal, auxquels s'ajoutent environ deux ans de procès civil en réparation de la victime !

Je ne suis pas favorable à la correctionnalisation des viols, qui sont des crimes et relèvent en tant que tels de la cour d'assises. Récemment, après huit ans d'instruction, j'ai défendu une victime devant le tribunal correctionnel de Bobigny pour un viol conjugal. C'est éprouvant : la victime doit bénéficier d'un double accompagnement, à la fois psychologique pour se confronter à ses traumatismes, et de la part de l'avocat pour la préparer au procès. J'essaie de le mettre en place systématiquement pour une bonne reconstruction psychologique. Dans cette affaire de viol conjugal avec violences - ce qui est une circonstance aggravante -, le tribunal a condamné le conjoint à trois ans de prison dont un an avec sursis, et sans mandat de dépôt. L'auteur des faits a donc pu bénéficier d'un aménagement de peine et porter un bracelet électronique, alors que la peine encourue aux assises pour les faits commis est de vingt ans de réclusion ! Ce qui montre que les peines pour viol correctionnalisées ne sont pas nécessairement sévères. Le président du tribunal m'a demandé de déposer en juin la demande de dommages et intérêts pour la présentation d'expertises, alors qu'il aurait pu l'ordonner immédiatement. Il faudra donc que je revienne devant le tribunal pour statuer sur des intérêts civils, que nous échangions nos conclusions avec la partie adverse, et la procédure durera encore deux ans à deux ans et demi ; soit un total de dix ans de procédure.

La justice manque de moyens. C'est une chose d'inciter à déposer plainte, mais les services de gendarmerie et de police sont saturés, et il faut parfois cinq ans pour étudier un dossier - d'autant que parfois il est laissé de côté... Les juges d'instruction sont aussi débordés, de même que les juridictions. La question des moyens est cruciale.

Une deuxième difficulté est le droit tel qu'il est compris et entendu par les victimes. Souvent, elles ne comprennent pas qu'une fellation ou qu'une pénétration digitale est un viol, ou que l'absence de violences physiques n'exclut pas le viol. Il y a une carence d'information par rapport aux définitions. Se pose aussi la question du consentement : les victimes croient qu'il faut démontrer qu'elles n'étaient pas consentantes. Or en droit, la preuve négative est impossible. Il faut prouver la contrainte, la violence, la menace ou la surprise. Le procès est celui de l'agresseur au vu de ses agissements et non un procès pour la victime. Pourtant, dans l'affaire de Pontoise, la presse a davantage évoqué la victime à travers le défaut de consentement, que la contrainte morale et la surprise exercées par l'agresseur, axes sur lesquels j'ai plaidé. Cela a introduit de la confusion. Il faut faire un travail de pédagogie en amont sur les définitions et vulgariser le droit auprès des médias. Lors du procès pénal, le procureur qui requiert pour la société plaide la peine, ce n'est pas le rôle de la victime. En raison de ces confusions, les victimes peuvent ainsi souvent être déçues.

La qualification pénale est claire : un viol est un crime, une agression sexuelle est un délit, mais de nombreux viols sont correctionnalisés pour de multiples motifs. On me propose souvent de correctionnaliser en cours d'instruction, mais parfois aussi ab initio, c'est-à-dire dès le début de la procédure. Nous en débattons avec le juge d'instruction : la victime n'est parfois pas suffisamment forte pour supporter un procès d'assises durant plusieurs jours ; les délais de procédure sont plus rapides devant le tribunal correctionnel que devant les assises ; les jurés aux assises seraient moins sévères qu'un tribunal correctionnel composé de magistrats et de juristes. Mais ce dernier argument en particulier est faux : souvent, les peines sont plus légères devant le tribunal correctionnel, en témoigne le cas du viol conjugal jugé au tribunal de Bobigny que j'ai évoqué. Selon la loi Perben 2 385 ( * ) , le magistrat doit demander son accord à la victime avant de correctionnaliser : nous expliquons donc la situation à la victime. Dans les faits, la victime est souvent contrainte à une décision qui la satisfait rarement. Elle a l'impression que le crime est sous-estimé, ce qu'elle ressent comme une injustice, alors qu'elle sait pertinemment qu'elle a été victime d'un viol. Pour autant, certaines victimes peuvent l'accepter d'emblée, notamment lorsqu'elles sont dans l'incapacité totale de parler ; cela peut concerner de jeunes adolescentes. Ce sont les seuls cas dans lesquels j'accepte la correctionnalisation. Il est en effet très difficile de mener un procès d'assises dans cette situation.

Il existe aussi de « bonnes » et de « mauvaises » victimes : une prostituée victime de viol durant son sommeil, alors qu'elle dormait dans un squat - et par ailleurs se droguait  - a déposé plainte. L'agresseur a reconnu plusieurs viols devant le juge : il n'y avait donc pas de problème d'établissement de la preuve. Pourtant le juge a rendu une ordonnance de non-lieu, au motif que les éléments de l'infraction étaient a priori constitués mais ne pouvaient pas être requalifiés en agression sexuelle car les délais étaient en l'occurrence prescrits, et a refusé de renvoyer l'affaire devant la cour d'assises. J'ai fait appel devant la chambre de l'instruction. La victime était alors suivie par un avocat recevant l'aide juridictionnelle - 480 euros pour toute la procédure d'instruction, quel que soit le travail réalisé. Un cabinet ne peut pas vivre avec l'aide juridictionnelle, et l'avocat a été réticent à interjeter appel devant la chambre d'instruction, car cela lui aurait donné du travail supplémentaire, qui n'aurait pas été rémunéré. On remarque encore une fois un problème de moyens. Comme la victime le pressentait, je lui ai répondu que le non-lieu signifiait effectivement, en quelque sorte, qu'une prostituée ne pouvait être victime de viol. Ce n'est pas acceptable. Je souhaite aller au bout de la procédure, mais j'ai aussi besoin des magistrats pour un renvoi devant les assises - qui est rare, dans ce type de cas. Je suis hostile à la correctionnalisation mais parfois, il y a un « bras de fer » avec les magistrats. Certains vont jusqu'à nous menacer de rendre une ordonnance de non-lieu si nous refusons d'aller devant le tribunal correctionnel, ce qui suppose deux ans de procédure supplémentaire devant la chambre de l'instruction. Dans la pratique, il est parfois difficile de s'opposer à cette décision.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Quelles sont les motivations des magistrats ?

Carine Durrieu-Diebolt . - Le manque de budget, et des assises saturées. Ils nous promettent que si nous acceptons le tribunal correctionnel, notre dossier sera examiné en trois à quatre mois, contre deux ans aux assises. Il faut néanmoins nuancer ce constat. En province, il y a moins de correctionnalisation car les assises sont moins surchargées ; cette pratique est propre aux grandes villes. Nous avons un des budgets de la Justice les plus faibles d'Europe, la moitié du budget allemand par habitant. Le montant de l'aide juridictionnelle est aussi l'un des plus faibles d'Europe. On en revient toujours à la question des moyens.

Troisième difficulté, l'audition des victimes de violences sexuelles n'est pas satisfaisante. Il faudrait former les professionnels pour garantir partout un bon accueil des victimes lors du dépôt de plainte : or la situation peut varier sensiblement d'un commissariat à l'autre ou d'un commissariat à la gendarmerie. C'est une loterie : certains professionnels traitent très bien les victimes, d'autres non. Lorsque certaines victimes viennent me voir avant de déposer plainte, je peux les orienter en fonction de ce que je connais de l'accueil dans tel ou tel commissariat. Je leur conseille également de téléphoner pour prendre rendez-vous et de demander à déposer plainte avec une femme ou un référent policier formé aux violences faites aux femmes. Sinon, les victimes sont parfois soumises à des questions déstabilisantes, voire mises en accusation. Les protocoles d'audition ne sont pas toujours respectés. Ainsi, dans l'affaire de Pontoise, la victime a d'abord été entendue à l'hôpital de Gonesse durant deux heures - une durée très longue à onze ans - sans application des protocoles pour mineurs qui prévoient une mise en confiance de la personne et un test de mémoire préalable à l'entretien. Durant la première heure, elle a répondu seule, sans ses parents, à trente-et-une questions portant exclusivement sur sa fréquentation des réseaux sociaux. Elle s'est sentie mise en accusation, les policiers croyant qu'elle avait déjà une relation, qui aurait mal tourné, avec son agresseur. On ne lui avait pas dit qu'elle pouvait demander des explications sur des mots qu'elle ne comprenait pas, et parfois on lui posait trois questions en une. À laquelle répondait-elle ? Elle a été auditionnée deux fois, dont une avec confrontation, moins que son agresseur.

À l'inverse, à Bourges, j'ai défendu deux soeurs mineures victimes d'un homme âgé. L'enquête policière a appliqué le protocole, les soeurs ont été mises en confiance. La juge d'instruction était bienveillante, expliquant que ce n'était pas parce qu'elles n'avaient pas dit non qu'elles avaient consenti, qu'elles pouvaient demander des explications et que l'audition pouvait s'arrêter si elles ne se sentaient pas bien. Dans ce contexte, la victime a le sentiment d'être crue et elle va parler ; sinon elle reste sur sa réserve et ne parle pas.

La formation des professionnels est indispensable et devrait être obligatoire pour les violences sexuelles car le traumatisme subi par les victimes peut aboutir à des mécanismes de sidération et de dissociation, comme l'a montré la psychiatre Muriel Salmona : dans ces cas, une personne non avertie peut avoir l'impression que la victime ne se sent pas concernée par ce qui lui est arrivé, ce qui peut perturber et déstabiliser le professionnel qui passe ainsi à côté du dossier s'il n'est pas formé.

À Paris, nous disposons d'une antenne des mineurs qui prévoit un parcours de justice spécialisé pour les mineurs agresseurs, avec des magistrats spécialisés et une cour d'assises des mineurs. Pourquoi n'y aurait-il pas de parcours judiciaire spécialisé sur les violences sexuelles avec des professionnels formés ? Avant de m'intéresser de très près à ces question et de suivre des formations spécialisées, je ne comprenais pas que les victimes n'aient pas crié, fui, ou même que parfois elles soient revenues auprès de leur agresseur. Cela peut être culpabilisant pour la victime. La formation est indispensable, elle devrait être obligatoire pour tous les professionnels susceptibles d'être en contact avec ces victimes.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Le parcours judiciaire dédié que vous proposez inclut-il des chambres spécialisées ?

Carine Durrieu-Diebolt . - J'y suis effectivement favorable. Cela résoudrait le problème des assises saturées ; mais il y a, là encore, un problème de moyens. C'est une solution qui éviterait de modifier les qualifications juridiques. Des chambres spécialisées avec des magistrats spécialisés traiteraient le viol comme un crime, sur une durée par exemple d'environ une journée, sans aller jusqu'aux deux jours minimum d'un procès aux assises, ce qui est extrêmement éprouvant. Selon une étude de l' Observatoire des violences faites aux femmes réalisée en Seine-Saint-Denis, dans 86 % des cas, l'agresseur nie les faits. Il a trois stratégie de déni : il peut nier le rapport sexuel, affirmer que la victime était consentante, ou encore qu'il s'agit d'un malentendu parce qu'il n'avait pas vu que la victime n'était pas consentante - or il faut prouver l'intention de l'agresseur. Des audiences longues et le formalisme de la cour d'assises peuvent parfois amener l'auteur présumé à reconnaître les faits, même si c'est très rare. Cette dimension n'existe pas en correctionnelle.

Pour ma part, je serais favorable à la création de chambres spécialisées en matière de violences sexuelles, avec des magistrats spécialisés. Je peux en effet témoigner qu'il est très dur de défendre un dossier devant des magistrats non formés. L'avocat de la victime tient une place dérisoire lors du jugement : les trois parties entendues en phase de jugement sont l'agresseur au nom des droits de la défense et de la présomption d'innocence, le parquet qui représente la société, requiert sur l'infraction pénale et propose une peine, et la victime, partie selon moi « accessoire ». Lorsque l'avocat de la victime plaide devant le tribunal correctionnel, les juges - c'est du vécu - ne cachent pas leur ennui. Et normalement il ne doit pas empiéter sur le discours du parquet - je le fais cependant. Parfois, l'audience commence à 13h30 et l'avocat plaide à 21 heures... Les affaires d'agressions sexuelles sont quelquefois prévues délibérément en fin de journée. Elles ne bénéficient pas de l'attention méritée. Je serais plus à l'aise devant une chambre spécialisée avec des magistrats formés, connaissant le B-A-BA des mécanismes du psycho-trauma.

Quatrième préoccupation, la réparation des victimes est essentielle. La réparation du dommage corporel est indispensable en droit des victimes. Celles-ci vont se porter partie civile dans la procédure pénale. L'avocat évoque l'infraction et le traumatisme psychologique, qui a un retentissement par la suite, et peut donner lieu à des dommages et intérêts. La demande au forfait est théoriquement interdite, même si certains avocats en requièrent avec des sommes dérisoires. Une étude de la Gazette du Palais , fondée sur les résultats des jugements, citait le cas d'une mineure de huit ans violée par un voisin, qui a obtenu une indemnité de 15 000 euros, montant dérisoire par rapport aux conséquences de cette agression sur la vie de la petite victime. Souvent, si les victimes n'envisagent pas initialement de réclamer des dommages et intérêts, elles demandent ensuite une évaluation des préjudices. Mais le contentieux est complexe et de nombreux magistrats sont incompétents en ce domaine. Je vais régulièrement devant la commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI) - possibilité offerte pour les victimes au pénal - qui peut ordonner une expertise psychologique et psychiatrique. Cela intéresse les victimes non pas pour l'argent, mais pour la reconnaissance de leur traumatisme à travers une exposition détaillée des préjudices subis devant le tribunal. Ainsi, hier, j'ai plaidé le cas d'une femme qui avait arrêté de travailler depuis son agression en 2008. Cette étape ne devrait pas être minimisée. Souvent, les indemnités sont dérisoires, sous-évaluées, même si cela progresse. Par ailleurs, il n'y a pas assez de psychiatres formés. Lorsque j'ai demandé pour cette affaire une psychiatre femme, le président de la CIVI m'a répondu qu'il ferait le maximum mais que rien n'était sûr : les psychiatres experts à la CIVI sont sous-payés, beaucoup se désistent et celui qui reste n'est pas forcément spécialisé dans ce type de contentieux... Il y a toujours et encore un problème de moyens. C'est une difficulté de fond.

Françoise Laborde, co-rapporteure . - Vous évoquez plusieurs dysfonctionnements de la justice...

Carine Durrieu-Diebolt . - Le parcours des victimes est vraiment très éprouvant. Si vous receviez ces victimes, vous verriez que tout ce que je vous dis n'est que le reflet de leur ressenti. Dans le cas que j'évoquais à l'instant, la victime avait été très bien accueillie par les policiers, mais le juge d'instruction a passé une heure, durant les quatre qu'a duré l'audition, à lui montrer les photos de toutes les victimes que son conjoint, qui l'agressait durant son sommeil - parfois à la limite de la barbarie - postait sur Internet. C'était très éprouvant pour elle. Finalement, j'essaye de relayer la parole des victimes. Le point de vue des avocats est intéressant en ce qu'ils sont les interlocuteurs privilégiés des victimes, car ils nouent une relation avec elles sur des années.

Annick Billon, présidente . - Je vous remercie. Les moyens de la justice sont un sujet majeur, qui va de pair avec la formation des acteurs accompagnant les victimes, du recueil de preuves jusqu'au jugement, en passant par les soins. Depuis le début de nos auditions, nous avons vu que la prévention et la formation sont essentielles. J'observe que votre position est assez différente de celle de la magistrature, qui est plutôt opposée à l'allongement du délai de prescription...

Carine Durrieu-Diebolt . - Il y aurait un risque de déperdition des preuves, mais je vous ai montré que dans certains dossiers, la question ne se pose pas. Souvent, la principale raison est la surcharge de travail : l'instruction est longue puisqu'il faut remonter loin dans le temps.

Marie-Pierre Monier . - J'ai été maire d'une commune de 1 200 habitants dans la Drôme, département rural. Dès lors que j'ai dit que j'appartenais à la Délégation aux droits des femmes et que nous travaillions sur les violences faites aux femmes, trois victimes se sont spontanément manifestées. Pour l'une d'entre elles, les faits étaient prescrits, mais elle rencontre encore son violeur dans la rue... Une autre a été sauvée par un gendarme qui l'a bien prise en charge. Je suis intervenue pour la dernière, car elle n'arrivait pas à se faire entendre. Ces trois cas soulignent que la formation des policiers et des gendarmes est indispensable. Nous avons organisé des ateliers de concertation avec eux, et j'ai évoqué la question de l'accueil des femmes victimes de violences. Un responsable départemental de la police m'a indiqué que bien sûr, ce sujet était pris en compte, tandis que le responsable de la gendarmerie m'a avoué n'avoir qu'une seule référente pour viol sur le département ; il sollicitait mon appui pour demander un deuxième poste. Le traitement est donc inégal selon les brigades. Il y a des dispositifs, des lois, mais il faut que tout cela soit efficace, appliqué sur le terrain. C'est difficile.

Roland Courteau . - Vous l'avez dit, la sidération et l'emprise expliquent des attitudes parfois déroutantes devant les gendarmes ou les policiers ; des victimes continuent de voir leur agresseur et parfois renoncent à porter plainte. Des magistrats et des policiers ont souligné l'importance d'une formation obligatoire mais il me semblait que la loi de 2010 386 ( * ) le prévoyait ?

Le certificat médical, qui mentionne l'incapacité de travail des victimes de violences sexuelles, a-t-il une importance majeure pour une action en justice ? Si c'est le cas, il me semble que la formation des professionnels de santé à la rédaction de ces certificats est incomplète. L'incapacité totale de travail (ITT) est une notion juridique parfois mal connue des médecins. Ainsi, les ITT prescrites sont, semble-t-il, plus longues dans le Nord que dans le Sud de la France. Cela ne nécessiterait-il pas une harmonisation ?

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Merci de votre expertise sur ces sujets. Nous allons nous efforcer de proposer des pistes pour améliorer la législation. Rassurez-vous, nous ne sommes pas plus entendus que vous dans nos instances lorsque nous plaidons cette cause : un brouhaha se fait, chacun baisse la tête...

La presse a mentionné que la petite Sarah que vous défendez serait d'origine africaine ou antillaise. Pouvez-vous commenter ce point ?

Carine Durrieu-Diebolt . - J'ai lu cet article, qui a été repris ensuite par le reste de la presse, et je suis intervenue auprès de son rédacteur car cette affirmation m'a paru très contestable. Il se trouve que cette jeune fille est d'origine guadeloupéenne. Rien ne permet de supposer qu'il ait pu y avoir une quelconque tromperie sur son âge. Un article diffusé à l'étranger serait à l'origine de ces allégations. J'ai demandé au journaliste de me le fournir, je l'attends toujours.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Il me paraît effectivement contestable de préciser l'origine de cette jeune fille. Mais lorsqu'on étudie certaines affaires qui ont défrayé la chronique, on ne peut s'empêcher de se demander si, dans l'esprit de certains, certaines jeunes filles non occidentales auraient un rapport plus libre avec le sexe et une maturité sexuelle plus précoce.

Carine Durrieu-Diebolt . - C'est possible. Dans le dossier de Pontoise, ma cliente habitait une cité et son agresseur sortait de prison. Il y a donc un contexte social spécifique. Pour le coup, la justice a été rapide, les faits se sont produits en avril, l'instruction était terminée en juin ! Que se serait-il produit si l'affaire avait concerné un milieu moins défavorisé ?

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Il faut également avoir conscience du fait que le traitement d'une affaire dépend pour beaucoup du profil des magistrats : formés ou non, sensibilisés ou non...

Carine Durrieu-Diebolt . - Et du profil des victimes...

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Je souhaiterais attirer votre attention sur ce qui me semble être une lacune de notre code pénal, qui définit le viol par la pénétration. Je me permets de vous soumettre un cas qui me laisse perplexe : un jeune garçon mineur est victime d'une fellation imposée par un majeur... Selon le code pénal, c'est une agression sexuelle, alors même que la victime est mineure et l'auteur majeur.

Carine Durrieu-Diebolt . - Légalement, ce n'est pas un viol : il faut qu'il y ait pénétration de la victime.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Pour moi les conséquences d'un tel acte sur la jeune victime sont comparables à celles d'un viol.

Carine Durrieu-Diebolt . - Vous avez raison, le traumatisme est le même. J'ai effectivement rencontré ce cas. Le droit des violences sexuelles n'est pas abouti.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Faut-il modifier le code pénal sur ce point ?

Carine Durrieu - Diebolt . - Je vais y réfléchir. Il faudrait intervenir sur la notion de pénétration...

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Ou bien l'expliciter très clairement.

Joëlle Garriaud-Maylam . - La formation des professionnels est indispensable, nous devons être très fermes. Il faut une formation obligatoire, en formation continue également, avec une obligation de mise à niveau régulière. Faut-il instaurer un contrôle et une évaluation, éventuellement par les victimes, de l'accueil par les gendarmes et les policiers ? Le réseau de la Réserve citoyenne pourrait-il être sollicité en renfort ? Des personnes qui seraient formées à cet effet pourraient venir soutenir la gendarmerie.

Peut-être s'agit-il là d'une piste à envisager ?

Pour en revenir aux chambres spécialisées, cette formule serait, selon moi, idéale, mais c'est un voeu pieux à l'heure actuelle. Allons de l'avant, et rapidement.

Carine Durrieu-Diebolt . - Votre suggestion de faire appel à des réservistes pourrait peut-être permettre une évolution rapide. Je suis tout à fait d'accord sur la formation des policiers et des médecins. Une formation est obligatoire pour les policiers entrants - avec des quanta d'heures variant selon le grade - mais pas pour les policiers en poste depuis longtemps. J'ai assisté une victime de viol à Toulouse : le policier qui recevait sa plainte avait une photo de femme nue affichée derrière lui ; c'est perturbant et ne met pas en confiance...

En ce qui concerne les certificats médicaux, il faut savoir que lorsque la victime dépose plainte, une réquisition est faite pour l'envoyer dans une unité médico-judiciaire (UMJ), la plupart du temps. L'évaluation de la victime est donc faite dans un premier temps par l'UMJ qui rédige un certificat détaillé. En ce qui concerne les violences conjugales, ce certificat est remis aux victimes pour qu'elles puissent présenter une demande d'ordonnance de protection. En revanche, en cas de violences sexuelles, on ne leur remet pas ce certificat qui est souvent renvoyé par fax au commissariat. En conséquence, nous n'avons pas dans un premier temps le détail du certificat médical des UMJ. Oui, monsieur le sénateur, la notion d'ITT pose problème. Dans l'affaire de Pontoise, le certificat médical était favorable à la victime, puisqu'il mentionnait bien l'état de sidération et de dissociation, mais il ne comportait malheureusement aucune indication en termes d'ITT.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Était-elle trop jeune ?

Carine Durrieu-Diebolt . - Je n'ai pas d'explication. Le médecin aurait pu écrire « sous réserve d'un nouvel examen ultérieur ». L'avocat de la défense ne manque pas de remarquer cette lacune, cela lui donne un argument. Les psychologues ou psychiatres peuvent trouver des modèles sur Internet. Les médecins commencent à être formés à la rédaction des certificats, mais cette formation devrait être systématique et non pas aléatoire. Avoir à la fois un policier qui accueille bien, des juges d'instruction bienveillants, une formation de jugement également, un avocat suivant partout la victime et l'accompagnant du début jusqu'à la fin, cela relève du miracle...

Françoise Cartron . - Aujourd'hui, la formation est intégrée au cursus de l'ENM.

Carine Durrieu-Diebolt . - Uniquement pour la formation initiale. Elle est réalisée notamment par la psychiatre Muriel Salmona...

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - ... et Ernestine Ronai, que nous connaissons bien !

Carine Durrieu-Diebolt . - La formation pour les magistrats en poste relève de la formation continue, facultative. Or les magistrats changent de poste durant leur carrière. Un magistrat peut être juge civil durant dix ans, avant de devenir juge d'instruction. Au bout de ce délai, il a pu oublier sa formation initiale. C'est pourquoi il faudrait à mon avis que tout juge d'instruction suive cette formation, qui ne dure que deux jours, ou bien instaurer un parcours spécialisé, avec des juges d'instruction spécialisés dans ce type de violences. La juge d'instruction de Bourges que j'ai citée tout à l'heure était ainsi reconnue comme ayant une compétence particulière. On lui renvoyait souvent les violences sexuelles dans sa juridiction.

Annick Billon, présidente . - Merci de cette audition très riche. Nous espérons pouvoir contribuer à améliorer la prise en charge des victimes que vous accompagnez au quotidien, car c'est d'elles que nous nous préoccupons en premier lieu.

Réunion de travail avec Érik Dal, contrôleur général des armées,
médecin des armées, chef de la cellule Thémis

(19 décembre 2017)

Participantes : Annick Billon présidente, Maryvonne Blondin,
Nassimah Dindar

Annick Billon, présidente . - La délégation aux droits des femmes du Sénat travaille depuis le début de cette session sur les violences faites aux femmes, dans la perspective de l'examen du projet de loi annoncé par le Gouvernement. En lien avec l'actualité, la question du harcèlement sexuel au travail et de sa prévention est un aspect important de nos réflexions.

La délégation aux droits des femmes du Sénat s'est intéressée à la cellule Thémis dès la mise en place de celle-ci à l'initiative de Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense. Elle a donc auditionné, dès le 22 mai 2014 (je n'étais pas encore sénatrice à l'époque), le Général Bolelli et la contrôleure générale Brigitte Debernardy, dont la mission d'enquête avait préfiguré les contours de cette cellule, qui a alors été jugée exemplaire au Sénat.

J'observe qu'il y a un an, lorsque les députés Pascale Crozon et Guy Geoffroy ont publié un rapport d'information sur l'application de la loi de 2012 sur le harcèlement sexuel, ils ont présenté en termes très positifs le travail de la cellule Thémis . L'exemplarité de celle-ci a été soulignée par mon ancienne homologue de l'Assemblée nationale, Catherine Coutelle, lors du débat en commission des lois sur ce rapport qui, parmi ses recommandations, comporte une proposition consistant à « développer dans la fonction publique des dispositifs tels que celui mis en place par le ministère de la Défense avec la mise en place de la cellule Thémis 387 ( * ) ».

Vous comprendrez que notre délégation ait besoin d'actualiser ses connaissances sur le fonctionnement de la Cellule Thémis !

Nous aimerions que vous nous fournissiez tous les éléments nécessaires pour comprendre comment fonctionne cette cellule d'accueil des signalements et d'enquête administrative, qui est installée au sein du Contrôle général des armées.

Nous avons besoin aussi de statistiques, notamment :

- le nombre de saisines ;

- pour quels faits ;

- les suites données ;

- les sanctions éventuelles ;

- le nombre d'enquêtes diligentées.

Nous aimerions savoir comment vous orientez les victimes (vers les psychologues, médecins, assistantes sociales, etc.) et comment ont été choisis ces professionnels.

Il semblerait aussi que vous mettiez en place des formations à l'attention des différentes catégories de personnels concernés. Pouvez-vous nous en parler ? À quels moments du parcours professionnel des personnels de la Défense se situent ces formations ?

Même question pour les formations dispensées aux militaires partant en OPEX : comment sont-elles conçues ?

Quel bilan tirez-vous de ces formations ? Comment sont-elles perçues par ceux et celles qui les suivent ?

Il me semble en effet que, lorsque l'on parle de harcèlement ou, a fortiori , de violences sexuelles, peu de gens, finalement, ont une connaissance précise du contenu juridique de ces notions. On perçoit parfois de l'ironie, ou alors certains ont le sentiment qu'ils ne sont pas concernés. Or beaucoup ignorent que les blagues sexistes peuvent entrer dans le champ du harcèlement sexuel, et que l'agression sexuelle commence avec un geste inapproprié qu'il est fréquent de considérer comme anodin.

Peu de gens, par ailleurs, ont conscience, faute d'être sensibilisés à la question, du fait que certaines blagues ou certaines ambiances « viriles » peuvent être très mal vécues par les femmes. Or l'armée est un univers par construction viril...

Comment traitez-vous ces difficultés ?

Maryvonne Blondin . - J'ai travaillé, à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, sur la place des femmes dans les forces armées. Notre propos était de promouvoir l'égalité et de mettre fin aux violences fondées sur le genre. Avec l'ambassadrice de l'OTAN de l'époque, en charge de ces questions au Parlement européen, nous avons réalisé une étude au moyen d'un questionnaire que nous avons adressé aux 47 états membres. 36 nous ont répondu. Nous avons également procédé à de nombreuses auditions en France et nous avons ainsi pu faire des propositions et des recommandations.

Je vous remercie, madame la présidente, d'avoir organisé cette rencontre pour nous éclairer sur le suivi du principe de « tolérance zéro », initié dans l'armée française par Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense.

Érick Dal, contrôleur général des armées . - J'ai une formation de médecin généraliste et j'ai exercé au sein du service de santé des armées. J'ai été inspecteur de santé pour la marine et la gendarmerie. Le fait d'avoir travaillé au cabinet militaire d'Alain Richard puis de Michèle Alliot-Marie m'a donné une connaissance transverse de divers sujets qui ne sont pas sans lien avec mes responsabilités actuelles de responsable de la cellule Thémis au sein du Contrôle général des armées. Je suis accompagné de mon adjoint, le lieutenant-colonel Benoît Luneau.

Lieutenant-colonel Benoît Luneau . - J'ai découvert l'armée lors de mon service militaire, et j'y suis resté. J'y suis entré à la fin de mes études de droits et j'y exerce des fonctions de juriste depuis une vingtaine d'année. J'ai été affecté à la cellule Thémis le 1 er septembre 2015.

Érick Dal, contrôleur général des armées . - Dans le cadre de l'égalité entre les femmes et les hommes, et bien que des procédures de remontée de l'information aient existé auparavant, M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, a lancé le 15 avril 2014 un plan de lutte contre le harcèlement, les violences et discriminations sexuelles.

Une des mesures de ce plan a été la création, le 21 juillet 2014, d'une structure spécialisée, la cellule Thémis , chargée d'étudier les cas de cette nature commis au sein du ministère et de ses établissements publics.

Cette cellule complète le dispositif hiérarchique existant, qui comprend la procédure dite « EVENGRAVE ». Celle-ci permet d'une part, l'information du cabinet du ministre et, d'autre part, la réalisation d'enquêtes de commandement.

Je précise qu'au sein des « événements graves » auxquels est dédiée cette procédure, les cas de harcèlement, de violences et de discriminations sexuelles ou HDV-S relèvent d'une classification particulière.

La cellule Thémis , constituée d'un contrôleur général, de trois officiers et d'un personnel civil, a été mise en place au sein du Contrôle général des armées. Il est apparu qu'il fallait adjoindre des juristes à la cellule.

Dans une première partie, je présenterai le dispositif Thémis , ses procédures et ses résultats et, dans une deuxième partie, j'expliquerai comment l'expérience que nous avons acquise nous a permis de mettre en place un plan de sensibilisation de l'ensemble des agents du ministère des Armées, souhaité par l'ancien ministre de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian, et poursuivi par sa successeure, Mme Florence Parly.

La cellule Thémis , accessible hors hiérarchie, est un dispositif de vigilance et d'accompagnement. Le mot « écoute » nous semble réducteur, car si nous avons vocation, bien évidemment, à permettre à chacun de parler, cette parole ne doit pas rester sans suite.

La grande majorité des signalements (près de 90 %) est réalisée par des femmes. Les signalements proviennent également d'hommes et de femmes homosexuels et de personnes transgenre.

La cellule Thémis doit permettre à tout personnel ressortissant du ministère des armées, victime ou témoin, de signaler des faits de HDV-S. Elle doit veiller à ce que les victimes soient protégées et les auteurs fermement sanctionnés. La cellule respecte la présomption d'innocence, le devoir de discrétion - le commandement n'est informé qu'avec l'accord des victimes - et l'obligation de protection de la victime.

Je citerai ici l'exemple d'une femme, victime d'agression sexuelle il y a une dizaine d'années, reconnue aujourd'hui invalide à 45 % par notre service des pensions. On voit bien que des faits, qui ont peut-être été considérés comme peu signifiants à l'époque, peuvent avoir des conséquences très graves. Au-delà de l'écoute, la cellule assure aux femmes et aux hommes qui l'ont saisie un accompagnement dans la durée.

Entre sa création, le 15 avril 2014, et aujourd'hui, 19 décembre 2017, la cellule Thémis a été saisie ou s'est saisie près de 300 fois pour des motifs relevant de sa compétence.

Le portail intranet du ministère des Armées présente en page de garde le logo de Thémis STOP harcèlement sexuel , qui ouvre sur le dispositif de lutte mis en place en 2014 et indique comment signaler une agression, une discrimination ou un harcèlement sexuel.

Le site offre également une documentation, dont un vadémécum sur le harcèlement sexuel : identifier une situation, réagir en situation de commandement à un signalement, faire face au harcèlement, quelle attitude adopter en tant que témoin.

Ces procédures visent à ne laisser aucune victime sans solution, tout en harmonisant les pratiques disciplinaires selon le principe de tolérance zéro. Notre action, précisée par une note du chef du Contrôle général des armées du 16 janvier 2015, est orientée selon deux axes : les victimes présumées et la hiérarchie.

- S'agissant tout d'abord des victimes présumées, l'action de Thémis s'exerce :

• en les écoutant puis en les conseillant, par Internet, par téléphone ou en les recevant au cours d'un entretien ;

• en les accompagnant de façon pluridisciplinaire - juridique, social et statutaire. Faut-il porter plainte ? Quelles conséquences en cas d'arrêt maladie prolongé ?

• en les orientant vers les services compétents, en particulier Écoute Défense , dispositif initialement créé pour traiter les conséquences post-traumatiques. Le choix de s'adresser à Écoute Défense doit être volontaire et, j'en profite pour l'indiquer ici, il est ouvert aux militaires, aux anciens militaires et civils des armées, ainsi qu'à leur famille ;

• en veillant à ce que leurs droits soient respectés : ne pas faire d'emblée l'objet d'une mutation sous prétexte que l'on se déclare victime ; la mutation ne doit intervenir que si la victime le demande expressément.

Maryvonne Blondin . - Le plus souvent, on constate que ce sont les victimes qui sont obligées de demander à partir, sans que les auteurs y soient contraints !

Lieutenant-colonel Benoît Luneau . - Il y a des cas de figure où ce sont les victimes qui souhaitent changer d'affectation. J'ai un précédent à citer. Il s'agissait d'une personne qui avait eu des relations sexuelles avec plusieurs militaires du rang au sein d'une unité. Une plainte pour viol avait par la suite été déposée. L'autorité judiciaire, à l'issue de la procédure, n'a retenu aucune infraction. Les personnes mises en cause ont cependant vu leurs contrats dénoncés en raison d'un comportement jugé contraire à la discipline militaire, alors que leur partenaire d'un soir, également fautive, n'avait été sanctionnée que de façon symbolique. Il lui était dès lors devenu très difficile de rester au sein de l'unité car son environnement professionnel vivait mal la mansuétude dont elle avait , selon eux , bénéficié. Elle a donc été mutée, à sa demande, pour lui permettre de redémarrer sa carrière militaire, et la poursuivre dans de bonnes conditions.

Il est vrai qu'il peut aussi arriver qu'un service envisage de muter une victime contre son gré. Dans ce cas de figure, la cellule Thémis intervient auprès de la direction des ressources humaines de l'armée concernée pour rappeler que ce n'est pas à la victime de partir mais bien à son agresseur.

Érick Dal, contrôleur général des armées . - Dans le respect du droit des victimes, Thémis les aide dans leur demande de prise en charge financière des honoraires de leur avocat.

S'agissant maintenant du second axe de notre action, qui s'oriente vers la hiérarchie, il nous est apparu qu'il valait mieux laisser au commandement le soin d'enquêter. Certes, Thémis pourrait se charger des enquêtes (mes collaborateurs et moi-même en ont d'ailleurs le pouvoir), mais cela nécessiterait une réorientation complète de la cellule. Il nous revient donc de fournir au commandement, pour le bon déroulement de son enquête, les éléments recueillis par nous auprès des victimes, avec leur accord.

Dans la majorité des cas, les victimes s'adressent à Thémis parce qu'elles ne veulent pas parler à une hiérarchie proche. Il peut également s'agir de personnes ayant été victimes d'agression au cours d'opérations extérieures (OPEX) ou lors d'une affectation hors métropole, et qui préfèrent attendre d'être rentrées pour en parler. La victime peut également refuser de parler car son agresseur fait partie de sa chaîne hiérarchique.

Il faut aussi garder à l'esprit qu'aujourd'hui, un tiers de l'armée française vit sous le régime interarmées, les auteurs et leurs victimes pouvant être de statuts différents et dépendre de plusieurs unités. Une femme harcelée par un homme ne dépendant pas de sa chaîne hiérarchique, dans des locaux extérieurs aux hiérarchies respectives, peut parfois être un peu perdue et fait alors appel à la cellule Thémis pour être orientée.

Nassimah Dindar . - Le rapport à l'autorité hiérarchique, particulièrement présent dans l'armée, a un impact, de mon point de vue, sur la difficulté pour la victime de s'adresser à elle en cas d'agression. Cette hiérarchie verticale freine la libération de la parole.

Érick Dal, contrôleur général des armées . - On observe aussi, au sein de l'armée, des cas de harcèlement entre pairs, notamment parmi les personnels installés dans le cadre de leurs logements.

Lieutenant-colonel Benoît Luneau . - La nature même des infractions, presqu'autant que le lien hiérarchique, empêche parfois la parole. Qu'on soit, ou non, dans une relation hiérarchique, il est toujours difficile de parler de l'intime à quelqu'un que l'on connaît. Il est plus aisé de le faire anonymement auprès de la cellule Thémis , qui ne dépend d'aucune hiérarchie.

Annick Billon, présidente. - Combien de personnes travaillent au sein de la cellule ?

Érick Dal . - Nous sommes actuellement trois, nous devrions être cinq. Nous nous employons actuellement à compléter la cellule, en essayant autant que faire se peut de respecter la parité. L'approche féminine est différente et complémentaire de l'approche masculine. Les deux sont nécessaires dans cette mission.

Après la période d'instruction du dossier, nous n'informons le commandement qu'après avoir reçu l'accord écrit des victimes présumées. Car elles nous confient des photos, des textos, des captations d'images, des témoignages, tous très intimes. Les descriptions des agressions sont, parfois, particulièrement crues.

Derrière la parole des victimes - les associations de femmes s'en font l'écho - figure très souvent la honte.

Nous parlons de manière très libre avec nos interlocutrices : nous sommes là pour les aider à parler. Un exemple me revient : celui d'une liaison amoureuse qui s'est créée de manière virtuelle entre un homme et une femme, allant jusqu'à l'échange de photographies très intimes. La femme était en situation de fragilité professionnelle. Cette femme, isolée et seule, avait été repérée par cet homme dont elle pensait qu'il pouvait, par ses fonctions, l'aider. Lorsqu'elle s'est rendu compte que ce n'était pas son but, elle a tenté de faire marche arrière. Mais il a cherché à profiter de ses fonctions pour obtenir des faveurs sexuelles en échange d'une intervention pour empêcher une mutation dans un service où l'intéressé ne souhaitait pas aller. Les services de police ont pris connaissance des 700 SMS échangés entre eux deux, mais ont refusé tant de prendre la plainte de la femme victime que de lui permettre de déposer une simple main courante. Elle a donc informé sa hiérarchie, qui a saisi le procureur de la République. Il s'agissait de faits de harcèlement sexuel caractérisé. La teneur même des SMS reçus par la victime ne permettait aucun doute. L'affaire a pourtant été classée sans suite, au motif que l'auteur avait fait l'objet d'une sanction disciplinaire (il avait été déplacé).

Nous avons expliqué à cette femme les recours dont elle pouvait user à la suite de cette décision mais, s'étant vu refuser le dépôt de plainte et l'affaire ayant été classée, elle a baissé les bras. Comment pouvait-elle se faire entendre ?

Annick Billon, présidente . - Colonel, comment avez-vous rejoint la cellule Thémis ?

Lieutenant-colonel Benoît Luneau . - J'ai demandé à rejoindre la cellule car j'ai une formation de pénaliste et qu'il me semblait intéressant de traiter ces questions de violence par une approche juridique. Je peux confirmer que certains militaires ont une connaissance approximative du droit pénal et notamment de la définition du harcèlement sexuel, telle qu'elle résulte de la réforme de 2012. Si la prohibition du « chantage sexuel », défini à l'article 222-33 II du code pénal, est plutôt bien connue, nombreux sont ceux qui n'imaginent pas que l'exposition d'autrui à des comportements à connotation sexuelle peut aussi constituer une infraction pénale, conformément à l'article 222-33 I du code pénal.

À chaque fois qu'il se passe quelque chose de répréhensible dans les armées, notamment une infraction sexuelle, un compte rendu doit être rédigé dans les trois heures. Ce qui compte, c'est que les faits soient qualifiés et que les affaires puissent remonter à la hiérarchie pour être traitées. Le gros travail que nous faisons au travers de nos formations est d'expliquer ce qu'est un délit de harcèlement sexuel, de faire prendre conscience qu'il recouvre des comportements variés qui ne se résument pas au fait de faire pression sur une personne pour obtenir des faveurs sexuelles.

Érick Dal . - Une fois que le commandement a été informé des faits, nous allons nous assurer :

- de la mise en oeuvre de mesures conservatoires ;

- que les enquêtes disciplinaires ou administratives sont bien menées (selon le cas, Thémis peut mener ses propres enquêtes) ;

- que les sanctions disciplinaires sont adaptées, dans le respect des droits de la défense.

J'ai demandé qu'il soit fait en sorte que ces sanctions reflètent mieux la gravité et la nature des faits qui les motivent. J'y ai été conduit par le cas d'un officier qui, auteur d'une situation de harcèlement, n'a reçu qu'un rappel à l'ordre par une lettre simple de sa hiérarchie, alors que ces faits valent habituellement vingt à trente jours d'arrêt ! Nous travaillons actuellement à harmoniser les procédures et les sanctions.

Maryvonne Blondin . - Vous inspirez-vous de ce qui existe au sein de l'OTAN, notamment en ce qui concerne la procédure de dépôt de plainte ?

Érick Dal . - Nous connaissons bien cette procédure, mise en place par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS).

Nous veillons également à ce que les signalements soient faits aux autorités judiciaires. Nous avons aussi une action de conseil aux victimes ainsi qu'au commandement, en cas de doute sur les procédures à mettre en oeuvre : l'un des outils susceptibles d'être mobilisés à cet effet est un guide, disponible sur notre site intranet, qui permet aux officiers chargés de rédiger les comptes rendus d'utiliser le vocabulaire approprié pour la description des faits. Ce guide est d'ailleurs accessible à tous les personnels.

En résumé, le processus de traitement des appels comprend quatre étapes :

- l'instruction du dossier, au sein de la cellule, sur déclaration de la victime présumée ;

- l'action du commandement, une fois obtenu l'accord de la victime présumée ;

- le suivi de la victime, tant en interne-Défense (pour le retour dans l'unité par exemple) que dans le cadre des procédures judiciaires (demande de dommages et intérêts) ;

- la clôture du dossier, qui peut s'avérer difficile à expliquer à une victime, quand la cellule n'est pas parvenue à corroborer sa plainte, faute de faits suffisants.

La cellule Thémis est, par ailleurs, chargée de recenser l'ensemble des signalements de cette nature et devrait disposer d'un logiciel adapté en 2018. Le prototype va être livré très prochainement et fera l'objet d'une expertise par la Direction des affaires juridiques, afin de vérifier sa conformité aux dispositions de l'arrêté CNIL du 12 juillet 2015.

La cellule Thémis n'a donc pas vocation à se substituer au commandement qui, sauf exception, quand il a connaissance des faits, protège les victimes et punit les auteurs. Elle peut toutefois l'assister, si besoin, dans le traitement des faits constitutifs de violences sexuelles et, surtout, donne la possibilité aux victimes de se faire entendre hors hiérarchie.

Thémis est compétente pour les actes de HDV-S commis au sein du ministère des Armées et de ses établissements publics. La note du 16 janvier 2015 dont j'ai déjà parlé, précise à l'attention du commandement que toute personne qui se dit victime ou témoin de faits de HDV-S peut saisir Thémis , à la condition que ces faits soient commis à l'occasion du service ou de l'exécution du service, ou dans des lieux soumis à l'autorité du ministre.

En conséquence, les faits commis en opérations extérieures (OPEX) comme ceux commis en opérations intérieures (OPINT) entrent dans le champ de l'action de Thémis . Dans le cadre des responsabilités de l'État employeur, les personnes civiles n'appartenant pas au ministère peuvent faire appel à Thémis .

Quelques données chiffrées au 19 décembre 2017 : le flux des nouveaux dossiers ouverts est, en moyenne, de six à sept par mois ; actuellement onze dossiers sont en phase « instruction », vingt-deux en « action du commandement », et 79 dossiers en « suivi ».

Le suivi statistique de l'activité de la cellule est annuel, du 1 er janvier au 31 décembre (les chiffres 2017 sont ceux arrêtés au 19 décembre). Le tableau ci-après recense les faits tels qu'ils sont décrits par les victimes présumées.

Annick Billon, présidente . - Parmi les ressortissants de la cellule Thémis , y a-t-il des corps plus concernés que d'autres ?

Érick Dal . - Je ne fais pas ce calcul. Nous ne pouvons pas mettre en avant un corps plus qu'un autre. D'ailleurs la féminisation des corps n'est pas homogène.

Plusieurs constatations, sous réserve de prendre en compte le faible volume de séries statistiques disponibles :

- 90 % des signalements sont faits par les femmes ;

- le ratio civil/militaire (21 %/79 %) correspond sensiblement au rapport des deux populations au sein du ministère (en revanche la répartition des infractions semble différente : plus de harcèlement pour les civils et plus d'agressions pour les militaires) ;

- le nombre des infractions, comme leur répartition, restent stables au fil du temps ;

- le « harcèlement sexuel » reste l'infraction la plus déclarée (les victimes présumées peuvent plus facilement identifier les critères de harcèlement), avec une diminution proportionnelle des cas décrits en 2015 comme relevant de la discrimination. À mon avis cette évolution tient davantage à la compréhension des définitions juridiques qu'à un changement de comportement.

Trois points particuliers sont, je pense, à souligner :

- les « atteintes à la vie privée » correspondent essentiellement aux captations et diffusions d'images sans consentement ; elles sont en augmentation ;

- nous n'avons pas remarqué d'« effet Weinstein » : au dernier trimestre 2016, vingt-deux nouveaux appels pour dix-sept en 2017 sur la même période : on ne peut pas parler d'augmentation réellement significative ;

- en ce qui concerne l'évolution de la répartition des grades des plaignantes et plaignants militaires, sous réserve de confirmation par des travaux de recherche, les officiers féminins sont surreprésentés en 2017, comme le montre le tableau suivant :

Par ailleurs, je voudrais insister sur le fait que la cellule Thémis , forte de son expérience, participe aux groupes de travail institués afin de lutter contre les discriminations et de promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes : en particulier, elle est partie prenante à la rédaction d'un guide d'aide à la prise en charge des dossiers de changement d'identité de genre, en cours actuellement.

Lieutenant-colonel Benoît Luneau . - Ce groupe de travail est né à la suite de la saisine d'un officier de l'armée de terre qui qui s'était engagé dans un parcours de changement d'identité sexuelle. Les difficultés ne venaient pas tant de son environnement professionnel immédiat que de personnes qui vivaient mal ses revendications : porter des cheveux longs, du maquillage et des bijoux, revêtir l'uniforme féminin et, plus particulièrement, accéder aux sanitaires du personnel féminin. Le commandement se trouvait donc confronté à des menaces de plaintes pour discrimination s'il ne cédait pas aux demandes de la personne transgenre et à l'opposition d'un certain nombre de ses collègues féminines qui n'appréciaient pas qu'une personne ayant conservé ses attributs masculins puisse utiliser leurs sanitaires. Face à cette situation difficile, le commandement a pris le parti de s'en remettre à la mention du sexe figurant sur la carte d'identité de l'intéressé, tout en lui assurant que dès qu'il aurait obtenu la modification de son état civil, il en tirerait toutes les conséquences qui s'imposent. Pendant que le groupe de travail menait ses travaux, la loi a changé 388 ( * ) . La question a été « démédicalisée », ce qui a permis de raccourcir sensiblement la durée de la période de transition puisqu'une modification irréversible de l'apparence n'est plus requise avant un changement d'état civil. La modification du seul prénom est même de la compétence de l'officier d'état civil, dès lors que certaines conditions sont remplies. Ainsi, nous avons aujourd'hui au sein de l'armée une personne qui a obtenu le changement de son prénom, mais pas encore celui de la mention du sexe sur ses papiers d'identité. Nous avons donc un militaire de sexe masculin ayant un prénom féminin. La loi ne l'oblige d'ailleurs pas à mettre les deux en concordance.

Dans notre vadémécum , le groupe de travail a considéré qu'une personne portant un prénom masculin devait être appelée par la civilité correspondant à ce prénom.

Nous nous sommes efforcés d'identifier ce qui était à l'origine des crispations, pour donner des pistes au commandement et lui laisser une marge de manoeuvre. Nous formalisons ces procédures et nous espérons que cela permettra de dépassionner les réactions face à ce type de situation.

La question de l'aptitude à servir fait également partie de nos travaux. Le médecin appartenant à ce groupe de travail s'est interrogé sur la compatibilité d'un parcours de changement d'identité de genre avec un engagement militaire : le traitement hormonal se prenant tout au long de la vie, il peut sembler difficile d'envoyer ces personnes dans les territoires d'Outre-mer ou sur des OPEX, une rupture dans la fourniture des médicaments étant toujours possible, avec des risques évidents pour leur santé. La conclusion de ce groupe de travail a toutefois été qu'il n'existait pas d'inaptitude « d'emblée » et que les personnes effectuant un parcours de changement d'identité de genre verraient leur situation évaluée au cas par cas.

Ce vadémécum devrait être diffusé au sein des armées dans les semaines qui viennent.

Érick Dal . - La cellule Thémis s'inscrit également dans la réalisation de la sensibilisation aux violences sexuelles de tous les agents du ministère des armées, civils et militaires, dans le cadre de leur parcours professionnel. Ce point a été décidé dès avril 2016 par le ministre. Cette formation est pilotée par la Haute fonctionnaire à l'égalité du ministère. Un plan de formation contre les HDV-S concernant tous les personnels a donc été mis en place dans cette logique.

À cet effet, la Commission d'adaptation de la formation (CAF) « Formation pour la prévention des HDV-S » a réalisé un plan de formation articulé autour de trois axes : les personnels à former, les formateurs, les supports. Ce plan, co-piloté par l'État-Major des armées (EMA) et la Direction des ressources humaines du ministère de la Défense (DRH-MD), a été validé par le Comité de coordination de la formation (CCF) le 12 juin 2017. Il prévoit que tout personnel militaire ou civil (en école ou centres de formation ou en emploi) reçoive au moins une fois dans sa carrière une sensibilisation à cette question.

Sans attendre la mise en oeuvre de ce plan, la cellule Thémis a mis en place depuis 2016 un cycle de conférences semestriel au profit, d'une part, des instructeurs des militaires du rang (CFIM, CSMV), priorité du ministre et, d'autre part, de l'ensemble des agents civils et militaires du ministère de la Défense, tant en centres de formation (CFMD, CFD, écoles d'officiers ou de sous-officiers) qu'au profit de populations cibles (commandants d'unités, cadres et référents mixités, conseillers techniques sociaux, aumôniers, etc.)

La sensibilisation comporte une partie relative à la définition des infractions sexuelles, avec une attention particulière aux infractions sexuelles commises sur les mineurs, et précise :

- que les infractions sexuelles sont des crimes ou des délits ;

- que les sanctions disciplinaires sont indépendantes des sanctions pénales ;

- que le ministre des armées applique une politique de « tolérance zéro » dans ce domaine.

La cellule Thémis dispose pour cette formation de supports didactiques, dédiés et harmonisés :

- savoir se comporter, sous forme d'un « kit de prévention » comprenant trois films d'animation et un livret d'accompagnement pédagogique réalisé en liaison avec la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) ;

- savoir anticiper, réagir, intervenir, sous forme de conférence-type à orientation juridique, de cas concrets et de quizz adaptés aux grades et aux fonctions des auditeurs.

Thémis a organisé, les 11 et 15 décembre 2017, deux journées d'enseignement pour 120 formateurs-relais, au sein des organismes des armées, et participe à la réalisation d'un enseignement par e-learning pour le personnel ne passant pas en centre de formation.

La cellule est également chargée de la mise à jour et de la validation des supports existants ainsi que de la création d'un module e-learning . La mise en place du plan s'effectuera sur le rythme de l'année scolaire 2017-2018. La commission d'adaptation de la formation (CAF) « Formation pour la prévention des HDV-S » suivra la mise en place du plan de formation par les armées, directions et services et fera avec eux un point de situation en janvier 2018.

Le nombre de dossiers devenant significatif, Thémis mène par ailleurs les actions suivantes :

- la poursuite des enquêtes auprès des armées et services pour établir une corrélation entre les faits déclarés par la victime, les faits constatés par le commandement et sa réaction, ainsi que la réponse judiciaire ;

- le développement d'un logiciel (GESSIT avec accord CNIL) dans le but d'exploiter une base de données unique à partir des informations obtenues par Thémis ;

- la réalisation des travaux de recherche avec des étudiants en droit ou en médecine.

Plusieurs sujets sont retenus dont :

•  les circonstances de survenues des cas de HDV-S ;

• le lien entre les déclarations des victimes présumées, la réponse disciplinaire et la réponse pénale ;

• les conséquences sur les victimes en termes de santé - congés pour raison de santé, invalidité, réforme - et de carrière (mutation, sanction, carrière dans la réserve, démission).

Lieutenant-colonel Benoît Luneau . - En ce qui concerne les opérations extérieures (OPEX), la formation intervient à différents niveaux.

Tous les militaires qui partent en OPEX suivent ce que l'on appelle une « préparation à l'engagement opérationnel ». Pendant une quinzaine de jours, ils sont spécialement formés au théâtre d'opérations sur lequel ils vont être projetés. Les conseillers juridiques opérationnels, qui sont déployés sur tous les théâtres d'opération, suivent différents stages, parmi lesquels figure le stage « LEGAD 389 ( * ) niveau II ». Au cours de ce stage, une formation spécifique sur les violences sexuelles dans les conflits armés est dispensée par un représentant du comité international de la croix rouge.

Il existe aussi des formations ouvertes à tous mais qui ne constituent pas forcément un préalable à une projection à l'étranger, parce qu'elles sont plus techniques, plus juridiques. Elles s'adressent à un public qui sera chargé, du fait de ses fonctions, de diffuser les bonnes pratiques au sein des unités.

Il s'agit, par exemple, des formations que nous dispensons aux formateurs-relais. La question des violences sexuelles en OPEX s'intègre dans la sensibilisation plus générale des personnels au thème des violences sexuelles.

De même, une journée entièrement consacrée à la « prévention de l'exploitation et des abus sexuels dans le cadre des opérations extérieures » a été organisée au mois de juin dernier par la direction des affaires juridiques du ministère.

Au cours de ces journées, des thèmes plus techniques peuvent être abordés, comme la question de savoir si toute relation sexuelle d'un militaire avec une personne civile, même majeure et même consentante, ne doit pas être questionnée sur le terrain de l'inaptitude à consentir. Tout dépend des théâtres d'opérations, de l'intensité des conflits, du fait de savoir si la relation entre ces personnes n'est pas faussée par une contrainte morale liée à l'autorité de fait qu'exercerait le militaire... Nos personnels doivent être conscients de tout cela.

Enfin, je voudrais juste faire partager mon expérience de conseiller juridique en opérations pour souligner le fait que la lutte contre les violences sexuelles en OPEX constitue une préoccupation ancienne du commandement. Lorsque j'étais conseiller juridique en Côte d'Ivoire en 2005, j'avais été sollicité pour intervenir sur ce sujet auprès des troupes. Je devais rappeler les règles d'engagement, autrement dit, les conditions d'ouverture du feu, mais aussi informer tout le monde que le fait qu'avoir des relations sexuelles pouvait constituer une infraction, même lorsque le partenaire était consentant, dès lors qu'il était mineur.

Annick Billon, présidente . - Cette cellule de cinq personnes est-elle suffisamment étoffée pour prendre en charge tous les dossiers ?

Érick Dal . - La cellule fonctionne actuellement avec seulement trois personnes. Je tiens ici à remercier l'ensemble de mes officiers qui ont fourni cette année un travail colossal : le suivi des dossiers des victimes, le travail sur des outils performants, l'harmonisation des dossiers informatiques et « papiers » et la rédaction du guide de procédures. Nous avons travaillé parallèlement à la préparation des conférences de sensibilisation et d'information que j'ai évoquées tout à l'heure.

Lieutenant-colonel Benoît Luneau . - Le ministère des armées est avant-gardiste. Nous avons eu un cas de harcèlement sexuel par un subalterne sur sa supérieure féminine. Le ministre avait pris la sanction la plus sévère : la radiation des cadres. L'intéressé a estimé que cette sanction était trop sévère, il a saisi le tribunal administratif qui lui a donné raison, en considérant qu'il y avait eu une erreur d'appréciation. Le ministre a alors saisi la cour administrative d'appel qui a infirmé le jugement du tribunal administratif et confirmé la sanction prononcée. Les sanctions disciplinaires sont de plus en plus sévères et lorsqu'elles sont contestées, elles sont généralement confirmées par la juridiction administrative.

Nous citons des exemples concrets dans nos formations : aujourd'hui, des peines d'emprisonnement ferme peuvent être prononcées à l'encontre d'auteurs de faits de harcèlement sexuel alors que c'était tout à fait exceptionnel il y a une dizaine d'années. La tendance est à un accroissement de la sévérité des sanctions prononcées, sur les plans administratif et pénal : c'est le message que nous nous efforçons de transmettre au cours de nos formations et il est relativement bien entendu. Nous avons pris le parti de nous situer sur le plan de la morale, mais de nous fonder uniquement sur le droit, en rappelant les textes et la jurisprudence.

M. Érick Dal . - Des comités de suivi de Thémis , présidés par le ministre, se sont tenus en juin 2015 et juin 2016 ; la tenue d'un comité de suivi est programmée pour juin 2018 390 ( * ) . Thémis aura alors quatre ans d'existence et ses modalités d'intervention pourront être le cas échéant revues à l'aune de l'expérience acquise.

Annick Billon, présidente . - Nous vous remercions pour cet éclairage intéressant.

Audition de Sandrine Rousseau, ancienne secrétaire nationale adjointe
du parti Europe Écologie Les Verts (EELV), maître de conférences en sciences économiques à l'université de Lille, présidente de l'association Parler

(17 janvier 2018)

Présidence d'Annick Billon présidente

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, pour cette première réunion de 2018, permettez-moi de vous souhaiter, ainsi qu'à tous vos proches et à vos équipes, une excellente année 2018.

Une chose est sûre : cette année sera, comme 2017, très occupée à la délégation aux droits des femmes, si j'en juge par notre programme !

Je salue chaleureusement notre collègue Marie Mercier, présidente du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises sur les mineurs, et je la remercie de sa présence à notre réunion.

