B. ASSURER LE RISQUE DÉPENDANCE : LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉFLEXION GLOBALE

1. Les limites de la couverture dépendance assurantielle actuelle

• Le marché de l'assurance dépendance privée est peu développé

La couverture de la dépendance se compose aujourd'hui de deux éléments principaux :

- l' APA en constitue la part principale. Vos rapporteurs ont amplement détaillé ses mécanismes d'attribution : versée pour compenser les besoins de la personne âgée dépendante, elle peut engendrer un important reste à charge selon les ressources du bénéficiaire. Par ailleurs, elle n'ouvre droit qu'à des prestations en nature ;

- l' assurance privée facultative peut venir compléter ce premier étage de couverture assuré par la solidarité nationale. Elle est très majoritairement fournie par des organismes complémentaires (assurances complémentaires, mutuelles, institutions de prévoyance).

D'après ces organismes complémentaires auditionnés par vos rapporteurs, le nombre d'individus disposant d'une couverture privée facultative contre le risque de perte d'autonomie s'élève fin 2017 à 7,1 millions .

Ces couvertures sont offertes par des mutuelles (4,1 millions de personnes, pour l'essentiel composés de fonctionnaires), des sociétés d'assurance (2,7 millions de personnes) et des institutions de prévoyance (0,3 million de personnes). Les cotisations 53 ( * ) s'élèveraient à 783 millions d'euros en 2017 , pour 6,7 milliards d'euros de provisions techniques.

Les sociétés d'assurance représentent 38 % des personnes couvertes pour 83 % des cotisations, tandis que les mutuelles représentent 58 % des personnes couvertes et 12 % des cotisations collectées.

Le marché de l'assurance dépendance privée facultative est donc très faiblement développé . Le montant des cotisations versées par les particuliers (783 millions d'euros en 2017) ainsi que le montant des prestations assurées par les assurances complémentaires (225 millions d'euros en 2015) sont à rapporter aux chiffres globaux de l'APA effectivement versée (plus de 6 milliards d'euros) et montrent l' écrasante prépondérance de la couverture publique solidaire .

L'assurance privée facultative présente l'avantage théorique de compenser par un mécanisme de couverture complémentaire privée les reste à charge plus importants dont doivent s'acquitter les bénéficiaires de l'APA dont les ressources sont plus importantes.

Vos rapporteurs ont néanmoins remarqué qu'il n'assurait de couverture satisfaisante que pour les bénéficiaires peu favorisés (dont l'APA couvre l'intégralité des besoins) et pour les bénéficiaires très favorisés (dont les revenus d'activité leur ont permis de souscrire une assurance complémentaire), laissant entier le problème des classes moyennes . L'assurance privée dépendance se trouve donc particulièrement touchée par le phénomène de la sélection adverse .

• Les produits de l'assurance dépendance privée manquent de souplesse

Les produits proposés par les organismes complémentaires en matière de couverture contre la perte d'autonomie se caractérisent a priori par leur très grande diversité, même si un modèle majoritaire semble se dégager :

- nature de la souscription : elle peut être individuelle ou collective. Elle est majoritairement collective , en raison de l'adossement de la couverture dépendance à une couverture collective déjà existante et généralement assurée par l'employeur (souvent la complémentaire santé). En conséquence de cette souscription collective, la couverture dépendance demeure une souscription mutualisée (les primes ne sont pas capitalisées au profit du souscripteur mais permettent à l'assureur de constituer des provisions pour la couverture du risque à venir) et non une souscription capitalisée (le souscripteur conserve la propriété de son capital et des produits afférents) ;

- durée de la garantie : la garantie peut être annuelle ou viagère. Dans le premier cas, l'assurance ne couvre que le risque de l'année en cours, l'assureur ne prend aucun engagement au-delà de l'année et l'individu n'est plus couvert si sa garantie n'est pas renouvelée au terme de la période ; dans le second cas, l'individu est assuré jusqu'à son décès. Environ 67 % des personnes couvertes bénéficient de garanties annuelles , qui ont l'avantage de ne pas faire face à l'incertitude de l'horizon temporel (les cotisations à acquitter sont donc plus limitées et les rentes proposées plus attractives), mais n'offrent pas de droits au-delà de l'année de souscription ;

