B. DES MOYENS INSUFFISANTS : RADIOSCOPIE D'UN ÉCHEC ANNONCÉ

1. Dans les COM, des ambitions inégales

Le contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions définit les objectifs de programmation de la chaîne. Les différents COM successifs ont comporté des ambitions fluctuantes et inégales pour la chaîne.

a) L'hésitation comme ligne directrice ?

Si le COM 2011-2015 se veut parfois « poétique » dans sa rédaction, la ligne éditoriale qu'il dessine semblait considérer les outre-mer comme relevant uniquement de l'héritage de la chaîne. Ceux-ci étaient ainsi dilués au sein d'une identité « métisse » dont l'écriture sonne artificielle.

Ainsi, le document prévoit que « France Ô invite ses téléspectateurs à quatre modes d'ouvertures complémentaires :

- ouverture sur le monde, et ses innombrables identités ;

- ouverture sur les cultures populaires modernes ;

- ouverture sur les histoires humaines ;

- ouverture sur les différents outre-mer français.

L'identité de cette "chaîne métisse" se construit à partir de son socle originel ultramarin , dont elle promeut la richesse, la diversité et son état d'esprit, en mettant en lumière ces différents territoires comme autant de vigies ouvertes sur le monde ». Aussi, « France Ô s'efforce de raconter de "belles histoires" , fait appel à l'empathie, à l'émotion, aux impulsions créatrices et à l'intelligence humaine » : France Ô, une chaîne du sentiment avant d'être la chaîne des outre-mer ? Comme l'ont souligné les rapporteurs lors de l'audition du ministre 107 ( * ) : « de qui se moquait-on lors de la rédaction de ce COM » ?

Il faut enfin souligner que le premier COM mentionne la programmation de télénovelas qui servent aujourd'hui souvent à décrier la grille de France Ô : ils sont l'héritage de la commande de la tutelle.

b) Une tentative de rééquilibrage ?

L'avenant au COM 2013-2015 conserve l'hésitation entre outre-mer et diversité puisque si la chaîne est toujours décrite comme « construite à partir de son socle originel ultramarin , dont elle promeut la richesse, la diversité et son état d'esprit, en mettant en lumière ses différents départements et territoires parties intégrantes de la République. », elle a maintenant « notamment pour mission de faire connaître les outre-mer et revendique une vocation d'ouverture sur le monde et de métissage des cultures ». Si les outre-mer sont bien l'ADN de la chaîne, tout son avenir réside dans le « notamment ».

L'avenant reconnaît cependant l'utilité sociale de la chaîne puisqu'elle « s'affirme comme un vecteur de lien social important qui permet aux Français vivant dans l'hexagone d' établir ou de maintenir une relation forte entre l'hexagone et les outremer qu'ils en soient originaires ou pas ».

La chaîne a également vocation explicite d'offrir aux téléspectateurs, via la couverture des bassins océaniques des outre-mer « une ouverture sur le monde d'autant plus passionnante qu'elle est reliée à des problématiques contemporaines qui touchent les outre-mer comme l'hexagone » : la feuille de route éditoriale semble abandonner les bons sentiments du premier COM , ayant pour mission de promouvoir « les valeurs positives de partage, de tolérance et d'altérité indispensables à la construction de la société de demain ». Les envolées sentimentales, quelque peu dérisoires et qui n'ont connu qu'un écho atone semblent cette fois écartées et on peut considérer que sont identifiées ici des caractéristiques fortes des outre-mer scellant leur place dans la République.

c) La clarté enfin trouvée ?

La ligne retenue dans le COM 2016-2020, définie beaucoup plus brièvement, est cependant plus claire et cohérente avec l'orientation voulue par l'exécutif à l'époque. Le document indique ainsi que « France Ô, chaîne des Outre-mer, sera dédiée à l'exposition des identités et des cultures d'outre-mer en s'appuyant davantage sur le réseau des Outre-mer 1 ère et en développant des productions ultra-marines ». Le cap est alors clair : les outre-mer. Enfin. Les valeurs que les outre-mer peuvent incarner pour la République au profit d'une plus grande cohésion nationale disparaissent cependant au passage.

