B. FORMER LES POPULATIONS : UNE « CULTURE DU RISQUE » À REVIVIFIER

1. La formation et l'information continue des populations
a) Une culture du risque en perte de vitesse

Alors que les pouvoirs publics se préparent toujours davantage , la population, et particulièrement les jeunes générations, semble de moins en moins prête face aux risques, comme le regrettait M. Didier Laguerre, maire de Fort-de-France.

Ce constat est partagé par M. Alain Lascombes, vice-président de la Fédération nationale de protection civile (FNPC) chargé de l'opérationnel et du développement international, qui faisait également état devant la délégation 37 ( * ) de la grande « difficulté à faire comprendre à la population qu'il existe un risque , celle-ci ne faisant pas souvent l'effort de prendre connaissance des consignes pourtant diffusées par les autorités ».

b) Le rôle central de l'action publique
(1) La mission de pilote des autorités publiques

La prévention des risques passe très largement par une information massive et efficace des populations . Il est de la responsabilité des autorités publiques - services de l'État comme collectivités - de travailler ensemble à une action de communication coordonnée sur les risques.

Cette action passe par la mise à disposition de documents d'information complets et accessibles . C'est le but du « document d'information communal sur les risques majeurs ( DICRIM ) » ou du « document d'information territorial sur les risques majeurs » ( DITRIM ) ; ceux-ci sont des adaptations locales des documents départementaux nécessairement édités par les services de l'État (DDRM).

Le document d'information communal sur les risques majeurs

Le DICRIM contient les données locales, départementales et nationales nécessaires à l'information des citoyens au titre du droit à l'information.

Élaboré à partir des informations disponibles transmises par le représentant de l'État dans le département, il contient quatre grands types d'informations :

- la connaissance des risques naturels et technologiques dans la commune ;

- les mesures prises par la commune, avec des exemples de réalisation ;

- les mesures de sauvegarde à respecter en cas de danger ou d'alerte ;

- le plan d'affichage de ces consignes : le maire définit le plan d'affichage réglementaire dans la commune, dans les locaux et terrains mentionnés dans le décret, selon l'arrêté du 27 mai 2003 relatif à l'affichage des consignes de sécurité devant être portées à la connaissance du public. Le plan figure dans le DICRIM. Les propriétaires ou exploitants des locaux et terrains concernés par l'information doivent assurer, eux-mêmes, l'affichage. Ainsi que toutes informations que le maire peut juger utiles pour le citoyen ou les documents ayant été utilisés ou à venir lors de campagnes de communication (affiches, dépliants, brochures...) ;

- la forme du document retenue par le maire lui est propre : il n'y a pas lieu à définir a priori les aspects graphiques du document.

En Nouvelle-Calédonie, le schéma de droit commun a été repris 38 ( * ) avec l'établissement d'un document sur les risques majeurs (DRM) édité par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et décliné au niveau communal par des DICRIM.

Source : Délégation sénatoriale aux outre-mer, d'après le site du ministère de la transition écologique et solidaire et les réponses au questionnaire des rapporteurs

De la même manière que les PCS, ces DICRIM sont cependant insuffisamment rédigés et mis à disposition dans les territoires. Ainsi, 27 communes sont dotées d'un DICRIM à la Martinique - le plus fort taux - ; elles sont 22 en Guadeloupe, une seule Guyane et à La Réunion, 2 à Mayotte.

Certaines collectivités sont cependant exemplaires : les rapporteurs ont ainsi pu constater qu'au François, en Martinique, comme à Saint-Martin, des DICRIM et DITRIM actualisés étaient disponibles et diffusés dans des formats accessibles au grand public, en privilégiant désormais les canaux numériques .

« Hazard maps », outils d'appropriation des risques par la population

L'exemple japonais des « hazard maps » est intéressant : celles-ci sont établies par les municipalités ou les préfectures pour identifier les lieux où les aléas naturels - inondations et séismes, principalement - sont susceptibles de se produire ainsi que les lieux d'évacuation.

Ces documents reprennent les principales consignes, les numéros d'urgence, les prévisions météorologiques et les gestes à adopter en cas de crise figurant également sur ces cartes.