- niveau de la rente versée : elle peut être forfaitaire (définie ex ante dans le contrat de souscription) ou indemnitaire (calculée en fonction du coût du risque survenu). Elle est dans tous les cas forfaitaire et ne couvre donc pas l'intégralité des coûts après survenue du risque.

Le produit assurantiel privé revêt donc, dans sa majorité, les caractères suivants : adossé à un contrat collectif existant, il prend la forme d'une souscription mutualisée et sert une garantie annuelle et forfaitaire . Il s'agit donc d'un produit relativement rigide et qui assure une couverture lacunaire.

• Les tentatives récentes d'étendre l'assurance dépendance privée à des produits capitalisés et individuels n'ont pas abouti

Compte tenu de la rigidité et de la couverture insuffisante que procuraient les produits assurantiels mutualisés et collectifs, plusieurs initiatives récentes ont tenté d'engager un déport de l'assurance privée dépendance sur des produits capitalisés et individuels . Le vecteur privilégié ne serait plus le contrat complémentaire, mais le contrat d'assurance-vie, dans lequel la garantie principale est une garantie-décès ou d'épargne-retraite et dans lequel la couverture du risque dépendance interviendrait à titre subsidiaire.

Cette formule, très individualisée, présente l'avantage de garantir au souscripteur des rentes viagères et indemnitaires, mais amplifie, compte tenu de l'absence de toute mutualisation, le problème de la sélection adverse : en effet, pour que la rente individuelle soit suffisante pour financer le coût de la dépendance éventuelle, il faut que la capacité d'épargne au cours de la période de cotisation ait été élevée.

Par ailleurs, le faible développement de la demande privée de couverture contre la perte d'autonomie n'aide pas à la régulation et à l'homogénéisation de l'offre par les assureurs , qui présentent d'importantes différences de pratiques en termes de couverture et de cotisations. Comme le souligne l'union française des consommateurs (UFC), la plupart des assureurs ne s'appuient sur la grille AGGIR pour l'estimation de la dépendance, mais sur la grille des actes de la vie quotidienne (AVQ), ce qui peut conduire à des déconnections entre prise en charge publique au titre de l'APA et soutien complémentaire par l'assurance privée. L'absence de table réglementaire établie sur la probabilité de devenir dépendant permet en outre aux assureurs de définir en interne leur échelonnement de cotisations.

Prenant donc acte d'une capacité d'épargne qu'il est difficile de solliciter davantage, la réflexion s'est portée sur la mobilisation de droits constitués au titre de produits d'épargne déjà existants . Notre collègue Jean-François Husson, rapporteur du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), avait à ce titre déposé un amendement étendant la possibilité d'une liquidation anticipée des droits constitués dans le cadre d'un plan d'épargne retraite dans le cas où ces derniers seraient affectés à des travaux d'adaptation de la résidence principale à la perte d'autonomie. Cet amendement a été supprimé en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale 54 ( * ) .

L'initiative de mobiliser des droits déjà constitués, quoique bienvenue, présentait de plus l'inconvénient de n'offrir qu' une sortie de ces droits en capital, et non en rentes . Or la sortie en capital (« one shot ») déconnecte le versement des droits de l'aléa viager que suppose toute perte d'autonomie.

Force est donc de constater que la couverture du risque dépendance par la capitalisation personnelle ne semble pas promise à un avenir très prospère.

