III. L'IMMÉDIAT APRÈS-CRISE : UNE SECONDE PHASE DE L'URGENCE

A. POURVOIR AUX BESOINS PRIMAIRES DE LA POPULATION ET RÉTABLIR LES RÉSEAUX PRIORITAIRES

1. Garantir la sécurité des populations et des biens mais aussi des forces de secours et d'intervention sanitaires et techniques

La priorité en cas de catastrophe naturelle demeure la sécurité des personnes et, en second lieu, la préservation des ouvrages et des biens.

À ce titre, la sécurité a été une vive préoccupation lors du passage d'Irma , avec des déploiements en renforts à Saint-Martin, tant de gendarmes que de militaires. Elle est un préalable à la bonne intervention des secours et des techniciens nécessaires aux rétablissements des réseaux, comme les opérateurs - notamment Orange et Veolia - l'ont rappelé à la délégation 67 ( * ) .

2. Routes, ports, aéroports

Parmi les réseaux prioritaires ont logiquement été identifiés les axes routiers, portuaires et aéroportuaires.

Les opérateurs rencontrés en Guadeloupe et à Saint-Martin reconnaissaient que la crise d'Irma avait dépassé les plans de préparation, au risque cyclonique, lorsqu'ils existaient, avec notamment un afflux massif de passagers dans les aéroports.

Les ports et aéroports ont été des appuis stratégiques au coeur des interventions de secours dépassant l'échelon national. L'aéroport de Guadeloupe a permis des interventions sur la Dominique. Il est primordial d'avoir des installations suffisantes. À Saint-Martin, un projet d'agrandissement de l'aéroport et de sa piste est à l'étude afin de pouvoir accueillir, le cas échéant, des avions de secours plus importants : l'A400M ne pouvait se poser sur l'aéroport de Grand-Case.

Si la coordination avec les services de l'État a été globalement saluée comme bonne, certains opérateurs ont regretté des lacunes d'information et une absence d'intégration au COD. Ils appelaient également à des clarifications de répartition des rôles avec l'État. Des difficultés ont également été signalées en Guadeloupe sur l'exercice des réquisitions dans la chaîne entre présentation des documents et paiement.

Recommandation n° 44 : Prévoir des dispositifs de fonctionnement minimal des infrastructures de transports en mode dégradé permettant l'accueil sécurisé des secours et des renforts.

Les principales faiblesses relevées ont porté sur la sécurisation , en Guadeloupe sur le port - avec le contrôle des flux dans le port mais aussi l'examen des fonds aux abords du port - comme à Saint-Martin à l'aéroport, où des clôtures autour de la piste étaient largement endommagées notamment. Cette préoccupation a été importante également dans l'après-crise lorsque les réquisitions ou la mainmise de l'État ont pris fin : le retour à des fonctionnements commerciaux classiques était compliqué par des exigences d'organisation et de responsabilités assurantielles qui ne pouvaient être satisfaites.

Le Grand Port de Guadeloupe a enfin également modifié son fonctionnement durant la crise et pris un arrêté pour ne pas percevoir des droits de port sur les secours.

Recommandation n° 45 : En cas de crise majeure, prévoir des schémas de reprise d'une activité de transports minimale ne répondant provisoirement pas à l'ensemble des normes commerciales mais néanmoins à des conditions de sécurité garanties.

3. Permettre l'approvisionnement en eau, vivres et médicaments et un accès à l'électricité et aux télécommunications

La satisfaction des besoins urgents est une priorité de l'après-crise, elle passe notamment par des éléments vitaux - eau, vivres, médicaments - et par l'approvisionnement en énergie notamment.

Il n'existe aujourd'hui pas de plan de ravitaillement prévoyant la constitution de stocks publics d'eau potable conditionnée ou de vivres. En cas de situation dégradée, le ravitaillement des populations s'effectue d'abord en mobilisant les stocks privés - grandes et moyennes surfaces, producteurs d'eau embouteillée - ou en recourant à des moyens nationaux de désalinisation/potabilisation de l'eau.