Ces cartes invitent le citoyen à participer à sa propre prévention , notamment pour l'identification de l'itinéraire le plus sécurisé à emprunter en fonction de sa localisation ; les cartes peuvent également être accompagnées d'un questionnaire permettant à chacun de créer sa propre carte d'évacuation .

Recommandation n° 17 : Veiller à la rédaction et à l'actualisation dans l'ensemble des territoires des documents locaux d'information sur les risques majeurs (DICRIM-DITRIM).

Recommandation n° 18 : Poursuivre la diffusion de documents simples et infographiques rappelant les risques du territoire et les principales recommandations préventives, en français et en langues locales. Mettre à disposition dans les lieux touristiques et en ligne des documents synthétiques reprenant les principales recommandations en cas d'aléa soudain, en français et en langues étrangères.

(2) Le milieu scolaire : terrain de l'éducation aux risques

Les établissements scolaires sont partie prenante de la prévention des risques :

- ils en sont des acteurs en cas d'urgence, et à ce titre les rectorats prévoient des « plans particuliers de mise en sûreté » ;

- ils sont des lieux d'éducation à la prévention des risques.

Les jeunes sont un public cible privilégié de la prévention des risques dès lors que le message et les consignes imprègnent davantage et favorisent une culture du risque sur le long terme, d'une part, et qu'ils sont auprès de leur famille un relais des consignes de sécurité, d'autre part.

Mme Ana Chapatte, responsable de zone Caraïbes, océan Indien, Asie Pacifique, Moyen-Orient, Europe, à la direction des relations et opérations internationales de la Croix-Rouge française, rappelait qu'il fallait ainsi éduquer « particulièrement des écoliers, aux risques de catastrophe - cyclone, inondation, tremblement de terre, etc. », précisant que la Croix-Rouge a ainsi « mis en place le programme « Paré pas Paré » à La Réunion pour les enfants de CM1 et de CM2, et développe actuellement le même type de programme pour Saint-Martin et la Guadeloupe ». 39 ( * )

La prévention des risques emporte un grand nombre de disciplines et peut être abordée sous différents angles dans un cadre scolaire : sciences de la vie et de la terre, géographie, éducation civique par exemple. Cette thématique pourrait fédérer et, surtout, gagnerait à être identifiée et coordonnée dans les programmes.

Il serait ainsi souhaitable de consacrer chaque année une semaine à la prévention des risques, avec des événements - organisés avec des associations - dans les établissements et des exemples concrets dans différents cours. Cette semaine serait pour les services de l'État et les collectivités l'occasion de rappeler les principaux messages de prévention avec une importante visibilité à l'appui.

(3) L'information des personnes résidentes temporaires et touristes

Les risques naturels majeurs frappent parfois soudainement et sans anticipation ou alerte possible, comme c'est le cas des séismes, ou avec des nécessités d'évacuation rapide, dans le cas d'un tsunami par exemple. Dans des territoires très touristiques, il est impératif d'informer efficacement les résidents non éduqués aux risques du territoire, afin de garantir une réaction rapide le cas échéant. Certaines réticences des acteurs hôteliers ont été relevées en Guadeloupe sur certains exercices, par peur notamment des retombées sur l'activité ; l'océan Indien semble davantage en pointe sur la préparation des acteurs touristiques.

c) Atteindre le citoyen très en amont, des leviers pluriels
(1) Les événements dédiés

La prévention a besoin de visibilité pour être bien intégrée et pleinement assimilée comme faisant partie du quotidien. Dans les Antilles, les semaines « Sismik » et « Réplik », respectivement en Guadeloupe et en Martinique, sont des exemples de séquences identifiées, campagnes de prévention sur le risque sismique et maintenant également sur le risque tsunami. Les acteurs locaux regrettent cependant une adhésion mitigée de la population à ces campagnes, par déni du risque parfois, ou par impression d'être déjà informé ; le secteur privé est également peu réceptif à ces campagnes.

Ces campagnes relèvent de la prévention : elles devraient pouvoir s'appuyer sur les fonds dédiés, ce qui n'est pas toujours le cas.

Aux Antilles, les semaines Sismik et Réplik

La semaine « Sismik » est organisée au mois de novembre par la Guadeloupe , à l'initiative de la préfecture et est pilotée par la direction régionale de l'environnement (DIREN) ; son slogan est le suivant : « Face au risque sismique, chaque jour, je me prépare ».