2. La nécessité d'une assurance dépendance obligatoire

Trois raisons principales conduisent vos rapporteurs à préconiser, dans le prolongement des débats de 2007-2008 relatifs au « cinquième risque », la mise en place d'une assurance dépendance obligatoire :

- l'incapacité du secteur assurantiel facultatif à remplir simultanément l'objectif d'une couverture large et efficace (soit la couverture est mutualisée mais trop rigide, soit elle est individualisée mais trop onéreuse) ;

- le maintien des phénomènes de sélection adverse, qui écartent une grande partie des classes moyennes de la couverture dépendance ;

- le niveau structurellement insuffisant de la couverture actuellement assurée par la solidarité nationale via l'APA.

Concernant ce dernier point, vos rapporteurs ont déjà fait part de leur scepticisme quant à l'optimisme du Gouvernement sur la remobilisation de fonds publics déjà existants (excédents de la sécurité sociale et ressources affectées à la Cades) pour le financement de la dépendance. Outre le caractère fondamentalement incertain de la disponibilité à venir de ces fonds, ils rappellent que le reste à charge dépendance est au minimum estimé à 3 milliards d'euros , alors même que les niveaux des plans d'aide APA à domicile et des forfaits globaux dépendance sont unanimement considérés comme insuffisants et qu'il est certain que des personnes âgées à domicile ne sollicitent pas l'intégralité de leur plan d'aide en raison de leurs ressources.

Vos rapporteurs ne considèrent donc pas comme raisonnable l'hypothèse selon laquelle le simple refléchage de fonds publics existants sera suffisant. Il est donc absolument nécessaire d'imaginer un mode complémentaire de financement de la dépendance qui ne fasse pas appel à la solidarité nationale (puisqu'on se maintient à périmètre fiscal constant) et qui ne reproduise pas les écueils de l'assurance facultative : l'assurance dépendance obligatoire semble s'imposer .

Cette préconisation va résolument plus loin que celle que le Sénat avait précédemment formulée dans son rapport d'étape sur la construction du cinquième risque de 2008 55 ( * ) . Il était alors question d'organiser le financement du risque dépendance autour d'une meilleure articulation entre la solidarité nationale et les garanties assurantielles privées, qui devaient conserver un caractère incitatif et facultatif : plus de dix ans plus tard, vos rapporteurs sont contraints de constater qu'un pareil schéma peine à émerger et que le « partenariat public-privé » qui était alors souhaité ne s'est pas réalisé.

La mise en oeuvre d'une assurance dépendance obligatoire pose trois questions principales. Cette assurance devrait-elle fonctionner par répartition ou par capitalisation ? Parce qu'obligatoire, devra-t-elle revêtir un caractère public ? Quelles modalités de cotisations et d'ouverture de droits ?

• Répartition ou capitalisation ?

Rendre obligatoire un système d'assurance par capitalisation pour la couverture de dépenses décorellées du niveau de ressources ne ferait qu'aggraver le phénomène de sélection adverse déjà observé pour l'assurance privée facultative. Un pareil système renforcerait la couverture des bénéficiaires les plus aisés (sans que leurs besoins s'en trouvent par ailleurs mieux couverts) mais n'aurait probablement qu'un effet marginal sur la couverture des bénéficiaires des classes moyennes (dont les besoins resteraient imparfaitement couverts).

Vos rapporteurs estiment donc préférable de recourir à un système d'assurance obligatoire dépendance par répartition , bien plus cohérent lorsque l'aléa du risque couvert ne dépend pas directement du revenu. Par ailleurs, le principal écueil des assurances privées facultatives par répartition identifié par vos rapporteurs (garanties non viagères et forfaitaires) pourra être atténué dès lors que le caractère universel de l'assurance élèvera substantiellement le montant des provisions.

Rien n'empêchera, enfin, les bénéficiaires volontaires de compléter cette couverture assurantielle par des produits facultatifs et capitalisés.

• Publique ou privée ?

La réunion de ces deux caractères (obligatoire et par répartition) semble rapprocher l'assurance dépendance d'une assurance publique. Ce rapprochement paraît d'autant plus fort que vos rapporteurs préconisent une diffusion généralisée de la grille AGGIR pour l'évaluation de la dépendance des cotisants et l'abandon de tout autre outil interne .