2. Un budget indécemment réduit condamnant toute véritable ambition

S'interroger sur les résultats de France Ô oblige à s'intéresser aux moyens dont la chaîne disposait. Ce budget, dont l'évolution depuis 2015 est retracée ci-dessous, s'élève à moins de 25,2 millions d'euros en 2018, en baisse par rapport à 2016.

Si la comparaison est difficile du fait de contraintes différentes, il faut cependant noter que ce budget est inférieur à celui de plusieurs grandes stations La 1 ère comme celles de La Réunion ou de la Martinique.

Rapporté au coût de la grille de l'ensemble des antennes du groupe France Télévisions qui s'élevait en 2017 à 2,147 milliards d'euros 108 ( * ) , France Ô ne représente qu'à peine plus de 1 %.

Surtout, le coût de la grille de France Ô n'était pas exclusivement consacré aux programmes ultramarins. Aussi, si la part du budget destinée aux programmes ultramarins a bondi après le recentrage en 2016 de France Ô sur les outre-mer, atteignant 67 % aujourd'hui, il n'atteignait pas la moitié auparavant.

Ainsi, le budget réel de France Ô attribué à des programmes ultramarins atteignait en 2018 moins de 16,9 millions d'euros - soit moins de 0,8 % du coût de la grille de France Télévisions.

À titre de comparaison, le budget d'Arte était de 132,55 millions d'euros en 2017. Les deux chaînes parlementaires ont également à elles deux un budget supérieur à France Ô.

Différents producteurs ont fait état du caractère indigent de ce budget au regard de la mission de la chaîne . Avec un tel budget, aucun projet ambitieux ne peut ainsi être porté par la chaîne.

(en euros)

2015

2016

2017

2018

Programmes ultramarins

11 792 266 €

12 140 761 €

16 502 295 €

16 896 350 €

Autres

13 095 360 €

12 773 254 €

7 009 959 €

6 353 438 €

Sous-titrage, audiodescription, autopromotion

1 884 684 €

1 774 221 €

1 910 587 €

1 942 797 €

Budget total

26 772 310 €

26 688 236 €

25 422 841 €

25 192 585 €

% programmes ultramarins

44 %

45,5 %

65 %

67 %

Source : Réponse de France Télévisions au questionnaire des rapporteurs

3. Les taux d'audience : seule évaluation et principal chef de condamnation
a) Des audiences relativement basses aujourd'hui mesurées sommairement

La chaîne est régulièrement pointée du doigt pour le niveau de ses audiences. Dans leur communiqué, le Premier ministre et la ministre de la culture jugeaient 109 ( * ) ainsi que l'audience de la chaîne France Ô « reste encore trop confidentielle ».

France Télévisions 110 ( * ) indique qu'après une phase de test de mars à août 2014 avec 0,4 % de part d'audience moyenne, France Ô est intégrée dans la mesure d'audience quotidienne de Médiamétrie en septembre 2014 - Médiamat national quotidien. La chaîne est stable de septembre 2014 à décembre 2015 avec 0,6 % de part d'audience, puis progresse légèrement au premier semestre 2016 et atteint 0,8 %.

À partir de septembre 2016, France Ô voit son audience se resserrer progressivement, à 0,7 % sur la saison 2016-2017 puis 0,5 % sur la période de septembre à décembre 2017.

En 2017, France Ô réalise dans l'hexagone une part d'audience de l'ordre de 0,6 % en 2017, ce chiffre variant peu selon les régions hexagonales. La chaîne a rassemblé 55 000 téléspectateurs en moyenne sur la journée, pour 200 000 téléspectateurs en première partie de soirée.

La mesure des audiences de France Ô n'est cependant aujourd'hui plus aussi fine que celle des autres chaînes. L'audience de France Ô n'est en effet plus mesurée dans le Médiamat national quotidien depuis janvier 2018, pour des raisons budgétaires 111 ( * ) . La seule mesure aujourd'hui réalisée est faite mensuellement sur le Médiamat Thématik, un échantillon différent - jugé comparable par France Télévisions - 112 ( * ) , sur une base mensuelle ; l'audience par programme n'est plus mesurée.