Entendus par la délégation, les représentants de Suez indiquaient que la priorité en matière de réseaux d'eau allait au rétablissement de la continuité de service , et donc à la remise en état de fonctionnement des infrastructures, essentiellement souterraines. Une autre composante entre également en ligne de compte, à savoir celle de la santé publique et de la qualité de l'eau distribuée. L'opérateur soulignait que son action était très dépendante des autres opérateurs, d'énergie notamment, pour permettre le pompage et le remplissage des réservoirs et, dans une certaine mesure également, des télécommunications, à la fois pour communiquer avec les équipes et pour télé-contrôler et télécommander les ouvrages.

En matière de produits pharmaceutiques , les grossistes répartiteurs présents en outre-mer sont soumis à des obligations de constitution de stocks et de mise à disposition de ceux-ci dans des délais contraints.

Les réseaux électriques apparaissent parmi les plus urgents à rétablir. La direction d'EDF aux Antilles précisait ainsi les contraintes rencontrées lors d'Irma en indiquant que des plans spécifiques étaient mis en oeuvre comme les plans d'aide au dépannage électricité (ADEL) pour des phénomènes électriques de grande ampleur ; une capacité d'appui sur la filiale ENEDIS et sur les ressources du groupe EDF à travers le dispositif de la force d'intervention rapide électricité (FIRE) est également possible.

Plusieurs étapes ont été mises en oeuvre par EDF durant Irma, très caractéristiques des différentes phases suivies par les autres opérateurs :

- la réalimentation des sites prioritaires en électricité, qui a été satisfaite en une semaine, à l'aide de groupes électrogènes importés. La cellule de crise locale a, en lien avec l'État et la collectivité de Saint-Martin, défini les sites prioritaires - hôpitaux, gendarmerie... ;

- la réalimentation générale , qui devait être réalisée sous 5 semaines pour l'ensemble des clients des deux îles. Les délais ont été tenus en mobilisant tous les moyens disponibles, dans des conditions très difficiles, indique l'opérateur ;

- la sécurisation du réseau , phase primordiale afin d'éviter des accidents graves, qui elle peut durer un à deux mois ;

- la consolidation, qui consiste à ramener le réseau dans sa structure originale. Dans le cas de Saint-Martin et à Saint-Barthélemy cette phase est adaptée, l'opérateur cherchant à reconstruire le réseau non pas à l'identique mais en souterrain, pour davantage de résilience et de sécurité.

Les réseaux de communication représentent aujourd'hui un besoin quasi vital, comme l'a montré la crise Irma en 2017 ; le sentiment ressenti dans les populations d'être « coupées du monde » durant plusieurs heures, voire plusieurs jours, a été un profond traumatisme. Les réseaux de communication mobile et internet doivent être considérés comme prioritaires .

Orange a ainsi pu, après le passage d'Irma, rétablir en 10 jours 95 % de la capacité voix, ce qui a permis aux victimes de communiquer avec leurs familles et aux secours de s'organiser . Les données mobiles ont été rétablies en 30 jours, selon l'opérateur. Priorité a été donnée par Orange à la remise en état des réseaux mobiles , la partie fixe étant plus difficile à restaurer. Des bornes temporaires ont également été déployées. Le directeur d'Orange Antilles précisait que les équipes étaient intervenues dans les heures suivant immédiatement l'impact de l'ouragan, mais soulignait la difficulté de l'envoi de personnels sur des zones non sécurisées : une garantie de la sécurité d'intervention des équipes est une demande forte des opérateurs, relayée par Orange notamment, à la suite de la situation connue à Saint-Martin.

