II. S'ENTRAÎNER ET SE FORMER : TOUS ACTEURS FACE AUX CRISES

A. ANTICIPER LA RÉPONSE DE SÉCURITÉ CIVILE : UN TRAVAIL DE LONG TERME

1. Une organisation de la réponse d'urgence par les services de l'État
a) Les plans ORSEC par les autorités préfectorales

L'organisation des secours est préparée et organisée dans les plans « ORSEC », qui sont de la compétence de l'État , sauf en Nouvelle-Calédonie 31 ( * ) , et sont rédigés sous l'égide du préfet. Leur cadre juridique est aujourd'hui prévu par le code de la sécurité intérieure 32 ( * ) . Les plans ORSEC comprennent les informations relatives aux risques identifiés, à la réponse opérationnelle prévue et à la préparation de celle-ci. Considérant la complexité des situations ultramarines, un appui accru du ministère de l'intérieur apparait nécessaire pour l'élaboration de ces documents.

Les territoires ultramarins sont soumis à des risques naturels particuliers si bien qu'ils font l'objet d'une planification ad hoc pour les risques sismiques et volcaniques , les cyclones et les tsunamis .

Le préfet de la Guadeloupe a par exemple rendu public en avril 2018 le plan ORSEC « phénomènes volcaniques » comme ont pu le constater les rapporteurs durant leur déplacement. Le préfet de Mayotte indiquait 34 ( * ) en mai qu'un plan ORSEC séisme était actuellement en cours de rédaction à Mayotte.

Certaines collectivités mettent également au point des schémas d'action sur certains risques. C'est le cas à Saint-Barthélemy avec des instructions pré-cyclones précises au niveau des services de la collectivité.

Recommandation n° 14 :  Mettre en place un appui de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise (DGSCGC) auprès des services locaux de sécurité civile pour une évaluation générale et une assistance à l'élaboration des dispositifs de planification de sécurité civile zonaux, départementaux et des collectivités.

b) La préparation de la réponse sanitaire, pendant de la sécurité civile

Des équivalents aux plans ORSEC existent pour la réponse sanitaire, pilotés par les agences régionales de santé : les plans ORSAN . La cellule régionale d'appui et de pilotage sanitaire (CRAPS) est dédiée à l'organisation de l'action, en lien avec les services préfectoraux.

Les plans blancs et bleus sont ainsi prévus aux niveaux respectivement des établissements sanitaires et médico-sociaux.

L'anticipation sanitaire repose sur une bonne connaissance des personnes vulnérables : des fichiers peuvent ainsi être constitués, notamment au niveau des mairies par le biais des centres communaux d'action sociale. Les matériels d'assistance sont au coeur de la préparation, pour satisfaire les besoins des personnes en assistance respiratoire ou dialysées par exemple.

Préparer l'urgence, c'est également préparer les éventuelles évacuations sanitaires. Celles-ci se conçoivent à une échelle territoriale mais aussi zonale, comme l'ont constaté les rapporteurs aux Antilles : si les évacuations sanitaires se font prioritairement au niveau du département, les dépassements capacitaires ou des spécialités particulières peuvent conduire à des transferts entre Martinique et Guadeloupe.

2. Les maires, responsables locaux historiquement en première ligne
a) Les plans communaux de sauvegarde, un outil fondamental de préparation à l'urgence au niveau local...

La loi de modernisation de la sécurité civile de 2004 a créé les plans communaux de sauvegarde (PCS) 35 ( * ) . Ils sont obligatoires dans les communes couvertes par un PPRN et complètent les plans ORSEC. Les plans communaux de sauvegarde prévoient les mesures prévues par la commune en termes d'alerte, d'information et de protection.