Nous accueillons aujourd'hui Sandrine Rousseau ; je précise à son intention que nous avons décidé, dès la reconstitution de la délégation à l'issue du dernier renouvellement sénatorial, de centrer notre agenda sur les violences faites aux femmes, en lien avec une actualité chargée et avec la préparation du projet de loi annoncé par le Gouvernement. Toutes les auditions auxquelles nous avons procédé depuis le début de cette session concernent donc le thème des violences.

Deux auditions porteront plus particulièrement, en mars, sur les violences dans les Outre-mer, conformément au souhait exprimé dès notre première réunion par nos trois collègues ultramarines. En février et mars, nous travaillerons sur les mutilations sexuelles féminines. Quant au rapport d'information sur les violences faites aux femmes handicapées, inscrit à notre programme, nous sommes conduits à en décaler la réalisation en raison du récent décès de Maudy Piot, présidente universellement regrettée de la principale association référente en la matière : Femmes pour le dire, femmes pour agir . Il convient en effet que cette association se soit adaptée au contexte issu de la disparition de sa fondatrice.

Notre audition d'aujourd'hui s'inscrit dans une série de réunions dédiées au sujet des violences sexuelles, qu'il s'agisse du harcèlement, y compris dans ses dimensions « cyber », des agressions sexuelles ou du viol.

Sandrine Rousseau, vous avez été au coeur de ce qui est devenu l'« affaire Baupin » et vous faites partie des femmes qui ont contribué à « libérer la parole » face à des violences dont il est très difficile de parler.

Parler , c'est justement le titre du livre de témoignage que vous avez écrit, et c'est aussi le nom de l'association que vous avez tout récemment créée pour aider les femmes victimes de violences.

Je pense qu'il n'est pas utile de revenir sur les circonstances précises de l' « affaire Baupin », qui sont rappelées dans votre livre. Toutefois :

- pouvez-vous nous dire pourquoi les conséquences de cette affaire ne relèvent pas de la même échelle que celles de l'« affaire Weinstein » ? Les femmes en France se seraient-elles senties moins concernées par ce qui arrivait dans le milieu politique que par les agressions vécues par des actrices américaines ?

- S'agissant de votre parcours judiciaire, pourriez-vous aussi revenir sur la manière dont vous avez été accueillie par les services de police lors du dépôt de plainte ? Avez-vous des suggestions dans ce domaine pour améliorer l'accueil des victimes ? La pré-plainte en ligne envisagée par la garde des Sceaux est-elle à votre avis une solution ?

Nous aimerions aussi que vous nous présentiez votre association, qui a pour objectif d'aider à la prise de parole et d'accompagner les victimes, comme le précise votre site Internet, « jusqu'au dépôt de plainte et au-delà ». Quel est le bilan de ses premières semaines d'existence ? Les témoignages reçus par les femmes qui se sont adressées à vous confirment-ils votre propre vécu ?

Vous évoquez dans votre livre le soutien de l' Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail ( AVFT ) et de sa déléguée générale, Marilyn Baldeck, que nous entendrons le 31 janvier. Confirmez-vous que sans ce type de soutien, votre démarche aurait été beaucoup plus difficile ?

C'est avec plaisir que je vous laisse la parole, puis mes collègues vous poseront des questions et nous aurons un temps d'échanges.

Sandrine Rousseau . - Je vous remercie de me recevoir. Mon propos introductif sera volontairement court, afin de favoriser le dialogue avec les membres de la délégation.

Pour répondre à votre question sur les réactions moins nombreuses à la suite de l' « affaire Baupin » que dans le sillage de l'« affaire Weinstein », je pense effectivement qu'il est plus difficile de parler après que les affaires sont sorties du milieu politique que du milieu du spectacle, qui a quelque chose de beaucoup plus consensuel. C'est une explication parmi d'autres. En France, je pense qu'il est assez difficile de faire émerger des affaires dans des sphères autres que la politique. On a entendu quelques dénonciations issues du militantisme politique, quelques-unes aussi dans le milieu journalistique, mais cela reste encore assez limité.

Pourquoi ai-je décidé de fonder l'association Parler et d'écrire l'ouvrage que j'ai intitulé de la même manière ? Pour répondre à cette question, il faut que je revienne un peu en arrière. Quand on a été confronté comme moi à une violence sexuelle, on vit souvent une période durant laquelle on essaie de faire avec, en se disant que ce n'est pas si grave, qu'on a fait face. Pendant cette période, on peut avoir des moments de bonheur et de joie, on ne pense pas forcément en permanence à l'agression, qui n'est pas nécessairement obsessionnelle. Malgré tout, ce souvenir reste toujours présent dans un coin de notre tête. Donc, on en parle quand même, pour essayer de faire évoluer les choses. En ce qui me concerne, j'en ai parlé au sein du parti dans les minutes qui ont suivi mon agression, je n'ai même jamais cessé d'en parler, mais je me suis heurtée à la surdité du monde politique. Personne n'a vraiment voulu entendre !

À partir du moment où l'on parle officiellement, que ce soit dans les journaux ou en allant déposer plainte à la gendarmerie ou au commissariat, on traverse une sorte de révolution personnelle, qui nous assaille pour le meilleur et pour le pire. Cela bouleverse totalement notre monde personnel. Aujourd'hui, en France, parler est vraiment un parcours extrêmement compliqué et douloureux. Voilà pourquoi j'ai écrit ce livre. Je n'ai pas trouvé beaucoup de littérature sur ce sujet, dans un moment où cela m'aurait beaucoup aidée. Il existe des livres sur le traumatisme du viol, mais très peu sur les violences sexuelles en général et sur le parcours d'une victime après la libération de sa parole. On peut avoir l'impression de devenir folle. Dans ces situations, seules les autres victimes, les femmes qui sont passées par là, peuvent constituer un soutien, alors que même vos proches ne vous comprennent plus.

J'ai donc voulu créer l'association Parler , une association de victimes, pour leur permettre de parler ensemble et leur offrir un espace de complète liberté de parole, pour échanger et leur montrer qu'elles ne sont pas seules. À la suite de la publication de mon livre, du lancement de l'association et de mon passage à l'émission On n'est pas couchés qui a suscité une polémique, j'ai reçu des milliers de témoignages de femmes. Toutes, elles disent la même chose. Il est vraiment frappant de voir à quel point leurs discours se ressemblent et à quel point leurs parcours sont communs, alors même qu'elles se sentent si seules et isolées.

Forte de mon vécu, je voudrais vous soumettre plusieurs propositions pour améliorer le parcours des femmes victimes de violences sexuelles.

Annick Billon, présidente . - Nous vous écoutons avec intérêt, puis les membres de la délégation pourront vous faire part de leurs réactions.

Sandrine Rousseau . - Une préoccupation récurrente dans les témoignages que j'ai reçus est celle de la formation de tous les personnels susceptibles d'être en contact avec les victimes, du dépôt de plainte jusqu'au terme de la procédure : les policiers qui sont chargés de l'accueil dans les commissariats, les juges, mais aussi les médecins. L'accueil dans les commissariats peut encore être défaillant. Je sais qu'il y a eu des avancées notables, mais beaucoup reste encore à faire. Un policier ou une policière par commissariat formé-e à l'accueil des femmes victimes de violences, cela ne suffit pas. Il faut qu'ils le soient quasiment toutes et tous.

De la même façon, il est particulièrement éprouvant pour une victime d'agression sexuelle ou de viol de venir raconter les faits dans le hall d'un commissariat plein de monde, sans aucune confidentialité. C'est pourquoi je suggère l'instauration d'un code, par exemple 3919, en référence au numéro d'urgence, ou d'autres mots, peu importe, pour savoir que la femme devant eux est victime de violences sexuelles. Ce code serait compris par les policiers chargés de l'accueil, qui orienteraient alors la personne dans un lieu adapté à la situation, pour lui éviter d'avoir à prononcer les mots de viol ou d'agression sexuelle devant tout le monde.

En outre, j'insiste sur la formation des psychologues et des médecins, notamment dans le cadre des expertises psychologiques, autre moment très éprouvant pour les femmes qui viennent déposer plainte. Selon la loi, les victimes de violences sexuelles font l'objet d'une expertise psychologique pour évaluer l'ampleur du traumatisme subi. Or, souvent ces expertises outrepassent cet objectif et se révèlent à charge contre les femmes qui déposent plainte pour des violences sexuelles, en les présentant parfois comme des menteuses ou des manipulatrices. Ce n'est pas ce que l'on demande à l'expert, en l'occurrence. Il me paraît donc nécessaire de mieux encadrer ces expertises, d'autant plus qu'elles représentent un élément important du dossier pour la suite de la procédure. Cette tendance problématique à présenter les femmes comme des manipulatrices en dit long, à mon avis, sur la vision que porte notre société sur les femmes et leur sexualité...

J'ai également des recommandations relatives au corps médical. Beaucoup des femmes qui ont témoigné dans le cadre de mon association ont fait part de leur mal-être lié à l'examen qu'elles ont subi en médecine légale pour constater le viol après le dépôt de plainte. En effet, bien souvent, ces prélèvements ADN sont réalisés par des hommes, ce qui est insupportable pour des femmes qui viennent de subir un viol. Il me semble qu'il serait pertinent d'élargir le champ des personnes susceptibles de procéder à ces examens, aujourd'hui réalisés par un personnel très restreint, aux infirmières ou aux médecins du travail, sous réserve de formation. À tout le moins faudrait-il encadrer ces prélèvements sensibles par un protocole, car il est vraiment très violent de faire examiner par un homme une femme qui vient tout juste d'être violée.

Toujours dans le champ médical, il faut savoir que les victimes d'un viol sont soumises à des traitements préventifs contre le VIH ou les hépatites, qui sont des protocoles assez lourds. Or, même quand l'auteur du viol a été arrêté, on ne lui fait pas d'examen pour s'assurer que ces traitements sont nécessaires : on continue à donner à la victime des trithérapies et autres traitements très contraignants alors que l'auteur du viol est connu et qu'il peut ne pas être lui-même contaminé. Cela fait partie des choses que les victimes supportent très mal dans leur parcours. Il en va de même quand on effectue les prélèvements gynécologiques ou ADN : les victimes ne sont pas tenues informées de leur dossier médical. Tout cela fait aussi partie des violences supplémentaires qu'on inflige aux femmes.

En outre, se pose la question du manque de lieux adaptés pour l'accueil des victimes de violences sexuelles dans les commissariats et les hôpitaux. Il est en effet difficile de parler de son intimité dans des lieux très froids et impersonnels, peu adaptés à l'émotion qui imprègne les propos des victimes quand elles racontent les faits, et cela peut aussi les déstabiliser. Cela m'a marquée, alors que j'ai fait ma déposition longtemps après mon agression. Or le moment du dépôt de plainte est un moment important dans le parcours d'une victime, car sa déposition servira ensuite tout au long de l'instruction. Une victime a besoin de se sentir en confiance pour parler.

Un autre problème concerne la protection des victimes. Beaucoup de femmes qui déposent plainte reçoivent des menaces contre elles-mêmes ou leurs enfants, surtout quand elles connaissent leur agresseur. Je pense que tant que la justice n'a pas statué, il faut organiser la protection de ces femmes. Les juges peuvent demander une protection dans ces situations, mais ce n'est pas systématique et cela se fait rarement en pratique, et de façon assez légère. Certaines victimes ressentent une profonde détresse face à ces menaces : les gérer en plus de leur traumatisme leur est tout simplement impossible.

En outre, j'estime qu'il faudrait permettre aux femmes qui déposent plainte de se faire rembourser 100 % des soins, notamment psychologiques, liés à leur agression, au moins jusqu'à ce que la justice ait statué. Il ne faut pas oublier les conséquences d'une agression sexuelle, du harcèlement ou d'un viol sur une victime, notamment dans le domaine professionnel. Je parle de remboursement à 100 %, pas d'enrichissement personnel ! L'objectif est juste de pouvoir aller chez le médecin, ce qui est parfois difficile pour des femmes qui ont perdu leur travail. Sans le remboursement intégral des soins, elles sont bien souvent dans l'incapacité de se faire suivre et se retrouvent alors de plus en plus isolées.

En ce qui concerne l'indemnisation des victimes, je note que, dans le contexte de l'affaire Weinstein, le Canada vient de rouvrir toutes les plaintes pour violences sexuelles classées sans suite depuis deux ans. Je trouve que c'est une décision intéressante, qui s'adapte au changement de contexte.

Enfin, il me paraît indispensable de lutter absolument contre la correctionnalisation des viols. C'est une pratique scandaleuse. Le viol est un crime et doit être jugé comme tel.

Annick Billon, présidente . - Je vous remercie pour ces pistes d'amélioration sur lesquelles réagiront sans doute mes collègues.

Laure Darcos . - Je vous remercie pour ce témoignage. En tant que membre de la commission de la culture, j'ai été très fière que cette dernière vous exprime tout de suite et spontanément sa solidarité, par une saisine du CSA, après ce que vous avez subi durant votre passage dans l'émission On n'est pas couchés , en dénonçant des agissements inadmissibles. Cette polémique illustre d'ailleurs à mon sens la collusion qui peut exister entre le monde politique et le monde médiatique.

Il est vrai que le milieu politique est un monde particulier, qui est resté pendant très longtemps l'apanage des hommes. Jusqu'à la loi sur la parité, les femmes arrivaient péniblement à entrer dans ce milieu-là et au fond - je vais peut-être choquer plusieurs d'entre vous - certaines femmes se sont peut-être prêtées dans une certaine mesure à une sorte de jeu de séduction dans ce contexte. Je ne dis pas que c'était bien ou que c'était une pratique courante. C'est juste une hypothèse.

En tout état de cause, il est très compliqué pour une femme de parler dans une situation comme celle que vous avez vécue, parce qu'elle peut avoir peur, quand elle appartient à un parti politique, à une fédération ou autre, des répercussions qui en résulteraient sur sa vie politique.

Il me paraît donc important de responsabiliser l'entourage, notamment politique, des victimes de violences sexuelles. Bien souvent, dans ce genre d'affaires, beaucoup de gens savaient, mais n'ont pas parlé pour les raisons que j'ai évoquées. Il faudrait les inciter à témoigner, en s'inspirant de ce qui existe en matière d'obligation de signalement concernant la maltraitance aux enfants.

J'ai récemment organisé une table ronde dans le sud de mon département avec d'autres élues. Je sais que la délégation a déjà évoqué la question des femmes victimes de violences en milieu rural, dans le cadre de son rapport sur les agricultrices 391 ( * ) , mais je dois dire que j'ai réalisé à l'occasion de ces échanges qu'il est particulièrement difficile pour ces femmes de porter plainte contre leur mari ou leur conjoint violent. Elles ont très peu d'interlocuteurs vers qui se tourner, notamment le maire, mais ce dernier peut être un proche de l'agresseur... Cela rend la libération de la parole encore plus compliquée que dans les grandes villes. Le milieu rural est encore très isolé pour ce qui concerne la prise en charge et la protection des victimes.

Christine Bonfanti-Dossat . - Je vais faire une digression mais vous comprendrez in fine le rapport entre mes propos et notre sujet. Je fais partie d'une association qui lutte contre la maltraitance des enfants et des adolescents - et aujourd'hui cela concerne 80 % des violences sexuelles. Nous nous constituons partie civile dans les procédures et nous n'obtenons bien souvent qu'un euro symbolique. Or, j'ai constaté depuis deux ou trois ans que dans les affaires de cyber-harcèlement, nous avons pu obtenir des dommages et intérêts.

Nous avons comme vous observé que les locaux des commissariats et gendarmeries sont des endroits peu propices à la confession des victimes, et notamment des enfants. Notre association a donc contribué au financement de salles dédiées aux enfants, dites « salles Mélanie ». Ces endroits à la fois apaisants et rassurants, équipés de jouets, gérés par des professionnels formés, sont beaucoup plus adaptés au recueil de la parole des enfants et cela donne des résultats fabuleux. On compte actuellement 25 « salles Mélanie » en France - la dernière en date sera prochainement inaugurée à Toulouse. Pourquoi ne pas imaginer ce type de salle au profit des femmes victimes de violences sexuelles ? Je serais très intéressée de pouvoir discuter d'un tel projet avec vous.

Claudine Lepage . - Je vous remercie pour votre témoignage. Vous avez distingué le monde politique du monde du cinéma et du reste de la société. Pour ma part, je ne suis pas persuadée qu'il faille opposer ces différents mondes. Je pense qu'il s'agit davantage d'une question culturelle qui tient à notre société. Ainsi, j'opposerais plutôt cette dernière à un monde plus puritain, anglo-saxon. On a connu au cours des dernières années des scandales dans le milieu politique en Grande-Bretagne, aux États-Unis, deux pays qui n'ont pas la même appréhension que nous des relations entre les femmes et les hommes. Les rapports entre les deux sexes y sont beaucoup plus tranchés. Dans notre pays, et plus généralement dans l'Europe du Sud, nous avons longtemps brandi l'idée de la séduction et de rapports plus apaisés entre les hommes et les femmes, ce qui occultait totalement la question des agressions sexuelles. Aujourd'hui, on en parle enfin ; notre société est en train de changer, d'évoluer et j'y suis pour ma part très favorable.

Pour conclure, je veux vous assurer que nous soutenons pleinement votre combat.

Céline Boulay-Espéronnier . - Nous partageons avec vous le fait d'être des femmes politiques et vos propos sur la difficulté à parler de ces agressions renvoient à la perception de la parole de la victime, notamment dans le monde politique qui, comme le rappelait Laure Darcos, est un univers basé sur la séduction.

Il existe bien des modalités de séduction et il est navrant de constater l'amalgame qui peut exister entre elles ; la femme ou l'homme politique désire plaire à l'électorat mais aussi à ses collègues des deux sexes, c'est un monde de complaisance.

Je désirerais que vous développiez la difficulté à témoigner dans la sphère politique où règne l'omerta.

Laurence Cohen, co-rapporteure . - Je constate avec satisfaction que la parole se libère à l'échelle mondiale, cependant il est de notre responsabilité et de tous ceux qui sont conscients de cette problématique que cette parole libérée soit non seulement entendue mais aussi que des mesures réelles soient prises.

Vous nous avez indiqué avoir été soutenue par l' Association européenne de lutte contre les violences faites aux femmes au travail ( AVFT ) qui effectue une considérable prise en charge des victimes de violences dans le cadre du travail. Je suis tout particulièrement consternée que les femmes ayant témoigné de harcèlement sexuel ou d'agressions sexuelles au travail perdent leur emploi dans la majorité des cas, subissant donc une double peine : le traumatisme qu'elles vivent auquel s'ajoute la violence résultant des conséquences de cette perte d'emploi.

Les dispositifs permettant à ces femmes d'être accompagnées doivent être maintenus, renforcés ou remplacés si des mesures plus efficaces peuvent être mises en oeuvre. À cet égard, je m'inquiète des récentes dispositions limitant les champs d'investigation de l'Inspection du travail et de la Médecine du travail, mais aussi de celles relatives à la fusion des instances représentatives du personnel, en application des ordonnances Pénicaud 392 ( * ) et de la loi « El Khomri » 393 ( * ) . Je m'inquiète aussi de la suppression du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), alors même qu'il est déjà difficile d'entendre la parole des femmes victimes et de mettre en oeuvre des mesures appropriées. Dès lors, le risque existe que les violences sexuelles, qui peuvent aller jusqu'au viol, ne soient plus vraiment prises en compte dans le monde du travail.

Je souligne le parallélisme entre le sort réservé aux femmes agressées dans le cadre de leur travail et celui des femmes politiques qui dénoncent des faits d'agressions sexuelles : il est paradoxal qu'elles soient toutes mises au ban de leur famille politique ou de leur entreprise, alors que c'est à l'agresseur d'en être écarté.

Roland Courteau . - Je vous remercie d'avoir insisté sur la nécessité de former tous les intervenants (policiers, gendarmes, médecins...) appelés à recevoir les femmes victimes d'agressions sexuelles. L'accueil et l'accompagnement d'une victime traumatisée sont essentiels, mais demeurent encore à améliorer tant sur le volet de la formation initiale que sur celui de la formation continue de ces intervenants. Malgré les dispositifs légaux qui disposent que ces formations sont obligatoires, de nombreux témoignages me laissent à penser que l'accueil d'une femme venant déposer plainte pour des faits d'agressions sexuelles laisse encore beaucoup à désirer dans certains commissariats ou unités de gendarmerie.

Il me semble qu'il faut aussi étoffer le nombre d'intervenants sociaux, en charge de l'accompagnement des femmes traumatisées et désemparées, au sein des commissariats. Qu'en pensez-vous ?

Marie Mercier . - Un parallélisme certain apparaît entre votre agression sexuelle et les faits qui ont été rapportés lors des différentes auditions du groupe de travail de la commission des lois consacré aux infractions sexuelles commises sur les mineurs.

Si la transposition du concept des « salles Mélanie » dédiées au recueil de la parole des enfants constituerait un apport considérable pour assurer un accueil apaisant des femmes victimes d'agressions, il est cependant essentiel, quelle que soit l'architecture retenue, que des moyens humains y soient associés pour la faire fonctionner. Nous avons visité l'UMJ de Saint-Malo et sa « salle Mélanie », bel exemple de partenariat entre les différentes institutions. En revanche, nous avons pu constater qu'une autre « salle Mélanie », pourtant magnifique, implantée dans un CHU, ne fonctionnait pas, faute d'un environnement humain vraiment adapté à l'écoute des enfants. Les locaux, c'est certes important, mais l'humain est lui aussi primordial.

Libérer la parole est indispensable, mais les formations pour en assurer le recueil sont au moins aussi nécessaires.

J'ai été frappée par vos propos sur les hommes médecins chargés des prélèvements ADN : l'empathie des professionnels de santé n'est pas liée à mon avis à leur sexe. Peut-être vouliez-vous exprimer que cet examen médico-légal doit être pratiqué avec suffisamment de tact, de professionnalisme et de gentillesse, dans le respect de la victime d'une agression sexuelle ou d'un viol, de sa parole et de son humanité fracturée ? J'ai pu observer au cours de mes études de médecine que ces qualités humaines ne sont pas l'apanage d'un seul sexe...

Sandrine Rousseau . - Je conviens que certaines professionnelles (de la police ou de la magistrature, par exemple) que l'on peut être amené à rencontrer dans le cadre d'une agression sexuelle peuvent effectivement être très désagréables. Ce serait trop simple s'il suffisait d'avoir affaire à des femmes ! Mais il y a néanmoins quelque chose de symbolique, de l'ordre d'une insurmontable réticence, à se faire examiner avec une pénétration digitale par un homme juste après un viol !

Marie Mercier . - Lorsqu'un médecin pratique un toucher vaginal ou rectal, cela relève d'un examen professionnel, il faut le déconnecter de l'agression.

Sandrine Rousseau. - La victime d'une agression est dans un état d'esprit qui ne permet pas un tel détachement.

Annick Billon, présidente . - Il y a le regard du médecin, mais il faut tenir compte du regard de la patiente. Imaginez ce que peut ressentir une adolescente consultant pour la première fois un gynécologue ! C'est souvent le premier homme devant lequel elle doit se dévêtir si elle n'a pas encore eu de rapports sexuels...

Sandrine Rousseau . - Autre sujet : l'inversion de la charge de la preuve du consentement. Les femmes sont supposées consentantes et doivent faire la preuve qu'elles ne l'étaient pas. C'est une question très grave. Cet a priori du consentement me pose problème. En outre, le rassemblement des différentes plaintes concernant un agresseur n'est pas systématique alors qu'il suffirait d'une circulaire du garde des Sceaux aux juges d'instruction pour progresser dans la connaissance de l'étendue des violences.

L'émission On n'est pas couchés a révélé le traitement qui est réservé à celles qui dénoncent des violences sexuelles : la polémique qui en a résulté portait sur l'attitude de Christine Angot mais selon moi, celle des deux autres animateurs était tout aussi problématique. Je vous remercie pour votre soutien.

Par ailleurs, impliquer l'entourage de façon à ce qu'il se sente concerné et l'amener à agir est un vrai sujet.

Vous l'avez dit, le recueil de la parole des femmes victimes de violences dans les territoires ruraux et ultramarins est délicat : les interlocuteurs auxquels elles pourraient s'adresser sont en nombre limité. De plus, en milieu rural, peut se poser un problème de confidentialité. Quand tout le monde se connaît... Une solution serait de permettre à ces victimes de s'adresser à des structures éloignées de leur domicile ; la plainte en ligne est aussi une possibilité.

Si le monde politique est un monde de séduction, c'est aussi un monde de pouvoir, y compris d'abus de pouvoir... Les violences sexuelles relèvent non pas de la séduction mais bel et bien du pouvoir : ce que j'ai ressenti n'a rien à voir avec la séduction ! Mon agression s'est déroulée dans le cadre d'une réunion que j'animais. La situation était totalement étrangère à la séduction.

Je n'ai cessé de parler de mon agression depuis les minutes qui l'ont suivie, mais personne n'a jamais réellement entendu ; selon moi, cette surdité est à mettre au compte de l'extrême influence de mon agresseur au sein du parti, nul n'ayant voulu l'affronter sur les dénonciations dont il était l'objet. Or nous étions une quinzaine à le dénoncer. Donc si le parti avait sérieusement enquêté après mes prises de parole, il serait apparu qu'il y avait bien un problème qui ne relevait pas de la seule séduction.

De cette quinzaine de femmes qui ont été agressées ou harcelées, peu demeurent au sein du parti ! Si notre parole n'a pas été contestée car nous étions trop nombreuses, s'est cependant tissé un climat parfois délétère autour de nous et à certains moments, nous avons été marginalisées au sein du parti, considérées comme des femmes dont il fallait se méfier.

Au regard de mon expérience, je suis convaincue que l'un des combats des femmes agressées sera de reprendre le chemin de la politique pour faire évoluer la société et ne pas les laisser cantonner au rang de victimes, mais montrer qu'elles sont des femmes qui peuvent assumer des responsabilités.

L' Association européenne de lutte contre les violences faites aux femmes au travail ( AVFT ) nous a éclairées, pas lors du dépôt de plainte, mais pendant l'enquête journalistique et sur le parcours judiciaire que l'on allait devoir affronter ; les membres de l'association sont des femmes aux rares compétences juridiques, malheureusement confrontées à un afflux de demandes difficile à gérer.

Mais quels vont pouvoir être les recours des femmes qui subissent des violences sexuelles au sein de leur entreprise, avec la suppression du CHSCT et la révision des prérogatives de la Médecine et de l'Inspection du travail ?

Je propose que soient créés des référents dédiés, hors hiérarchie, désignés pour recevoir les témoignages et alerter la hiérarchie.

Annick Billon, présidente . - Je vous remercie de votre témoignage, d'autant que si vous avez pu vous exprimer dans votre livre, cela doit toujours vous être difficile de vous exprimer sur ces faits.

Il faut libérer la parole et la faire suivre d'actions en justice, mais aussi donner une chance aux victimes de passer à autre chose en dépassant ce statut.

J'ai trouvé originale et excellente votre proposition d'indiquer discrètement par un code que l'on souhaite déposer plainte pour agression sexuelle dans un commissariat, sans être contrainte de préciser les faits devant tout le monde, comme cela a pu nous être rapporté.

Le dépôt de plainte en ligne pourrait aussi permettre d'orienter ces victimes vers la personne compétente et formée pour les accueillir et les entendre.

J'ai aussi été sensible à vos remarques portant sur le corps médical et je comprends tout à fait que l'état d'esprit d'une personne diffère selon qu'elle est examinée par un médecin en tant que patient, ou que victime, a fortiori après une agression sexuelle.

Je vous remercie de votre engagement ; il est bien la preuve que vous n'êtes plus une victime mais vous rend au contraire actrice de votre parcours et vous permet de rebondir vers d'autres horizons.

Sandrine Rousseau . - Merci à vous. Je suivrai vos débats avec attention au moment de l'examen du projet de loi annoncé par le Gouvernement.

Audition du Docteur Emmanuelle Piet,
présidente du Collectif féministe contre le viol

(18 janvier 2018)

Présidence d'Annick Billon présidente

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons ce matin nos auditions sur les violences faites aux femmes. Notre matinée sera particulièrement riche puisque nous aurons trois réunions successives. Je rappelle que notre délégation a souhaité travailler cette année - actualité oblige -, sur les violences faites aux femmes, afin de préparer l'examen du projet de loi annoncé par le Gouvernement.

Nos questionnements concernent plus particulièrement le drame des victimes de violences sexuelles, notamment des victimes les plus jeunes, et les obstacles qui jalonnent leur parcours judiciaire. Nous nous intéressons, bien sûr, à l'accompagnement et à la prise en charge médicale et psychologique de ces victimes, jeunes et moins jeunes.

Pour commencer notre matinée de travail, nous avons le plaisir d'accueillir le Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif Féministe contre le Viol ( CFCV ). Créé en 1985, le Collectif a mis en place dès 1986, grâce au soutien financier du ministère des Droits des femmes d'Yvette Roudy, la permanence téléphonique nationale gratuite Viol Femmes Informations .

Docteur Piet, votre engagement en faveur des droits des femmes ne date pas d'aujourd'hui. En tant que médecin de Protection maternelle et infantile (PMI) vous avez très tôt fait de la protection de la santé des femmes votre vocation. Il en va de même pour la protection des petites filles contre l'excision, thème sur lequel nous préparons un autre rapport d'information. Nous y reviendrons au moment des questions. Pourriez-vous commencer par nous parler de votre parcours ?

Dans un second temps, pourriez-vous nous présenter l'action du CFCV : quels sont ses objectifs, ses outils, ses activités ? Quel bilan dressez-vous de l'action menée depuis 1985 ? Que reste-t-il à faire selon vous pour améliorer la protection et la prise en charge des femmes victimes de violences sexuelles ?

Enfin, nous souhaiterions que vous réagissiez aux principales annonces du Gouvernement sur le contenu du futur projet de loi - présomption de contrainte en-dessous de treize ou quinze ans en cas d'acte sexuel entre un mineur et un majeur, allongement des délais de prescription des infractions sexuelles commises contre des mineur et création d'un délit d'outrage sexiste pour réprimer le « harcèlement de rue » - en nous faisant part, le cas échéant, de vos propositions.

Je vous remercie chaleureusement d'être venue jusqu'à nous et je vous laisse sans plus tarder la parole.

À l'issue de votre présentation, les membres de la délégation feront part de leurs réactions et vous poseront des questions.

Emmanuelle Piet . - Je suis médecin départemental de PMI. Aujourd'hui à la retraite, je continue néanmoins les consultations. J'ai commencé à exercer en 1975 à la PMI : j'ai donc un certain recul sur ces sujets. Je me suis occupée de planification familiale et de protection maternelle et infantile. J'ai piloté la campagne de prévention des agressions sexuelles à l'encontre des enfants à partir de 1985. Enfin, j'ai travaillé dans le domaine de la prévention des mariages forcés, des mutilations sexuelles et des violences faites aux femmes en général.

Je suis présidente du CFCV depuis 1992. Ce collectif s'est créé en 1985 après plusieurs viols commis sur la voie publique devant de nombreux témoins, sans qu'aucun n'intervienne. À cette occasion, les féministes s'étaient rassemblées (le Mouvement Français pour le Planning Familial , Solidarité Femmes , La Maison des Femmes ...) pour créer un collectif d'associations. Nous nous sommes constituées en association à proprement parler à partir de 1989, afin de pouvoir ester en justice aux côtés des victimes.

Nous avons animé la permanence téléphonique Viol Femmes Information depuis 1986. Actuellement, la permanence est ouverte de 10 heures à 19 heures tous les jours en semaine. Nous entendons quotidiennement entre trois et quinze nouvelles victimes venant témoigner d'un viol, et ce depuis trente-trois ans. Au total, 54 200 victimes ont téléphoné au moins une fois. Pour chacune d'entre elles, nous rédigeons une fiche et procédons à une analyse. Les victimes téléphonent de façon anonyme, mais dans la mesure où elles rappellent pour avoir un complément d'information, nous leur demandons de communiquer un prénom et un département pour pouvoir les retrouver, et suivre leur histoire.

Ces 54 200 témoignages et les analyses que nous en avons tirées nous ont inspiré des propositions de réformes législatives. Nous sommes véritablement portés par la parole des victimes. Lorsqu'on les écoute en continu, il est très impressionnant de voir à quel point ce qui ressort, c'est une stratégie de l'agresseur. Pour nous, ce premier constat a été très important. À ceux qui prétendent que le violeur est uniquement guidé par des pulsions et que l'agresseur n'avait pas perçu l'absence de consentement de la victime, nous pouvons répondre que cela n'est pas vrai. Au vu du déroulé des agressions sexuelles et des viols, nous constatons qu'il y a toujours une préméditation. Rien n'est soudain. Ces agressions font l'objet d'une vraie stratégie, que je vais tenter de résumer.

Tout d'abord, il faut savoir qu'un agresseur sexuel choisit sa victime. C'est très important. Dans mon travail, j'ai soigné de jeunes violeurs à la prison de Villepinte et ensuite, en réparation pénale. Trois gamins avaient violé et torturé une très vieille dame de quatre-vingt ans qu'ils ne connaissaient pas. La vieille dame, comme toutes les victimes, se demandait « Pourquoi moi ? Qu'est-ce que j'ai fait ? ». En consultant le dossier d'aide sociale à l'enfance du meneur de quatorze ans et demi, on a constaté que celui-ci avait subi des attouchements sexuels de la part de sa grand-mère, dix années auparavant. Or ces faits n'avaient été ni traités, ni soignés et il en résultait que le jeune en question détestait les vieilles dames. Il y a toujours quelque chose de cet ordre. La victime se pose la question « Pourquoi moi ? », alors que cette question n'a pas lieu d'être puisque l'explication du viol est étroitement liée au scénario de l'agresseur.

Un autre choix de scénario peut être lié à la facilité ou au lieu de l'agression. Après le viol, l'agresseur isolera la victime. Il pourra s'agir d'un isolement ponctuel dans un coin, mais également à long terme, pour l'empêcher de parler. Puis il essaiera d'inverser la culpabilité. C'est extrêmement important, car les victimes ne comprennent pas bien ce point. Je me souviens d'avoir reçu en consultation une jeune femme qui me racontait comment elle avait été violée, en s'excusant constamment, comme si c'était de sa faute... Elle sortait d'une rupture amoureuse, elle était triste. Ses amies lui avaient proposé de sortir dans un bar pour lui remonter le moral. Il est vrai qu'elles avaient bu un peu. Puis elles étaient rentrées tardivement en métro. Ses amies l'ont laissée car elles habitaient plus près. Elle était donc seule quand elle est descendue à son arrêt. Dans la rue, un homme l'a abordée pour lui dire qu'elle avait l'air triste dans le métro. À ce moment, elle m'a dit qu'elle a tout de suite senti le danger. Elle a essayé de répondre de façon neutre, puis a continué à marcher. Elle s'est soudain retrouvée plaquée contre un mur avec un couteau sous la gorge. Il lui a dit : « Demande-moi d'enlever mon pantalon. » Alors elle a dit : « Enlève ton pantalon. »

Le lendemain, dans mon cabinet médical, la seule chose dont elle se souvenait, c'était : « Vous vous rendez compte ? C'est moi qui lui ai demandé d'enlever son pantalon ! ». C'est une stratégie d'agresseur. Si l'on cherche, on trouvera toujours quelque chose comme cela. Il pourrait aussi avoir dit : « Tu aimes ça ? ». Elle aurait répondu « Oui », pour que cela finisse plus vite. Le risque c'est que ce soit la seule chose qu'on retienne : « Enlève ton pantalon » ! Ce genre de scénario se retrouve dans toutes les histoires.

Par ailleurs, les violeurs - c'est une évidence - ont toujours envie de rester en liberté. C'est pourquoi ils donnent des consignes de silence en terrorisant leurs victimes : « Si tu parles, je te tue ». « Si tu parles, ta mère se suicidera et ta famille sera brisée ». « Si tu parles, tu te retrouveras nue sur Facebook ». Toutes ces menaces sont terrorisantes, et expliquent que les victimes aient du mal à parler.

Dans toutes les situations exposées au téléphone, nous constatons une volonté de nuire, d'anéantir le libre-arbitre et de nier la personne. Je n'ai encore jamais rencontré de victime de viol qui n'ait pas eu, à un moment donné, le sentiment qu'elle allait mourir. Aujourd'hui, nous savons qu'un syndrome post-traumatique apparaît très fréquemment après un viol. En effet, 80 % des victimes de viols présentent de tels syndromes, alors que le taux est de 40 % après un attentat. Pourtant, beaucoup de victimes se disent, dans un premier temps, que cela n'était rien. Elles se rendent donc à leur travail et essaient de vivre comme si de rien n'était. Deux mois ou deux ans après, tout à coup, elles se retrouvent dans une situation de paralysie générale. Elles ont l'impression de devenir folles. En réalité, c'est exactement comme après un attentat. Certaines victimes en sortent soulagées d'être encore vivantes et sans blessure physique. Six mois plus tard, elles sont hantées par des images de bombe et de membres sanglants. Dès lors, elles ne peuvent plus avancer ni travailler.

En étudiant le devenir de ces femmes victimes de viol à partir des appels qu'elles nous adressent, nous avons constaté que 10 à 15 % d'entre elles finissaient par souffrir d'un handicap les empêchant de travailler. Il faut donc mesurer le coût humain et social très important des violences sexuelles.

Pour l'ensemble de ces raisons, j'estime que la justice va devoir faire mieux. Certes, la loi actuelle est satisfaisante, mais depuis 1987, le CFCV défend l'imprescriptibilité des crimes sur les personnes. Nous avons été responsables de la première modification de la loi en 1989 394 ( * ) sur le report de la prescription à dix ans après la majorité. Nous savons que nous avançons à petits pas. Nous avons donc accepté ce délai de dix ans, comme nous avons entériné celui de vingt. Nous accepterons un délai de prescription de trente ans.

Nous savons par ailleurs que les violeurs ne commettent jamais des actes uniques, et qu'ils ont des carrières épouvantablement longues. Par exemple, la victime d'un célèbre sexologue témoignait avoir été violée par lui lorsqu'il était médecin généraliste et qu'elle venait d'accoucher. Son bébé était malade et elle l'avait appelé. Il est venu et l'a violée alors que le bébé se trouvait dans la chambre voisine. Bien des années plus tard, à soixante-douze ans, il trahissait encore son contrôle judiciaire en violant une femme. En d'autres termes, les violeurs le sont à vie. Ils n'envisagent leurs rapports sexuels que sous l'angle de la domination.

Pourtant, moins de 0,5 % des violeurs sont condamnés. Ce qui signifie, a contrario , que 99,5 % des violeurs continuent. Finalement, on peut dire que les récidivistes sont des « idiots » qui se sont fait arrêter deux fois, mais la plupart passent au travers ! Nous avons fait en sorte de rappeler ce point dans le dernier dossier de viol conjugal pour lequel nous nous sommes constitués partie civile. La policière avait fait un travail remarquable. La victime avait porté plainte pour torture et viols de la part de son compagnon. La policière a fait en sorte d'interroger toutes les précédentes compagnes du suspect, au nombre de six. Toutes avaient vécu la même chose. Un violeur n'agit rarement qu'une seule fois. C'est pourquoi nous nous constituons partie civile dans des procès où nous pensons faire avancer un certain nombre d'idées.

Les violeurs se conduisent toujours de la même façon. Un violeur d'enfants qui agit sur sa fille, violera sa petite-fille s'il n'est pas arrêté. Pour cette raison essentielle, la prescription n'a pas de sens. Nous allons être partie civile dans le procès d'un grand-père qui a violé sa fille et sa petite-fille, mais qui bénéficiera de la prescription pour le premier crime. Ce n'est pas juste. Dans le procès pour viol conjugal que je viens d'évoquer, la « carrière » du mari violeur était de vingt-sept ans. La première épouse, lorsqu'elle est venue témoigner à la barre, bien qu'elle n'ait aucune chance d'être reconnue comme victime, n'a même pas voulu donner son adresse. Elle était encore paralysée par la peur.

Pour toutes ces raisons, nous accepterons bien entendu, comme je le disais, une prescription de trente ans, mais préfèrerions dans l'idéal une durée plus longue.

Il en est de même pour ce qui concerne l'âge du consentement d'un mineur à un rapport sexuel avec un adulte. J'aimerais mieux que cet âge soit fixé à quinze ans plutôt que treize ans, mais il faut absolument affirmer qu'avant treize ou quinze ans, un mineur ne peut consentir à un rapport sexuel avec un majeur. Je peux témoigner avoir entendu lors d'un procès, y compris de la part d'un expert-psychiatre, que les viols d'un beau-père sur une petite fille de sept ans relevaient d'une histoire d'amour ! En conséquence, la relaxe a été prononcée. C'est insupportable, mais c'est pourtant comme cela que ça se passe actuellement. Dans le droit actuel, pour obtenir la condamnation d'un rapport sexuel avec un enfant, il faut prouver la menace, la contrainte, la violence ou la surprise. Cela n'est pas juste.

Sur l'inceste, nous avons approuvé la modification législative de 2011 intégrant l'inceste dans la définition du viol. Malheureusement, cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel, avant d'être réintroduite sous la forme de circonstances aggravantes. Mais cela ne suffit pas, car il faut toujours prouver la violence, la menace, la contrainte ou la surprise. Or comment imaginer qu'un enfant mineur puisse consentir à un acte sexuel avec son papa ou son oncle ? Cela n'est pas concevable !

Dans la grande majorité des cas, les viols surviennent dans l'enfance, à des âges parfois très tendres. Le record français concerne une petite fille de deux jours, violée et tuée dans une maternité par son père. Pour autant, il n'y a pas d'âge pour les victimes de viol lorsqu'elles sont enfants. Actuellement, les enfants ne sont pas protégés. En 1985, lorsque j'ai initié la campagne de prévention contre les agressions sexuelles sur enfants, je me suis heurtée à une ambiance de déni. Il était même prétendu que toutes les petites filles avaient pour fantasme d'avoir des rapports sexuels avec leur père ! Pour lutter contre ce déni, nous avons dû mener une bataille. Puis, nous avons entendu que les mères ne jouaient pas leur rôle de protection. Mais aujourd'hui, alors que les mères tentent de mener à bien cette protection, elles se heurtent aux accusations de manipulation de leurs enfants. Par conséquent, nous ne parvenons pas à protéger les enfants.

En ce moment, je suis le cas de deux soeurs de sept et dix ans, qui se trouvent en résidence alternée. En 2014, une ordonnance de protection avait déjà été prononcée à l'encontre du père pour violences sur la mère. Pourtant, une garde alternée a été décidée. Ces deux petites filles viennent me raconter tous les quinze jours les bleus, les coups avec les ceintures, le fait que le père leur demande de mettre des robes courtes et de se maquiller... Elles racontent aussi qu'elles se retrouvent la nuit dans le lit de leur père sans comprendre pourquoi. Qu'il leur fait du mal. La première fois que je les ai rencontrées, elles m'ont dit : « On ne va pas te parler, sinon on verra papa encore plus. » En effet, à chaque fois que des signalements ont eu lieu, la juge a reproché à la mère de manipuler ses filles. La mère risque même de se voir retirer ses enfants pour qu'elles soient confiées au père. J'ai fait un signalement. J'avais honte. La petite fille m'a dit : « Tu vas voir, cela ne servira à rien. Il est grand, papa. » Je les vois tous les quinze jours, mais je n'arrive pas à les protéger malgré quatre signalements. Je pense qu'il faut repenser toute la protection de l'enfance, en matière de viols d'enfants. Il y a une tolérance infernale de notre société. De surcroît, dans le cadre de notre étude sur Viol et grossesse , nous avons vu un nombre effroyable d'hommes qui reconnaissent l'enfant né du viol, et qui continuent à persécuter la femme par le biais de cet enfant. Elles en prennent pour dix-huit ans !

Nous avons d'ailleurs des témoignages d'enfants nés du viol, qui racontent des choses comme celles-ci. Parfois, nous entendons ces enfants devenues grandes, raconter « J'ai été violée parce que mon père voulait faire du mal à ma mère. » Nous en avons beaucoup. Dans cette tentative de destruction des femmes, ils iront jusque-là.

Dans un tel contexte de violence, la garde alternée doit être exclue. Il faut que vous y pensiez. Je trouve cette situation vraiment dangereuse.

Je souhaite également m'exprimer sur la correctionnalisation des viols. Lorsque le Collectif a ouvert en 1985, environ 2 500 plaintes pour viol étaient dénombrées par an. Ce chiffre a varié régulièrement, pour passer aujourd'hui à environ 12 500 ou 13 000. La réalité est sans doute de 300 000 personnes au minimum. En effet, le viol concerne 86 000 femmes adultes, sachant que les petites filles sont violées deux ou trois fois plus. De plus, 40 % des mineurs violés sont des garçons. Le nombre de victimes de viols est donc probablement de 300 000 en France chaque année. Les victimes âgées n'apparaissent dans aucune enquête, de même que les hommes adultes violés. Le viol des hommes adultes ne se dit pas, ne se déclare pas, de sorte que les chiffres ne sont pas connus. Nous avions travaillé avec la ligne téléphonique de Sida Info Service , qui recevait un grand nombre d'appels d'hommes violés. Les associations ont des difficultés à traiter ce type de viols. Je pense qu'il faudrait se pencher spécifiquement sur ce sujet du viol des hommes, qui est complexe. Pour notre part, 7 % des appels que nous recevons concernent des garçons violés.

Au total, 12 000 plaintes seulement sont déposées chaque année, ce qui est une proportion très faible au vu du nombre réel de viols. Les chiffres sont encore plus préoccupants si l'on considère que depuis quinze ans, seules 1 300 condamnations en cour d'assises sont recensées, correspondant au nombre de places disponibles pour les procès d'assises. C'est-à-dire que sur 2 600 places par an en cour d'assises, 1 300 sont réservées aux procès pour viol, ce qui est présenté comme déjà très significatif. De ce fait, l'ensemble des affaires de viols sont correctionnalisées.

Au cours d'une audience correctionnelle à laquelle j'ai assisté à Bobigny, j'accompagnais un garçon qui avait violé son petit frère. L'audience a commencé à 13h30 par une demi-heure incompréhensible de demandes de renvois. Puis est arrivé un homme qui avait violé ses deux filles. Son cas a été traité en seulement vingt-cinq minutes. Ensuite a été évoqué le dossier d'un homme qui avait enlevé son fils de dix-neuf ans, puis a été traité celui d'un père ayant enlevé et drogué son fils pour l'emmener de force en Égypte. Ensuite seulement le garçon que j'accompagnais a été entendu, en vingt-cinq minutes aussi. Enfin, l'affaire de trois loubards qui avaient volé 254 euros dans une cave a été évoquée. C'étaient les seuls à comparaître incarcérés. Mon « client » a été condamné à deux ans avec sursis, avec obligation de suivi socio-médical pendant deux ans. À la sortie, il n'avait même pas compris la peine à laquelle il avait été condamné !

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Que faisaient tous ces cas de viol en correctionnelle ?

Emmanuelle Piet . - Cette façon de correctionnaliser les viols n'est pas pédagogique et n'a aucun sens. Cela n'est pas possible. À l'inverse, dans une audience d'assises, le temps nécessaire est laissé pour traiter les dossiers. L'audition des témoins permet d'éclairer les choses et de comprendre le contexte. L'accusé comprend en outre la peine à laquelle il est condamné et peut prendre conscience de ce qu'il a fait. Loin de cela, la correctionnalisation est une justice de misère. Il n'est même pas possible de parler de pénétration, puisqu'on ne juge pas un viol, donc on ne parle de rien. Cela n'a pas de sens. Nous sommes très opposés à la correctionnalisation, qui ne permet pas de gagner de temps, contrairement ce que prétendent les avocats et les magistrats. En réalité, la prescription des délits étant beaucoup plus courte, un plus grand nombre de dossiers sont classés. Finalement, même si c'est incontestable, les procès d'assises sont longs - et ce d'autant plus que l'appel est désormais possible - à tout le moins les dossiers y sont traités en profondeur.

S'agissant des prises de plaintes, si je me réfère à mon expérience locale et à l'écoute téléphonique - même si nous n'entendons que les retours faisant état de dysfonctionnements - les femmes qui appellent le Collectif ont porté plainte dans 30 % des cas. C'est beaucoup plus que dans la population générale. Je ne sais pas si ce score s'explique parce que nous sommes efficaces, ou parce que ces victimes ont été héroïques. Je ne sais pas si c'est lié à ce que nous leur disons pour les orienter et les accompagner. Tout de même, les trois derniers refus de plainte qui nous ont été signalés sont particulièrement choquants. La mère d'une jeune fille de quatorze ans enceinte après un viol est allée porter plainte au commissariat, en compagnie de sa fille. Or les policiers ont proféré des propos orduriers à la mère et à la jeune victime, comme si ce viol avait été une partie de plaisir pour cette jeune fille ! La plainte a malgré tout été prise, mais dans des termes ne permettant pas les poursuites.

De façon générale, selon plusieurs adolescentes que j'ai reçues, la Brigade des Familles essaie de dissuader le dépôt de plainte. Il s'agit selon moi d'une forme de maltraitance. D'ailleurs, le fait même que l'agresseur soit présumé innocent implique, en bonne logique, que la victime soit présumée menteuse. La victime le ressent très fortement. De plus, lorsque les victimes portent plainte dans un commissariat, la première chose qu'elles voient, en général, est une affiche rappelant les condamnations en cas de dénonciation calomnieuse, qui est dissuasive en elle-même. Un tel rappel n'étant nullement une obligation légale, c'est donc véritablement un choix.

Récemment, j'ai suivi le cas d'une jeune femme vulnérable, prise en charge par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) et amenée par une éducatrice. Cette jeune fille ayant été violée, elle en a immédiatement informé son éducatrice. Le garçon l'a poursuivie jusqu'à l'entrée de l'ASE, de sorte que l'éducatrice a dû appeler la police. La victime et son agresseur ont été entendus par les policiers. La jeune fille m'a affirmé que la policière lui avait laissé croire qu'elle irait en prison pour deux ans si elle maintenait sa plainte. Par conséquent, la jeune fille a retiré sa plainte. J'imagine que la policière n'a pas exactement dit cela mais tout de même, c'est ce que la jeune fille a compris. De ce fait, la plainte n'a pas été prise, malgré l'appel réitéré de l'éducatrice.

Sur le viol conjugal, nous avons encore des témoignages selon lesquels la police a dit « C'est votre mari, vous n'allez pas faire d'histoires ». Nous entendons encore ce genre de propos tenus par la police, en France ! On nous assène encore le « devoir conjugal ».

En définitive, je ne sais pas si la pré-plainte en ligne annoncée par le Gouvernement pourrait modifier ces situations. Tout d'abord, il faut savoir écrire et manier Internet. Je travaille en Seine-Saint-Denis, où un grand nombre de personnes ont des difficultés en la matière. Il existe une vraie fracture dans notre pays. De façon générale, les victimes ont besoin d'un contact humain empathique. Je ne prétends pas qu'il faut tout croire. Je dis seulement qu'au moment où la victime est entendue, il ne faut pas lui donner l'impression d'être prise pour une menteuse. Les professionnels compétents doivent tout entendre, puis mener leur enquête sans exposer leurs doutes de prime abord. Les victimes, confrontées à une attitude suspicieuse, sont totalement paralysées. Il est vrai que des guides ont été réalisés pour la conduite de ce type d'audition, mais ils ne sont pas toujours appliqués dans la pratique quotidienne.

En tout état de cause, il faut signaler que les prévenus comparaissent tous libres devant le tribunal, et qu'ils sont encore libres pendant les suspensions d'audience. C'est pour cette raison que nous accompagnons les femmes aux procès : il faut leur éviter cette confrontation avec leur agresseur. Nous ne pouvons cependant pas assister à toutes les audiences. Or il est impossible pour la victime de se déplacer dans le tribunal, au risque d'être contrainte d'y côtoyer son agresseur. La protection des victimes dans les salles de justice n'est pas assurée à l'heure actuelle. Dans le cabinet du juge, les choses sont souvent mieux faites, ce qui n'est pas le cas dans les salles d'attente qui réunissent les témoins, les victimes, les agresseurs et leurs amis. C'est effrayant. Il faudrait réfléchir à organiser les choses différemment.

Sur la prise en charge, il y a un vrai progrès à faire pour les professionnels du soin. En ce qui me concerne, je pose deux questions aux psychiatres avant de leur adresser des enfants. Dans le cas d'enfants effectuant une révélation de viol, procèdent-ils automatiquement à un signalement ? Dans le cas d'un enfant qui leur est adressé après un signalement, acceptent-ils de commencer leur prise en charge en disant à l'enfant : « Je sais ce qui s'est passé. L'agresseur n'avait pas le droit et tu n'y es pour rien. » ? Si le psychiatre ne répond pas positivement à ces deux questions, je ne lui confie pas l'enfant. Or beaucoup de professionnels du soin ne correspondent pas à ces critères.

Sur la prise en charge des psycho-traumas, des progrès commencent à être constatés. Toutefois, actuellement, la prise en charge à 100 % de ces soins n'est possible que pour les consultations de psychiatres, et non pour celles des psychologues. C'est dommage.

Enfin, il faut améliorer la recherche sur le psycho-trauma, pour mieux prendre en compte les conséquences des violences sexuelles pour la société dans son ensemble.

Annick Billon, présidente . - Merci Docteur, pour votre intervention. Nous avons apprécié la qualité de vos propos, ainsi que la franchise avec laquelle vous vous êtes exprimée. Vous vous êtes prononcée clairement sur le délai de prescription, l'âge du consentement et la résidence alternée. Sur ce dernier point, nous savons que si la résidence alternée était instaurée de manière automatique, cela ne permettrait pas de prendre en compte de manière rigoureuse les problèmes de violence et d'emprise au sein du couple.

Roland Courteau . - J'ai particulièrement apprécié votre exposé. J'ai été choqué par certains passages, s'agissant des viols perpétrés par le conjoint, concubin et partenaire pacsé ; ces faits démontrent que pour une femme, le foyer n'est pas toujours un refuge. J'ai reçu la semaine dernière une femme victime de violences conjugales, qui a commencé son récit puis s'est interrompue. Je lui ai demandé pourquoi elle s'était arrêtée. Elle m'a répondu qu'elle allait dire une bêtise. Je l'ai engagée à continuer, et elle m'a déclaré : « Il me roue de coups, il me prend de force mais j'allais vous dire une bêtise. Cela n'est pas du viol puisque je suis mariée et qu'il y a le devoir conjugal. » Par conséquent, en 2018, la notion de « devoir conjugal » n'est pas encore tombée en désuétude, comme vous le disiez.

Par ailleurs, dans la loi du 4 avril 2006 395 ( * ) , j'avais proposé que le mariage, le concubinage ou le PACS puissent constituer une circonstance aggravante en cas de violences conjugales. Aujourd'hui, le viol, lorsqu'il est commis au sein du couple, peut faire l'objet d'une condamnation de vingt ans pour circonstance aggravante. En revanche, si le viol est commis sur une inconnue, la peine est de quinze ans. Cela nous a été reproché. Je souhaiterais savoir ce que vous en pensez, puisque certains considèrent que le viol d'une inconnue, par la surprise, l'angoisse de la mort et l'effroi qu'il suscite, devrait être plus sévèrement puni que le viol conjugal. Quelle est votre position sur ce point ?

Enfin, vous avez dit qu'un violeur restait un violeur et que trop peu (0,5 %) étaient condamnés. Ceux qui le sont reçoivent-ils une obligation de soin ? Un violeur soigné peut-il ne plus être récidiviste ?

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Les propos d'Emmanuelle Piet sont effrayants, car ils proviennent d'une experte de terrain, après l'accumulation d'années d'expérience et de travail. Cette connaissance percute toutes nos représentations et toutes les satisfactions que nous pouvons éprouver du fait de quelques améliorations réalisées. Il faut en même temps avoir en tête que les progrès existent, mais que la situation reste terrifiante.

J'aurai deux mots sur la tolérance de notre société aux viols commis sur les enfants. En refaisant l'histoire, nous constatons qu'en matière de viols sur les femmes, le mouvement féministe a permis de lever le voile sur ces sujets. Aujourd'hui, nous sommes bien plus avancés dans la lutte contre les violences faites aux femmes, alors que celles commises sur les enfants sont toujours un sujet totalement tabou.

Pour ma part, je ne dirai pas qu'il y a une sorte de tolérance sur les violences faites aux enfants, mais qu'il s'agit plutôt d'une représentation collective de la famille, incompatible avec la compréhension des violences intrafamiliales. En d'autres termes, la famille passe pour un lieu de protection des enfants. Il s'agit quasiment d'un sujet politique et institutionnel. Affirmer l'existence de violences intrafamiliales aboutirait à changer le regard sur l'institution familiale, qui est l'une des institutions centrales de notre organisation collective et sociale. Cette institution est extrêmement résistante à l'idée d'être remise en cause, et décrite dans la diversité de ses réalités. Dans les propos du Docteur Piet, j'ai été frappée de la difficulté, dans les jugements de divorce, à faire entendre par le juge les violences faites aux enfants.

Lors des débats sur la disposition interdisant la fessée, que j'avais introduite dans le cadre de l'examen du projet de loi égalité et citoyenneté - elle a été censurée par le Conseil constitutionnel -, nous étions bien conscients que de temps à autre, un parent peut avoir un moment d'agacement. Or il existe une différence entre un moment d'agacement, et le fait de faire des punitions corporelles une méthode éducative. Nous voulions marquer dans la loi l'affirmation que les punitions corporelles n'étaient pas une méthode éducative. De plus, lorsque des violences physiques sont pratiquées à titre éducatif, la frontière est encore plus mince avec les abus sexuels. Souvent, il y a un continuum , comme pour les femmes. Les parents qui frappent sont peu respectueux du corps de leurs enfants. Dans cette délégation, nous devons avoir en tête ce continuum et la cohérence de cette approche.

J'évoquerai également le syndrome d'aliénation parentale (SAP), qui décrit les enfants victimes de mères manipulatrices. Ce syndrome, qui a toutes les apparences d'un syndrome médicalement constaté et reconnu, est en fait une mystification totale. Il n'y a aucune réalité scientifique du SAP, qui est pourtant devenu l'alibi scientifique et médical à la disqualification de la parole des mères, et au maintien du droit de visite et d'hébergement de pères maltraitants. Encore aujourd'hui, sur certains sites, y compris sur celui du ministère des Affaires étrangères, le terme « syndrome d'aliénation parentale » est employé. J'avais alerté les autorités à ce sujet. Les juges l'utilisent. Je conclurai sur ce point, en partageant les propos du Docteur Piet. Nous sommes bien sûr conscients du risque de manipulation, qui existe. Mais pour avoir interrogé les juges en matière de dénonciation de viols par des femmes adultes, il est rare d'avoir affaire à de fausses allégations. En matière de justice familiale, c'est un peu plus fréquent. Pour autant, cela ne justifie pas la disqualification globale de la parole des mères en matière de protection des enfants. C'est pourquoi il est nécessaire que les juges changent de culture.

En matière de justice pénale, je ne sais pas s'il faut allonger la durée des peines. Je pense nécessaire, dans un premier temps, d'appliquer celles qui existent, d'accompagner les victimes et de sanctionner les violeurs. Ce serait déjà énorme. En outre, un travail très conséquent doit être accompli en matière de justice civile, qui est insuffisamment présente dans la modification des comportements et la défense des victimes. Je souhaite savoir si le Docteur Piet partage ce point de vue.