Plusieurs fédérations d'organismes complémentaires auditionnées ont ainsi fait part de leurs doutes quant à la plus-value du secteur privé pour la gestion d'un produit présentant des contraintes de cotisation et de versement très similaires à celles de la sécurité sociale.

Vos rapporteurs souhaitent à cet égard faire état d'une différence d'appréciation .

D'une part, pour votre rapporteure , les caractères de l'assurance dépendance préconisée (généralisation, obligatoire, répartition) la rendent tout à fait compatible avec une intégration au système public de sécurité sociale . Cette intégration lui paraît d'autant plus souhaitable qu'un marché assurantiel privé, en raison de l'asymétrie d'information qu'il suppose, risque de faire émerger des pratiques tarifaires discriminantes et d'accentuer les différences de couverture en fonction des revenus.

D'autre part, pour votre rapporteur , le secteur privé doit conserver la gestion du risque dépendance , pour trois raisons :

- la gestion du risque dépendance se distingue de celle des autres risques sociaux assurés par la sécurité sociale par une présence plus importante de l'aléa viager 56 ( * ) . La compétence acquise des acteurs privés en matière de projection, d'actualisation et de provisionnement reste donc indispensable ;

- par ailleurs, la répartition des recettes des régimes de sécurité sociale, définie chaque année par la LFSS, leur assure une relative fongibilité. Or votre rapporteur est convaincu de la nécessité d'un compte dépendance isolé, afin de garantir la lisibilité du produit ;

- enfin, votre rapporteur pointe un risque de substitution des prestations d'assurance maladie et d'assurance maladie plus élevé lorsque ces dernières sont gérées par un acteur unique. L'exemple allemand en fournit l'illustration.

L'exemple allemand : les difficultés de lisibilité issues de l'intégration de l'assurance dépendance dans le système de sécurité sociale

L'Allemagne a fait le choix depuis 1995 d'une assurance obligatoire dépendance intégrée dans le système de sécurité sociale . Ainsi, bien que l'assurance dépendance finance normalement des prestations distinctes de celles de l'assurance maladie, la gestion administrative de ces deux branches du système assurantiel allemand est commune. Ce choix d'une gestion commune n'est pas sans poser plusieurs difficultés.

En effet, l'instauration d'une cinquième branche a eu pour conséquence explicite de rendre les prestations de l'assurance dépendance et les prestations de l'assurance maladie exclusives l'une de l'autre , alors même qu'elles sont indissociables dans la prise en charge de la dépendance.

Le problème ne se pose pas pour la prise en charge de la dépendance dite « ambulatoire », à domicile. Le versement à la personne bénéficiaire d'une prestation en espèces au titre de la dépendance n'est pas exclusive des soins de ville ou hospitaliers qu'elle est par ailleurs susceptible de requérir.

En revanche, dans le cas d'un accueil de la personne en établissement (prise en charge dite « stationnaire »), le financement se fait exclusivement par le versement d'un forfait par la branche dépendance. Compte tenu de l'exclusivité des missions des branches au sein du système de sécurité sociale, il est alors très difficile pour les directeurs d'établissement de faire supporter par l'assurance maladie certaines prestations (pourtant médicales) que le forfait dépendance ne parvient pas à couvrir.

La question fait l'objet d'un débat politique encore non tranché. Les établissements d'accueil allemands doivent acquitter chaque année 3,5 milliards euros de frais qui relèvent formellement de l'assurance dépendance mais qui devraient relever matériellement de l'assurance maladie.

Ce problème est une conséquence directe de la distinction assez artificielle entre maladie et dépendance induite par la création d'un « cinquième risque ». Il ne  se serait sans doute pas poser en termes aussi complexes si le risque dépendance relevait d'un acteur différent de celui du risque maladie.