Les plans communaux de sauvegarde existent également en Nouvelle-Calédonie : comme le rappelait M. Éric Backes 36 ( * ) , directeur de la sécurité civile et de la gestion des risques de la Nouvelle-Calédonie, les PCS ont été rendus obligatoires à partir du 31 décembre 2011 par un arrêté du haut-commissaire du 20 décembre 2010. « Le premier acte adopté par le Congrès après le transfert de la compétence a réaffirmé cette obligation et décalé la date d'effet de cette décision pour permettre à toutes les collectivités de s'y conformer » soulignait le directeur. Ces documents deviendront obligatoires en août 2018.

b) ... encore trop peu abouti dans les territoires

Les plans communaux de sauvegarde sont encore trop peu rédigés et actualisés dans les outre-mer.

La Martinique est exemplaire , seul département avec l'ensemble de ses communes couvertes par un plan communal de sauvegarde, avec des actualisations régulières : un ajout d'un volet sargasses actuellement en cours dans la commune de Sainte-Anne. La section planification du service interministériel de défense et de protection civile (SIDPC) de la Martinique s'est aussi vue confier la mission de réaliser un diagnostic global pour évaluer la qualité des PCS et leur hétérogénéité ; un accompagnement sera proposé par les sous-préfets pour les communes en demande d'actualisation ou pour celles dont le caractère opérationnel du PCS peut sembler insuffisant.

Cependant, seulement une commune a un plan communal de sauvegarde à La Réunion et il en est de même à Mayotte ; seulement trois en disposent en Guyane. La Guadeloupe montre une couverture en PCS plus aboutie avec 24 communes en ayant rédigé un.

Afin d'accélérer le déploiement des PCS, la Nouvelle-Calédonie a adossé à leur obligation un système d'aide financière pour permettre aux communes manquant de moyens et d'expertise de recruter un bureau d'études. À l'heure actuelle, le bilan de cette opération est cependant contrasté puisque sur les 33 communes que compte le territoire, seules les 4 communes du grand Nouméa et la commune de La Foa disposent d'un PCS. 9 autres communes ont déjà effectué les démarches pour bénéficier de cette aide financière et devraient donc être en mesure d'adopter leur PCS dans les prochains mois. Le taux de réalisation devrait alors avoisiner les 50 %.

Les rapporteurs insistent sur la nécessité de parvenir rapidement à une mise en place de ces plans au niveau de l'ensemble des communes des territoires : l'échelon le plus local qu'est la commune est fondamental.

Recommandation n° 15 : Procéder, à brève échéance, à la rédaction des plans communaux de sauvegarde manquants et encourager la mise en place de plans intercommunaux de sauvegarde.

3. Les exercices, une nécessité pour les services de l'État
a) Une obligation dans les territoires ultramarins équivalente à l'hexagone

À l'instar des départements hexagonaux, les préfets outre-mer sont soumis aux mêmes directives que leurs homologues de l'hexagone , et notamment la circulaire ministérielle relative à la politique nationale des exercices territoriaux de préparation à la gestion de crise. Ils doivent à ce titre organiser au minimum quatre exercices de crise à dimension interservices par an pour les départements et deux par an pour les zones de défense et de sécurité . Le ministère des outre-mer indique que ces règles sont globalement appliquées et respectées, sauf événements particuliers.

Ces exercices mobilisent les services et demandent pour être utiles un temps important, en amont dans la préparation comme en aval dans le retour d'expérience. Une augmentation de leur nombre pourrait nuire à leur efficacité individuelle en réduisant le temps disponible de préparation et réalisation. Pour autant, il est légitime de s'interroger sur le fait que les responsables administratifs de territoires soumis à des risques naturels plus nombreux, récurrents et dévastateurs que dans nombre de départements hexagonaux ne fassent pas l'objet de davantage d'exercices.

Surtout, les rapporteurs soulignent le caractère prioritaire de la formation et de la participation aux exercices des cadres et futurs cadres de l'administration, et en premier lieu des préfets et sous-préfets. Le renouvellement massif de l'équipe préfectorale de Guadeloupe - préfet, directeur de cabinet, secrétaire générale aux affaires régionales - sur un temps très court en août et septembre 2017 n'a certainement pas favorisé la bonne gestion d'Irma.

