II. COMPTE RENDU DES AUDITIONS EN RÉUNION PLÉNIÈRE

A. AUDITION DE M. ROBERT VAUTARD, DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE (CNRS), LABORATOIRE DES SCIENCES DU CLIMAT ET DE L'ENVIRONNEMENT - INSTITUT PIERRE-SIMON LAPLACE DES SCIENCES DE L'ENVIRONNEMENT (LSCE-IPSL) - MERCREDI 6 FÉVRIER 2019

M. Michel Vaspart , président . - Mes chers collègues, nous débutons aujourd'hui nos auditions. Je vous rappelle que le Sénat a constitué une mission d'information sur la gestion des risques climatiques et l'évolution de nos régimes d'indemnisation à l'initiative du groupe Socialiste et républicain. Notre collègue Nicole Bonnefoy en est la rapporteure.

L'objectif principal de cette mission d'information est d'identifier et d'analyser les difficultés liées à l'indemnisation des sinistres résultant des aléas naturels de forte intensité et de proposer des solutions pour y remédier. Nos réflexions intègrent également des mesures de nature préventive, dès lors qu'elles permettent de limiter les conséquences des aléas naturels et donc de maîtriser les besoins d'indemnisation.

Bien évidemment, le point de départ de notre réflexion est le risque de multiplication et d'intensification de ces aléas naturels de forte intensité, en raison du changement climatique.

Nous sommes donc heureux de recevoir un expert sur ce sujet en la personne de M. Robert Vautard, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE) et à l'Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL), qui étudie ces phénomènes.

Je précise à cette occasion que nos travaux seront bien sûr coordonnés avec ceux de la délégation sénatoriale aux outre-mer qui mènent des investigations sur la même thématique dans nos territoires ultramarins.

Je cède toute de suite la parole à Nicole Bonnefoy, après quoi je propose que M. Vautard nous fasse un exposé liminaire d'une dizaine de minutes avant de passer aux questions de nos collègues.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure . - Dans le cadre rappelé par mon collègue Michel Vaspart, nous avons effectivement choisi de commencer nos travaux par un état des lieux, portant tout d'abord sur les aléas à l'origine des sinistres à indemniser.

Comme vous le savez, nous avons plusieurs questions concernant ces aléas. Elles concernent à la fois la situation actuelle et l'avenir.

Par exemple, quelles évolutions historiques des risques naturels observe-t-on en termes de fréquence et d'intensité ? Dès lors que nos travaux sont centrés sur l'indemnisation des sinistrés, la quantification du risque est un élément important.

De même, dans quelle mesure ces évolutions sont-elles causées par ou corrélées au changement climatique, et quels sont alors les mécanismes scientifiques à l'oeuvre ?

Enfin, quant à l'avenir, qu'est-il d'ores et déjà possible d'anticiper ?

Nous entendons parfois dire qu'au-delà d'une évolution quantitative, c'est la nature même des risques ou leur localisation qui pourraient changer. Pour avoir un éclairage scientifique sur ces questions, nous avons souhaité débuter nos auditions avec vous M. Vautard et nous vous remercions d'avoir accepté dans un délai si bref.

M. Robert Vautard, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement - Institut Pierre-Simon Laplace. - Mesdames, Messieurs les Sénateurs, vous me voyez ravi d'être parmi vous pour parler de mon travail et du travail de la communauté scientifique qui m'entoure. Il est important de pouvoir communiquer les résultats de nos travaux ici au Sénat.

Je suis directeur de recherche au CNRS et au LSCE qui fait partie de l'Institut Pierre-Simon Laplace dont la vocation est d'étudier le climat. Je suis également coordinateur d'un des chapitres du sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) qui sortira en 2021. Le chapitre que je coordonne a trait précisément à la quantification des aléas pour mieux prévenir les risques futurs liés au changement climatique. Je vais me limiter à mon domaine d'expertise qui est la nature physique du climat et du changement des aléas et non pas la façon de gérer les politiques climatiques.

Tout d'abord, les différents rapports du GIEC rappellent que les changements de long terme du climat, qu'ils soient sur plusieurs décennies ou plusieurs siècles, sont dus en premier lieu à des variations naturelles aléatoires ou sous l'influence du soleil et du volcanisme mais aussi aux variations liées à l'accroissement des gaz à effet de serre (GES) et, en général, aux effets de l'homme sur l'environnement.

