III. DES DÉBATS INTÉRESSANTS DIVERS SUR SUJETS D'ACTUALITÉ

A. L'ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE ET LA DÉFENSE DES DROITS DE L'HOMME DANS LES ÉTATS MEMBRES DU CONSEIL DE L'EUROPE

1. La compatibilité de la charia avec la convention européenne des droits de l'Homme : des États parties à la convention peuvent-ils être signataires de la déclaration du Caire ?

Mardi 22 janvier 2019, l'APCE a adopté, sur le rapport de M. Antonio Gutiérrez (Espagne - SOC), au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, une résolution sur la compatibilité de la charia avec la convention européenne des droits de l'Homme.

La commission des questions juridiques et des droits de l'Homme estime que la déclaration du Caire sur les droits de l'Homme en Islam de 1990, bien qu'elle ne soit pas juridiquement contraignante, a une valeur symbolique et une importance politique en matière de politique des droits humains. En effet, elle fait de la charia sa seule source de référence et, de ce fait, ne reconnaît pas certains droits.

La commission a estimé qu'en matière de droits humains, il n'y a pas de place pour les exceptions religieuses ou culturelles. Les États membres et les partenaires pour la démocratie devraient renforcer le pluralisme religieux, la tolérance et l'égalité des droits pour tous. La commission a souligné également que la convention européenne des droits de l'Homme est un instrument international contraignant pour l'ensemble des États parties.

Le rapport présenté porte aussi sur l'application concrète des principes de la charia au sein de certains États membres et fait des recommandations spécifiques à certains États.

Mme Maryvonne Blondin (Finistère - Socialiste et républicain) , rapporteure pour avis de ce texte au nom de la commission des questions politiques et de la démocratie, a indiqué soutenir dans l'ensemble le projet de résolution proposé. Elle a affirmé que plusieurs dispositions de la déclaration du Caire de 1990 sont extrêmement problématiques en matière de droits humains. Cependant, comme le souligne le rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, la déclaration du Caire est un document politique non contraignant, alors que la convention européenne des droits de l'Homme est un instrument international contraignant pour tous les États membres du Conseil de l'Europe. Pour elle, ce qui serait plus inquiétant serait que des États membres du Conseil de l'Europe, ou ceux dont les Parlements jouissent du statut de partenaire pour la démocratie, reconnaissent formellement la charia comme source de droit dans leur Constitution. Tel n'est pas le cas. Certains prévoient le recours à la charia par des « tribunaux de la charia », mais seulement pour des questions relatives au statut des personnes. C'est déjà trop si cela conduit, comme c'est souvent le cas, à des discriminations envers les femmes.

La commission des questions politiques et de la démocratie a donc souhaité que les États membres du Conseil de l'Europe qui ont avalisé explicitement ou implicitement la déclaration du Caire, ainsi que ceux dont les Parlements jouissent du statut de partenaire pour la démocratie, utilisent les moyens dont ils disposent pour garantir que la déclaration du Caire de 1990 n'ait aucun effet sur leur ordre juridique interne susceptible d'être incompatible avec la convention européenne des droits de l'Homme. Ils devraient aussi faire tout leur possible pour faire réviser ladite déclaration dans le sens de la convention.

M. André Reichardt (Bas-Rhin - Les Républicains) a relevé l'incompatibilité de la convention européenne des droits de l'Homme avec bon nombre de dispositions de la déclaration du Caire. La question de la compatibilité de la conception universaliste des droits de l'Homme avec les normes islamiques fait l'objet de débats nombreux et difficiles. Toutefois, le droit islamique n'est pas un corps de doctrines réactionnaires immuables comme le montrent les évolutions sur les droits des femmes ou la peine de mort. En conclusion, il a évoqué le récent arrêt « Molla Sali c. Grèce » de la Cour européenne des droits de l'Homme pour expliquer que la jurisprudence de cette dernière ne constitue pas une approbation ou une condamnation de la charia, mais une affirmation claire de l'égalité entre les femmes et les hommes en matière successorale.

Rappelant que, d'après la convention européenne des droits de l'Homme, un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, décide des contestations sur les droits et obligations de caractère civil, M. André Vallini (Isère - Socialiste et républicain) a dénoncé toute forme de justice parallèle. Il s'est félicité des mesures prises par le Parlement grec pour rendre facultative l'application de la charia pour les affaires civiles et les questions de succession. Enfin, il s'est inquiété de la situation au Royaume-Uni où, si le système des muftis n'est pas reconnu par la loi, il prospère notamment en raison des pressions familiales ou sociales qui s'exercent sur les femmes. Pour lui, les musulmanes doivent pouvoir bénéficier d'une justice équitable dans un pays membre du Conseil de l'Europe.