Annick Billon, présidente . - Vos témoignages, Docteur Piet, ont beaucoup ému l'assistance. Je vous laisse répondre aux deux premières questions avant de recueillir les suivantes.

Emmanuelle Piet . - Le viol conjugal n'est reconnu en France que depuis 1992. Pourtant, plusieurs articles du code civil mentionnent la « communauté de vie » et les « obligations et devoirs » des époux, qui interrogent nos représentations du devoir conjugal... Peut-être faudrait-il songer à toiletter le code civil...

Dans les violences conjugales, je pense qu'il y a 100 % de viols. Je n'ai jamais vu de femme victime de violences conjugales à qui des rapports sexuels n'avaient pas été imposés. En tant que médecin, je rédige depuis quarante ans des certificats médicaux de contre-indication aux rapports sexuels, qui ont le mérite de faire prendre conscience aux femmes la situation de violence qu'elles subissent. Ce ne sont pas des faux, puisque j'estime contre-indiqué, sur le plan médical, d'avoir des rapports sexuels quand on n'en a pas envie. J'ai rédigé le premier certificat de cette nature pour une patiente souffrant de graves séquelles médicales après une épisiotomie. J'ai simplement mentionné que les rapports sexuels devaient être évités. Sur la table d'examen, la patiente m'a rétorqué : « Si vous croyez que c'est moi qui décide... ». Je lui ai répondu : « Si ce n'est pas vous, ce sera moi » et j'ai rédigé mon premier certificat médical pour quinze jours. La patiente m'a alors demandé d'une petite voix : « Vous ne pourriez pas mettre plus ? ». Je lui ai répondu que j'allais de toute façon devoir la revoir très vite, afin de vérifier l'évolution de son épisiotomie. Finalement, ces certificats sont entrés dans ma pratique quotidienne. Parfois, les femmes reviennent en disant que le certificat a eu des résultats positifs, car elles ont pu se reposer et même, communiquer avec leur conjoint. Dans d'autres cas, elles disent que le mari « a fait quand même, car il se fiche de ma santé. » À travers ce type de constats, elles prennent conscience peu à peu qu'elles sont prisonnières de la notion de devoir conjugal.

Mon autre « arme » est de rédiger des ordonnances de lubrifiants remboursés par la Sécurité sociale. Un rapport non consenti étant très douloureux, il est moins pénible si l'on utilise du lubrifiant. Après une ordonnance que je rédige pour quinze jours, les femmes reviennent me voir. Certaines d'entre elles m'indiquent que leurs rapports sexuels sont en nette amélioration. D'autres, en revanche, me disent : « Il n'aime pas quand je n'ai pas mal » : dans ce cas, nous avons bien affaire à des violeurs, mais une femme qui prononce ces paroles commence déjà à cheminer vers la prise de conscience de sa situation.

Une étude menée sur des femmes violées et battues hébergées par SOS Femmes avait comptabilisé quarante-et-une grossesses ayant abouti à un enfant, vingt fausses couches et trois fois plus d'enfants prématurés qu'en population générale. De même, le nombre d'accouchements à domicile était cent fois plus élevé que dans la population générale. En outre, 100 % de ces femmes avaient été battues pendant la grossesse, y compris sur le ventre. 82 % avaient subi des agressions sexuelles pendant la grossesse. Le viol est présent en permanence. Dans une histoire collective, vingt ans est une période courte pour transformer les mentalités.

Concernant les violeurs, il est vrai que certains auront des obligations de soins. Sur ce point, je trouve dommage que l'obligation de soins ne commence qu'à la sortie de prison, ou puisse être un palliatif à la prison. Pourtant, les soins pourraient plus utilement commencer pendant que les violeurs sont incarcérés. À la prison de Villepinte, de 1997 à 2000, j'ai organisé des groupes de parole pour les enfants agresseurs sexuels, violeurs et criminels de sang. J'ai rencontré 119 enfants. J'ai cessé volontairement ces consultations en 2000 car le poste de la psychologue du quartier des mineurs avait été supprimé. Ces enfants avaient tous pour point commun, dans leur histoire, d'avoir été gravement maltraités et agressés sexuellement, de venir d'un pays dans lequel ils avaient assisté ou participé à des évènements violents. Ils avaient aussi été affectés par un abandon grave autour d'eux ou par une mort violente et injuste. J'ai repris les groupes de parole dans le cadre de la réparation pénale. Le tribunal nous envoyait des enfants agresseurs sexuels dits « légers ».

En 2011, lors de l'étude menée sur ces enfants, nous avons trouvé parmi eux 90 % d'enfants maltraités, 30 % d'enfants agressés sexuellement, 65 % d'enfants abandonnés par le père, la mère ou les deux parents et 60 % d'enfants ayant vu leur père battre leur mère. La violence s'apprend avant tout à la maison, dans son corps, sa chair et sa vie. Ce n'est qu'ensuite qu'on se trouve conforté par les images violentes vues à la télévision ou sur Internet, mais de telles images ne sont pas nécessairement le point de départ de la violence.

Lorsque j'aide les jeunes violeurs à faire le lien avec ce qu'ils ont vécu, et que je les entends parler de ce qu'ils ont vécu, ce que personne ne fait jamais, je pense que c'est utile. Ces enfants ont vécu des horreurs que jamais personne n'a écoutées ou entendues.

Je pense à ce gamin de dix-sept ans, au quartier des mineurs, qui m'a demandé à comprendre pourquoi il avait été violeur. Il faisait du football dans un club et avait été agressé sexuellement à l'âge de onze ans par l'entraîneur. En réalité, il avait été vendu par son père à l'entraîneur de football, qui tenait également un réseau de prostitution de petits garçons. Il avait alors fugué pendant six ans, sans que le collège ou l'assistante sociale ne s'en inquiètent ! Nous l'avons retrouvé à dix-sept ans, violeur d'un petit garçon de onze ans. Lorsque les jeunes visionnent le film que nous leur projetons, dans lequel un petit joueur de football entre seul dans le vestiaire avec l'entraîneur pendant que la porte se referme, je demande : « Que s'est-il passé, à votre avis dans ce vestiaire ? ». Les élèves de quatrième répondent, en général, qu'il a été victime d'une agression. Les jeunes en prison répondent en termes beaucoup plus crus. Je demande ensuite : « Que croyez-vous qu'il a pensé, ressenti ? ». D'habitude, on me dit : « Il a eu peur, il a eu mal ». Pourtant ce garçon m'a dit : « Sûrement qu'il a kiffé ». Je lui dis : « Tu crois qu'on peut kiffer ça ? ». Il répond : « Oui. ». Lorsque j'ai poursuivi mon questionnement, il a changé de position et a fini par dire : « Non. On ne peut pas ». À partir de ce moment, il a fait un bon travail avec la psychologue. C'était en 1997. Avec la psychologue, nous avons fait un signalement au procureur. Bien entendu, l'affaire a été classée. Personnellement, je ne sais pas soigner cet enfant.

Ces gamins agressés sexuellement, qui deviennent à leur tour agresseurs subissent à chaque fois une fouille à corps lorsqu'ils arrivent en prison. Personnellement, j'estime qu'il s'agit d'une agression sexuelle caractérisée. Une agression par l'État ! Pratiquée sur des enfants, cela peut aggraver leur état. Et je ne parle pas des adultes... Nous pouvons faire quelque chose pour les agresseurs, mais c'est un vrai travail.

Pour les enfants, il faut se souvenir que la protection de l'enfance n'a été confiée aux PMI et aux missions scolaires que depuis 1983, date des deux circulaires Ralite. Il s'agissait d'une réelle progression mais, manifestement, nous avons beaucoup reculé ces vingt dernières années. Les meurtres d'enfants sont bien plus fréquents que les meurtres de femmes, mais je trouve qu'il existe une tolérance sidérante à ces crimes. Madame Courjault a accompli à peine trois ans de prison et élève aujourd'hui ses enfants alors qu'elle en a mis quatre dans un congélateur ! On pense qu'une mère est nécessairement gentille alors qu'il y a des tueuses. Ce n'est pas comme si l'on affirmait que toutes les mères sont tueuses. Il y a des tueuses, et puis il y a des mères. Il faut arriver à le penser pour parvenir à protéger les enfants.

J'ai mené la campagne de prévention des agressions sexuelles à l'encontre des enfants. La première fois que je suis allée dans une classe, c'était en 1985 dans un CM2 tranquille. J'étais naïve à l'époque. Il y avait vingt-sept enfants de dix ans et c'était une première pour nous. Lorsque j'ai innocemment demandé quelles étaient les punitions à la maison, j'ai entendu « claques », « fessées », « martinet »... Et puis un enfant m'a répondu : « la casserole d'eau bouillante ». Je le revois encore... Finalement, il s'est avéré qu'un seul enfant n'était pas battu, dans ce quartier pavillonnaire de classes moyennes. Je leur ai dit que si c'était trop, les services de protection de l'enfance pouvaient les protéger. Pourtant, si vous ne faites pas une loi en ce sens, on ne peut pas protéger les enfants. J'exprime le besoin de cette loi depuis trente-cinq ans, peut-être cela viendra-t-il. Mais tout de même, je ne peux pas dire cela aux enfants : « Je peux te protéger si c'est trop ». Qui apprécie ce « trop » ? C'est un alibi formidable pour la maltraitance. Bien évidemment, nous avons besoin de cette loi.

Annick Billon, présidente . - Vous êtes passionnée et passionnante. Ce que vous nous racontez est terrible.

Christine Prunaud . - Alors que nous avons quelques connaissances sur les violences faites aux femmes, sujet auquel nous sommes sensibles, vos interventions nous ont bousculées. Des violences faites aux femmes, vous en êtes venue à la protection de l'enfance, ce que j'ai apprécié. J'ignorais qu'il existait un tel manque en la matière. Je pense que nous travaillerons sur le fait que la famille n'est pas toujours un lieu de sécurité. Merci de nous avoir rappelé cette urgence.

Maryvonne Blondin . - J'ai récemment rencontré dans mon département des juges, avocats, procureurs et policiers. Je peux témoigner que la priorité est donnée aux violences et que la répression est avérée. La formation à l'accueil des femmes qui déposent plainte est également assurée. De réels progrès ont été accomplis.

Vous avez parlé du cercle familial ; je parlerais plutôt du cercle de confiance, qui permet à toutes les personnes gravitant autour de l'enfant de perpétrer des violences. Quelles sont vos propositions en matière d'accompagnement et de réparation psychologique ?

Laurence Cohen, co-rapporteure . - Je souhaiterais insister sur au moins trois points. Pour nous, il est important que la loi intègre bien la protection des victimes, notamment des enfants et des femmes. Je pense qu'on ne peut pas être un bon père lorsqu'on est un homme violent. Il faut le réaffirmer et le revendiquer. Lorsqu'on parle de protection, je suis frappée par le fait que les professionnels sont assez démunis face aux témoignages de violences recueillis de la part des enfants. Plus on donne des éléments qui, normalement, devraient permettre de mettre fin au droit de visite du père violent, et plus souvent la mère est accusée de manipulation. Je pense qu'il faut faire quelque chose pour empêcher ce type de situation totalement injuste.

En outre, il faut réfléchir à ne pas réunir dans les commissariats et les tribunaux les victimes et leurs familles, ainsi que les agresseurs. J'ai été convoquée dans un commissariat en tant que témoin pour une comparution face à un agresseur. Je peux vous dire que c'est très impressionnant ; pourtant je n'avais pas les mêmes raisons qu'une victime d'avoir peur de cette confrontation : il faut impérativement protéger les victimes et les témoins.

En troisième lieu, en termes de formation, des policiers m'ont indiqué que les formations qui leur sont destinées sont facultatives. Il y a certainement un élément à améliorer.

Maryse Carrère . - Dans le cadre du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, nous avons auditionné beaucoup de magistrats, de policiers et de gendarmes. Les personnels de justice, dans leur majorité, ne souhaitent pas voir modifier le délai de prescription, car ils invoquent la problématique de la preuve. On nous dit que le remède sera pire que le mal. Vingt ou trente après, il est difficile de faire la preuve d'un viol, et les victimes sont effondrées de n'avoir pu le faire.

Joëlle Garriaud-Maylam . - Pour nuancer les propos de Laurence Rossignol, je dirais qu'en règle générale, la famille est aussi un socle protecteur. Il y a des choses à faire pour aider les parents, dans certains cas. Il y a sept ans, j'avais proposé la création au Sénat d'une délégation aux droits des enfants, mais ma proposition n'avait pas été retenue. Je pense que c'est aujourd'hui devenu une exigence.

Emmanuelle Piet . - Sur l'intérêt de la protection des enfants, je me suis occupée de ce sujet pendant toute ma carrière, en PMI. En France, une femme sur dix est victime de son compagnon. Le chiffre est multiplié par trois lorsqu'elle a été battue dans l'enfance, et par cinq lorsqu'elle a été agressée. Il serait donc intéressant de soigner les enfants victimes, pour leur éviter d'être à nouveau victimes à l'âge adulte, et de passer éventuellement dans le camp des agresseurs. D'une façon plus générale, la prévention de toute violence passe par la protection des enfants.

En tout état de cause, il faut faire la différence entre l'erreur éducative et la maltraitance grave. La mode actuelle du placement à domicile est une erreur totale. 90 % des violeurs de femmes et d'enfants sont des proches, et beaucoup plus rarement des inconnus. Pour moi, c'est la priorité : si on veut arrêter la violence, il faut prévoir des moyens pour garantir une vraie prise en charge de ces enfants, notamment psychologique.

En matière de preuve, il faut dire qu'il y en a rarement dans les viols. C'est souvent l'accumulation qui fait la preuve. Un gynécologue a pu violer des femmes pendant trente ans, et seuls les derniers témoignages ont permis de l'établir.

Enfin, je regrette de ne pas avoir eu le temps de m'exprimer sur les mutilations génitales féminines, mais je reste à votre disposition pour évoquer ce sujet.

Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup pour votre témoignage précieux et pour la franchise avec laquelle vous vous êtes exprimée. Cette franchise a mis en exergue la difficulté que nous avons à avancer sur ces sujets. Notre délégation va continuer à travailler sur ces sujets très complexes et sensibles.

Audition d'Élisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) et de Flavie Flament, co-présidente de la Mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineur.e.s

(18 janvier 2018)

Présidence d'Annick Billon présidente

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons notre matinée par l'audition de Mmes Élisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale de la MIPROF, et Flavie Flament, pour évoquer les conclusions de la Mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineur-e-s.

Je rappelle que ce travail, co-présidé par Flavie Flament et le magistrat Jacques Calmettes, a été mandaté par Laurence Rossignol, alors ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes, que je salue, et que le rapport de la commission a été publié en avril 2017. Ses conclusions sont aujourd'hui au coeur de l'actualité, puisque le Gouvernement a annoncé un projet de loi sur les violences faites aux femmes, qui pourrait prévoir un allongement des délais de prescription applicables aux infractions sexuelles commises contre les mineurs, comme l'a recommandé la Mission de consensus .

Mesdames, nous vous recevons pour vous écouter sur toutes ces propositions. Nous souhaiterions tout d'abord que vous nous dressiez le bilan de la Mission de consensus , à travers une présentation de ses méthodes de travail et de ses principales recommandations. Dans quel esprit avez-vous travaillé ? Quelles personnes avez-vous entendues pour préparer ce rapport ? Comment s'est formé le « consensus » sur cette question ?

Dans un second temps, nous souhaiterions que vous puissiez commenter les principales orientations du projet de loi annoncé par le Gouvernement, à la lumière des conclusions de la mission de consensus : problématique de la prescription d'une part, question de la présomption de contrainte avec l'instauration d'un seuil d'âge en dessous duquel on présumerait l'absence de consentement du mineur ayant une relation sexuelle avec un majeur, d'autre part.

Nous accueillons nos deux collègues représentants de la commission des lois qui a constitué un groupe de travail sur ces questions. Je salue donc Maryse Carrère et Marie Mercier et leur souhaite la bienvenue à la délégation aux droits des femmes.

Je vous remercie chaleureusement d'être venues jusqu'à nous et je vous laisse sans plus tarder la parole, en vous laissant vous organiser entre vous pour la présentation des différents thèmes.

À l'issue de votre présentation, les membres de la délégation feront part de leurs réactions et vous poseront des questions.

Flavie Flament . - Merci à vous toutes et tous de nous accueillir. Je suis très satisfaite et particulièrement émue de constater que tout le travail que nous avons entrepris suite à la parution de mon livre, La Consolation , et à travers la mission que nous avons menée avec Jacques Calmettes et Élisabeth Moiron-Braud, continue à porter ses fruits. La première à s'être emparée de ce sujet est Laurence Rossignol qui, trois semaines après la parution de mon livre, a souhaité me rencontrer. Nous nous sommes vues à plusieurs reprises. Je lui ai expliqué ce qui avait motivé l'écriture de mon ouvrage, question qui nous réunit aussi, c'est-à-dire les délais de prescription en matière de crimes sexuels sur mineurs. Laurence Rossignol m'a indiqué qu'elle souhaitait initier cette mission de consensus consacrée à une réflexion autour des délais de prescription, afin de donner à son successeur les éléments d'information nécessaires pour s'emparer de la question au plus vite. J'ai trouvé extraordinaire cette idée de transmission, car il restait quelques mois de travail avant les élections et la formation du nouveau gouvernement. Nous avons donc bénéficié d'un vrai tremplin pour que le rapport puisse être remis à Marlène Schiappa, qui a succédé à Laurence Rossignol au ministère chargé des droits des femmes. Cette mission de consensus était très importante car pour la première fois, elle permettait de placer les victimes au coeur du débat.

En tant que victime, je n'aurais jamais écrit La Consolation si j'avais eu le sentiment d'avoir été entendue, considérée, écoutée. J'avais au contraire celui qu'on me privait de mon libre arbitre et de ma capacité à analyser une situation, de ma possibilité de désigner mon violeur et de poser des actes pour faire en sorte que justice soit rendue. J'ai souhaité prendre une parole dont on me privait. Je m'en suis emparée, avec tous les risques que cela comportait. Souvent, on parle de ces questions sans écouter les victimes, dont on estime qu'elles ne sont pas en mesure d'avoir un point de vue tout à fait construit sur le sujet. C'est une erreur. Les victimes sont des expertes de ce qui leur arrive. En étant écoutées, elles peuvent aider à faire avancer les choses. La mission de consensus a été créée de manière assez inédite, accueillant les victimes autour de la table à titre d'experts. Il nous a semblé important qu'elles puissent s'exprimer, mais aussi communiquer avec des personnes ouvertes - magistrats, psychiatres, spécialistes de la loi.... Toutes ces personnes se trouvaient enfin réunies pour échanger leurs points de vue et exprimer leurs ressentis. De semaine en semaine, nous nous sommes rendu compte que les esprits s'ouvraient et que les victimes avaient enfin le sentiment d'être entendues.

Au fur et à mesure de ces auditions, nous avons convenu tous ensemble de recommandations qui vont dans le sens de chacun. Nous avons trouvé une sorte de modus vivendi , qui conduit aujourd'hui les associations à saluer ce rapport de mission. Les recommandations ne sont pas inapplicables. Nous avons fait en sorte que les choses avancent de façon concrète, et pas uniquement de façon théorique ou philosophique.

Finalement, on se trompe souvent de regard sur les victimes. On a tendance à penser qu'une victime est diminuée par ce qu'elle a vécu. À titre personnel, je peux vous dire qu'il n'est pas facile de libérer sa parole. Notre mission s'intéresse d'ailleurs à tout ce qui peut entraver leur parole lorsqu'elles sont mineures. S'attaquer à un enfant est un crime spécifique : ils ne sont pas construits de la même façon qu'un adulte et se trouvent submergés par une forme de honte et partagés entre des conflits de loyautés concurrentes. L'amnésie traumatique est également un phénomène important. Le fait qu'une victime puisse enfin libérer sa parole et sentir une écoute en face d'elle, une attention particulière portée à son vécu, est essentiel à sa reconstruction. En cela, l'allongement des délais de prescription est une occasion supplémentaire donnée à des enfants traumatisés de pouvoir s'en sortir. La petite fille violée demeure en moi. En n'écoutant pas de façon bienveillante les victimes et en ne leur apportant pas un accompagnement psychologique, on construit une société malade, car les enfants victimes sont le monde de demain. Mon documentaire, « Viols sur mineurs, mon combat contre l'oubli », diffusé en novembre sur France 5 , démontre de façon inédite les conséquences physiques des traumatismes sur le cerveau, telles que la maladie d'Alzheimer. Les hippocampes atrophiés de mon cerveau, visualisés par IRM, témoignent de mon traumatisme.

Depuis la parution de La Consolation , j'ai le sentiment que nous assistons à une prise de conscience générale, qui va dans le bon sens. J'espère que nous pourrons rapidement trouver une solution législative aux recommandations contenues dans le rapport.

Élisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) . - Je vous remercie de nous avoir invitées à nous exprimer sur ce sujet. Effectivement comme l'a dit Flavie, nous avons auditionné des experts - magistrats, avocats, psychiatres, psychologues, chercheurs - et des victimes, ce qui nous a amenés à prendre en compte tous les aspects du sujet. À titre personnel, les travaux que nous avons menés m'ont permis de mieux appréhender les spécificités et les lourdes conséquences qu'entrainent les violences sexuelles subies durant l'enfance.

En tant que magistrate et secrétaire générale de la MIPROF, j'aborderai le point de vue juridique et judiciaire. Lorsque Laurence Rossignol nous a demandé de mettre en place la Mission de consensus , elle nous a indiqué avoir entendu les demandes d'allongement du délai de prescription, mais également les magistrats qui soulevaient les problèmes de la déperdition de la preuve. Elle avait donc beaucoup d'interrogations et souhaitait qu'un rapport soit élaboré pour contribuer à la réflexion. J'espère que celui-ci aidera le Parlement lorsque le projet de loi sera examiné.

En premier lieu, le sujet de l'allongement des délais de prescription est débattu depuis de nombreuses années. Les crimes sexuels sur mineurs présentent des spécificités. Ces crimes sont commis sur des enfants, particulièrement vulnérables, souvent dans un contexte familial ou dans l'environnement proche de la victime (école, centre sportif, communauté religieuse...), ce qui crée des situations d'emprise et des conflits de loyauté. Surtout, on constate fréquemment chez ces victimes un sentiment de honte et de culpabilité, ainsi que la peur de ne pas être entendues. Les conséquences sur leur psychisme sont telles qu'une amnésie traumatique peut intervenir. Cela a été le cas de Flavie et nous avons également entendu les témoignages concordants de nombreuses autres victimes lors de la mission de consensus. Le législateur a souhaité prendre en compte dès 2004 ces spécificités, notamment en termes de délai de prescription. La loi Perben du 9 mars 2004 396 ( * ) a donc instauré un délai dérogatoire de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs de vingt ans commençant à courir à compter de la majorité de la victime. Après 2004, au moins cinq propositions de lois ont porté sur un nouvel allongement du délai de prescription, voire sur l'imprescriptibilité. Dans certaines affaires emblématiques en effet, un grand nombre de victimes se sont vu opposer ce délai de prescription de vingt ans.

Plus près de nous, la loi du 17 février 2017 397 ( * ) est très importante dans l'évolution du droit de la prescription. Elle porte à vingt ans le délai de prescription pour tous les crimes. Son article 7 définit un certain nombre d'exceptions concernant les crimes les plus graves pour lesquels un délai dérogatoire de trente ans est retenu.

Le législateur a pris en compte l'allongement de la durée de vie et les progrès de la science qui permettent de recueillir les preuves, des années après les faits. Les débats lors de l'examen de cette loi ont révélé un changement de regard sur la société, qualifiée désormais de « société de la mémoire ». Cette conception récuse le droit à l'oubli, qui était le fondement de la prescription de l'action publique. L'oubli n'apparaît plus pertinent à l'heure où la parole de la victime est de plus en plus entendue. J'ai connu l'époque où la victime était entendue en qualité de partie civile et recevable à demander des dommages et intérêts. Aujourd'hui, la victime est véritablement partie au procès pénal.

Au cours des débats devant le Parlement, de nombreux amendements ont été déposés, mais non adoptés, soit pour voir déclarer imprescriptibles les crimes sexuels sur mineur, soit pour porter le délai de prescription à trente ans. Le délai de prescription des crimes sexuels sur mineur s'aligne aujourd'hui sur celui des autres crimes, soit vingt ans. Il ne diffère que sur le point de départ des délais, soit à compter de la majorité de la victime. Si le législateur qualifie ce crime de « particulièrement grave », il n'en a pas tiré toutes les conséquences puisque le caractère dérogatoire du délai est très atténué.

Au cours de la mission de consensus, nous avons auditionné un grand nombre d'experts. Aucun argument déterminant ne nous a permis de considérer que la prescription de vingt ans devait être maintenue en l'état. À la suite des auditions, nous sommes parvenus à la conclusion de la nécessité d'un allongement du délai de prescription. Nous avons aussi été sensibles aux arguments sur l'imprescriptibilité, hypothèse évoquée dans le rapport mais mise de côté. Il est vrai qu'en France, l'imprescriptibilité est une exception suprême, applicable uniquement aux crimes contre l'Humanité, même si la prescription de l'action publique ne revêt pas le caractère d'un principe fondamental ni d'un principe de valeur constitutionnelle 398 ( * ) . Cela étant, nous avons considéré qu'une telle réforme devait s'inscrire dans une réflexion plus large portant sur les crimes les plus graves, à l'image de ce qui est appliqué en Grande-Bretagne, en Suisse et dans l'État de Californie.

Considérant que les crimes sexuels sur mineurs présentent des spécificités et un caractère de particulière gravité incontestée, un délai dérogatoire de prescription devait pouvoir s'appliquer alors même que l'article 7 de la loi de 2017 a prévu un délai dérogatoire de trente ans pour les crimes de guerre et le trafic de stupéfiants ou les infractions terroristes. De surcroît, le rapport de la mission a considéré que la fixation du point de départ du délai à dix-huit ans - l'âge de la majorité - ne constitue pas une réelle dérogation. En effet, il paraît naturel que le délai parte de la majorité, âge auquel la victime pourra ester en justice.

C'est ainsi que la recommandation n° 1 du rapport préconise que le délai de prescription applicable aux crimes sexuels sur mineurs bénéficie du régime dérogatoire prévu par l'article 7 de la loi, et soit donc porté à trente ans.

Il est souvent opposé à l'allongement du délai de prescription le problème du dépérissement des preuves et que plus le temps passe, plus il sera difficile de juger de tels faits. Cependant, les procédures d'enquête se fondent sur la recherche de faisceaux d'indices graves et concordants, des témoignages, des enregistrements... Or nous sommes entrés dans l'ère numérique et les progrès scientifiques permettent une amélioration du recueil des preuves telles que les traces ADN, les caméras de surveillance, les messages.

Enfin, la preuve en matière de violences sexuelles pose toujours des difficultés, quel que soit le délai de prescription retenu. L'argument souvent invoqué du traumatisme que représenterait pour les victimes une affaire classée ou un acquittement paraît inopérant. En effet, ce n'est pas à nous de décider à la place des victimes ce qui est bon ou mauvais pour elles. L'important est que la parole des victimes soit entendue. Si ces dernières ont décidé d'engager une action en justice, elles doivent être accompagnées et soutenues psychologiquement pendant toute la procédure par des associations qui jouent un rôle essentiel.

Enfin, la troisième partie du rapport préconise un meilleur repérage des victimes par la formation des professionnels, et un accompagnement renforcé des victimes.

Annick Billon, présidente . - Merci, Mesdames, pour la clarté de vos propos. Chère Flavie Flament, merci en particulier pour votre témoignage. Nous savons qu'il n'est pas facile d'évoquer de tels faits, même avec la libération de la parole. Nous avons reçu, hier après-midi, Sandrine Rousseau. Même si la parole se libère, elle se paie aujourd'hui très cher. Sandrine Rousseau nous disait que sur la quinzaine de victimes qui avaient osé parler en 2016, une seule faisait encore partie du groupe politique auquel elles appartenaient. Comme vous l'avez très bien dit, on ne peut pas, et on ne doit pas, se mettre à la place des victimes. Nous devons juste essayer de les comprendre et de les aider dans le chemin qu'elles ont à parcourir.

Flavie Flament . - Je pense qu'effectivement, il faut entendre les victimes et les accompagner, mais aussi s'enrichir de leur expérience et de leur capacité à analyser ce qu'elles ont vécu. Une victime entend l'injonction de sortir de ce statut de victime, et de se débrouiller avec ce vécu. Bien sûr, mais pas seule ! Nous ne pouvons pas nous en sortir sans aide. En revanche, lorsque nous sommes reçues, accompagnées et écoutées, nous pouvons enrichir le débat. Nous sommes une parole qui n'a pas été assez entendue ni considérée. Qui sont ceux qui peuvent parler à la place des victimes, en prétendant savoir mieux qu'elles comment agir ? Pour ma part, je pense que la parole de la victime est enrichissante.

Marc Laménie . - Merci, Mesdames, pour vos témoignages, et pour le travail important que vous avez accompli. Vous avez beaucoup évoqué l'écoute des victimes. Le document très dense que vous avez produit fait état de la complexité juridique des questions de prescription. Sur le délai de prescription, que conviendrait-il de faire ? Les intervenants sont nombreux, la justice est complexe. Je représente un département rural, dans lequel les professionnels de terrain ne sont pas suffisamment formés. Comment faire en sorte d'aboutir à un travail, et à un résultat ?

Roland Courteau . - J'étais déjà convaincu de la nécessité de porter le délai de prescription à trente ans, puisque j'avais déposé le texte d'une proposition de loi en ce sens il y a un an. En vous entendant, je pense que je pencherais aujourd'hui vers l'imprescriptibilité.

Céline Boulay-Espéronnier . - L'imprescriptibilité est-elle la meilleure arme anti-récidive ?

Marie Mercier . - À la commission des lois, nous avons eu un changement de regard. Dans ces questions, le prêt à penser est à bannir. Nous continuons à travailler sur un allongement du délai de prescription. Trente ans ? Imprescriptibilité ? Tout doit être fait dans l'intérêt de la victime. Il faut donner des lieux de parole, mais également des formations à ceux qui vont la recueillir. Nous travaillons sur la prise en charge, capitale, des plaignants et des victimes. Qu'est-ce que les victimes attendent d'un procès, une justice restaurative ?

Laurence Cohen, co-rapporteure . - J'ai lu attentivement les recommandations de votre rapport. Lors de l'audition du Docteur Piet, il a été mis en évidence que lorsque des enfants témoignent contre le père, la mère est parfois accusée de manipulation pour en avoir la garde. Finalement, la situation se retournera dans certains cas contre l'enfant, sa garde étant confiée au père violent. Le fait de recueillir la parole n'est pas toujours un gage de protection. La recommandation n° 5 de la Mission de consensus devrait beaucoup plus insister sur la nécessité de croire en la parole de l'enfant et de protéger celui-ci. Lorsqu'un enfant se confie à un adulte et qu'il n'est pas entendu, il en ressent un douloureux constat d'impuissance.

Annick Billon, présidente . - Comment libérer la parole des enfants, après celle des adultes ? Nous savons qu'il y a beaucoup de violences faites aux enfants.

Flavie Flament . - Je ressens que vous insistez sur l'accompagnement des victimes. Aujourd'hui, la parole des adultes s'est libérée, mais on se sent toujours seul au monde, comme je l'ai ressenti il y a dix-huit mois en témoignant pour la première fois. Il est donc extrêmement important d'accompagner les victimes pour consolider leur confiance en leur propre parole. Il n'y a rien de pire pour un enfant que de s'exprimer « dans le vent » et de constater que ce qu'il dit est vain. L'accompagnement doit intervenir dès la libération de la parole. C'est pourquoi les médecins doivent avant tout être aptes à recevoir cette parole. Il y a une façon de poser les questions, une délicatesse à acquérir lorsqu'on parle avec des victimes. De même, les équipes d'enseignants doivent pouvoir repérer des victimes dont la parole ne se libère pas.

Au commissariat, lorsqu'une victime porte plainte, les policiers ne sont pas nécessairement formés. C'est pourquoi il semble difficile pour une victime d'aller dans un commissariat raconter ce qu'elle a vécu, pour retourner ensuite dans son cadre habituel où elle se retrouvera confrontée à son prédateur. Il faut donc que la parole ne soit pas fragilisée et contredite. Pour moi, il a été fondamental, pour ma reconstruction, de sentir que l'on me croyait. Lorsque les adultes peuvent venir désigner leur violeur, il est important de leur donner une marche à suivre, de les orienter vers des associations et de leur donner l'assurance qu'ils (ou elles) seront accompagnés jusqu'au procès.

Je pense qu'il faut expliquer aux victimes les risques qu'elles peuvent courir en portant plainte. Si la victime choisit en connaissance de cause d'aller au procès, le traumatisme ne sera pas celui du non-lieu. Le procès est une occasion, pour la victime, de « remettre le monde à l'endroit ». J'aurais voulu voir David Hamilton dans un prétoire, et lui faire sentir que j'étais du côté de la parole entendue. Sur le banc des accusés, j'aurais aimé que la honte change de camp. C'est l'occasion pour la victime de se dire qu'elle est du bon côté de la société. Je n'ai pas eu cette chance, et j'ai donc dû prendre la parole dans un procès en quelque sorte privé, grâce à mon livre. David Hamilton s'est suicidé juste après avoir appris qu'une de ses victimes se trouvait encore dans les délais de prescription pour déposer plainte.

Nous n'attendons pas de la justice qu'elle nous répare intégralement, mais qu'elle remette le monde à l'endroit.

Élisabeth Moiron-Braud . - Sur le sujet du repérage, il convient de souligner qu'une victime entendue dans un commissariat, par des policiers formés à l'écoute, bénéficiera d'une prise en charge bien plus satisfaisante. Il faut donc former les professionnels en créant des outils pour les formateurs, ainsi que le prévoit la loi du 4 août 2014 399 ( * ) . C'est d'ailleurs une des principales actions de la MIPROF. Par ailleurs, il est nécessaire de lancer des campagnes d'information régulières en direction de la société, sur les violences. Aujourd'hui, les non-dits dans les familles et dans les communautés sont encore trop nombreux. La loi ne fait pas tout ; il faut que la société tout entière change de regard sur les violences sexuelles.

Une fois la procédure judiciaire enclenchée, il est indispensable que les associations accompagnent les victimes tout au long de ce parcours. En cas de non-lieu, la victime doit pouvoir être informée par le magistrat en présence d'une association d'aide aux victimes.

Annick Billon, présidente . - Si j'avais une phrase à retenir de cette audition, Mesdames, ce serait « Remettre le monde à l'endroit » : ces mots résument l'essentiel de ce qui nous a été dit sur le vécu des victimes. Nous avons également souvent entendu la volonté que la honte change de camp. Comme vous l'avez souligné, il importe de mettre l'accent sur le coût qu'aura, pour la société, la parole non entendue d'un enfant. Celui-ci se construira alors sur de très mauvaises bases, avec des conséquences dont nous n'avons pas conscience aujourd'hui.

Jacqueline Eustache-Brinio . - Dans notre pays, les inégalités territoriales sont nombreuses. Dans la région Ile-de-France dont je suis élue, des initiatives ont été prises pour l'accueil des victimes dans les commissariats. Tel n'est pas le cas dans d'autres régions. Il s'agit un vrai problème en termes d'égalité de traitement de la victime.

Par ailleurs, il faut aussi que la parole se libère dans les établissements scolaires. Je suis très inquiète de la situation qui empire dans les collèges : les rapports filles-garçons, l'éducation à la sexualité qui ne peut être abordée... C'est un combat qu'il faut mener.

Flavie Flament . - Avant tout, je pense qu'il faut envoyer un signal aux victimes en leur demandant de parler. En Angleterre, lors du scandale dans le monde du football, un message a été diffusé à l'intention des victimes pour les inciter à venir parler. Cette invitation à la parole doit être lancée aux adultes et aux enfants. Dans les lycées et les collèges, je travaille avec des associations qui expliquent aux jeunes comment réagir et prendre la parole, avec le concours d'un ancien négociateur du Raid !

Élisabeth Moiron-Braud . - S'agissant de la présomption de contrainte, j'ai co-présidé la commission « Violence » du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) qui a élaboré un rapport sur le viol 400 ( * ) . Nous avons rendu un avis au terme duquel nous recommandons que soit instauré un seuil d'âge de treize ans en-dessous duquel un enfant est présumé ne pas avoir consenti à une relation sexuelle avec un majeur. Il s'agit d'une présomption irréfragable. L'âge de treize ans en-dessous duquel un mineur est présumé contraint paraît raisonnable. Entre treize et quinze ans, le texte sur l'atteinte sexuelle s'appliquerait.

Je voudrais également souligner qu'instaurer une telle présomption assurerait une meilleure sécurité juridique ; la contrainte morale, prévue par le code pénal, est en effet difficile à apprécier et les décisions de justice varient selon les territoires.

Annick Billon, présidente . - Ce sujet fera également l'objet de débats.

Laurence Cohen, co-rapporteure . - Lorsque le HCE s'est prononcé sur l'âge de treize ans, le moment était différent, notamment lorsque les pays européens avaient eux-mêmes adopté cet âge. Aujourd'hui, l'âge de quinze ans est plutôt retenu.

Élisabeth Moiron-Braud . - Nous avons préconisé treize ans, car il s'agit d'une présomption irréfragable. Il faut faire attention à l'âge de quinze ans, en particulier dans le cas d'un acte sexuel entre un mineur de quinze ans et un jeune majeur de dix-neuf ans.

Annick Billon, présidente . - Merci à tous pour votre participation. Il est ici question de la place des femmes et des hommes dans la société, du respect entre les femmes et les hommes et du respect des corps. Les solutions seront difficiles à trancher.

Audition de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF)

(18 janvier 2018)

Présidence d'Annick Billon présidente

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions de ce matin avec les représentantes de la Fédération Nationale Solidarité Femmes : Françoise Brié, sa directrice générale, que j'ai rencontrée au Haut conseil à l'égalité (HCE), est accompagnée de Dominique Guillen-Isenmann, présidente, de Josette Gonzales, avocate et de Priscilla Fert, chargée de mission « Justice ».

Je rappelle à l'attention des représentantes de la FNSF que notre délégation a souhaité travailler cette année - actualité oblige - sur les violences faites aux femmes, afin de préparer l'examen du projet de loi annoncé par le Gouvernement.

Nos questionnements concernent tout le spectre des violences faites aux femmes, y compris évidemment les violences conjugales, mais le rapport d'information que nous préparons portera plus particulièrement sur le drame des violences sexuelles et les obstacles qui jalonnent le parcours judiciaire des victimes. Nous nous intéressons, bien sûr, à l'accompagnement et à la prise en charge médicale et psychologique de ces victimes, jeunes et moins jeunes.

La Fédération nationale Solidarité femmes ( FNSF ), réseau de 67 associations, gère le 3919 , devenu en 2014 le numéro national de référence pour l'accueil et l'orientation téléphoniques des femmes victimes de violences, quelles qu'elles soient, et pas spécifiquement les victimes de violences conjugales.

Pouvez-vous nous présenter le réseau que vous animez ? Comment s'explique, selon vous, l'évolution du volume d'appels reçus sur le 3919 dans la durée ? Il semblerait qu'en 2016 une baisse des appels sur le 3919 ait été enregistrée par rapport à 2015. Comment l'expliquez-vous ?

Nous aimerions avoir des éléments statistiques sur la répartition des appels en fonction des violences concernées : violences au sein des couples, y compris viol conjugal, harcèlement sexuel au travail, harcèlement sexuel en ligne, agressions sexuelles, viol...

On sait en revanche que le 3919 , en lien avec l'actualité, a connu durant le dernier trimestre 2017 une hausse significative d'appels. Cette augmentation pose évidemment la question des moyens dont dispose votre association pour mener à bien sa mission. Nous vous invitons à nous en parler.

À ce sujet, le président de la République a annoncé, le 25 novembre 2017, la création d'une application numérique pour aider les victimes de cyber-violences, que la FNSF est chargée de développer. Qu'en est-il des moyens dont vous disposez pour mener à bien cette nouvelle mission ? La délégation s'intéressant de près à la question des cyber-violences faites aux femmes, pouvez-vous nous en dire plus sur cette application ?

De manière générale, le 3919 ayant vocation à écouter des femmes victimes de violences très diverses, ce qui suppose des aptitudes d'ordre psychologique et des connaissances assez pointues pour les conseiller et les orienter au mieux, nous aimerions savoir comment vous formez vos accueillantes.

Je donne la parole à nos interlocutrices, qui s'organiseront à leur guise pour présenter l'action de la FNSF en se répartissant ces diverses thématiques dans le temps de parole qui leur est proposé.

Dominique Guillen-Isenmann, présidente de la Fédération Nationale Solidarité femmes . - Je suis présidente de la FNSF et administratrice de SOS Femmes Solidarité Strasbourg , puisque notre fédération a la particularité d'avoir, au sein de son conseil d'administration, des représentants des différents territoires. Les mouvements Solidarité Femmes ont pris naissance dans les années 1970-1975 autour du militantisme féministe et des combats d'alors, au travers de quelques associations ayant rapidement repéré qu'un grand nombre de femmes étaient victimes de violences dans leur couple. Partant de ce constat, quelques associations se sont créées en France. Puis elles ont souhaité entrer dans une démarche de coordination, dans un souci d'efficacité et dans le but d'échanger autour de la question des violences conjugales et intrafamiliales (mariages forcés souvent suivis de violences conjugales par exemple).

La FNSF est née dans un premier temps « de bric et de broc », avec une déclaration officielle en 1987. Sa taille est relativement petite, car elle comporte aujourd'hui 67 associations membres faisant partie de huit territoires, aussi bien en métropole qu'en Outre-mer (Guadeloupe, Martinique). Nous avons également des demandes concernant La Réunion, et souhaiterions pouvoir toucher aussi la Guyane. Les associations sont réparties sur le territoire de manière assez égale, sauf peut-être dans certains territoires isolés du centre de la France. Nous ne désespérons pas, toutefois, de pouvoir couvrir ces territoires dans le cadre de notre réseau.

Nos missions générales sont diversifiées. Elles concernent la prévention des violences à l'encontre des femmes et la persistance des inégalités entre les femmes et les hommes. Depuis plusieurs années, nous incluons dans le volet « prévention » les jeunes femmes, voire les très jeunes et les mineures.

En ce qui concerne la prise en charge et l'hébergement des femmes victimes de violences avec ou sans enfants, nous avons mis en place des actions spécifiques car les violences conjugales, intrafamiliales, sexistes et sexuelles sont des violences de genre, nécessitant aussi un accompagnement long et soutenu. Nous avons également été parmi les premières à nous intéresser aux enfants vivant dans un climat de violence, ce qui fait d'eux inévitablement des victimes.

Le troisième volet concerne la formation et la sensibilisation de tous les professionnels qui interviennent, c'est-à-dire notamment les gendarmes et policiers, le corps médical et paramédical, les travailleurs sociaux.

Dans le domaine juridique, nous nous efforçons également d'être force de proposition auprès des pouvoirs publics, d'une manière générale dans tout ce qui concerne la lutte contre les violences faites aux femmes. Nous avons ainsi été sollicitées par le gouvernement actuel, mais également par les précédents autour des différentes lois et plans interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes. De la même manière, nous espérons être force de proposition sur le texte annoncé par le Gouvernement.

En termes de chiffres, la Fédération reçoit 50 000 appels pris en charge au 3919 . 30 000 femmes victimes sont suivies au sein de services d'accueil (lieux d'écoute et d'accueil ou accueils de jour départementaux), mis en place en 2012 sur le territoire français par le précédent gouvernement. 6 500 femmes et enfants sont hébergés dans nos associations. Nous sommes spécialisés dans la mise en sécurité des femmes en très grand danger, qui peuvent, dans un délai de huit à quinze jours au maximum, être transférées dans un autre de nos établissements pour fuir un danger de mort. L'an dernier, 123 femmes ont été tuées sous les coups de leur conjoint. Plus de 2 000 femmes et enfants ont été relogés depuis 2009, notamment en région Ile-de-France, par les quatorze associations Solidarité Femmes, dans le circuit habitation « normal » avec le soutien des bailleurs sociaux.

Un observatoire national des violences conjugales permet à la fédération nationale d'analyser les statistiques avec du recul.

Enfin, les campagnes de sensibilisation des professionnels et du grand public dépendent de nos finances qui, comme vous en doutez, sont limitées. De telles campagnes, variables selon les années, influent notamment sur la masse des appels reçus aux 3919 .

Françoise Brié, directrice générale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes . - En matière de violences faites aux femmes, il est important de soutenir les structures spécialisées. En effet, les dispositifs généralistes peuvent permettre le repérage des victimes mais ne sont pas toujours adaptés à leur prise en charge, compte tenu de la spécificité des situations et des formes des violences. Nous plaidons en conséquence pour un accompagnement dédié.

Sur le plan politique, notre analyse porte sur le fait que ces violences sont des violences de genre, se déroulant dans un contexte d'inégalités femmes-hommes. C'est pourquoi notre travail aux côté des femmes vise à déconstruire les stéréotypes qui sont à la base des inégalités. Par conséquent, notre accompagnement n'est pas uniquement technique ; il s'efforce aussi de faire prendre conscience aux femmes des violences machistes et du contexte de domination dans lequel elles vivent.

Le 3919 a été créé en 1992 à l'initiative de la FNSF par une ligne d'écoute, la première à destination des femmes victimes de violences conjugales. Le soutien financier de l'État a abouti à la création de ce numéro. En 2007, le 3919 a vu le jour, dans un premier temps accessible du lundi au samedi de 9 heures à 22 heures. Depuis 2014, le numéro est totalement gratuit, y compris depuis les téléphones mobiles, et ouvert sept jours sur sept.

La typologie des appelantes au 3919 réunit les victimes, les tiers et les professionnels. Quelques hommes victimes appellent également, mais le pourcentage est infime, de même que celui des auteurs de violences qui nous contactent.

L'équipe du 3919 compte vingt-cinq écoutantes et trois chargées de pré-accueil en CDI à temps plein ou à temps partiel, soit environ seize équivalents temps plein (ETP). Sur la plateforme, nous avons cinq à sept personnes en permanence, écoutantes et chargées de pré-accueil. La plateforme est divisée en deux parties : un pré-accueil qui reçoit les appels et, en fonction de leur typologie, les oriente vers les écoutantes qui interviennent à un deuxième niveau ou vers les associations partenaires. L'équipe pluridisciplinaire compte des professionnelles issues du travail social (assistantes sociales, éducatrices...) mais également des psychologues, des juristes, des conseillères conjugales... Elles reçoivent une formation en double écoute pendant un mois minimum, puis sont formés en interne en continu. Cette formation de base est dispensée à toutes les équipes du réseau, tandis qu'une juriste les accompagne dans leurs questionnements. D'autres formations sont ensuite dispensées régulièrement.

Il est important de souligner que l'écoute est réellement un métier. Il faut pouvoir écouter les victimes à travers l'information qu'elles apportent, mais aussi les soutenir et les encourager dans leurs décisions et démarches. En outre, le 3919 comporte une base de données de plusieurs milliers d'adresses, pour orienter les femmes au plus près de leur lieu de résidence.

S'agissant des typologies des violences, les motifs d'appels concernent dans leur très grande majorité des violences conjugales. Ainsi, le 3919 reçoit environ 5 000 appels par mois. En 2017 (données non consolidées), plus de 90 % des appels relevaient des violences conjugales (femme victime et homme auteur). De façon générale, nous souhaiterions que le projet de loi annoncé par le Gouvernement couvre aussi le champ des violences conjugales - y compris dans leur dimension sexuelle -, d'une part parce qu'il s'agit de violences sexistes, et d'autre part, parce que les enfants en sont également victimes. En effet, les viols et agressions sexuelles sur les enfants sont fréquents dans un contexte de violences conjugales. En 2016, 4,3 % des appels pris en charge (979) concernaient des violences sexuelles ou du harcèlement sexuel au travail. Nous avons une convention avec d'autres associations ( CFCV 401 ( * ) , AVFT 402 ( * ) , CIDFF 403 ( * ) , FDFA 404 ( * ) , ADN 405 ( * ) ) afin d'orienter vers elles les appels ne portant pas sur les violences conjugales, y compris la prostitution. Nous avons également une convention avec le 119 .

En 2017, 1 493 appels (6,8 %) concernaient les violences sexuelles ou du harcèlement sexuel au travail, dont 50 % recensés au dernier trimestre, en lien avec la libération de la parole dans le contexte que nous connaissons.

Par ailleurs, la plateforme du 3919 est organisée pour recevoir des appels en continu. Nous avions mené en 2014 une grande campagne de communication qui a eu des effets sur le flux d'appels reçus en 2015. La baisse des appels en 2016 s'explique en partie par le non-renouvellement de cette campagne.

En tout état de cause, il est important que les campagnes de communication permettent de repérer le numéro d'appel en continu, avec des diffusions locales toute l'année. Si nous n'anticipons pas les pics d'appel, nous pouvons difficilement y faire face, sachant que la plateforme a déjà du mal à répondre à tous les appels en temps normal. Des moyens supplémentaires seraient nécessaires sur la plateforme à hauteur de trois équivalents temps plein (ETP) sur toute l'année.

Josette Gonzales, avocate . - J'ai été longtemps avocate, et je suis actuellement présidente de l'association de Marseille, qui est de taille importante. Nous sommes en effet la seule association des Bouches-du-Rhône à travailler spécifiquement sur les violences conjugales. Toutefois, nous recevons des appels de victimes de toutes les formes de violences.

En premier lieu, le projet de loi annoncé par le Gouvernement doit évoquer le sujet du délai de prescription en cas de crimes sexuels sur mineurs. Nos associations connaissent les difficultés des victimes à déposer plainte, encore accrues lorsqu'il s'agit de violences commises au sein du couple ou de la famille. Il faut parfois des décennies pour parvenir à dénoncer ces faits.

Je rappelle que les viols sur mineurs peuvent actuellement être poursuivis pendant vingt ans après la majorité de la victime, donc jusqu'aux trente-huit ans de celle-ci. Or dans la pratique nous constatons que, passé ce délai, nombre de femmes ne parviennent pas encore à dénoncer les viols dont elles ont été victimes enfants. Les autres agressions sexuelles et viols sur mineurs sont prescrits sur dix ans, sauf pour les moins de quinze ans. Nous estimons que ce délai devrait être prolongé, tant pour les victimes mineures que majeures. Il est très important que les personnes puissent déposer plainte, même si sur le plan juridique elles n'obtiennent pas satisfaction. C'est pourquoi nous sommes favorables à un allongement conséquent du délai de prescription.

Par ailleurs, le projet de loi devrait porter sur l'instauration d'un âge minimum au-dessous duquel un enfant ou un adolescent serait présumé comme non-consentant à l'acte sexuel. Actuellement, aucun âge n'est fixé, ce qui est fort préjudiciable, comme nous avons pu le constater dans l'actualité. La fédération considère qu'au-dessous d'un certain âge, il faut absolument protéger les enfants de leurs agresseurs. Ainsi, nous sommes favorables à ce que les actes sexuels entre majeurs et jeunes de moins de quinze ans constituent une agression sexuelle ou un viol, selon les cas. C'est cohérent avec la notion actuelle de majorité sexuelle. Concrètement, il nous semble important que soit interdit tout acte sexuel entre une personne majeure et un ou une mineure, avec une présomption irréfragable de non-consentement, de façon à ce que la victime mineure n'ait pas à apporter la preuve de son absence de consentement.

S'agissant des relations entre adolescents, et entre adolescents et jeunes majeurs, qui ne relèvent pas tout à fait de notre domaine, nous pourrions sans doute nous inspirer du droit canadien. Dans ce pays en effet, il est prévu de ne pas pénaliser les relations consenties entre adolescents de treize à quinze ans, ou entre adolescents de treize à quinze ans avec des jeunes de quinze à dix-huit ans.

Françoise Brié . - L'an dernier, treize mineures ont appelé le 3919 . Nous recevons de très jeunes femmes, dont 11 % de moins de vingt-cinq ans. Nos structures reçoivent en outre entre 11 et 14 % de femmes âgées de dix-huit à vingt-cinq ans.

Nous notons également que dans le cadre des actions de prévention menées dans les établissements scolaires, nos associations sont sollicitées par des jeunes femmes mineures à propos de leurs relations amoureuses. Les démarches sont compliquées par le fait que ces dernières résident chez leurs parents, de sorte qu'un accompagnement particulier doit être mis en place. Par ailleurs, nous constatons que les femmes de dix-huit à vingt-cinq ans victimes de violences dans le couple font les mêmes demandes que les autres femmes, c'est-à-dire conseil, accompagnement et hébergement. Enfin, 18 % des femmes en très grand danger qui sollicitent l'éloignement géographique ont entre dix-huit et vingt-cinq ans.

Josette Gonzales . - Sur le harcèlement dit de rue, l'article 222-33 du code pénal n'est pas spécifique au travail et peut être appliqué. Nous ne sommes cependant pas opposées à ce qu'un texte dédié condamne le harcèlement de rue et les violences sexistes. Une prévention et une communication forte pourraient également être prévues pour faire en sorte que ce harcèlement diminue.

Concernant le viol conjugal, la France a ratifié la Convention d'Istanbul 406 ( * ) . De ce fait, il importerait que notre droit en reprenne les dispositions. Le problème du consentement est un problème majeur car, actuellement, la victime doit prouver qu'elle n'a pas consenti. Nous souhaiterions, pour ce domaine spécifique du viol, que la charge de la preuve soit inversée, et que ce soit à l'auteur de prouver qu'il a obtenu le consentement de la victime. Par ailleurs, les viols conjugaux se déroulent toujours dans un cadre privé.

Françoise Brié . - La Convention d'Istanbul a une définition claire sur le sujet. Je vous suggère également de lire le rapport explicatif, qui en commente les différents alinéas.

Josette Gonzales . - La convention détaille les notions de viol et de consentement. Il nous semble important de mieux définir ces situations, car trop peu de femmes déposent plainte pour viol, a fortiori pour viol conjugal. Pour elles, parler de viol est encore inconcevable. Dans un certain nombre de commissariats ou de services de gendarmerie, il leur est encore affirmé que le viol entre époux n'existe pas. Le « devoir conjugal » est encore mentionné, y compris dans certains tribunaux ! Par conséquent, un travail important de formation des acteurs et partenaires reste à accomplir. Nous déplorons également que les crimes sexistes et viols conjugaux soient requalifiés presque systématiquement en agressions sexuelles. Nous sommes contre la correctionnalisation de faits criminels.

Françoise Brié . - En 2016, au 3919 , sur 9 480 femmes victimes de violences conjugales perpétrées par un homme auteur, pour lesquelles l'indicateur violences sexuelles a été renseigné, 713 ont déclaré avoir été victimes de violences sexuelles, soit 7,7 %, ce qui est infime par rapport à la réalité. Pour ces déclarantes, les violences subies sont les suivantes : le viol conjugal (53 %), les pratiques sexuelles imposées (18,5 %), un partenaire sexuel imposé par l'agresseur (pour 23 femmes déclarantes), la prostitution forcée (14 femmes déclarantes). De plus, 25 % des victimes dénoncent du harcèlement sexuel. Nous avons noté que, parmi ces victimes, 44 % avaient déjà effectué une démarche auprès des services de police et de gendarmerie, avec des réponses plutôt positives dans notre échantillon. En effet lorsqu'il y a révélation de viol conjugal ou de tentative, 69,2 % et 61,4 % respectivement avaient déposé plainte. Par la suite, le processus de réponse judiciaire est réellement compliqué pour les victimes.

Annick Billon, présidente . - Merci pour tous ces éléments de réponse très clairs sur les chiffres du 3919 , mais également sur le délai de prescription des crimes sexuels commis contre les mineurs. Vous vous prononcez en effet pour l'imprescriptibilité ou, au minimum, pour l'allongement de ce délai. Il me semble que l'allongement du délai de prescription à trente ans fait son chemin en ce moment.

Concernant l'âge du consentement, vous avez également une position tout à fait claire, dont nous vous remercions.

Dans votre présentation, j'ai noté le point relatif à la formation des écoutantes au 3919 . Quelles sont les qualités que vous demandez à ces personnes, qui vont peut-être faire en sorte que la victime poursuive dans sa démarche ou s'arrête totalement ?

S'agissant du dépôt de plainte en ligne, qui me paraît être une bonne idée, un argument majeur a été soulevé par le Docteur Emmanuelle Piet : la maîtrise de la langue et de l'informatique. Que pouvez-vous nous dire sur cette pré-plainte en ligne, étant observé que finalement, le téléphone semble plus simple à utiliser ?

Sur la pénalisation du harcèlement, vous apportez aussi des réponses intéressantes.

Françoise Brié . - Les écoutantes sont en général issues du travail social : assistantes sociales, conseillères en économie sociale et familiale, conseillères conjugales, juristes, psychologues... Lorsqu'elles arrivent au niveau de l'écoute téléphonique, elles ont déjà plus d'un mois de double écoute avec une écoutante en place depuis quelques années, afin d'acquérir cette écoute empathique qui amène l'appelante à raconter son histoire. Elles reçoivent également une formation de base organisée par la FNSF avec les associations du réseau, axée sur les violences conjugales et sur la déconstruction des stéréotypes sexistes. Cette formation est assurée par une formatrice diplômée. Par ailleurs, il est important d'indiquer que les écoutantes sont en lien avec notre réseau. Nous avons aussi des formations sur les femmes étrangères, sur la santé...

Certaines écoutantes sont salariées au 3919 depuis la création de la ligne, soit vingt-cinq ans, et ont donc acquis une expertise autour de l'écoute empathique. Les méthodes d'écoute sont professionnelles. Au sein du service, sont également menées des analyses de pratique. En effet, les écoutantes qui reçoivent des appels pendant quelques heures sur des cas de violences parfois extrêmement lourds, doivent avoir la possibilité de débriefer et de travailler en équipe, pour être soutenues dans leur pratique. Ces écoutantes expliquent très bien que lors des appels, qui durent en général vingt à trente minutes, elles sont dans une posture de concentration vers la victime, pour des conversations particulièrement éprouvantes. Il n'est pas possible d'imaginer une telle écoute sans professionnalisme au niveau de la plateforme. Il faut mettre de la distance.

Victoire Jasmin . - Merci pour tout ce que vous nous apportez. Je suis sénatrice de la Guadeloupe et fais également partie de l'association FORCES , avec l'Observatoire féminin de la Guadeloupe. Ma question portera sur les différents échanges de ce matin. S'agissant des réseaux, vous avez précisé que des efforts restaient encore accomplir dans certaines régions.

Au-delà des espaces de paroles pour les victimes et des formations destinées aux professionnels qui font partie de votre association, formez-vous des acteurs de terrain ? En effet, bien souvent, nous constatons que les problèmes les plus récurrents concernent d'autres acteurs, tels que les policiers et les gendarmes qui reçoivent les victimes. Un certain nombre d'entre elles ne sont pas toujours très bien accueillies, alors même qu'elles sont déjà choquées et ont hésité à faire la démarche consistant à déposer plainte.

