EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 3 avril 2019 sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission examine le rapport d'information, fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, de M. Bernard Bonne et Mme Michelle Meunier sur la prise en charge financière de la dépendance des personnes âgées.

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous passons à l'examen du rapport d'information fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), dont je salue le président Jean-Noël Cardoux, par M. Bernard Bonne et Mme Michelle Meunier sur le financement de la dépendance.

Dès l'examen du rapport de notre collègue Bernard Bonne sur les Ehpad, en mars 2018, le président de la MECSS avait souhaité que des travaux soient conduits sur le financement des Ehpad et plus largement de la dépendance.

Comme notre collègue Jean-Noël Cardoux, je pense que les questions de financement, même si elles ne sont pas seules en cause, sont déterminantes alors que le projet de création d'un cinquième risque de la sécurité sociale a été mis à mal par la crise de 2008.

Ce point a donc été inscrit au programme de travail de la MECSS en même temps que le Gouvernement lançait une consultation sur le grand âge et l'autonomie pilotée par M. Dominique Libault qui a rendu ses conclusions la semaine dernière et que nous entendrons demain.

Nous verrons si la crise des gilets jaunes a laissé une place au financement de la dépendance.

Je laisse donc la parole à nos rapporteurs.

M. Bernard Bonne , rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, je suis très heureux de vous présenter, aux côtés de ma collègue Michelle Meunier, le fruit d'un travail passionnant et stimulant que nous avons mené ensemble sur le financement de la dépendance des personnes âgées.

Jeudi dernier, M. Dominique Libault, coordonnateur de la concertation sur le grand âge et l'autonomie a rendu ses conclusions à la ministre des solidarités et de la santé. Notre commission aura à cet égard l'occasion d'entendre M. Libault demain après-midi sur l'ensemble de ses préconisations.

Nous nous sommes entretenus à plusieurs reprises avec lui et il nous paraît important de préciser d'emblée que le rapport que nous vous présentons n'est pas concurrent, mais complémentaire de celui de M. Libault, qui propose une redéfinition systémique de l'accompagnement des personnes âgées. Il définit plusieurs objectifs que notre commission ne peut qu'approuver, pour les avoir déjà formulés et défendus dans un rapport de l'an dernier sur la crise des Ehpad :

- mettre l'autonomie de la personne âgée au coeur de la stratégie à venir ;

- améliorer les conditions de vie de la personne âgée par la revalorisation des métiers de l'accompagnement ;

- aider les proches aidants et lutter contre l'isolement de la personne âgée ;

- assurer une continuité de la prise en charge.

Notre approche a volontairement privilégié les aspects financiers de l'accompagnement de la dépendance. Ce choix s'explique pour deux raisons :

- d'une part, le mandat que nous avons reçu de la mission d'évaluation des comptes de la sécurité sociale de notre commission nous a naturellement aiguillés en priorité vers l'examen des dépenses couvertes par l'assurance maladie, qui demeure le premier financeur public de la dépendance ;

- d'autre part, les orientations de la mission Libault sur la question particulièrement délicate du financement de la dépendance dans les années à venir ne nous semblaient pas toujours prendre les directions les plus adéquates. Nous aurons l'occasion d'y revenir.

Mme Michelle Meunier , rapporteure. - La concentration de notre travail sous l'angle financier nous a menés à privilégier la rencontre des principaux acteurs de la couverture du risque dépendance, parmi lesquels les fédérations d'assurances, de mutuelles et d'instituts de prévoyance, mais également d'économistes et d'acteurs indépendants du monde assurantiel qui nous ont aidés à faire mûrir notre réflexion sur ce sujet, dont les aspects stratégiques ne sont pas toujours pris en compte.

Dans le cadre de nos travaux, nous nous sommes également rendus en Allemagne et au Royaume-Uni, dont les modèles financiers de la prise en charge de la dépendance présentent de grandes différences par rapport au nôtre. Parmi les enseignements tirés de ces déplacements, nous voudrions vous en livrer principalement deux :

- premièrement - et c'est un trait qui semble caractériser la plupart des grandes économies du monde occidental - la mise en place d'un accompagnement financier de la dépendance se trouve être la grande oubliée des réformes sociales qui ont animé les législateurs d'après-guerre. Ce n'est qu'une fois le vieillissement de la population bien installé, et bien identifié comme problème structurant des décennies à venir, que les pouvoirs publics se sont, souvent dans l'urgence, attelés au sujet pourtant déterminant de son financement.

Conçus dans des périodes de restriction budgétaire, contraints par des budgets publics déjà largement engagés, ces schémas financiers, qui tiennent parfois plus du bricolage d'expédients que de la réforme systémique, se montrent rarement à la hauteur des enjeux en présence ;

- deuxièmement, bien que de nombreux acteurs se montrent légitimement prompts à dénoncer les carences de la France en matière d'accompagnement de la dépendance, l'examen des modèles allemand et britannique nous a utilement rappelé que nous n'avions nullement à rougir d'un modèle qui, actuellement, assure à nos personnes âgées l'une des couvertures dépendance les plus favorables d'Europe.

Nous ne nierons bien évidemment pas les grandes difficultés auxquelles sont confrontées les personnes âgées elles-mêmes, leurs familles et les personnels chargés de les accompagner. Pour autant, n'oublions pas que, même à leur égard, la qualité du modèle social français trouve à s'appliquer.

M. Bernard Bonne , rapporteur. - Ces postulats étant posés, nous vous présenterons à présent les principaux constats auxquels nous sommes parvenus. Tout part d'un vocable, désormais fort répandu, mais qui nécessite une définition très soigneuse : le reste à charge des personnes âgées dépendantes. À ce stade, deux points de méthode doivent être précisés :

- le reste à charge désigne logiquement la différence entre les dépenses effectivement mises à la charge des personnes âgées pour les frais résultant de leur dépendance et les dépenses couvertes par les pouvoirs publics, qui sont en la matière nombreux à intervenir. D'un point de vue strictement global, les statistiques montrent que pour un besoin général en frais de dépendance évalué à 30 milliards d'euros par an, les pouvoirs publics en couvrent environ 23 milliards. Le reste à charge global est donc estimé à environ 7 milliards d'euros par an, pour une population d'à peu près 1,2 million de personnes âgées dépendantes ;

- la politique publique de la dépendance ne présentant pas, à l'instar de la politique publique de la santé, de caractère intégré ou unifié, le reste à charge des personnes âgées dépendantes n'est qu'une donnée brute dont il convient de bien distinguer les composantes.