Il est important, d'une part, que les cadres soient formés avant leur arrivée et, d'autre part, que le renouvellement de toute une équipe préfectorale se fasse de manière échelonnée , afin de garantir une réelle continuité dans les réflexes de gestion de crise. La ministre des outre-mer s'était d'ailleurs engagée sur ce point lors de son audition le 24 novembre 2017.

Recommandation n° 16 : Exiger que la prise de fonctions outre-mer d'un préfet, haut-commissaire ou sous-préfet exerçant les fonctions de directeur de cabinet ne puisse se faire qu'à la condition d'avoir participé à au moins un exercice de gestion de crise simulant un événement naturel majeur et que les représentants de l'État responsables de la gestion de crise ne puissent être remplacés simultanément.

b) Des exercices majeurs très formateurs

Les rapporteurs insistent particulièrement sur le besoin d'exercices adaptés à différents risques. Surtout, les exercices d'ampleur ont montré leur pertinence par la mobilisation massive qu'ils permettent et la réelle mise en situation, dépassant les exercices, plus fréquents, en salle.

L'exercice Richter 2017, quelques mois avant Irma, a été salué sur les territoires ; différents retours d'expérience avaient pu être produits et certaines recommandations mises en oeuvre, renforçant les capacités de réponse lors du cyclone.

Dans les Antilles , les exercices majeurs sont essentiellement consacrés aux risques sismique et de tsunami , autour notamment des exercices Richter et Caribe Wave .

Exercices de simulation de séisme ou de tsunami depuis 2008 en Guadeloupe, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et à la Martinique

2018

Exercice Caribe Wave 2018 du 15 mars 2018

2017

Exercice européen UE-Richter 2017 du 21 au 25 mars (déplacement aux Antilles d'équipes de protection civile belge, espagnole, française et luxembourgeoise)

2017

Exercice Caribe Wave 2017 du 21 mars 2017

2016

Exercice Caribe Wave 2016 du 17 mars 2016

2015

Exercice Caribe Wave du 25 mars 2015

2014

Exercice Caribe Wave / LANTEX 14 du 26 mars 2014

2013

Exercice Richter Caraïbes 2013 des 17-18 avril 2013

2013

Exercice « Séisme 13 »

2013

Exercice Caribe Wave / LANTEX 13 du 20 mars 2013

2012

Exercice de crise à destination des bailleurs sociaux OZANAM et SMHLM organisé le 20 novembre 2012, sous l'égide de l'USHOM, avec la participation de l'état-major de zone Antilles, le SIDPC et la DEAL au titre de l'État (Martinique)

2011

Exercice Caribe Wave / LANTEX 11 du 23 mars 2011

2008

Exercice Richter Antilles des 18-19 novembre 2008 (4 000 acteurs, plus de 40 actions des collectivités)

Source : Réponses du ministère de la transition écologique et solidaire

Caribe Wave

Caribe Wave est un exercice annuel international d'alerte aux tsunamis dans les Caraïbes, piloté par l'Unesco .

Le but de l'exercice est d'améliorer l'efficacité du système d'alerte aux tsunamis le long des côtes des Caraïbes et des régions adjacentes. Cet exercice donne l'occasion aux organismes de gestion des urgences de tester leurs lignes de communication opérationnelles, d'examiner leurs procédures d'intervention en cas de tsunami et de sensibiliser à la préparation aux tsunamis. Ces exercices sont fondamentaux pour une zone où les tsunamis sont peu fréquents mais peuvent avoir un impact très important.

Cet exercice implique un champ très large d'acteurs , tant les institutions que les collectivités territoriales, les associations ou tout citoyen volontaire.

Le groupe intergouvernemental de coordination du système d'alerte aux tsunamis et autres risques côtiers dans la mer des Caraïbes et les régions adjacentes a décidé de rendre annuels les exercices Caribe Wave.

