III. FRANCE Ô : UNE FENÊTRE SUR LES OUTRE-MER DEVENUE PLAFOND DE VERRE ?

A. UNE MISSION DE SERVICE PUBLIC PLURIELLE À LA CONCRÉTISATION DOULOUREUSE

1. Une vocation initiale de fenêtre des outre-mer dans l'hexagone

Le réseau RFO a créé en 1998 la chaîne RFO Sat . Cette chaîne à diffusion uniquement satellite - par le biais des bouquets Canalsatellite et TPS - n'émettait que quelques heures par jour. Elle avait pour mission d'être « la vitrine des outre-mer » en rediffusant des programmes des stations locales.

Ses programmes permettaient essentiellement de retrouver sur le satellite les journaux d'information de certaines stations.

La chaîne RFO Sat devient France Ô en 2005 à la suite de l'intégration de RFO au groupe France Télévisions et son champ de diffusion couvre désormais l'ensemble de la journée.

La chaîne a pu bénéficier d'une diffusion sur la TNT à partir de 2007 en Île-de-France. À l'issue des États généraux de l'outre-mer, le Président de la République Nicolas Sarkozy a décidé en novembre 2009 d'étendre la diffusion de France Ô sur la TNT nationale . La restriction de diffusion de la chaîne à tout ou partie du territoire métropolitain est ainsi supprimée en 2010 et la chaîne devient alors accessible sur l'ensemble du territoire national, outre-mer compris 99 ( * ) . Auparavant sur le canal 20, elle dispose aujourd'hui du canal 19 de la TNT.

L'ambition alors annoncée était c lairement celle d'une chaîne dédiée aux outre-mer pour en accroître la visibilité partout en France .

2. Un lien organique

Il ne faut cependant pas oublier, par la dimension nationale qu'a acquise la chaîne, le caractère particulier que le canal peut avoir pour les publics ultramarins. En effet, alors qu'internet était encore peu développé, la chaîne RFO Sat permettait aux ultramarins de l'hexagone d'accéder aux journaux d'information de leur territoire et ainsi de garder un lien avec leurs familles ou origines. La chaîne incarnait une « continuité territoriale à l'envers ».

Si internet s'est développé et la grille de France Ô n'est plus exclusivement dédiée à la retransmission brute de journaux des stations, la chaîne demeure porteuse de cet héritage : elle a au sein du public national un public particulier pour qui elle est une passerelle vers les territoires . La consultation menée en ligne par la délégation confirme cet attachement profond d'une partie de la population à ce qu'ils considèrent être un lien au pays .

Greg Germain, acteur et réalisateur, insistait devant la délégation 100 ( * ) sur le rôle de France Ô dans le paysage audiovisuel français : « incapables de se reconnaître dans une télévision qui ne leur renvoie aucune image constructive d'eux-mêmes, plus de 5 millions d'ultramarins sont dans l'attente de programmes qui permettraient une meilleure compréhension des réalités qui sont les leurs et l'émergence d'une véritable égalité entre tous les Français avec un réel sentiment d'appartenance nationale ».

La consultation en ligne 101 ( * ) menée par la délégation a montré une forte définition de France Ô sur cette base. Les répondants ont ainsi placé le mot « lien » parmi ceux avec le plus fort nombre d'occurrences dans leurs contributions écrites. Ce terme s'inscrit dans un champ lexical de l'appartenance à la communauté national qui est très présent avec les mots « français », « identité », « République », « fraternité ». France Ô apparaît un ciment de cohésion nationale.

Ce lien, Wallès Kotra l'évoquait 102 ( * ) également comme substantiel des missions de la chaîne : « France Ô est une particularité française, née parce que le service public a dû inventer des structures adaptées à un pays qui est à la fois ici et là-bas, en Europe et dans le monde entier, qui conjugue l'infiniment petit et le grand large, avec des univers à la fois riches et très divers ».

3. Une réalisation heurtée en raison d'une feuille de route mouvante

Si RFO Sat disposait d'une identité claire, la nouvelle « France Ô » du groupe France Télévisions porte en elle les stigmates d'une ligne éditoriale instable et incohérente, qui n'a pas permis à la chaîne d'affirmer une identité claire et lisible.

À la suite des émeutes de 2005 dans les banlieues, la mission de France Ô est ainsi définie en 2006 dans le cahier des charges de RFO : « France Ô a pour objet, d'une part, de concourir à la connaissance de la réalité économique, sociale et culturelle de l'outre-mer, de son environnement et de ses liens actuels et historiques avec le reste du monde, et, d'autre part, de témoigner, aux côtés de la diversité française, de sa présence comme de son insertion en métropole » 103 ( * ) .

Cette définition de la chaîne, hésitant entre outre-mer et « diversité » , demeure par la suite puisque la version initiale du nouveau cahier des charges de France Télévisions publié en 2009 définit France Ô comme suit : « chaîne de la mixité et de la diversité culturelle , accessible sur tout ou partie du territoire métropolitain, France Ô offre une vitrine de choix à toutes les composantes qui participent de l'identité de la communauté nationale, en particulier aux populations ultra-marines . L'accent est notamment porté sur les magazines, le débat citoyen et les spectacles vivants » 104 ( * ) .

Après la diffusion en 2014 d'un pré-rapport du CSA posant la question du maintien de la chaîne, le Président de la République François Hollande annonce son souhait de voir France Ô être à nouveau dédiée aux outre-mer, conformément à une promesse de campagne de 2012 .

Si le COM 2016-2020 de France Télévisions a intégré cette préoccupation, il a fallu attendre mai 2017 pour voir modifié le cahier des charges de France Télévisions, qui attribue enfin à France Ô sa vocation ultramarine 105 ( * ) . France Ô devient alors finalement la « chaîne des outre-mer qui contribue au partage et à la diffusion des identités, des cultures et de l'actualité des outre-mer, en s'appuyant notamment sur les services mentionnés au 5° et en développant des productions ultra-marines ».

La réaffirmation de la vocation ultramarine pleine et entière de France Ô est donc très récente puisqu'elle remonte à moins de deux ans.

Wallès Kotra expliquait 106 ( * ) ainsi devant la délégation concernant cette vocation qu'« il n'y a plus de débat sur l'identité de France Ô. Elle est la chaîne des outre-mer. Non pas les outre-mer fermés sur eux-mêmes : pas seulement les paysages et les îles, mais tout ce que l'outre-mer apporte à la Nation, ses réalités, ses histoires, ses cultures, ses difficultés, ses richesses mais aussi ses regards si particuliers sur le monde ».


* 99 Article 1 du décret n° 2010-253 du 10 mars 2010 portant modification du cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions,.

* 100 Table ronde sur la production audiovisuelle outre-mer le 7 février 2019.

* 101 Analyse de la consultation à la fin de ce rapport.

* 102 Audition de M. Wallès Kotra, directeur exécutif en charge de l'outre-mer de France Télévisions, le 5 juillet 2018.

* 103 Article 2 du cahier des charges annexé au décret dans sa rédaction issue du décret n° 2006-645 du 1 er juin 2006 portant modification des cahiers des charges des sociétés France 2, France 3, France 4, France 5, Réseau France Outre-mer, Radio France et Radio France Internationale

* 104 Décret de 2009, version initiale

* 105 Décret n° 2017-1042 du 9 mai 2017 portant modification des cahiers des charges des sociétés nationales de programme France Télévisions, Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France

* 106 Audition de M. Wallès Kotra, directeur exécutif en charge de l'outre-mer de France Télévisions, le 5 juillet 2018.

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