Mme Nicole Duranton (Eure - Les Républicains) a approuvé le projet de résolution proposé. Elle a rappelé l'incompatibilité entre la convention européenne des droits de l'Homme et la déclaration du Caire sur les droits de l'Homme en Islam, qui affirme la primauté de la charia. Pour elle, plusieurs dispositions du texte de l'Organisation de la conférence islamique (OCI) sont contraires à la convention, notamment l'article 10, qui proclame l'innéité de la religion musulmane. Si la déclaration du Caire n'est pas un instrument juridiquement contraignant, il n'en demeure pas moins qu'elle se présente comme une alternative à la convention. Pour autant, la Turquie, signataire de la déclaration du Caire, accorde une place prépondérante au principe de laïcité et n'applique pas la charia. Enfin, elle a conclu en indiquant que la France s'attachait à lutter contre toute tentative de remise en cause de l'universalité des droits de l'Homme.

Au cours du débat, Mme Maryvonne Blondin (Finistère - Socialiste et républicain) , rapporteure pour avis, a défendu deux amendements. Le premier visait à supprimer l'énumération des États membres et des États partenaires du Conseil de l'Europe qui ont signé la déclaration du Caire pour que le projet de résolution vise tous les États signataires de ladite déclaration (amendement n° 22). Le second visait à remplacer le titre du rapport par le titre suivant : « La charia, la déclaration du Caire et la convention européenne des droits de l'Homme » (amendement n° 24). Le premier a été satisfait, et le second adopté.

2. L'évolution de la procédure de suivi de l'Assemblée en 2018 et l'examen périodique du respect des obligations de l'Islande et de l'Italie

Jeudi 24 janvier 2019, l'APCE a adopté, sur le rapport de Sir Roger Gale (Royaume-Uni - CE), au nom de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi), une résolution à la suite de l'examen périodique du respect des obligations de l'Islande et de l'Italie.

Tous les États membres du Conseil de l'Europe ne faisant pas l'objet d'une procédure de suivi complète ou n'étant pas engagés dans un dialogue postsuivi font l'objet d'un examen périodique régulier par la commission de suivi concernant le respect des obligations découlant de leur adhésion au Conseil de l'Europe. Dans ce rapport, la commission présente les conclusions pour l'Islande et l'Italie.

Dans les deux cas, la commission a conclu que, dans l'ensemble, ces deux pays remplissent les obligations découlant de leur adhésion au Conseil de l'Europe. Le fonctionnement des institutions démocratiques est globalement conforme aux normes du Conseil de l'Europe. Cependant, des sujets de préoccupation ont été soulevés et des recommandations ont été faites, notamment dans le cas de l'Italie.

3. L'aggravation de la situation des opposants politiques en Turquie : que faire pour protéger leurs droits fondamentaux dans un État membre du Conseil de l'Europe ?

Jeudi 24 janvier 2019, l'APCE a adopté, sur le rapport de Mme Marianne Mikko (Estonie - SOC) et M. Nigel Evans (Royaume-Uni - CE), au nom de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi), une résolution sur la situation des opposants politiques en Turquie, dans le cadre d'un débat d'urgence.

La commission de suivi a rappelé qu'une opposition parlementaire et extraparlementaire est un rouage indispensable au bon fonctionnement de la démocratie. Dans ce contexte, elle est préoccupée par la détérioration de la situation de l'État de droit, de la démocratie et des droits de l'Homme en Turquie. La levée de l'immunité de 154 parlementaires en mai 2016, la restriction à la liberté d'expression et des médias, la réduction des contre-pouvoirs dans le nouveau système présidentiel où les processus électoraux inéquitables ont diminué, gêné ou compromis l'exercice par les membres des partis d'opposition de leurs droits et de leurs missions démocratiques.

Dans ce rapport, la commission a souligné l'existence de solides conditions préalables à la démocratie dans la société turque, y compris les aspirations des citoyens à de véritables choix entre les candidats, les partis et les programmes politiques. L'Assemblée parlementaire devrait donc appeler les autorités turques à respecter pleinement les droits et les libertés fondamentales des membres de l'opposition politique et à abaisser le seuil électoral qui est aujourd'hui de 10 % pour permettre une meilleure représentation. Enfin, la Turquie devrait être appelée à mettre en oeuvre les arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme et à poursuivre la coopération avec le Conseil de l'Europe et l'APCE dans le cadre de la procédure de suivi en cours.

