B. AUDITION DE DE MM. BERTRAND LABILLOY, DIRECTEUR GÉNÉRAL DES RÉASSURANCES ET DES FONDS PUBLICS, ET THIERRY COHIGNAC, DIRECTEUR DU DÉPARTEMENT ÉTUDES TECHNIQUES ET RÉASSURANCES PUBLIQUES, DE LA CAISSE CENTRALE DE RÉASSURANCE (CCR) - MERCREDI 6 FÉVRIER 2019

M. Michel Vaspart , président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions. Pour rappel, le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, dit régime « CatNat », est placé au centre des travaux de notre mission. En effet, depuis plusieurs années, des sinistrés signalent des problèmes de prévisibilité et de transparence dans la mise en oeuvre de ce dispositif d'indemnisation, qui les placent souvent dans des situations matérielles particulièrement difficiles.

Nous sommes donc particulièrement heureux de recevoir les représentants de la Caisse centrale de réassurance (CCR), qui joue un rôle central dans la mise en oeuvre du régime CatNat, à savoir M. Bertrand Labilloy, directeur général, et M. Antoine Quantin, directeur des réassurances et des fonds publics.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure. - Dans le cadre rappelé par notre président, nous avons choisi de commencer nos travaux par un état des lieux qui porte à la fois sur les risques eux-mêmes et sur les outils d'indemnisation dont notre pays dispose aujourd'hui. Nous avons donc plusieurs questions concernant le régime des catastrophes naturelles et la Caisse centrale de réassurance.

Tout d'abord, pourriez-vous nous rappeler comment fonctionne le dispositif CatNat ? Quel est le bilan chiffré de son utilisation ?

Puisque notre mission est centrée sur les victimes, nous entendons souvent des reproches quant à l'appréciation de l'état de catastrophe naturelle et aux délais d'indemnisation. Que pouvez-vous nous dire sur ces sujets ?

Ensuite, s'agissant des acteurs qui mettent en oeuvre le dispositif CatNat, quel est le rôle de la CCR ?

Enfin, il est particulièrement intéressant pour une mission parlementaire de vous entendre sur les pistes d'améliorations possibles pour mieux faire face aux risques et aux besoins d'indemnisation.

M. Bertrand Labilloy, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR). - Concernant le fonctionnement du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, je vais être très rapide. Les informations précises sont largement disponibles et nous vous les fournirons par écrit suite à cette audition.

Le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles provient d'un partenariat public-privé, établi en 1982, qui a pris appui sur l'assurance des dommages aux biens - immobiliers, professionnels, industriels - et aux véhicules. Toutes ces assurances avaient un fort taux de pénétration en métropole, à la différence des DOM. En s'appuyant sur ce fort taux de pénétration, le législateur a ajouté une extension de garantie obligatoire pour les dommages causés par les catastrophes naturelles. Il a eu raison de s'appuyer sur l'industrie de l'assurance pour la gestion des sinistres, car il s'agit d'un véritable métier que d'évaluer un sinistre et de l'indemniser.

En cas de catastrophe naturelle, les coûts cumulés peuvent être extrêmement importants. La réassurance permet de garantir la solvabilité du marché de l'assurance et donc l'indemnisation complète et rapide des assurés.

L'exposition et la vulnérabilité ne sont pas les mêmes pour tous. Elles varient selon le lieu du domicile. Si vous habitez à Montmartre, vous n'avez pas intérêt à vous assurer contre les catastrophes naturelles. Si vous habitiez une maison en Martinique, en revanche, le coût d'une assurance serait prohibitif.

Avec ce partenariat public-privé, nous sommes partis des contrats d'assurance dommages aux biens dont la tarification était établie en fonction de la sinistralité hors risques naturels et nous avons assorti l'extension de garantie d'un taux de surprime unique de 12 %. En France, tous les citoyens et toutes les entreprises peuvent ainsi assurer leurs biens contre les risques naturels.

Dans notre pays, plus de 98 % des ménages sont couverts contre les effets des catastrophes naturelles. En cas de sinistre, ils sont donc indemnisés, ce qui contribue à la résilience des territoires. Ainsi, Lourdes a été ravagée par la crue du Gave de Pau en 2013 : 100 millions d'euros de dégâts pour les habitants et 150 millions d'euros pour les hôteliers et les restaurateurs, pour une ville qui vit essentiellement du tourisme et des pèlerinages. En moins de six mois, la vie économique a repris. Cette assurance offre donc une garantie très forte. En outre, le système permet une péréquation entre les territoires exposés et ceux qui le sont moins.