La communauté scientifique estime que ces perturbations dues au développement de l'humanité ont contribué de façon significative au réchauffement climatique que l'on observe, aujourd'hui estimé à 1°C, plus ou moins 0,2°C, par rapport à l'ère préindustrielle à partir de la moitié du XX ème siècle. Avant, il est difficile de déceler la trace de l'homme sur le climat. Aujourd'hui, cette empreinte est parfaitement claire. Il est impossible aujourd'hui de l'expliquer par les seuls mécanismes naturels et sans faire intervenir l'accroissement des GES. Sur ce point, tous les modèles aboutissent aux mêmes conclusions.

Depuis cette période, les observations liées au changement climatique et les résultats des simulations sont en parfaite adéquation. Accroissement des températures atmosphériques et océaniques, fonte des glaciers et de la banquise, augmentation graduelle du niveau des mers et réduction de la couverture nuageuse : tous ces phénomènes sont expliqués par ces changements du climat.

L'océan stocke au fil du temps plus de 90 % de l'excédent d'énergie résultant de l'augmentation de la concentration atmosphérique des GES. Si les océans répondent clairement à cette perturbation de façon, comme en témoigne la montée régulière de leur niveau, la variation globale des températures est quant à elle plus irrégulière. On peut observer des fluctuations d'une année à l'autre voire d'une décennie à l'autre. C'est pourquoi il est difficile d'estimer le changement climatique si l'on regarde seulement quelques décennies.

Au rythme actuel de réchauffement climatique, l'écart de température atteindra 1,5°C avant le milieu du XXI ème siècle et 2°C après le milieu du XXI ème siècle si le réchauffement se poursuit à sa vitesse actuelle.

Ce réchauffement a des conséquences globales mais aussi régionales. On observe un réchauffement dans toutes les régions du monde, en Europe et en France tout particulièrement. Mais il est trois fois plus important dans les régions arctiques compte tenu des réponses des différents systèmes comme la banquise et les systèmes océaniques, et cela pose des problèmes importants pour la biodiversité.

Le réchauffement climatique induit donc des perturbations sur tous les continents mais je vais essayer de centrer mon exposé sur l'Europe et la France.

La question des risques liés au changement climatique ne doit pas être seulement appréhendée via les changements que connaît le climat. En effet, un risque résulte du croisement d'un aléa, d'une exposition et d'une vulnérabilité. Si une vague de chaleur touche une région inhabitée par exemple, elle occasionnera moins de risques que si elle touche une région habitée. On observe des tendances très claires pour certains types de phénomènes et d'autres moins claires, voire inexistantes, pour d'autres phénomènes.

Partout dans le monde, il y a une intensification de la fréquence, de l'intensité et de la durée des vagues de chaleur. Dans plusieurs régions du monde, et dans plusieurs régions françaises, on observe une augmentation de la fréquence et de l'intensité des précipitations extrêmes. On constate également une diminution des vagues de froid. Même s'il reste des événements de forte intensité, comme aux États-Unis récemment ou en Europe en 2012 par exemple, leur fréquence diminue tendanciellement.

On observe également dans l'Atlantique Nord une augmentation de l'intensité des ouragans. Cette augmentation est complexe à expliquer.

En dehors de ces phénomènes, il est souvent difficile d'observer une tendance très claire. Cela est dû non pas à l'absence de tendance mais à l'absence de données fiables et homogènes sur une durée suffisamment longue. Ce n'est pas parce que l'on n'observe pas de tendance qu'il n'y en a pas ! Parfois on ne peut simplement pas l'observer avec nos moyens actuels.

Pour le passé plus récent, durant les deux dernières décennies en Europe, on constate une répétition de grandes vagues de chaleur. D'abord en 2003, en 2006 et, depuis 2015, tous les étés connaissent une vague de chaleur qui peut se manifester au Nord de la France, par exemple en 2018, ou au Sud de la France comme en 2017 avec un pic début août qui a dépassé les 42°C à Nîmes. Ces phénomènes ne se manifestent pas toujours au même endroit mais apparaissent depuis 2015 en France tous les ans.

