B. LES INSTRUMENTS DE LA COOPÉRATION PÉNALE

L'Union européenne s'est dotée de plusieurs dispositifs pour améliorer la coopération pénale entre les États membres, qui peuvent se répartir en trois catégories : les instruments d'entraide judiciaire, les législations d'harmonisation des infractions et sanctions pénales et les outils de coopération.

Selon un document d'ensemble établi, uniquement en anglais, par le Secrétariat général du Conseil, l'Union européenne dispose d' environ 60 textes applicables , principalement consacrés, d'une part, à la coopération judiciaire en matière pénale, et, d'autre part, au rapprochement du droit pénal matériel des États membres.

1. Les instruments d'entraide judiciaire pénale

L'Union européenne a adopté plusieurs instruments législatifs fondés sur le principe de reconnaissance mutuelle en matière pénale entre les États membres, qui permet aux décisions de justice rendues par un État membres d'être exécutées dans un autre comme les siennes. Il s'agit d'un principe essentiel au fonctionnement de l'espace judiciaire européen .

La Présidence roumaine du Conseil devrait présenter un rapport sur le renforcement de l'utilisation des instruments de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires dans l'Union européenne, qui constitue l'une de ses priorités. Ce rapport, qui devrait être adopté au Conseil JAI du mois de juin 2019, proposera une voie à suivre sur ce sujet. Son objectif est d'évaluer le cadre juridique actuel de l'Union européenne dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale afin de mesurer ce qui a été réalisé jusqu'à présent, de déterminer s'il y a des insuffisances ou des lacunes et d'examiner comment celles-ci pourraient être traitées efficacement.

Les principaux outils mis en place (ou en cours d'adoption) en la matière sont les suivants :

a) Le mandat d'arrêt européen

Le mandat d'arrêt européen 2 ( * ) , entré en vigueur le 1 er janvier 2004, permet à l'autorité judiciaire d'un État membre d'émettre un mandat d'arrêt sur le territoire d'un autre État membre en vue de l'arrestation d'une personne et de sa remise pour l'exercice de poursuites pénales ou l'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté privatives de liberté prononcées dans l'État d'émission. Ce mécanisme a remplacé les longues et aléatoires procédures d'extradition qui existaient entre les pays européens.

Du point de vue français, cinq éléments distinguent le mandat d'arrêt européen de la procédure d'extradition :

- il s'agit d'une décision purement juridictionnelle, sans phase administrative. La remise est ainsi accordée sur le fondement de la seule décision de l'autorité judiciaire de l'État d'exécution ;

- le contrôle de la double incrimination est supprimé quand les faits visés sont, aux termes de la loi de l'État membre d'émission, punis d'une peine d'emprisonnement d'au moins trois ans et inclus dans la liste des 32 catégories d'infractions établie à l'article 2 de la décision-cadre et commune à tous les États membres : il s'agit de la principale traduction du principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales et de confiance mutuelle ;

- la nationalité française de la personne recherchée ne constitue plus un motif de refus systématique de la remise ;

- la procédure de mandat d'arrêt européen impose que des délais brefs soient respectés. Ainsi, la décision définitive autorisant ou refusant la remise doit intervenir dans un délai de 60 jours à compter de l'arrestation de la personne recherchée ou 90 jours dans le cas où un recours est formé devant la Cour de cassation ;

- la prescription en France de l'action publique ou de la peine ne constitue plus un motif de refus, sauf si la personne pouvait être poursuivie et jugée en France pour les mêmes faits.

Conformément à l'article 32 de la décision-cadre du Conseil de 2002 relative au mandat d'arrêt européen, la France a effectué une déclaration selon laquelle, en tant qu'État d'exécution, la procédure de mandat d'arrêt européen est applicable en France uniquement pour les faits commis à compter du 1 er novembre 1993. Tout fait antérieur sera dès lors traité selon la procédure d'extradition.

Dans l'hypothèse de faits multiples commis avant et après le 1 er novembre 1993, la Cour de cassation a considéré, en 2004, qu' « il résulte de la combinaison de l'article 695-12 du code de procédure pénale, 215 de la loi du 9 mars 2004 et de la déclaration faite par le Gouvernement français conformément à l'article 32 de la décision-cadre qu'un mandat d'arrêt européen peut recevoir exécution lorsque la demande de remise pour l'exécution d'une peine privative de liberté concerne au moins un fait commis après le 1 er novembre 1993 ; en conséquence, encourt la cassation l'arrêt qui, pour refuser la remise, retient que les faits ont été commis, pour partie, avant le 1 er novembre 1993 et que la peine prononcée est indivisible » 3 ( * ) .