4. Lutter contre l'impunité par la prise de sanctions ciblées dans l'affaire Sergueï Magnitski et les situations analogues

Mardi 22 janvier 2019, l'APCE a adopté, sur le rapport de Lord Donald Anderson (Royaume-Uni - SOC), au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, une résolution sur la possibilité de prendre des sanctions ciblées contre les personnes commettant des violations des droits de l'Homme dans un pays tiers.

La commission des questions juridiques et des droits de l'Homme a réaffirmé son engagement à lutter contre l'impunité des auteurs de graves violations des droits de l'Homme et contre la corruption, qui menacent l'État de droit. Elle a rappelé la résolution n° 1966 (2014) « Refuser l'impunité pour les meurtriers de Sergueï Magnitski » et regretté qu'au lieu de demander des comptes aux auteurs et bénéficiaires des crimes commis contre M. Magnitski et de ceux découverts par lui, les autorités russes aient harcelé la famille de la victime et son ancien client, M. William Browder.

Dans l'intervalle, plusieurs pays (l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis) ont adopté des « lois Magnitski » pour permettre à leurs Gouvernements d'imposer des sanctions ciblées comme l'interdiction de visa et le gel d'avoirs aux auteurs et aux bénéficiaires de graves violations des droits de l'Homme. Les instruments les plus récents de ce type peuvent s'appliquer à tout auteur de grave violation des droits de l'Homme qui bénéficie de l'impunité dans son pays.

Tous les États membres du Conseil de l'Europe sont appelés à envisager d'adopter des instruments juridiques permettant à leur Gouvernement d'imposer des sanctions ciblées aux personnes dont il y a lieu de croire qu'elles sont personnellement responsables de graves violations des droits de l'Homme pour lesquelles elles jouissent de l'impunité pour des motifs politiques ou en raison de pratiques de corruption. De tels instruments doivent mettre en place une procédure équitable et transparente comme indiqué, concernant des crimes terroristes, dans la résolution n° 597 (2008). En outre, les États sont invités à s'abstenir de coopérer dans toute poursuite pénale politiquement motivée liée à l'affaire Magnitski.

M. André Vallini (Isère - Socialiste et républicain) a rappelé l'inefficacité des sanctions économiques prises lors de l'annexion de la Crimée, dont les principales victimes sont les populations civiles. Adopter des lois permettant des sanctions ciblées contre les personnes pour lesquelles il y a lieu de penser qu'elles ont commis ou ordonné de graves violations des droits de l'Homme est donc une idée intéressante. Ces sanctions pourront prendre la forme d'interdiction de visas ou de gel d'avoirs financiers. Toutefois, des garanties procédurales devront assurer le respect des droits des personnes mises en cause à se défendre ; de même, l'instance souhaitant imposer les sanctions doit être différente de celle qui décide de les infliger, celle-ci devant être indépendante du pouvoir exécutif.

M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en marche) a plaidé pour l'adoption d'un Magnitski Act par l'Union européenne qui permettrait de ne pas prendre des sanctions nuisant à l'ensemble de la population d'un pays. Un texte européen serait en effet juridiquement plus solide et permettrait de cibler avec un consensus plus fort les personnes responsables de faits de corruption. En outre, il aurait un impact plus large en termes d'efficacité car l'ensemble des territoires et des actifs situés dans l'Union européenne seraient visés. Enfin, il a déclaré souscrire aux recommandations du rapport et aux propositions d'André Vallini qui appellent à un équilibre entre la sanction et l'atteinte à la liberté individuelle de la personne désignée.

M. André Gattolin (Hauts-de-Seine - La République en marche) a indiqué que le Gouvernement français appuie désormais l'initiative néerlandaise au niveau de l'Union européenne pour faire adopter un Magnitski Act et envisage, en cas d'échec de celle-ci, une législation nationale. Soutenant lui-même l'idée d'un Magnitski Act, il a révélé les résultats d'un sondage indiquant que les Français sont également de cet avis. Regrettant que les Russes aient réussi à faire placer en « notice rouge » M. Bill Browder, client de M. Magnitski, auprès d'Interpol, il a appelé à passer à l'action pour faire cesser le harcèlement des autorités russes contre les défenseurs des droits de l'Homme.

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