À ce stade, vos rapporteurs ne formulent donc pas de préconisation quant à l'acteur qui assurera la couverture du futur risque dépendance. Au vu de leurs deux positions, il reviendra au Gouvernement de trancher entre l'attribution de la compétence du secteur assurantiel privé ou l'intégration d'un cinquième risque au système actuel de sécurité sociale.

• Quelles modalités de cotisations et d'ouverture de droits ?

Vos rapporteurs rappellent que le reste à charge dépendance (qui seul est susceptible d'être couvert par un mécanisme assurantiel) s'élève en moyenne à 208 euros par mois par personne âgée dépendante. En raison de la part importante (et non quantifiée) des personnes dépendantes à domicile renonçant à une partie de leur plan d'aide APA pour cause de ressources insuffisantes, ce chiffre n'est qu'une estimation a minima .

La fédération française de l'assurances (FFA) a dessiné les contours d'un modèle assurantiel garantissant le versement d'une rente viagère mensuelle de 500 euros en cas de dépendance (GIR 1 à 4). Sans être tout à fait fondé sur un besoin exprimé, ce chiffre paraît beaucoup plus proche du reste à charge dépendance réel actuel.

Source : FFA

Selon la FFA, la cotisation moyenne mensuelle pour une assurance obligatoire par répartition garantissant une rente mensuelle viagère de 500 euros en cas de dépendance atteint 28 euros si la souscription est généralisée dès l'âge de 40 ans , 58 euros si elle intervient à partir de 60 ans .

Compte tenu de ce montant moyen, il conviendrait que la fixation de la cotisation individuelle soit faite, au moins dans un premier temps, en proportion des revenus de toute nature de l'assuré .

Quant à l'âge d'entrée en cotisation (40 ou 60 ans), il pose une question de solidarité intergénérationnelle à laquelle il n'est pas aisé de répondre. La logique classique de l'assurance, qu'ont défendue l'ensemble des fédérations auditionnées par vos rapporteurs, fait reposer l'efficacité économique du système sur le duo assiette large/montant de cotisation faible et militerait davantage pour une entrée à 40 ans.

Pour autant, le risque dépendance se distinguant des autres risques sociaux par son caractère foncièrement aléatoire, il paraîtrait également légitime de le faire reposer sur la frange de population la plus susceptible d'être concernée . C'est notamment la position de nos collègues Julien Bargeton, Fabienne Keller et Nadia Sollogoub, exprimée dans leur rapport précité : alors que la vieillesse « se dédouble en deux âges, la vieillesse proprement dite, ce qu'on pourrait appeler la grande vieillesse, et un nouveau troisième âge qui correspond à une séniorité active [qui] correspond aussi à un âge où le niveau de revenu et de patrimoine moyen est à son maximum », ne serait-il pas économiquement plus pertinent et socialement plus juste de faire uniquement reposer le coût assurantiel de la dépendance sur ces « séniors actifs » et d'ainsi épargner les âges intermédiaires ?

Intellectuellement séduisante, cette dernière hypothèse paraît néanmoins plus hasardeuse. Elle conclut notamment aux capacités contributives plus élevées des séniors en mêlant leur revenu et leur patrimoine , sans rappeler que le second, par nature moins liquide, est sensiblement plus important que le premier. Or, afin de garantir la faisabilité d'un système assurantiel obligatoire, vos rapporteurs estiment préférable de s'en tenir à une cotisation dépendance assise sur les revenus .

Par conséquent, leur préférence va au scenario prévoyant l'entrée dans le système assurantiel dès 40 ans ou, mieux, dès le début de la vie professionnelle .

Proposition n° 16 : relancer la réflexion pour la mise en oeuvre d'une assurance dépendance obligatoire qui réunirait les caractères suivants :

- un système par répartition ;

- une régulation importante par la généralisation de la grille AGGIR auprès des assureurs et l'homogénéisation de l'évaluation des besoins et des diagnostics ;

- l'application de règles prudentielles strictes dans la constitution des provisions techniques ;

- une entrée relativement précoce dans le système ;

- une cotisation proportionnelle aux revenus de toute nature de l'assuré.