Il recouvre d'abord les dépenses non couvertes au titre des soins reçus par les personnes et très majoritairement financés par l'assurance maladie au titre des crédits de l'ONDAM médico-social que nous votons chaque année en loi de financement de la sécurité sociale. Ce « reste à charge soins » est relativement peu élevé.

Il recouvre ensuite les dépenses non couvertes au titre des aides à l'accomplissement des actes de la vie quotidienne, qui constituent le coeur véritable -bien que non majoritaire en termes de masse financière- de la prise en charge de la dépendance. Ces dépenses sont en très grande partie assurées par les conseils départementaux via le versement de l'allocation personnalisée à l'autonomie (APA). Cette composante du reste à charge s'élève pour sa part à environ 3 milliards d'euros.

Il recouvre enfin les dépenses non couvertes au titre de l'hébergement des personnes âgées dont les ressources ne leur permettent pas d'assurer l'intégralité de leur accueil en Ehpad. Cette dimension-là du reste à charge, également financée par le conseil départemental mais selon une logique distincte de celle de l'APA, est celle qui pèse le plus lourd pour les ménages : 4 milliards d'euros.

Le reste à charge ne doit donc pas être abordé comme une donnée « en bloc ». Bien que le conseil départemental soit le principal financeur de l'ensemble des dépenses publiques donnant lieu à des besoins non couverts, son intervention auprès de la personne âgée revêt deux logiques fortement distinctes :

- au titre de la dépendance stricto sensu, il agit d'abord comme un acteur de la compensation du besoin. Son action ne dépend pas directement du niveau de ressources de la personne aidée, mais du degré d'autonomie ou de dépendance de cette dernière ;

- en revanche, lorsqu'il finance une aide à l'hébergement, il redevient acteur de solidarité et n'accorde d'aide que sous condition de ressources.

Cette distinction est fondamentale. Elle illustre la nature profondément composite de la politique publique de la dépendance. Elle guidera les propositions que nous vous soumettrons, qui s'efforceront d'apporter à chaque intervention de la puissance publique la réponse que commande sa logique intrinsèque.

Mme Michelle Meunier , rapporteure. - Deux grandes séries de remarques s'imposent néanmoins avant d'en venir à nos préconisations.

Un reste à charge global de 7 milliards d'euros pour une population de 1,2 million de personnes donne un résultat moyen mensuel de 490 euros. Ce chiffre cache néanmoins de très importantes disparités entre les personnes suivies à leur domicile et les personnes accueillies en établissement : 80 euros par mois en moyenne pour les premières et près de 950 euros pour les secondes. Permettez-moi d'insister un moment sur ce dernier chiffre, dont on trouve quantité d'estimations différentes, souvent maximalistes : il s'agit du reste à charge mensuel moyen global d'un résident d'Ehpad après intervention de l'ensemble des financeurs publics. Bien que d'autres estimations plus élevées, privilégiant le reste à charge médian ou le reste à charge avant versement de l'aide à l'hébergement, soient abondamment diffusées au sein du grand public, nous préférons nous fonder sur ce chiffre qui nous paraît plus à même d'illustrer la réalité financière de la dépendance d'une personne âgée.

Cette profonde disparité entre le domicile et l'établissement n'est pas due, à notre sens, qu'aux frais mécaniquement plus élevés qu'engendre un accueil hôtelier en Ehpad. Elle trouve également sa source dans deux anomalies particulières, que nous préconisons de corriger au plus vite :

- les modalités différentes de calcul par le conseil départemental d'une APA à domicile et d'une APA en établissement. Dans le premier cas, les besoins particuliers de la personne sont précisément pris en compte, mais le taux de sa participation financière atteint rapidement des niveaux dissuasifs. Dans le second cas, le versement à l'Ehpad par le conseil départemental d'un forfait global à l'autonomie atténue certes la participation financière des personnes mais ne tient qu'imparfaitement compte des besoins exprimés par chacun ;

- en découle un phénomène que nos pouvoirs publics n'ont que peu identifié jusqu'à présent : le renoncement de la personne âgée suivie à domicile à une partie du plan APA auquel elle a pourtant droit sur la seule base de ses ressources financières. Ce phénomène n'est pas aisément quantifiable, mais il serait très intéressant de savoir la part effectivement consommée par les ménages des plans d'aide APA construits par les équipes médico-sociales des départements. Nous sommes persuadés que les résultats de cette enquête révèleraient d'importants taux de non-recours à l'APA à domicile pour motifs financiers.

L'autre grande remarque que nous voulions formuler a trait à la compétence du conseil départemental pour la politique publique de la dépendance, qui serait, selon certaines voix, à l'origine d'une hétérogénéité territoriale particulièrement dommageable. Souvenez-vous à cet égard des débats particulièrement houleux qui avaient émaillé le début d'année 2018, avec la parution d'un décret autorisant les présidents de conseils départementaux de verser les forfaits globaux dépendance aux Ehpad en fonction d'un « point GIR départemental ».

Force est néanmoins de constater que l'exercice par le département de la compétence dépendance ne s'est en réalité nullement traduit par un approfondissement des inégalités entre territoires. Nous avons diligenté une enquête fouillée auprès de l'ADF, qui nous a fait parvenir des résultats particulièrement représentatifs : la part des plans d'aide APA pris en charge par le département tourne autour d'une moyenne de 400 euros mensuels, dont très peu de départements s'éloignent significativement. La même conclusion s'impose pour la pratique des fameux « points GIR départementaux », tous concentrés autour d'une moyenne de 7 euros.