Françoise Brié . - La FNSF a un service agréé de formation, qui peut être utilisé par les autres structures. Notre réseau compte également des services de formation agréés. Les associations sont très impliquées dans la formation des professionnels, qu'il faut avant tout penser en termes de parcours des femmes. En d'autres termes, il est nécessaire que des personnes soient formées au repérage et à la culture commune sur les violences sexistes. Il ne suffit pas d'apprendre la technique. C'est pourquoi, lorsque nous organisons des formations, nous travaillons avec les personnels sur la déconstruction de leurs propres préjugés sexistes, ce qui demande du temps. Généralement, nos formations se déroulent en deux ou trois jours, avec un retour sur expérience des personnes formées, ainsi qu'un travail en réseau. Il importe en effet que les femmes, une fois repérées, puissent être orientées vers les services adéquats dans les différents départements.

En tout état de cause, il est essentiel d'acquérir une culture commune pour parler le même langage aux femmes, et éviter ainsi les injonctions contradictoires.

Annick Billon, présidente . - Cette question me rappelle notre audition d'hier avec Sandrine Rousseau sur la libéralisation de la parole, qui faisait état de la nécessité pour les femmes d'être accompagnées par un médecin femme juste après un viol.

Françoise Brié . - Dans notre réseau, les premières écoutantes sont uniquement des femmes. En revanche, les associations de notre réseau comptent des hommes assistants sociaux, psychologues et juristes.

Victoire Jasmin . - Dans les échanges d'hier, il a été question de femmes entendues par des personnes n'ayant pas bénéficié de ce travail de déconstruction. De ce fait, ces personnes pouvaient porter des jugements de valeur sur les victimes. C'est pourquoi la déconstruction des stéréotypes me paraît également essentielle, de même que le travail en réseau.

Françoise Brié . - J'ai été directrice d'un centre d'accueil et d'hébergement pendant quelques années. L'accompagnement sur le terrain consiste aussi en cette mise en réseau. S'agissant de l'accueil et du parcours des femmes, il faut garder à l'esprit que dans les commissariats, en particulier en Ile-de-France, plusieurs personnes peuvent être mutées en une seule fois. Dans les parquets, les substituts spécialisés avec lesquels nous avons commencé à établir des liens, changent également. Par conséquent, le travail doit être mené en continu pour garantir un bon accueil des victimes de violences sexuelles par les policiers et les magistrats. Il est en outre essentiel que nous soyons associés aux formations de ces acteurs. En 2006, une convention a été signée avec le ministère de l'Intérieur, mais n'est que peu appliquée aujourd'hui.

Sur la prise en charge psychologique et l'accompagnement des femmes, il faut aussi souligner que la femme est motrice dans son parcours. Au 3919 , nous accompagnons sa décision. Je vous renvoie au travail de Patricia Romito et à ses études réalisées en Angleterre et aux États-Unis. Cette professeure de psychologie sociale se félicite de ce que la question du stress post-traumatique ait fait reconnaître les femmes comme victimes, à la fois sur le plan politique et sur le plan des souffrances. Toutefois, après un certain nombre d'années, les questions politiques de fond sur l'agresseur et les violences machistes font encore considérer la femme comme une personne malade en quelque sorte. Patricia Romito estime par conséquent qu'il est nécessaire de trouver un équilibre sur ce sujet, et d'impliquer encore davantage les associations féministes dans l'accompagnement et sur le plan politique. Nos structures, qui comptent des psychologues, peuvent contribuer à apporter cet éclairage.

En termes de reconstruction des femmes victimes de viols ou de violences sexuelles, il ne faut pas négliger le fait que ces dernières ont de nombreuses problématiques à gérer : ressources, hébergement, logement, emploi... Ces éléments doivent par conséquent être inclus dans le suivi que nous leur proposons en réseau. À défaut, les femmes ne seront pas en mesure de redevenir autonomes sur du long terme. Ainsi que le démontrent toutes les études, les femmes se reconstruisent plus efficacement, et se trouvent moins dans la souffrance quand elles ont par exemple retrouvé un emploi. Dans certains départements, dont les Hauts-de-Seine (92), il existe des conventions entre nos associations et les services de santé, qui nous adressent les femmes après un repérage. Nous sommes également présents dans des permanences tenues au sein des hôpitaux. Dans les situations de grave danger, les femmes peuvent être hébergées sur demande des services de santé à partir de notre analyse.

En définitive, le travail en réseau est essentiel. La prise en charge du stress post-traumatique ne peut être déconnectée du reste.

Dominique Guillen-Isenmann . - Comme l'a déjà souligné Françoise Brié, s'agissant des personnels de police et de gendarmerie, non seulement les formations sont très courtes, mais ces personnels bougent beaucoup. J'ai pu le constater lors de mon expérience personnelle à Strasbourg. C'est pourquoi la formation doit être un effort permanent, ce qui implique des effectifs et de l'argent. Ce qui est fait une fois ne suffit pas.

Un important travail de formation doit être aussi mené dans les parquets et chez les juges aux affaires familiales (JAF). Pour les médecins, en particulier les médecins de famille, il faut améliorer le repérage ainsi que la formation sur les conséquences physiques et psychiques des violences. Pourtant, le Conseil de l'ordre estime qu'un médecin ne doit pas poser de questions précises sur les violences. Ce dogme ne pourrait-il pas être questionné ?

Enfin, les travailleurs sociaux de nos établissements ont accès à une formation de base, fortement conseillée lorsqu'une association adhère à la fédération. Tous les nouveaux entrants dans une association sont invités à cette formation.

Annick Billon, présidente . - Parallèlement à notre travail général sur les violences faites aux femmes, nous allons faire un rapport plus spécifique sur les mutilations sexuelles féminines. Quel est le pourcentage d'appels que vous recevez sur ce point précis ?

Françoise Brié . - Nous avons reçu 26 appels en 2017, ce qui est infime par rapport à la masse des appels traités par la fédération.

Annick Billon, présidente . - Merci, mesdames, pour votre intervention.

Françoise Brié . - Pour conclure, je tenais à préciser que notre application sur téléphone mobile est en cours d'élaboration. Nous avons une réunion prochainement avec le Secrétariat d'État chargé de l'Égalité entre les femmes et les hommes et attendons les financements afférents. Par ailleurs, nous sommes favorables à la mise en place d'un chat sur le 3919 , afin de travailler avec les jeunes femmes et en lien avec les associations du réseau Solidarité Femmes . D'ailleurs, concernant plus spécifiquement cette génération, nous avons des centres maternels spécialisés, ainsi que des places d'hébergement réservées.

Annick Billon, présidente . - Merci pour ces précisions. Nous resterons bien évidemment en contact avec vous sur toutes ces questions.

Audition de Jacques Toubon, Défenseur des Droits,
sur le harcèlement sexuel et les agissements sexistes au travail

(25 janvier 2018)

Présidence d'Annick Billon présidente

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, dans le cadre de notre travail sur les violences sexuelles, nous avons le plaisir d'accueillir Jacques Toubon, Défenseur des Droits. L'objet de cette réunion porte plus précisément sur le harcèlement sexuel et les agissements sexistes au travail, sujet que vous connaissez bien, monsieur le Défenseur des Droits, puisque vous avez publié en 2014 une enquête très approfondie sur ce thème.

Notre travail s'inscrit dans une actualité évidente : l'examen du projet de loi sur les violences sexuelles et sexistes annoncé par le Gouvernement.

Depuis le mois de novembre, la délégation a entendu de nombreux experts et représentants d'associations, aussi bien sur la question des violences dans leur globalité que sur celle du harcèlement sexuel. Ces personnes nous ont parlé des conséquences de ces différentes formes de violences sur la vie des victimes - leur santé et leurs carrières notamment - et ont formulé des propositions pour améliorer leur prise en charge médicale et psychologique, mais aussi leur accompagnement dans un parcours judiciaire souvent compliqué.

Je rappelle que le Défenseur des Droits est, d'après l'article 2 de la loi organique du 29 mars 2011 407 ( * ) , une « autorité constitutionnelle indépendante », chargée de lutter contre les discriminations, défendre les personnes dont les droits ne sont pas respectés et permettre l'égalité de tous et toutes dans l'accès aux droits.

Monsieur le Défenseur des Droits, pouvez-vous nous rappeler les principaux constats et enseignements de votre enquête de 2014 ? Pensez-vous que les choses aient évolué positivement depuis cette date pour favoriser la parole et la reconnaissance des victimes de ce phénomène insidieux et multiforme ? On peut évoquer à cet égard l'introduction dans le code du travail de l'agissement sexiste.

Quels sont, selon vous, les « angles morts » de la législation sur le harcèlement sexuel ? Enfin, quelle part représentent les saisines au titre du harcèlement sexuel dans le volume global des saisines du Défenseur des Droits ? Avez-vous constaté une hausse de ces saisines après l'affaire Baupin ou l'affaire Weinstein ?

Je vous remercie chaleureusement d'avoir une nouvelle fois accepté notre invitation. Nous avions déjà eu le plaisir de vous entendre dans le cadre d'un rapport sur les droits des personnes dites « intersexes », et nous avions gardé un souvenir très fort de cette audition.

Jacques Toubon, Défenseur des Droits . - Je vous remercie de votre présence à cette heure matinale ! Je précise également que je vous remettrai un avis écrit détaillé 408 ( * ) , auquel pourra se référer par la suite la délégation aux droits des femmes.

Il me semble judicieux de votre part d'avoir travaillé ce sujet très en amont - dès novembre - pour vous forger une opinion sur des sujets complexes, qui feront sans nul doute l'objet d'un projet de loi et qui ont déjà inspiré des propositions de lois.

Je vous indique également que j'ai été entendu au mois de novembre par le groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, qui travaille plus spécifiquement sur la question du non-consentement pour les mineurs. Dans ce cadre, j'ai présenté un avis très circonstancié sur ce thème, auquel pour pouvez également vous référer, même si cela ne concerne qu'une partie de votre sujet.

Lors de notre enquête de 2014, une femme active sur cinq - soit plusieurs milliers - disait avoir été confrontée à un acte de harcèlement sexuel au cours de sa carrière. Dans le secteur privé, 23 % des femmes de dix-huit à soixante-quatre ans rapportaient avoir subi un acte de harcèlement sexuel, contre 19 % dans le secteur public. Les ordres de grandeur sont donc comparables, qu'il s'agisse du privé ou du public.

L'enquête a également mis en avant une amplification des expériences rapportées depuis les années 2000, dans un contexte d'objectivation scientifique, de reconnaissance sociale des victimes et de mobilisation des pouvoirs publics et de la société civile. Cette plus grande propension à la déclaration explique la hausse du nombre des faits déclarés, et ce phénomène devrait s'amplifier avec le mouvement actuel de libération de la parole.

Ces évolutions modifient le seuil de rejet de ces agissements et favoriseront certainement une augmentation des déclarations et des recours.

À partir de ces constats, j'en viens à ma première recommandation : il faut poursuivre l'objectivation des situations de harcèlement sexuel (fréquence, circonstances, recours entamés et raisons de l'éventuelle absence de démarche), par le biais de la réalisation d'une nouvelle enquête, l'enquête Violences et rapports de genre , dite Virage , ayant été réalisée en 2015, avant l'affaire Weinstein et les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc .

L'adoption de la loi du 6 août 2012 409 ( * ) ne s'est pas traduite par une augmentation du nombre de plaintes et de condamnations : sur 1 048 plaintes déposées pour des faits de harcèlement sexuel, seulement 65 condamnations ont été prononcées en 2014 et 50 % des poursuites ont donné lieu à des procédures alternatives (rappel à la loi, composition pénale...). Selon un rapport d'information de l'Assemblée nationale publié en 2016 sur l'application de cette loi 410 ( * ) , son bilan est très faible par rapport à l'attente suscitée.

Qu'en est-il de l'action du Défenseur des Droits ? Compétent pour traiter les réclamations des victimes de harcèlement sexuel au titre de sa mission de lutte contre les discriminations dans l'emploi et dans l'accès aux biens et services, il l'est aussi dans le cadre de sa mission de défense des droits et libertés des usagers dans leurs relations avec le service public et, lorsque les victimes interagissent avec des acteurs de la chaîne pénale (forces de sécurité et magistrats), de contrôleur de la déontologie de la sécurité.

Il dispose de techniques d'enquête rigoureuses, qui prennent en compte la particulière vulnérabilité des victimes en respectant le principe du contradictoire. Dans ce cadre, j'y reviendrai, il faut encore progresser sur la prise en charge des plaintes par la police et la justice.

Pour autant, les saisines du Défenseur des Droits pour des cas de harcèlement sexuel demeurent peu nombreuses : une dizaine de cas, chaque année, depuis la loi du 6 août 2012. Dans la fonction publique, nous avons comptabilisé dix-sept saisines depuis 2012, émanant pour l'essentiel d'agents de la fonction publique territoriale ou de fonctionnaires de l'État exerçant dans la Police nationale.

Le plus souvent, ces démarches sont menées par les associations, notamment l 'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail , l'AVFT. Cela s'explique par le fait que la plupart des personnes ne savent pas que le harcèlement sexuel constitue une discrimination en droit et que le Défenseur des Droits est compétent pour en traiter.

Si faible qu'elle soit quantitativement, notre action a permis de faire évoluer très favorablement la jurisprudence, grâce à la reconnaissance du harcèlement sexuel « d'ambiance » 411 ( * ) - arrêt de la cour d'appel d'Orléans du 7 février 2017 412 ( * ) - ou du harcèlement sexuel généralisé, qui prospère sur le terreau de la précarité sociale, dans une entreprise de nettoyage intervenant à la gare du Nord.

Dans la discussion finale sur les ordonnances réformant le code du travail, nous avons fait en sorte que la procédure de la prise d'acte en raison de harcèlement sexuel soit exclue du plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif, au même titre que les autres licenciements pour motif discriminatoire.

Nous avons aussi contribué à la réintégration, en 2016, dans la loi dite « El Khomri » 413 ( * ) , d'une disposition prévue dans la loi du 4 août 2014 sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes 414 ( * ) et annulée par le Conseil constitutionnel pour vice de procédure : le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage versées à une personne licenciée à la suite d'un traitement discriminatoire ou d'un acte de harcèlement. S'y ajoute le versement d'une indemnité « plancher », que la loi du 8 août 2016 fixe à six mois et que je préconise de porter à douze mois pour tout salarié licencié en raison d'un motif discriminatoire ou à la suite d'un harcèlement dont il avait été victime.

J'en viens au cadre juridique du harcèlement sexuel.

La loi du 6 août 2012 a marqué un changement radical dans la conception du harcèlement sexuel. Celui-ci se définit, non plus seulement par l'intention de l'auteur - obtenir des faveurs sexuelles -, mais par les conséquences de son comportement sur la victime. Cette définition modifiée, beaucoup plus large, figure à l'identique dans le code pénal, le code du travail et le statut des fonctionnaires.

Ces textes en donnent une double définition : le harcèlement sexuel qui repose sur la répétition d'actes ou qui se caractérise par une pression grave sur la victime dans le but d'obtenir un acte de nature sexuelle. Mais la loi du 27 mai 2008 415 ( * ) , transposant les directives européennes sur les discriminations, en donne une définition qui va au-delà : dans son article 1 er , elle assimile le harcèlement à une discrimination liée au sexe, permettant d'inclure les actes uniques de harcèlement sexuel, et sans se référer à la notion de « pression grave ».

J'en viens ainsi à ma deuxième recommandation : il faut harmoniser les différentes définitions du harcèlement sexuel : celle figurant dans le code du travail, le code pénal et le statut de la fonction publique, et celle de la directive 2006/54 416 ( * ) , de la loi du 27 mai 2008 et de la jurisprudence de la Cour de cassation sur l'acte unique. À l'issue de cette harmonisation, un fait unique suffirait à caractériser le harcèlement sexuel, s'il porte atteinte à la dignité de la personne ou crée à son encontre une situation humiliante et offensante. C'est ma principale recommandation. Elle permettrait d'aboutir à une prise en considération plus large du phénomène de harcèlement.

Par ailleurs, depuis la loi Rebsamen de 2015 417 ( * ) et la loi « El Khomri » de 2016, les agissements sexistes ont été intégrés dans le code du travail et dans le statut de la fonction publique.

Une ambiance de travail marquée par des comportements sexistes récurrents, tolérés par l'employeur, représente un terreau propice au harcèlement sexuel. Il est donc indispensable que les entreprises, qui sont encore trop souvent dans une logique de réparation et non de prévention, prennent conscience de leurs responsabilités en termes d'anticipation des risques, de formation et de sanction des auteurs.

Enfin, la loi sur la prescription du 27 février 2017 418 ( * ) a porté de trois à six ans le délai de prescription du harcèlement sexuel, ce qui aura indiscutablement des effets.

La question de la prescription se pose également, comme vous le savez, concernant les infractions sexuelles commises contre les mineurs, certains proposant d'allonger le délai de prescription, voire de rendre imprescriptibles certains faits. Mais cela relève d'un autre débat.

À partir de ce cadre juridique, comment la France peut-elle mieux prévenir et sanctionner le harcèlement sexuel ?

Il est tout d'abord nécessaire de développer l'information. L'étude de 2014 montre que 57 % des actifs s'estiment plutôt mal informés sur le harcèlement sexuel au travail, que près de neuf actifs sur dix pensent qu'il n'est pas suffisamment reconnu dans les situations de travail et que plus de sept actifs sur dix considèrent qu'il est difficile à identifier.

Je vais donc lancer le 6 février prochain une campagne de sensibilisation fondée sur trois outils - un dépliant, une affiche et une vidéo issue d'un concours - afin de rappeler que le harcèlement sexuel, trop souvent banalisé, est interdit par la loi et d'inviter les victimes à faire valoir leurs droits.

J'aborde ma troisième recommandation : des campagnes nationales régulières d'information doivent être organisées sur la définition du harcèlement sexuel et les voies de recours possibles, de manière notamment à informer le public sur l'aménagement de la charge de la preuve en matière civile et administrative.

Il s'agit d'expliquer aux gens qu'ils peuvent obtenir satisfaction. J'y reviendrai plus tard.

Un changement de mentalité est indispensable. C'est l'objet de ma quatrième recommandation : il faut absolument lutter contre les stéréotypes de genre, dès le plus jeune âge. Les séances d'éducation à la sexualité en milieu scolaire prévues dans la loi du 4 juillet 2001 419 ( * ) et dans une circulaire de 2003 420 ( * ) doivent obligatoirement être mises en oeuvre dans tous les établissements, dans le cadre d'une approche globale d'éducation à la sexualité. Cette approche doit comporter non seulement des données physiques et sanitaires, mais également les dimensions sociales, affectives, la prévention et les soins, ainsi que la lutte contre les violences et pour l'égalité des sexes et des sexualités. Il faut expliquer qu'il n'y a pas de domination d'un sexe sur l'autre, d'une sexualité sur l'autre. Je vous renvoie sur ce point à mon rapport d'activité de novembre 2017 sur les droits des enfants.

Cinquième recommandation : il faut évaluer la mise en oeuvre de l'obligation de formation initiale et continue sur les violences intrafamiliales, les violences faites aux femmes et les mécanismes d'emprise psychologique, prévue par la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes du 4 août 2014 421 ( * ) pour les médecins, les travailleurs sociaux, les agents de l'état civil, les personnels de l'Office Français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), les enseignants, les personnels des services de police et de gendarmerie, les magistrats, etc., et en développer des modalités de contrôle et de sanction. Nous n'avons pas vraiment le sentiment que ce chantier a été pris à bras le corps. Cette évaluation pourrait par exemple être menée par l'Inspection des affaires sociales (IGAS).

Sixième recommandation : il faut sensibiliser les magistrats, en particulier ceux de l'ordre administratif. Les juges administratifs ont des difficultés à qualifier des comportements comme relevant expressément de faits de harcèlement sexuel. Ils préfèrent évoquer des « comportements inappropriés » ou des « comportements de nature à justifier une sanction disciplinaire ».

Autre exigence : les magistrats et les forces de sécurité doivent être mieux formés, en particulier en matière d'accueil des victimes. Les policiers et les gendarmes doivent donc bénéficier d'une formation spécifique sur le harcèlement sexuel lors de leur formation initiale, mais aussi en formation continue, afin qu'ils ne refusent plus d'enregistrer une plainte. La loi du 6 août 2012 prévoit en effet de réprimer un ensemble de comportements pour lesquels certaines victimes se voient encore aujourd'hui refuser l'enregistrement de leur plainte.

Il faut également améliorer la prévention et les sanctions dans les entreprises et dans la fonction publique. Malgré les obligations prévues dans la loi du 6 août 2012, peu d'organisations ont mis en place des actions d'information et de prévention. L'enquête de 2014 indique que seuls 18 % des actifs interrogés affirment que leur employeur a mis en place de telles actions. Il s'agit essentiellement des entreprises de grande taille, 91 % des entreprises de moins de dix salariés n'ayant mis en oeuvre aucune action.

Tout employeur public ou privé a pourtant une obligation de sécurité envers ses salariés, notamment via une procédure de recueil des signalements, obligatoire dans les organisations de droit public ou de droit privé d'au moins cinquante agents ou salariés. La loi du 6 août 2012 prévoit également un affichage obligatoire.

Dans la fonction publique, la protection fonctionnelle, c'est-à-dire la protection des agents victimes de harcèlement sexuel ou moral ou de discrimination, n'est pas suffisamment mise en oeuvre, quand elle n'est pas refusée. Souvent, les premiers témoignages ne sont pas pris au sérieux, aucune enquête n'est diligentée.

En outre, lorsqu'une femme harcelée décide d'agir, l'autorité tend encore trop souvent à la déplacer pour la protéger, ce qui l'isole et lui donne l'impression d'être sanctionnée, quand l'auteur des faits reste en place et n'est nullement sanctionné. Dans ces situations, la « protection » accentue en fait la dépréciation de la victime. Il convient donc de rappeler aux organisations publiques ou privées leurs obligations légales et de les aider à mettre en place une politique de prévention. Les partenaires sociaux ont naturellement un rôle majeur à jouer, qu'ils n'assurent encore qu'insuffisamment.

Il faut aussi rappeler aux victimes et aux employeurs que les procédures disciplinaires et pénales sont indépendantes les unes des autres. L'employeur peut, sans attendre l'issue d'une procédure pénale, sanctionner un salarié ; il peut également le faire si l'intéressé a été relaxé. La relaxe signifie, non qu'il n'y a pas de preuves, mais que celles-ci sont insuffisantes au regard de la mise en oeuvre du droit pénal. Une sanction disciplinaire est possible si les comportements en cause sont prohibés par le code du travail et la loi de 1983 422 ( * ) sur la fonction publique.

Ces constats m'amènent à formuler ma septième recommandation : les « fiches réflexes » sur la conduite à tenir dans les situations de harcèlement sexuel dans la fonction publique, actuellement en cours d'élaboration par le Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes, doivent être étendues aux services des ressources humaines des entreprises privées, ainsi qu'aux organisations syndicales.

Ma huitième recommandation concerne l'administration : dans la fonction publique, rappeler aux chefs de service qu'une enquête administrative doit être diligentée dès que des faits de harcèlement sexuel sont signalés, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui. Il faut aussi s'assurer que l'autorité hiérarchique ayant recueilli le signalement en informe systématiquement le chef de service. Des comportements n'étant pas susceptibles d'être qualifiés de harcèlement sexuel pourraient par ailleurs néanmoins être sanctionnés, car contraires au principe déontologique résultant de l'article 25 du statut de la fonction publique.

Le nombre de décisions accordant la protection fonctionnelle aux agents ayant dénoncé des faits de harcèlement sexuel est faible. Or la mise en oeuvre de cette protection dépend de l'accord de l'autorité hiérarchique ; et celle-ci pourra considérer que l'agent n'a pas apporté d'éléments susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement et de faire naître ainsi son obligation. Là réside l'ambiguïté de cette mesure.

Ma neuvième recommandation consiste donc à faire évoluer le droit de la protection fonctionnelle afin de permettre à l'agent de passer outre l'autorité hiérarchique et de s'adresser à une autorité indépendante - au Centre de gestion de la fonction publique territoriale ou à la Direction générale de la fonction publique - pour obtenir cette protection.

Il est par ailleurs indispensable de procéder à une réforme de la reconnaissance de l'imputabilité au service de la maladie ou de l'accident, lorsqu'un agent harcelé est en congé maladie et dans l'incapacité de reprendre ses fonctions, par exemple parce qu'il est atteint de troubles psychiques. L'avis de la commission de réforme consultée n'étant que consultatif, l'employeur est généralement réticent à suivre son avis favorable, lorsque la demande est en lien avec des faits de harcèlement.

C'est l'objet de ma dixième recommandation : la décision de l'employeur doit obligatoirement être conforme à l'avis de la commission de réforme lorsque la maladie résulte de faits de harcèlement reconnus.

Onzième recommandation : les condamnations étant rares - 6 % des cas seulement - les ministères de la Justice et de l'Intérieur doivent réaliser des enquêtes statistiques fines sur le traitement des affaires de harcèlement par la justice et établir notamment des statistiques sur les motifs de clôture des dossiers.

La difficulté pour les victimes de porter plainte est une caractéristique de l'ensemble des infractions sexuelles. Une enquête nationale de 2006 avait montré que seules 10 % des femmes victimes d'un viol ou d'une tentative de rapport forcé au cours des douze derniers mois avaient déposé plainte en 2005, cette proportion n'ayant pas varié depuis.

La difficulté à témoigner est particulièrement grande dans un environnement professionnel, car elle se conjugue avec la peur de perdre son emploi, d'autant plus que, dans trois cas sur dix, les victimes occupent un emploi précaire. En outre, les victimes disposent rarement de preuves, s'agissant de comportements insidieux et cachés. Même en présence de témoins, les éléments matériels manquent, et les faits sont alors insuffisamment caractérisés pour permettre une poursuite pénale. Dans sa mission de contrôle de la déontologie des forces de sécurité, le Défenseur des Droits reçoit des plaintes sur ce point en matière de violences sexuelles et de violences conjugales. Mais on peut imaginer que des griefs similaires nous soient rapportés en matière de harcèlement.

Ma douzième recommandation préconise donc de mener une réflexion approfondie sur l'accueil des victimes dans les commissariats et les gendarmeries et leur prise en charge tout au long du traitement de leur plainte.

De surcroît, les victimes de harcèlement sexuel bénéficient d'un aménagement de la charge de la preuve devant les juridictions civiles et administratives, ce qui facilite les choses. La loi « El Khomri » a en effet aligné le régime probatoire du harcèlement sexuel sur celui des discriminations en général. Cela signifie que le salarié victime ne doit plus établir des faits mais seulement « présenter des éléments de faits ».

S'agissant du caractère probatoire des faits allégués, le Conseil d'État a admis que l'aménagement de la charge de la preuve au profit de la personne qui s'estime victime de discrimination était applicable aux litiges portant sur des faits de harcèlement, dans un arrêt de 2009 423 ( * ) . Il incombe donc à l'administration de démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement 424 ( * ) .

Je rappelle que le Défenseur des Droits est compétent pour traiter les réclamations des victimes dans l'accès à l'emploi, mais aussi aux biens et aux services. Ma treizième recommandation prend en compte cette triple compétence : il faut informer les victimes de harcèlement sexuel que l'aménagement de la charge de la preuve vaut également pour les faits commis lors de l'accès aux biens et aux services - par exemple un logement ou une demande de crédit - car ce point n'est pas suffisamment connu.

Ma quatorzième recommandation porte sur les enregistrements effectués à l'insu des personnes écoutées. Ils sont admis comme mode de preuve par la jurisprudence en matière pénale. Leur recevabilité par les juridictions civiles doit être envisagée dans des cas d'agressions sexuelles et de harcèlement où ils sont parfois le seul moyen pour la victime d'établir la réalité des faits.

La quinzième concerne, plus largement, le lancement d'une réflexion sur les moyens de recueillir et de conserver, en amont d'une procédure judiciaire, les éléments susceptibles de constituer des preuves dans ce type d'affaires.

Comment, enfin, les parquets peuvent-ils engager ou non des poursuites ? Lors des débats qui ont présidé à l'adoption de la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, il avait été mis en exergue le fait que, par le passé, trop d'infractions sexuelles, pouvant aller jusqu'au viol, avaient été poursuivies sous la seule qualification de harcèlement sexuel.

Or, selon l 'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), cette dérive regrettable perdurerait, alors qu'elle va à l'encontre de la volonté du législateur de pénaliser en tant que tels des faits de harcèlement sexuel. Ainsi, dans une décision du 31 juillet 2017, le tribunal de grande instance (TGI) de Paris a condamné l'État pour faute lourde en raison de la mauvaise qualification juridique d'un délit sexuel et de longueurs dans les délais d'enquête, à la suite d'un recours de cette association. Il convient donc d'améliorer l'effectivité de la réponse pénale.

Si la législation actuelle énonce clairement les infractions susceptibles de poursuites, demeure toutefois la difficulté précitée relative à la recevabilité des preuves. Une meilleure formation des magistrats est, à cet égard, nécessaire. Le fait de privilégier le traitement en temps réel de la majorité des plaintes pour harcèlement sexuel s'accorde en outre assez mal avec la complexité des procédures qui s'y appliquent. Peut-être faudrait-il envisager une spécialisation de certaines juridictions ? Cela permettrait de disposer de magistrats experts : il est, en effet, indispensable de prendre le temps d'écouter les victimes.

Annick Billon, présidente . - Merci, monsieur le Défenseur des Droits, pour votre exposé très exhaustif.

La définition du harcèlement sexuel demeure le point d'ancrage pour ester en justice. Dès lors, les différents instruments - législation en matière de preuves et sanctions, mais également campagnes d'information et de prévention - doivent tous tendre à mieux définir ces comportements, pour mieux les prévenir et les sanctionner.

Roland Courteau . - Je suis très surpris par le faible nombre de saisines dont vous faites l'objet en matière de harcèlement sexuel, ce qui me convainc de l'utilité de lancer une ambitieuse campagne de sensibilisation sur ce sujet.

Les chiffres rendus publics aujourd'hui font état d'une augmentation des plaintes pour viol et agression sexuelle d'environ 12 % en 2017. Si la parole se libère, ce dont il convient évidemment de se réjouir, est-ce, selon vous, une conséquence de l'affaire dite Weinstein, qui secoue depuis plusieurs semaines les États-Unis, d'un recul des tabous dans notre société ou le résultat des politiques mises en oeuvre ?

En tout état de cause, ce mouvement ne doit pas s'étioler. Dans ces domaines, en effet, les résultats restent fragiles. À titre d'illustration, après dix ans de lutte contre les violences conjugales, seules 14 % des femmes qui en ont victimes osent porter plainte. C'est dire combien la tâche à accomplir est encore immense !

Il convient par ailleurs, je vous rejoins totalement sur ce point, de renforcer la lutte contre les stéréotypes de genre dès le plus jeune âge, dans les jouets comme en milieu scolaire, et d'améliorer l'éducation sexuelle à l'école. Notre délégation l'a mis en exergue dans plusieurs rapports : les inégalités entre les hommes et les femmes, qui peuvent conduire, dans les cas les plus graves, à des situations de menace physique, psychologique ou sexuelle, s'imposent dès le plus jeune âge. Dans ce cadre, une meilleure formation initiale et contenue des enseignants sur ces sujets est indispensable. Or, bien que prévue par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, elle est encore trop souvent basée sur le volontariat, tandis que son niveau laisse à désirer.

Laure Darcos . - Les stéréotypes de genre, s'ils se construisent effectivement dès l'enfance, dépendent aussi dans une large mesure de l'éducation dispensée au sein des familles. À elles donc, avant tout, d'oeuvrer au changement des mentalités !

Les plaintes pour agressions sexuelles ont considérablement augmenté au cours de l'année 2017, cela a été mentionné. Surtout, elles ont enregistré une croissance de 31 % au quatrième semestre, ce qui tend à montrer le lien avec l'actualité.

Je m'interroge sur les responsabilités qui, d'un point de vue juridique, peuvent être imputées à l'entourage d'une victime, notamment, dans le cadre professionnel, aux représentants du personnel, lorsqu'ils ont connaissance d'un cas de harcèlement ou d'agression. J'ai pu assister à un jeu de rôle organisé par l' AVFT à l'université Paris-sud, qui mettait en scène une telle situation : lorsque la victime avait fait état de ses difficultés à son syndicat, celui-ci avait refusé d'intervenir, ce qui avait choqué les participants. Les organisations représentatives du personnel ont évidemment un rôle à jouer en matière de prévention et de défense des salariés victimes de ce type de comportements. On peut dresser un parallèle avec la récente décision du ministre de l'Éducation nationale de radier plusieurs fonctionnaires et contractuels concernés par des affaires de pédophilie.

De manière générale, s'agissant des violences faites aux femmes, les problématiques sont très spécifiques en milieu rural. En Essonne, j'ai assisté aux travaux d'un groupe de parole rassemblant des femmes d'agriculteurs ou de maires ruraux sur le sujet des délits sexuels. Ces femmes ignorent souvent vers quelle structure se tourner car, dans ces territoires, en raison du faible nombre d'habitants, la pression sociale est extrêmement forte. Ne serait-il pas envisageable de leur permettre de déposer plainte dans des lieux leur garantissant l'anonymat ?

Marc Laménie . - S'agissant du maillage du territoire par votre institution, disposez-vous de relais dans chaque département ?

Au-delà du harcèlement, j'aimerais également connaître votre sentiment sur l'état, en France, du mal-être au travail. Le phénomène a fait l'objet de nombreux travaux, dont il est difficile de tirer une conclusion générale.

Céline Boulay-Espéronnier . - L'actualité nous offre, depuis quelques semaines, l'occasion de multiples témoignages et statistiques sur le harcèlement sexuel. Il apparaît notamment que 70 % des actifs estiment malaisé d'identifier avec certitude un cas de harcèlement. C'est dire, comme vous le releviez, l'importance de l'information sur ces sujets !

Parmi les différentes définitions que vous avez données du harcèlement, je n'ai nullement entendu de référence à la domination que le harceleur exerce, dans le milieu professionnel par exemple, sur la victime. J'aimerais que vous m'éclairiez sur ce point.

Comme ma collègue Laure Darcos, je m'interroge sur la responsabilité juridique de l'entourage professionnel d'une victime, qui n'aurait pas dénoncé des faits de harcèlement ou d'agression dont il aurait été témoin.

Christine Prunaud . - Je suis convaincue de l'utilité de lutter contre les stéréotypes de genre en milieu scolaire. À cet effet, de nombreuses associations oeuvrent dans les établissements, dans le cadre de partenariats avec le ministère de l'Éducation nationale. Il demeure cependant difficile d'en évaluer les résultats. Vous avez parlé de la nécessité de l'éducation à la sexualité prévue par le code de l'éducation. Cette exigence rejoint les principes sur lesquels étaient fondés les ABCD de l'égalité. Comment peut-on procéder pour rendre ces séances effectives ?

La prévention du harcèlement est essentielle dans les entreprises également, y compris dans celles de taille modeste. Or, dans mon département, il me semble que rien ne soit réellement réalisé dans ce domaine. L'information des employeurs sur leurs obligations en matière de harcèlement sexuel devrait pourtant constituer une priorité.

Annick Billon, présidente . - La fusion des instances représentatives du personnel prévue par les ordonnances ne peut-elle faire craindre que le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), compétent pour interpeller les employeurs et demander des enquêtes en matière de sexisme et de harcèlement sexuel, ne soit affaibli dans cette prérogative ?

Victoire Jasmin . - Il est incohérent que les ordonnances relatives au code du travail aient contraint le champ d'action des syndicats alors que, dans le même temps, nous leur enjoignons de signaler plus systématiquement les cas de harcèlement et de renforcer l'accompagnement des victimes.

Dans les départements d'Outre-mer, les femmes subissent un taux de chômage élevé ; lorsqu'elles sont victimes de harcèlement, elles sont donc hésitantes à déposer plainte. Des enquêtes approfondies sur le taux de plaintes sont donc indispensables.

Enfin, pour améliorer la prévention réalisée auprès des élèves par l'Éducation nationale, il conviendrait d'évaluer l'efficacité des actions d'ores et déjà mises en oeuvre et de faire en sorte que toutes les personnes qui contribuent à cette éducation soit formées.

Jacques Toubon. - S'agissant de la définition du harcèlement sexuel qui figure au code pénal, elle comporte à la fois le verbe « imposer » et le mot « pouvoir », ce qui montre que la « supériorité » du harceleur sur la victime - qui n'implique d'ailleurs pas de lien hiérarchique - est une composante de la définition du harcèlement sexuel.

Monsieur Laménie, le Défenseur des Droits dispose de 500 délégués territoriaux dans les départements métropolitains et ultramarins. Ils traitent directement 80 % des 90 000 dossiers annuels et transmettent les plus délicats au siège parisien de l'institution.

Nous avons effectivement constaté, en 2017, une augmentation des plaintes pour motif sexuel, dont les causes sont multiples. J'espère qu'il ne s'agira pas que d'un « feu de paille » médiatique ; trop souvent une actualité chasse l'autre. Aux pouvoirs publics de s'emparer du sujet et de le maintenir à l'ordre du jour pour le faire progresser.

La loi de 2001 sur l'éducation à la sexualité n'est pas correctement appliquée et les problèmes systémiques ne sont pas traités. Nous devons travailler plus étroitement avec le ministère de l'Éducation nationale sur ce point : vous l'avez tous rappelé, la lutte en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes et contre le harcèlement doit débuter dès le plus jeune âge, au moment où se construisent les représentations sociétales et sociales des enfants.

Il est encore trop tôt, madame la présidente, pour juger des conséquences de la mise en oeuvre de la réforme du CHSCT en matière de lutte contre le harcèlement sexuel en milieu professionnel. Pour ma part, je ne suis pas certain qu'il faille s'en inquiéter : elle pourrait conduire, et cela est positif, l'ensemble des membres du nouvel organe à se saisir du dossier de manière efficace, en ne traitant pas la question uniquement sous l'angle de la santé au travail.

Pour conclure, sauf en ce qui concerne l'éventuelle harmonisation de la définition actuelle du harcèlement sexuel avec celle de la loi sur la discrimination, je pense que la législation française en matière de lutte contre les délits sexuels est satisfaisante. Elle mériterait toutefois d'être plus systématiquement appliquée. À cet égard, souhaitons que l'actualité de ces derniers mois conduise à de profondes et durables évolutions des comportements et des rapports sociaux.

Annick Billon, présidente . - Ce débat nous renvoie plus largement à la place des femmes dans notre société et aux outils qu'il convient de développer pour renforcer l'égalité entre les femmes et les hommes. Merci à tous pour ces fructueux échanges.

Audition de Marylin Baldeck, déléguée générale de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail

(31 janvier 2018)

Présidence d'Annick Billon, présidente

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, dans le cadre de nos travaux sur les violences sexuelles, nous recevons ce matin Mme Marilyn Baldeck, déléguée générale de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail ( AVFT ). Mme Baldeck est accompagnée de Mme Léa Scarpel.

Cette audition s'inscrit dans le cadre de nos travaux sur les violences sexuelles, en lien avec la préparation du projet de loi annoncé par le Gouvernement.

L' AVFT est l'association de référence en ce qui concerne la prise en charge des victimes de harcèlement sexuel, mais aussi, plus généralement, de toutes les violences sexuelles dont les femmes peuvent être victimes au travail.

Ses statuts précisent ainsi que cette association « a pour champ d'action et de réflexion la lutte contre toutes les formes de violences contre les femmes tout en étant spécialisée dans la dénonciation des discriminations sexistes et des violences sexistes et sexuelles au travail 425 ( * ) ».

Marilyn Baldeck, Sandrine Rousseau, que nous avons entendue le 17 janvier, vous présente dans son livre, Parler , comme « une actrice incontournable sur le sujet, excellente juriste, fine connaisseuse des questions de violence, celle qui fait discrètement avancer la jurisprudence en matière de violences faites aux femmes ».

Pourriez-vous nous présenter votre association : quels sont ses missions, ses outils, ses moyens ? Quel bilan dressez-vous de l'action menée depuis la création de l' AVFT en 1985 ?

L'association a connu une hausse sensible des sollicitations à la suite de l'affaire Baupin en 2016. Vous écrivez, dans la postface du livre de Sandrine Rousseau, qu'un an après l'affaire Baupin il était difficile de trouver une place dans vos locaux pour poser son manteau, et encore plus difficile d'y trouver « un interstice sur une étagère pour y ranger un nouveau dossier ».

Je ne doute pas que la libération de la parole, dans le sillage de l'affaire Weinstein, a eu des conséquences comparables. Pouvez-vous nous donner des ordres de grandeur de cette hausse du nombre de sollicitations que vous avez reçues depuis l'automne ?

Quelles ont été les principales difficultés auxquelles votre équipe s'est heurtée pour faire face à l'augmentation de la charge de travail qui en est résulté pour vous ? Avez-vous pu proposer des solutions aux femmes que vous n'avez pas été en mesure d'accompagner ?

-Autre question : avez-vous constaté une plus grande mobilisation des entreprises et des syndicats sur la prévention du harcèlement et du sexisme au travail ?

Que convient-il de faire selon vous pour améliorer :

- la protection et la prise en charge des femmes victimes de harcèlement sexuel ?

- la réponse pénale aux faits de harcèlement sexuel ?

- la prévention du harcèlement sexuel ?

Plus généralement, au regard de votre expérience, quels sont selon vous les « angles morts » de la législation sur le harcèlement : estimez-vous que l'arsenal actuel est complet et adapté, notamment depuis la réforme de la définition du harcèlement sexuel dans la loi de 2012 426 ( * ) ?

Le Haut conseil à l'égalité est d'avis d'adapter la définition légale du harcèlement pour permettre la sanction des « raids » qui sont pratiqués par les « cyber-harceleurs ». Qu'en pensez-vous ?

Qu'en est-il aussi de l'agissement sexiste depuis son introduction dans le code du travail par l'article 20 de la loi du 17 août 2015 427 ( * ) (à l'initiative, je le rappelle, de plusieurs membres de notre délégation) ? Avez-vous déjà eu l'occasion de mobiliser cette disposition législative pour traiter certaines affaires ? Quelle est sa portée effective 428 ( * ) ? On constate que beaucoup de juristes ne l'ont pas vraiment intégrée. Nous avons d'ailleurs fait une recommandation dans un de nos rapports pour que cette notion soit mieux connue des juristes 429 ( * ) .

En outre, nous nous interrogeons sur les conséquences éventuelles de la disparition des Comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et des délégués du personnel prévue par les ordonnances, pour ce qui concerne la prévention du sexisme dans l'entreprise. Ne peut-on craindre, en effet, que le CHSCT, qui peut interpeller les employeurs et demander des enquêtes en matière de sexisme et de harcèlement sexuel 430 ( * ) , ne soit affaibli dans cette prérogative à travers la fusion des instances représentatives du personnel ?

Nous comptons sur vous pour nous apporter des éléments de réponse sur ces nombreuses interrogations, ainsi que, le cas échéant, sur d'autres points que je n'aurais pas évoqués et qui vous sembleraient très importants.

À l'issue de votre présentation, les membres de la délégation feront part de leurs réactions et ne manqueront pas de vous poser des questions.

Je vous remercie pour votre présence et je vous laisse sans plus tarder la parole.

Marilyn Baldeck, déléguée générale de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail . - Je vous remercie pour votre invitation et pour vos propos positifs sur notre action. Je voudrais associer à ces compliments mes collègues de l'association, sans qui nous ne pourrions pas fonctionner, dont certaines sont présentes aujourd'hui : Léa Scarpel, Clémence Joz et Margaux Dalstein-Jidkoff.

Vous m'avez effectivement interrogée sur un grand nombre de sujets et je m'efforcerai de répondre au maximum d'entre eux. J'ai structuré mon intervention en trois parties, en laissant délibérément de côté les questions qui sont plus périphériques à l'objet social de l' AVFT (cyber-harcèlement et outrage sexiste), mais nous pourrons y revenir pendant les questions.

Dans la première partie de mon intervention, je répondrai à la problématique de l'adaptation de notre association à l'augmentation de sa charge de travail. C'est une question d'actualité. Vous me recevez dans un moment particulier de la vie de l' AVFT , puisque nous avons décidé lundi de fermer notre accueil téléphonique jusqu'à nouvel ordre, car nous ne pouvons plus faire face à l'afflux des nouvelles demandes. Nous avons publié un communiqué en ce sens ce matin pour nous en expliquer.

Depuis de nombreuses années, l' AVFT fait face à des demandes toujours plus nombreuses, qu'elle se trouve malheureusement de moins en moins en mesure de satisfaire. Nous avions déjà tiré la sonnette d'alarme en 2014, en évoquant un véritable « tonneau des Danaïdes », mais nous n'avions pas été entendues. Nous manquons de moyens, mais l'association n'est pas seule dans cette situation. C'est le cas de l'ensemble des structures et institutions publiques qui accompagnent, soutiennent, orientent, conseillent et défendent les femmes victimes de violences dans leur parcours judiciaire.

En 2014, nous avions communiqué sur la réalité de notre travail. Nous devons en effet sans cesse remettre le métier sur l'ouvrage pour faire comprendre que l' AVFT n'est pas une permanence téléphonique, mais une association de défense des victimes, et que l'essentiel du travail commence à partir du moment où nous avons raccroché le téléphone, même si ce premier contact téléphonique est déjà très important et demande des compétences bien précises. Nous savons d'ailleurs que la fermeture de notre accueil téléphonique ce matin ne sera pas synonyme de recul de la charge de travail, en tout cas pas dans l'immédiat. À l' AVFT , derrière un « entretien téléphonique », il y a un processus qui consiste à transformer la parole de la victime, elle n'a souvent que cela quand elle nous appelle, en procédure judiciaire. C'est cela qui prend beaucoup de temps et implique de nombreuses démarches, qui vont du recueil précis des agissements dénoncés et de la reconstitution de leur chronologie au rassemblement des éléments de preuve, en passant par la mise en contact avec d'autres professionnels, des recherches juridiques, une réflexion sur une stratégie judiciaire, la sécurisation de la rupture du contrat de travail (quasi inévitable dans nos dossiers), la rédaction de lettres à l'employeur, au parquet, la constitution le cas échéant d'un dossier d'aide juridictionnelle pour celles qui ne sont pas en mesure de le faire ou que leur traumatisme empêche de le faire et bien d'autres choses encore qui sont énumérées dans notre communiqué de presse de mars 2014.

Le Défenseur des Droits, qui est un acteur de la lutte contre le harcèlement sexuel, va prochainement lancer une campagne d'information à destination des victimes et va les inciter à le saisir, ce qui est une très bonne chose. Mais par exemple, pour l' AVFT , orienter une victime vers le Défenseur des Droits présuppose la constitution d'un dossier, souvent composé d'une dizaine de pièces, Ainsi, pour nous, même l'orientation des victimes vers d'autres acteurs représente un gros travail.

En 2014, nous avions« crié dans le désert », notre alerte ne suscitant pas la moindre réaction des pouvoirs publics. Nous avions décidé de ne plus ouvrir de nouveaux dossiers pendant sept mois afin de pouvoir travailler sur les dossiers en cours.

Jusqu'en août 2015, notre situation s'est plus ou moins stabilisée. Mais à cette époque nous avons renoncé à remplacer une salariée ayant quitté l'association pour retrouver notre équilibre budgétaire. Le nombre de juristes salariées de l'association est passé de cinq à quatre.

Quelques mois plus tard a éclaté l'affaire Baupin, qui a mis la question du harcèlement sexuel au travail à l'agenda médiatique. Dans la foulée, nous avons dû faire face à une multiplication par trois du nombre de saisines entre mai 2016 et fin 2016. En janvier 2017, après un documentaire sur le harcèlement sexuel à la télévision qui a connu une très bonne audience, et dans lequel était présentée l'action de notre association, nous avons de nouveau constaté une forte hausse des appels. Enfin, avec l'affaire Weinstein, le mouvement #Metoo et la diffusion d'un nouveau documentaire sur le service public qui met également en lumière l' AVFT et a lui aussi réalisé une très bonne audience, nous avons connu une nouvelle « flambée » des appels.

Alors que le nombre de dossiers qui nous parviennent a été multiplié par deux entre 2015 et 2017, nos effectifs et les subventions publiques dont nous bénéficions sont restés stables depuis treize ans. La subvention étatique dont nous bénéficions, dans le cadre de « Conventions Pluriannuelles d'Objectifs », a même baissé, puisqu'elle était de 245 000 euros annuels jusqu'en 2011, année où elle est passée à 230 000 euros, pour être rehaussée à 235 000 euros en mai 2012.

Dès lors, quelle alternative proposer à ces victimes que nous ne pouvons plus accueillir ? Il n'est pas aisé de les réorienter vers d'autres associations, car ces dernières sont tout aussi débordées que nous, et pas forcément spécialisées dans l'accès à la justice et la défense des victimes de violences sexuelles au travail.

Sur le plan institutionnel, notre expérience est que cela ne fonctionne pas ou alors beaucoup moins bien si notre réorientation n'est pas précédée d'un travail de l'association de mise en récit de la parole de la victime et de constitution d'un premier dossier, que les victimes soient réorientées vers la police ou la gendarmerie, le Défenseur des Droits ou l'Inspection du travail.

Il est par exemple très difficile pour l'Inspection du travail, dont les effectifs n'ont cessé de baisser ces dernières années et qui n'est pas ou plus formée à agir en matière de harcèlement sexuel au travail, de traiter un dossier face à une victime dissociée, dont l'état psychologique sera peu compatible avec la rigueur nécessaire à l'engagement de procédures, même non judiciaires. Le travail de « facilitation » de l' AVFT est souvent indispensable.

Au bout du compte, les victimes que nous tentons de réorienter rappellent bien souvent l'association...

Qu'en est-il des avocats ? Il faut savoir que la grande majorité du public qui nous contacte relève de l'aide juridictionnelle (AJ). Ce qui est souvent ignoré, c'est que l'essentiel du travail d'un avocat dans une procédure judiciaire, plus particulièrement une procédure prud'homale ou administrative, n'est pas couvert par l'AJ, dont le montant est déjà dérisoire : la constitution du récit, la rédaction de la plainte, les courriers à l'employeur, la collecte des éléments de preuve, les rendez-vous, parfois nombreux, avec les clientes - précisément ce que fait l' AVFT . Or les politiques publiques visant à favoriser l'accès des femmes victimes de violences à la justice ne peuvent reposer à ce point sur le bénévolat des avocats, qui, dans ces dossiers, sont bien souvent des avocates. Il est exact qu'il est difficile de trouver des cabinets compétents qui acceptent de prendre ces dossiers complexes et chronophages à l'AJ, mais je ne jetterai surtout pas la pierre à ces petits cabinets militants qui ne refusent l'AJ que parce que leur équilibre économique serait en danger

En conclusion, nous nous heurtons à l'éternelle question des moyens et de la volonté politique.

Le deuxième point de mon intervention concerne l'adaptation du droit pénal à la lutte effective contre le harcèlement sexuel au travail.

Si l'arsenal législatif actuel est grosso modo satisfaisant, la réponse pénale est loin de l'être. Le rapport des députés Pascale Crozon et Guy Geoffroy sur l'application de la loi du 6 août 2012 431 ( * ) , publié en novembre 2016 432 ( * ) , mentionne un taux de 93,7 % de plaintes classées sans suite.

Ce taux est souvent justifié par l'argument selon lequel, dans ces affaires, on manquerait de preuves et qu'on serait dans une situation du type « la parole de l'un contre la parole de l'autre », qui rendrait toute condamnation impossible. Or dans un grand nombre de dossiers dans lesquels on nous oppose que c'est « parole contre parole », l'enquête pénale a été bâclée. Il n'est en effet pas étonnant de manquer de preuves lorsqu'une enquête a démarré six mois après la plainte, a duré deux ans, et au cours de laquelle seule une partie des actes d'enquête pertinents est réalisée. Les preuves - ce fameux faisceau d'indices graves et concordants - ne sont pas impossibles à trouver. Mais il faut se donner les moyens de les chercher.

Par ailleurs, la preuve par « faisceau d'indices graves et concordants » en matière pénale, qui est théoriquement la règle, est diversement appliquée. Il peut en effet être bon de se demander ce que doit être une preuve pénale en matière de violences sexuelles : un ou plusieurs témoignages directs ? La présence d'ADN ? Si c'est cela que la justice recherche, c'est perdu d'avance pour les victimes. Dans nos dossiers, par exemple, il est déjà arrivé que des juges écartent l'existence d'autres victimes dénonçant des agissements similaires dans des circonstances comparables comme élément de preuve.

Par ailleurs, je peux vous assurer qu'il existe des dossiers dans lesquels nous disposons de nombreuses preuves consistantes, comme des centaines de SMS, de mails, de mots manuscrits glissés dans une boîte à lettre (impliquant que le harceleur s'est rendu jusque chez sa victime) - de messages avec des menaces de viol... qui font quand même l'objet de classements sans suites du parquet, au nom du principe d'opportunité des poursuites, qui permet de moduler la politique pénale de l'État.

Ceci pose en effet la question des priorités de politique pénale. Les parquets font le tri des affaires parce qu'il y a là encore trop de dossiers à traiter et pas assez de temps ni de moyens. Malheureusement, cet arbitrage ne se fait pas en faveur des victimes de harcèlement sexuel.

J'en viens à la question de la qualification des violences sexuelles dans le contentieux pénal, en écartant la question de la correctionnalisation des viols, que vous ne connaissez que trop bien ; c'est un problème récurrent. Laure Ignace, une de mes collègues, a mené une étude portant sur trente-quatre dossiers et a constaté que six de ces affaires relevaient en réalité, non pas de harcèlement sexuel, mais d'agressions sexuelles caractérisées, voire de tentatives de viol.

Je rappelle que la définition du harcèlement sexuel prévue par l'article 222-33 du code pénal depuis l'adoption de la loi du 6 août 2012 contient deux volets : le premier caractérise le harcèlement sexuel par le fait d'imposer à une personne de façon répétée des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

Le second volet assimile le harcèlement sexuel au fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

Au moment de l'adoption de la loi du 6 août 2012 sur le harcèlement sexuel, nous avions beaucoup critiqué ce second volet en soulignant qu'il risquerait d'accentuer la tendance des parquets à requalifier des agressions sexuelles en actes de harcèlement sexuel, avec des peines moins lourdes à la clé.

Et comme nous l'avions anticipé, c'est l'alinéa II de l'article 222-33 du code pénal qui est utilisé par les magistrats pour déqualifier des agressions sexuelles en harcèlement sexuel.

Alertée par l' AVFT , la Chancellerie avait, par voie de circulaire pénale du 7 août 2012, rappelé aux magistrats qu'ils ont non seulement le pouvoir mais également l'obligation de restituer aux faits leur exacte qualification, en vertu du principe de la saisine in rem des juridictions.

Dans un dossier où le parquet avait mal qualifié les faits et refusait de les requalifier en agressions sexuelles 433 ( * ) - tout comme le tribunal correctionnel -, nous avons décidé, aux termes d'une procédure judiciaire particulièrement longue, de lancer une action en responsabilité contre l'État pour dysfonctionnements des services de police et de justice, afin de demander l'indemnisation du préjudice de notre victime. Le TGI de Paris a condamné l'État pour faute lourde, dans un arrêt du 31 juillet 2017, tant du fait de la mauvaise qualification juridique que des délais d'enquête anormalement longs. L'État n'a pas relevé appel de ce jugement. C'est une décision importante.

Sur la question de la définition du harcèlement dans le code pénal, nous pensons qu'il y a des pistes d'amélioration à envisager. Vous pourriez par exemple vous intéresser à la définition du « consentement » en matière sexuelle, véritable « angle mort » de notre législation actuelle, à la différence de plusieurs autres pays. Sur ce point, je rappelle qu'aux termes de l'alinéa 2 de l'article 36 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d'Istanbul, « le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ».

La Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) a par ailleurs condamné la Bulgarie en 2003 par une décision dans laquelle elle indique qu'en aucun cas le défaut de consentement ne doit se déduire d'une résistance physique de la victime.

Nous pensons donc que la France ne répond pas aux exigences européennes à cet égard.

Dernier point, la question du droit du travail, qui est très important en matière de harcèlement sexuel. Compte tenu du taux de classements sans suite déjà cité au pénal, c'est plutôt devant les conseils de prud'hommes que les victimes de harcèlement sexuel au travail peuvent faire valoir leurs droits de manière effective. Il est donc important que les procédures sociales fonctionnent bien, sans que cela signifie qu'il faut abandonner la voie pénale, car il faut agir sur tous les fronts et que les troubles à l'ordre public soient sanctionnés.

Ce sont donc bien les conseils de prud'hommes qui pour l'essentiel établissent les faits de harcèlement sexuel et ordonnent la réparation par l'employeur des préjudices des victimes. C'est la raison pour laquelle l' AVFT porte une attention toute particulière aux évolutions du droit du travail. À cet égard, nous avons accueilli avec circonspection - c'est un euphémisme - certaines des modifications apportées par les récentes réformes du code du travail.

C'est d'autant plus regrettable que depuis quelques années, l' AVFT , le Défenseur des Droits et quelques cabinets d'avocats spécialisés accomplissent un travail considérable pour faire évoluer favorablement la jurisprudence en faveur des victimes de harcèlement sexuel, et que, dans une certaine mesure, ces efforts ont été couronnés de succès.

Je citerai à cet égard un arrêt de février 2017 qui consacre en droit du travail la notion de harcèlement sexuel dit « environnemental ». Cela signifie que le harcèlement sexuel est reconnu lorsqu'une salariée est confrontée à un environnement de travail empreint de commentaires sexuels, d'images à caractère pornographique ou encore de commentaires dégradants sur les femmes, sans pour autant qu'une salariée ne soit explicitement visée. Nous menions ce combat depuis plusieurs années.

Dans ce dossier, le conseil des prud'hommes - juridiction paritaire composée de salariés et d'employeurs - nous avait donné raison dès la première instance. Mais pour optimiser les chances que cette décision soit confirmée par la cour d'appel d'Orléans, nous avons saisi le Défenseur des Droits pour lui demander s'il partageait notre point de vue.

Ainsi, c'est forte de l'avis du Défenseur des Droits confirmant la notion de harcèlement sexuel environnemental que la cour d'appel d'Orléans a rendu un arrêt de principe en reconnaissant que le harcèlement sexuel ne se limite pas à des pressions sexuelles sur une personne, mais peut recouvrir un champ beaucoup plus vaste.

Nous avons également obtenu un arrêt du 17 mai 2017 - l'année 2017 s'est avérée fructueuse sur le plan de l'élargissement du spectre de la définition du harcèlement sexuel en droit du travail - établissant qu'un acte unique suffit à caractériser le harcèlement sexuel - la répétition n'est donc pas nécessairement exigée -, y compris lorsqu'il n'y a pas d'exercice de pressions graves et lorsqu'il n'y a pas l'intention de la part de l'auteur d'obtenir un acte de nature sexuelle.

La Cour de cassation considère donc que le harcèlement sexuel peut être caractérisé par un acte unique et laisse à la libre appréciation des juges du fond le point de savoir dans quelles circonstances un acte unique est suffisant pour prononcer la condamnation civile d'un employeur pour harcèlement sexuel. Cet arrêt a fait grand bruit et a été commenté à de multiples reprises dans les revues juridiques, ce qui permet aussi que notre travail profite à d'autres. En effet, ce sont autant d'avocats qui peuvent se fonder sur cet arrêt pour défendre leurs clientes.