3. Un financement mixte est nécessaire pour assurer une couverture intégrale du risque dépendance

Se pose alors la question délicate de l' articulation entre l'élément existant de la prise en charge de la dépendance (la solidarité nationale assurée par l'APA) et l'élément que vos rapporteurs appellent de leurs voeux (la cotisation dépendance assise sur les revenus des individus).

Actuellement, l'élément solidaire intervient à titre principal (avec prise en compte des revenus) et l'élément assurantiel (privé facultatif) à titre subsidiaire. Les développements précédents se sont attachés à démontrer le caractère insatisfaisant de l'attribution de l'APA qui, à même niveau de ressources, fait augmenter la participation du bénéficiaire en fonction de son degré de dépendance.

Compte tenu des contraintes qui pèsent sur les finances publiques, l'ambition déclarée du Gouvernement d'assurer à toutes les personnes âgées dépendantes une prestation universelle susceptible de corriger cet écueil ne pourra être atteinte qu'à la condition d'une diversification des sources obligatoires de financement de la dépendance .

L'exemple allemand : une source unique de financement de la dépendance contraint à une couverture partielle des besoins

Le financement de la dépendance en Allemagne est exclusivement assuré par une cotisation sociale assise sur le salaire brut de 3,05 % et acquittable pour moitié par l'employeur et pour moitié par le salarié. La cotisation dépendance s'interrompt par ailleurs pour toute la fraction du salaire brut supérieure à 4 225 euros par mois. Les recettes de l'assurance dépendance sont donc étroitement définies .

Les droits ouverts au titre de l'assurance dépendance sont définis par référence à 5 niveaux de besoins, qui correspondent chacun à un montant forfaitaire alloué (contrairement au plafond d'aide APA, défini en fonction de l'ensemble des besoins constatés). Le bénéficiaire touche donc une allocation, dont une partie lui est versée en espèces, qui n'est pas calculée en fonction de sa situation personnelle. En conséquence, les prestations servies par l'assurance dépendance n'assurent qu'une couverture partielle des besoins et ne revêt absolument pas le caractère d'une prestation universelle .

Grâce au versement de l'allocation en espèces ainsi qu'à l'absence de définition d'un plan d'aide, le reste à charge à domicile n'existe par définition pas (il n'est en effet pas possible d'appliquer à l'Allemagne l'écueil particulier à la France d'un renoncement à la part du plan d'aide APA que le bénéficiaire ne pourrait acquitter sur ses ressources). En revanche, le calcul du reste à charge en établissement montre qu'après versement de l'allocation par l'assurance dépendance, l'ensemble des frais acquittables par le résident (dépendance et hébergement) s'élève en moyenne à 1 800 euros (avant intervention de l'aide sociale), soit substantiellement plus qu'en France (1 190 euros).

Ainsi, la prise en compte de plusieurs sources obligatoires de financement suppose de définir leur ordre d'intervention. Or le modèle social français a toujours considéré l'intervention de la solidarité nationale comme subsidiaire par rapport à toutes les autres formes de contribution obligatoire (assurantielle ou issue du foyer). Ceci conduit vos rapporteurs à préconiser une inversion de l'ordre actuel d'intervention des financeurs : la couverture devra être principalement assurée par les recettes issues de la contribution dépendance, et subsidiairement par la solidarité nationale.

La montée en charge du modèle préconisé par vos rapporteurs, conçu essentiellement pour limiter un reste à charge résultant des modalités d'attribution de l'APA, contraindra cependant dans un premier temps à maintenir l'APA comme premier recours financier en cas de dépendance et à faire intervenir la rente mensuelle assurantielle de façon complémentaire. Les assureurs y seront par ailleurs contraints en raison du délai nécessaire à la constitution de provisions techniques suffisantes pour assurer la couverture du risque.