À nos yeux, le risque d'une couverture inégalitaire de la perte d'autonomie doit d'abord être imputé aux contraintes budgétaires qui s'exercent sur l'ensemble des départements et non sur une tendance naturelle qu'auraient ces derniers à s'écarter d'une épure globale. Nous sommes très conscients de la séduction qu'opèrent les solutions faciles qui envisagent la reprise de la compétence dépendance par l'échelon national : le totem récurrent de l'uniformité - parente nécessaire de l'efficacité - n'a jamais été autant brandi comme le remède miracle aux niveaux préoccupants de reste à charge.

Nous souhaitons inciter à la plus grande prudence en ce domaine. Outre qu'il traduirait, sur la base de postulats théoriques contestables, une grave erreur de diagnostic, le retrait au conseil départemental de la compétence en matière d'autonomie priverait les personnes âgées d'un acteur public de proximité, plus que jamais nécessaire.

M. Bernard Bonne , rapporteur. - Venons-en maintenant au financement proprement dit. Deux questions primordiales se poseront à nous dans les années à venir :

- les financements tels qu'actuellement définis sont-ils suffisants ?

- les modalités de versement des aides à la dépendance, principalement l'APA, sont-elles satisfaisantes ?

Si nous sommes parfaitement tombés d'accord pour répondre à ces deux questions par la négative, nous vous exposerons dans quelques instants la divergence de vues qui sépare nos préconisations quant au modèle futur à dessiner. Il ne faut rien y voir de plus que la marque distinctive du Sénat de poser des diagnostics sur des bases indiscutables, pour laisser ensuite s'exprimer l'ensemble des sensibilités.

La première question tout d'abord. Nous serons à cet égard à l'unisson : la trajectoire financière tracée par le rapport Libault ne nous paraît pas réaliste. Ce dernier affiche en effet la conviction que les financements publics dégagés par l'extinction de la dette sociale suffiront, dès 2024, à combler l'ensemble des besoins aujourd'hui exprimés par les personnes âgées dépendantes.

Notre désaccord avec cette hypothèse a deux raisons principales :

- s'il est tout à fait exact que le rendement annuel de la contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS), soit environ 8 milliards d'euros, une fois libéré de sa destination actuelle, suffirait mathématiquement à couvrir le reste à charge global de 7 milliards que nous avons initialement identifié, il n'est absolument pas assuré que, d'une part l'intégralité de la dette sociale sera effectivement apurée en 2024, et d'autre part que son produit, fortement convoité, ira totalement au financement de la dépendance. C'est faire un pari dangereusement optimiste que de gager le financement d'une dépense aussi stratégique et pérenne que la dépendance sur une source financière dont la fin programmée a connu depuis sa création plus d'un prolongement ;

- par ailleurs, fonder la couverture du reste à charge sur le chiffre de 7 milliards d'euros nous ferait passer à côté de toute la partie non consommée des plans d'aide APA et ne ferait que maintenir entier le problème du renoncement à certaines aides des personnes âgées dépendantes suivies à domicile. Disons-le tout net : la solution préconisée par le rapport Libault, conçue dans les limites de finances publiques largement amputées, n'impacterait en réalité que les résidents d'Ehpad, qui seuls alimentent les statistiques du reste à charge effectif.

Si nous nous contentons de raisonner à partir du reste à charge observé, nous occultons le véritable problème, autour duquel l'accord est pourtant unanime : une vraie politique de la dépendance ne doit pas se limiter à la baisse des tarifs de l'hébergement en établissement, au prétexte qu'elle diminuerait heureusement le reste à charge, mais doit favoriser la prévention et le maintien à domicile.

Soyons donc très attentifs à ne pas résumer la question du financement de la dépendance à la seule résorption du reste à charge observé : celui-ci n'épuise pas l'ensemble des problèmes rencontrés, notamment celui de la dissuasion à consommer l'intégralité du plan d'aide APA.

Nous vous faisons donc part d'une conviction forte : le modèle financier dans lequel le Gouvernement semble résolument engagé en matière de dépendance, qui se cantonne au fléchage de ressources existantes, nous semble mener directement à l'impasse.

Il nous faut donc imaginer un mode de financement alternatif et ressusciter les débats qui, il y a maintenant plus de dix ans, avaient véritablement identifié l'urgence d'une réforme systémique.

Mme Michelle Meunier , rapporteure. - Nous l'avons vu, toute la complexité du financement de la dépendance vient de ce que plusieurs logiques de solidarité y sont à l'oeuvre.

Le plan d'aide élaboré par l'équipe médicale du conseil départemental dans le cadre d'une demande d'APA est prioritairement évalué en fonction du degré de dépendance de la personne âgée ; lui est ensuite soustrait un montant proportionnel aux ressources de la personne. Prestation universelle en principe, dans le sens où le droit naît du seul besoin, l'APA fait intervenir en second plan un critère de ressources qui module dans les faits son attribution aux personnes en fonction d'une participation financière qui leur est demandée.

Deux axiomes régissent ainsi l'attribution de l'APA : l'un, parfaitement admissible à nos yeux, veut qu'à même degré de dépendance, la participation financière de la personne augmente à due concurrence des ressources de son foyer ; selon l'autre, moins facilement défendable, à même niveau de ressources du foyer, la participation financière de la personne augmente à due concurrence du degré de dépendance.

Cet écueil vient d'une contradiction intrinsèque à l'APA : elle est un droit mobilisable au titre de la solidarité nationale, fondé sur un besoin indépendant du niveau de richesse, et assure donc une couverture proportionnelle à la dépendance du bénéficiaire. Mais cette couverture se révélant nécessairement plus coûteuse à raison que le besoin augmente, le biais financier ne manque pas d'intervenir là où on avait précisément voulu le tenir à l'écart.

C'est pourquoi nous avons ensemble convenu qu'avant l'intervention de la solidarité nationale, la couverture financière de la dépendance devait prioritairement faire appel à un mécanisme assurantiel, dont la dimension solidaire ne serait pas seulement assurée par l'universalité du droit, mais aussi par la mutualisation préalable du risque.

