L'ÉTUDE HORS-SUJET INVOQUÉE

Dans sa réponse au courrier envoyé le 10 août 2018 par Mme Borne, ministre des transports, Mme Bulc, commissaire européenne aux transports, a fait valoir les conclusions d'une étude portant sur les relations maritimes entre l'Irlande et la partie continentale de l'Union.

Publiée en avril 2018, l'étude en question avait un objet dénué de rapport avec le Brexit : il s'agissait d'un travail d'étape rédigé par le coordonnateur des autoroutes de la mer, M. Brian Simpson.

La première observation qui vienne à l'esprit porte sur la bizarrerie d'un tel choix. En effet, les autoroutes de la mer concernent par nature la partie strictement maritime des échanges 5 ( * ) . Or, l'exposé des motifs accompagnant la proposition de règlement du 1 er août 2018 a fort justement observé : « Sur le plan des liaisons de transport entre l'Irlande et le continent, le Royaume-Uni constitue un point de passage vital. » En une seule phrase, tout est dit : de l'aveu même de la Commission européenne, partir des transports maritimes actuels ne saurait apporter la moindre contribution pour éclairer le seul sujet qui compte : le redéploiement vers les liaisons maritimes du fret qui emprunte actuellement le « long bridge ».

À cet égard, connaître les flux de conteneurs, de vrac solide ou de vrac liquide ne présente aucun enseignement, puisque les modes de transport correspondants utilisent déjà la navigation, souvent par la voie du Nord, qui rejoint les ports belges ou néerlandais en contournant l'Écosse. Les liaisons correspondantes relient bien l'Irlande à Rotterdam, Zeebrugge et Anvers, mais le Brexit n'y changera rien ! Qu'il s'agisse d'importations ou d'exportations irlandaises, les biens concernés font souvent l'objet de transbordements de navire à navire, en provenance ou à destination d'autres ports, très éloignés. Rien ne suggère que les poids-lourds qui empruntent le « long bridge » de Liverpool à Calais via le tunnel sous la Manche se verront substituer des conteneurs.

S'agissant de la mer du Nord et de la Manche, l'étude sur les autoroutes de la mer prend en compte la totalité des flux au départ d'un des ports de la région, ou à destination d'un de ces ports. C'est cohérent avec l'objet de la réflexion poursuivie, mais n'éclaire guère l'adaptation a minima requise d'après la Commission européenne par un éventuel Brexit « dur ».

Trafic de fret maritime en mer du Nord et dans la Manche

Source : Motorways of the sea. Detailed Implementation Plan of the European Coordinator, Brian Simpson, p.14.

Sur cette carte :

- le RTE-T « Mer du Nord -Méditerranée » apparaît en mauve ; le corridor « Atlantique » est jaune ; le corridor « Rhin - Alpes » est orange et le corridor « mer du Nord -Baltique » est rouge ;

- les liaisons roulières figurent en noir , avec une épaisseur fonction de l'intensité du trafic ;

- le transport de conteneurs est indiqué en bleu clair.

On observe que :

- les liaisons maritimes figurant ci-dessus ne font que très exceptionnellement partie d'un corridor central du RTE-T, et même du réseau central ;

- les flux de fret recensés ne sont pas nécessairement internes à l'Union européenne à 28, encore moins limités aux relations entre les îles britanniques et le continent européen.

Lorsque l'auteur de l'étude circonscrit son objet aux seules liaisons entre la Grande-Bretagne et le continent, la représentation graphique devient plus lisible, mais néglige toute différenciation entre transport de marchandises en lien avec le Royaume-Uni, d'une part, flux d'échanges avec la République d'Irlande, d'autre part.

Les deux origines sont ainsi confondues dans la carte reproduite ci-dessous, qui ne comporte donc aucune indication sur le redéploiement envisagé du fret empruntant aujourd'hui le « long bridge ».

Liaisons de fret maritime ou terrestre avec la Grande-Bretagne

Source : Motorways of the sea. Detailed Implementation Plan of the European Coordinator, Brian Simpson. Annexe, p. 100.

Il ne faudrait toutefois pas en déduire que les auteurs du travail aient négligé l'Irlande : la carte ci-après prouve le contraire. Mais elle ne distingue pas les transports en relation avec l'Ulster et ceux destinés à la République d'Irlande . En fonction de ce que deviendra l'actuelle absence de frontière entre l'Ulster et le reste de l'île, les effets du Brexit - même « dur » - semblent particulièrement difficiles à anticiper.

Cette conclusion majeure est gommée dans le raisonnement qui a sous-tendu la proposition du 1 er août 2018.

Source : Motorways of the sea. Detailed Implementation Plan of the European Coordinator, Brian Simpson, p. 99.

Le mot de la fin quant à l'inadaptation de l'étude conduite par M. Simpson au sujet abordé par la proposition de règlement du 1 er août 2018 revient à son auteur pour qui les conséquences du Brexit restent imprévisibles. 6 ( * )

Cette observation interdit formellement d'utiliser ce travail en vue d'adopter le RTE-T au Brexit .

Avoir négligé ce point, qui n'a rien d'anodin, explique peut-être que la Commission européenne ait présenté comme une évidence allant de soi ce qui n'est en réalité qu'un dispositif inadéquat.


* 5 Même si les crédits utilisés à ce titre bénéficient aux infrastructures terrestres, qu'il s'agisse des ports ou des liens avec leur arrière-pays, fréquemment dénommé « hinterland » dans les documents de la Commission européenne.

* 6 Cf. p. 15.

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