Depuis cette date, France Ô affiche des scores plus faibles : 0,5 % pour le premier semestre 2018, puis 0,3 % sur la période septembre-décembre 2018 et au mois de janvier 2019 .

La simultanéité du décrochage avec le changement de méthodologie interroge sur les raisons à attribuer à celui-ci.

Évolution de la part d'audience (%) de France Ô

Source : Réponse de France Télévisions au questionnaire des rapporteurs

Il est important de noter cependant que les audiences sont très différentes outre-mer où ces scores d'audience sont systématiquement supérieurs, parfois de très loin, à ceux enregistrés dans l'hexagone. En 2012, les scores de France Ô atteignaient ainsi 6,3 % et 6,1 % respectivement à Mayotte et en Guyane. Les rapporteurs regrettent que seules les audiences hexagonales soient toujours seules citées, excluant les publics ultramarins sans doute considérés comme négligeables.

En 2018 113 ( * ) , les audiences par territoires étaient les suivantes :

Guadeloupe

Martinique

Guyane

La Réunion

Mayotte

Nouvelle-Calédonie

Polynésie française

1,8 %

1,2 %

3,8 %

0,6 %

4,6 %

1,5 %

3,4 %

À titre de comparaison, à Mayotte, en Guyane et en Polynésie française, la chaîne France Ô dépasse France 2 en termes d'audience .

Évolution de la part d'audience annuelle de France Ô depuis 2010 - 4 ans et plus

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

PDA 4+ (%)

PDA 4+ (%)

PDA 4+ (%)

PDA 4+ (%)

PDA 4+ (%)

PDA 4+ (%)

PDA 4+ (%)

PDA 4+ (%)

France Ô

n.a.

n.a.

n.a.

n.a.

0,5

0,6

0,8

0,6

Source : Réponse de France Télévisions au questionnaire des rapporteurs

Évolution de la part d'audience mensuelle de France Ô en 2017 - 4 ans et plus

Janvier-juin 2017

Été 2017

Septembre-décembre 2017

Évolution
septembre-décembre 2017 vs janvier-juin 2017

PDA 4+ (%)

PDA 4+ (%)

PDA 4+ (%)

PDA 4+ (%)

France Ô

0,7

0,7

0,5

-0,2

Source : Réponse de France Télévisions au questionnaire des rapporteurs

Évolution de la part d'audience globale de France Ô

Jour moyen Lundi-dimanche 3h-27h

Source : Réponse de France Télévisions au questionnaire des rapporteurs

Parts d'audience en outre-mer des chaînes La 1 ère et de France Ô

Source : Réponse de France Télévisions au questionnaire des rapporteurs - Source Médiamétrie - données disponibles cumulées en Novembre 2018

b) Analyse des audiences de France Ô sur la période 2015-2017

Selon France Télévisions, la chaîne présente durant la période de mesure quotidienne des performances homogènes qui permettent de dégager des tendances générales : la consommation de France Ô fait apparaître une domination nette de la fiction, du cinéma et du sport, « sans lien avec les enjeux ou thématiques des outre-mer », relève France Télévisions.

Le groupe observe que l'audience de la chaîne est fortement corrélée à celle des premières parties de soirée, avec lesquelles elle obtient ses meilleurs résultats, autour de 1 % de part d'audience, soit environ 200 000 téléspectateurs.

France Télévisions indique en outre que « la fiction donne à France Ô ses meilleures performances et la case cinéma du lundi est dans la moyenne haute (+/- 1,2 %), tandis que le magazine ”Investigatiôns“, le mercredi, et l'émission de documentaires ultramarins “Passion Outremer”, puis ”Histoire d'Outremer”, le dimanche s'installent autour de la moyenne basse de la chaîne (+/- 0,6 % soit 160 000 téléspectateurs) ».

Si les cases du samedi et du mardi présentent des résultats plus hétérogènes, le groupe précise également que le fond de grille en semaine et le weekend (07 h-20 h) affiche des résultats dans la norme , à 0,5 % en moyenne, avec une offre de documentaires, des rediffusions de « Plus belle la vie » ou encore la série « Cut ! », soulignant que ces programmes « s'articulent entre les deux rendez-vous d'information ”l'Infô midi” et ”l'Infô soir“ ».