Outre le niveau structurellement insuffisant de la couverture actuellement assurée par l'APA, deux raisons principales nous conduisent à préconiser, dans le prolongement des débats de 2007-2008 relatifs au « cinquième risque », la mise en place d'une assurance dépendance obligatoire :

- l'incapacité du secteur assurantiel facultatif à remplir simultanément l'objectif d'une couverture large et efficace. En effet, soit la couverture est mutualisée mais trop rigide, soit elle est individualisée mais trop onéreuse ;

- le maintien des phénomènes de sélection adverse, qui écartent une grande partie des classes moyennes de la couverture dépendance.

M. Bernard Bonne , rapporteur. - Quels caractères cette assurance devra-t-elle revêtir ?

Ce devra être un système d'assurance obligatoire dépendance par répartition, bien plus cohérent lorsque l'aléa du risque couvert ne dépend pas directement du revenu. Un système par capitalisation renforcerait en effet la couverture des bénéficiaires les plus aisés - sans que leurs besoins s'en trouvent par ailleurs mieux couverts -, mais n'aurait probablement qu'un effet marginal sur la couverture des bénéficiaires des classes moyennes - dont les besoins resteraient imparfaitement couverts.

Ce devra être un système favorisant l'entrée en cotisation le plus tôt possible dans la vie active. Les estimations les plus récentes de la Fédération française des assurances nous ont appris qu'une cotisation moyenne mensuelle de 28 euros dès l'âge de 40 ans permettrait le versement d'une rente viagère mensuelle d'environ 500 euros pour toute personne dépendante dès le GIR 4. Si la cotisation intervenait dès le début de la vie active, elle serait de 12 euros moyens mensuels. Nous rappelons que ce chiffre couvrirait a minima le reste à charge moyen de 490 euros actuellement observé. Je précise également qu'il ne s'agit pas d'un montant forfaitaire par individu, mais bien d'un montant moyen : la cotisation serait bien entendu assise sur le revenu de la personne.

Mme Michelle Meunier , rapporteure. - C'est sur la nature de l'acteur à qui incombera la gestion de cette couverture dépendance que vos rapporteurs doivent maintenant faire état d'une légère divergence. À mes yeux, les caractères d'une assurance dépendance préconisée la rendent tout à fait compatible avec une intégration au système public de sécurité sociale. En effet, la construction d'un « cinquième risque » qui serait en fait une « cinquième branche » pleinement intégrée me paraît plus souhaitable en raison des pratiques tarifaires discriminantes qu'un marché assurantiel privé risque de faire émerger. Nous connaissons tous les dérives auxquelles sont exposés nos concitoyens contraints de recourir à des produits très techniques, et dont les éléments de prix ne sont pas toujours exposés de façon claire ou transparente.

M. Bernard Bonne , rapporteur. - Selon moi, la gestion du risque dépendance doit revenir au secteur privé, non seulement pour des raisons d'efficience, mais aussi parce que je souhaite éviter les risques d'exclusion mutuelle des prestations maladie et des prestations dépendance que ne manquerait pas d'engendrer leur intégration dans le même système public. Je m'explique : l'avancée en âge faisant autant appel à des interventions de soins qu'à des prestations d'aide à l'autonomie, si nous faisons relever les deux risques d'un même décideur public, par ailleurs contraint dans ses financements, il y a de fortes chances pour que l'un des deux risques se substitue entièrement à l'autre, au détriment de l'accompagnement d'ensemble. C'est par exemple le cas en Allemagne, où la consécration d'une cinquième branche dépendance a eu comme conséquence regrettable la difficulté que rencontrent les personnes âgées accueillies en établissement de voir leurs frais médicaux couverts au titre de l'assurance maladie !

Je rejoins néanmoins ma collègue sur le danger de pratiques divergentes qu'elle a pointé. On doit, à mon sens, pouvoir y parer en imposant à tous les assureurs privés chargés de la couverture dépendance le recours à un seul et même outil d'évaluation pour la définition du besoin : la grille AGGIR offre à ce jour dans ce domaine le plus fiable instrument.

Vos deux rapporteurs s'accordent néanmoins pour préconiser l'avènement d'un modèle fondé prioritairement sur les recettes issues de la contribution dépendance, et subsidiairement par la solidarité nationale.

Un premier étage assuré par la mutualisation des risques, un second étage pris en charge par la solidarité nationale dont l'intervention diminuerait en fonction des revenus. Voici qui réconcilierait les deux grands impératifs qui structurent depuis plus de soixante ans notre système de protection sociale : efficacité de la couverture et justice sociale.

Mme Michelle Meunier , rapporteure. - La proposition que nous faisons d'un système assurantiel obligatoire ne nous fait tout de même pas oublier qu'au sein de la dépendance subsistent des dépenses qui doivent continuer de relever d'une logique purement solidaire, et non de la seule couverture d'un risque auquel tout le monde est exposé indépendamment de ses revenus.

C'est pourquoi nous faisons nôtre une des propositions émises par la Fédération nationale des mutuelles de France de l'établissement d'un « surloyer solidaire » entre résidents d'un même Ehpad, pour la seule couverture des dépenses liées aux prestations hôtelières délivrées par l'établissement.

De même, sans préconiser qu'elles se substituent dès à présent à la solidarité nationale, nous évoquons également quelques pistes visant à favoriser la liquidité des patrimoines privés afin de financer la dépendance de leur propriétaire. Ces pistes proposent une réactualisation intéressante de produits existants, comme les viagers ou les prêts viagers hypothécaires, mais qui restent peu mobilisés. Le développement de ces instruments de liquidation ne relève pas que d'un enjeu strictement financier : il interroge l'attachement profond que les Français maintiennent à la transmission de leur patrimoine. Bien que la sollicitation accrue des avoirs mobiliers et immobiliers, particulièrement concentrés sur les tranches d'âge les plus concernées par la perte d'autonomie, recueille l'adhésion de nombreux économistes et de plusieurs acteurs publics, elle nous semble pour l'heure difficilement compatible avec la volonté toujours profondément ancrée de léguer un héritage intact aux descendants.