Les opérateurs ont insisté sur la nécessité d'une bonne coopération avec les acteurs publics , État et collectivité, que certains ont considéré insatisfaisante durant Irma. Ces opérateurs répondant à des besoins vitaux, ils doivent être dans les premiers interlocuteurs des autorités afin d'organiser au mieux leurs interventions.

Aussi, les opérateurs se doivent d'être pleinement prêts à des interventions rapides : afin de garantir cette capacité, il est nécessaire de consolider la préparation de ceux-ci, avec notamment la constitution d'équipes projetables identifiées et signalées aux autorités pour bénéficier d'accès urgents.

Une préoccupation a été relevée de freins au rétablissement des réseaux de certains opérateurs plus minoritaires dans les territoires. Les rapporteurs insistent sur la nécessaire collaboration entre opérateurs lors de crises majeures . Celle-ci doit se faire entre opérateurs de réseaux différents, interdépendants, qui coordonnent alors leurs interventions, mais aussi entre opérateurs de mêmes réseaux : dans ce type de situation, l'entraide doit prévaloir sur la concurrence ; les opérateurs rencontrés ont tous soulignés les échanges intenses qu'ils entretenaient entre eux.

Enfin, il est important que la gestion de crise puisse se faire au plus proche du terrain : certains opérateurs à Saint-Martin ont ainsi eu le sentiment que la gestion se faisait uniquement en Guadeloupe.

Recommandation n° 46 : Veiller à la bonne communication des autorités de l'État et des collectivités avec les opérateurs de réseaux sur les territoires à toutes les étapes de la crise.

Recommandation n° 47 : Prévoir dans les contrats avec les opérateurs, la nécessité de disposer d'une équipe de techniciens sur le territoire, ou immédiatement projetable, pour assurer un rétablissement des infrastructures identifiées comme prioritaires et déclarer les équipes auprès des autorités pour permettre leur intervention rapide.

Recommandation n° 48 : Encourager les opérateurs d'un même type de réseau à établir des partenariats ou conventions permettant, en cas de crise majeure, des actions conjointes sur les différents réseaux visant à rétablir leur fonctionnement rapide.

Recommandation n° 49 : Prévoir des schémas de garantie d'un accès minimum à des réserves d'eau potable, des points de fourniture d'électricité et d'accès à internet temporaires.

4. Les déchets, enjeu de l'immédiat après-crise

La problématique de la gestion des déchets a régulièrement été soulevée lors des auditions et rencontres, notamment auprès des élus locaux, intercommunaux ou territoriaux. Cet aspect qui n'est que très peu pris en compte durant la crise - sauf pour l'éventuelle protection de déchets dangereux - devient prioritaire dans les jours qui suivent.

Les déchets organiques sont notamment souvent nombreux avec les arbres emportés et les cadavres d'animaux. Surtout, d'autres déchets peuvent se présenter plus difficiles à éliminer et plus encombrants, comme ce fut le cas avec Irma. En effet, nombre de restes de toitures arrachées ou de véhicules - voire de nombreux bateaux - détruits ou rendus hors d'usage. Ces déchets peuvent s'avérer dangereux, comme cela était craint à la suite d'Irma : les ouragans Maria et surtout José qui ont suivi faisaient craindre l'envol de débris - taules ou matériaux lourds - qui, projetés par de forts vents, peuvent produire des dégâts considérables.

Le volume de déchets accumulés à la suite du passage de l'ouragan Irma à Saint-Martin montre aussi le large dépassement des capacités des installations habituelles pour absorber le traitement des dégâts d'une telle catastrophe.

Les rapporteurs insistent sur la nécessaire prise en compte de la gestion des déchets dans les plans de gestion de crise par les collectivités, alors que cette compétence est souvent transférée au niveau intercommunal , peu mobilisé sur la gestion des risques.

Recommandation n° 50 : Renforcer la coordination entre communes et EPCI lors d'événements naturels, notamment dans l'après-crise pour la bonne gestion des déchets.


* 67 Audition du 7 mars 2018.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page