En Italie, moins de 5 % des ménages sont couverts par une assurance ; ce taux varie pour les PME, et les grandes entreprises en ont toutes.

En Allemagne, moins de 30 % des ménages sont couverts contre le risque d'inondation, ce qui pose un véritable problème eu égard au changement climatique en cours. Des événements récents ont d'ailleurs coûté cher aux sinistrés et aux pouvoirs publics ; en raison d'une crue en Allemagne de l'Est, l'État a dû débourser huit milliards d'euros.

Le régime français protège les finances publiques. S'il y a bien eu des catastrophes de très grande ampleur en France ultramarine ou continentale, non seulement elles n'ont rien coûté aux pouvoirs publics français, mais en outre la Caisse centrale de réassurance paie un tribut annuel à l'État en rémunération des garanties dont elle bénéficie, s'acquitte de l'impôt sur les sociétés pour ses bénéfices - les primes que nous percevons sont placées sur le marché et génèrent des produits financiers - et verse des dividendes à son actionnaire, l'État. C'est donc un système très intéressant pour l'État.

Lorsque surviendra la crue centennale de la Seine, l'État devra exercer sa garantie au bénéfice de la CCR mais, dans une telle situation, avec ou sans système, il interviendrait de toute façon. Une crue centennale de la Seine représente entre 1 à 1,5 point de PIB, entre 20 et 30 milliards d'euros ; il est impossible que l'État n'intervienne pas et laisse les citoyens se débrouiller.

Ce dispositif fonctionne donc bien, il permet aux assurés de s'assurer contre les tempêtes, les inondations ou autres à un tarif raisonnable, vingt ou vingt-cinq euros, éventuellement trente euros pour un logement de grande valeur.

Il y a sans doute, dans la pratique, des frustrations liées aux délais d'indemnisation. Pourtant, le délai d'examen des dossiers est en moyenne de douze jours, c'est très efficace. Le délai de vingt-neuf jours entre l'avis de catastrophe naturelle de la commission interministérielle et sa publication au Journal officiel est en revanche un peu long. C'est la somme de ces deux délais qui est importante.

Les assureurs indemnisent rapidement, il n'y a pas de difficulté à cet égard - je me permets de le dire, la CCR étant indépendante. Quand il y a des difficultés sur les délais d'indemnisation, cela concerne rarement les avances de frais et les indemnisations préalables ; simplement, il faut que les travaux soient achevés et facturés pour être remboursés ; on ne rembourse pas sur une estimation du coût des travaux. Aussi, il peut effectivement y avoir, au cas par cas, des difficultés tenant à l'engorgement des artisans faisant les travaux de réparation. Cela a été le cas à Saint-Martin et, dans une moindre mesure, à Saint-Barthélemy, mais la situation insulaire de ces territoires a renforcé les difficultés.

Une deuxième difficulté fréquente concerne les franchises. Il y a des franchises individuelles d'un montant assez faible, mais qui peuvent être modulées par un coefficient multiplicateur si l'on est dans un territoire plusieurs fois sinistré et qu'il n'y a pas eu de mesure préventive d'une fois sur l'autre. Cela dit, cette clause est très rarement appliquée.

M. Antoine Quantin, directeur des réassurances et des fonds publics. - Environ 3 ou 4 % des communes font l'objet d'une modulation chaque année.

M. Bertrand Labilloy. - La franchise de certains artisans est exprimée en pourcentage du montant des sinistres - 10 % de mémoire -, et ce pourcentage peut parfois dépasser le plafond de solvabilité d'un petit commerçant ou d'un petit artisan.