Elle doit pourtant être mise sur l'ouvrage des propositions qu'il nous faudra tôt ou tard examiner. Au-delà de la question qui nous occupe aujourd'hui du financement de la dépendance, c'est de la redistribution générale du patrimoine, dont nous savons qu'il est actuellement très inégalement détenu, qu'il s'agit...

Voici, Monsieur le président, mes chers collègues, le fruit d'une réflexion partenariale dont nous espérons, mon collègue corapporteur et moi-même, qu'elle se joindra utilement aux travaux adressés au Gouvernement pour l'accomplissement de cet important mais passionnant chantier.

Nous vous remercions.

M. Alain Milon , président. - Je voudrais vous rappeler les événements de Toulouse.

Selon ses déclarations, l'un des directeurs de l'établissement concerné était obligé d'assurer chaque année un bénéfice de 600 000 euros, ce qui est considérable pour un Ehpad. De plus, les dépenses qu'il a été autorisé à engager concernant la nourriture étaient de 4 euros par jour et par personne âgée. C'est dire s'il y a beaucoup de travail à faire sur ces différents sujets !

La parole est au président de la Mecss.

M. Jean-Noël Cardoux , président de la Mecss. - Je remercie les deux rapporteurs, même si certains de leurs principes sont divergents. C'est un travail intéressant qui arrive à point nommé. Ceci démontre, s'il en était besoin, l'utilité de la Mecss et des travaux qu'elle entreprend.

Mes questions seront techniques. Je suis tout à fait partisan de financer une partie de la dépendance par une assurance. En 2011, Mme Marie-Anne Montchamp, alors secrétaire d'État auprès de la ministre des Solidarités, avait réalisé un tour de France pour interroger les uns et les autres sur le cinquième risque et ses modes de financement. J'étais à l'époque chargé des affaires sociales dans le département du Loiret. J'avais alors participé à ce débat, que l'on ouvre à nouveau aujourd'hui. Il n'étonnera personne que ma préférence aille vers une démarche assurantielle privée.

Vous avez évoqué une cotisation de 12 euros, ce qui correspond à ce que l'ancien président de la Fédération française de l'assurance (FFA), M. Spitz, avait expliqué il y a quelques années. Vous pourriez indiquer dans le rapport que cette cotisation serait bien entendu déductible du revenu net imposable. Il me paraît important de l'affirmer.

En second lieu, vous avez indiqué les problèmes liés à l'augmentation des prix de journée en Ehpad. À une certaine époque, un des gros problèmes était le glissement progressif, à la charge du département, du volet sanitaire dans le prix de journée.

On a toujours eu un volet hébergement et un volet sanitaire. Beaucoup de directeurs d'Ehpad faisaient progressivement glisser le volet sanitaire vers le volet hébergement, au détriment des départements. On a ensuite introduit le volet dépendance qui a lui aussi glissé dans le prix de journée, ce qui permettait de « jongler ».

Comment pourrait-on déterminer la juste part de l'hébergement et de la dépendance dans le prix de journée par rapport au sanitaire, qui relève de l'assurance maladie ?

M. René-Paul Savary . - Merci de ce rapport de fins connaisseurs.

Une remarque par rapport au reste à charge de l'APA à domicile. N'est-il pas dû notamment au tarif horaire des aides à domicile, inférieur à la réalité des coûts ? C'est ce qui explique qu'une partie seulement en soit consommée. L'enveloppe accordée par les départements, même si elle a changé avec la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement (ASV), était forfaitaire. Avec l'augmentation du coût de l'heure, les demandeurs limitaient les heures pour ne pas engendrer de dépenses supplémentaires. Il y a peut-être là quelque chose à régler.

Par ailleurs, le système d'assurance obligatoire par répartition fait penser au système de retraite. Ce sont deux chantiers importants de systèmes universels par répartition qui partent sur les mêmes bases mais que n'ont pas choisis les autres pays européens, qui ne mettent pas « tous leurs oeufs dans le même panier ».

En effet, en Suède notamment, il existe des complémentaires obligatoires en plus du système de base par capitalisation. Je ne dis pas que ce système est le bon, mais ne faut-il pas envisager également un système par capitalisation collective ? C'est un mécanisme intermédiaire qui permet, me semble-t-il, de placer de l'argent dans l'économie sans remettre en cause le système de solidarité par répartition. C'est peut-être une piste qui mérite d'être explorée...

Il en va de même du viager mutualisé. En France, le viager individuel comporte un risque et ne fonctionne pas. Il faut inventer un système de viager collectif. Des travaux prospectifs ont été menés dans ce domaine autour de la notion de patrimoine.

Les divergences entre mutuelles et assurance maladie rejoignent nos réflexions à propos des mutuelles...

M. Alain Milon , président. - Absolument !

M. René-Paul Savary .  - Un système plus collectif de répartition des bénéfices-risques entre l'assurance maladie et les mutuelles - qui, rappelons-le, ne couvrent que 36 milliards d'euros contre 150 milliards d'euros pour l'assurance maladie, sur des risques moins avérés, l'assurance maladie couvrant l'ALD - pourrait être intéressant dans le cadre d'un rapprochement avec le privé.

Enfin, un regret : il est dommage de ne pas avoir consacré un chapitre aux débouchés en matière de troubles neurodégénératifs. Le jour où l'on aura réussi à prévenir ces pathologies, la charge sociétale sera nettement moindre et on améliorera le confort des personnes âgées. Il faut consacrer davantage de crédits à l'innovation, notamment en matière de recherche européenne. Ce sera l'un des thèmes de la prochaine campagne pour les élections européennes.

Mme Cathy Apourceau-Poly . - Tout d'abord, le gain en espérance de vie est un véritable progrès pour toute la société, mais je pense que nous n'avons pas su anticiper les choses.