On note également un grand nombre de phénomènes de pluies extrêmes avec des catastrophes liées aux inondations qui en découlent. Il faut distinguer plusieurs catégories parmi ces aléas. D'abord, des inondations pluviales résultant de fortes pluies au cours de quelques heures peuvent se manifester dans une ville où les surfaces ne permettent pas l'évacuation d'une quantité d'eau importante. Ensuite, les inondations liées à la crue d'une rivière compte tenu de pluies régulières sur plusieurs jours ou semaines - c'était le cas des inondations de la Seine en 2016. Enfin, les inondations côtières, d'un tout autre type, qui s'expliquent par des montées du niveau de la mer dues à une conjonction de tempêtes, de grandes marées et de vagues dans un contexte global d'augmentation moyenne du niveau des océans.

Les vagues de froid sont, elles, moins nombreuses mais restent encore présentes.

Sur ces tendances observées, on dit souvent que les coûts des catastrophes naturelles sont en augmentation. Cela est probablement vrai mais il faut faire très attention aux interprétations de ces données car le coût des catastrophes naturelles augmente aussi parce qu'il y a plus de biens assurés qu'auparavant... Les parts liées au changement climatique et aux assurances restent encore à déterminer.

Sur les sécheresses, il n'existe pas aujourd'hui de tendance marquée lorsqu'on regarde les observations de pluie ou d'humidité des sols. Ces sécheresses dans les observations sont peu remarquables mais Météo-France a construit un indice de sécheresse et de risque pour les feux qui montre que ces indices sont en évolution compte tenu des mouvements de température, qui augmentent mécaniquement les phénomènes d'évaporation.

Pour le moment, je parlais de l'observation des tendances. Maintenant, comment peut-on les expliquer et dans quelle mesure sont-elles liées au changement climatique ?

Pour évaluer les effets du changement climatique sur ces tendances, il faudrait idéalement disposer d'une planète avec la perturbation humaine et d'une autre planète sans perturbation humaine. Mais nous disposons de modèles qui, bien qu'ils soient imparfaits, donnent des informations intéressantes.

On sait aujourd'hui que la responsabilité humaine dans l'évolution des vagues de chaleur est très importante. Elle est démontrée : par exemple, la vague de chaleur de l'été 2017 a aujourd'hui une période de retour estimée à 10 ans. Sans l'action de l'homme sur le climat, cette période de retour aurait dû être dix fois plus élevée, c'est-à-dire être un événement extrêmement rare, de fréquence centennale. C'est donc un évènement exceptionnel qui a occasionné sécheresse, pertes agricoles et autres dégâts. Mais aujourd'hui, il a une fréquence estimée à une fois tous les dix ans. Nous estimons aussi que dans un climat plus chaud de 2°C, ce type de vagues de chaleur deviendrait la norme puisqu'elle apparaîtrait un été sur deux. Ce qu'on a vu dès l'été 2018 dans le Nord de l'Europe avec un nombre record de journées au-delà de 30°C, notamment dans le Nord de la France.

Les pluies intenses (200 mm par jour ou plus) ont une augmentation d'intensité de 20 % depuis le milieu du dernier siècle. Cette augmentation d'intensité est liée au changement climatique. Une étude a montré que la probabilité des pluies printanières sur trois jours, comme celles qui ont provoqué la crue de la Seine en 2016, a augmenté avec le changement climatique d'un facteur 2. Tous les modèles le montrent.

Pour les vagues de froid, il n'y a pas encore d'étude précise même si on sait que dans le futur elles devraient diminuer.

Pour tous les autres phénomènes, il est très difficile de lier les évolutions observées au changement climatique. Le GIEC est extrêmement prudent sur cette question. Sur les cyclones et les ouragans des Caraïbes, on observe, certes, une augmentation du nombre d'ouragans les plus intenses mais il est impossible de lier cette évolution au changement climatique de façon claire.

Si l'on doit se projeter dans l'avenir, le futur ressemble beaucoup aux connaissances actuelles. Les pluies extrêmes et les vagues de chaleur seront en augmentation dans beaucoup de régions du monde, en France en particulier. C'est une évolution pour laquelle il y a très peu d'incertitude si ce n'est sur l'amplitude et le décalage de fréquence. Pour les sécheresses, il est probable que les sécheresses agricoles seront en augmentation du simple fait du changement de température. Avec des températures plus élevées, une évaporation plus importante et sans pluie supplémentaire, les sécheresses augmenteront. Pour les vagues de chaleur, une forte augmentation dans toutes leurs dimensions est à prévoir pour le siècle qui vient. Une diminution de la fréquence des vagues de froid est à attendre mais leur intensité pourrait rester importante.