Nous avons aussi obtenu une décision de justice, première dans les annales judiciaires, condamnant solidairement pour harcèlement sexuel deux employeurs, le donneur d'ordre, un palace parisien et une entreprise sous-traitante en charge du nettoyage de l'hôtel, dans le cadre d'une agression sexuelle d'une femme de chambre par un client ; sa fuite vers le Qatar avait été facilitée et organisée avant que la police ne puisse procéder à son interpellation, ainsi que l'a prouvé l'enquête pénale.

Rodée aux procédures concernant les salariés de droit privé, l'équipe de l' AVFT s'est plus récemment formée à la mise en cause de la responsabilité de l'employeur public devant les tribunaux administratifs, ce qui nous permet désormais de mieux répondre aux agentes de droit public victimes de violences sexuelles. La qualité d'employeur public, y compris quand il s'agit de l'État, aurait permis d'en attendre une grande exemplarité mais force est de constater que ceux-ci ne sont pas irréprochables et nous allons de surprise en surprise !

Je ne résiste pas à la lecture de l'extrait d'un mémoire produit en défense devant le tribunal administratif dans un dossier de harcèlement sexuel en octobre 2017 par un ministère : « Les plaisanteries graveleuses, aussi regrettables soient-elles, interviennent dans un contexte particulier, celui d'une unité de terrain dont les missions sont particulièrement difficiles, dont le mode de fonctionnement favorise la promiscuité, et composée jusqu'alors exclusivement d'effectifs masculins. Les profondes mutations intervenues ces dernières années ont modifié les codes et les comportements des agents qui, pour certains, n'ont pas encore totalement assimilé ces évolutions sans pour autant que la maladresse dont ils peuvent parfois faire montre suffise à caractériser le harcèlement ».

Il s'agit d'un mémoire en défense du ministère de l'Intérieur concernant le dossier d'une policière, produit en octobre 2017 alors que le battage médiatique autour de l'affaire Weinstein faisait grand bruit.

Or l'État doit faire montre d'une plus grande exemplarité, d'autant que cette policière, membre d'une Compagnie républicaine de sécurité (CRS), ajoutait qu'elle craignait bien plus les pauses à la caserne que les opérations parfois dangereuses auxquelles elle pouvait participer.

Les travaux législatifs portant sur la réforme du droit du travail ont été engagés depuis des années et l' AVFT aurait souhaité que le Parlement fasse preuve de davantage de pugnacité lors de l'examen des dispositions concernant spécifiquement le harcèlement sexuel au travail. Nous avons en effet regretté que certains correctifs n'aient pas été apportés, par exemple sur la question de la prescription.

En effet, si le délai de prescription est passé de trois à six ans pour les délits, considérant qu'il faut du temps aux victimes de harcèlement sexuel pour porter plainte, en parallèle, le délai pour attaquer l'employeur en cas de rupture du contrat de travail s'est effondré. La volonté de réduire le délai de prescription pour contester un licenciement ne date pas des ordonnances travail. Ce délai a en effet été réduit de manière vertigineuse ces dix dernières années. Jusqu'en juin 2008, les salarié-es avaient trente ans pour contester leur licenciement. La loi du 17 juin 2008 a divisé ce délai par six pour le ramener à cinq ans. Puis la loi du 14 juin 2013 a encore divisé ce délai, ramené à deux ans. Depuis le 22 septembre 2017, date d'entrée en vigueur des ordonnances, ce délai est à nouveau divisé par deux. L'article 1471-1 (alinéa 2) du Code du travail dispose désormais : « Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture ».

L'article précité ne prévoit aucune dérogation, même en cas de harcèlement sexuel ou de discrimination.

Or l'article L. 1134-5 du code du travail dispose que le délai est de cinq ans en cas de contestation d'un acte discriminatoire. De notre point de vue, le licenciement intervenu à l'encontre d'un-e salarié-e ayant subi, refusé de subir, relaté ou témoigné de faits de harcèlement sexuel est un acte discriminatoire qui devrait pouvoir être contesté pendant cinq ans. C'est également la position du Défenseur des Droits.

Faute d'une dérogation explicite dans le code du travail, le délai de prescription applicable fera l'objet de débats âpres et insécurisants pour les victimes devant les conseils de prud'hommes.

Votre assemblée aurait pu proposer une clarification.

De surcroît, l' AVFT milite depuis 2013 pour que le montant de l'indemnisation des victimes de discrimination au travail soit au moins égale à douze mois de salaire. Cette revendication est née d'une étude que nous avons réalisée sur les montants des indemnisations versées aux victimes de harcèlement sexuel licenciées après avoir dénoncé les faits dont elles avaient été l'objet : nous nous sommes alors aperçues que les victimes conseillées et aidées par l' AVFT étaient beaucoup mieux indemnisées par les conseils de prud'hommes que celles qui ne l'étaient pas.

Selon nous, ces disparités s'expliquent par la qualité du dossier constitué en amont par l' AVFT , par l'orientation des salariées vers des cabinets d'avocats compétents, mais également par l'intervention de l'association dans les procédures, qui présente des observations orales et écrites auprès des juridictions, en soutien des demandes des salariées. Ce travail continu depuis des années porte ses fruits : nous dépassons souvent très largement le minimum d'indemnisation, de six mois de salaire, et obtenons régulièrement la condamnation de l'employeur à verser l'équivalent de douze mois de salaire, voire beaucoup plus pour des salariées ayant une ancienneté significative au sein de l'entreprise.

Ce niveau d'indemnisation qui assure aux victimes une meilleure prise en charge des préjudices, mais encourage aussi les employeurs à respecter leurs obligations de prévention, doit, selon l'AVFT, bénéficier à toutes les victimes dans une démarche d'harmonisation.

Cette proposition a fait l'objet d'un amendement lors de l'examen du projet de loi sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes en 2014 434 ( * ) , qui a été adopté et voté, avant d'être censuré par le Conseil constitutionnel au motif d'un dépôt trop tardif, sans que le fond de l'amendement ne soit cependant contesté.

Par la suite, cette disposition intégrée dans un autre véhicule législatif lors de l'examen de la loi « El Khomri » 435 ( * ) a de nouveau été abrogée par ordonnance, puis proposée sous la forme d'un nouvel amendement, avant d'être finalement rejetée par le Sénat sur avis défavorable du Gouvernement.

L'indemnisation constitue un point crucial pour l' AVFT , d'autant plus que six mois de salaire ne correspondent somme toute qu'à 14 000 euros pour une employée licenciée payée au SMIC, autant dire pas grand-chose !

Nous continuerons à défendre cette revendication d'autant plus que le harcèlement sexuel demeure la seule violence sexuelle dans le code du travail qui ne peut pas être indemnisée par la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI). Il est donc primordial pour les victimes d'être indemnisées lorsqu'elles s'engagent dans une procédure sociale.

En outre, les ordonnances « travail » comportent une disposition relative à la pluralité des motifs du licenciement dont nous ne comprenons pas l'intérêt, même du seul point de vue patronal, aux fins de diminuer l'indemnisation.

En effet, la Cour de cassation martèle depuis plusieurs années que le licenciement d'une salariée pour dénonciation de faits de harcèlement sexuel est nul de plein droit, sauf à ce que l'employeur puisse démontrer la fausseté de ces allégations, et ce, quand bien même d'autres motifs de licenciement auraient été mentionnés dans la lettre de licenciement. Ces motifs complémentaires n'ont alors même pas à être examinés par le juge au regard de la gravité des faits de harcèlement.

Cette disposition contestée des ordonnances revient sur cette jurisprudence, juste et constante, de la chambre sociale de la Cour de cassation, alors que les licenciements intervenus pour avoir dénoncé des faits de harcèlement sexuel sont assez rares, les employeurs usant d'autres motifs pour licencier ces salariées ; aussi l'intérêt patronal de cette disposition est minime et nous ne comprenons donc pas ce qui la motive réellement.

Cette évolution législative nous désole d'autant plus que c'est la première fois depuis quinze ans que l' AVFT n'a été consultée ni par le Gouvernement, ni par les commissions des deux assemblées, alors qu'elle l'était systématiquement dès qu'un projet de loi touchait de près ou de loin à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail.

Devoir clore mon exposé sur cette remarque me désole !

Annick Billon, présidente . - Je vous remercie de la précision de vos propos. Le tableau que vous nous avez dressé n'est guère réjouissant compte tenu de l'augmentation des affaires que vous devez traiter au regard des insuffisants moyens financiers et humains qui vous sont alloués.

Si le Président de la République a porté au rang de « grande cause nationale » du quinquennat l'égalité entre les femmes et les hommes, et donc aussi la lutte contre les violences faites aux femmes, votre intervention démontre qu'il faudrait affecter des moyens plus importants pour obtenir des avancées sur ces sujets.

Les chiffres relatifs à la réponse pénale que vous citez corroborent ceux que nous a indiqués le Défenseur des Droits, Jacques Toubon, lors de son audition par la délégation la semaine dernière.

Je retiens cependant l'évolution positive que constitue l'élargissement de la jurisprudence à la notion de harcèlement environnemental, et ce, grâce à l' AVFT ; je déplore que vous remplissiez ce que je qualifierais de « mission de service public » sans disposer de moyens suffisants au regard du nombre toujours plus important des victimes qui sollicitent votre assistance.

Roland Courteau . - J'aimerais revenir sur la fusion du CHSCT avec le comité d'entreprise et le collège des délégués du personnel et sur ses conséquences possibles sur le traitement des questions de harcèlement au travail, à travers la réduction des attributions du CHSCT au sein de la nouvelle instance représentative du personnel.

Je me joins à la présidente pour saluer la « mission de service public » que vous menez ; pourriez-vous nous indiquer quelle est l'évolution du montant des subventions versées à l' AVFT ?

Vous nous avez indiqué que 93,7 % des plaintes sont classées sans suite. Qu'en est-il cependant de la propension des collègues de travail de la victime à témoigner ?

A l'instar des campagnes de sensibilisation aux violences faites aux femmes, même si elles sont trop peu fréquentes, existe-t-il des campagnes de sensibilisation contre le harcèlement sexuel au travail ? Dans le cas contraire, faut-il en réaliser ?

Marilyn Baldeck . - Je salue tout d'abord votre engagement de longue date dans la lutte contre les violences faites aux femmes et votre présence aujourd'hui.

La fusion des instances représentatives du personnel (IRP) - dont le CHSCT - au sein d'une nouvelle instance, le Comité Social et Économique (CSE), peut s'analyser à la fois positivement, puisque celle-ci récupère des compétences en matière de traitement du harcèlement sexuel, mais aussi fort négativement, en diluant la spécificité du CHSCT, instance dédiée exclusivement aux questions de sécurité et de santé au travail.

Plusieurs dispositions des ordonnances permettent de conclure des accords directement au niveau de l'entreprise, en dépossédant les branches de certaines de leurs prérogatives ; aussi nous étonnons-nous que n'ait pas été laissée la possibilité aux entreprises qui le désiraient de conserver leur CHSCT lorsqu'il fonctionnait bien. Cette voie n'a d'ailleurs même pas été envisagée !

Sur la question des subventions publiques de l' AVFT :

- la dernière augmentation de subventions en provenance de l'État dont l' AVFT a bénéficié a été décidée par Nicole Ameline, alors ministre de plein exercice à la Parité et à l'égalité professionnelle, en 2005. Cette augmentation substantielle, + 20 %, dont d'autres associations ont également bénéficié, a porté notre subvention annuelle à 245 000 euros. En 2018, soit treize ans plus tard, le soutien financier de l'État à l' AVFT est de 235 000 euros par an, il est donc en baisse. La Ville de Paris apporte un soutien financier régulier mais modéré à l' AVFT (15 000 euros par an). En 2017, les ressources financières de l' AVFT s'élevaient à 370 000 euros annuels : 250 000 euros de fonds publics et 120 000 euros de fonds propres, dont 80 000 euros de produits de formations.

Le financement de la défense des victimes par notre activité de formation (qui répond par ailleurs à un besoin et à notre objet social) a cependant atteint ses limites ; l' AVFT doit rester une association de défense des victimes, qui par ailleurs fait de la formation, et non un organisme de formation qui par ailleurs défend des victimes !

Vous m'interrogez sur les témoignages des salariés ; ceux-ci ne constituent pas une part significative du faisceau d'indices dans les affaires de harcèlement sexuel. Une enquête est obligatoirement diligentée, aussi bien dans le secteur public que privé, dans le cadre de l'obligation de sécurité de l'employeur envers ses salariés et il est indifférent que la victime ait préalablement déposé plainte.

Le volume des témoignages de collègues est bien plus important si l'enquête est réalisée non pas en interne, mais confiée par le CHSCT à un cabinet de conseil qui recueille anonymement les témoignages et de manière sérieuse et impartiale, comme l'exige la jurisprudence sociale.

La réalisation d'une enquête externalisée par un cabinet agréé par le CHSCT, jouant le rôle de tiers de confiance, a d'ailleurs été déterminante dans le succès de la procédure déjà évoquée qui a entériné la notion de harcèlement sexuel environnemental, alors que l'employeur soutenait depuis des mois que la salariée n'avait simplement pas d'humour et que tout cela n'était qu'à mettre au registre des gamineries...

Il n'y a jamais eu de campagne publique de sensibilisation au harcèlement sexuel, si ce n'est une très brève campagne en septembre 2012, après l'adoption de la loi, pour laquelle des affiches au format pdf avaient été envoyées par mail aux délégations régionales aux droits des femmes, à charge pour elles de trouver les moyens de les imprimer et les diffuser ! Autant dire que nous ne les avons pas beaucoup vues. C'est principalement l'agenda médiatique qui est le vecteur de cette sensibilisation.

Annick Billon, présidente . - Vous avez pointé du doigt l'absence de réactions des assemblées face aux ordonnances « travail », mais on peut regretter la rapidité avec laquelle on désire désormais légiférer sans laisser un temps suffisant aux parlementaires pour être force de proposition, et pas simplement pour s'opposer.

Je vous remercie de la précision de votre témoignage. Je salue l'équipe qui vous accompagne, dont vous mettez en avant le travail collectif au sein de votre association.

Audition de M. Dominique Rivière et d'Ernestine Ronai, co-rapporteurs, au nom du Conseil économique social et environnemental (CESE), du rapport Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer,
et de Raphaëlle Manière, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes du CESE

(15 février 2018)

Présidence d'Annick Billon présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes,
et de Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux Outre-mer

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Mes chers collègues, je vous remercie de votre présence et je souhaite la bienvenue à notre collègue Dominique Vérien, qui siège désormais au sein de notre délégation en remplacement d'Élisabeth Doineau.

Nous souhaitions depuis longtemps travailler avec nos collègues de la délégation sénatoriale aux Outre-mer sur des sujets d'intérêt commun. L'actualité a décidé pour nous du thème de cette audition conjointe, qui s'inscrit dans le cadre de nos travaux sur les violences faites aux femmes - qu'il s'agisse de violences sexuelles, de harcèlement ou de violences conjugales. Elle a été inspirée par nos trois collègues ultramarines Nassimah Dindar, Victoire Jasmin et Viviane Malet, qui ont rejoint la délégation aux droits des femmes depuis le dernier renouvellement, tout en étant membres de droit de la délégation sénatoriale aux Outre-mer. Nous connaissons leur implication dans ces sujets et, dès sa première réunion, notre délégation a décidé à l'unanimité d'accéder à leur souhait de consacrer une séquence de notre programme à la thématique des violences faites aux femmes dans les Outre-mer.

Nous recevons donc ce matin les co-rapporteurs de Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer , avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui est incontestablement le document de référence sur ce sujet. Publié en mars 2017, ce travail a fait date, en raison de l'exhaustivité du constat qu'il dresse comme de la qualité de ses quarante préconisations. Aussi, je remercie chaleureusement pour leur présence Mme Raphaëlle Manière, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes du CESE, M. Dominique Rivière, co-rapporteur et vice-président de la délégation à l'Outre-mer du CESE et Mme Ernestine Ronai, co-rapporteure, responsable de l'Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes et co-présidente de la commission « Violences de genre » du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE). Ernestine est pour la délégation une interlocutrice précieuse et nous la connaissons bien. Nous l'entendons d'ailleurs pour la troisième fois depuis le mois d'octobre dernier. Je tiens également à adresser tous nos voeux de prompt rétablissement à Pascale Vion, présidente de la délégation aux droits des femmes du CESE, empêchée d'être parmi nous aujourd'hui pour des raisons de santé.

Enfin, je rappelle que notre délégation poursuivra ses travaux sur les violences faites aux femmes dans les Outre-mer le 15 mars, avec l'audition des responsables scientifiques de l'enquête Virage Outre-mer .

Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux Outre-mer . - Je vous remercie, madame la présidente, d'avoir pris l'initiative d'associer notre délégation à la présente audition. Nous avions imaginé, au cours de l'année dernière, organiser un événement commun pour donner de la visibilité au rôle et à la place des femmes dans la vie économique et associative de nos Outre-mer, mais le temps nous a manqué tant il est difficile de dégager des créneaux communs à nos deux instances. Notre réunion atteste d'une volonté d'amorcer un mouvement qui est de bon augure ! Et je sais que nos collègues qui siègent au sein des deux délégations resteront vigilantes et épauleront, par leur dynamisme et leur engagement, de futures actions conjointes.

Je salue à mon tour nos trois invités et tiens à rendre hommage à la qualité du travail qu'ils ont accompli au CESE. Leur étude, sans concession sur un sujet éminemment douloureux, fait état d'une situation particulièrement préoccupante dans les Outre-mer, même s'il existe une grande disparité entre les territoires, en lien avec les niveaux de vie, les différences culturelles et la confrontation entre modernité et sociétés traditionnelles.

Comme sur de nombreux sujets concernant les Outre-mer, le constat est fait du caractère lacunaire des connaissances en matière de violences faites aux femmes et le remarquable rapport établi par Mme Ernestine Ronai et M. Dominique Rivière a le mérite de procéder à un état des lieux débouchant sur des préconisations concrètes. Je ne doute pas que ce travail considérable serve d'appui à un tissu associatif très prégnant dans nos Outre-mer et contribue à lutter contre le fléau de la violence.

Raphaëlle Manière, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes du CESE. - Je suis heureuse de pouvoir évoquer nos travaux devant vos délégations. Si le CESE est une instance ancienne, sa délégation aux droits des femmes est beaucoup plus jeune puisqu'elle fêtera ses vingt ans en 2019. Elle poursuit une double mission : une veille transversale sur les travaux du CESE et, depuis quelques années, la production de ses propres avis.

À l'occasion d'un travail mené en 2014 sur les violences faites aux femmes par notre présidente Pascal Vion est apparue la nécessité de réaliser un focus sur les Outre-mer ; nous nous sommes donc réjouis de la saisine du CESE par le Gouvernement en 2017 sur ce thème.

Ce travail a été mené par les deux délégations aux droits des femmes et à l'Outre-mer du CESE.

Je voudrais maintenant vous dire un mot de nos travaux en cours et à venir.

Nous travaillons actuellement sur une étude, dont je suis rapporteure, sur les temps de vie des femmes. Nous sommes partis de l'ouvrage de la sociologue Dominique Méda, paru en 2001 436 ( * ) , dans lequel elle estimait que les leviers de transformation à l'oeuvre (loi sur la parité, développement des politiques d'égalité, réduction du temps de travail, etc.) allaient sensiblement modifier la vie des femmes. Mais nous avons fait le constat qu'il n'en avait finalement rien été. Nous réfléchissons donc aux moyens de remobiliser ces leviers pour transformer enfin l'organisation des temps de vie. Les femmes travaillent à l'extérieur du foyer tout en continuant à assumer 70 % des charges parentales et domestiques : elles sont fatiguées ! Il convient de réfléchir au partage des tâches, à la coparentalité, à l'organisation du travail et à la reconnaissance des métiers dans lesquels les femmes sont majoritaires, de repenser la dimension des congés parentaux - paternité et maternité - et, plus généralement, de lutter contre les stéréotypes.

Prochainement, nous engagerons aussi un travail sur la question des droits sexuels et reproductifs dans le cadre européen. Sans accès à la planification de leur maternité, à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) et à la contraception, il ne peut y avoir d'égalité possible pour les femmes. Or, les résistances en la matière sont nombreuses en Europe. Nous allons les identifier et réfléchir aux moyens de les lever.

Dominique Rivière, co-rapporteur de Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer , CESE. - Nous devons à Kofi Annan, ancien secrétaire général de l'Organisation des nations unies (ONU) et au travail des militants des droits et de la cause des femmes le fait que la lutte contre les violences faites aux femmes soit devenue un enjeu historique et civilisationnel mondial. Les violences dépassent les clivages politiques, religieux, sociaux ou culturels ; le combat pour les éradiquer est celui de « la famille humaine », selon les termes de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

En Outre-mer comme ailleurs, et sans même parfois que nous en soyons conscients, des stéréotypes sur le masculin et le féminin se sont installés dans nos esprits. Il était néanmoins apparu, lors des travaux menés par le CESE en 2014, que les violences faites aux femmes étaient plus nombreuses en Outre-mer. Le combat contre ces violences, loin de toute vision désincarnée, est mené par des acteurs de terrain, même si l'État, en application de la convention d'Istanbul contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique 437 ( * ) , se doit également de mettre en oeuvre des actions et d'en rendre compte régulièrement. Nous avons donc pris soin de co-construire notre avis avec les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser), les conseils de la culture, de l'éducation et de l'environnement (CCEE), les conseils économiques, sociaux et culturels (CESC) et les associations, afin de disposer d'un état des lieux des violences et des initiatives existantes. La collaboration avec les Ceser est d'ailleurs une méthode de travail qui se développe au sein du CESE. En Nouvelle-Calédonie, le Ceser a réalisé à notre demande une étude sur le sujet, car la saisine prévoyait un focus particulier sur les territoires du Pacifique.

Pourquoi les violences faites aux femmes sont-elles plus fréquentes et plus graves en Outre-mer, même s'il existe des différences d'un territoire à l'autre ? Je parle de meurtres, voire de mains coupées - oui, cela existe ! Il convient de rappeler la toile de fond que constituent l'histoire coloniale et le passé esclavagiste. Cela explique en partie que le seuil de tolérance à la violence soit plus élevé en Outre-mer et qu'il y soit parfois moins aisé d'exprimer ses sentiments. Parce que la sidération face au maître fait que l'on a du mal à exprimer ses sentiments, pour les hommes comme pour les femmes. Et quand on n'a pas exprimé les choses, la violence surgit, notamment dans le contexte familial. Même si l'ensemble des classes sociales sont concernées par les phénomènes de violence, la situation économique et sociale dégradée de certains territoires, source de chômage, d'exclusion, de promiscuité dans les logements, voire d'alcoolisme et d'addiction, explique également ce constat. Enfin, l'apprentissage de la masculinité et de la féminité, à l'origine de stéréotypes ancrés dans les représentations de chacun, est influencé par les traditions et les religions. À cet égard, le Pacifique n'est pas si pacifique ! Les Églises y sont puissantes ; elles protègent certes les victimes, mais peuvent également contribuer à la propagation de certains stéréotypes. Elles se sont ainsi opposées à la signature de la convention d'Istanbul pour l'élimination des violences faites aux femmes, au motif qu'il y était question d'avortement et, en filigrane, de mariage entre personnes de même sexe. En conséquence, certains États de la zone Pacifique ne l'ont pas signée. Reste que la situation n'est guère plus brillante à La Réunion, où l'on enregistre de nombreux féminicides.

Plus globalement, les femmes souffrent, dans les territoires d'Outre-mer, d'une difficulté d'accès aux droits et à la protection publique (gendarmes, services publics, etc.). La lutte contre les violences faites aux femmes comprend des actions très concrètes : la mise à l'abri et la prise en charge des victimes, la formation des professionnels, l'information des populations. Nous les avons examinées dans le rapport. Elles nécessitent des financements spécifiques, que l'État devrait flécher vers les territoires qui en ont le plus besoin.

Les violences faites aux femmes représentent, évidemment, un gâchis humain pour les victimes, leurs enfants et les auteurs ; elles ont également un coût économique, du fait notamment des pertes d'emplois et du versement de réparations, que plusieurs études ont tenté de mesurer. Voici un argument supplémentaire pour lutter contre ce phénomène, si son caractère humainement inacceptable ne suffisait pas... Lutter contre les violences faites aux femmes aura des conséquences favorables sur l'économie, comme, monsieur Magras, les investissements au profit de l'activité économique sur les dépenses sociales. Le dossier est motivant, car les résultats en sont visibles. Populations et acteurs de terrain doivent se mobiliser pour faire de cette « grande cause nationale », selon l'expression de notre Président de la République, une grande cause locale.

Ernestine Renai, co-rapporteure de Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer , CESE . - La présentation de notre travail devant vous représente un moment important, auquel je souhaite associer les secrétariats de nos délégations : espérons que cette rencontre permettra à nos propositions, que nous avons souhaitées concrètes et précises, d'aboutir. Et je salue comme un gage de réussite la présence de nombreux sénateurs et sénatrices, de métropole comme des Outre-mer, à cette réunion.

Lorsque je me suis rendue en Martinique en décembre dernier pour présenter notre rapport à Annick Girardin, ministre des Outre-mer, Leïla Laviolette, jeune enseignante, venait, avec ses enfants, de mourir sous les coups de son ex-compagnon. C'est dire l'urgence et l'importance de ce sujet ! En 2015 et en 2016, pas moins de dix femmes ultramarines ont été tuées par leur compagnon dans les Outre-mer ; elles étaient onze en 2014. On voit que le chiffre ne baisse pas. Cela représente un douzième des décès similaires enregistrés en métropole. Et encore, votre collègue Thani Mohamed Soilihi m'indiquait qu'à Mayotte, ces crimes n'étaient pas même répertoriés ! La proportion des femmes se déclarant, au cours d'une enquête, victimes de violences conjugales - sexuelles ou physiques - était, par rapport à l'hexagone, sept à neuf fois supérieure en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, et très supérieure également en Guyane. Les violences au sein des couples sont deux fois plus nombreuses en Guadeloupe et en Martinique qu'en métropole. Cet écart est identique s'agissant des violences sexuelles à La Réunion.

Les stéréotypes sexistes expliquent en partie cet état de fait. En Nouvelle-Calédonie, où nous nous sommes rendus dans le cadre de ce rapport, leur prégnance est particulièrement impressionnante. J'ai relu à cette occasion Françoise Héritier, qui écrivait que « dans l'histoire des sociétés, les hommes se sont rendu compte que c'était les femmes qui mettaient les enfants au monde ». Selon son analyse, les hommes se sont appropriés le corps des femmes pour avoir la certitude de leur paternité. Cette appropriation, qui concerne particulièrement la sexualité et la reproduction, a pris dans le temps et dans l'espace des formes différentes : la ceinture de chasteté dans l'Occident médiéval, l'infibulation dans certaines ethnies et, partout, l'enfermement, qui prive la femme de sa liberté sexuelle, de sa liberté de circulation et l'exclut du savoir, du pouvoir économique et politique. Les femmes sortent progressivement de cet état - nous l'avons constaté en Nouvelle-Calédonie -, ce qui crée, selon les termes de M. Magras, une confrontation entre modernité et tradition. Cela ne veut pas dire bien sûr que les hommes soient tous des agresseurs. Il faut aussi souligner que protéger une femme ne signifie pas que l'on en fasse une victime pour toujours, mais qu'on lui permette de reprendre sa vie en main.

Nous avons, dans ce document, souhaité dresser un bilan complet de la situation dans les Outre-mer, aidés par les populations, les services des ministères compétents, notamment celui de la Justice, et les associations. Les quarante préconisations qui en découlent s'organisent autour de six axes.

Le premier axe vise à renforcer les connaissances sur les violences faites aux femmes. Les éléments statistiques manquent pour certains territoires ; ils sont, par exemple, inexistants en Guyane et à Mayotte. À cet effet, nous proposons que l'enquête Virage sur les violences, menée en Hexagone et, prochainement, en Guadeloupe, à La Réunion et probablement en Nouvelle-Calédonie, soit reproduite dans l'ensemble des territoires ultramarins. Si cette extension était difficile dans l'immédiat, l'enquête « Migrations, famille et vieillissement » de l'Institut national d'études démographiques (INED), déjà effectuée en Outre-mer, pourrait utilement se voir adjoindre des questions supplémentaires relatives aux violences faites aux femmes. Déjà, l'enquête annuelle « Cadre de vie et sécurité » sera étendue à Mayotte d'ici 2020 et renouvelée à La Réunion, mais il conviendrait d'en élargir le champ. Plus généralement, il serait également utile de soutenir les travaux de recherche universitaires, à l'instar des thèses de médecine menées sur ce sujet à Mayotte.

Le deuxième axe porte sur le développement de la coopération et de la coordination entre les acteurs, afin de disposer d'un diagnostic partagé et de mettre en oeuvre des actions conjointes. La loi de programmation du 28 février 2017 relative à l'égalité réelle des Outre-mer 438 ( * ) préconisait à cet égard la généralisation des observatoires territoriaux. Des partenariats existent déjà entre administrations et associations dans le cadre d'observatoires en Guadeloupe, à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie, avec un quadruple objectif : diagnostiquer les cas de violences, enrichir les connaissances en la matière, promouvoir l'innovation et, surtout, évaluer les dispositifs existants. Les déléguées départementales et régionales aux droits des femmes et à l'égalité jouent également un rôle majeur, notamment en matière de subventions aux associations. Toutefois, elles ne sont pas partout installées : c'est le cas en Guadeloupe. Ce sera aussi le cas prochainement en Martinique, avec le départ en retraite de l'actuelle déléguée, prévu au mois de juin.

Le troisième axe a pour objectif de conforter la formation des professionnels (associatifs, médecins, forces de l'ordre, etc.). Nous recevions hier la responsable des droits des femmes de la province Sud de Nouvelle-Calédonie, qui rappelait ce besoin. L'accent doit particulièrement être mis sur la formation : celle des forces de sécurité, concernant la prise en charge des psycho-trauma, celle des magistrats - une réflexion est d'ailleurs en cours avec l'École nationale de la magistrature (ENM) pour renforcer la formation préalable à une prise de poste dans ces territoires - sans oublier la formation des professionnels de santé dans les unités médico-judiciaires (UMJ), les centres médico-sociaux et les services de protection maternelle et infantile (PMI). En Nouvelle-Calédonie, nous avons ainsi pu constater le rôle majeur joué par les nombreux centres médico-sociaux installés en province Nord pour l'accueil des victimes.

Le quatrième axe concerne l'amélioration de la prévention et de l'information auprès des populations, et notamment des jeunes. En Outre-mer, les grossesses précoces non désirées sont plus fréquentes qu'en métropole, sur fond d'accès insuffisant à la contraception et à l'IVG, de précarité, de difficulté, voire d'échec scolaire, et de violences sexuelles. Dans ces conditions, il est indispensable de renforcer les moyens des antennes locales du Mouvement français pour le Planning familial , en particulier en Guyane, où ces situations sont nombreuses, et d'en ouvrir une à Mayotte. Ces antennes, fréquemment gérées par des bénévoles, réalisent un travail extraordinairement important, en distribuant gratuitement des moyens de contraception, en permettant de réaliser des IVG médicamenteuses et en dispensant un suivi gynécologique. Il convient également de travailler sur les stéréotypes sexistes dans les écoles et les universités. Des actions de lutte contre les violences faites aux femmes et contre le sexisme sont menées via la mobilisation du Fonds d'expérimentation pour la jeunesse, créé en 2014 et doté d'un million d'euros : elles doivent être évaluées, de manière à inscrire dans la durée des dispositions jugées efficaces. Il est enfin nécessaire de sensibiliser les populations à la gravité des comportements violents et sexistes. Déjà, des campagnes d'information sont conduites dans les territoires ultramarins, avec des effets positifs, comme en témoigne l'augmentation du nombre de plaintes déposées par des femmes victimes de violences. Mais ces campagnes doivent être amplifiées ! Les premiers États généraux contre les violences faites aux femmes, qui se sont ouverts en novembre 2016 à La Réunion, ont réuni plus d'un millier de personnes : c'est extraordinaire ! Les campagnes #Metoo et #Balancetonporc ont également conduit à une croissance de 30 % des dépôts de plaintes, et c'est extrêmement positif. Nous avons également été séduits par l'initiative mahoraise consistant à transmettre des messages de sensibilisation via les telenovelas populaires. Il serait utile de traduire ces séries en créole pour en étendre la diffusion à La Réunion et, plus globalement, de diffuser aussi les supports d'information dans les langues usuelles des territoires d'Outre-mer.

Le cinquième axe porte sur la consolidation des procédures de soutien aux victimes, sur le modèle des actions menées en métropole : mieux les repérer et les orienter en développant les lieux d'écoute et d'orientation ainsi que les référents dans les commissariats ; d'un point de vue sanitaire, former les services d'urgence à l'accueil et au repérage ; créer des unités médico-judiciaires (UMJ) sur chaque territoire ; prévoir la gratuité des soins pour les psycho-trauma, comme pour les victimes du terrorisme ; en matière pénale, étendre le « téléphone grave danger » (TGD), malgré, parfois la faiblesse du réseau téléphonique ; établir des antennes des bureaux d'aide aux victimes là où le tribunal de grande instance n'est pas facilement accessible ; prévoir des traducteurs professionnels à tous les stades de la procédure ; renforcer les solutions de mise à l'abri, car il est particulièrement difficile pour une victime de se protéger des représailles sur une île ; sensibiliser les entreprises et améliorer l'accès à l'emploi et à la formation pour assurer, autant que possible, une autonomie financière aux victimes ; enfin, améliorer l'accompagnement des populations les plus fragilisées (femmes handicapées, migrantes, prostituées, etc.).

Le sixième axe de nos travaux porte enfin sur les moyens attribués à ces politiques publiques. Le ministère des Outre-mer doit, nous semble-t-il, dédier des financements spécifiques à ces actions et les faire figurer dans un document transversal. Les dispositifs doivent faire l'objet d'une évaluation préalable à leur montée en puissance. Comme l'indiquait mon collègue Dominique Rivière, je vous rappelle que le coût des violences faites aux femmes, estimé à 3,6 milliards d'euros, est bien supérieur aux 30 millions d'euros de budget annuel du secrétariat d'État chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes !

Nous comptons sur votre soutien pour porter nos préconisations, qui s'inscrivent dans le cinquième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes pour la période 2017-2019. Je conclurai par une phrase d'Aimé Césaire, qui illustre à la fois notre état d'esprit et notre combat : « Je suis du côté de l'espérance, mais d'une espérance conquise, lucide, hors de toute naïveté ».

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Vous terminez sur une note pleine d'espoir. Les propos de M. Rivière sur le seuil d'acceptabilité de la violence m'ont interpellée. Cela me faisait penser au débat sur l'interdiction de la fessée sur les enfants : on ne peut définir un seuil à partir duquel la violence serait acceptable ! Pourtant, vous l'avez indiqué, les violences faites aux femmes sont plus fréquentes et plus graves dans les Outre-mer. L'évocation des mains coupées glace le sang !

Ce combat est essentiel, et je remercie nos collègues sénatrices des Outre-mer d'avoir pris l'initiative de l'intégrer à nos travaux. Il apparaît que de nombreuses actions sont menées dans ces territoires par des associations qui, sans guère de moyens, accomplissent des missions qui relèvent du service public. Je comprends mieux - et je salue - l'engagement de notre collègue Victoire Jasmin auprès des associations guadeloupéennes ! Ces associations méritent d'être soutenues. Les campagnes récentes sur les réseaux sociaux ont libéré la parole des femmes, c'est heureux, mais comment les associations, avec leurs moyens techniques et humains limités, vont-elles pouvoir absorber ce flux de plaintes nouvelles et d'appels au secours ?

Victoire Jasmin . - J'approuve vos interventions. J'appartiens à la Fédération féminine d'organisation et de revalorisation culturelle, économique et sociale ( Forces ) présidée par Christiane Gaspard-Méride, et à l'Observatoire féminin de Guadeloupe. Il y a un très fort taux de violences familiales, avec des conséquences évidentes pour les femmes, dans mon département. Il y a quinze jours, notre collègue Catherine Conconne a mentionné, lors des questions d'actualité au Sénat, un meurtre qui s'est déroulé en Martinique. C'est un problème récurrent, lié à la situation économique et sociale, et qui a des conséquences importantes sur les enfants : les enfants risquent de reproduire ces comportements une fois adultes ; c'est très grave.

De nombreuses associations tentent d'accompagner les femmes, avec la Délégation régionale aux droits des femmes et à l'égalité de la Guadeloupe (DRDFE). Une Maison des femmes a été créée dans une ville - mais elle n'est pas aussi développée qu'en Seine-Saint-Denis, si j'en juge par l'audition de sa fondatrice, le Docteur Ghada Hatem, par la délégation aux droits des femmes, le 14 décembre 2017 439 ( * ) . De nombreuses initiatives émanent des bénévoles et parfois, des contrats aidés, mais les moyens manquent.

Interrogeons-nous aussi sur la transmission et l'éducation des garçons. Nous avons des partenariats avec l'éducation nationale et les fédérations de parents d'élèves pour sensibiliser chacun à l'égalité femmes-hommes. Un référent de l'éducation nationale intervient sur ce sujet sur le territoire du rectorat.

Certaines initiatives ne portent pas encore tous leurs fruits car les personnes qui sont les plus touchées ne viennent pas forcément. Je prends un exemple : depuis deux ans, l'association Forces a mis en place des groupes de parole pour répondre à la demande des femmes. En créole, on dit « façader » : se parler face à face. Il faut aussi interroger notre façon d'éduquer les garçons. Auparavant, l'éducation était focalisée sur le matriarcat : ce sont les femmes qui transmettaient les valeurs, mais qui prodiguaient également une éducation différenciée entre filles et garçons. Les hommes n'étaient pas là pour transmettre certaines valeurs. Tout reposait sur les femmes. Elles autorisaient davantage de choses aux garçons, tandis que les filles restaient dans l'ignorance. Désormais, les choses ont évolué et dans ces « façades », ces groupes de parole, on réalise que les hommes sont frustrés car les femmes ont pris une certaine indépendance. Auparavant, lors d'une situation critique, la famille voulait apaiser la situation, éviter que d'autres personnes soient informées, et la femme obéissait. Il y a quelques années, aux urgences, une femme des Abymes déclarait ainsi, un couteau dans le ventre, aux côtés de son conjoint, qu'elle était « tombée dessus ». Comment peut-on tomber sur un couteau ? Elle est décédée sans avoir dénoncé son mari. Désormais, la famille est souvent moins soudée.

Le paradoxe est que malgré ces violences, les femmes sont très fortes dans les Antilles. On peut dire que, dans une certaine mesure, elles ont pris le pouvoir, comme le suggère l'exemple de Gerty Archimède, députée, avocate et conseillère générale, et de Lucette Michaux-Chevry, qui est devenue ministre. Beaucoup ont été maires ou conseillères générales avant même l'adoption de lois sur la parité.

Des femmes meurent sous les coups de leur compagnon, pour n'avoir rien dit. Il faut former les personnels des urgences pour accueillir la parole de ces victimes. De nombreuses femmes portent plainte puis la retirent, sous la pression de leur environnement. Certaines acceptent la violence de leur compagnon car elles sont dépendantes, affectivement ou financièrement. Toutes les violences ne sont donc pas forcément répertoriées. Les violences faites aux femmes posent aussi un problème d'absentéisme au travail, et créent des déséquilibres dans l'entreprise. Elles ont donc des conséquences économiques très négatives.

Les enfants sont également touchés : tout le monde se connaît dans l'archipel, les femmes ne peuvent fuir loin, et il faut scolariser les enfants. Cela les empêche de quitter leur compagnon violent. Le rapport du CESE doit nous faire réagir. Cette violence familiale se retrouve dans l'école, dans la rue ou même au carnaval ! Il n'y a pas suffisamment de dialogue au sein des familles, ce qui provoque des frustrations, engendrant de la violence et celle-ci se propage.

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Merci de votre intervention passionnée, et de votre engagement de longue date pour cette cause.

Viviane Malet . - Je salue l'excellente étude du CESE. J'ai été vice-présidente d'un Centre communal d'action sociale (CCAS) et d'un centre intercommunal d'action sociale (CIAS). Il y avait aussi un centre d'hébergement d'urgence et un Centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) : le territoire de Saint-Pierre est un modèle à cet égard, bien mieux pourvu que d'autres en métropole ! Le CCAS est un lieu de proximité où la femme en difficulté se réfugie avant de voir un médecin ou d'aller au commissariat de police. La seule solution, c'est la mise à l'abri immédiate. Le Service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO) émet des préconisations, mais la femme est souvent conduite immédiatement dans une chambre d'hôtel. Il faut des solutions plus pérennes car il y a trop peu de maisons-relais. Construisons dans nos territoires ces structures pérennes et laissons-en la gestion à des associations. Il faut se battre pour trouver un logement adapté à la famille et faire des baux glissants, car il est difficile de déloger une famille une fois qu'elle a trouvé un hébergement temporaire, sans compter la scolarisation des enfants. Les élus ont des difficultés de gestion et de coordination. Le 25 novembre dernier, se sont réunies dix-sept associations de La Réunion qui ont signé une motion dénonçant le manque de moyens ; nous le savons, les dotations des collectivités diminuent. Il y a des difficultés de sources de financement, d'activation de ces moyens, et des délais trop longs : souvent, les subventions ne sont versées qu'en année N+1.

Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux Outre-mer . - Merci infiniment pour la qualité de votre exposé et la consistance du rapport. La présence de nombreux collègues masculins témoigne de l'importance que nous accordons à ce sujet. La délégation aux Outre-mer est très diverse, rassemblant au-delà des obédiences politiques, hommes et femmes, métropolitains et ultramarins, ce qui fait toute sa richesse.

Comment transformer l'essai, et passer des préconisations aux applications concrètes ? Nos délégations n'ont pas de pouvoir législatif propre mais les sénateurs ont, à titre individuel, un pouvoir d'initiative législative. Pour les mesures qui ne sont pas d'ordre législatif, c'est aux collectivités et territoires d'agir.

De par leur histoire et les aléas qui les touchent, les ultramarins ont l'habitude de la violence, et du mal à extérioriser leurs sentiments. Ils sont malheureusement souvent résignés face à leur destin. Je suis fier que nous prenions conscience que le destin n'est pas une fatalité, qu'il se construit. Les choses changent, et la voix des Outre-mer commence à se faire entendre.

Selon vous, l'État seul ne peut pas tout. C'est effectivement aux ultramarins de se prendre en main. L'État est là pour accompagner, donner des moyens, aider notre volonté à se concrétiser. C'est le fil conducteur pour notre délégation, sur tous les sujets que nous traitons. Nos propositions sont du grain à moudre ; à l'État, au Parlement, aux collectivités de les transformer en réalisations concrètes.

Madame Ronai, vous voulez flécher la part de financement dédiée à ces actions au sein du budget des Outre-mer. Je suis rapporteur pour avis, pour la commission des affaires économiques, de ce budget, qui comporte les programmes Emploi et Conditions de vie. Cependant, les crédits budgétaires bénéficiant aux Outre-mer sont dispersés dans de nombreuses missions du budget de l'État et difficilement identifiables.

Roland Courteau . - Merci pour vos remarquables exposés et vos recommandations pertinentes sur les violences faites aux femmes, véritable fléau en métropole et en Outre-mer. Comment traduire en actes ces recommandations ? Cela devrait devenir l'un de nos prochains chantiers !

Monsieur Magras, vous avez insisté sur le manque de connaissance des violences faites aux femmes en Outre-mer. Il en était de même dans les années 2000 en métropole : le sujet était minimisé. En 2005, on connaissait le nombre des téléphones portables volés, mais pas celui des femmes mourant sous les coups de leur conjoint !

Vous avez mis le doigt sur l'essentiel : les stéréotypes sexistes, première cause des violences faites aux femmes. Pour certains hommes, la masculinité suppose des droits sur les femmes ou une domination sur les femmes. Lutter contre ces stéréotypes dans les écoles, les manuels scolaires, et même dans les jouets, est une priorité. Notre délégation a consacré à ces questions deux rapports d'information 440 ( * ) .

Quel est le coût économique et social des violences faites aux femmes en Outre-mer ? Il est de 3,6 milliards d'euros en métropole. Quelles sont les perspectives s'agissant des centres de soins sur le psycho-trauma ? Le Gouvernement nous a toujours répondu que multiplier les centres de soins pour les victimes ou les auteurs des violences coûtait très cher. Mais avec 3,6 milliards d'euros, on pourrait en créer un certain nombre, pour les femmes et les enfants !

Qu'en est-il de l'ordonnance de protection en Outre-mer, alors qu'il existe des difficultés d'application en métropole, à l'exception de la Seine-Saint-Denis ? Combien compte-t-on de Téléphone grave danger (TGD) dans les Outre-mer ? Les stages de responsabilisation pour les auteurs de violences se mettent difficilement en place en métropole, quelle est la situation dans les Outre-mer ? Qu'en est-il des intervenants sociaux, indispensables ? Le relogement des victimes laisse aussi à désirer en métropole, alors qu'il devrait être prioritaire. Les violences physiques sont-elles plus nombreuses que les violences sexuelles en Outre-mer ? Et que sait-on des violences psychologiques ?

Gérard Poadja . - Ce sujet est très important pour moi. Les violences faites aux femmes ne doivent pas être vues comme particulières à chaque territoire : il faut une approche globale car c'est l'affaire de tous, même si la Nouvelle-Calédonie a un statut particulier, avec une cohabitation du droit commun et du droit coutumier. Il faut poursuivre le travail d'amélioration de l'organisation de la justice. Désormais, des officiers peuvent réaliser des actes coutumiers, des tribunaux sont décentralisés et tiennent des permanences dans les villages. Il faut du personnel formé pour nous faire sortir de ces traditions. Dans les îles, nous n'osons jamais nous exprimer ouvertement.

Faute de moyens, il y a très peu de maisons d'accueil pour les femmes maltraitées, très peu de personnel formé pour l'accueil et surtout l'accompagnement de ces personnes. L'important n'est pas seulement un lieu où déposer plainte, mais un accueil.

Le statut coutumier est difficile à gérer, hormis pour ceux qui, comme moi, le connaissent très bien et qui travaillent pour une meilleure cohésion entre les deux droits. 80 à 85 % des femmes de Nouvelle-Calédonie sont sous statut coutumier. De nombreuses femmes ne dénoncent pas, en raison de la chape de plomb des traditions et de la crainte des représailles.

Les Outre-mer sont dans une situation délicate. En Nouvelle-Calédonie, nous avons pris les choses en main. Mais au-delà de la volonté, il faut agir. Ne laissons pas un trop grand délai entre le dépôt de plainte et l'intervention du juge car, dans l'intervalle, la femme peut subir encore plus de violences. Il faut de la solidarité et de l'accompagnement.

Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux Outre-mer . - Merci de parler avec autant de liberté.

Guillaume Arnell . - Nous sommes dans une position inconfortable car les violences faites aux femmes sont commises par des hommes... Je remercie les rapporteurs pour la clarté et la justesse de leur analyse, et pour avoir tenu compte de l'ensemble des territoires, dont Saint-Martin. Ce territoire, en partie autonome, connaît des phénomènes de violence anormalement importants par rapport à sa taille et à la faiblesse de la population - 30 000 habitants.

L'absence de statistiques ne doit pas occulter l'existence de ces phénomènes de violences anormalement élevés.

Qu'ont fait ces femmes pour mériter un tel traitement ? Notre collègue Victoire Jasmin a apporté un élément d'explication, avec l'éducation. Il faut dénoncer la première violence car il ne saurait y avoir de seuil d'acceptabilité. Lors du dépôt de plainte, les gendarmes se rendent souvent compte que ce n'était pas la première fois. Incitons les victimes à s'exprimer immédiatement.

Les femmes ont souvent honte de porter plainte, d'autant que leurs plaintes ne sont pas toujours reçues avec sérieux et que les gendarmes tardent parfois à se déplacer - il n'y a pas de police nationale, et la police territoriale refuse de prendre part à ces sujets.

La réponse judiciaire est lente, quelle que soit la nature des affaires. Les hommes sont absents du dispositif de prise de conscience ou des initiatives contre la violence. Serait-il envisageable de créer une structure où les hommes pourraient parler et participer activement à la solution ?

Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux Outre-mer . - Les sociétés antillaises sont en pleine contradiction : la femme est au centre de l'organisation familiale, elle est le potomitan , mais elle est aussi la plus maltraitée.

Dominique Théophile . - Je tenais à être présent aujourd'hui, pour cette grande cause nationale. Comme pour la santé, attachons-nous aux deux aspects, préventif et curatif. Ce n'est pas une course de vitesse mais un changement de mentalité est nécessaire. Le curatif doit peut-être différer selon les territoires, leur histoire, mais la prévention doit être générale. Tous les moyens doivent être axés sur la prévention. L'éducation nationale s'est emparée du sujet de la sécurité routière, ce qui a permis de faire baisser la mortalité routière. De la même manière, l'éducation nationale doit centrer ses actions sur les violences faites aux femmes, avec un volet masculin.

Oui, il y a une contradiction entre la place de la mère choyée qui tient le foyer et les violences qui la touchent. Une proportion de cas reste cachée, du fait de l'attitude des victimes. Dans certaines entreprises, des femmes déclaraient avoir eu des accidents, alors qu'elles étaient battues. Certaines victimes refusent de l'admettre, pour elles, pour leurs enfants ou pour éviter le regard des autres. Mais les gestes se reproduisent. L'éducation nationale doit s'emparer de ce sujet. Malgré le poids de l'histoire, les jeunes font bouger les lignes.

La loi doit fixer un cadre général avec une échelle de peines adaptée aux différents actes.

Vivette Lopez . - Les violences faites aux femmes sont un problème global, qui existe aussi dans l'hexagone. Dans une île, tout le monde se connaît. Pourquoi cette loi du silence ? Pourquoi les voisins ne donnent-ils pas l'alerte, pourquoi les gendarmes ne prennent-ils pas en compte le signalement ? Le temps est trop long entre la connaissance des faits et l'intervention de la justice et favorise l'escalade de la violence. Se préoccuper du choix des jouets ne sert à rien car garçons et filles mélangés jouent aux mêmes jeux. Les femmes sont les piliers de la maison, et elles sont en charge de l'éducation. Souvent les garçons supportent mal que leur mère soit maltraitée et s'en prennent, adultes, à leur père ou à d'autres, ce qui ne les empêche pas, à leur tour, de reproduire ce qu'ils ont vécu.

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Depuis le renouvellement de septembre 2017, la délégation aux droits des femmes a choisi de travailler sur le thème des violences faites aux femmes dans sa globalité, notamment sur l'ensemble des violences sexuelles. Nous travaillons aussi sur les mutilations sexuelles féminines. Cette table ronde répond à la demande des sénatrices des Outre-mer membres de la délégation aux droits des femmes, qui nous ont fait remarquer des particularités prégnantes de leurs territoires : la gravité et le nombre des violences faites aux femmes, dans des îles où la promiscuité rend le signalement plus difficile et fausse les statistiques.

L'éducation à la sexualité et la sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes figurent dans le code de l'éducation depuis 2001. Encore faut-il disposer des moyens correspondants...

Dominique Rivière . - Nous réalisons ici une acculturation. Les ultramarins doivent porter ce sujet et l'État, assumer ses responsabilités régaliennes et coordonner les moyens en lien avec le plan national. Nous avons l'habitude de faire plus avec moins...

L'idée de fatalité en Outre-mer évolue. Une course de fond est engagée. L'éducation nationale et les collectivités territoriales peuvent, par une propagande massive, « ringardiser » les auteurs de violences et l'idée du mâle dominateur. Améliorons la communication publique sur les réseaux sociaux. Ainsi, l'initiative mahoraise sur les telenovelas , histoires fondées sur le quotidien des populations, invite celles-ci à se regarder en face et encourage les changements de comportement. Les pouvoirs publics font de la propagande pour la sécurité routière ou contre l'alcoolisme, plus difficilement contre les violences faites aux femmes. Réalisons des campagnes de prévention pour libérer la parole. Cela éduquerait les plus jeunes et modifierait le comportement des parents. La transmission des stéréotypes sexistes se fait aussi par la mère !

Parfois les gendarmes refusent de prendre une plainte, sachant qu'elle sera retirée sous pression de la famille. Il faut une réponse pénale et un traitement psychologique des auteurs, mais les moyens manquent. La récidive est décourageante ; souvent, la violence est apprise dès l'enfance. Cela nécessite une prise en charge individualisée. À nous de dialoguer dans les territoires, et de nous faire entendre à l'échelle nationale.

Roland Courteau . - Je comprends parfaitement pourquoi la femme retire sa plainte ou ne la dépose pas : elle craint les représailles. Dans notre esprit, l'ordonnance de protection devrait répondre à ce problème. Or souvent, elle n'est délivrée qu'avec parcimonie, et tardivement.

Dominique Rivière . - De plus, c'est la femme qui doit partir alors que l'auteur des violences reste au domicile conjugal !

Ernestine Ronai . - J'ai apporté un tableau récapitulant les progrès accomplis depuis l'adoption de nos quarante recommandations : réalisées, en cours, à faire, non-réalisées, administration non concernée... Nous rencontrons tous les ministères pour les informer et faire l'état des lieux des recommandations qui les concernent, ainsi que l'ENM. En novembre prochain, nous ferons le point. Le suivi de ce travail est aussi important que les constats qu'il établit et les recommandations qui l'accompagnent.

Comment faire appliquer ces préconisations ? La gendarmerie, la police et la justice manquent de moyens. Il faut des magistrats et des policiers en nombre suffisant en Outre-mer. Mesdames et Messieurs les parlementaires, vous votez la loi de finances. Nous comptons sur vous pour mettre en avant cette exigence au moment du vote du budget.

Nos recommandations ont été très bien accueillies par les deux ministères de l'Outre-mer et de l'Égalité femmes-hommes, qui ont endossé cette « feuille de route ». Les deux ministres y sont très attentives.

Gardez un oeil sur le fléchage des crédits relatifs à la lutte contre les violences faites aux femmes en Outre-mer. Je vous remercie pour vos remarques qui nous aident à réfléchir.

S'agissant de la prévention, il faut être conscient que le premier lieu d'apprentissage de la violence est la maison. Les référents de l'éducation nationale existent aussi dans les Outre-mer. L'éducation nationale fait un effort, mais ne peut pas tout : toute la société doit bouger. Oui, les enfants peuvent reproduire la violence dont ils sont témoins. Le pédopsychiatre Maurice Berger racontait sa surprise de constater que les enfants les plus violents n'étaient pas ceux qui avaient eux-mêmes subi des coups, mais ceux qui avaient été exposés au spectacle des violences conjugales. Et les plus petits pouvaient être touchés, avec des gestes, des regards, des sensations susceptibles de faire ressurgir l'image du parent violent à l'occasion d'un événement qui leur faisait de nouveau éprouver leur peur. Alors l'enfant ne distingue plus le passé du présent et risque de devenir dangereux. Le psycho-trauma marque le cerveau, on le sait maintenant !

Vous le savez bien, nous éduquons nos enfants avec la société ; la famille n'est pas isolée. Il y a donc tout un travail à mener en tant qu'individu, mais aussi en tant que société et collectivité nationale.

N'inversons pas la culpabilité en parlant du déni des femmes. Le seul responsable de la violence, c'est l'agresseur. Le mécanisme de déni a un rapport avec celui de la violence. La femme est souvent sous emprise et reçoit des injonctions contradictoires : l'homme à la fois la dévalorise et lui dit qu'il l'aime. L'emprise explique que la femme puisse retirer sa plainte. Lorsque l'homme, craignant son départ, redevient « gentil », elle retire sa plainte en espérant qu'« il a changé ». Personne ne veut voir dans son compagnon un « sale type » ! Nous enseignons aux policiers et aux magistrats à gérer ces phénomènes d'emprise et de psycho-trauma.

Le 25 novembre dernier, le Président de la République a annoncé la création de dix unités de psycho-trauma en France. Je veillerai à ce qu'il y en ait au moins une en Outre-mer. Nous avons besoin de nous acculturer sur ce sujet.

L'hébergement est un problème majeur. Il y a quatre CHRS pour mille habitants en Guadeloupe, quatre en Guyane, huit à La Réunion, quatre en Martinique, mais 855 en métropole... Voyez le décalage ! Certains territoires n'ont même pas de foyers mère-enfant. Il y a vraiment besoin de travailler ce sujet.

Les hommes de Nouvelle-Calédonie ont participé à la campagne du ruban blanc 441 ( * ) . Impliquer les hommes dans la lutte contre les violences est important. La répression fait aussi partie de la prévention. Les hommes violents ne sont pas malades - sinon ils ne seraient pas condamnés. Depuis la loi de 2014 442 ( * ) , on parle de « groupes de responsabilisation » pour les hommes, et de « groupes de parole » pour les femmes qui sont victimes. Parce que les hommes font un choix : on a toujours le choix de ne pas être violent. Et ils sont pénalisés justement parce que c'est un choix.

Monsieur Poadja, j'ai été très sensible à votre discours sur le statut particulier de la Nouvelle-Calédonie et sur la volonté de sortir d'une situation où la femme est très infériorisée. Un autre statut est nécessaire. Notre rapport émet par exemple des préconisations pour simplifier et accélérer les procédures judiciaires, afin qu'un seul juge (au lieu de trois) traite les dossiers pénaux des violences faites aux femmes.

Je tiens à saluer l'action de Roland Courteau sur les dispositifs de protection. Le mécanisme des ordonnances de protection monte en puissance. Il dépend des moyens de la justice et de la formation des magistrats. Nous intervenons sur ce thème lors de la formation initiale de tous les magistrats et lors des formations continues. La loi prévoyait que l'ordonnance de protection serait délivrée avant le dépôt de plainte mais la réalité est tout autre : elle est délivrée dans les faits au moment du dépôt de plainte. Vous devez rappeler la volonté du législateur d'organiser la protection avant le dépôt de plainte.

Soyez attentifs aux Téléphones grave danger (TGD) : le troisième appel d'offres risque d'être infructueux dans certains territoires, par manque de couverture réseau. Je l'ai signalé hier à Nicole Robineau, membre du congrès de la Nouvelle-Calédonie connue pour son engagement en faveur des droits des femmes. Installons au moins des TGD dans les endroits couverts par le réseau - par exemple à Nouméa.

Je suis d'accord avec vous, le rôle des intervenants sociaux est très important. Je pense qu'il y aura des annonces en ce sens le 8 mars.

Enfin, il serait judicieux de demander une étude sur le coût des violences faites aux femmes en Outre-mer.

Pour conclure, je reprendrai une de mes citations favorites : Simone de Beauvoir disait que « La fatalité ne triomphe que si l'on y croit ». Dans vos deux délégations, vous ne croyez pas à la fatalité, donc les violences faites aux femmes vont reculer !

Guillaume Arnell . - Ne vous méprenez pas. Lorsque je demandais : « Qu'ont-elles fait pour mériter un tel traitement ? », je m'interrogeais sur les raisons de la violence des hommes.

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Nous l'avions bien compris ainsi.

Françoise Laborde . - La délégation aux droits des femmes travaille depuis longtemps sur les violences faites aux femmes, les violences conjugales et leurs incidences sur les enfants. Alertons tous nos collègues ! Lorsque nous proposons des mesures de prévention, nos amendements sont souvent retoqués au titre de l'article 40 de la Constitution. L'habitude est de les gager sur le tabac... Ne pourrait-on pas inventer un gage sur les dépenses publiques liées aux violences ? Le curatif coûte plus cher que la prévention. Nous pourrions changer cette façon de gager...

Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux Outre-mer . - Merci de soulever ce problème dont nous avons tous été victimes... mais l'article 40 ne peut être modifié que par une révision constitutionnelle !

Françoise Laborde, co-rapporteure . - C'est le moment !

Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux Outre-mer . - Merci pour cette réunion pertinente et de qualité. Si les Outre-mer connaissent les mêmes problèmes que la France entière, nous avons aussi des spécificités. Certaines solutions particulières sont peut-être à trouver en sus des solutions nationales. J'ai été très heureux de travailler avec la délégation aux droits des femmes. La nôtre sera toujours à l'écoute, et prête à mettre en commun ses énergies et ses compétences.

Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes . - Merci à nos collègues ultramarins de nous avoir fait part de leur expérience de terrain. La question des violences faites aux femmes est un problème global, qui pose une question de société : quelle place voulons-nous y faire pour les femmes, et avec quelles conséquences - notamment sur les enfants ? Travaillons ensemble pour que la société donne aux femmes la place qu'elles méritent !

Audition de François Molins,
procureur de la République de Paris

(22 février 2018)

Présidence d'Annick Billon, présidente

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions sur les violences sexuelles. Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin François Molins, procureur de la République de Paris, dont nous connaissons tous l'implication dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

Je précise à l'attention de François Molins que notre délégation a souhaité travailler cette année sur les violences faites aux femmes, afin de préparer l'examen du projet de loi annoncé par le Gouvernement, mais aussi pour réagir à une actualité extrêmement chargée.

Depuis le mois de novembre, nous avons ainsi entendu de nombreux experts et représentants d'associations, aussi bien sur la question des violences sexuelles que sur le thème du harcèlement. Ces personnes nous ont parlé des conséquences de ces différentes formes de violences sur la vie des victimes - sur leur santé et sur leurs carrières notamment - et ont formulé des propositions pour améliorer non seulement leur prise en charge médicale et psychologique, mais aussi leur accompagnement dans un parcours judiciaire souvent compliqué.

S'agissant justement du parcours judiciaire des victimes, le parquet de Paris est souvent cité comme modèle. Nous souhaiterions donc que vous nous présentiez la politique de votre parquet en matière d'infractions sexuelles : comment sont traitées les affaires de violences sexuelles au parquet de Paris ? Qu'en est-il de la correctionnalisation des viols ? Que pouvez-vous nous dire des alternatives aux poursuites en matière d'agressions sexuelles ? Dans quelles circonstances sont-elles adaptées ? Quelles sont selon vous les bonnes pratiques des magistrats à généraliser pour améliorer le traitement judiciaire des violences sexuelles ? Que pensez-vous de l'idée de chambres spécialisées parfois présentée comme une piste d'évolution possible pour assurer le traitement de ces dossiers très complexes ?

Plus généralement, quels sont selon vous les « angles morts » de la politique publique de lutte contre les violences sexuelles et de la réponse pénale qui y est faite ? En ce qui concerne la loi pénale, y a-t-il des évolutions législatives souhaitables selon vous (prescription, consentement...) ?

S'agissant plus spécifiquement du harcèlement, pourriez-vous nous donner quelques éléments statistiques relatifs à la répression pénale du harcèlement sexuel (au travail, en ligne, dans le couple...) ? La définition du harcèlement sexuel faite par le code pénal vous semble-t-elle adaptée aux différentes formes de harcèlement en ligne mises en lumière par le récent rapport du Haut conseil à l'égalité (HCE) ? Plus généralement, quel bilan dressez-vous de la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel ? Des évolutions législatives vous paraissent-elles souhaitables en ce domaine ?

Monsieur le Procureur, je vous remercie chaleureusement d'avoir accepté notre invitation.

Nous sommes certains que vous pourrez nous apporter des éléments de réponse à ces nombreuses questions, ainsi que, le cas échéant, sur d'autres points que je n'aurais pas soulevés et qui vous paraîtraient importants.

À l'issue de votre intervention, les membres de la délégation feront part de leurs réactions et ne manqueront pas de vous poser des questions.

Je vous laisse sans plus tarder la parole.

François Molins, procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Paris . - Merci, madame la présidente. C'est moi qui vous remercie de m'avoir invité et de me permettre de m'exprimer sur ce sujet, qui constitue un volet important de l'action menée au quotidien par le parquet de Paris. Je voudrais tout d'abord vous donner quelques informations pour vous permettre de comprendre comment nous travaillons.

Paris est un lieu particulier par le volume des affaires tout d'abord : nous traitons entre 350 000 et 400 000 procédures par an. Dans cet ensemble, les violences sexuelles représentent quelques milliers d'infractions.

Face à ce volume très important, nous avons mis en place un protocole de répartition des saisines, qui répartit les affaires entre les services de police judiciaire et les services de sécurité publique, la police judiciaire traitant des affaires les plus complexes et les plus graves, la sécurité publique prenant en charge les moins complexes et les plus faciles à traiter. Cette orientation des affaires vers un service plutôt qu'un autre peut être un facteur de complexité du traitement de la procédure et du parcours des victimes. C'est un point sur lequel nous essayons de travailler.

La politique pénale diffère selon que les infractions sexuelles interviennent au sein ou en dehors du couple. Au sein du couple, ces infractions peuvent venir d'une plainte pour viol ou agression sexuelle, mais aussi d'une plainte pour violence qui, lorsque nous approfondissons les choses, va déboucher sur une affaire d'agression sexuelle ou de viol commis entre conjoints. Notre travail consiste alors à déterminer très rapidement s'il faut traiter l'affaire dans sa globalité, réunissant dans un même dossier l'affaire de viol et celle de coups et violences volontaires ou, s'il faut, au contraire, dans un objectif d'efficacité, les séparer entre les services de sécurité publique pour l'affaire de coups volontaires, et la police judiciaire pour l'affaire de viol.

Nous n'avons pas de doctrine bien arrêtée sur le sujet. Nous traitons le dossier dans sa globalité, notamment lorsque nous observons que les violences constatées peuvent constituer un élément important pour caractériser la contrainte physique qui aura pu être déployée pour arriver au viol ou lorsque des éléments du dossier démontrent à l'évidence que la globalité du traitement facilitera la prise en charge de la victime. À l'inverse, nous pouvons parfois être conduits à dissocier les affaires, lorsque l'affaire de viol va nécessiter des investigations longues et complexes, alors que l'affaire de coups est parfaitement établie. Dans ce cas, nous poursuivrons l'affaire de violences volontaires en comparution immédiate devant le tribunal correctionnel, le viol donnant lieu à l'intervention du juge d'instruction dans une procédure qui va durer plusieurs mois, voire plusieurs années.

A Paris, nous avons la chance de disposer de services spécialisés dans chaque commissariat. Il s'agit des Brigades de lutte contre les violences familiales (BLPF), formées de personnels policiers compétents pour traiter ce genre d'affaires.

Nous n'opérons jamais de correctionnalisation des faits de viol au sein du couple ab initio . Nous choisirons toujours la qualification la plus haute et si nous saisissons un juge d'instruction, nous le ferons pour viol, à charge pour le juge d'instruction, en accord avec les victimes et avec nous, de procéder le cas échéant à la correctionnalisation des faits à l'issue de l'information. Dans le cadre des violences sexuelles au sein du couple, ce phénomène de correctionnalisation se produit souvent à l'issue de la procédure d'instruction, car de très nombreuses victimes préfèrent éviter la cour d'assises pour des raisons multiples, que nous pouvons entendre, notamment pour préserver les enfants, mais aussi pour des raisons de pudeur, autant pour la victime que pour l'accusé qui ne souhaitent pas évoquer, dans un débat public parfois très long, des relations de couple qu'ils ont envie de garder pour eux. Ainsi, de nombreux dossiers sont correctionnalisés, avec l'accord des parties civiles, à l'issue des procédures diligentées par les juges d'instruction.

Sur le traitement des violences sexuelles en dehors du couple, je vous ai apporté quelques statistiques, sachant qu'il y a toujours une marge d'erreur dans ce domaine. En 2017, nous avons enregistré 711 procédures de viol sur majeur. Je pourrai approfondir ces statistiques si vous le souhaitez. Nous recensons entre 600 et 800 procédures chaque année. Rapportés aux centaines de milliers de procédures que nous traitons, ces chiffres vous donnent une idée de la portée du phénomène.

Le protocole de répartition des saisines consiste à confier tous les viols aux services de police judiciaire à l'exception des faits commis dans le métro. Nous disposons en effet, au niveau du réseau RATP-SNCF, d'un service de police spécialisé, la Brigade des réseaux ferrés, qui dépend de la sous-direction régionale de la police des transports. Ce service est composé de fonctionnaires de police compétents, qui ont l'habitude de travailler avec la RATP, qui peuvent intervenir très rapidement et qui sont formés au décryptage des images vidéo. Cette brigade peut être amenée à traiter des viols lorsqu'ils se produisent dans le métro.

En dehors de cette spécificité, les districts de police judiciaire possèdent une compétence exclusive pour les viols, quels que soient le contexte, le type de faits et la personnalité de l'auteur. Nous disposons dans ce domaine de moyens d'investigation très classiques : recherche vidéo, déplacement sur les lieux, constatations, prélèvements, etc. Nous accompagnons systématiquement nos enquêtes d'un examen médical et d'une évaluation du retentissement psychologique du viol sur la victime. Chaque fois qu'une victime vient déposer plainte, que ce soit pour des faits qui viennent d'être commis ou dont elle a été victime parfois plusieurs années auparavant, cette expertise est réalisée. Elle permettra de valider ou non les déclarations de la victime. Ces faits sont traités en flagrance par la permanence criminelle du parquet. Au niveau de la section P12 du parquet de Paris, qui traite toutes les infractions en flagrance, une permanence est assurée du lundi au vendredi, puis du vendredi au lundi. Un collègue est en charge de toutes les affaires criminelles commises sur la ville de Paris, ce qui garantit la cohérence de traitement par un même magistrat.

Les agressions sexuelles relèvent en principe des services de sécurité publique (SAIP), mais elles peuvent être traitées également par les services de police judiciaire lorsque nous faisons face à des faits particulièrement graves ou complexes, ou qui renvoient à des affaires de violeur ou d'agresseur en série. En termes de réponse pénale, les viols sont confiés assez rapidement à des juges d'instruction, comme le prévoit la loi. Pour les agressions sexuelles, nous privilégions des réponses rapides pour éviter tout risque de réitération, en particulier les poursuites par voie de comparution immédiate. À Paris, nous considérons que les agressions sexuelles constituent des infractions graves, qui nécessitent des réponses rapides et efficaces. S'il existe des alternatives aux poursuites, ce n'est qu'à la marge, pour des faits dont la gravité se situerait vraiment dans le bas du spectre.

Nous opérons là encore très peu de correctionnalisations ab initio . Nous saisissons presque systématiquement le juge d'instruction sous la qualification la plus haute. À Paris, de nombreux viols et agressions sont commis sur la voie publique ou dans des domiciles privés, par des individus qui repèrent leurs victimes, les suivent dans la rue et arrivent à s'introduire dans les halls d'immeuble ou les domiciles par violence, surprise ou contrainte, et qui vont commettre leurs méfaits dans ces lieux. Nous ne correctionnalisons jamais les viols commis sur la voie publique ou au domicile des victimes, sous la menace d'une arme, ou accompagnés de violences graves. Nous estimons que ces faits sont trop graves et, quelle que soit l'approche des victimes, la nôtre est celle de violences criminelles.

Dans la phase de jugement, nous avons de fait, même si elle n'est pas officialisée, une spécialisation de chambre correctionnelle. À Paris, tous ces dossiers sont en effet jugés par une même chambre du tribunal correctionnel qui comporte deux sections, la 10-1 et la 10-2, ce qui nous assure une unité de jurisprudence intéressante et des peines qui, en cas de correctionnalisation, restent sérieuses puisqu'elles se situent entre trois et cinq ans d'emprisonnement. Cela assure une réponse pénale qui a un certain sens.

Vous m'interrogez, madame la présidente, sur d'éventuelles modifications de la législation. À cet égard, les trois problèmes que nous rencontrons aujourd'hui renvoient directement aux réflexions conduites depuis plusieurs mois, notamment dans le cadre du groupe de travail de la commission des lois du Sénat devant lequel j'avais été entendu voilà quelques semaines 443 ( * ) .

La première problématique, qui concerne les mineurs, renvoie à la question de la présomption de consentement ou de la définition d'un âge en deçà duquel il n'y a pas de discernement, et donc pas de consentement, dès lors que le viol a été commis par un majeur.

Nous avions été amenés à indiquer à la commission des lois, avec ma collègue qui dirige la section des mineurs, que nous étions favorables non pas à l'idée d'une présomption de consentement, mais à l'introduction dans le code pénal d'une disposition indiquant clairement qu'il n'existe pas de consentement pour un viol commis par un majeur sur un mineur, dès lors que l'âge de ce mineur est inférieur à treize ans.

Cette position nous permettait de conserver une certaine cohérence avec l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, qui définit l'âge de treize ans comme une séparation entre sanction éducative et sanction pénale. Cette approche présente aussi l'avantage d'éviter devant la juridiction saisie de ces affaires le débat que pourrait faire naître la notion de présomption.

Nous le savons, le droit positif et le Conseil constitutionnel n'aiment pas les présomptions irréfragables. Si l'on introduit dans le code pénal la notion de présomption, il ne s'agirait donc que d'une présomption simple. Or celle-ci pourrait être contestée, ce qui donnerait lieu à des débats sans fin devant les juridictions.

L'âge de treize ans que je préconise s'appliquerait uniquement aux viols commis par les majeurs, il faut le préciser. Pour les viols commis par les mineurs, la situation est totalement différente, car de nombreux viols peuvent s'apparenter à des « jeux sexuels » qui tournent mal. Cette problématique différente devrait donc, selon moi, rester en dehors du champ des débats actuels. Certes, on pourrait choisir l'âge de quinze ans, mais l'âge de treize ans nous semble présenter plus de cohérence avec le volet « auteur » de l'ordonnance de 1945.

Le second sujet a trait au renforcement de certaines sanctions. Nous imaginions l'introduction dans le code pénal d'une aggravation de peine au travers d'une circonstance aggravante pour les viols et agressions sexuelles ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à huit jours. Aujourd'hui, cette circonstance n'est pas prévue dans le code et il s'agit là d'une lacune.

Enfin, la troisième problématique sur laquelle porte le débat actuel concerne la prescription. Sur le sujet, nous avions indiqué que nous n'étions pas favorables à l'imprescriptibilité des crimes sexuels, cette dernière nous paraissant devoir être réservée aux crimes contre l'humanité et aux génocides, et ne pas devoir être étendue à d'autres formes de criminalité, aussi graves soient-elles. Se posait alors la question de l'extension de la prescription. Certes, on peut toujours étendre ce délai de prescription, mais cela posera le problème des exigences probatoires, dans la mesure où nous devrons juger devant des juridictions criminelles des faits vieux de vingt ou trente ans, voire davantage si l'on considère que la majorité est le point de départ du délai de prescription. Dans ces dossiers, il n'existerait plus de preuves physiques, biologiques, et parfois plus de témoins.

Je crois que la vraie marge de progression sur ces sujets réside plus dans la recherche des « angles morts » de la politique pénale et des politiques publiques pour essayer de les corriger. Je suis convaincu que l'arsenal législatif est relativement complet aujourd'hui, sous la réserve que j'exposais tout à l'heure s'agissant de l'ITT supérieure à huit jours. La loi nous donne les moyens de travailler. La problématique renvoie peut-être davantage à des questions de moyens, d'organisation et de procédures.

À Paris, nous nous sommes penchés depuis plusieurs années sur ces questions et nous avons été amenés à accélérer cette réflexion en lien avec l'actualité, depuis septembre 2017. Nous avions d'ailleurs travaillé dans ce domaine depuis quatre à cinq ans. Nous avons bâti, en lien étroit avec la Mairie de Paris, un schéma départemental d'aide aux victimes tout à fait unique en France qui comporte un travail avec le réseau spécialisé dans la lutte contre les violences faites aux femmes notamment. Ce schéma, fruit d'un diagnostic de huit mois, contient quatre-vingt recommandations en cours de mise en oeuvre. Les trois quarts de ces recommandations sont appliqués aujourd'hui et il vit à travers un chargé de mission qui travaille à temps plein, sous la double tutelle du secrétaire général de la ville de Paris et du procureur de Paris. Ce poste est financé par des fonds de la Mairie de Paris, du Fonds interministériel de prévention de la délinquance et des programmes d'accès au droit du ministère de la Justice.

Nous avons essayé de lancer un certain nombre d'actions et nous avons été amenés à reprendre cette réflexion pour franchir une dimension supplémentaire à compter de septembre dernier, avec les affaires de harcèlement venues des États-Unis, la campagne #Balance ton porc et toutes les dénonciations qui alimentent les médias depuis plusieurs mois et se traduisent par des évolutions statistiques significatives. Nous avons étudié la question avec les services de police il y a quelques jours. Nous n'avons pas enregistré plus de viols. En revanche, les signalements de harcèlement et d'agression sexuelle se révèlent beaucoup plus nombreux.

Entre janvier et août 2017, nous avions recensé chaque mois 87, 98, 103, 90, 126, 123, 98, 100 signalements. À partir de septembre, le nombre est passé à 120 signalements, puis 154 en octobre, 137 en novembre, 120 en décembre et 115 en janvier 2018. L'augmentation des signalements se situe ainsi entre 20 et 30 %. On peut clairement la relier aux débats et aux articles qui se sont répandus dans les médias et les réseaux sociaux depuis la rentrée de 2017.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Avez-vous pu vérifier si l'augmentation des faits déclarés concerne des faits anciens ?

François Molins . - Les statistiques ne permettent pas de l'affirmer, mais je pense que c'est le cas.

Dans le travail que nous effectuons sur les points à améliorer, nous nous efforçons de porter un regard critique sur nos pratiques, en particulier en ce qui concerne le parcours des victimes, en partant du schéma de répartition des saisines.

La victime d'un viol ou d'une agression sexuelle se présente dans un commissariat : les choses commencent à se compliquer. La situation diffère selon qu'elle se présente le jour ou la nuit, en semaine ou le week-end. Le protocole consiste à déterminer le service le mieux « armé » pour traiter un tel dossier. Cela implique de recueillir un certain nombre de renseignements. Il est donc important que la victime ait en face d'elle un fonctionnaire déjà formé et compétent pour collecter les renseignements qui seront portés à la connaissance du parquet et qui permettront de déterminer si le dossier reste du ressort du SAIP du commissariat d'arrondissement ou doit être envoyé à la police judiciaire, en fonction de la gravité des faits. Or tous les fonctionnaires ne possèdent pas le même niveau de compétence et l'organisation n'est pas toujours identique d'un commissariat à l'autre. Certaines victimes peuvent ainsi être amenées à rester plusieurs heures dans un commissariat, être entendues plusieurs fois sur les mêmes faits par le même service ou des services différents. Cette situation peut être assez pénible.

Nous avons donc travaillé à améliorer la prise en charge de la victime. Nous avions lancé début 2017 le dispositif de l'évaluation personnalisée des victimes, issu de la loi du 17 août 2015 444 ( * ) . Selon l'article 10-5 du code de procédure pénale, ce dispositif consiste à déterminer si la victime a besoin de mesures spécifiques de protection au cours de la procédure pénale, parce que les faits dont elle a été victime sont très graves ou qu'elle est susceptible de mesures de représailles ou d'intimidation de la part de l'auteur des faits. Nous avions demandé aux services de police de mettre en oeuvre cette mesure : il s'agissait, chaque fois qu'ils allaient voir une victime de faits relativement graves, de nous dire si, d'après eux, elle devait entrer dans ce dispositif. Le cas échéant, nous devions saisir une association d'aide aux victimes pour obtenir cette évaluation personnalisée. Une première évaluation statistique des résultats du dispositif, à la fin de 2017, a fait apparaître entre trente et quarante retours positifs de la part des services de police parisiens. Je ne les incrimine pas, bien au contraire ! Je pense que le dispositif est passé à côté de la cible et que les policiers ont tant à faire sur des contentieux de masse qu'ils ne sont pas en mesure d'assurer cette détection.

Nous avons donc rectifié le tir et inversé le dispositif. Nous avons constaté que celui-ci « doublonnait » en quelque sorte un dispositif permettant au parquet de saisir directement les associations d'aide aux victimes face à des victimes gravement traumatisées. Nous avons donc fusionné les deux dispositifs. Désormais, les sections de permanence du parquet de Paris saisissent systématiquement le Centre d'information sur les droits des femmes (CIDF) afin d'obtenir une évaluation personnalisée pour toutes les victimes d'infractions criminelles, dès lors que les faits ont été commis au sein du couple. C'est Paris Aide aux victimes qui est saisie en revanche si les faits ont été commis en dehors du couple. Nous avons instauré le même dispositif à l'égard des victimes d'infractions délictuelles particulièrement traumatisées ou exposées à des risques de représailles ou d'intimidation. J'ai adopté ces directives le 20 décembre 2017. Lors de la première évaluation de ce système, fin janvier 2018, près de soixante-dix signalements avaient été adressés au CIDF ou à Paris Aide aux victimes . Aujourd'hui, ce dispositif présente une réelle efficacité et fait « exploser les compteurs » des associations d'aide aux victimes.

Nous avons également oeuvré à une accélération et à une meilleure répartition des saisines afin d'éviter une attente trop longue de la part de la victime. Nous nous sommes donc attachés à identifier les failles dans leur parcours. Dans les commissariats parisiens, les Brigades locales de protection de la famille (BLPF) ne travaillent pas le week-end. Les points de fragilité sont la nuit, le samedi et le dimanche. Nous avons travaillé en premier lieu sur la primo-audition : nous avons donné des instructions pour éviter les auditions multiples et renouvelées. Ces directives ne sont pas encore formalisées, mais nous avons réuni tous les services de police parisiens pour en parler ; le message est en train de passer. Nous insistons sur le fait que la primo-audition n'est pas nécessaire si aucun fonctionnaire présent n'est compétent et n'a pas été formé à cette fin. Elle n'est utile que si elle permet de recueillir suffisamment d'éléments pour appeler le parquet et lui permettre de saisir le service compétent. En tout état de cause, mieux vaut réserver la première audition au service de police qui sera saisi de l'enquête et des investigations plutôt que de procéder à une primo-audition qui ne sera pas concluante.

Il est également impératif que le service de police accueille la victime qui se présente au commissariat. Nous avons en effet constaté des situations dans lesquelles la victime se présentait à un service et, parce que tous les agents étaient occupés, elle était renvoyée chez elle et invitée à revenir plus tard. Nous avons souligné que cette pratique était à proscrire et que les victimes devaient être traitées immédiatement.

Nous avons par ailleurs observé que, chaque année, à Paris, entre soixante-dix et quatre-vingt victimes de viol ne portent pas plainte dans un commissariat, mais se présentent directement aux Unités médico-judiciaires (UMJ) ou à l'AP-HP pour un examen médical et pour la réalisation de prélèvements. Or lorsqu'aucune procédure n'est en cours, cet examen n'est pas pris en charge au titre des frais de justice. Certaines victimes peuvent même être renvoyées chez elles, les services de santé ayant refusé d'effectuer les prélèvements au motif qu'ils ne seront pas payés pour cela. Nous travaillons pour que les examens médicaux et les prélèvements soient réalisés même en l'absence de procédure et, si la victime l'accepte, que le service de police en soit avisé. Nous nous engagerons alors à prendre en charge financièrement, au titre des frais de justice, les examens médicaux et prélèvements dès lors que la plainte aura permis d'ouvrir une procédure pénale.

Un travail est mené depuis plusieurs mois sur les classements sans suite. De nombreux dossiers se traduisent par un classement, par exemple lorsque l'auteur n'a pas été identifié (viol sur la voie publique notamment). Autre cas de figure : dans le cadre de dossiers complexes, pour lesquels l'enquête n'a pas permis de recueillir suffisamment d'éléments permettant le renvoi devant la chambre criminelle ou correctionnelle aux fins de condamnation de l'auteur. Dans ces cas, la Chaîne applicative supportant le système d'information orienté procédure pénale et enfants ( Cassiopée ) édite des imprimés de classement sans suite, extrêmement lapidaires, qui peuvent laisser à la personne le sentiment qu'elle n'a été victime de rien du tout. La notion d'infraction insuffisamment caractérisée, par exemple, donne l'impression que le viol n'est pas certain. Nous avons été amenés à adapter ces imprimés au niveau du parquet de Paris.

Désormais, pour les viols, nous n'utilisons plus ces imprimés ; nous établissons un courrier expliquant à la victime qu'après sa plainte, une enquête a eu lieu, mais qu'elle n'a pas permis d'établir suffisamment d'éléments pour renvoyer l'auteur devant la juridiction. Pour autant, ce courrier précise que cela ne signifie pas que la victime n'a pas subi les faits dénoncés. Nous lui indiquons également la possibilité d'être reçue par une association d'aide aux victimes ou un délégué du procureur, voire par un magistrat pour obtenir des précisions sur les motifs du classement.

Un travail sera engagé avec les associations d'aide aux victimes, les assistants sociaux des commissariats et les bureaux d'aide aux victimes du futur Palais de justice de Paris. À compter de notre déménagement dans le nouveau palais, mi-avril 2018, nous disposerons d'un bureau d'aide aux victimes particulier. Paris Aide aux victimes a obtenu des crédits pour embaucher 0,5 équivalent temps plein (ETP) d'assistant social et 0,5 ETP de psychologue. Ce bureau d'aide aux victimes pourra donc amorcer une prise en charge immédiate des victimes les plus gravement traumatisées. Cela permettra aussi d'initier un travail en réseau avec les victimes qui auraient déjà pu être en contact avec des psychologues et assistants sociaux des commissariats.

Enfin, la Section des mineurs travaille sur la problématique des infractions prescrites. Cette section se trouve en effet confrontée à de nombreuses plaintes de personnes qui ont été victimes dans leur enfance de faits particulièrement graves, qu'elles viennent dénoncer alors que l'action publique est éteinte par le fait de la prescription. À Paris, la Section des mineurs et la Brigade des mineurs ont mis en place une pratique spécifique. Dans les cas de prescription, une enquête est menée et peut se poursuivre jusqu'à l'audition du mis en cause, non pas dans le cadre d'une garde à vue (puisque les faits sont prescrits), mais d'une audition libre. L'expérience démontre que les victimes ont besoin de cette parole posée. Il est même possible parfois de parvenir à des confrontations. Il arrive que des aveux surviennent alors que les auteurs savaient que les faits étaient prescrits, et que des lettres d'excuses soient adressées aux victimes. Cela peut contribuer à des phénomènes de restauration des victimes.

Par ailleurs, nous sommes confrontés depuis vingt ans - et la situation ne s'améliore pas - à une pénurie d'experts pédopsychiatres, pour les victimes, et d'experts psychiatres, pour les auteurs.

Quant aux faits de harcèlement, au parquet de Paris, ils peuvent être traités par deux sections différentes selon qu'ils sont commis au travail ou en dehors du travail. Le harcèlement sexuel en dehors du travail est traité par la section chargée de la délinquance sur la voie publique, qui avait notamment traité l'affaire Baupin.

Nous rencontrons les mêmes difficultés pour le harcèlement au travail et le harcèlement en dehors du travail. Elles sont plus grandes dans ce second cas. Souvent, les faits dénoncés sont relativement anciens. Cette difficulté est moins forte dans le cadre du harcèlement au travail, car le cadre professionnel est souvent plus restreint, plus stable, et les personnes se connaissent. Ceci rend plus facile la caractérisation de propos et de comportements qui, par nature, sont étrangers à l'activité professionnelle. Dans le cadre professionnel, on arrive aussi à faire peur. Le parquet de Paris, lorsqu'il envoie la plainte au commissariat, rappelle systématiquement qu'il faut notifier aux témoins les dispositions des articles 225-1-1 et 225-2 du code pénal qui prévoient une peine de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende à l'égard de toute personne qui prononcerait une sanction professionnelle contre une personne qui témoignerait de faits de harcèlement. Je pense que cela peut faciliter la libération de la parole dans un cadre professionnel. Nous recueillons quand même relativement peu de plaintes pour harcèlement sexuel.

Annick Billon, présidente . - Merci, monsieur le procureur. Nous l'avons vu, le parquet de Paris est assez exemplaire sur la façon d'accueillir et de traiter les affaires de violence. Nous avons noté dans votre propos l'attention portée aux victimes et l'importance du premier accueil de ces dernières. Il est important que les victimes puissent être accueillies dans de bonnes conditions, et ce, à tout moment. Vous avez évoqué le travail que vous effectuez avec des associations. Or celles-ci sont de plus en plus sollicitées : mes collègues poseront sans doute des questions sur les moyens qui leur sont attribués. Ressentez-vous un affaiblissement de la capacité des associations à accompagner les victimes ? Par ailleurs, que pensez-vous des inégalités de traitement des victimes selon les territoires ?

François Molins . - Le harcèlement représente une centaine de procédures par an. Les deux tiers ne peuvent donner lieu à poursuites, en raison de problèmes de prescription ou parce que l'infraction n'est pas caractérisée. Un tiers de ces dossiers seulement est susceptible de poursuites devant le tribunal correctionnel.

Annick Billon, présidente . - Merci pour cette précision. Je vais passer la parole à mes collègues.

Roland Courteau . - Dans le cadre des violences au sein des couples, la garde à vue peut représenter un moyen d'assurer la décohabitation entre l'auteur et sa victime. Elle permet aussi à cette dernière d'organiser sa constitution de plainte en sécurité. Mais il y a aussi l'ordonnance de protection (OP), procédure qui a fait ses preuves. Pourtant, cette ordonnance est délivrée parfois tardivement, quand elle l'est... Quelle est selon vous la voie la plus efficace ?

La politique de conventionnement que vous avez initiée permet d'assurer la coordination des services et de garantir la protection des victimes. Existe-t-il ailleurs en France des conseils de juridiction dans lesquels les magistrats du siège, les parquets, les services de police et la mairie agissent de concert ?

Françoise Laborde, co-rapporteure . - Merci, monsieur le procureur, pour cet exposé très intéressant. J'ai bien retenu dans vos propos que le parquet de Paris a mis en place des pratiques dont d'autres juridictions pourraient s'inspirer. En tant que sénateurs et sénatrices, nous serions intéressés de savoir qui pourrait décider que ces bonnes pratiques se diffusent dans tous les territoires ?

Sur le classement sans suite, Paris fait, là encore, mieux qu'ailleurs. Les lettres issues de Cassiopée , dont vous avez parlé tout à l'heure, sont effectivement de nature à décourager les victimes. Elles ne donnent certainement pas envie de s'engager dans ce « parcours du combattant » des victimes.

Je m'interroge surtout sur le problème des infractions prescrites. Souvent, les personnes ne portent pas plainte parce qu'elles ont une famille, des enfants. Dans ce cas précis, l'enquête peut-elle être conduite de façon plus discrète, de façon à ménager les proches de la victime ?

Maryvonne Blondin . - Vous avez utilisé un terme qui m'a un peu interpellée. Vous avez parlé, s'agissant des victimes, d'expertise de retentissement psychologique, ce qui peut sembler étonnant vis-à-vis de quelqu'un qui a subi un traumatisme.

Vous n'avez pas mentionné les Téléphones grave danger (TGD) qui constituent aussi un moyen efficace au service de la lutte contre les violences faites aux femmes. Malheureusement, ces outils sont encore trop peu nombreux dans nos départements. Françoise Laborde évoquait la comparaison entre Paris et les départements. J'insisterai aussi sur la différence entre commissariats, en ce qui concerne l'accueil des victimes. Nous avons bien vu combien le premier accueil est décisif. Or certains commissariats, dans mon département, ont mis à profit l'enveloppe dédiée aux travaux d'accessibilité pour organiser un espace d'accueil fermé, ce qui facilitera justement l'enregistrement des plaintes. J'ai vu récemment dans Libération un dossier sur l'Union nationale des étudiants de France (UNEF) et les plaintes pour viol : une victime déclare être passée, à Paris, d'un commissariat à un autre avant de pouvoir déposer plainte. Elle a persévéré, mais ces renvois multiples peuvent déstabiliser et faire reculer certaines victimes.

François Molins . - Le « retentissement psychologique » renvoie, j'en conviens, à un langage un peu technocratique.

La question des moyens demeure une question compliquée. À Paris, je pense que nous avons la chance de disposer de plus de moyens qu'ailleurs. Par exemple, je dispose d'un cabinet pour m'épauler, avec un magistrat chargé de la prévention de la délinquance et de l'aide aux victimes. Il est certain qu'avec 136 magistrats et 360 fonctionnaires, nous bénéficions à Paris de plus de ressources que partout ailleurs. Pour autant, il ne suffit pas d'avoir des moyens : encore faut-il les utiliser. Je pense que ce que nous avons réalisé à Paris pourrait l'être dans d'autres territoires.

Des comités locaux d'aide aux victimes ont été institués au niveau départemental. Dans ce cadre, en principe, tous les dispositifs d'aide aux victimes ont été mis en cohérence. Ce modèle d'organisation est parti de l'expérience parisienne. Aujourd'hui, il est prévu qu'au niveau de chaque comité local d'aide aux victimes soit établi un schéma départemental. Ce travail exige du temps et des moyens, car il ne peut être fondé que sur un diagnostic précis de la situation. Sans ce constat, on ne peut pas corriger les dysfonctionnements et améliorer ce qui doit l'être. Lorsque tous les départements auront mis en place ce type de schéma, je pense que l'on observera des résultats intéressants.

Il existe, à mon sens, une deuxième condition à la réussite des politiques publiques, c'est la pérennité. Une action qui s'arrête deux ans après avoir été engagée ne sert à rien. Les politiques publiques doivent survivre aux acteurs administratifs qui les mettent en place et qui les portent. Or dans un certain nombre de départements, des actions intéressantes sont engagées, puis elles s'interrompent parce que le préfet ou le procureur a changé. Cela me paraît tout à fait anormal. Une politique publique qui n'est pas pérenne ne sert à rien. Elle se traduit par un gâchis de moyens. Je soutiens mes collègues procureurs, car on attend beaucoup de nous. Je pense toutefois qu'ils agissent aussi en fonction des moyens dont ils disposent. S'ils bénéficiaient de l'aide de chargés de missions spécialisés dans la politique de la ville et l'aide aux victimes, ils en feraient probablement davantage.

Le garde des Sceaux reste le principal acteur de la politique pénale. La ministre a pris, en novembre 2017, une circulaire de politique pénale engageant l'ensemble des parquets à travailler la réponse pénale pour renforcer son efficacité. C'est dans ce cadre que j'ai inscrit le travail que je mène depuis plusieurs mois, mais cela ne suffit pas. Il faut, en parallèle, engager un travail de réseau qui renvoie directement aux comités locaux d'aide aux victimes, maintenant placés sous l'égide de la déléguée interministérielle aux victimes, Élisabeth Pelsez, qui travaille beaucoup sur le sujet. Il faut progresser dans ce domaine. Encore une fois, j'insiste beaucoup sur l'impératif de pérennité des politiques publiques.

Roland Courteau . - Dans les départements, ce n'est pas toujours une question de moyens. Il peut s'agir aussi d'un certain manque de volonté.

François Molins . - Je suis d'accord avec vous. Lorsque je suis arrivé à Paris, en novembre 2011, il n'existait pas de Téléphone grave danger (TGD). Au mois de juillet, une convention était signée avec la mairie. Pour avoir exercé les fonctions de procureur en Seine-Saint-Denis, j'avais observé l'efficacité de ce dispositif et je souhaitais vivement en obtenir à Paris. Je les ai obtenus en six mois.

Pour répondre à la question de Monsieur Courteau, je pense que les dispositifs de l'ordonnance de protection (OP) et la garde à vue sont complémentaires. Ils obéissent toutefois à des tempos différents. L'éviction du conjoint violent peut intervenir très vite dans le cadre de la flagrance. C'est la politique que nous menons à Paris. Nous essayons de proposer la réponse pénale la plus effective possible, fondée sur la mise en garde à vue du conjoint violent, ce qui permet d'organiser la décohabitation dans un délai de vingt-quatre à quarante-huit heures. L'OP permettra aussi d'éloigner le conjoint violent, mais cela suppose un délai compris entre quinze jours et plusieurs semaines, selon les juridictions.

Ces démarches ne répondent pas aux mêmes situations. Elles sont néanmoins complémentaires, notamment dans le cadre de l'instauration du TGD. A Paris, nous disposons de vingt-cinq téléphones : quinze sont utilisés ; vingt sont réservés. Ces téléphones seront renouvelés dans les prochaines semaines dans le cadre du nouveau marché national mis en oeuvre au niveau du ministère. Nous avons d'ailleurs demandé cinq téléphones supplémentaires pour porter la dotation parisienne totale à trente. Ce dispositif fonctionne très bien et constitue un pan important de la politique pénale du parquet, mais aussi de l'ensemble du réseau. Nous travaillons sur le sujet en bonne entente avec le CIDF, l'association qui effectue les évaluations à notre demande.

À Paris, le conseil de juridiction permet à la juridiction de s'ouvrir sur l'extérieur sur des thèmes choisis : l'aide aux victimes, l'amélioration du suivi des sortants de prison, le harcèlement scolaire, le schéma départemental de l'aide aux victimes, le déménagement du Palais de justice, etc. Ce dispositif fonctionne bien. Il n'est pas ciblé sur la thématique des violences sexuelles ou des violences faites aux femmes, mais il pourrait l'être.

Enfin, sur la prescription, je suis persuadé que, même si l'infraction est prescrite, il est tout à fait possible d'aménager un parcours « allégé » présentant un intérêt évident, non seulement en termes de prise en charge et de réponse à la victime qu'en termes de pédagogie à l'égard de l'auteur. Là encore, cette démarche participe d'une forme de volontarisme. Il me paraît difficile de l'inscrire dans un schéma normatif, car elle renvoie essentiellement à des pratiques professionnelles. À Paris, nous avons la chance de disposer d'un service spécialisé, la Brigade des mineurs, où travaillent des policiers spécialement formés pour traiter ces questions. Nous ne pourrions peut-être pas le faire aussi bien sans eux. Tous les autres parquets ne possèdent pas un tel outil.

Roland Courteau . - Je suis étonné d'entendre que l'OP est délivrée dans un délai de trois à quatre semaines, alors que la loi précise qu'elle doit être délivrée quand la personne ou ses enfants sont en danger, dans les meilleurs délais.

François Molins . - La notion du temps renvoie à une appréciation différente selon les procédures. En procédure pénale, le temps peut être extrêmement rapide : vingt-quatre à quarante-huit heures pour la flagrance. Dans une procédure civile, un délai de quinze jours peut apparaître rapide.

Annick Billon, présidente . - Il l'est beaucoup moins pour la victime...

François Molins . - Cela renvoie aussi au travail de formation et de spécialisation des avocats. Lorsque la victime se présente devant un avocat, celui-ci doit être en mesure de lui indiquer qu'elle peut solliciter une ordonnance de protection en précisant bien qu'elle ne l'obtiendra que dans quinze jours. L'avocat doit aussi lui conseiller de porter plainte, si elle est battue, pour qu'une procédure en flagrance soit engagée. À Paris et dans les grandes villes, les barreaux ont mis en place des antennes spécialisées, avec des avocats dédiés aux affaires de violences faites aux femmes ou de mineurs, qui interviennent régulièrement devant les Juges aux affaires familiales (JAF). Ces avocats devraient donc pouvoir bien orienter les victimes. Je reconnais qu'un délai de quinze jours peut être extrêmement long pour la victime.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Merci pour l'expertise que vous avez bien voulu partager avec nous. L'absence de pérennité des dispositifs qui se mettent en place dans les départements constitue effectivement un vrai sujet de préoccupation pour les élus locaux que nous sommes. Conclure une convention consomme beaucoup d'énergie. Or il suffit qu'un acteur change pour que cette convention dépérisse.

Je citerai un exemple sur la diversité des réponses pénales des parquets. La loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel 445 ( * ) est très diversement appliquée sur le territoire. Certains parquets s'en sont saisis et en font un excellent usage. Dans d'autres endroits, personne ne mobilise ce texte, alors que cette loi pourrait être utilisée dans des circonstances telles que le harcèlement de rue, par exemple. Certaines gendarmeries y ont d'ailleurs recours dans la lutte contre la prostitution des mineurs.

Je voulais vous faire partager une préoccupation. Actuellement, on ne cesse de chercher le hiatus entre le nombre de faits extrapolé des enquêtes sur les violences sexuelles, le nombre de plaintes et le nombre de condamnations. Face à ces chiffres, il est difficile de dire aux victimes que la justice doit rester leur premier recours. Comment pouvons-nous inciter les victimes à s'adresser à la justice alors que les chiffres eux-mêmes n'entretiennent pas la confiance en la justice ? Comment pouvons-nous lever cette contradiction, d'autant qu'en matière de violences sexuelles, on ne peut pas se contenter de considérer que seuls les faits poursuivis sont vrais ? Nous savons tous en effet que certains faits, bien que vrais, ne sont pas poursuivis. À cet égard, quel est, selon vous, le pourcentage de dénonciations calomnieuses et d'affabulations en matière de violences sexuelles ? On en parle beaucoup. Dans cette société de la délation qui s'instaure, toutes celles qui n'ont pas pu faire reconnaître par la justice les faits qu'elles dénonçaient seraient finalement considérées comme des manipulatrices ou des affabulatrices. Or je suis certaine que tel n'est pas le cas.

Enfin, l'articulation entre la justice pénale et la justice civile en matière de violences conjugales me pose problème. Autant je crois qu'il existe une bonne compréhension des faits en matière pénale, autant la justice civile continue de ne pas prendre en compte la parole de la femme. Je vous conseille d'aller voir le film Jusqu'à la garde . On y voit un personnage de juge aux affaires familiales qui n'entend pas la parole de la femme victime. Comment mieux articuler la connaissance que vous possédez au niveau pénal avec la justice familiale ?

Quant aux commissariats et gendarmeries, il s'agit de mon point de vue d'un problème de volonté politique des ministres. Je n'ai jamais entendu un ministre de l'Intérieur demander aux préfets de faire de la lutte contre les violences faites aux femmes la priorité de l'action des forces de l'ordre, au même titre que les cambriolages ! J'entends toujours que l'on ne va pas solliciter les policiers, qui ont déjà beaucoup de travail avec la sécurité publique, pour traiter des questions de violences faites aux femmes. Je suis convaincue qu'il s'agit d'abord d'un problème de volonté politique.

Laurence Cohen, co-rapporteure . - Monsieur le procureur, c'est toujours un plaisir de vous écouter. Vous nous éclairez énormément. J'ai besoin néanmoins de certaines précisions. J'ai moi-même déposé une proposition de loi sur l'âge du consentement. Je proposais de fixer à quinze ans l'âge limite en matière de consentement. Il me semble important de légiférer, que l'âge retenu soit de treize ou quinze ans. J'ai toutefois été interpellée par des magistrats et magistrates que j'ai auditionnés qui m'ont opposé la notion d'irréfragabilité. La notion même d'atteinte sexuelle me semble pourtant liée à l'irréfragabilité. Je ne comprends pas pourquoi cette question se pose sur l'âge.

Toujours sur cette problématique, on a évoqué, contre la question des seuils d'âge, l'argument tiré d'une histoire d'amour qui pourrait survenir entre une jeune fille de quatorze-quinze ans et un jeune homme de dix-huit ans passés de quelques mois. La définition d'un seuil d'âge pourrait entraîner un dépôt de plainte pour viol, notamment par les parents de la jeune fille. Or cela me semble relever d'un paradoxe : si l'on pense qu'une jeune fille de treize ans est en capacité de discerner ce qu'impliquent des rapports sexuels, on lui confère donc une certaine maturité physique et psychologique. Pour autant, on ne considère pas que son discernement lui permette de porter plainte. Ne faudrait-il pas redéfinir la majorité pour porter plainte ? Aujourd'hui, le mineur est dessaisi de ce droit, au motif qu'il n'est pas majeur au sens de la loi. Mais on peut néanmoins considérer qu'il a le discernement nécessaire pour avoir des relations sexuelles. Je n'arrive pas à dépasser ce paradoxe !

François Molins . - Vous avez abordé le problème de la pérennité des politiques pénales. Je pense qu'il manque aujourd'hui dans ces politiques une dimension d'évaluation. Nous le soulignons depuis près de vingt ans au ministère de la Justice, sans que l'on puisse constater d'évolution notable dans ce domaine. Qui pourrait procéder à ces évaluations ? Aujourd'hui, en principe, ce sont les procureurs généraux qui devraient évaluer ces politiques publiques, mais ils ne le font presque jamais. J'ai connu dans ma carrière quelques procureurs généraux, très minoritaires, qui, avant le départ d'un procureur, effectuaient une inspection du parquet et adressaient au nouveau procureur une lettre de mission pour récapituler la situation du parquet et les axes de politique pénale à conserver, voire à développer. Cette inspection n'est presque jamais réalisée, alors qu'elle entre dans la mission du Procureur général. Ce dernier est en effet en charge de l'animation, de l'évaluation et de la mise en cohérence des politiques pénales de sa cour d'appel. Si cette mission était développée, et accompagnée des moyens nécessaires, je pense que l'efficacité et la pérennité des politiques publiques s'en trouveraient améliorées.

Nous avons recueilli sans doute plus de signalements en matière de violences sexuelles depuis quelques mois. Dans le domaine de la flagrance, nous sommes régulièrement confrontés à des cas d'affabulation concernant des viols dont sont victimes des femmes et de plus en plus d'hommes. Des personnes se présentent dans les commissariats en inventant des agressions. L'objectif est parfois de justifier d'une absence vis-à-vis d'amis, de parents ou de petits amis. D'autres personnes vivent dans ce genre de fantasme. Le phénomène existe, mais il reste marginal.

Je ne veux pas botter en touche, mais la réponse à la question de Mme Rossignol s'avère compliquée. Le parcours judiciaire de la victime ne sera jamais facile. On peut s'attacher à le faciliter, mais il ne sera jamais facile pour autant. La victime, quelle que soit sa crédibilité, va se trouver enfermée dans un schéma procédural dans lequel elle n'aura pas plus de droits que la personne soupçonnée. Cette dernière doit, elle aussi, disposer de certains droits. La victime sera enfermée dans un cadre qui doit satisfaire à une exigence probatoire. Le procureur aussi, même s'il a une vigilance particulière à l'égard des victimes, se trouvera enfermé dans une exigence d'impartialité qui l'amènera à développer toutes les investigations, à charge et à décharge. Je pense que nous ne pourrons jamais garantir aux victimes un parcours facile. Toute parole, dans le cadre d'une procédure, a vocation à être contestée par la personne accusée. On peut néanmoins s'attacher à faire disparaître un certain nombre d'embuches ou d'anomalies qui n'ont pas lieu d'être dans le parcours des victimes. C'est le travail que nous avons essayé de lancer depuis quelques années au parquet de Paris. Nous ne sommes pas encore parvenus au terme de ce processus, qui exige des efforts permanents.

S'agissant de l'âge du consentement, il existe de vraies difficultés. Il existe quand même un précédent en droit français. En effet, l'article 227-25 réprime l'atteinte sexuelle sur un mineur de moins de quinze ans. Il fixe donc un cap. Il faudrait pouvoir en parler de façon plus détaillée, éventuellement avec ma collègue de la Section des mineurs qui vit cette situation au quotidien. Nous distinguons bien les viols sur mineurs selon qu'ils sont commis par des majeurs ou par des mineurs ou de très jeunes majeurs. Il faut garder à l'esprit que le viol renvoie toujours à la nécessité - si l'on se réfère à la définition du code pénal - de déterminer une dimension de violence, contrainte ou surprise. En l'absence de ces critères, il peut y avoir des difficultés. C'est la raison pour laquelle je pense que la fixation d'un âge constituerait la seule façon de sortir de ce débat.

Par rapport au schéma de maturité sexuelle de certains jeunes, l'âge de quinze ans me paraît poser problème. Bien sûr, la loi ne peut pas tout régler et il faut, à l'évidence, faire preuve d'un certain discernement. Vous preniez l'exemple d'une histoire amoureuse entre une jeune fille de quatorze ans et un jeune homme de dix-huit ans et quelques mois. Quelle que soit la loi, ces dossiers excluent une approche trop rigide, sauf à risquer des erreurs. Pour autant, je pense qu'il n'existe pas d'autre solution aujourd'hui que de légiférer dans ce domaine, que ce soit en fixant un âge ou une présomption.

Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup, monsieur le procureur. Nous l'avons vu, ce sujet qui nous occupe est particulièrement complexe. Je vous remercie pour vos réponses sur l'âge du consentement et le délai de prescription, qui nous éclairent beaucoup. Il importe que les victimes soient écoutées et entendues.

Je retiendrai aussi de votre intervention qu'au parquet de Paris, vous disposez de moyens, mais que la volonté des acteurs en place est un paramètre décisif de l'efficacité du travail de la justice. On se plaint souvent de l'inégalité des territoires, mais certains territoires disposent peut-être de moyens qu'ils n'utilisent pas.

Je relèverai aussi l'enjeu de pérennité des politiques publiques par-delà la mobilité des acteurs qui les mettent en place. Dans le domaine des violences faites aux femmes, beaucoup de choses dépendent des associations et il est difficile d'imaginer des politiques pérennes. Le parquet de Paris s'appuie sur un certain nombre d'acteurs et partenaires, dont des associations. Il est nécessaire pour le législateur de se poser la question du financement de ces associations qui travaillent à vos côtés et qui sont incontestablement des partenaires très importants de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Je vous remercie pour la précision de vos réponses. Nous vous réinviterons très certainement pour évoquer d'autres sujets plus longuement. Merci à vous.

Audition de Christelle Hamel, chercheure à l'Institut national des études démographiques (INED), sur l'enquête Violences et rapports de genre (Virage)

(22 février 2018)

Présidence d'Annick Billon, présidente

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, après l'audition du procureur de la République de Paris, nous avons le plaisir d'accueillir Christelle Hamel, sociologue, chercheure à l'Institut national d'études démographiques (INED), pour évoquer une question cruciale quand on travaille sur les violences sexuelles : celle de l'évaluation du nombre de victimes.

On parle en effet souvent du « chiffre noir » des violences faites aux femmes pour évoquer la sous-évaluation des statistiques disponibles en ce domaine. C'est un point qui a été souligné à plusieurs reprises au cours de nos auditions.

Je précise à l'attention de Christelle Hamel que nous avons décidé, dès la reconstitution de la délégation à l'issue du dernier renouvellement sénatorial, de centrer notre agenda sur les violences faites aux femmes - qu'il s'agisse de violences sexuelles, de harcèlement ou de violences conjugales - en lien avec une actualité chargée et avec la préparation du projet de loi annoncé par le Gouvernement sur la lutte contre les violences.

Des études précises sont indispensables pour être en mesure de connaître la fréquence des viols et autres agressions sexuelles en France, les contextes dans lesquels ils se produisent, ainsi que l'âge et le sexe des victimes, mais aussi des auteurs.

C'est l'un des objectifs de l'enquête Violences et rapports de genre ( Virage ) réalisée par l'INED, à laquelle vous participez. Je rappelle que cette étude vise à mesurer statistiquement les violences subies par les femmes et les hommes - mais nous savons que les violences, quelles qu'elles soient, affectent majoritairement les femmes, même si le procureur de la République vient de nous dire que le parquet de Paris reçoit de plus en plus de signalements concernant des viols commis sur des hommes.

Christelle Hamel, nous comptons donc sur vous pour nous aider à y voir plus clair sur ce sujet.

Pouvez-vous nous donner une analyse dans la durée des études statistiques appréhendant les violences faites aux femmes (Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF), Cadres de vie et sécurité (CVS), Virage ...) ? À cet égard, pouvez-vous nous présenter plus particulièrement les premières conclusions de l'enquête Virage menée en 2015, qui a interrogé un vaste échantillon représentatif de la population âgée de 20 à 69 ans ?

Quelles sont les spécificités de l'enquête Virage par rapport aux autres enquêtes, notamment du point de vue de la méthodologie ? Les ordres de grandeur des différentes études sont-ils comparables ? Que pouvez-vous nous dire sur la sous-évaluation statistique des victimes de violences ?

Enfin, pensez-vous que la libération de la parole à l'oeuvre depuis quelques mois se reflètera dans les futures enquêtes ?

Madame Hamel, je vous remercie chaleureusement d'avoir accepté notre invitation. Nous sommes certains que vous pourrez nous apporter des éléments de réponse à ces nombreuses questions, ainsi que, le cas échéant, sur d'autres points que je n'aurais pas soulevés et qui vous paraîtraient importants. À l'issue de votre présentation, les membres de la délégation feront part de leurs réactions et ne manqueront pas de vous poser des questions.

Je vous laisse sans plus tarder la parole.

Christelle Hamel, chercheure à l'INED, sur les statistiques de violences faites aux femmes . - Merci beaucoup, madame la présidente. Je vais vous présenter brièvement les premiers résultats de l'enquête Virage en me focalisant sur les violences sexuelles, car ce sont celles qu'en tant qu'équipe nous avons décidé d'analyser en priorité. Les résultats sur les violences conjugales paraîtront ultérieurement. J'évoquerai successivement les objectifs généraux de l'enquête, les résultats sur les violences sexuelles au cours des douze derniers mois précédant l'enquête, c'est-à-dire pendant l'année 2015, les violences sexuelles déclarées au cours de la vie par les enquêté-e-s. Je préciserai ensuite les âges, les contextes ainsi que les modes d'extorsion du consentement des personnes victimes interrogées par les enquêteurs et enquêtrices de Virage .

Quelles étaient les connaissances statistiques sur les violences lorsque nous avons décidé de lancer le projet ? La première enquête nationale réalisée sur les violences faites aux femmes, l'ENVEFF, a été conduite par l'Institut de démographie de l'université de Paris-I en 2000 auprès de 7 000 femmes. Cette enquête avait été demandée à la suite de la Conférence de Pékin en 1995, lors de laquelle il avait été constaté que la France ne disposait pas d'outils statistiques pour mesurer les violences faites aux femmes. Depuis lors, plusieurs enquêtes ont permis de mesurer les violences, notamment les violences sexuelles. C'est le cas en particulier de l'enquête sur la sexualité en France de 2008, réalisée dans un contexte d'études des comportements face aux maladies sexuellement transmissibles 446 ( * ) , mais aussi de l'enquête Événement de vie et santé, réalisée en 2006, par la DRESS 447 ( * ) .

Les violences sexuelles sont assez bien documentées en France, car elles ont été prises en compte dans les grandes enquêtes sur la sexualité et la santé, depuis le début de l'épidémie de Sida. La création de l'Agence nationale de recherche sur le Sida au début des années 1990 a ainsi permis de financer de nombreuses enquêtes statistiques sur ce sujet et d'aborder les violences sexuelles. En revanche, toutes les autres formes de violences qui se produisent dans le contexte conjugal, dans le contexte du travail ou dans l'espace public restent très mal connues. L'enquête Cadre de vie et sécurité (CVS), qui a fait suite à l'enquête Événement de vie et santé, est réalisée tous les ans depuis 2007 par l'Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ORDP) et l'Insee. Elle apporte certains éléments sur les violences constatées dans et en dehors du cadre conjugal. Cette enquête est réalisée chaque année auprès d'un échantillon de 13 000 à 19 000 personnes - femmes et hommes -, selon les financements. Elle recueille des données sur les violences conjugales, mais elle a pour défaut de ne pas correspondre, dans son questionnement, aux standards internationaux de mesure des violences fondées sur les rapports de genre ( Gender-based Violence dans la convention d'Istanbul). En effet, il existe aujourd'hui des protocoles très approfondis pour aider les pays qui souhaitent s'engager dans l'élaboration de données statistiques. Ces standards internationaux sont édictés par l'ONU.

Eurostat est également en train de mettre en place une enquête européenne sur la base de ces standards internationaux pour les pays membres de l'Union européenne et ce sont les offices nationaux de statistiques (équivalent de l'Insee) qui seront en charge de réaliser cette enquête. Ses résultats sont attendus à l'horizon 2021-2022 et induiront une transformation de l'actuelle enquête Cadre de vie et sécurité (CVS). L'enquête CVS sera donc amenée à évoluer très profondément dans son contenu. Cette enquête CVS a été instaurée dans le cadre de la Loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI 448 ( * ) ), afin d'estimer le « chiffre noir » de la délinquance, des délits et de la criminalité. Elle pose donc des questions sur les violences conjugales et les violences sexuelles, mais de manière très succincte, au milieu de nombreuses questions sur les cambriolages, les vols de voiture, les vols de téléphone portable, etc. Ce cadre n'est pas très propice à la déclaration de violences commises dans un cadre intime. Surtout, l'enquête présente une mesure un peu différente de la nôtre.

Dans le cadre de l'enquête Virage , nous avons interrogé 27 000 personnes, hommes et femmes, âgées de 20 à 69 ans. Il s'agit d'un échantillon représentatif de la population résidant « en ménage ordinaire », c'est-à-dire qui vit dans une maison ou un appartement. En revanche, toutes les personnes vivant dans une institution (centre d'hébergement, hôpital de jour, prison, etc.) ne sont pas questionnées, ce qui a pour effet une sous-estimation de l'effectif des victimes de violences. Ces établissements accueillent en effet des personnes en situation de vulnérabilité, notamment parce qu'elles ont subi des violences ou d'autres situations difficiles. Pour obtenir une estimation juste du nombre de victimes, il faudrait interroger dans le même temps les personnes qui vivent en institution, mais ce travail ne peut se faire sans la collaboration du SAMU Social et de l'Insee. Il nécessite en outre de mettre en place un dispositif de collecte des données assez complexe. L'entrée dans ces institutions est soumise à autorisation administrative, et à des autorisations des administrations concernées, mais aussi de la CNIL. Ainsi, toutes les femmes accueillies dans des foyers d'hébergement d'urgence à cause de violences conjugales ne sont pas enquêtées, ni dans Virage ni dans aucune des enquêtes qui l'ont précédée.

Le questionnaire de l'enquête Virage dure une heure. Il a été mené par téléphone par 67 enquêtrices et 43 enquêteurs de l'institut de sondages MV2. La collecte a duré neuf mois, de février à novembre 2015. À la fin du questionnaire, une information systématique a été donnée aux personnes enquêtées, qu'elles aient ou non déclaré des violences, sur les dispositifs d'aide aux victimes, notamment le 3919 449 ( * ) et le 08Victimes 450 ( * ) .

Comment mesurons-nous les violences sexuelles ? Nous utilisons une terminologie différente du vocabulaire courant. Nous n'employons jamais les termes de « viol » ou d'« agression sexuelle », car ils sont associés à des représentations trop hétérogènes d'une personne à l'autre pour permettre une mesure fiable du phénomène. Les questionnaires demandent plutôt si les personnes ont subi des « rapports sexuels imposés par la contrainte » ou des « rapports sexuels forcés » (ou une tentative) ou des « attouchements forcés ». Lorsque la réponse est positive, les personnes doivent s'auto-classer dans l'une ou l'autre de ces catégories prédéfinies : attouchements forcés, tentatives de rapports forcés ou rapports sexuels forcés. Ce procédé est moins subjectif que le recours aux termes de « viol » ou « agression », en raison de la très grande variabilité des représentations de ces notions selon les individus. Néanmoins, il ne fait pas complètement disparaître le problème et reste assez éloigné des définitions légales. Nous ne reprenons pas non plus les définitions juridiques mot à mot dans les enquêtes, car elles peuvent apparaître un peu ésotériques pour les enquêté-e-s, comme la définition du viol prévue par l'article 222-23 du code pénal (« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise »).

