C. CONTRAINDRE L'ÉTAT À PRENDRE SES RESPONSABILITÉS

Les mesures-ci-dessous ne peuvent évidemment être mises en oeuvre de façon concomitante. Elles se veulent des alternatives, les unes aux autres, afin que les commerçants et artisans puissent obtenir l'indemnisation, ou une compensation, de leurs pertes économiques.

1. Créer un fonds d'indemnisation national des pertes d'exploitation

Alors que le maintien de l'ordre public relève de sa compétence, le groupe de travail considère que l'État n'a que partiellement assumé ses responsabilités . Il a mal assuré sa mission régalienne et s'est défaussé sur les collectivités et chambres consulaires pour financer la prise en charge des pertes d'exploitation des entreprises alors que ces dernières étaient directement le fait de violences et débordements qu'il n'a su ni anticiper, ni stopper.

L'indemnisation directe des pertes d'exploitation est la mesure la plus demandée par les commerçants . Elle répond au mieux à la nécessité de préserver leur trésorerie, de leur permettre de faire face aux échéances sociales et fiscales et évite la dégradation tant de la qualité de leur dossier bancaire que des relations avec leurs fournisseurs. Elle préserve l'emploi et atténue les risques personnels et professionnels courus par l'employeur.

En outre, choisir de ne pas répondre à cette requête entraîne des modalités d'indemnisation hétérogènes selon le lieu d'implantation des entreprises sur le territoire . Toutes les villes et régions n'ont en effet pas mis en place de tels fonds, ou l'ont fait selon des critères d'éligibilité différents.

Il importe pour l'avenir que les entreprises puissent être indemnisées par l'État.

Recommandation n° 4

Le groupe de travail préconise de mettre en place un fonds national de compensation des pertes d'exploitation en cas d'atteintes répétées et violentes à l'ordre public dont l'enveloppe reste à définir. En cas de recours indemnitaire parallèle, l'octroi de ces fonds pourrait être suspendu dans l'attente de l'issue du recours.

L'intervention de ce fonds serait déclenchée en cas de préjudices économiques graves et persistants (par exemple, si les préjudices durent plus de deux mois), sur décision du ministre chargé de l'économie et des finances. L'examen et l'instruction des dossiers pourraient être confiés aux chambres consulaires et la décision d'octroi des fonds revenir à la Direction générale des entreprises.

Des critères d'éligibilité devraient être définis. Le groupe de travail propose ainsi que le fonds soit activé pour les entreprises réalisant moins de 3 millions d'euros de chiffre d'affaires et enregistrant des pertes de plus de 15 % de ce dernier sur une période supérieure à 3 mois. Le montant maximal d'indemnisation, qui ne peut naturellement être égal au montant exact des pertes, pourrait être défini par catégorie d'entreprise (TPE-PME-ETI-GE 78 ( * ) ) et serait dégressif.

2. Automatiser l'exonération fiscale de certains droits directs et permettre à l'État de recouvrer ces montants si l'activité de l'entreprise revient à son niveau initial

La remise de droits directs (notamment IS et CFE) n'intervient aujourd'hui qu'une fois que deux autres mesures fiscales ont échoué à préserver la santé économique de l'entreprise : le délai de paiement et le report de paiement . Or ces deux mesures, en cas de très graves préjudices comme ceux subis aujourd'hui, ne font que repousser le problème , et peuvent même l'aggraver en créant un double paiement au moment de l'échéance du report. La date effective du paiement est en effet calculée à partir d'un critère quantitatif (nombre de mois de report) et non un critère qualitatif (capacité de l'entreprise à s'acquitter de cette dette fiscale).

Il est nécessaire de soulager durablement et fortement la trésorerie des artisans et commerçants impactés. Toutefois, il importe que le recouvrement de l'impôt par l'État et le financement des politiques publiques ne soient pas mis en danger. Un juste milieu entre report de paiement et remise de droit peut être trouvé , inspiré de la clause de « retour à meilleure fortune » par laquelle un créancier abandonne sa créance sauf si le débiteur est à nouveau en mesure de s'acquitter du règlement.