Elle a pour objectif d' apprendre à la population à bien réagir en cas de tremblement de terre ; la campagne s'inscrit dans le cadre du plan séisme, lancé par le ministère en charge de l'environnement. Plusieurs supports de communication sont utilisés : affiches, jeux, spots radio, magnets ou diffusion de films dans les écoles. Des livrets sont également distribués à la population.

Les journées Réplik cherchaient initialement à sensibiliser les Martiniquais au risque sismique . Elles ont été étendues depuis 2012 au risque tsunami . Différentes animations et actions gratuites, ouvertes à tous, partout en Martinique sont menées tout au long de l'année et sont annoncées sur un site internet ad hoc : interventions en milieu scolaire et en entreprise, émissions spéciales à la télévision ou sur les radios, articles de presse, interviews, diffusion de documents sont autant de supports.

Il s'agit notamment de rappeler aux Martiniquais, par des actions concrètes de sensibilisation, que ce ne sont pas les tremblements de terre qui tuent, mais leurs conséquences. Les journées Réplik, sont devenues la « semaine Réplik ». Cette semaine apparaît mobiliser les services concernés et les collectivités territoriales - 20 communes associées - selon un rendez-vous annuel fin octobre, connu des élus rencontrés.

Source : Délégation sénatoriale aux outre-mer, d'après les réponses ministérielles

Ces événements sont à favoriser : ils permettent une réelle audience et visibilité médiatique, en plus d'une forte mobilisation des différents acteurs. Les exemples antillais méritent d'être diffusés et repris dans d'autres territoires.

Recommandation n° 19 : Institutionnaliser dans chaque territoire une « semaine des risques naturels », sur le modèle des semaines Réplik ou Sismik, comprenant campagnes d'information, messages de prévention, interventions en milieu scolaire et entreprises et exercices de simulation d'aléa.

(2) Les associations de protection civile : relais primordiaux

Les rapporteurs ont eu à coeur, à Paris comme dans les Antilles et particulièrement en Martinique, de rencontrer les acteurs humanitaires, associations de protection civile, autant de bénévoles engagés au quotidien face aux risques naturels dans les territoires.

Les associations sont souvent très ancrées territorialement , avec un contact direct aux populations. Elles constatent elles-mêmes l'insuffisante préparation des populations : M. Alain Rissetto, directeur de l'urgence et des opérations de la Croix-Rouge française, expliquait ainsi 40 ( * ) que « loin des résultats escomptés dans la loi de modernisation de la sécurité civile, qui date de 2004 ! La préparation de la population nécessite un changement d'état d'esprit du citoyen , mais aussi la prise en compte par les pouvoirs publics et les secours publics de la dimension du soutien à la population ». La Croix-Rouge a ainsi créé « une initiation à la réduction des risques , qui est un module de sensibilisation pour limiter les conséquences d'une catastrophe. Dans chacune des zones, nous avons développé des plans de préparation du citoyen adaptés à la réalité locale » .

Les associations sont souvent des partenaires directs des collectivités . La ville du François est ainsi particulièrement active sur le sujet, avec une formation réussie de réservistes ; alors que la commune est soumise à un grand nombre de risques naturels, avec un fort risque de submersion marine notamment, la formation des populations face aux risques est une priorité, en s'appuyant sur les associations. Lors d'un de leur déplacement, les rapporteurs ont ainsi pu échanger notamment avec des responsables de l'université populaire de la prévention, très active dans la ville.

Dans leurs actions en faveur de la prévention et de l'éducation aux risques, les associations ont régulièrement insisté sur les difficultés qu'elles rencontrent en termes de moyens. Celles-ci sont de deux ordres :

- un impossible financement par le fonds Barnier directement , alors même que l'information préventive entre dans son champ ;

- un coût important des actions menées en raison notamment de la taxation locale qu'est l'octroi de mer , qui pèse sur les matériels importés .

Les rapporteurs souhaitent sur ce point également assouplir les conditions d'accès au fonds Barnier. Ils sont également favorables à ce que les territoires organisent des dispenses d'octroi de mer pour les associations qui oeuvrent au quotidien sur ces enjeux de prévention des risques.