L'enquête Virage a fait le choix de reprendre la méthodologie des enquêtes précédentes tout en essayant de se rapprocher des catégories juridiques, et de décrire plus précisément les actes subis par les personnes, afin de mieux inclure les violences subies par les hommes. Nous avions pour hypothèse que, pour les hommes, les violences sexuelles peuvent correspondre à des faits commis lors de bizutage (par exemple, intromission dans l'anus d'une bouteille ou d'un objet). Mais ces faits ne sont pas forcément perçus comme un « rapport sexuel forcé » qui induit une situation mettant en présence deux personnes et peut laisser de côté d'autres situation comme le bizutage. Nous avons donc légèrement modifié le dispositif de questionnement.

Trois questions sont posées à tous nos enquêtés. La première question est, pour les femmes : « Au cours des douze derniers mois, quelqu'un a-t-il, contre votre gré, touché vos seins ou vos fesses, vous a coincé pour vous embrasser, s'est frotté ou collé contre vous ? » et la réponse prévoit d'indiquer le nombre de fois. Il s'agit là d'agressions sexuelles relevant du délit. Pour les hommes, la question est : « Quelqu'un s'est-il, contre votre gré, frotté ou collé contre vous ? » Nous avons retiré, à la suite de l'enquête pilote, les mots « a touché vos fesses, vous a coincé pour vous embrasser, », car elle faisait souvent rire des hommes et certains ont pu en profiter pour se mettre à « draguer » les enquêtrices.

Comme nous craignions à l'époque d'être soupçonnés de sous-estimer les violences subies par les hommes, nous avons conservé cette seconde formulation, mais cela ne renvoie évidemment pas au même type de violences pour les hommes et les femmes. C'est la seule question de notre questionnaire qui soit différente pour les femmes et pour les hommes. Toutes les autres sont strictement identiques.

La deuxième question était : « Vous a-t-on forcé-e à faire ou à subir des attouchements du sexe, a-t-on essayé ou est-on parvenu à avoir un rapport sexuel avec vous contre votre gré ? ». Ensuite, les enquêtés devaient dire, à partir d'une liste d'actes qui leur était lue, desquels ils avaient été victimes, en précisant le nombre de fois. La troisième question était : « Vous a-t-on forcé-e à d'autres actes ou pratiques sexuelles ? » Nous n'utilisons plus dans cette dernière question la notion de « rapport sexuel forcé », pour englober les faits commis lors de bizutages ou d'actes sexuels collectifs. C'est en listant la nature des agressions ou gestes que les personnes ont subis que nous nous rapprochons des catégories juridiques.

Je dois souligner ici qu'avec ces trois questions, nous n'avons pas de mesure du harcèlement sexuel ni de l'exhibitionnisme. Le harcèlement sexuel recouvre des propos de nature verbale incitant à des relations sexuelles contre le gré de la personne, mais aussi des attouchements sur des parties du corps qui ne sont pas forcément des parties sexuelles : l'épaule, la nuque, la taille... Ces questions figurent seulement dans le module « travail » de notre enquête que je n'aborderai pas aujourd'hui.

Les données que je vais présenter concernent un nombre de victimes et non un nombre de faits. Celui-ci se révèle beaucoup plus important que le nombre de victimes, car souvent les actes sont répétés, en particulier pour les femmes.

À partir de la liste des actes, nous avons reconstitué les catégories juridiques. Dans la catégorie du viol, nous avons classé les individus répondant positivement aux agissements suivants :

- pour les femmes, « une pénétration du sexe ou de l'anus par le sexe » ;

- pour les hommes, « une pénétration de l'anus par le sexe (que vous avez subie) » ;

- pour les femmes, « une pénétration du sexe ou de l'anus par les doigts ou un objet ». C'est une situation mal identifiée par les individus comme caractérisant un viol ;

- pour les hommes, « une pénétration de l'anus par les doigts ou un objet (que vous avez subie) ».

Nous avons également mentionné « une pénétration de la bouche par le sexe (fellation forcée) », que les individus identifient là encore très mal comme un viol, et « un autre rapport sexuel avec un tiers ». Légalement, tous ces actes relèvent du viol, mais les enquêtés ne les considèrent pas forcément comme tels. En décrivant très précisément les actes, nous avons pu échapper au biais lié aux représentations des individus.

Laurence Cohen, co-rapporteure . - Pourquoi avez-vous précisé, pour les hommes, « que vous avez subie » et pas pour les femmes ?

Christelle Hamel . - Nous avions eu des interrogations de la part des enquêtés. Les hommes ont beaucoup de mal à s'identifier comme des personnes victimes de viol ou de violence. Lors de l'enquête pilote, nous avons dû apporter cette précision pour indiquer qu'il s'agissait des actes subis et non commis.

Nous avons fait le même exercice pour les tentatives. Tous les autres actes représentent les autres agressions sexuelles qui relèvent du délit : « les attouchements du sexe que vous avez subis (y compris avec la langue) », « les attouchements du sexe que vous deviez faire », avec la précision « y compris avec la langue » pour les hommes, « être forcé à montrer vos seins, votre sexe, vous dénuder », pour les hommes : « une pénétration que vous deviez faire ». Nous avons classé ces derniers faits (la pénétration que l'homme devait faire) dans les agressions sexuelles autres que le viol, parce que dans ces cas, la personne ne subit pas une pénétration ; elle est contrainte de pénétrer quelqu'un d'autre. Nous avons cependant constaté que la législation et la jurisprudence ne sont pas, à notre connaissance, très précises sur ce type de situation.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Ne s'agit-il pas d'un viol en réunion ?

Christelle Hamel . - Cela correspond plutôt à une situation dans laquelle une personne est contrainte de commettre un viol sur une autre. Ce n'est pas forcément un viol en réunion.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Il me semble qu'il y a un angle mort concernant le fait, pour un jeune homme, de subir une fellation contre son gré. Cette situation est-elle prise en compte par votre enquête ?

Christelle Hamel . - Dans le viol, nous avons listé le cas d'une pénétration de la bouche par le sexe, pour les femmes comme pour les hommes.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Certes, mais qu'en est-il d'un jeune homme qui subit une fellation qu'il n'a pas souhaitée ?

Christelle Hamel . - Cette situation de pénétration de la bouche est prise en compte et classée comme un viol. Dans les autres agressions sexuelles figurent « les attouchements du sexe que vous avez subis (y compris avec la langue) ».

Annick Billon, présidente . - Laissons Christelle Hamel poursuivre sa présentation avant de lui poser des questions.

Christelle Hamel . - Pour les autres agissements, nous avons mentionné le fait d'être forcé à « visionner des films pornographiques », « être filmé pendant un rapport sexuel », « des pratiques sadomasochistes », « des pratiques échangistes », « la prostitution ». La catégorie juridique correspondante dépend très largement du contexte. Ces autres actes sexuels se sont révélés très minoritaires.

S'agissant des résultats, 0,3 % des femmes enquêtées ont déclaré avoir subi un viol ou une tentative de viol sur les douze derniers mois, dont 0,26 % un viol et 0,18 % une tentative. Le nombre total de victimes de viol ou tentative de viol atteint 62 000 personnes, dont certaines ont subi un viol et une tentative de viol au cours de l'année. Pour les hommes, la proportion est bien inférieure. Elle s'élève à 0,01 %, soit 2 700 hommes ayant subi un viol ou une tentative. Nous retrouvons le même phénomène de concomitance de viol et de tentative pour certains hommes.

Pour les autres agressions sexuelles (hors harcèlement sexuel et exhibitionnisme), le pourcentage de femmes atteint 2,7 %, soit 553 000 femmes. Il s'agit essentiellement d'attouchement des fesses, des seins et de baisers forcés. 58 000 femmes sont victimes d'attouchements du sexe. Pour les hommes, le nombre de victimes est estimé à 185 000. Il s'agit essentiellement de situations où quelqu'un s'est « collé-frotté » contre eux. Les attouchements génitaux ne concernent que 12 000 hommes. Le nombre de victimes peut apparaître important pour les hommes, mais il faut surtout s'intéresser aux agissements les plus graves. Les autres actes ou pratiques sexuelles concernent 9 000 femmes et 15 000  hommes. Pour les hommes, ce nombre renvoie peut-être à des contextes de bizutage et situations d'actes sexuels forcés dans des cadres collectifs, que nous ne savons pas bien identifier dans les enquêtes.

Il faut retenir le chiffre de 580 000 femmes victimes d'agressions sexuelles (hors harcèlement et exhibitionnisme). Ce chiffre se révèle extrêmement important, d'autant qu'il se répète chaque année. Pour les hommes, il faut plutôt retenir les 12 000 attouchements du sexe, car les situations où quelqu'un se frotte contre eux contre leur gré ont peu d'incidence et leur classement dans les agressions sexuelles peut être discuté.

Françoise Cartron . - L'enquête a interrogé 27 000 personnes. Comment parvenez-vous à ces chiffres ?

Christelle Hamel . - La population enquêtée est représentative. Nous appliquons une pondération à cet échantillon. Une personne enquêtée représente ainsi entre 1 000 et 10 000  individus. Toutes les enquêtes fonctionnent de la sorte. Même à l'Insee, les enquêtes sont réalisées sur 20 000 personnes et les résultats sont fournis pour la population entière. Nous aboutissons par exemple à ces 62 000 victimes de viol ou tentative de viol en multipliant 0,3 % par les 30 millions de femmes que compte la France.

Nous avons comparé ces résultats avec ceux des autres enquêtes. L'enquête ENVEFF estimait l'effectif de victimes de viols et tentatives de viol à 80 000, 0,5 % des personnes ayant subi ces actes au cours des douze derniers mois. L'enquête CVS menée en 2015 concluait à un effectif à peu près similaire pour les femmes. L'enquête Virage donne un chiffre moins important. La différence tient au fait que nous classons nous-mêmes les personnes dans les catégories au lieu de les laisser s'auto-classer. Le chiffre se révèle un peu plus bas pour les viols et les tentatives de viol, mais il est beaucoup plus élevé que dans l'enquête CVS pour les autres agressions sexuelles (attouchements du sexe, des seins, baisers forcés), qui n'étaient pas aussi clairement distinguées des pénétrations de la bouche, du sexe et de l'anus dans l'enquête ENVEFF.

Pour les femmes, toutes agressions sexuelles confondues, nous retrouvons les mêmes ordres de grandeur que dans l'enquête CVS, mais la répartition entre viol et tentative de viol (les crimes) et les autres agressions sexuelles (les délits) est différente. Les chiffres sont donc cohérents entre les deux enquêtes s'agissant des violences sexuelles. En revanche, chez les hommes, les résultats se révèlent très différents. Ils n'étaient pas interrogés dans l'enquête ENVEFF. L'auto-classement dans les catégories « tentative de rapport forcé » ou « rapport forcé » de l'enquête CVS aboutit à un effectif de 10 000 hommes victimes de viol ou de tentative au cours des douze derniers mois. Avec notre mode de classification par les actes finement décrits, le nombre d'hommes classé dans la catégorie « viol et tentative de viol » est dix fois moins important, de l'ordre de 2 200 personnes. Pour les autres agressions sexuelles, en revanche, le nombre est plus important. Cela démontre que lorsque l'on demande aux individus de s'auto-classer, la subjectivité est plus grande ; ainsi, les hommes qui subissent des attouchements du sexe ont plus facilement tendance à déclarer avoir subi un rapport forcé ou une tentative de rapport forcé que les femmes. L'étude Virage se rapproche donc davantage des catégories juridiques.

L'enquête nous fournit également des éléments d'information sur la répétition et la gravité des faits. Pour les attouchements des seins ou des fesses, les baisers forcés et le « pelotage », quatre à cinq femmes sur dix et cinq à six hommes sur dix déclarent que ces faits sont répétés au cours des douze derniers mois. Lorsque nous observons la gravité des faits, 33 % des femmes indiquent que ces faits sont « tous très graves » et 70 % estiment qu'ils sont « assez graves ou très graves ». À l'inverse, 84 % des hommes considèrent ces faits « sans gravité ».

Par ailleurs, les résultats sur les violences sexuelles au cours de la vie permettent d'appréhender les contextes et les âges. La proportion de femmes qui déclarent un viol ou une tentative de viol s'élève à 3 % pour les viols et 2,5 % pour les tentatives. Pour les hommes, la proportion atteint 0,5 % dans les deux cas. Les autres agressions sexuelles (hors harcèlement et exhibitionnisme) touchent 13 % des femmes et 3 % des hommes. Sur l'ensemble des agressions sexuelles identifiées dans l'enquête, le pourcentage atteint 14 % pour les femmes et près de 4 % pour les hommes. Nous constatons donc une nette différence de proportion selon le sexe.

S'agissant des lieux dans lesquels ces faits se produisent, pour les femmes, les violences au cours de la vie surviennent essentiellement dans la famille durant l'enfance (inceste) et dans le cadre du couple pour les viols et tentatives de viol. Pour les hommes, les viols et tentatives de viol ont lieu essentiellement dans la famille, quand ils sont jeunes (inceste).

Pour les autres agressions sexuelles relevant du délit, le panorama se révèle légèrement différent. Elles sont très présentes dans le cadre de la famille pour les femmes, mais aussi avec une forte fréquence dans les espaces publics et c'est aussi le cas pour les hommes. Les crimes se produisent dans l'enfance et dans le couple pour les femmes, dans l'enfance pour les hommes. Les autres agressions sexuelles surviennent dans ces espaces, mais aussi dans les espaces publics. Elles se produisent moins dans le cadre du travail ou des études.

Nous avons par ailleurs identifié, pour chaque contexte, les âges auxquels le premier fait (viol, tentative ou attouchement du sexe) s'est produit. Dans le contexte familial, la première agression sexuelle se produit, dans plus de 80 % des cas, avant quatorze ans. Ce premier acte correspond essentiellement à un attouchement du sexe. Les tentatives de viol et les viols surviennent à des âges un peu plus avancés. Nous avons quand même été frappés de constater que les agressions sexuelles dans le cadre familial commencent très tôt, chez les femmes comme chez les hommes. Dans le cadre de la scolarité, les faits se répartissent entre les plus jeunes, les adolescents et les jeunes majeurs. Dans l'espace public, les jeunes filles, mais aussi les jeunes femmes adultes sont concernées dans des proportions quasiment identiques. C'est moins vrai pour les hommes qui sont davantage victimes dans l'espace public lorsqu'ils sont plus jeunes.

Pour les viols et les tentatives de viol, notre enquête comportait une question permettant d'identifier les modes de contrainte exercés sur la victime, les enquêtés pouvant cocher plusieurs des modes proposés. La liste était la suivante : « en profitant de votre jeune âge », « en profitant de votre confiance », « par le chantage affectif ou la culpabilisation », « par le chantage économique », « par la menace ou l'intimidation », « par la force physique », « en vous menaçant avec une arme », « il/elle vous a fait boire de l'alcool ou drogué », « vous étiez sous l'emprise de l'alcool, d'une drogue, de médicaments » et « vous étiez endormi-e ».

Dans le cadre de la famille, le fait d'avoir profité du jeune âge de la victime constitue le mode de contrainte le plus souvent avancé (81 %). Avoir profité de la confiance représente également un motif évoqué par 64 % des victimes. Près de 60 % des personnes ont évoqué le chantage affectif et la culpabilisation et 66 % le chantage économique. La menace ou l'intimidation ne concerne qu'une victime sur deux, la force physique moins d'une victime sur deux (42 %). La menace d'une arme et les phénomènes d'alcoolisation ont été signalés dans 5 à 6 % des cas. Enfin, 13 % des victimes déclarent avoir subi un viol ou une tentative de viol alors qu'elles étaient endormies. Nous pouvons donc observer que la définition du viol pourrait prendre en compte, s'agissant de la notion de contrainte, des situations telles que l'abus de confiance, le chantage affectif et la culpabilisation, le chantage économique, l'intimidation, le fait de profiter du jeune âge, d'autant que nous avons constaté des écarts d'âge énormes entre l'auteur et la victime.

Dans le couple, les modes de contrainte les plus présents vis-à-vis des femmes sont l'abus de confiance et le chantage affectif, puisqu'ils concernent respectivement une victime sur trois et une victime sur deux. La menace et l'intimidation recouvrent la moitié des victimes. La force physique est avancée dans 65 % des cas. Dans des relations entre adultes, nous voyons bien que la force physique intervient davantage. L'utilisation de l'alcool est aussi plus présente, même si elle reste minoritaire dans les modes de contrainte (10-11 %). 15 % des victimes déclarent avoir subi un viol ou une tentative alors qu'elles étaient endormies. Le fait d'être endormi-e pourrait peut-être figurer explicitement dans la législation.

Dans les espaces publics, toujours s'agissant des femmes, dans la majorité des cas, l'auteur est connu de la victime. La contrainte liée à l'abus de confiance et au jeune âge peut donc intervenir, mais c'est plutôt l'usage de la force physique qui est évoqué par une victime sur deux. L'alcoolémie est aussi plus souvent avancée que dans le cadre familial. 20 % des victimes déclarent en effet qu'elles étaient sous l'emprise de l'alcool, d'une drogue ou de médicaments lors des faits. Ces éléments de l'enquête sur les modes de contrainte me semblent particulièrement éclairants, car ils précisent la façon dont le consentement des victimes a été extorqué.

Nous avons fait le même exercice pour les hommes, en nous centrant sur le cadre familial. Les viols et tentatives se révèlent trop peu nombreux dans les autres cadres pour obtenir des résultats significatifs. Comme pour les femmes, le mode de contrainte le plus fréquent dans le cadre intrafamilial consiste à profiter du jeune âge et de la confiance. La force physique n'intervient que dans 24 % des cas. On notera que le fait d'user de la violence physique ou d'utiliser une arme est beaucoup moins fréquent que pour les femmes (0 % contre 6 % pour les femmes, s'agissant de la menace d'une arme). La raison vient du fait que les victimes sont souvent de très jeunes hommes alors qu'il peut s'agir aussi, chez les femmes, d'adolescentes ou de très jeunes adultes.

Dans l'espace de la famille et des relations avec les proches, 85 % des violences débutent avant l'âge de quinze ans. Il existe un ou plusieurs hommes agresseurs pour 94 % des femmes victimes et 75 % des hommes victimes. Les femmes restent minoritaires parmi les auteurs de ces abus. Ce sont des violences répétées pour les deux tiers des personnes victimes.

Concernant les relations conjugales, 73 % des femmes victimes dans le couple déclarent au moins un viol ou une tentative. Là encore, ce sont des actes répétés. Ces violences existent même dans le cadre des relations de couples adolescents. Trois quarts des femmes victimes subissent des viols ou tentatives de viol répétés. La force physique est mentionnée par deux femmes victimes sur trois et la menace par une femme victime sur deux.

Dans les espaces publics, enfin, les situations sont diverses. Ces faits peuvent être commis dans la rue, les transports, le voisinage, mais aussi, plus rarement, dans les contacts avec des professionnels (professionnels de santé, police, etc.). Ces violences se produisent tout au long de la vie, surtout pour les femmes. Les viols, les tentatives de viol et les attouchements du sexe sont plutôt le fait de personnes connues, alors que les autres attouchements et baisers forcés sont commis par des personnes inconnues dans la plupart des cas.

En conclusion, il faut retenir que cette enquête fournit une mesure plus proche des catégories juridiques et des définitions de la violence sexuelle que la plupart des sondages et des autres enquêtes existantes. Elle montre aussi que les violences sexuelles n'ont pas baissé depuis quinze ans. Elle souligne qu'au cours de sa vie, une femme sur sept et un homme sur vingt-cinq sont victimes d'agression sexuelle (hors harcèlement et exhibitionnisme). Le chiffre d'une femme sur deux a été avancé récemment dans le débat public : il est erroné. Néanmoins, les résultats de l'étude Virage montrent que ces violences sont un phénomène massif, qui concerne bien une proportion importante de la population et que les auteurs sont des personnes connues, et non des marginaux. Cela nécessite évidemment de mettre en place des plans de prévention de ces violences, d'accompagnement des victimes et de sanction des auteurs nettement plus ambitieux que ce qui existe aujourd'hui. L'enquête fait enfin ressortir que les femmes sont six fois plus souvent victimes de viols et de tentatives de viol que les hommes, et que ces derniers sont victimes pendant leur jeunesse, alors que les femmes le sont tout au long de la vie et dans tous les espaces de vie.

Je vous remercie de votre attention.

Annick Billon, présidente . - Je vous remercie pour cette présentation exhaustive. Nous prendrons connaissance de ces données de manière approfondie. Je retiendrai que les statistiques s'avèrent assez effrayantes, d'autant qu'elles ne prennent pas en compte les personnes qui vivent dans des institutions (prisons, Ehpad, établissements d'accueil des personnes en situation de handicap, foyers d'hébergement pour victimes de violences, etc.). Nous imaginons donc, comme vous l'avez dit, que ces chiffres sont finalement sous-estimés.

J'ai également été surprise par le parti pris de ne pas utiliser la terminologie de viol ou d'agression, mais je comprends qu'il soit lié à la difficulté d'appréhender la notion de crime ou de délit. En effet, les personnes ne relient pas forcément un viol ou une agression à une condamnation pénale. Par ailleurs, je relève que de nombreuses agressions se déroulent dans le milieu familial, un milieu souvent protégé dans lequel il est compliqué pour des personnes extérieures de s'immiscer et qu'il est difficile pour les victimes de dénoncer. Vos statistiques concernant les modes de contrainte montrent que l'abus de confiance, la contrainte et la surprise font partie des notions principales, et soulignent la nécessité de se prononcer sur la question de l'âge du consentement.

Maryvonne Blondin . - Je reviendrai sur la notion de cercle de confiance. Je rappelle que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) a réalisé une étude et lancé une campagne de formation et d'information des professionnels « 1/5 », pour communiquer sur le fait qu'un enfant sur cinq, dans les 47 pays membres du Conseil de l'Europe, est victime de violences dans le cercle de confiance.

Vous avez évoqué les standards internationaux. De nombreuses études ont effectivement été réalisées au niveau de l'Europe et du Conseil de l'Europe. En 2016, l'Union interparlementaire (UIP) a publié une étude sur le sexisme, le harcèlement et les violences à l'égard des femmes parlementaires qui a eu un impact international tout à fait considérable. Elle a fait ressortir des problèmes sérieux qui faisaient obstacle à l'égalité de genre et fragilisaient la fondation de la démocratie. Une étude similaire va être menée conjointement entre l'APCE et l'UIP et sera consacrée en partie au personnel parlementaire féminin. Elle a débuté en janvier dernier et consistera en une interrogation d'une heure par téléphone. Ces résultats sont attendus pour novembre 2018. J'ai proposé un amendement pour inclure aussi les collaborateurs parlementaires dans le champ de cette enquête. Il importe de trouver des appellations identiques ou homogènes à l'international pour favoriser les comparaisons et aboutir ainsi à une connaissance véritablement approfondie de ces phénomènes.

Céline Boulay-Espéronnier . - Pourquoi l'étude Virage ne prend-elle pas en compte l'exhibitionnisme ? Est-ce à dire qu'il n'est pas considéré comme une agression sexuelle ?

Christelle Hamel . - Nous l'avons bien pris en compte dans notre questionnaire, mais uniquement dans l'espace public et dans le cadre du travail. À ce stade des résultats de l'enquête, nous avons souhaité comparer les mêmes catégories d'actes par espace et nous ne l'avons donc pas inclus. Il s'agissait aussi de faciliter la comparaison avec les autres enquêtes qui ne le prennent pas forcément en compte. Nous publierons ultérieurement de nouvelles statistiques par contexte. Dans l'espace public, nous avons également ajouté la question : « vous est-il arrivé, dans les douze derniers mois, d'être interpellée ou importunée sous prétexte de drague ? », qui prend en compte ce que l'on désigne de manière sans doute inappropriée juridiquement par le « harcèlement de rue ». 20 % des femmes répondent positivement et la majorité trouve que ces faits sont graves ou assez graves.

Nous avons présenté les mesures pour les faits pour lesquels les enquêté-e-s étaient interrogé-e-s dans tous les contextes de vie, mais nous allons également publier des données par contexte de vie, qui incluront donc selon les contextes l'exhibitionnisme et le harcèlement.

Sur les violences physiques intrafamiliales, par exemple, nos données vont certainement surprendre. Nous avons ainsi relevé près de 1 % de tentatives de meurtre envers les enfants. Nous avons récolté des informations sur l'orientation sexuelle des personnes et, lorsque nous comparons les personnes qui déclarent avoir subi des violences, de quelque nature qu'elles soient, dans le cadre de la famille, celles qui se déclarent aujourd'hui comme homosexuelles ou bisexuelles affichent des taux quatre à cinq fois supérieurs à ceux des personnes hétérosexuelles. Certains éléments font clairement apparaître des problèmes de sexisme et d'homophobie dans le milieu familial.

Dans nos représentations, il y a l'image de la violence intrafamiliale liée aux familles pauvres, où elle peut s'accompagner de problèmes d'alcoolisme. Or il apparaît que d'autres indicateurs pourraient relativiser ces préjugés. Pour l'instant, nous prenons notre temps pour analyser les données, car nous souhaitons publier des résultats qui apportent vraiment quelque chose de nouveau et qui soient éclairants pour les politiques publiques.

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Je tiens à saluer votre travail. Nous n'avons rien d'autre que vos chiffres pour mesurer les violences sexuelles faites aux femmes. Ni les statistiques du ministère de la Justice ni celles du ministère de l'Intérieur ne nous permettent d'appréhender, comme le font vos travaux, l'ampleur et la réalité de ces violences. C'est grâce à vous que nous savons rapporter le taux de plainte par rapport au taux de violences subies, un résultat déterminant pour identifier les dysfonctionnements de la justice. Bravo pour tout ce que vous faites.

Christelle Hamel . - Merci beaucoup, au nom de toute l'équipe Virage . Je voudrais ajouter, concernant les personnes en institution, que le SAMU Social a réalisé une enquête sur l'état de santé des femmes avec enfants hébergées dans ses centres d'accueil. Il s'agit de l'enquête « Enfants et Familles sans logement » (ENFAMS). Elle comporte des questions sur les violences subies dans la famille. Elle fait ressortir que souvent, les femmes entrent dans ces centres d'hébergement après avoir perdu leur domicile, par exemple pour des raisons de toxicomanie ou d'autres causes. Toutefois, il faut être conscient que les violences conjugales sont très souvent au démarrage de tous leurs problèmes. De ce fait, l'enquête ENFAMS vient en complément de l'enquête Virage .

Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Un tiers des enfants entrent dans l'Aide sociale à l'enfance (ASE) pour des faits de violences intrafamiliales, mais à l'issue de premières investigations, on constate que le pourcentage d'enfants ayant subi des violences familiales est deux fois plus important, même si ce n'est pas pour ce motif qu'ils ont été placés.

Christelle Hamel . - Je souhaiterais conclure en soulignant que mettre en place le financement de l'enquête Virage s'est révélé extrêmement compliqué. Une enquête de ce type coûte trois millions d'euros pour le paiement de l'institut de sondage. Plus d'une centaine de personnes a travaillé pendant neuf mois. La seule phase de questionnement par téléphone a représenté 27 000  heures de travail, le questionnaire durant une heure, cela sans compter le temps passé à appeler les ménages qui ont refusé de participer à l'étude, le temps de formation des enquêteurs et leur accompagnement. Recevoir des récits de violence à longueur de journée est difficile ! Le dispositif a mobilisé un grand nombre de personnes sur ce laps de temps.

À mon sens, il serait utile de créer une agence nationale de recherche sur les violences faites aux femmes comme nous avons créé, lors de l'épidémie de Sida, une agence nationale de recherche sur le Sida. Ces statistiques de violences faites aux femmes présentent l'ampleur des épidémies. Nous avons donc besoin d'une agence dotée de moyens, bénéficiant d'un financement interministériel, annualisé. De nombreux domaines sont touchés par ces violences : le travail, la famille, les études, la santé, la police, la justice, etc. Tous les ministères sont concernés. Le travail de préparation de l'enquête Virage s'est avéré compliqué et chronophage en raison de la recherche de financement, et l'enquête aurait pu ne pas voir le jour. Nous voulions interroger 35 000 personnes à l'origine, notamment pour obtenir des résultats plus précis sur les femmes migrantes. Les effectifs dans l'enquête restent trop faibles pour répondre à toutes nos questions à leur sujet.

La création d'une telle agence est une recommandation qui, en tant que chercheuse, me semble indispensable. Je crois que l'enquête ENVEFF a permis de sortir de l'ignorance et de la volonté de ne pas savoir. Elle a eu pour effet de contribuer à libérer la parole des victimes. Les résultats de Virage vont continuer d'aider les victimes. Avec ces statistiques, elles pourront constater qu'elles ne sont pas seules et leur peur de ne pas être crues diminuera. Outre l'enquête Virage , nous pourrions réaliser de nombreuses enquêtes, notamment sur la population qui arrive dans les services d'urgence des hôpitaux, les femmes qui font une IVG, etc. Ces enquêtes sont réalisées dans d'autres pays, mais ne sont pas menées en France ; c'est dommage.

Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup pour votre témoignage et ces données très importantes. Nous vous remercions d'être venue devant la délégation aux droits des femmes. Nous attendons vos résultats complets avec impatience, car c'est une enquête inédite et très éclairante, dont les résultats permettront de mieux combattre les violences faites aux femmes.

DÉPLACEMENT DE LA DÉLÉGATION
AU PÔLE JUDICIAIRE DE LA GENDARMERIE NATIONALE À PONTOISE

(22 janvier 2018)

Un déplacement au Pôle judiciaire de la Gendarmerie nationale implanté à Pontoise a eu lieu le lundi 22 janvier 2018 .

À cette visite ont participé Annick Billon , présidente, Laurence Cohen , sénatrice du Val-de-Marne, Marta de Cidrac , sénatrice des Yvelines, Nassimah Dindar et Viviane Malet , sénatrices de La Réunion.

La délégation a été accueillie par :

- le général de brigade François Daoust , commandant le Pôle judiciaire de la Gendarmerie nationale (PJGN) ;

- le colonel Patrick Touron , directeur de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) ;

- le lieutenant-colonel Grégory Briche , adjoint au chef de la division Physique Chimie de l'IRCGN ;

- le colonel Nicolas Duvinage , chef du Centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N) du Service central de renseignement criminel (SCRC) ;

- le colonel Laurent Collorig , chef de la Division du renseignement du SCRC ;

- le colonel Jérôme Servettaz , chef du Service central de renseignement criminel ;

- Jessica Gourmelen, analyste de la Division du renseignement du SCRC ;

- les capitaines Flavie Vampouille et Clara Bader , de la Division du renseignement.

I. - L'accueil et la prise en charge des victimes de violences sexuelles

Un premier échange s'est instauré sur l' accueil et la prise en charge des victimes de violences sexuelles .

• En ce qui concerne l' accueil des victimes qui viennent déposer plainte , les interlocuteurs de la délégation ont mis l'accent sur la nécessité de renforcer la formation et la sensibilisation des personnels de gendarmerie afin de créer un climat de confiance propice à la libération de la parole des victimes. Les gendarmes s'efforcent par exemple d' enregistrer les auditions pour éviter à la victime d'avoir à subir à plusieurs reprises le moment éprouvant de la prise de parole. En outre, ils ont souligné l'importance du travail en coopération avec les services sociaux et de la circulation de l'information, dans le cadre d'une prise en charge et d'un accompagnement globaux des victimes.

• Interrogés sur la pertinence de la pré-plainte en ligne annoncée par le Gouvernement en ce qui concerne les violences sexuelles, les gendarmes ont estimé qu'un tel système pourrait permettre de mieux orienter les victimes, mais il leur paraît important de conserver un contact humain entre la victime et la gendarmerie 451 ( * ) .

• Les interlocuteurs de la délégation estiment également qu'il conviendrait de mieux informer les victimes sur les enjeux du procès pénal , parce que celles-ci croient bien souvent que leur bonne foi suffit et peuvent être très déstabilisées quand leurs plaintes sont classées sans suite, faute de preuve. Dans ces situations, elles ont l'impression, qui peut être désastreuse pour elles, de ne pas être crues.

• De plus, a été souligné l' enjeu crucial que représente le recueil des preuves , le plus tôt possible, et dans les meilleures conditions, pour garantir le bon déroulement de la procédure judiciaire, fondée sur un dossier crédible au regard des exigences du droit pénal. C'est notamment la tâche de l'IRCGN, qui exploite les indices techniques recueillis par les enquêteurs. Les gendarmes ont rappelé à cet égard que la finalité du dépôt de plainte reste le procès pénal , dans lequel seuls comptent les faits et les éléments de preuve. En effet, la dénonciation des faits et « la parole de l'un contre celle de l'autre » ne sont pas suffisants pour condamner un auteur présumé, dans notre système judiciaire fondé sur la présomption d'innocence et le respect des droits de la défense.

• Les gendarmes ont aussi évoqué la piste des prélèvements et de la conservation des preuves, indépendamment du dépôt de plainte . Dans cette hypothèse, pourrait être envisagé le principe d'un relevé d'indices pérenne dans le temps, en prévoyant de ne pas détruire les scellés avant le classement d'une affaire. Mais une telle évolution pose des questions de responsabilité légale et de financement et soulève des interrogations sur la durée de conservation de ces prélèvements hors dépôt de plainte.

• De surcroît, les gendarmes ont regretté les inégalités territoriales dans la répartition des unités médico-judiciaires (UMJ). Actuellement, on compte environ 50 UMJ pour 100 départements. Dans les départements qui en sont dépourvus, il est compliqué de procéder à des prélèvements rapidement après une agression sexuelle ou un viol. Cette absence de structure dédiée est d'autant plus problématique qu'elle peut dissuader les victimes de porter plainte. C'est pourquoi la gendarmerie réfléchit à la mise en place d'une mallette d'aide à l'accompagnement et à l'examen des victimes de violences sexuelles (MAEVAS).

LA MALLETTE D'AIDE À L'ACCOMPAGNEMENT
ET À L'EXAMEN DES VICTIMES D'AGRESSIONS SEXUELLES (MAEVAS)

Consciente des inégalités relatives à l'offre d'unités médico-judiciaires sur l'ensemble du territoire français, la Gendarmerie nationale souhaiterait que toutes les victimes, quel que soit le lieu où survient l'agression sexuelle, bénéficient d'un accompagnement technique permettant d'effectuer et de recueillir avec diligence des preuves matérielles des agressions . Ce projet est intitulé MAEVAS et s'inspire notamment du set d'agression sexuelle (SAS) mis en place en Belgique dès 1999.

Le kit, destiné aux enquêteurs, permettrait de réaliser des prélèvements (ADN, toxicologie, traces de transfert, saisine numérique) de façon systématique en cas d'agression sexuelle. L'objectif affiché est aussi de dissuader les agresseurs potentiels , qui courront alors toujours le risque d'être identifiés dans le cas, par exemple, de relevés de traces ADN.

La Mallette MAEVAS est en cours de finalisation , mais sa mise en oeuvre se heurte à quelques difficultés . Outre qu'il nécessite des financements conséquents , qui devraient être imputés sur le budget de la gendarmerie, pour la partie équipement et sur le budget de la justice, pour la partie enquête (réquisitions, besoins d'analyses dans les territoires...), il implique de définir la liste des laboratoires susceptibles de traiter les prélèvements et de déterminer les personnes habilitées à réaliser ces derniers (médecins locaux agréés ou centres de santé), dans le cadre d'un processus encadré par un protocole. Par ailleurs, une réflexion est en cours quant à la conservation des prélèvements (durée, cadre légal...).

La dépense principale associée à la mallette serait liée au traitement et à l'analyse des prélèvements , sachant que la mallette elle-même aurait un coût de revient de 50 à 100 euros .

• En ce qui concerne l'accompagnement des victimes, ont été évoqués :

- les enjeux liés à la suite donnée aux plaintes , alors qu'on constate une forte augmentation des plaintes pour violences sexuelles au quatrième trimestre 2017 ;

- ainsi que la nécessité de mener une réflexion sur la protection des victimes qui déposent plainte , à travers des structures d'hébergement adaptées.

Les gendarmes ont par ailleurs relevé que les enquêteurs doivent rester vigilants dans la mesure où certaines plaintes sont en réalité de fausses dénonciations , qui interviennent parfois dans un contexte de séparation. Pour autant, ce phénomène reste marginal .

• En outre, les interlocuteurs de la délégation ont souligné la nécessité de prévoir aussi des mesures de prévention et de détection des profils à risque , sur lesquels les enquêteurs pourraient ouvrir une enquête préliminaire. À cet égard, les gendarmes estiment qu'il faut favoriser le partage d'information entre les forces de l'ordre et les services sociaux , qui disposent souvent d'éléments sur le quotidien des familles. De même, les gendarmes ont souligné les difficultés liées au cloisonnement entre informations judiciaires et non judiciaires , imposé par la CNIL, qui peuvent se révéler pénalisantes pour l'efficacité des enquêtes.

• Enfin, les gendarmes ont annoncé la création d'une brigade numérique 452 ( * ) , plateforme Internet ouverte 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 conçue comme un nouveau vecteur de contact entre la population et la Gendarmerie nationale. Cette dernière en attend des résultats positifs, notamment pour ce qui concerne la prise en charge des femmes victimes de violences, car la brigade numérique permettra de limiter l'épreuve que constitue tout déplacement à la gendarmerie pour les victimes, tout en leur prodiguant les premiers conseils. 30 militaires ont été recrutés spécialement à cet effet. Les locaux de cette brigade sont situés à Rennes.

En ce qui concerne la création , dans le code pénal, d'un « outrage sexiste » envisagée par le Gouvernement, les gendarmes estiment que, s'il s'agit d'un délit, il ne faudrait pas que la masse de contentieux qui en résulterait gêne la répression de faits plus graves. En outre, ils ont pointé la question de l'applicabilité d'une telle disposition.

II. - La lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains

Dans un second temps, les sénatrices ont pu échanger avec leurs interlocuteurs sur la problématique de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains .

Les gendarmes ont relevé des différences d'application de la loi du 13 avril 2016 visant à lutter contre le système prostitutionnel 453 ( * ) en fonction des territoires, en ce qui concerne la lutte contre proxénétisme et contre la traite des êtres humains.

On constate par ailleurs selon eux un renouvellement des modes opératoires , en lien avec le contexte migratoire. Les personnes victimes d'exploitation sexuelle et de traite des êtres humains représentent une population extrêmement vulnérable , qui est la proie naturelle de la criminalité organisée.

1) L'infraction de TEH encore peu mobilisée par les magistrats : un enjeu de sensibilisation et de formation

Selon les interlocuteurs de la délégation, l'infraction de traite des humains n'est aujourd'hui que peu mobilisée par les magistrats . Il y a là un enjeu de sensibilisation et de formation. Cela peut s'expliquer par les différentes dimensions que revêt la traite : travail forcé, exploitation sexuelle, et par la frontière assez fine qui peut exister, parfois, entre prostitution, proxénétisme et traite. Cette situation est d'autant plus regrettable que l'infraction de traite donne des droits spécifiques aux victimes au regard du séjour en France, alors que certaines sont candidates à l'immigration.

Ces constats rejoignent les analyses effectuées par la délégation dans son rapport sur les femmes, victimes de la traite des êtres humains 454 ( * ) . Une recommandation portait d'ailleurs sur la nécessité de renforcer la formation des professionnels - notamment les magistrats, les policiers et les gendarmes - aux différents aspects de la traite des êtres humains, dans le cadre de la formation initiale et continue.

2) Les nouveaux visages de la prostitution, notamment nigériane

En outre, les gendarmes ont évoqué une augmentation substantielle de la prostitution nigériane , dans le contexte des flux migratoires actuels. Les Nigérianes sont réputées « casser » la concurrence avec des prix particulièrement bas. Si ces affaires sont peu traitées en zone gendarmerie, les enquêteurs sont sensibilisés au fait que ces personnes sont victimes d'une mafia qui s'adonne non seulement au proxénétisme, mais aussi à la criminalité organisée (traite des êtres humains, blanchiment d'argent...).

Par ailleurs, les gendarmes ont relevé que ces réseaux criminels sont aujourd'hui mondialisés et beaucoup plus organisés que par le passé, difficilement identifiables et particulièrement violents. En outre, les victimes sont de plus en plus jeunes , certaines associations ayant porté secours à des adolescentes âgées de 1deux ans seulement.

3) Un phénomène émergent : le proxénétisme de cité, qui implique des mineur-e-s

Un autre phénomène qui suscite la préoccupation des gendarmes est l'émergence d'un proxénétisme de cité , particulièrement inquiétant selon eux. Les souteneurs, de jeunes mineurs, sont issus du trafic de stupéfiants et peuvent se montrer très violents (enlèvement et séquestration de mineures de quatorze ou quinze ans). Ils ciblent en général des jeunes femmes ou des adolescentes particulièrement vulnérables, dans les foyers ou les écoles.

4) Un bilan mitigé de la loi de 2016 sur la lutte contre le système prostitutionnel

Enfin, les interlocuteurs de la délégation ont fourni quelques éléments relatifs à l'application de la loi sur la lutte contre le système prostitutionnel 455 ( * ) .

Selon les statistiques du service central de renseignement criminel (SCRC), l'accroissement de l'activité des services est incontestable puisque, en zone gendarmerie nationale (ZGN), 553 faits de recours à la prostitution étaient relevés dans l'année qui a suivi l'entrée en vigueur de la loi (juin 2016-juin 2017), contre 55 faits de racolage en 2015 et 44 faits jusqu'à mi-avril 2016.

Pour autant, les gendarmes ont souligné que la suppression du délit de racolage a rendu plus difficile , dans certains cas, le suivi des personnes prostituées et de leur parcours . Par ailleurs, selon les gendarmes, la pénalisation de l'infraction est difficile à constater .

À cet égard, le colonel Duvinage a rappelé que, du point de vue criminel, les enquêteurs ne s'intéressent pas au client mais au souteneur . Selon lui, la pénalisation des clients des prostituées constitue malgré tout une « porte d'entrée » judiciaire pour ouvrir une enquête.

Par ailleurs, les actes de violences commis à l'encontre des prostituées demeurent importants .

III. - Démonstration au Centre de lutte contre les criminalités numériques ( C3N )

Enfin, les sénatrices ont eu l'opportunité d'assister à une démonstration dans les locaux du C3N , sous l'égide du colonel Nicolas Duvinage.

1) Présentation du C3N

Le C3N est un service précurseur qui peut mener des enquêtes sous pseudonymes, notamment en matière de pédopornographie. Unité à compétence nationale , le C3N ne traite que les enquêtes les plus sensibles et les plus complexes, la plupart de celles-ci étant menées par les unités régionales ou territoriales de gendarmerie.

On distingue trois modes de saisine pour initier une enquête :

- une saisine à partir d'une enquête locale au cours de laquelle apparaît une dimension complexe de cyber-criminalité ;

- une saisine proactive à l'initiative du C3N , à partir de ses propres recherches sur Internet ;

- une saisine sur plainte , par exemple à l'initiative d'une association.

2) Les différents aspects des violences sexuelles sur Internet

Le colonel Duvinage a rappelé la typologie très riche et variée des violences faites aux femmes en ligne :

- revenge porn 456 ( * ) : cette infraction est juridiquement bien définie et donc aisément poursuivable (art. 226-2-1 du code pénal), d'autant plus depuis l'ajout du 2 ème alinéa de l'article précité par la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 ; la difficulté est davantage pratique (victimes n'osant pas porter plainte par honte) ;

- sextorsion 457 ( * ) (qui touche autant les hommes que les femmes) : cette infraction est juridiquement bien définie (extorsion) ; les difficultés principales résident dans le dépôt de plainte, les victimes n'osant pas porter plainte par honte, et dans la coopération policière et judiciaire internationale (délinquance majoritairement en provenance d'Afrique du Nord et d'Afrique de l'Ouest) ;

- installation de logiciels espions 458 ( * ) , que l'on constate par exemple dans les couples en instance de séparation - l'homme surveille sa femme sur son téléphone portable, avant ou après la rupture - ou bien de la part de pères souhaitant contrôler leurs filles adolescentes, voire majeures (le C3N rencontre quelques cas de ce type par mois, mais cela demeure assez marginal au niveau statistique). Cette infraction est juridiquement bien définie (atteinte à un système de traitement automatisé de données, atteinte au secret des correspondances).

Qu'en est-il de la typologie des victimes de cyber-violences ? S'agissant du revenge porn , le colonel Duvinage a confirmé que les victimes sont très majoritairement des femmes, généralement âgées de 15 à 35 ans. Selon lui, il s'agit d'un phénomène générationnel et le spectre d'âge devrait donc s'étendre avec celui des victimes.

Pour ce qui concerne les logiciels espions en cas de ruptures conjugales , les victimes ont entre 25 et 55 ans. Quand il s'agit d'un contrôle parental, l'âge peut aller jusqu'à 25 ans.

Le harcèlement en ligne sur les réseaux sociaux concerne pour l'essentiel le milieu scolaire et étudiant - de la 6 ème au master, avec des victimes de 12 à 25 ans -, périscolaire, sportif ou encore associatif. Mais il peut aussi intervenir dans le milieu professionnel (en entreprise) ou encore dans le cas de séparation de couple.

Plus généralement, le cyber-harcèlement devient un nouvel enjeu de lutte contre les violences faites aux femmes , notamment aux adolescentes. Par ailleurs, Internet est un vecteur croissant de recrutement des prostituées , en particulier s'agissant de jeunes filles mineures.

3) Exemples de délits en ligne et enjeux de la poursuite des auteurs

Le colonel Duvinage a ensuite présenté aux sénatrices des exemples de délits en ligne , dont certains posent des défis aux gendarmes du C3N pour réprimer les infractions constatées sur Internet car elles ne sont pas toujours aisées à caractériser.

Selon le colonel Duvinage, pour lutter efficacement contre les cyber-violences, il importe de bien différencier les sujets et d'identifier les modes opératoires .

a) Les attaques groupées contre une victime unique

Lorsque l'on assiste à des attaques multiples sur une victime unique en ligne - on parle de « raid » -, la difficulté est de savoir qui poursuivre . Cette question est cruciale du point de vue de la stratégie d'enquête à adopter. Pour identifier l'auteur de la menace, les gendarmes doivent demander une réquisition aux réseaux sociaux concernés. Pour autant, ces entités n'acceptent pas toujours de collaborer aux enquêtes et de répondre aux gendarmes, car elles ne sont pas nécessairement soumises à la loi française. Ainsi, elles ne s'estiment pas tenues de répondre si elles considèrent que les propos incriminés ne violent pas leurs conditions générales d'utilisation. Dans ces conditions, obtenir une adresse IP peut déjà prendre de quelques jours à plusieurs semaines .

Ensuite, les gendarmes doivent adresser une réquisition auprès du fournisseur d'accès à Internet (FAI) pour identifier l'adresse IP, processus qui coûte 18 euros par adresse IP. L'une des difficultés tient au fait que l'auteur des propos n'est pas forcément le titulaire de l'adresse IP. Il faut donc mener un « travail d'environnement » (réquisitions auprès des impôts et de la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) pour connaître la composition du foyer du titulaire de l'adresse IP, recherches d'antécédents judiciaires, etc.). Cette phase peut aller jusqu'à l'audition, voire la garde à vue, du titulaire de l'abonnement.

Selon le colonel Duvinage, les enquêteurs se heurtent, pour traiter ces dossiers, à des difficultés qui ne tiennent pas tant à des questions de procédure juridique qu'à des questions de temps et de moyens . En effet, pour adresser une réquisition, les enquêteurs doivent recueillir l'accord systématique du Parquet, car c'est lui qui finance les réquisitions. Or la multiplication des réquisitions pour identifier les titulaires des adresses IP peut aboutir à une augmentation problématique des frais judiciaires , a fortiori quand le résultat de l'enquête peut être aléatoire.

C'est pourquoi, en cas de « raid » sur les réseaux sociaux, les gendarmes se concentreront sur les auteurs des propos les plus virulents et approfondiront la piste qu'ils auront sélectionnée.

b) La vente de substance illégales sur Internet : l'exemple de la drogue du violeur (GHB)

Un deuxième exemple de cyber-criminalité liée aux violences sexuelles concerne la vente de GHB ou GBL (précurseur chimique du GHB) sur Internet. Le GHB est un produit anesthésiant qui provoque des troubles de la mémoire. Il est interdit en France. En revanche, le GBL est beaucoup moins réglementé et on le trouve en vente quasiment libre (il peut s'utiliser pour nettoyer les jantes des voitures). Par ailleurs, le GHB et le GBL à des fins de viol peuvent se procurer sur le dark web 459 ( * ) .

Selon le colonel Duvinage, les criminels exploitent les failles de notre législation . Ainsi, vendre la recette de fabrication du GHB n'est pas illégal, cette action étant assimilée à un « cours de chimie ». Néanmoins, le code de procédure pénale autorise les enquêteurs à se faire passer pour des acheteurs, ce qui permet parfois de remonter jusqu'aux criminels.

c) La vente de logiciels espions

Les enquêteurs du C3N ont pu constater que l'on peut acheter sur Internet des logiciels espions pour une somme de 30 euros par mois . En France, la mise à disposition de ce type de logiciels est réglementée par un agrément du Secrétariat général de la sécurité et de la défense nationale (SGSDN). Or le colonel Duvinage a observé que la grande majorité des sociétés qui font de la publicité sur Internet pour ce type de produit ne sont pas agréées.

Selon le colonel Duvinage, dans ces dossiers, les enquêteurs ne se heurtent pas à un problème de définition juridique des infractions, puisqu'ils peuvent mobiliser la loi pour atteinte à l'intimité de la vie privée. La difficulté tient une fois encore à une question de temps et de moyens.

d) Les défis qui mettent en danger la vie d'autrui

Certains sites ciblant les adolescents et jeunes majeurs leur proposent de réaliser des défis susceptibles de mettre en danger la vie d'autrui ; ils peuvent donc être réprimés sur le fondement de l'article 227-24 du code pénal.

ARTICLE 227-24 DU CODE PÉNAL

Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur.

Lorsque les infractions prévues au présent article sont soumises par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.

e) L'offre de prostitution en ligne

Il existe de très nombreux sites d'offres de prostitution en ligne , plus ou moins explicites.

Des associations comme Le Nid font régulièrement des signalements de ces sites sur Pharos 460 ( * ) .

Le C3N constate que la frontière entre un site officiellement présenté comme un site de petites annonces de rencontres et un site de petites annonces d'offres de prostitution est parfois ténue et difficile à qualifier pénalement a priori . L'infraction de proxénétisme peut, notamment, être qualifiée via les éléments techniques de connexion (par exemple, cas d'une adresse IP unique servant à créer plusieurs petites annonces distinctes), lesquels ne peuvent être obtenus que sur réquisition judiciaire dans le cadre d'une enquête déjà ouverte, mais cette dernière ne peut l'être que si l'infraction est matérialisée...

Cela pose la question de la responsabilité pénale des plateformes , lesquelles disposent de ces éléments techniques de connexion . Le code des postes et des communications électroniques prévoit un statut favorable pour les hébergeurs . En effet, ils ne sont pas responsables pénalement et civilement des contenus qu'ils abritent et ne sont passibles de sanctions que s'ils n'ont pas retiré des contenus litigieux avec diligence alors qu'ils en ont été dûment informés .

Ainsi, l'article L. 32-3-4 du code des postes et des communications électroniques n'impose pas de police proactive pour les annonceurs et hébergeurs , mais uniquement une obligation de réaction .

ARTICLE L. 32-3-4 DU CODE DES POSTES
ET DES COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES

Toute personne assurant dans le seul but de rendre plus efficace leur transmission ultérieure, une activité de stockage automatique, intermédiaire et temporaire des contenus qu'un prestataire transmet ne peut voir sa responsabilité civile ou pénale engagée à raison de ces contenus que dans l'un des cas suivants :

1° Elle a modifié ces contenus, ne s'est pas conformée à leurs conditions d'accès et aux règles usuelles concernant leur mise à jour ou a entravé l'utilisation licite et usuelle de la technologie utilisée pour obtenir des données ;

elle n'a pas agi avec promptitude pour retirer les contenus qu'elle a stockés ou pour en rendre l'accès impossible, dès qu'elle a effectivement eu connaissance , soit du fait que les contenus transmis initialement ont été retirés du réseau, soit du fait que l'accès aux contenus transmis initialement a été rendu impossible, soit du fait que les autorités judiciaires ont ordonné de retirer du réseau les contenus transmis initialement ou d'en rendre l'accès impossible.

Selon le colonel Duvinage, il pourrait être intéressant d'envisager une rédaction plus contraignante du code des postes et des communications électroniques au regard des obligations imposées aux hébergeurs, s'ils abritent des sites ou des annonces liés à de la prostitution (obligation de « profilage » des données techniques de connexion).

4) Des outils de prévention à mieux faire connaître et à renforcer : le permis Internet, le site e-enfance et le portail cybermalveillance.gouv.fr

Le permis Internet est une initiative partenariale entre la Gendarmerie nationale, le groupe Axa prévention et l'éducation nationale, dispositif clé de prévention et de sensibilisation des plus jeunes aux enjeux de la cyber-criminalité.

Il s'agit d'un kit pédagogique dont le contenu est présenté par le corps enseignant à des classes de CM2, âge auquel les enfants commencent à avoir une activité régulière sur Internet et doivent donc être sensibilisés aux dangers liés à son utilisation, en tant que victime et en tant qu'auteur éventuel de violences en ligne.

Depuis la création de ce dispositif, il y a une dizaine d'années, plus d'un million d'enfants ont été sensibilisés .

S'il s'est avéré compliqué de mettre en place le dispositif, il rencontre aujourd'hui un vrai succès . La Gendarmerie nationale est déjà très engagée sur ce dispositif, qui est désormais également déployé en police nationale.

Les membres de la délégation s'interrogent sur l'opportunité d'étendre ce dispositif de prévention aux adolescents et jeunes adultes , avec le concours des associations étudiantes par exemple.

De la même manière, le colonel Duvinage a salué la qualité du travail mené par l'association E-enfance à travers son site Internet (www.e-enfance.org).

Il a également mentionné le portail gouvernemental cybermalveillance.gouv.fr (www.cybermalveillance.gouv.fr), qui contient des informations pour comprendre la cyber-malveillance et se protéger. On y trouve notamment un onglet destiné aux victimes pour les accompagner dans leur parcours.

ANNEXES

ANNEXE 1 - AVIS DU DÉFENSEUR DES DROITS 461 ( * )

Annexe 2 - Enquête Violences et rapports de genre (Virage) 462 ( * )
Premiers résultats sur les violences sexuelles

Annexe 3 - Enquête sur les refus d'enregistrer les plaintes pour violences conjugales ( Fédération nationale Solidarité Femmes - FNSF )463 ( * )


* 1 En septembre 2017, le parquet de Pontoise a décidé de poursuivre pour le délit d'atteinte sexuelle un homme de 28 ans ayant eu un rapport avec une fillette de onze ans, alors que la famille de la victime avait porté plainte pour le crime de viol. En novembre 2017, la cour d'assises de Seine-et-Marne a acquitté un homme accusé du viol d'une enfant de onze ans (voir ci-après l'encadré « 2016-2017 : un tournant décisif dans la prise de conscience des violences faites aux femmes ? Chronologie »).

* 2 Cette formule a été proposée par le HCE dans son rapport d'octobre 2016 ( Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles ), qui constitue un document de référence et que la délégation tient à saluer.

* 3 Mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineur.e.s, présidée par Madame Flavie Flament et Monsieur Jacques Calmettes, http://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2017/04/Rapport_MissionConsensus_VF.pdf

* 4 https://www.la-croix.com/France/Marlene-Schiappa-Je-vais-deposer-projet-loi-contre-violences-sexuelles-2017-10-16-1200884545

* 5 La délégation aux droits des femmes du Sénat s'est également inscrite dans le débat sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, déposé à l'Assemblée nationale le 21 mars 2018 et adopté en première lecture par les députés le 16 mai 2018. Elle a, le 14 juin 2018, adopté un rapport d'information Le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : contribution au débat , n° 574 (2017-2018).

* 6 La visite de ce foyer s'inscrivait aussi dans le cadre de la réflexion de nos collègues Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac sur les mutilations sexuelles féminines et de la préparation de leur rapport Mutilations sexuelles féminines : une menace toujours présente, une mobilisation à renforcer.

* 7 Ce décompte ne comprend pas les auditions auxquelles ont procédé nos collègues Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac dans le cadre de leur rapport d'information Mutilations sexuelles féminines : une menace toujours présente, une mobilisation à renforcer (n° 479, 2017-2018), même si certaines des informations dont fait état leur travail ont été mobilisées par le présent rapport d'information.

* 8 Nassimah Dindar (groupe Union Centriste) et Viviane Malet (groupe Les Républicains), sénatrices de La Réunion ainsi que Victoire Jasmin (groupe Socialiste et républicain), sénatrice de la Guadeloupe.

* 9 Il s'agit de M. Dominique Rivière et de Mme Ernestine Ronai, co-rapporteurs.

* 10 N° 479, 2017-2018.

* 11 http://www.lecese.fr/travaux-publies/combattre-toutes-les-violences-faites-aux-femmes-des-plus-visibles-aux-plus-insidieuses ; Combattre toutes les violences faites aux femmes, des plus visibles aux plus insidieuses ; rapport de Pascale Vion.

* 12 http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i3514.asp ; rapport de Pascale Crozon.

* 13 http://www.senat.fr/rap/r15-425/r15-425_mono.html ; 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales ; rapport de Chantal Jouanno, Corinne Bouchoux, Laurence Cohen, Roland Courteau, Christiane Kammermann et Françoise Laborde.

* 14 http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-de-genre/actualites/article/avis-du-hcefh-relatif-au ; Avis relatif au harcèlement sexiste et aux violences sexuelles dans les transports en commun.

* 15 http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-de-genre/travaux-du-hcefh/article/avis-pour-une-juste-condamnation ; Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles.

* 16 http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_rapport_violences_faites_aux_femmes_en_ligne_2018_02_07.pdf ; En finir avec l'impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes

* 17 Contribution relative à la verbalisation du harcèlement dit « de rue », http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_contribution_relative_a_la_verbalisation_hdr_20180319.pdf

* 18 Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles ; rapport d'information de Marie Mercier (Sénat, n° 289, 2017-2018). Ce rapport d'information a conduit à l'adoption par le Sénat, le 27 mars 2018, de la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles, dont nos collègues de la commission des lois Philippe Bas et Marie Mercier ont pris l'initiative.

* 19 http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i0721.asp ; rapport d'information de Sophie Auconie et Marie-Pierre Rixain, députées, n° 721, 22 février 2018, XV ème législature.

* 20 Le 9 mai 2016, huit femmes du parti EELV, écologiste, dont Sandrine Rousseau, sa porte-parole, font publiquement état d'agressions sexuelles et de faits de harcèlement sexuel commis entre 1998 et 2014 par Denis Baupin, qui démissionne alors de sa vice-présidence de l'Assemblée nationale (voir ci-après l'encadré « 2016-2017 : un tournant décisif dans la prise de conscience des violences faites aux femmes ? Chronologie »).