Recommandation n° 5

Le groupe de travail préconise pour l'avenir qu'en cas de préjudices économiques de cette ampleur, les entreprises puissent bénéficier d'un report de paiement de leurs dettes fiscales jusqu'à ce que leur niveau d'activité atteigne un niveau considéré comme suffisant pour exiger le paiement des dettes fiscales sans mettre en danger leur pérennité . Le niveau d'activité jugé comme suffisant pourrait être situé à 90 % du chiffre d'affaires moyen enregistré l'année précédant l'apparition des préjudices économiques.

3. Subventionner la souscription de clauses « perte d'exploitation sans dommage matériel » dans les contrats d'assurance

Peu d'entreprises souscrivent à une telle clause en raison de son coût élevé . Afin d'être en mesure de se prémunir au mieux des risques de perte d'exploitation liés à des évènements extérieurs (restriction administrative de circuler, par exemple), un « coup de pouce » de l'État pourrait être accordé aux PME afin qu'elles puissent se couvrir. Un tel dispositif s'inspirerait de ce que l'État a mis en oeuvre pour aider les agriculteurs à souscrire un contrat d'assurance récoltes.

En contrepartie, les assurances pourraient être amenées à faire évoluer les critères d'activation de cette clause. Aujourd'hui, cette garantie joue en cas de décision administrative de fermeture ou d'interdiction de circuler ou en cas, par exemple, d'incendie dans le voisinage. Or, la majorité des fermetures de commerce à titre préventif ont lieu à la suite de recommandations préfectorales orales ou écrites et non pas d'actes administratifs. Les préfectures pourraient à l'avenir recommander publiquement et officiellement ces fermetures ; en parallèle, les assurances intégreraient aux critères d'activation de la clause « perte d'exploitation sans dommage » ce type de recommandations.

Recommandation n° 6

Le groupe de travail préconise de prévoir un mécanisme de prise en charge par l'État d'une partie de la prime d'assurance liée à la garantie « perte d'exploitation sans dommage matériel » afin d'encourager les PME à souscrire cette clause.

En parallèle, il est proposé que les assurances fassent évoluer les critères d'activation de cette clause afin d'y intégrer les recommandations publiques et officielles des préfectures visant à inciter les entreprises à interrompre leur activité .

4. Faciliter l'engagement de la responsabilité de l'État

L'engagement de la responsabilité de l'État du fait des attroupements et rassemblements se heurte aujourd'hui à plusieurs obstacles. La rédaction de l'article L. 211-10 du code de sécurité intérieure est à l'origine d'incertitudes juridiques débouchant sur une abondante jurisprudence sur le caractère prémédité ou non des violences, le nombre de participants aux débordements ou encore l'encadrement du rassemblement à l'occasion duquel ces agissements ont eu lieu . Ces jurisprudences successives présentent un caractère restrictif et sont susceptibles d'écarter ce régime de responsabilité de l'État alors même qu'elle ne fait que peu de doute . Par ailleurs, un tel recours nécessite obligatoirement le conseil d'un avocat. Or, le seuil de ressources en-dessous duquel l'aide juridictionnelle est accordée est faible et cette aide est réservée aux personnes physiques.

Recommandation n° 7

Le groupe de travail préconise de faire évoluer l'article L. 211-10 du code de sécurité intérieure relatif à la responsabilité de l'État du fait des attroupements dans le sens d'une clarification de ses dispositions . La sécurité des personnes et des biens étant de la compétence de l'État et la première des libertés, sa responsabilité pourrait ainsi être engagée sur ce fondement dès lors que des manifestations déclarées et autorisées dégénèrent à plusieurs reprises dans un même secteur .

En cas d'un tel recours, et si le fonds national d'indemnisation de la recommandation n° 4 est mis en oeuvre, l'octroi d'indemnisations par ce fonds pourrait être suspendu dans l'attente de l'issue du recours.

Le groupe de travail propose également de réfléchir à la possibilité d'une protection juridique par les assurances sous forme d'une prise en charge financière des frais engagés par le requérant à l'occasion d'un tel recours lié à ce sinistre, sur le modèle de la « garantie défense recours ».


* 78 Grandes entreprises.

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