Recommandation n° 20 : Permettre aux associations agréées de sécurité civile de solliciter le fonds Barnier pour porter des projets de sensibilisation aux risques naturels.

À défaut, prévoir une enveloppe territoriale issue du fonds Barnier et attribuable par les préfets et hauts-commissaires aux associations agréées portant des projets de prévention.

Recommandation n° 21 : Dispenser d'octroi de mer les matériels à destination d'associations agréées de protection civile.

(3) Les médias, pivot et amplificateur d'audience des messagers de prévention

Les médias sont de précieux relais et à ce titre acteurs de la prévention .

Le rôle des médias locaux , presse, radio ou télévision, n'est pas à négliger. Ils participent à la formation des populations, par la diffusion répétée et périodique de messages d'information.

Le réseau outre-mer 1 ère diffuse en début de période cyclonique des messages explicatifs rappelant les gestes à adopter et conduites à suivre en cas de cyclone. La presse locale de Saint-Martin a également montré des initiatives intéressantes, comme des listes de courses pour effectuer des réserves de produits de première nécessité à l'approche des cyclones, rappelant les éléments nécessaires au bon déroulement du confinement éventuel - vivres, bâches...

Alors que les médias sont des relais importants durant les crises, ils doivent être également associés à l'éducation des populations.

Recommandation n° 22 : Organiser périodiquement des diffusions de messages de prévention et d'éducation aux risques dans les médias locaux et en partenariat avec les chaînes publiques.

2. Les exercices d'ampleur : un vecteur à systématiser

Les exercices d'ampleur, au-delà des atouts précédemment évoqués, produisent une visibilité renforcée dans les médias, que la participation parfois très importante des citoyens renforce : ils sont donc l'occasion d'une réelle pédagogie de la prévention des risques, et des fenêtres privilégiées pour rappeler les risques existants et les bons réflexes.

Recommandation n° 23 : Systématiser le recours à des exercices « grandeur nature » permettant, d'une part, une forte médiatisation et information sur les aléas et, d'autre part, une bonne acculturation de la population. En particulier, institutionnaliser sur chaque territoire un exercice annuel engageant une mobilisation du public, pouvant associer des pays voisins.

Particulièrement, il conviendrait d'organiser un exercice annuel sur chaque territoire, avec participation du public. Ceux-ci pourraient être prévus sur un cycle triennal alternant risques cyclonique, sismique et tsunami par exemple. Enfin, ils pourraient être organisés autour d'une date symbolique - le 8 février en Guadeloupe par exemple, en souvenir du séisme de 1843 - afin de renforcer la conscience de la population et la mémoire des événements naturels majeurs connus dans les territoires.

L'exemple japonais d'une journée nationale dédiée

Le gouvernement japonais a instauré en 1960 le « jour de prévention des désastres » - bousai no hi - . Chaque 1 er septembre est ainsi l'occasion de commémorer le séisme qui a dévasté Tokyo en 1923 et fait plus de 100 000 victimes.

Ce grand rassemblement annuel prend la forme de multiples exercices de prévention des risques naturels majeurs organisés par le gouvernement, les préfectures et les municipalités. Entre 800 000 et 2,3 millions de personnes participent à ces exercices qui ont lieu dans les écoles, les transports et les lieux publics.

À Tokyo, l'évacuation est organisée pour répondre à un séisme imaginaire d'une magnitude de 7,3 sur l'échelle de Richter. Pour atteindre le public, cette simulation s'accompagne de multiples actions de sensibilisation telles que l'installation de camions de simulation sismique dans les rues et la publication de guides de préparation qui se tiennent tout au long de la semaine rebaptisée « semaine de prévention des désastres » - bosai shukan - . Les pouvoirs publics veillent à l'accessibilité des messages : en 2015, la préfecture de Tokyo a ainsi envoyé à chaque foyer un guide de préparation aux risques naturels majeurs sous forme de bande-dessinée.

Source : Délégation sénatoriale aux outre-mer


* 37 Audition du 12 avril 2018.

* 38 Arrêt n° 2016-4594/GNC-Pr, notamment articles 2 et 5.

* 39 Audition du 12 avril 2018.

* 40 Audition du 12 avril 2018.

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