Pour les orages et les épisodes de grêles, il très difficile de répondre à cette question car la science n'est pas assez mûre pour donner des réponses précises sur l'évolution à attendre.

Pour les incendies, les indices de risques de feux météorologiques donnent des évolutions vers des risques plus forts mais nous savons que ces risques dépendent aussi de la prévention et du comportement humain, donc cela ne signifie pas nécessairement que les feux augmenteront. D'ailleurs, ils n'ont pas connu d'augmentation notable dans le passé récent.

Pour les ouragans, le dernier rapport du GIEC dit que l'intensité des ouragans et des cyclones devrait augmenter : il faut s'attendre à des phénomènes plus violents encore. Par ailleurs, avec l'élévation du niveau des mers, des problèmes d'inondations côtières sont à attendre quelle que soit l'évolution de l'intensité des cyclones.

Enfin, la question des actions à mener contre ces phénomènes ne relève pas de mon domaine d'études. Il me semble toutefois que pour se prémunir des risques à venir, on ne peut se satisfaire des observations passées uniquement. Pour calculer les périodes de retour de crue, les observations du passé sont déjà dépassées. Il est par conséquent important de prendre en compte les observations passées mais également les modélisations qui sont faites de tous les phénomènes dont nous avons parlés pour établir des plans pour l'avenir.

Les pluies extrêmes et les vagues de chaleur ne nous lâcheront pas. Il faudra s'en prémunir. Se prémunir non pas d'un été 2003 mais d'un été encore plus chaud. Il faut que ces plans prennent en compte des phénomènes qui n'ont pas encore été rencontrés.

Il faut développer une meilleure communication entre les acteurs de la société civile, les industriels et les chercheurs. La science du climat est complexe. Les incertitudes sont importantes et il est souvent difficile d'interpréter des données qui seraient livrées sans interprétation et décodage par les spécialistes.

Il est important également de développer la formation des jeunes sur la question du changement climatique, particulièrement via les manuels scolaires. Or aujourd'hui, nous chercheurs, avons l'impression que ces questions ne sont pas correctement prises en compte dans ces documents.

M. Michel Vaspart , président . - Merci. Dans le cadre de la France et de l'Europe, vous avez dit que les vagues de froid sont moins nombreuses. L'actualité nous montre qu'une vague de froid intense sévit aux États-Unis, probablement comme jamais il n'y en eut. Est-ce que ce cas particulier est, selon vos analyses, dû au changement climatique ?

M. Robert Vautard. - Il est difficile de donner des résultats scientifiques aussi rapidement. Néanmoins, nous essayons de faire des attributions en temps réel des phénomènes extrêmes. Pour cette vague de froid américaine actuelle, la communauté scientifique est encore divisée sur l'influence du changement climatique. Deux questions se posent. D'une part, est-ce que cette vague de froid témoigne d'une absence d'évolution du nombre de ces phénomènes dans le temps ? D'autre part, cette vague de froid est-elle liée au changement climatique lui-même ? À la première, l'évolution des vagues de froid sur grande durée connaît une diminution et ce n'est pas un évènement précis qui modifiera cette tendance. La question que la communauté scientifique se pose aujourd'hui est de savoir si le changement climatique ne fait pas augmenter l'intensité et la fréquence des vagues de froid par différents mécanismes, notamment le réchauffement plus important de l'Arctique qui crée des anticyclones apportant des vagues de froid plus intenses sur les latitudes tempérées. C'est encore une hypothèse non démontrée aujourd'hui.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure. - Merci pour votre exposé qui nous accable en montrant l'impact de l'homme sur le changement climatique et ses conséquences. Cette mission d'information est là pour mettre en lumière les problématiques liées à l'indemnisation et à la réparation du préjudice que l'homme a subi. Et c'est intéressant car c'est l'homme lui-même qui a provoqué la catastrophe ! Il faut indemniser, bien sûr, mais il faut aussi prévenir et que l'homme change de comportement. Le monde scientifique tire la sonnette d'alarme depuis trente ans et, comme vous le disiez dans votre conclusion, on voit que les jeunes ne sont pas suffisamment formés ou sensibilisés à ces questions. Cela montre l'importance de cette mission d'information qui pourra tirer un signal d'alarme supplémentaire sur ces questions. Notre mission ne changera pas la tendance mais pourra contribuer à faire passer le message et c'est une nécessité.