Le nombre de mandats d'arrêt européens délivrés est en constante augmentation (plus de 16 000 pour l'année 2015) et l'efficacité du dispositif est unanimement saluée par les autorités judiciaires . La France, la Pologne, l'Espagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas sont les États qui recourent le plus à cet instrument.

S'agissant plus particulièrement de la France, les données sont les suivantes :

2005

2006

2007

2008

2009

2015

2016

2017

Émis

1 914

1 552

1 028

1 184

1 240

1 131

1 306

1 271

Exécutés

162

237

345

400

420

455

484

446

Source : Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice.

Même si les statistiques exhaustives manquent, en raison d'échanges d'informations directs entre autorités judiciaires en matière de coopération pénale, et plus particulièrement pour les décisions d'enquête européennes échangées, les parquets et parquets généraux renseignent, depuis 2007, un questionnaire de la Commission européenne, qui comporte des rubriques précises couvrant tous les aspects de la mise en oeuvre du mandat d'arrêt européen, de son émission à son exécution. Ainsi, en 2017, 1 271 mandats d'arrêt européens ont été émis par les juridictions françaises et 376 d'entre eux ont donné lieu à une remise effective de la personne arrêtée aux autorités françaises. De son côté, en tant qu'État requis, la France a traité 643 mandats d'arrêt européens, dont l'exécution était demandée par d'autres États membres. 446 d'entre eux ont abouti à une remise de la personne arrêtée aux autorités requérantes. Le délai moyen entre l'arrestation de la personne et sa remise aux autorités requérantes est de 22 jours.

Selon une évaluation du fonctionnement du mandat d'arrêt européen, effectuée par la Commission européenne en deux temps, d'abord en 2007 puis en 2011, la mise en oeuvre de la décision-cadre de 2002 est un succès , en dépit d'un retard initial de transposition dans certains États membres - jusqu'à 16 mois en Italie - et de difficultés constitutionnelles dans deux États membres (Allemagne et Chypre). Dès 2007, le mandat d'arrêt européen était opérationnel dans l'ensemble des États membres. En 2011, la Commission a confirmé la réussite du mandat d'arrêt européen, mais relevé certaines imperfections et recommandé un suivi étroit constant. En effet, selon elle, la confiance dans l'application du mandat d'arrêt européen a été remise en cause par l'émission systématique de mandats d'arrêt européens en vue de la remise de personnes recherchées pour des infractions souvent très mineures. Néanmoins, la Commission n'a présenté aucune initiative législative consécutive à cette évaluation - et n'a donc pas cherché à « lisbonniser » le mandat d'arrêt européen - car elle a considéré que les difficultés de fonctionnement identifiées ne trouvaient pas leurs racines dans la décision-cadre, mais dans sa mise en oeuvre par les autorités judiciaires nationales.

Elle a dès lors privilégié une approche pragmatique, que l'on retrouve en particulier dans sa communication du 28 septembre 2017 présentant un manuel pratique de l'émission et de l'exécution d'un mandat d'arrêt européen 4 ( * ) , dans laquelle elle fait explicitement référence au principe de proportionnalité et précise qu'il est conseillé aux autorités judiciaires d'émission d'examiner si, dans la situation en cause, l'émission d'un mandat d'arrêt européen est proportionnée et si une mesure de l'Union moins coercitive ne permettrait pas de parvenir à un résultat adéquat. Ce manuel promeut également l'échange de bonnes pratiques, qui contribuera à développer une culture judiciaire commune parmi les magistrats européens.

b) La décision d'enquête européenne

La décision d'enquête européenne a été introduite par une directive du 3 avril 2014 5 ( * ) , entrée en vigueur le 22 mai 2017, aux fins de l' obtention de preuve en matière pénale .