De grandes promesses avaient été faites en matière d'autonomie, englobant le handicap, la dépendance et l'invalidité. Elles se sont malheureusement réduites comme peau de chagrin, et la loi ASV n'a permis de dégager que 650 millions d'euros. C'est bien peu par rapport à ce que nécessite la dépendance.

Nous pensons que la création d'un cinquième risque n'est pas une bonne solution. Nous réclamons l'intégration de la dépendance dans le régime général de la sécurité sociale et l'arrêt des exonérations patronales, dont les sommes pourraient financer la dépendance.

En plus des cotisations sociales, nous proposons depuis de nombreuses années que l'État finance l'APA et la prestation de compensation du handicap (PCH) au moyen d'une dotation compensatoire pour les départements.

Nous proposons également, au niveau départemental, un pôle public de l'autonomie regroupant les services publics, afin de favoriser la promotion des activités sociales en faveur des personnes âgées et en situation de handicap.

M. Alain Milon , président. - La parole est aux rapporteurs.

M. Bernard Bonne , rapporteur. - S'agissant de Toulouse, il ne faut pas simplement parler d'établissement privé, mais d'établissement privé à but lucratif. Beaucoup d'établissements privés associatifs remplissent en effet parfaitement leurs missions et n'ont pas pour but de faire gagner de l'argent à des actionnaires. Cela étant, certains établissements privés lucratifs remplissent aussi leur rôle.

Je suis d'accord avec M. Cardoux concernant la déduction du revenu imposable. La cotisation moyenne pourrait être de 28 euros à partir de 40 ans. Elle serait de 10 à 12 euros si elle prenait effet au début de l'activité. C'est un chiffre moyen : la cotisation individuelle serait fonction des revenus. Elle serait donc bien inférieure pour les petits salaires.

Pour ce qui est du prix de journée dans les Ehpad, nous proposons un seul tarificateur, tout comme le rapport Libault. Aujourd'hui, l'ARS prend en charge la médicalisation, et le département s'occupe de la dépendance, ainsi que de fixer le prix de la journée d'hébergement. Nous proposons de réunir le forfait dépendance et la médicalisation, et que le tarif hôtelier soit fixé par le département. Le rapport Libault propose quant à lui que ce soit l'État qui traite du sujet.

Nous voudrions que, dans une ou deux régions, la moitié des départements arrête le tarif, qui serait dans l'autre moitié fixé par l'ARS, les sommes allouées auparavant aux uns et aux autres étant bien entendu transférées. Cela permettrait de voir qu'il n'existe pas beaucoup de différences entre les départements en matière de point GIR départemental, qui est en moyenne à environ 7 euros - même si des différences subsisteraient concernant le prix de la journée hôtelière.

Les différences, comme en Corse ou ailleurs, sont en train de se réduire. Les départements se sont engagés à uniformiser les points GIR afin qu'il n'y ait pas de différence entre les territoires en matière de prise en charge de la dépendance. Il en existera cependant toujours sur le plan immobilier. On ne peut l'empêcher.

Mme Michelle Meunier , rapporteure. - Concernant l'APA, nous préconisons un versement assez inédit, tout ou partie en espèces, inspiré du modèle allemand. Les retours sont intéressants. Cela correspond à la volonté et aux besoins des personnes.

M. Bernard Bonne , rapporteur. - Il pourrait s'agir d'un système de chèque-service.

Par ailleurs, nous proposons également de faire coexister un système obligatoire par répartition et un système optionnel par capitalisation. Cela permettrait à ceux qui le souhaitent d'avoir un peu plus que 500 euros mensuels.

Enfin, nous avons proposé le système de cinquième risque sous forme assurantielle ou par branche.

Mme Monique Lubin . - Vous avez évoqué de manière assez pudique le lien des Français avec la transmission de leurs biens, qu'ils ne souhaitent pas utiliser pour financer une partie de la dépendance.

Je trouve curieux que l'on récupère l'aide sociale à l'hébergement sur le montant de la succession et non sur l'APA, alors que cette dernière coûte parfois bien plus cher. Je pense que le débat doit être posé. Il n'est pas compréhensible, lorsqu'on dispose d'un patrimoine important, que les ayants droit en récupèrent l'intégralité et que la solidarité nationale paye le reste à charge en matière de dépendance !

Par ailleurs, nous allons ouvrir dans les Landes, au mois d'octobre, le premier village Alzheimer de France. J'invite la commission des affaires sociales à venir le visiter en début d'année prochaine. Ce village, Laurence Rossignol l'avait porté sur les fonds baptismaux avec Henri Emmanuelli, il y a trois ans de cela. Ce site sera entièrement consacré à des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Deux professeurs, l'un bordelais, l'autre toulousain, y mèneront une recherche sur les maladies neurodégénératives, ce qui n'existe nulle part ailleurs.

La semaine dernière, nous avons également lancé une opération appelée « vieillir à domicile » par le biais d'Internet. Marie-Anne Montchamp a eu la gentillesse de nous dire que notre département mériterait de jouer le rôle de laboratoire dans le cadre du travail sur la dépendance que va engager le Gouvernement. Elle a aussi vanté notre système d'Ehpad entièrement public dont les tarifs ne dépassent pas 65 euros par jour.

Mme Frédérique Puissat . - Je rappelle aux rapporteurs qu'à l'heure où l'on recherche 7 milliards d'euros pour la dépendance, on vient de faire le choix de dépenser 24 milliards d'euros avec la suppression de la taxe d'habitation.

M. Daniel Chasseing . - On peut penser que la sécurité sociale sera à l'équilibre en 2024 et que la somme correspondant à la CRDS pourrait en partie être attribuée à la dépendance.

Je suis d'accord avec Bernard Bonne et Michelle Meunier au sujet de la question de l'assurance. Il est important qu'il n'y ait qu'un seul financeur pour les soins et la dépendance. Le ticket modérateur GIR 5 et 6 en Ehpad serait-il inclus dans la dépendance ? Ceci économiserait 6 euros environ par jour.