Mme Nelly Tocqueville . - Vous avez présenté trois types d'inondations. Avez-vous pu évaluer l'impact de ces crues futures en matière d'aménagement du territoire ? Parmi les espaces les plus durement touchés, il s'agit de zones construites qui seraient aujourd'hui pour la plupart interdites de construction.

M. Guillaume Gontard . - Depuis un ou deux ans, nous avons concrètement vu que le lac d'Annecy s'est vidé tout comme d'autres lacs à côté. Des glaciers disparaissent. Un autre indicateur le prouve : on produit moins d'électricité d'origine renouvelable en 2017 malgré les augmentations en énergie solaire car la production hydroélectrique a baissé en raison du manque d'eau. Concernant cette évolution des ressources en eau, avez-vous des estimations ?

M. Marc Daunis . - On n'a pas de « planète témoin » comme vous le rappelez. Dès lors, y a-t-il des éléments de modélisation qui sont mis en commun, au-delà des travaux du GIEC, entre les différents organismes mondiaux de recherche ? Travaillez-vous sur des modèles qui évoluent avec la lutte contre le changement climatique ? Et y intégrez-vous les actions correctives que l'homme tente de mettre en place pour lutter contre le changement climatique ?

Pensez-vous que nous sommes face à des changements climatiques qui sont d'une telle ampleur que des actions locales n'ont aucun effet ? La question centrale sera-t-elle davantage d'indemniser et de prendre en compte les risques ou pensez-vous qu'il y a des micro-secteurs géographiques où, en fonction des risques, il peut y avoir une intervention humaine qui amène des résultats concrets ?

Mme Evelyne Perrot . - Ma question rejoint celle de Nelly Tocqueville. Vos travaux sont-ils communiqués au niveau des directions départementales des territoires (DDT) pour l'aménagement dans les communes ? Les diamètres des canalisations d'eau fluviale sont-ils adaptés en conséquence de ce qui va arriver ?

Mme Victoire Jasmin . - J'aimerais savoir si les données que vous avez sont utilisées par les dirigeants au niveau national et international. Pour avoir travaillé au sein de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur le sujet, nous avons vu les limites des assurances face à l'impact croissant des catastrophes naturelles. Les données servent-elles aussi à assurer une meilleure adaptation des politiques d'aménagement du territoire, notamment sur son volet financier ? Êtes-vous sollicités pour la formation des enseignants et est-ce que les rectorats et le Ministère de l'éducation nationale intègrent vos préconisations ?

M. Michel Magras . - Mon métier était d'enseigner les sciences et vie de la Terre. Je me réjouis aujourd'hui que toutes les études convergent pour reconnaître la part de responsabilité humaine tout en retenant que nous ne sommes pas les seuls responsables puisque le changement de climat a toujours existé. Mais je ne suis pas pessimiste. La prise de conscience est réelle et c'est déjà une opportunité pour nous obliger à changer de politiques afin qu'elles soient plus respectueuses des ressources et de l'environnement. Je ne peux pas dire que cela va inverser la tendance mais cela peut en tout cas ralentir le phénomène.

J'attire votre attention sur la place des outre-mer au regard des phénomènes que vous avez décrits, surtout celui de la montée des eaux. Les territoires ultramarins, dont la Polynésie française et ses 118 îles dont certaines sont très basses, nécessitent une mobilisation car certains de ces territoires vont disparaitre. C'est une problématique pour nous élus de collectivités insulaires : seuls, on ne pourra pas inverser la tendance. Notre rôle est d'anticiper. Et c'est le sens de la démarche de la délégation sénatoriale aux outre-mer qui analyse les données et fait des préconisations pour voir comment les politiques doivent s'adapter. Il ne faut donc pas les oublier dans le rapport de notre mission d'information, comme cela a été malheureusement le cas dans un récent rapport sur l'exposition au cancer au niveau national. Cela fait 3,5 millions d'oubliés.

