N° 56

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 octobre 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les outils financiers permettant d' optimiser la gestion des flux de transports en milieu urbain ,

Par Mme Fabienne KELLER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Mme Fabienne Keller, MM. Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Arnaud Bazin, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel .

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS DE VOTRE RAPPORTEURE SPÉCIALE

Les principales observations

1. Le trafic routier , qui représente 65 % des déplacements dans les grandes agglomérations françaises, est responsable de nombreuses nuisances : pertes de temps dues à la congestion , émissions de dioxyde de carbone qui participent au réchauffement climatique , pollution de l'air responsable de 48 000 décès prématurés en France, accidents de la route , etc.

2. Or, ces nombreuses externalités négatives causées par l'usage de la voiture en ville ne sont pas actuellement prises en compte par le système de prélèvements obligatoires : les calculs réalisés par la direction générale du Trésor montrent que les coûts provoqués par un véhicule roulant à l'essence ne sont couverts qu'à hauteur de 13 % par des prélèvements et que ceux d'un véhicule roulant au diesel ne le sont qu'à 7 % en milieu urbain dense .

3. La mise en place de tarifs de congestion obéissant au principe du pollueur payeur et destinées à orienter les usagers vers les transports en commun ou les mobilités actives paraît donc justifiée d'un point de vue économique et pourrait utilement venir compléter les outils non-financiers reposant sur des interdictions de circulation telles que les Zones à Faibles Émissions (ZFE) .

4. Alors que des tarifs de congestion visant à lutter contre la congestion automobile et la pollution de l'air ont été mises en place dans de nombreuses villes d'Europe et ailleurs dans le monde , il n'est toujours pas possible d'en instaurer en France . L'article 1609 quater A du code général des impôts consacré à « l'expérimentation des péages urbains » introduit par la loi Grenelle 2 est en effet inapplicable en l'état car il limite à trois ans la possibilité d'une telle expérimentation , alors qu'il faut huit ans pour rentabiliser les équipements nécessaires.

5. À Londres comme à Stockholm , des « congestion charges » ont été mises en place dans les années 2000 pour r éduire la circulation automobile dans des centres- villes engorgés .

6. Les deux villes utilisent des systèmes de reconnaissance optique automatique des plaques d'immatriculation particulièrement efficaces, qui reposent sur des technologies bien maîtrisées et dont le coût est désormais raisonnable (un investissement initial compris entre 100 et 150 millions d'euros) ; des alternatives existent, tel que le système basé sur les équipements électroniques embarqués utilisé à Singapour et d'autres devraient prochainement émerger, basées sur les systèmes GPS .

7. Les modalités pratiques d'un tarif de congestion peuvent être ajustées de façon très fine pour correspondre le mieux possible aux caractéristiques locales. Si les horaires de perception de la « congestion charge » sont similaires à Londres et à Stockholm - en journée, du lundi au vendredi - Londres pratique un tarif forfaitaire , là où Stockholm fait varier le tarif en fonction des heures creuses et des heures pleines , ce qui renforce le caractère incitatif du dispositif.

8. Londres a prévu un ensemble d'exonérations qui nuit probablement à l'efficacité de sa « congestion charge » mais la rend plus acceptable pour la population . Stockholm a adopté une approche plus restrictive mais a quand même prévu des exonérations et des déductions d'impôts pour protéger les automobilistes qui risquaient d'être pénalisés de façon excessive par ce dispositif.

9. À Londres comme à Stockholm, les résultats obtenus ont été très significatifs : baisse de - 15 % du trafic automobile et de - 30 % des embouteillages à Londres , diminution du trafic de - 20 % et du nombre de véhicules entrant dans le centre-ville de - 28 % à Stockholm ; chute des émissions de dioxyde d'azote de - 8 % et de particules fines PM10 de - 7 % à Londres , baisse générale des émissions de polluants atmosphériques de - 14 % à Stockholm ; le nombre d'accidents de la route a diminué de - 40 % à Londres .

10. Les recettes annuelles de la « congestion charge » - 185 millions d'euros nets en 2016 à Londres et 87,5 millions d'euros nets en 2015 à Stockholm - ont été prioritairement affectées à l'amélioration des transports en commun , voués à accueillir le report de trafic engendré par sa mise en place. Mais Stockholm les utilise également de plus en plus pour financer des infrastructures routières , de sorte que les automobilistes puissent également bénéficier de retombées positives de ce système .

11. Les « congestion charges » de Londres et de Stockholm font désormais largement consensus , alors qu'elles étaient très contestées à l'origine . Ce changement de perception s'explique largement par la qualité de la concertation mise en oeuvre en amont de leur instauration, ainsi que par une communication très dynamique des autorités destinée à sensibiliser la population sur les résultats positifs obtenus , tant en matière de décongestion que d'amélioration de la qualité de l'air.

Les principales recommandations

Recommandation n° 1 : mettre en place un tarif de congestion nécessite un très fort portage politique au niveau local ainsi que le soutien de l'État .

Recommandation n° 2 : un tarif de congestion n'a de sens que dans le centre-ville congestionné des grandes agglomérations et à la condition que celles-ci disposent dès le départ de transports en commun performants .

Recommandation n° 3 : conserver le seuil minimal de 300 000 habitants , prévu à l'article 1609 quater A du code général des impôts, à partir duquel les autorités organisatrices de la mobilité d'une agglomération peuvent instaurer un tarif de congestion .

Recommandation n° 4 : supprimer le caractère expérimental et la limitation à trois ans de la durée de mise en oeuvre des tarifs de congestion actuellement prévus à l'article 1609 quater A du code général des impôts.

Recommandation n° 5 : prévoir une tarification simple , lisible et stable , modulée selon les horaires de la journée , avec un paiement à chaque entrée dans la zone mais plafonné quotidiennement .

Recommandation n° 6 : garantir la gratuité du tarif de congestion la nuit , les week-ends et les jours fériés .

Recommandation n° 7 : prévoir des exonérations ou des déductibilités d'impôt pour les populations les plus vulnérables , les automobilistes qui ne peuvent se voir offrir une alternative pertinente à la voiture et les acteurs économiques dont la compétitivité serait excessivement impactée par le tarif de congestion.

Recommandation n° 8 : investir massivement dans les transports en commun grâce aux recettes du tarif de congestion pour proposer de véritables alternatives à la voiture individuelle.

Recommandation n° 9 : affecter une partie des recettes du tarif de congestion à la maintenance des infrastructures routières ou à de nouveaux projets d'infrastructures routières , de sorte que les automobilistes puissent bénéficier de retombées positives.

Recommandation n° 10 : faire participer activement la population à la mise en place du tarif de congestion et communiquer largement en amont sur ses modalités et sur ses résultats en aval.

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