Par ailleurs, le département s'occuperait-il toujours de l'hébergement ?

Enfin, pouvez-vous donner quelques explications complémentaires concernant le surloyer solidaire ?

M. Yves Daudigny . - Le sujet d'aujourd'hui, c'est le financement de la dépendance. Nous sommes bien loin des ambitions d'il y a plus d'une dizaine d'années, lorsque la question portait sur la perte d'autonomie, quelle qu'en soit la cause et quel que soit l'âge de la personne. En clair, on tenait à la fois compte des personnes âgées et de celles en situation de handicap. Ces grands projets ont été abandonnés au moment de la crise et n'ont pas été repris par les différents gouvernements, de droite ou de gauche, qui se sont succédé depuis.

L'enjeu financier, on l'a dit, est de 7 milliards d'euros. Rappelons qu'ici même, peu avant Noël, nous avons dégagé 10 milliards d'euros à la quasi-unanimité ! L'objectif n'est donc pas hors de portée. Il reste à la mesure des capacités financières de notre pays.

Par ailleurs, qu'en est-il de l'appétence des assurances privées pour la dépendance ? J'ai souvenir que les assurances avaient autrefois des produits prêts à être mis en circulation. Un grand groupe d'assurance français avait invité le président de l'Association des départements de France (ADF), ainsi que le vice-président chargé des affaires sociales, pour faire la promotion de ce produit, qui n'a finalement pas été mis en circulation...

Quant à la question du patrimoine, elle reste sous-jacente. On en connaît les différentes données...

Enfin, je voudrais insister sur ce qu'a dit Monique Lubin à propos de l'intérêt que pourrait représenter ce que fait le département des Landes, qui recourt à des outils novateurs dont nous pourrions tirer des bénéfices.

M. Alain Milon , président. - Je soumettrai l'invitation de Mme Lubin au bureau de la commission.

Mme Michelle Meunier , rapporteure. - S'agissant de la remarque pertinente de Monique Lubin à propos de la récupération sur succession, j'ai bien dit, à la fin de ma présentation qu'il s'agit de revoir toute la redistribution générale du patrimoine.

S'agissant du surloyer solidaire, l'idée est de s'inspirer des crèches, où tous les parents, en fonction de leurs ressources, ne paient pas le même tarif journalier pour un même service.

M. Bernard Bonne , rapporteur. - Je n'ai pas répondu à René-Paul Savary au sujet des actions de prévention. On a bien dit qu'il convenait de prendre les personnes en charge avant qu'elles ne soient dépendantes. C'est tout l'intérêt des plans d'aide à domicile, qui devraient permettre de développer la prévention.

S'agissant de la CRDS, on ne sait pas quand la dette sociale sera apurée ni comment son produit va être utilisé. Il vaut donc mieux tenir que courir, plutôt que d'en utiliser tout ou partie.

Concernant les GIR 5 et 6, on propose en effet de fondre le ticket modérateur dans la tarification globale.

M. Alain Milon , président. - Le PLFSS 2019 a été voté à l'équilibre mais, à la suite des manifestations des gilets jaunes, le déficit s'élève à 2,8 milliards d'euros.

Mme Laurence Rossignol . - On cherche à résoudre depuis plusieurs années une équation impossible ! Je crois me souvenir que l'annonce d'une grande loi sur le vieillissement remonte à trois quinquennats !

Les résultats législatifs n'ont pas été à la hauteur des engagements, et on court deux lièvres à la fois, d'une part la baisse globale des prélèvements et des cotisations sociales, de l'autre la prise en charge socialisée de la dépendance.

On ne sait pas non plus vraiment faire d'économies, la limite de l'exercice consistant à dire qu'il faut prendre l'argent là où il est - mais ce n'est pas si facile... Il faut assumer l'idée que la prise en charge de la dépendance va provoquer un prélèvement supplémentaire. Il s'agit d'un risque assurantiel de plus.

Le bilan est mitigé concernant le privé lucratif et la dépendance, jusqu'en matière d'assurance. À chaque fois que l'on essaie de faire appel aux assurances en matière de dépendance, on s'aperçoit que les grilles sont différentes de la grille AGGIR.

En toute logique, on pourrait penser que lorsque quelqu'un est éligible à l'APA, cela fonctionne aussi pour l'assurance. Pas du tout, car l'assurance dispose de ses propres critères ! La perception qu'en ont les assurés n'est donc pas bonne.

Quant aux Ehpad privés lucratifs - et sans pointer du doigt qui que ce soit -, il est très choquant de constater qu'ils constituent un des placements financiers les plus rentables !

Cela pose la question de la place du privé lucratif. J'ai connu les repas à moins de 2 euros dans certains établissements ! J'avais pour habitude de considérer qu'un Ehpad était un établissement de qualité quand on y cuisinait sur place. Or la majorité externalise les chaînes de froid, etc. : on mouline tout, on le donne aux résidents, et les gens ne savent même plus ce qu'ils mangent !

Concernant la question des successions, les héritiers cherchent un Ehpad dont les tarifs n'entament pas l'héritage, ce qui pose un véritable problème. Quand on fait des économies pour ses vieux jours, il faut savoir y recourir le moment venu ! Je crains que les reprises sur succession n'aggravent encore la situation, d'autant que nombre d'enfants mettent leurs parents sous tutelle. C'est alors eux qui décident...

Certes, le domicile reste formidable tant que les gens sont en bonne santé. J'ai cependant vu trop de personnes âgées en mauvais état maintenues à domicile pour des raisons économiques. C'est là aussi de la maltraitance, mais on n'en parle jamais. Il faut avoir un discours équilibré en matière de durée et de parcours concernant la prise en charge du vieillissement. Le placement en établissement est parfois inéluctable.

Enfin, je rappelle que fort heureusement seul un tiers des personnes de plus de 85 ans sont dépendantes. On pense toujours au grand âge comme s'il entraînait à coup sûr la dépendance, mais ce sont moins de 20 % des personnes âgées qui perçoivent l'APA. Cela permet de décrisper la discussion !