Source : Délégation sénatoriale aux outre-mer, d'après les informations de l'Unesco

Dans l'océan Indien, le système d'alerte IOTWS, mis en place dans 24 pays par l'Unesco, à la suite du tsunami dévastateur du 26 décembre 2004, causé par un séisme de magnitude 9,3 au large de Sumatra, donne lieu à l'exercice Indian Ocean Wave tous les deux ans . Le 9 septembre 2014, Iowave 14, exercice de simulation grandeur nature dix ans après la catastrophe de 2004, a impliqué les 24 pays. Mayotte a participé à l'exercice en 2016, La Réunion le fera cette année. Une édition Indian Ocean Wave sera en effet organisée en septembre 2018 ; 2,1 millions de personnes seront évacuées en 48 heures dans tout l'océan Indien.

Des séries d'exercices sont réalisés annuellement dans le bassin Pacifique , sous l'égide de l'Unesco, et orchestrés par le PTWC ( Pacific Tsunami Warning Center , basé à Honolulu). Ces exercices d' alertes tsunamis qui sont basés sur des scénarios fictifs de forts séismes localisés dans le Pacifique se sont déroulés entre la DPC et le LDG-CEA de manière accélérée. Le but est de tester le timing des scénarios d'alerte, l'élaboration des différents bulletins émis sous forme de fax et e-mails en situation d'alerte et la clarté et compréhension des messages émis. Citons les deux derniers exercices réalisés :

- Pac Wave-2016 : scénario d'un séisme de magnitude 9.0 localisé au Kamchatka ;

- Pac Wave-2017 : scénario d'un séisme de magnitude 9.0 localisé au Tonga. Ce scénario est le plus critique car il demande une cinétique rapide vu que le temps de propagation du tsunami est inférieur à 3 heures.

EU Richter 2017

L'exercice Richter EU Caraibes 2017 s'est déroulé du 21 au 25 mars 2017 aux Antilles (Martinique, Guadeloupe et Îles du Nord).

Le scénario se rapprochait des circonstances et conséquences du séisme du 8 février 1843 qui ravagea la Guadeloupe ainsi que de nombreuses îles de l'arc des Petites Antilles. Outre l'activation des services de secours et de protection civile des territoires français, britanniques et néerlandais des Antilles, cet exercice a permis :

- de développer l'état des connaissances mutuelles des Caraïbes en matière de gestion de crises et ainsi à progresser collectivement à l'instar du mécanisme européen de protection civile (MEPC) ;

- d'assurer l'accueil et l'engagement coordonné des moyens internationaux de renforcement de la réponse à la crise, notamment dans le cadre du MEPC ;

- d'assurer l'engagement des moyens locaux renforcés par des modules européens spécialisés mobilisés via le mécanisme UE sur des chantiers simulés de sauvetage-déblaiement ;

- de mettre en oeuvre le projet autonomie 72 h de soutien aux populations sinistrées par la Croix-Rouge PIRAC via le montage d'un à deux camps de sinistrés avec énergie électrique et traitement de l'eau.

Source : Réponses du ministère des outre-mer

Les exercices d'ampleur avec implication du public sont un levier important de formation et de préparation face aux risques. Ils permettent une participation très large d'acteurs , dépassant les exercices isolés dans chaque service. S'ils requièrent un investissement important des services organisateurs, les « grands exercices » produisent une mobilisation accrue et une meilleure prise de conscience des risques auprès des institutions de toute nature.

Lors de son audition au Sénat le 12 avril 2018, le fondateur de HAND, M. Gaël Musquet, expliquait ainsi que « les exercices annuels de Caribe Wave ont permis d'affréter des bateaux pour Saint-Martin, d'envoyer du matériel à la Dominique ou de superviser les secours à Marie-Galante, dont nous étions sans nouvelle. Grâce aux panneaux solaires, nous avons pu aussi avoir de l'énergie pour déployer les réseaux de communications, première demande des habitants de Saint-Martin avec l'eau et l'alimentation ».


* 31 Voir quatrième partie.

* 3233 Articles L. 741-1 et suivants et R. 741-1 et suivants.

* 34 Visioconférence avec Mayotte du 29 mai 2018.

* 35 Dispositions aujourd'hui codifiées, article L. 731-3 du code de la sécurité intérieure.

* 36 Visioconférence du 5 avril 2018

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