Cet instrument se fonde sur le prononcé de décisions prises sous la forme de formulaires simplifiés communs à l'ensemble des États membres. Les décisions d'enquête émises permettent de solliciter la réalisation d'investigations sur le territoire d'un autre État membre, ainsi que l'obtention ou la sauvegarde d'éléments de preuve se trouvant déjà en sa possession.

c) La reconnaissance mutuelle des décisions de gel et de confiscation des avoirs criminels

La reconnaissance mutuelle des décisions de gel et de confiscation des avoirs criminels est assurée par un règlement adopté le 14 novembre 2018 6 ( * ) , qui vise à unifier les pratiques de reconnaissance mutuelle en la matière, jusqu'alors régie par deux décisions-cadre.

d) La reconnaissance mutuelle des sanctions pécuniaires

Une décision-cadre de 2005 7 ( * ) permet à une autorité judiciaire ou administrative de transmettre directement une sanction pécuniaire à une autorité d'un autre État membre et d'obtenir la reconnaissance et l'exécution de cette sanction, sans qu'aucune autre formalité ne soit requise.

2. Les instruments d'harmonisation du droit pénal matériel

L'Union européenne s'est dotée d'un ensemble de normes minimales tendant à l'harmonisation des incriminations et des sanctions dans ses domaines de compétence en matière pénale.

Elle a notamment adopté la directive 2017/541 relative à la lutte contre le terrorisme 8 ( * ) afin de disposer de règles minimales en termes de définition des infractions liées à des activités terroristes, et couvrir de façon plus large les comportements liés, en particulier, aux combattants terroristes étrangers, au financement du terrorisme, ainsi qu'aux personnes perpétrant des comportements punissables par l'intermédiaire d'Internet et des médias sociaux. Ce texte a également permis de mieux appréhender la nature transfrontalière du terrorisme et renforcer la coopération des États membres entre eux, ainsi qu'avec les agences et organismes compétents de l'Union en matière de lutte contre le terrorisme, et notamment Europol et Eurojust.

A également été adoptée la directive 2018/1673 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal 9 ( * ) visant à doter l'Union de règles minimales définissant les infractions et les sanctions encourues en matière de lutte contre le blanchiment d'argent (rapprochement des législations des États membres s'agissant des catégories d'infractions sous-jacentes dont le blanchiment doit être incriminé, fixation d'un seuil minimal de peine encourue, incrimination de l'auto-blanchiment).

Un projet de directive visant à remplacer la décision-cadre 2001/413/JAI du Conseil qui établit des règles minimales communes pour incriminer la fraude aux moyens de paiements autres que les espèces , qui ne suffit plus pour faire face aux évolutions technologiques telles que les monnaies virtuelles et les paiements mobiles, est par ailleurs en cours de négociation. Cette proposition vise à apporter des simplifications par un plus grand rapprochement des législations pénales nationales, notamment en établissant des définitions communes et un niveau minimal commun de sanction pour les peines encourues, ainsi que des règles de compétence plus claires, ou encore un rôle plus important et renforcé pour les points de contact nationaux et le partage de données et d'informations entre les polices nationales et avec Europol.

La direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice a également rappelé, au cours de son audition, qu'il existait plusieurs directives relatives aux garanties procédurales , adoptées dans le cadre du programme de Stockholm, sur le droit à l'interprétation et à la traduction (en 2010), le droit à l'information (2012), l'accès à un avocat dès la garde à vue (2013), la présomption d'innocence, la situation des mineurs ou encore l'aide juridictionnelle (2016).

Ces instruments législatifs sont de portée assez générale et nécessitent une transposition dans chaque État membre.

3. Les instruments de coopération judiciaire pénale

La coopération judiciaire pénale revêt plusieurs formes, mais se concrétise principalement dans le cadre d' Eurojust , mais aussi à travers divers réseaux européens de praticiens oeuvrant au dialogue entre les autorités judiciaires des États membres, notamment le Réseau judiciaire européen (RJE).


* 2 Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres.

* 3 Arrêt n° 5233 de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 21 septembre 2004.

* 4 Texte C(2017) 6389 final.

* 5 Directive 2014/41/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant la décision d'enquête européenne en matière pénale.

* 6 Règlement (UE) 2018/1805 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 concernant la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et des décisions de confiscation.

* 7 Décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil du 24 février 2005 concernant l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires.

* 8 Directive (UE) 2017/541 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme et remplaçant la décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil et modifiant la décision 2005/671/JAI du Conseil.

* 9 Directive (UE) 2018/1673 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2018 visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal.

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