Le weekend, France Ô propose le magazine sportif « Riding zone » en matinée et un bloc de fictions jeunesse ; des cases de rediffusions de fictions, de documentaires (Archipels), ou de débats (Lab.Ô, Flash talk...) viennent en outre compléter cette offre.

Au sein de la case du dimanche soir consacrée aux programmes ultramarins, d'abord avec « Passion Outremer », puis en alternance avec « Histoire d'Outre-mer », cette dernière émission, diffusée en première partie de soirée sur la saison 2016-2017 avant de basculer en deuxième partie de soirée, réunit environ 0,3 % de part d'audience en moyenne, sous les 100 000 téléspectateurs.

France Ô propose deux tranches d'information ultramarine en journée, « l'Infô midi », jusqu'en juin 2016, et « l'Infô soir ». Celles-ci « peinent à rassembler un large public » selon France Télévisions . « L'Infô midi » réunit ainsi 0,1 % de part d'audience en moyenne sur toute la période, soit moins de 10 000 téléspectateurs, et « l'Infô soir » varie entre 0,1 % et 0,3 % de part d'audience, soit quelque 30 000 téléspectateurs.

c) Les audiences : un critère biaisé

Les audiences constituent le principal argument d'attaque contre France Ô, mais ce débat apparaît biaisé.

Il est nécessaire de garder à l'esprit que France Ô demeure une chaîne relativement jeune sur la TNT, qui a évolué et tente de prendre son essor dans un contexte fortement concurrentiel, avec une ligne éditoriale peu mobilisatrice , ne favorisant pas les audiences. Il faut ensuite apporter une nuance à ces chiffres en raison du changement d'outil de mesure ; celle-ci n'est aujourd'hui plus que mensuelle et sans discernement possible des programmes. De plus, les dernières années analysées au quotidien, 2016 et 2017, constituaient les premières années du recentrage de France Ô sur les outre-mer.

Surtout, la seule évaluation d'une chaîne sous le prisme de l'audience ne paraît pas être saine pour le service public . France Ô n'a pas vocation à être leader en première partie de soirée, elle n'en a ni l'ambition ni les moyens. La question est de savoir si cette chaîne répond à un besoin de service public et d'en évaluer ensuite la réalisation.

À ce titre, Wallès Kotra relevait l'essentielle mission de service publique de la chaîne critiquée pour ses audiences. Il expliquait à la délégation 114 ( * ) que « France Ô peut sembler modeste avec une audience moyenne de 0,6 à 0,8 %. Elle a des moyens limités, une petite équipe et un budget modeste, mais elle assure une mission essentielle : la visibilité des outre-mer. Sans elle, beaucoup des événements que nous avons cités tout à l'heure seraient sans doute passés sous silence. Se reposerait alors cette question : "Peut-il y avoir une citoyenneté sans visibilité ?" ».


* 107 Audition de M. Franck Riester, ministre de la culture, le 17 janvier 2019.

* 108 « Chiffres clés » de France Télévisions, site internet du groupe.

* 109 Communiqué du 19 juillet 2018.

* 110 Réponse au questionnaire des rapporteurs.

* 111 L'avenant 2013-2015 au COM de France Télévisions annonçait déjà que « dans un contexte budgétaire plus contraint, le plan d'affaires associé au présent avenant n'intègre pas la souscription de France Ô au Médiamat quotidien ».

* 112 France Télévisions précise que le Médiamat Thématik « mesure l'audience des programmes mais uniquement chez les foyers recevant la télévision par satellite, ADSL, câble et fibre (soit près de 80 % de la population). Ses résultats sont très proches de ceux observés sur l'ensemble de la population et nous permettent d'assurer un pilotage des audiences depuis le début de l'année ».

* 113 Source : Médiamétrie - Enquête Métridom Antilles/Réunion vague avril-juin 2018 - Guyane Avril-Mai 2018 - vague annuelle pour Mayotte; Nouvelle-Calédonie et Polynésie française

Base individus 13 ans et plus, Lundi-Dimanche, 0h-24h.

* 114 Audition de M. Wallès Kotra, directeur exécutif en charge de l'outre-mer de France Télévisions, le 5 juillet 2018.

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