M. Daniel Gremillet . - Quand on reprend l'histoire, il semblerait que la calotte glaciaire a déjà évolué, ce qui a eu des impacts climatiques importants. A-t-on une idée comparative entre ce qu'il s'est passé lors de ces périodes et ce qui est en train de se passer aujourd'hui ?

M. Robert Vautard. - Dans le passé, on a eu des climats plus chauds d'environ 5°C par rapport à aujourd'hui à cause de la modification de l'orbite terrestre. Il y a 120 000 ans, le Groenland avait presque complétement fondu, ce qui a occasionné un niveau des mers d'environ 7 mètres plus élevé qu'aujourd'hui. Les conséquences étaient bien entendues très importantes. Toutefois, même si un climat plus chaud a déjà eu lieu, la rapidité avec laquelle le climat évolue aujourd'hui est sans précédent. Pour rencontrer une teneur en GES identique à celle d'aujourd'hui, il faut remonter à plusieurs millions d'années. Et 5°C en 100 ans, c'est extrêmement rapide pour le climat et l'évolution des espèces. L'enjeu n'est pas tellement dans l'amplitude mais bien dans la rapidité des changements observés et attendus.

En outre, lorsque l'on parle de la pollution atmosphérique par les particules, on peut se dire qu'on aura un jour des voitures et des véhicules propres qui n'en émettront plus et à ce moment-là, en quelques semaines, il n'y aura plus de pollution à particules. Or l'arrêt de l'émission des GES ne fait pas revenir les températures à leur niveau initial. Cela les stabilisera au mieux pendant des siècles ou des millénaires. Il y a donc une forme d'irréversibilité dans le phénomène. Nous aurons à nous adapter quoiqu'il arrive au changement climatique et il faut essayer d'en limiter l'amplitude.

Cela m'amène aux actions locales par rapport à ce phénomène qui nous dépasse. Comment agit-on ? On peut agir par des soins palliatifs ou par un traitement de fond. L'adaptation c'est le traitement palliatif. Réduire les GES, c'est un traitement de fond. La seule façon d'y arriver est d'engager l'ensemble de la société, ce que rappelle le dernier rapport du GIEC. Bien sûr, une action personnelle ou locale n'a que peu de poids dans cet ensemble mais si tout le monde dit cela, on n'y arrivera pas.

En revanche, l'adaptation, par exemple en construisant des infrastructures permettant d'améliorer la résilience à ces phénomènes, est locale et peut se faire à l'échelle d'une ville par exemple. J'entendais récemment un maire d'une commune du Sud-Est rappeler que les inondations de sa commune s'expliquaient par le changement climatique mais aussi par les aménagements réalisés en amont. La problématique ne doit donc pas être uniquement traitée au niveau d'une commune mais bien à l'échelle d'un bassin. Les secteurs d'activité peuvent également se doter de plans d'actions tout comme les États.

Les régions méditerranéennes sont en première ligne des problèmes de ressources en eau tant pour l'agriculture que pour l'énergie. Plus largement, les régions du Sud de la France seront exposées à davantage d'aléas que le Nord de la France, tout comme les régions de montagne, pour d'autres raisons. On estime par exemple qu'avec un climat plus chaud de 2°C, la durée de l'enneigement sera réduite d'un mois, avec les implications touristiques et économiques que l'on peut imaginer. Des maires dans les Cévennes m'ont informé qu'ils tentaient de transformer leurs stations pour réduire leur dépendance au ski.

Dans nos modèles, nous travaillons sur des scénarios avec ou sans prise en compte des politiques climatiques. C'est pourquoi le scénario le plus ambitieux en termes d'actions menées, notamment en matière de géo-ingénierie par exemple en retirant directement du CO 2 de l'atmosphère, nous conduit à un climat d'environ 1,5°C plus chaud qu'aujourd'hui.

Enfin, la communication est insuffisante. Nous sommes une centaine de climatologues en France aujourd'hui et n'avons pas les moyens de mieux faire circuler nos résultats.

M. Michel Vaspart , président . - Merci très sincèrement pour cette audition et pour vos réponses claires et complètes à nos questions.

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