À moyen terme , il conviendra néanmoins que le schéma de financement prenne la forme suivante.

Schéma de financement de la dépendance préconisé par vos rapporteurs

Source : commission des affaires sociales

Note de lecture : la part du financement de l'APA, de l'assurance dépendance obligatoire et de l'assurance dépendance facultative y figurent en proportion des ressources . Ainsi, si l'on se place en-deçà du seuil de sortie de la prise en charge par l'APA, on voit son besoin couvert concurremment par l'assurance dépendance obligatoire et l'APA, avec une proportion de la première croissante en fonction du revenu. Au-delà de ce seuil, le besoin est concurremment couvert par l'assurance dépendance obligatoire et l'assurance dépendance facultative, avec une proportion de la première décroissance en fonction du revenu.

Ce schéma repose sur les hypothèses suivantes :

- jusqu'à un certain seuil de ressources, la prise en charge de la dépendance est couverte par une sollicitation mixte des ressources assurantielles et solidaires, dont la répartition évolue en fonction du niveau des ressources, avec un montant garanti de couverture assurantielle ;

- à partir de ce seuil, l'intervention du financement solidaire s'interrompt et la participation des couvertures individuelles facultatives voit sa proportion augmenter.

La préconisation de vos rapporteurs permettrait de sortir de l'écueil actuel de l'APA, qui fait davantage participer les bénéficiaires plus dépendants, à même niveau de ressources.

Ils tiennent également à préciser que la cotisation dépendance, proportionnelle au revenu, ne porterait que sur une fraction plafonnée de ce dernier , afin de ne pas pénaliser les classes moyennes. À titre d'exemple, l'Allemagne interrompt la cotisation dépendance au-delà de 4 225 euros brut par mois. Il conviendrait également que soit défini, pour toute personne âgée dépendante, indépendamment de ses revenus, un montant de couverture garanti . Ces deux mesures, appliquées conjointement, renforceraient le caractère solidaire du dispositif.

Cette réforme du financement de la dépendance devra être déployée d'une façon similaire en établissement et à domicile . Les forfaits globaux dépendance versés aux Ehpad au titre de l'APA en établissement devront ainsi être calculés en considération de la couverture dépendance obligatoire individuelle des résidents. Afin d'assurer l'égalité de traitement des résidents d'Ehpad en matière de dépendance, il faudra donc prévoir une fongibilité des droits individuels cotisés au moment de l'entrée en Ehpad .

Proposition n° 17 : construire un système de financement de la dépendance mixte fondé sur l'intervention principale de la ressource assurantielle et l'intervention subsidiaire de la ressource solidaire, en sachant que :

- la montée en charge du modèle supposera le maintien dans un premier temps d'un financement d'abord supporté par l'APA puis par la cotisation dépendance ;

- la couverture de la dépendance devra définir un montant garanti pour tous les assurés quel que soit leur revenu ;

- la couverture de la dépendance en établissement devra passer par une fongibilité des droits individuels cotisés des résidents.


* 53 Pour la clarté des propos qui suivent, vos rapporteurs rappellent que le terme « cotisation » désigne, en langage assurantiel, le montant acquittable par l'assuré pour l'ouverture d'un droit au moment de la survenue d'un risque.

* 54 Le texte reste actuellement en discussion.

* 55 Construire le cinquième risque : le rapport d'étape , rapport d'information de M. Alain VASSELLE, fait au nom de la mission commune d'information dépendance, n° 447, 8 juillet 2008.

* 56 Cette dimension est certes présente dans le versement des retraites (puisqu'on ne maîtrise pas la durée de pension), mais elle peut être pilotable par la manipulation, même ex post , de données macroéconomiques (âge légal de départ, niveau moyen des pensions, durée de cotisation). La gestion du risque dépendance, qui suppose la couverture viagère d'un besoin (et non le versement viager d'une prestation en espèces ), ne peut recourir à ces mêmes instruments.

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