M. Gérard Dériot , président. - Merci de ce rappel toujours utile.

Nous savons tous, en tant qu'élus, que le maintien à domicile est momentanément la meilleure des solutions, mais la pire quand la dépendance arrive. Il est très compliqué de maintenir quelqu'un chez lui si l'on veut qu'il soit pris en charge correctement.

Quant au problème de restauration dans les maisons de retraite privées, il est tout à fait anormal de connaître les problèmes auxquels on a assisté. Ce sont les gouvernements successifs qui y ont poussé pour des raisons d'économie. On n'est pas sûr que ce soit moins cher, mais on est certain que les repas sont de bien moins bonne qualité.

M. Daniel Chasseing . - Je n'ai pas rencontré beaucoup de refus concernant l'APA à domicile pour cause de revenus...

S'agissant des Ehpad, il faut distinguer les établissements privés à but lucratif des Ehpad à but non lucratif gérés par des associations.

Par ailleurs, le maintien à domicile présente ses limites. C'est la solution que choisissent certaines familles du fait du coût trop élevé du prix de journée. C'est parfois à la limite de la maltraitance, je le reconnais...

Enfin, quand on veut actionner les assurances, les critères ne sont jamais les bons. Il faudra donc faire très attention à la rédaction des textes.

Mme Élisabeth Doineau . - Ce sujet vient à point et les perspectives sont fort intéressantes.

J'aurais cependant aimé que l'on puisse avoir une réflexion sur la prise en charge de la dépendance dans les collectivités d'outre-mer, où le décalage est prégnant en matière de politiques publiques.

Même si je ne vis pas dans ces territoires, la dépendance y est souvent traitée d'une autre façon sur le plan familial et intergénérationnel. Je pense qu'il conviendrait qu'un de nos collègues étudie la façon dont peut y prospérer le sujet que vous avez abordé.

Mme Michelle Meunier , rapporteure. - Madame Rossignol, certaines personnes âgées ne connaîtront en effet jamais la dépendance. A contrario, la perte d'autonomie peut survenir très rapidement.

Nous ne parlons pas de refus de prise en charge à domicile, monsieur Chasseing, mais de renoncement. Ce sont les personnes âgées elles-mêmes - ou leur entourage proche - qui ne recourent pas à la totalité de l'APA à domicile.

M. Bernard Bonne , rapporteur. - J'ai vu pour ma part des personnes renoncer à un plan d'aide lorsqu'on leur annonçait le montant de leur participation. C'est un refus de leur part et non du département.

Quant au système assurantiel, on ne l'a pas défini. S'il était privé, il faudrait bien entendu un cahier des charges très précis, avec une application très contrôlée de la grille AGGIR, qui devrait être commune à tout le monde. Il n'est pas question de refuser des prestations dans la mesure où la personne doit pouvoir en bénéficier. Il ne s'agira donc pas d'une assurance privée optionnelle, mais une assurance privée obligatoire et contrôlée. C'est indispensable.

Quant aux successions, il n'y a pas de raisons que les personnes qui ont accumulé un certain patrimoine ne participent pas aux dépenses. Je parle ici des dépenses d'hébergement davantage que de celles liées à l'APA.

On a beaucoup parlé du privé lucratif. Il ne faut pas jeter la pierre à tout le secteur, mais il faut que les établissements acceptent les contrôles inopinés. C'est ce que font beaucoup de départements. Cela permet d'éviter bien des écueils.

Mme Nassimah Dindar . - Les orientations qu'ont données les rapporteurs sur la compensation et la solidarité sont pour moi les critères qui peuvent définir les orientations en matière de vieillissement et de perte d'autonomie.

Je pense par ailleurs que le rapport devrait également traiter des innovations en matière assurantielle, mais aussi des modes d'accueil qui peuvent exister dans les territoires d'outre-mer, où les gens n'ont pas la capacité d'être hébergés dans un établissement sans l'aide du département.

Je suis plutôt favorable à la préconisation de M. Libault, qui estime que l'État doit être acteur de la construction des établissements médico-sociaux, les départements n'ayant plus la capacité financière d'investir pour construire des Ehpad sans aides publiques.

La Réunion, par exemple, intègre l'investissement réalisé par l'associatif dans le prix de la journée, ce qui revient plus cher dans beaucoup de cas. Outre-mer, l'APA à domicile est utilisée entre 70 % à 80 %. 20 % de ceux qui touchent l'APA sont en établissement, mais avec un prix de journée très important pour le département, 90 % des personnes accueillies n'ayant pas la possibilité de payer un reste à charge. C'est l'aide sociale qui assume la totalité des personnes qui sont accueillies dans les Ehpad. C'est quasiment le cas de tous les territoires ultramarins. Mayotte va connaître le problème de la prise en charge des personnes âgées et de la perte d'autonomie dans les années qui viennent.

L'accueil intermédiaire semi-collectif est donc intéressant. Nous l'avons fait pour des maisons d'assistantes maternelles qui connaissent un gros succès chez nous, les mairies n'ayant pas la possibilité de construire des crèches ou de faire face à leur fonctionnement. Les maisons d'accueil familial sont pour nous une possibilité intermédiaire entre le maintien à domicile et l'accueil en établissement.

Le code de l'action sociale et des familles définissant l'accueillant familial, je souhaiterais que notre commission puisse en faire évoluer les critères.

M. Bernard Bonne , rapporteur. - La prise en charge des personnes âgées est en effet très différente dans les territoires d'outre-mer. L'accueil familial est bien plus important que dans l'hexagone.

Quant à l'investissement immobilier, la plupart des départements n'y participent plus. Il ne représente pourtant qu'environ 20 % au maximum du prix de journée. Les établissements eux-mêmes participent à leur propre rénovation. Il faut que le département puisse tarifer, continue à suivre les établissements et à traiter de la dépendance des personnes dont il a la charge.

M. Gérard Dériot , président. - Je mets aux voix la publication de ce rapport d'information.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

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