* 21 P aye ta schneck , sur le harcèlement dit de rue ; paye ta robe , sur le sexisme dans le milieu des avocats ; paye ta recherche ; paye ta fac ; paye ta blouse , sur les agissements sexistes dans le milieu médical ; paye ton taf ; paye ta culture ; paye ton bahut, etc.

* 22 Lemonde.fr , 1 er décembre 2017, « Paye ta schneck, ta robe, ton taf... à quoi servent les recueils de témoignages de sexisme en ligne ? »

* 23 Cf les accusations de viol et de harcèlement sexuel portées par plusieurs femmes à l'encontre d'un islamologue qui a démenti ces accusations..

* 24 Le Figaro , 16 octobre 2017, « Comment le hashtag BalanceTonPorc est devenu viral sur twitter. »

* 25 Le Monde , 21 octobre 2017, Entretien avec Geneviève Fraisse, « Le fait divers est devenu politique ».

* 26 OuestFrance.fr , 10 décembre 2017, « Geneviève Fraisse : ? les femmes ont pris la parole ? ».

* 27 Le Monde, 10 janvier 2018, « Des femmes libèrent une autre parole ».

* 28 Voir en annexe le compte rendu de l'audition du Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol .

* 29 https://www.lexpress.fr/education/sexisme-a-l-ecole-le-grand-tabou_2005156.html , « Sexisme à l'école, silence dans les rangs », 7 mai 2018.

* 30 Ce cas a été cité lors d'un déplacement de la délégation, le 17 mai 2018, dans les locaux parisiens de l'association Fédération nationale solidarité femmes , à propos d'un appel adressé par une femme vivant en milieu rural.

* 31 Voir Nora Bussigny, Surveillante. Journal d'une pionne de banlieue , 2018 (éd. Favre) : « Mon père faisait ça aussi à ma mère, mais tu sais, c'est parce qu'il l'aimait trop. Et parfois, c'est incontrôlable. »

* 32 Selon l'enquête sur les refus d'enregistrer les plaintes pour violences conjugales de la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF), le droit des victimes de porter plainte peut n'être pas respecté pour des raisons tenant à des causes erronées - par exemple, l'absence de certificat d'incapacité temporaire de travail, à l'allégation du manque de moyens humains ou, ce qui est très préoccupant, à ce qui peut être interprété comme un « parti pris pour l'agresseur » ou comme une « justification des violences » par lui exercées.

* 33 Magistrate, Élisabeth Moiron-Braud est également secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains. Voir en annexe le compte-rendu de l'audition du 18 janvier 2018.

* 34 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 35 http://www.assemblee-nationale.fr/15/propositions/pion0307.asp ; proposition de loi déposée le 17 octobre 2017 à l'Assemblée nationale.

* 36 Ce point figure aussi parmi les conclusions du rapport de la commission des lois du Sénat : Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles ; rapport d'information de Marie Mercier (Sénat, n° 289, 2017-2018). La délégation se félicite de cette convergence de vues sur un sujet essentiel pour l'avenir de notre société.

* 37 Statistiques publiées chaque année par la Direction générale de la Police nationale et la Direction générale de la Gendarmerie nationale.

* 38 Cette enquête annuelle de victimation est réalisée conjointement par l'Observatoire national de la délinquance et de la répression pénale (ONRDP) et par l'INSEE, à partir d'un échantillon représentatif de personnes âgées de 18 à 75 ans, se déclarant victimes de violence l'année précédant l'enquête.

* 39 Hors harcèlement et exhibitionnisme.

* 40 Enquête publiée le 23 février 2018 par la Fondation Jean Jaurès.

* 41 Voir en annexe le compte rendu de l'audition de Christelle Hamel sur l'enquête Virage .

* 42 Témoignage d'une élève de quinze ans agressée dans les toilettes de son établissement. Cité dans L'express , « Sexisme à l'école, silence dans les rangs », 7 mai 2018.

* 43 Article 222-22 du code pénal.

* 44 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F33891

* 45 http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-de-genre/actualites/article/avis-du-hcefh-relatif-au

* 46 Du 1 er novembre 2016 au 31 janvier 2017 puis du 20 mai 2017 au 20 juillet 2017.

* 47 Page 5 du rapport de la FNSF.

* 48 Page 10 du rapport de la FNSF.

* 49 Le Monde , Mattea Battaglia et Sofia Fischer, « Harcèlement sexuel dans les collèges et les lycées, un phénomène difficile à appréhender pour les enseignants », 22 décembre 2017.

* 50 Article 222-33 du code pénal. - « I. - Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. II. - Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. [...] ».

* 51 La loi de 2012 définit deux dimensions du harcèlement sexuel (article 222-33 du code pénal), qui se distinguent en fonction de leur répétition éventuelle. S'il y a répétition , la définition repose sur des « propos ou comportements » :

- qui « portent atteinte à la dignité de la personne » en raison de leur « caractère dégradant ou humiliant »,

- ou qui créent un environnement hostile, intimidant ou offensant pour la victime.

Le code pénal s'appuie sur deux critères cumulatifs : ces comportements doivent à la fois être imposés et revêtir une « connotation sexuelle ».

L'article 222-33 du code pénal assimile au harcèlement sexuel les « pressions graves » exercées, même de manière non répétée , dans le but d'obtenir un acte de nature sexuelle. On notera :

- que dans ce cas de figure le consentement n'entre pas en ligne de compte,

- et que la pression peut être exercée dans un but « réel ou apparent », ce qui permet de prendre en considération l'hypothèse où la victime aurait toutes les raisons de supposer qu'elle fait l'objet d'un chantage sexuel même si l'attitude du harceleur n'est pas réellement explicite.

* 52 Les citations ci-dessous sont extraites de la circulaire précitée du ministère de la Justice du 7 août 2012.

* 53 Comme par exemple http://payetontaf.tumblr.com/

* 54 Chantal Jouanno, La laïcité garantit-elle l'égalité femmes-hommes, n° 101 (2016-2017) ; https://www.senat.fr/notice-rapport/2016/r16-101-notice.html

* 55 « Les femmes, une espèce en voie de disparition ».

* 56 Violences faites aux femmes dans les espaces publics en Ile de France , https://www.centre-hubertine-auclert.fr/article/sortie-de-l-etude-virage-violences-faites-aux-femmes-dans-les-espaces-publics-en-ile-de

* 57 Ce point faisait partie des conclusions du rapport précité La laïcité garantit-elle l'égalité femmes-hommes ? , dont les constats législatifs ont donné lieu à une proposition de loi déposée le 9 mars 2017 ; Proposition de loi tendant à réaffirmer le principe d'égalité entre femmes et hommes et à renforcer la laïcité, https://www.senat.fr/leg/ppl16-460.html

* 58 Enquête nationale sur les violences faites aux femmes, réalisée en 2000 par l'Institut de démographie de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Jaspard et al., Les violences envers les femmes en France , La documentation française, 2003).

* 59 Cette enquête barométrique produit une mesure des atteintes aux personnes mais aussi des atteintes aux biens. Son questionnaire comprend donc beaucoup moins de questions que l'enquête Enveff sur les violences subies par les personnes. CVS mesure l'insécurité (vol, cambriolage, nuisance dans le quartier, opinion sur l'insécurité, et comporte quelques questions sur les violences physiques et sexuelles subies par les personnes).

* 60 Loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure.

* 61 Les résultats de cette enquête - une analyse de quelque 600 pages - ont été publiés par l'INSERM en 2008 (éditions La découverte).

* 62 Voir en annexe le compte rendu de l'audition de Christelle Hamel.

* 63 Voir en annexe le compte rendu de l'audition de Christelle Hamel.

* 64 Pour la présentation détaillée des résultats, voir le compte-rendu de l'audition de Christelle Hamel et le PowerPoint annexés au présent rapport.

* 65 Cette faible proportion peut s'expliquer, selon les premiers commentaires de l'enquête, par le fait que les femmes interrogées sont majeures, alors que ce type de violence se produit généralement dans l'enfance ou l'adolescence.

* 66 Ce terme désigne les maisons ou appartements.

* 67 Concernant les personnes en institution, Christelle Hamel a cité l'enquête « Enfants et familles sans logement » (ENFAMS) réalisée par le Samu social sur l'état de santé des femmes avec enfants hébergées dans ses centres d'accueil. Il en ressort que, souvent, les femmes entrent dans ces centres d'hébergement après avoir perdu leur domicile, pour des raisons liées à la toxicomanie par exemple ; les violences conjugales sont aussi, très souvent, la cause de leur précarité.

* 68 Exemple de question : au lieu de demander à la personne si elle a été agressée sexuellement, on lui demande si quelqu'un lui a, contre son gré, touché les seins, le sexe ou les fesses, l'a coincée pour l'embrasser, s'est frotté ou collé contre elle. Concernant le viol, les questions sont précises et ne laissent pas de place à l'interprétation subjective des faits.

* 69 Voir en annexe le compte rendu de l'audition de Christelle Hamel.

* 70 Méthode des quotas : méthode d'échantillonnage consistant à s'assurer de la représentativité d'un échantillon en lui affectant une structure similaire à celle de la population de base. Cette méthode est fréquemment utilisée par les sondages politiques.

* 71 https://jean-jaures.org/nos-productions/viols-et-violences-sexistes-un-probleme-majeur-de-sante-publique

* 72 ODOXA, 19 octobre 2017, « Regards des Français sur les violences sexuelles et le harcèlement ».

* 73 Échantillon représentatif de la population française, âgé de 18 ans et plus.

* 74 Voir en annexe le compte rendu de l'audition de Christelle Hamel.

* 75 http://www.lecese.fr/travaux-publies/combattre-les-violences-faites-aux-femmes-dans-les-outre-mer

* 76 Une étude Virage Outre-mer est en cours, mais le champ de l'enquête ne peut traiter l'ensemble des territoires à ce stade.

* 77 Laure Turner, « Les jeunes sont plus souvent victimes de violences physiques et sexuelles et de vols avec violence », INSEE Références , édition 2016 - éclairage, p. 59.

* 78 Interstats, Analyser pour agir , « Insécurité et délinquance en 2016 : premier bilan statistique », janvier 2017.

* 79 Laure Turner, « Les jeunes sont plus souvent victimes de violences physiques et sexuelles et de vols avec violence », INSEE Références , édition 2016 - éclairage, p. 60.

* 80 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 81 En finir avec les violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes , rapport publié le 16 novembre 2017.

* 82 Celles-ci consistent par exemple à envoyer des messages ou à publier des propos insultants ou portant atteinte à la dignité des victimes, voire résultent d'une usurpation d'identité pour nuire à la personne. On notera que la gravité de ces agressions est renforcée par l'anonymat de l'agresseur.

* 83 Voir le compte rendu de ce déplacement en annexe du présent rapport.

* 84 L'Express , « Sexisme à l'école, silence dans les rangs », 7 mai 2018.

* 85 Le Monde , Mattea Battaglia et Sofia Fischer, « Harcèlement sexuel dans les collèges et lycées, un phénomène difficile à appréhender pour les enseignants », 22 décembre 2017.

* 86 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 87 Journaliste américaine née en 1935. Dans son livre Against our will : Men, Women, and Rape , publié en 1975, elle analyse les représentations associées au viol depuis l'Antiquité et s'intéresse aux viols de guerre.

* 88 Susan Brownmiller, Le viol , préface de Benoîte Groult, Stock, 1976, p.11.

* 89 HCE, Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles , octobre 2016, p. 41.

* 90 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 91 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 92 L'Express , « Sexisme à l'école, silence dans les rangs », 7 mai 2018.

* 93 HCE, Se mobiliser pour dire stop sur toute la ligne au harcèlement sexiste et aux violences sexuelles dans les transports , Avis sur le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports, avril 2015.

* 94 Une femme victime de cyber-harcèlement sur cinq a fermé un compte en ligne pour se protéger, et 41 % des femmes de 15 à 49 ans affirment s'autocensurer en ligne par crainte d'être victime de harcèlement sexuel.

* 95 N° 425, 2015-2016, http://www.senat.fr/rap/r15-425/r15-4250.html .

* 96 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 97 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 98 Maître Carine Durrieu-Diebolt a fait observer lors de son audition qu'une procédure pouvait durer au total huit à dix années, depuis le dépôt de plainte jusqu'à la décision judiciaire.

* 99 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 100 Enquête réalisée par la DARES et la Direction générale du travail (DGT) tous les six ans. Il s'agit d'une enquête épidémiologique prédictive qui porte sur 23 millions de salariés.

* 101 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 102 Mutilations sexuelles féminines : une menace toujours présente, une mobilisation à renforcer , rapport n° 479, 2017-2018.

* 103 Compte rendu de l'audition de Marie-France Hirigoyen.

* 104 Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac, Mutilations sexuelles féminines : une menace toujours présente, une mobilisation à renforcer, p. 42.

* 105 L'importance de la prostitution « de survie » dans le parcours de violence subi par certaines victimes a été mise en évidence lors de la visite de la délégation au foyer Une femme, un toit (FIT), le 12 mars 2018, dont le compte rendu a été annexé au rapport d'information précité de Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac, Mutilations sexuelles féminines : une menace toujours présente, une mobilisation à renforcer.

* 106 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 107 http://www.lecese.fr/travaux-publies/combattre-les-violences-faites-aux-femmes-dans-les-outre-mer

* 108 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 109 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 110 http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/19-09-2016_fs_rapport_cout_economique_des_discriminations_final_web.pdf

* 111 Le gain susceptible de résulter de la disparition de ces discriminations serait compris entre 3,6 % et 14,1 % du PIB, les femmes contribuant à ces gains économiques à hauteur de 97 %.

* 112 Où est l'argent pour les droits des femmes ? Une sonnette d'alarme , rapport collectif réalisé par le CESE, la Fondation des femmes, le Fonds pour les femmes en Méditerranée, le HCE, le Comité ONU Femmes France et W4France, 15 septembre 2016.

* 113 C. Cavalin, M. Albagly, C. Mugnier, M. Nectoux, C. Bauduin, « Estimation du coût des violences au sein du couple et de leur incidence sur les enfants en France en 2012 : synthèse de la troisième étude française ». Bull. épidémiol. hebd. 2016 ; (22-23) : 390-8.

* 114 Caroline Anstey, Banque mondiale, « Mettre un prix sur les violences faites aux femmes et aux filles », 7 mars 2013.

* 115 http://www.unwomen.org/fr/news/stories/2013/2/in-viet-nam-a-new-study-reveals-domestic-violence-costs

* 116 Paye ton couple ; consultation le 26 mai 2018.

* 117 Paye ta blouse - témoignages de sexisme en milieu hospitalier ; consultation le 25 mai 2018.

* 118 Le Monde , « Paye ta fac : chronique du sexisme ordinaire en amphi », 9 janvier 2017.

* 119 http://payetontaf.tumblr.com/page/15 ; consultation le 25 mai 2018.

* 120 Le sexisme au travail, fin de la loi du silence ?, Belin, collection Égale à Égal, 2017.

* 121 Compte rendu de l'audition de Brigitte Grésy par la délégation, le 7 décembre 2017.

* 122 Le Centre Hubertine Auclert ou Centre francilien pour l'égalité femmes-hommes, organisme associé à la région Ile de France, a pour objectifs la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les violences faites aux femmes, à travers l'Observatoire régionale des violences faites aux femmes.

* 123 Le Monde , Mattea Battaglia et Sofia Fischer, « Harcèlement sexuel dans les collèges et les lycées, un phénomène difficile à appréhender pour les enseignants », 21 décembre 2017.

* 124 Refuser l'oppression quotidienne : la prévention du harcèlement à l'École , Rapport au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, 12 avril 2011.

* 125 « 94 % des collégiens déclarent se sentir bien au collège », Note d'information de la DEPP, n° 17, 30, décembre 2017.

* 126 Citée par Le Monde , Mattea Battaglia et Sofia Fischer, « Harcèlement sexuel dans les collèges et les lycées, un phénomène difficile à appréhender pour les enseignants », 21 décembre 2017.

* 127 Citée par Le Monde , Mattea Battaglia et Sofia Fischer, « Harcèlement sexuel dans les collèges et les lycées, un phénomène difficile à appréhender pour les enseignants », 21 décembre 2017.

* 128 « L'oppression viriliste et la violence scolaire », entretien avec Eric Debarbieux, 1 er juin 2018, http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2018/06/01062018Article636634382892805737.aspx

* 129 Le Monde , Mattea Battaglia, « Violences sexistes à l'école : les garçons aussi victimes », 2 juin 2018.

* 130 Le Monde , Mattea Battaglia, « Violences sexistes à l'école : les garçons aussi victimes », 2 juin 2018.

* 131 Prostitution : la plus vieille violence du monde faite aux femmes, rapport d'information de Brigitte Gonthier-Maurin, n° 590 (2013-2014) ; Lutter contre les stéréotypes sexistes dans les manuels scolaires : faire de l'école un creuset de l'égalité, rapport d'information n° 645 (2013-2014) de Roland Courteau ; Jouets : la première initiation à l'égalité, rapport d'information n° 183 (2014-2015) de Chantal Jouanno et Roland Courteau.

* 132 Il s'agit de la recommandation n° 3 de ce rapport, (p. 63).

* 133 Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

* 134 Les dispositions de la loi de 2001 ont été précisées dans une circulaire de 2003.

* 135 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

* 136 HCE, Rapport relatif à l'éducation à la sexualité. Répondre aux attentes des jeunes, construire une société d'égalité femmes/hommes , rapport publié le 13 juin 2016.

* 137 1 001 écoles élémentaires, 1 300 collèges et 695 lycées.

* 138 https://www.lexpress.fr/education/poils-regles-amour-une-seance-d-education-sexuelle-avec-des-collegiens_1963446.html

* 139 Voir par exemple www.filsantejeunes.com : ce site de l'INPES et de la Direction générale de la cohésion sociale permet aux jeunes de discuter en direct par mail, chat et forums avec des professionnels qui répondent à leurs questions .

* 140 Le guide Comportements sexistes et violences sexuelles : prévenir, repérer, agir , élaboré avec le Service des droits des femmes, a été actualisé pour la Journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes du 25 novembre 2014. L'objectif est d'aider la communauté éducative à agir efficacement face aux situations liées à des comportements sexistes et à des violences à caractère sexuel et à leurs conséquences. Il propose des éléments de définition, des rappels d'ordre juridique, des ressources et des adresses utiles. Il est téléchargeable sur : http://bit.ly/23YwybK.

* 141 L'Express , « Sexisme à l'école, silence dans les rangs », 7 mai 2018.

* 142 https://www.lexpress.fr/education/sexisme-a-l-ecole-le-grand-tabou_2005156.html

* 143 https://www.lexpress.fr/education/sexisme-a-l-ecole-le-grand-tabou_2005156.html

* 144 p. 36.

* 145 Jeuvideo.com, Forum 18 25 ans, capture effectuée le mardi 5 décembre 2017 à 18h59.

* 146 https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/bas-rhin/strasbourg-0/israel-nisand-il-faut-enseigner-vie-sexuelle-4-ans-ecole-loi-prevoit-1345987.html

* 147 Voir l'avis du Défenseur des Droits annexé au présent rapport.

* 148 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20180416/femmes.html . Cette réunion était co-présidée par Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, et Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes.

* 149 Section 9 du chapitre II du titre Ier du livre III de la deuxième partie du code de l'éducation.

* 150 Le but de cette association de soutien aux victimes est de leur permettre de parler ensemble et de leur offrir un espace de complète liberté de parole, pour échanger et leur montrer qu'elles ne sont pas seules. Selon elle, les parcours des victimes se ressemblent, et elles se sentent isolées.

* 151 Les agressions sexuelles en forte hausse, article du Figaro.fr , publié le 29 avril 2018, par Jean-Marc Leclerc.

* 152 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 153 Interview de Muriel Pénicaud et Marlène Schiappa dans Libération , 9 mai 2018 : « La ministre et la secrétaire d'État présentent leurs mesures pour résorber les écarts de rémunération et mieux accompagner les entreprises dans leur lutte contre le harcèlement ».

* 154 Le communiqué de presse du secrétariat d'État chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes du 17 mai 2018 fait état d'un million d'euros pour l'appel d'offres.

* 155 Communiqué de presse du 28 novembre 2017 : « La délégation aux droits des femmes du Sénat salue l'engagement du Président de la République dans la lutte contre les violences faites aux femmes, tout en s'interrogeant sur les moyens attribués à la « Grande cause du quinquennat » ; communiqué de presse du 2 février 2018 : « Lé délégation aux droits des femmes du Sénat s'inquiète de la dégradation des moyens des associations qui accompagnent les femmes victimes de violences ».

* 156 Contribution de la Direction générale de la Police nationale à la demande de la délégation aux droits des femmes - les agressions sexuelles - 26 décembre 2017.

* 157 Corps des gradés et gardiens, officiers et commissaires.

* 158 Assises de la formation de la Police nationale en 2013.

* 159 La DGPN précise que l'ensemble des référents auront suivi la formation d'ici la fin de l'année 2018.

* 160 Violences sexuelles : le délicat travail des forces de l'ordre pour recueillir les plaintes, Le Figaro Premium , Caroline Piquet, publié le 15 novembre 2017 et mis à jour le 25 janvier 2018.

* 161 Le procureur de la République de Paris a également relevé au cours de son audition « des points de fragilité la nuit, le samedi et le dimanche ».

* 162 La formation aborde entre autres l'aspect statistique de ces violences, les enjeux de la qualification pénale, les conséquences sur la santé, avec une séquence spécifique sur le psycho-trauma, la stratégie de l'agresseur, les conséquences de ces violences sur les enfants, l'accompagnement et l'écoute des victimes, la prise en charge des agresseurs.

* 163 Rapport de Pascale Vion au nom de la délégation aux droits des femmes du CESE, adopté le 12 novembre 2014.

* 164 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes du Sénat par Corinne Bouchoux, Laurence Cohen, Roland Courteau, Chantal Jouanno, Christiane Kammermann et Françoise Laborde, n° 425 (2015-2016).

* 165 Le Conseil national de l'Ordre des sages-femmes (CNSF) a également élaboré un certificat type.

* 166 Traite des êtres humains, esclavage moderne : femmes et mineur-e-s, premières victimes , rapport n° 448 (2015-2016), 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales , rapport n° 425 (2015-2016) ; Mutilations sexuelles féminines : une menace toujours présente, une mobilisation à renforcer , rapport n° 479 (2017-2018).

* 167 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 168 Un co-rapporteur de la délégation a participé aux auditions du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

* 169 La brigade numérique vise entre autres à faciliter les signalements par les femmes victimes, mais ce n'est pas son objectif exclusif et elle ne se limite pas au contentieux des violences faites aux femmes.

* 170 Voir le compte-rendu de ce déplacement en annexe du présent rapport.

* 171 Il s'agit de la recommandation n° 33 du rapport Femmes et agricultrices : pour l'égalité dans les territoires , rapport d'information de la délégation aux droits des femmes, n° 615 (2016-2017).

* 172 Le ministre de l'Intérieur a annoncé, le 8 février 2018, l'ouverture, au printemps, d'une plateforme de signalement des faits de violences sexuelles et sexistes, dans la continuité de la grande cause du quinquennat pour l'égalité femmes/hommes. (Source : Bulletin Quotidien du 9 février 2018).

* 173 https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2018/5/24/INTD1800173D/jo/texte

* 174 Les salles « Mélanie » sont des salles conçues et aménagées spécialement pour les mineurs victimes de violences dans les commissariats ou les services de gendarmerie. Elles ont été mises en place à l'initiative de l'association La Mouette , qui défend et soutient les enfants victimes. Mélanie est le prénom de la première petite fille à avoir été entendue dans l'un de ces espaces dédiés.

* 175 Sur ce point, voir le compte rendu du déplacement en annexe du présent rapport.

* 176 La recommandation n° 4 de son Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles était ainsi formulée : « Permettre aux victimes de violences sexuelles l'accès direct et en urgence aux Unités Médico-Judiciaires même sans dépôt de plainte préalable ».

* 177 Pour une présentation plus précise du CAUVA, voir le rapport précité du HCE sur le viol, p. 22.

* 178 Voir le compte rendu de l'audition du 15 février2018 en annexe du présent rapport.

* 179 Ce point a été relevé par Audrey Darsonville, professeure agrégée de droit pénal, auditionnée le 13 décembre 2017 par le groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

* 180 Voir le compte rendu de l'audition du 16 novembre 2018 en annexe du présent rapport.

* 181 Ces arguments ont été plus particulièrement développés par les magistrats rencontrés par le groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

* 182 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

* 183 Selon des chiffres transmis par la DACG au groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises contre les mineurs, la durée des peines est en moyenne de 61 mois d'emprisonnement pour les viols, et de 21 mois pour les agressions sexuelles.

* 184 La délégation souligne que le groupe de travail de la commission des lois a proposé de « renforcer les moyens de la justice, en particulier des cours d'assises, pour permettre des délais de jugement raisonnables ».

* 185 La délégation a également regretté la tendance à la correctionnalisation de certains crimes commis sur des femmes dans le cadre de son rapport Mutilations sexuelles féminines : une menace toujours présente , une mobilisation à renforcer (voir la recommandation n° 10 : la délégation est d'avis que la compétence des cours d'assises doit perdurer en matière d'excision et que la tendance à la correctionnalisation, qu'elle déplore à l'égard des viols, ne doit pas s'étendre aux mutilations sexuelles féminines).

* 186 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 187 Source : Bulletin Quotidien du 23 avril 2018.

* 188 Selon Brigitte Grésy, cette réparation peut prendre plusieurs formes : réparation en nature sur le contrat de travail, rémunération, promotion ou réparation indemnitaire par des dommages-intérêts.

* 189 Voir en annexe le compte-rendu de cette audition.

* 190 Mutilations sexuelles féminines : une menace toujours présente, une mobilisation à renforcer , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes du Sénat par Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac, n° 479 (2017-2018).

* 191 On peut également citer le Women Safe - Institut en Santé génésique de St Germain-en-Laye ou le CAUVA de Bordeaux.

* 192 La prise en charge à l'hôpital des femmes victimes de violences : éléments en vue d'une modélisation , rapport établi par Christine Branchu et Simon Vanackere, membres de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS, mai 2017).

* 193 Contribution de la Direction générale de la Police nationale à la demande de la délégation aux droits des femmes du Sénat - les agressions sexuelles - 26 décembre 2017.

* 194 Source CIDPR.

* 195 Loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel.

* 196 À cet égard, voir le rapport Restaurer le délit de harcèlement sexuel , rapport fait par Annie David, Brigitte Gonthier-Maurin et Jean-Pierre Sueur au nom du groupe de travail sur le harcèlement sexuel émanant de la commission des affaires sociales, de la commission des lois et de la délégation aux droits des femmes, n° 596 (2011-2012).

* 197 Annie David, Brigitte Gonthier-Maurin, Jean-Pierre Sueur, Restaurer le délit de harcèlement sexuel , Rapport d'information n° 596 (2011-2012).

* 198 Selon la circulaire d'application du 7 août 2012 du ministère de la Justice, l'exigence de répétition des faits prévue au I de l'article 222-33 du code pénal « exige simplement que les faits aient été commis à au moins deux reprises. Elle n'impose pas qu'un délai minimum sépare les actes commis, ces actes pouvant être répétés dans un très court laps de temps ».

* 199 Restaurer le délit de harcèlement sexuel , rapport d'information n° 596, 2011-2012, op. cit., p. 10.

* 200 http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/1_1_circulaire_07082012.pdf

* 201 Article 222-33 du code pénal.

* 202 Article L. 1153-1 du code du travail.

* 203 Article 6 ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

* 204 Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

* 205 Voir l'avis du Défenseur des Droits en annexe du présent rapport.

* 206 Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.

* 207 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

* 208 La loi « El Khomri » a également introduit des dispositions imposant l'obligation pour l'employeur de rappeler dans le règlement intérieur la définition légale des agissements sexistes, comme c'est déjà le cas pour les dispositions légales en matière de harcèlement sexuel ; disposant que le principe de planification de la prévention des risques que doit respecter tout employeur peut s'appliquer aux agissements sexistes ; prévoyant que le CHSCT peut proposer des actions de prévention des agissements sexistes.

* 209 L'article 3 de la loi du 8 août 2016 a modifié l'article L. 1154-1 du code du travail en ce sens.

* 210 Voir l'avis du Défenseur des Droits en annexe du présent rapport.

* 211 La recommandation n° 3 est ainsi formulée : « Le Défenseur des Droits rappelle la nécessité de campagnes nationales régulières d'information sur la définition du harcèlement sexuel et les voies de recours possibles, et recommande également d'informer le public sur l'aménagement de la charge de la preuve en matière civile et administrative ».

* 212 Loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale.

* 213 Les ordonnances ont été ratifiées par la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

* 214 Cet article a été abrogé par l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 (article 1).

* 215 Article L. 4612-3 du code du travail.

* 216 Article premier, entré en vigueur depuis le 1 er janvier 2018.

* 217 Les ordonnances ont été ratifiées par la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

* 218 Arrêt de la cour d'appel d'Orléans du 7 février 2017.

* 219 Cour de Cassation, civile, Chambre sociale, 17 mai 2017. 15-19-300.

* 220 http://circulaires.legifrance.gouv.fr/pdf/2012/12/cir_36192.pdf

* 221 Circulaire n° SE1 2014-1 du 4 mars 2014 relative à la lutte contre le harcèlement dans la fonction publique.

* 222 Article 2-1 du décret n° 82-453 du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail.

* 223 Circulaire du 9 mars 2018 relative à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans la fonction publique

* 224 Voir en annexe le compte-rendu de cette réunion. Cette cellule avait été présentée à la délégation au moment de sa mise en place, lors de l'audition, le 19 mai 2014, des deux officiers généraux ayant contribué à en définir les contours. http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20140519/femmes.html

* 225 http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-info/i4233.pdf

* 226 Recommandation n° 12.

* 227 Voir son intervention page 82 du rapport.

* 228 Les mesures administratives applicables pouvant être prises par les employeurs publics sont les suivantes : mesures de suspension de l'auteur présumé des faits et sanctions disciplinaires proportionnées à la gravité des faits, pouvant aller jusqu'à la révocation.

* 229 À la date du 19 décembre 2017, jour de la réunion avec les responsables de la cellule Thémis. (voir en annexe le compte rendu de cet échange).

* 230 Chiffres en date du 19 décembre 2017.

* 231 Harcèlement sexuel : une loi adaptée, une mise en oeuvre à consolider , rapport d'information n °4233 de Pascale Crozon et Guy Geoffroy fait au nom de la commission des lois, novembre 2016.

* 232 Baromètre Medef du climat d'égalité des chances : il donne le ressenti de l'entreprise par ses salariés et permet de définir des axes d'amélioration.

* 233 Les développements ci-après se fondent sur la contribution écrite transmise par le Medef à la demande de la délégation.

* 234 Cette communication peut passer par le site intranet, un affichage dans les locaux, voire par la réalisation d'un livret d'accueil pour les nouveaux arrivants mentionnant les procédures à suivre et les coordonnées des interlocuteurs adéquats en cas de besoin.

* 235 La note du Medef cite à cet égard la diffusion d'un code de bonnes pratiques et d'un e-learning correspondant, pour tous les collaborateurs, au sein du groupe BNP Paribas.

* 236 Intervenant externe ou interne, jeu de rôle, intervention de troupes de théâtre...

* 237 La note du Medef cite par exemple la démarche Pluri'elles chez AG2R La Mondiale, qui a pour objectif de valoriser le rôle des femmes par des actions de formation dédiées, de sensibilisation (conférences, ateliers...).

* 238 Par exemple, le groupe PSA sensibilise ses équipes en communiquant le 25 novembre. En 2017, le groupe a réalisé et diffusé un film « Des mots sur le sexisme » et un guide sur ce sujet.

* 239 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 240 « Le règlement intérieur est affiché à une place convenable et aisément accessible dans les lieux de travail ainsi que dans les locaux et à la porte des locaux où se fait l'embauche ».

* 241 Document élaboré par la DGAFP en 2017.

* 242 Fiches réflexe réalisées par le SDFE-ministères sociaux, la DGAFP et le Défenseur des Droits.

* 243 On peut citer des documents réalisés par l' AFB , PSA , Action logement , le Manuel de résistance aux stéréotypes sexistes en entreprise du Medef, publié en 2013. En outre, d'après les informations transmises par les interlocuteurs du Medef à la délégation, un guide sera publié prochainement sur la prévention du harcèlement sexuel dans les entreprises.

* 244 Cette campagne a été lancée en février 2018.

* 245 https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/communique-de-presse/2018/02/harcelement-sexuel-au-travail-unefemmesurcinq-le-defenseur-des-droits

* 246 Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté.

* 247 « Dans toute entreprise employant au moins trois cents salariés et dans toute entreprise spécialisée dans le recrutement, les employés chargés des missions de recrutement reçoivent une formation à la non-discrimination à l'embauche au moins une fois tous les cinq ans. »

* 248 Ce projet de loi a été enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 27 avril 2018.

* 249 http://circulaires.legifrance.gouv.fr/pdf/2012/12/cir_36192.pdf

* 250 Selon Muriel Pénicaud, la France compte un nombre d'inspecteurs du travail supérieur aux normes édictées par l'Organisation internationale du travail (OIT). Source : Libération, 9 mai 2018.

* 251 Un tel texte devrait ensuite être formellement approuvé puis ratifié par les États membres pour s'imposer à eux.

* 252 Harcèlement sexuel : une loi adaptée, une mise en oeuvre à consolider , rapport d'information n° 4233 de Pascale Crozon et Guy Geoffroy au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, novembre 2016, XIV e législature.

* 253 142 auteurs étaient « poursuivables » et 22 ont été condamnés en 2012, contre respectivement 164 et 18 en 2013.

* 254 Harcèlement sexuel : une loi adaptée, une mise en oeuvre à consolider , rapport d'information n° 4233 de Pascale Crozon et Guy Geoffroy fait au nom de la commission des lois, novembre, 2016, XIV e législature.

* 255 Les chiffres de condamnations présentées couvrent toutes les juridictions, dont celles pour les mineurs.

* 256 Le tableau présente les condamnations en infractions principales, c'est-à-dire les condamnations définitives pour lesquelles l'infraction concernée apparaît au premier rang dans l'extrait de jugement envoyé au Casier judiciaire. Elles ne prennent donc pas en compte les condamnations pour lesquelles l'infraction concernée est connexe ou apparaît à un rang inférieur.

* 257 Civ ; 2 ème , 7 octobre 2004, Bull.civ. II, n°447 ; Soc ; 23 mai 2007, n°06-43209.

* 258 Avis du Défenseur des Droits n°18-03, annexé au présent rapport.

* 259 Il s'agit de la 14 ème recommandation de son avis.

* 260 La délégation renvoie notamment au rapport de la Mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineur-e-s, présidée par Flavie Flament et le magistrat Jacques Calmette, publié le 10 avril 2017, ainsi qu'au rapport d'information Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles, fait par Marie Mercier au nom de la commission des lois du Sénat, n° 289 (2017-2018).

* 261 Les développements ci-après synthétisent la présentation de la Mission de consensus sur le cadre juridique de la prescription.

* 262 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

* 263 Loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale.

* 264 Infractions à la législation sur les stupéfiants, infractions terroristes, infractions relatives à la prolifération d'armes de destruction massive et de leurs vecteurs ; crimes d'eugénisme et de clonage reproductif ; crime de disparition forcée ; crimes et délits de guerre ; certains crimes et délits à l'encontre des mineurs.

* 265 Un co-rapporteur a participé aux auditions du groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur les infractions sexuelles contre les mineurs.

* 266 Une proposition de loi tendant à rendre imprescriptibles les crimes et délits sexuels sur mineurs a par exemple été déposée au Sénat par notre collègue Alain Houpert, le 14 septembre 2017 (texte n° 719, 2016-2017).

* 267 Les développements ci-après sont principalement fondés sur les auditions de magistrats réalisées par le groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, auxquelles a participé l'un des co-rapporteurs de la délégation.

* 268 Selon les termes de la proposition n° 27 du rapport d'information fait par marie mercier au nom de la commission des lois du Sénat, Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles , n° 289 (2017-2018).

* 269 Articles 222-22 et 222-23 du code pénal.

* 270 Haut conseil à l'égalité : Avis pour une juste condamnation sociétale et judicaire du viol et autres agressions sexuelles , publié le 5 octobre 2016.

* 271 De nombreuses propositions de loi ont été déposées sur ce sujet au Parlement, en particulier depuis la rentrée parlementaire d'octobre 2017.

* 272 La recommandation n° 8 du rapport sur le viol du HCE est ainsi formulée : « Instaurer un seuil d'âge de treize ans en dessous duquel un enfant est présumé ne pas avoir consenti à une relation sexuelle avec un majeur ».

* 273 La secrétaire d'État en charge de l'Égalité entre les femmes et les hommes a annoncé dès octobre 2017, dans un entretien au Journal La Croix , le dépôt d'un projet de loi qui comporterait une telle disposition.

* 274 Les développements ci-après se fondent sur les auditions du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, auxquelles un co-rapporteur de la délégation aux droits des femmes a participé.

* 275 C'est la position qu'il a exprimée devant les membres du groupe de travail de la commission des lois, au cours de son audition, le 29 novembre 2017. Il s'est déclaré plus favorable à l'âge de quinze ans qu'à celui de treize ans.

* 276 Il a cité à cet égard des relations « épistolaires » ou « numérisées » qui peuvent précéder des relations sexuelles. Par exemple, si la victime a écrit qu'elle a 17 ans, l'auteur présumé pourra démontrer qu'il a été induit en erreur.

* 277 Le compte rendu de cette audition a été annexé au rapport d'information de la délégation Le projet de loi renforçant les violences sexuelles et sexistes : contribution au débat , n° 574 (2017-2018).

* 278 Avis du Défenseur des droits n° 17-13 du 30 novembre 2017.

* 279 Avis du Défenseur des Droits n° 17-13 du 30 novembre 2017.

* 280 https://www.ined.fr/fr/publications/coeditions/enquete-sur-la-sexualite-en-france/

* 281 Article paru dans Le Monde du 30 mai 2018.

* 282 Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles, rapport d'information de Marie Mercier fait au nom de la commission des lois, n° 289, 2017-2018 et proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles, présentée par Philippe Bas et Marie Mercier, adoptée par le Sénat le 27 mars 2018, texte n° 84 (2017-2018).

* 283 La loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 a élargi le champ d'application de la circonstance aggravante à de nouveaux auteurs (pacsés et « ex »), et à de nouvelles infractions, notamment pour les crimes et délits de meurtres, viols et agressions sexuelles, reconnaissant ainsi le « viol conjugal ». Par ailleurs, la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 supprime la référence à la présomption de consentement entre époux, en ajoutant dans la définition que le viol est réalisé lorsqu'un rapport sexuel est imposé, «  y compris lorsqu'ils sont unis par les liens du mariage ».

* 284 Fédération Nationale Solidarité Femmes , enquête sur les refus d'enregistrer les plaintes pour violences conjugales, mars 2018, p.11.

* 285 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 286 L'objectif 2 du premier plan de lutte et de mobilisation contre les violences faites aux enfants vise à « renforcer le repérage des enfants victimes de violences au sein du couple ». La mesure 13 a pour objectif de « former les professionnels à l'impact des violences en sein du couple sur les enfants » et la mesure 14 à renforcer les liens entre le 3919 et le 119 (numéro vert à disposition des enfants victimes de violences).

* 287 Selon la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF), les viols et agressions sexuelles sur les enfants sont fréquents dans un contexte de violences conjugales.

* 288 Le dernier texte en date sur ce thème est une proposition de loi déposée par le député Philippe Latombe, enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale le 17 octobre 2017 (proposition de loi relative au principe de garde alternée des enfants).

* 289 Actuellement, la question de la résidence de l'enfant en cas de séparation est régie par l'article 373-2-9 du code civil.

* 290 Voir le communiqué de presse : « Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, opposée à la proposition de loi relative au principe de garde alternée des enfants », 22 novembre 2017.

* 291 Voir par exemple la proposition de loi relative à l'autorité parentale et à l'intérêt de l'enfant, adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture et transmise au Sénat le 27 juin 2014 (14 ème législature, session 2013-2014, texte adopté n° 371).

* 292 Le syndrome d'aliénation parentale a été créé par le psychiatre Richard Gardner dans les années 1980 pour expliquer l'attachement unilatéral d'un enfant à un parent (le plus souvent la mère) quand il s'accompagne d'une attitude de rejet à l'égard de l'autre parent (le plus souvent le père). Le syndrome d'aliénation parentale n'est pas reconnu en tant que trouble par la communauté médicale et judiciaire.

* 293 « Le juge peut également être saisi par l'un des parents ou le ministère public, qui peut lui-même être saisi par un tiers, parent ou non, à l'effet de statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale et sur la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant ».

* 294 Rapport de Corinne Bouchoux, Laurence Cohen, Roland Courteau, Chantal Jouanno, Chantal Kammermann et Françoise Laborde fait au nom de la délégation aux droits des femmes, n° 425, 2015-2016.

* 295 Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

* 296 Le dispositif est défini aux articles 515-9 à 515-13 du code civil.

* 297 Le dispositif est parfaitement opérationnel dans ce département où il existe un circuit organisé entre les différents partenaires (formation, protocole, comité de pilotage). Le département a également choisi de réaliser la convocation par voie d'huissier pour accélérer les délais, car une convocation par une lettre recommandée avec accusé de réception met plus de temps à parvenir à son destinataire. La loi mentionne à cet égard une « convocation par tout moyen dans les meilleurs délais ».

* 298 Voir le compte rendu de cette audition en annexe du présent rapport.

* 299 « Je suis étonné d'entendre que l'ordonnance de protection est délivrée dans un délai de trois à quatre semaines, alors que la loi précise qu'elle doit être délivrée quand la personne ou ses enfants sont en danger, dans les meilleurs délais » (question de Roland Courteau à François Molins, au cours de l'audition du 22 février 2018).

* 300 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales , rapport d'information n° 425 (2015-2016) .

* 301 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

* 302 CESE, Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer , Dominique Rivière et Ernestine Ronai, 29 mars 2017.

* 303 CESE, Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer , Dominique Rivière et Ernestine Ronai, 29 mars 2017.

* 304 Deux recommandations visant à « renforcer la mise en sécurité par l'accueil et l'hébergement » sont formulées dans le cinquième axe de recommandations, dédié à la consolidation des parcours de sortie des violences. LE CESE recommande ainsi d'accroître significativement dans les Outre-mer l'offre d'hébergement dans les CHRS et les établissements accueillant des mères avec enfants, et de mettre en oeuvre des partenariats entre l'État, les bailleurs sociaux, les collectivités locales et les associations spécialisées dans les Outre-mer afin de fluidifier l'hébergement d'urgence et de favoriser le relogement pérenne des femmes victimes de violences et de leurs enfants.

* 305 La FNSF, au cours de la visite des membres de la délégation dans ses locaux parisiens, le 17 mai 2018, et Marie Cervetti, directrice de FIT , au cours de la présentation au public du rapport sur les mutilations sexuelles féminines de nos collègues Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac.

* 306 La délégation a effectué le 12 mars une visite de FIT dans le cadre de son rapport sur les mutilations sexuelles féminines et a eu l'occasion d'échanger avec plusieurs de ses pensionnaires ou ex-pensionnaires.

* 307 Rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes de l'Assemblée nationale sur le projet de loi pour une République numérique par Catherine Coutelle, n° 3348, XIV ème législature, enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 décembre 2015.

* 308 Rapport publié le 16 novembre 2017.

* 309 Le HCE a fait le choix de parler de « violences faites aux femmes en ligne » plutôt que de cyber-violences ou de cyber-harcèlement. Il considère que « le préfixe cyber laisse entendre que ces violences seraient commises dans un espace à part, l'espace virtuel. Or le terme virtuel est utilisé pour désigner "ce qui est seulement en puissance, sans effet actuel. Il s'emploie souvent pour signifier l'absence d'existence". Pourtant, ces violences sont bien réelles et ont des conséquences parfois dramatiques sur les victimes ».

* 310 Ont participé à ce déplacement Annick Billon, Laurence Cohen, Marta de Cidrac, Nassimah Dindar et Viviane Malet.

* 311 Voir le compte rendu de ce déplacement en annexe au présent rapport.

* 312 Les violences sexistes en ligne peuvent également prendre la forme de « revenge porn », pratique qui vise à diffuser des photos en ligne de son ex petit-ami ou petite amie pour l'humilier.

* 313 Collectif « Féministes contre le cyber-harcèlement », la Fondation des femmes et l'association « En avant toutes ».

* 314 Facebook, Twitter et Youtube .

* 315 87 % pour Facebook, 89 % pour Twitter et 100 % pour Youtube .

* 316 Le code pénal et le code du travail ne prévoient pas l'exigence de répétition pour les faits de harcèlement sexuel s'apparentant au chantage sexuel (voir supra ).

* 317 Voir le compte rendu de ce déplacement en annexe du présent rapport.

* 318 Article 3 du projet de loi.

* 319 La commission des lois de l'Assemblée nationale a ajouté que les faits seraient caractérisées « lorsque ces propos et comportements sont imposés à une même victime, successivement par plusieurs personnes qui même en l'absence de concertation, savent qu'ils caractérisent une répétition ».

* 320 https://www.centre-hubertine-auclert.fr/sites/default/files/fichiers/etude-cybersexisme-web.pdf

* 321 Le Monde , Mattea Battaglia et Sofia Fischer, « Harcèlement sexuel dans les collèges et les lycées, un phénomène difficile à appréhender pour les enseignants », 21 décembre 2017.

* 322 Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles , rapport d'information de Marie Mercier fait au nom de la commission des lois, n° 289 (2017-2018), p. 87.

* 323 Exemple : cas d'une adresse IP unique servant à créer plusieurs petites annonces distinctes.

* 324 Avis relatif au harcèlement sexiste et aux violences sexuelles dans les transports en commun , Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, 16 avril 2015.

* 325 Le HCE a également effectué des propositions dans sa contribution relative à la verbalisation du harcèlement dit de rue (2018).

* 326 Les développements ci-après s'inspirent d'un article de Véronique-Tellier-Cayrol, maître de conférences HDR à l'université de Tours : Non à l'outrage sexiste ! , recueil Dalloz 2018, p. 425.

* 327 Article R. 624-1 du code pénal : les violences volontaires n'ayant entraîné aucune incapacité totale de travail (ITT) sont punies de l'amende prévue par les contraventions de quatrième classe (750  euros au maximum).

* 328 Article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

* 329 Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté.

* 330 Rapport fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Chantal Jouanno, n° 101 (2016-2017).

* 331 Voir le rapport de la délégation n° 101, p. 109.

* 332 Plusieurs membres de la délégation ont co-signé une proposition de loi déposée le 9 mars 2017 par Chantal Jouanno, alors présidente de la délégation aux droits des femmes, qui tirait les conséquences législatives des recommandations formulées dans le rapport sur la laïcité. Parmi les dispositions de cette proposition de loi, figure la création d'une infraction autonome d'agissement sexiste dans le code pénal assortie d'une circonstance aggravante quand la victime de l'agissement sexiste est une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public.

* 333 Il s'agit du rapport d'information n° 101 (2016-2017), La laïcité garantit-elle l'égalité femmes-hommes ?, présenté le 3 novembre 2016 par Chantal Jouanno, présidente, au nom de la délégation aux droits des femmes .

* 334 La laïcité garantit-elle l'égalité femmes-hommes ? , rapport d'information n° 101 (2016-2017), présenté le 3 novembre 2016 par Chantal Jouanno, rapporteure, au nom de la délégation aux droits des femmes .

* 335 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales, rapport d'information n° 425 (2015-2016) .

* 336 Ces ordonnances ont été ratifiées par la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

* 337 « Dans toute entreprise employant au moins trois cents salariés et dans toute entreprise spécialisée dans le recrutement, les employés chargés des missions de recrutement reçoivent une formation à la non-discrimination à l'embauche au moins une fois tous les cinq ans. »

* 338 Cette recommandation a été formulée par le HCE dans son Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles , publié en octobre 2016.

* 339 La laïcité garantit-elle l'égalité femmes-hommes ? , rapport de Chantal Jouanno fait au nom de la délégation aux droits des femmes, n° 101 (2016-2017).

* 340 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Corinne Bouchoux, Laurence Cohen, Roland Courteau, Chantal Jouanno, Christiane Kammermann et Françoise Laborde, n° 425 (2015-2016).

* 341 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

* 342 Mutilations sexuelles féminines : une menace toujours présente, une mobilisation à renforcer , rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes par Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac, n° 479 (2017-2018).

* 343 Loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale.

* 344 Loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale.

* 345 Loi n° 70-459 du 4 juin 1970 relative à l'autorité parentale.

* 346 Proposition de loi de M. Philippe Latombe et plusieurs de ses collègues relative au principe de garde alternée des enfants, enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 octobre 2017, n° 307, 15 ème législature.

* 347 Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant.

* 348 Le syndrome d'aliénation parentale a été créé par le psychiatre Richard Gardner dans les années 1980 pour expliquer l'attachement unilatéral d'un enfant à un parent (le plus souvent la mère) quand il s'accompagne d'une attitude de rejet à l'égard de l'autre parent (le plus souvent le père). Le syndrome d'aliénation parentale n'est pas reconnu en tant que trouble par la communauté médicale et judiciaire. (Note du secrétariat).

* 349 Il s'agit d'un amendement portant article additionnel après l'article 17 du projet de loi sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, adopté au Sénat le 17 septembre 2013.

* 350 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

* 351 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

* 352 Loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale.

* 353 Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

* 354 Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle.

* 355 Contre l'hypersexualisation, un nouveau combat pour l'égalité, rapport parlementaire de Mme Chantal Jouanno, sénatrice de Paris, du 5 mars 2012.

* 356 Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014.

* 357 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014.

* 358 Loi n° 2015-994 du 17 août 2015.

* 359 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016.

* 360 Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains.

* 361 Conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance.

* 362 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales , rapport de Corinne Bouchoux, Laurence Cohen, Roland Couteau, Chantal Jouanno, Christiane Kammermann et Françoise Laborde fait au nom de la délégation aux droits des femmes, n° 425, 2015-2016.

* 363 Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

* 364 Loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.

* 365 Roger Henrion, Les femmes victimes de violences conjugales, le rôle des professionnels de santé : rapport au ministre chargé de la Santé, Documentation française, février 2001.

* 366 Loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel.

* 367 La théorie du Nudge (terme parfois traduit par « paternalisme libéral ») consiste à faire valoir que des suggestions indirectes peuvent influencer la motivation, l'incitation et les prises de décision des individus, au moins aussi efficacement que l'instruction directe ou la législation.

* 368 Jouets : la première initiation à l'égalité , rapport d'information n° 183 (2014-2015) du 11 décembre 2014, par Chantal Jouanno et Roland Courteau.

* 369 Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

* 370 Loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.

* 371 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

* 372 Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi (dite loi Rebsamen).

* 373 Loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle.

* 374 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

* 375 Loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel.

* 376 Loi n° 2001-397 du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

* 377 Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté.

* 378 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

* 379 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

* 380 Communiqué du 17/10/2006.

* 381 Loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein des couples ou commises contre les mineurs.

* 382 Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

* 383 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales , rapport n° 425 (2015-2016) de la délégation aux droits des femmes du Sénat.

* 384 Cellules de recueil des informations préoccupantes.

* 385 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

* 386 Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

* 387 Proposition n° 12.

* 388 La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle.

* 389 LEGAD pour Legal Advisor .

* 390 Le comité de pilotage Thémis a été réuni le 7 mars 2018 par la ministre des Armées, conjointement avec l'Observatoire de la parité femmes-hommes.

* 391 Femmes et agriculture : pour l'égalité dans les territoires , rapport n° 615 (2016-2017) de la délégation aux droits des femmes du Sénat.

* 392 5 Ordonnances du 22 septembre 2017 : 2017-1385 à 2017-1389.

* 393 Loi 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

* 394 Loi 89-487 du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance.

* 395 Loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.

* 396 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

* 397 Loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale.

* 398 Conseil constitutionnel, décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999 relative au traité portant statut de la Cour pénale internationale ; Cour de cassation, Assemblée plénière, arrêt n° 596 du 20 mai 2011 ; Conseil d'État, Avis sur la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale du 01 octobre 2015.

* 399 Loi n° 2014-173 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les hommes et les femmes.

* 400 Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles du 5 octobre 2016.

* 401 Collectif féministe contre le viol .

* 402 Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail .

* 403 Centres d'information sur les droits des femmes et des familles .

* 404 Femmes pour le dire, femmes pour agir .

* 405 Amicale du Nid .

* 406 Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique.

* 407 Loi organique n°  2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des Droits.

* 408 Avis 18-03 du Défenseur des Droits au Parlement.

* 409 Loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel.

* 410 Harcèlement sexuel : une loi adaptée, une mise en oeuvre à consolider : rapport d'information n° 4233 de Pascale Crozon et Guy Geoffroy au nom de la commission des Lois.

* 411 Ou harcèlement personnel « environnemental ».

* 412 Cour d'appel d'Orléans, chambre sociale, 7 février 2017 ; 15/02566

* 413 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

* 414 Loi n° 2014- 873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

* 415 Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

* 416 Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail.

* 417 Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.

* 418 Loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale.

* 419 Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

* 420 Circulaire 2003-027 du 17 février 2003 relative à l'éducation à la sexualité dans les écoles, les collèges et les lycées.

* 421 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

* 422 Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

* 423 CE Perreux, 30 octobre 2009, n° 298348.

* 424 CE 11 juillet 2011, n° 321225.

* 425 Source : interview de Mme Baldeck sur le site de l'AVFT, en date du 8 juillet 2010.

* 426 Loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel.

* 427 Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.

* 428 Pour mémoire, plusieurs mesures destinées à renforcer la lutte contre les agissements sexistes dans les entreprises ont été adoptées dans le cadre de la loi « El Khomri ».

* 429 Il s'agit du rapport laïcité.

* 430 Pour mémoire : aux termes des dispositions de l'article L. 4612-3 du code du travail, le CHSCT peut « proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral et du harcèlement sexuel. Le refus de l'employeur est motivé ». Pour leur part, les délégués du personnel, en vertu de l'article L. 2313-2 du code du travail peuvent mettre en oeuvre le droit d'alerte au titre « de faits de harcèlement sexuel ou moral ».

* 431 Loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel.

* 432 Harcèlement sexuel : une loi adaptée, une mise en oeuvre à consolider, rapport d'information n° 4233 de Pascale Crozon et Guy Geoffroy fait au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, novembre 2016.

* 433 La victime avait porté plainte contre son supérieur hiérarchique pour des agissements relevant du harcèlement sexuel mais également de l'agression sexuelle.

* 434 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

* 435 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

* 436 Le temps des femmes, pour un nouveau partage des rôles . Flammarion, 2001. Ed. revue, 2008.

* 437 Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, 11-05-2011.

* 438 Loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.

* 439 Audition de Mme Ghada Hatem, fondatrice de La Maison des femmes de Saint-Denis sur La Maison des femmes de Saint-Denis et les soins aux femmes victimes de violences

( http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20171211/femmes.html#toc2 ).

* 440 Lutter contre les stéréotypes sexistes dans les manuels scolaires : faire de l'école un creuset de l'égalité - Rapport n° 645 (2013-2014) de M. Roland Courteau, fait au nom de la délégation aux droits des femmes ; Jouets : la première initiation à l'égalité - Rapport n° 183 (2014-2015) de Chantal Jouanno et Roland Courteau, fait au nom de la délégation aux droits des femmes.

* 441 Le propos de cette campagne est d'alerter sur les conséquences, souvent irréversibles, des violences domestiques sur les plus faibles ( https://www.province-sud.nc/ruban-blanc ).

* 442 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

* 443 Ce groupe de travail était composé de Mme Marie Mercier, rapporteur ; Mmes Esther Benbassa, Maryse Carrère, Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, MM. Arnaud de Belenet, François-Noël Buffet, Dany Wattebled ( http://www.senat.fr/notice-rapport/2017/r17-289-notice.html ).

* 444 Loi n° 2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne.

* 445 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

* 446 La sexualité en France : pratiques, genre et santé , Nathalie Bajos et Michel Bozon, 2008.

* 447 Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère de la Santé.

* 448 Loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure.

* 449 Numéro vert national d'écoute pour les violences faites aux femmes.

* 450 Numéro vert national du ministère de la Justice pour les victimes.

* 451 Le ministre de l'Intérieur a annoncé le 8 février 2018 l'ouverture, au printemps, d'une plateforme de signalement des faits de violences sexuelles et sexistes, dans la continuité de la grande cause du quinquennat pour l'égalité femmes/hommes. L'extension des pré-plaintes en ligne aux faits de discrimination est prévue dans le courant de l'année, de même qu'un projet de dépôt de plainte en ligne pour les escroqueries sur Internet (source : Bulletin Quotidien du 9 février 2018).

* 452 Le ministre de l'Intérieur a annoncé le 8 février 2018 le lancement de la « Brigade numérique », une plateforme d'accès aux forces de police et de gendarmerie ouverte 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, qui permettra d'orienter et de renseigner les usagers (source : Bulletin Quotidien du 9 février 2018).

* 453 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

* 454 Traite des êtres humains, esclavage moderne : femmes et mineur-e-s, premières victimes , rapport d'information de Corinne Bouchoux, Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Brigitte Gonthier-Maurin, Chantal Jouanno et Mireille Jouve fait au nom de la délégation aux droits des femmes, n° 448 (2015-2016).

* 455 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

* 456 Vengeance pornographique en français. Il s'agit de photographies ou vidéo à caractère explicitement sexuel publiées ou partagées sur Internet, sans le consentement de la personne concernée. Publié par un ou une ex-partenaire, ce contenu a pour vocation première d'humilier la personne concernée, à des fins de vengeance, souvent après une rupture (source : rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le projet de loi pour une République numérique, par Catherine Coutelle, députée, n° 3348, XIVème législature, 15 décembre 2015).

* 457 Le délit de sextorsion consiste en l'extorsion via Internet de faveurs sexuelles ou monétaires. Il se double le plus souvent de celui de chantage à la webcam (source : Wikipédia).

* 458 Un logiciel espion (aussi appelé mouchard ou espiogiciel, en anglais spyware ) est un logiciel malveillant qui s'installe dans un ordinateur ou autre appareil mobile, dans le but de collecter et transférer des informations sur l'environnement dans lequel il s'est installé, très souvent sans que l'utilisateur en ait connaissance (source : Wikipédia).

* 459 La législation sur les médicaments est beaucoup plus permissive dans certains pays, comme les États-Unis et la Grande-Bretagne, qu'en France. Dans ces pays, la plupart des médicaments se vendent sur Internet, sans ordonnance.

* 460 La plateforme PHAROS (Plateforme d'Harmonisation, d'Analyse, de Recoupement et d'Orientation des Signalements), mise à la disposition des internautes par l'Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l'Information et de la Communication (OCLCTIC), permet de signaler en ligne les contenus et comportements illicites de l'Internet.

* 461 Document reproduit avec l'autorisation de M. le Défenseur des droits, en complément du compte rendu de son audition, le 25 janvier 2018.

* 462 Document reproduit en complément du compte rendu de l'audition de Christelle Hamel, le 22 février 2018, et avec son autorisation.

* 463 Document reproduit avec l'autorisation de la FNSF.

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