La CCR considère que le système de franchise pourrait être amélioré ; il faudrait qu'elle soit exprimée en pourcentage du sinistre pour tout le monde, y compris pour les particuliers, car un montant absolu ne représente pas la même charge selon le niveau de vie et la qualité du bien immobilier. Par ailleurs, il faudrait plafonner la franchise pour les commerçants et artisans.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure. - La distinction entre les territoires bénéficiant de la reconnaissance de catastrophe naturelle et les autres peut susciter des questions. Nombreux sont les sinistrés qui ne comprennent pas pourquoi telle commune se voit octroyer ce statut, et telle autre non. Faites-vous partie de la commission interministérielle qui contribue à la reconnaissance ou non de l'état de catastrophe naturelle ?

Ma seconde question porte sur le ressenti des sinistrés ; le régime couvre 98 % des ménages français, ce qui présente un intérêt par rapport à d'autres pays. Néanmoins, ce régime souffre d'une perception négative, notamment en raison des délais importants d'indemnisation. Le dispositif doit être plus rapide, plus généreux, plus incitatif. Je pense en particulier à la franchise trop élevée pour les professionnels, fixée à 10 % des dommages matériels, avec un minimum de 1 140 euros pour les petites entreprises.

Par ailleurs, il pourrait être envisagé de généraliser la prise en charge par les assureurs des frais de relogement des sinistrés contraints de quitter leur logement.

M. Bertrand Labilloy. - La CCR participe à cette commission interministérielle, mais en tant que secrétaire ; nous n'avons pas voix au chapitre. Cela dit, nous avons un point de vue d'expert sur les critères de reconnaissance de catastrophe naturelle.

Conformément à la loi, sont couverts par le régime d'indemnisation « les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel ». Cela couvre donc l'aléa ; les tempêtes en métropole, par exemple, ne sont pas couvertes, car c'est un risque assurable, tout le monde étant uniformément exposé à ce risque ; il n'y a pas d'anti-sélection, d'exclusion du marché de l'assurance, contrairement aux sécheresses, aux mouvements de terrain, aux cyclones ou aux inondations, dont le risque est localisé.

Je confirme donc que les frais de relogement, qui ne sont pas des dommages matériels directs, ne sont pas couverts ; toutefois, ils peuvent l'être par l'assureur.

Mme Nicole Bonnefoy , rapporteure. - Cela pourrait être généralisé.

M. Bertrand Labilloy. - C'est un autre sujet, sur lequel je reviendrai dans un instant.

Par conséquent, ce n'est pas parce que la rivière située en bas de chez soi déborde que l'on est indemnisé. Si elle déborde régulièrement entre septembre et janvier, cela correspond au cours normal des choses. En gros, le critère généralement retenu est une occurrence plus rare qu'une fois par décennie.

Il est difficile, dans un contexte de changement climatique, de réglementer des pratiques d'urbanisme pas toujours maîtrisées. Lorsque des habitations ou des locaux professionnels sont régulièrement touchés par des aléas naturels, ils peuvent ne pas systématiquement bénéficier du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, car ces aléas ne sont pas des catastrophes naturelles.

On observe également un décalage fréquent entre le traitement médiatique d'un événement et sa réalité scientifique...En janvier 2016, la crue de la Seine atteignait la ceinture du zouave du pont de l'Alma : la catastrophe du siècle selon les médias ! En réalité, ce phénomène se produit une fois tous les dix ans... Il faut réapprendre à vivre avec les aléas naturels.

Cela nous renvoie au régime de prévention, l'un des points forts du régime d'indemnisation. Par une prévention appropriée, nous devons nous protéger de ces événements d'ampleur moyenne.

Pour les frais de relogement, sont couverts au titre du régime d'indemnisation les dommages couverts par le contrat de base - par exemple, si les frais de relogement sont prévus en cas d'incendie. Mais rien n'empêche l'assureur, pour cette garantie, de se réassurer auprès du marché privé. Le CCR n'a aucun monopole sur les catastrophes naturelles, nous sommes en parfaite concurrence avec les réassureurs du marché privé. Nous bénéficions de la garantie de l'État, ce qui nous permet d'offrir des garanties illimitées, ce que ne font généralement pas nos concurrents privés. Nous détenons ainsi 90 % du marché, et pouvons réaliser à ce titre des péréquations entre les territoires exposés et ceux moins exposés.

Faut-il rendre obligatoires, pour tous les contrats d'assurance, les frais de relogement, même s'ils sont dus à des aléas non naturels ? La prime Cat-Nat représente 12 % de la prime totale. Il faudrait aligner les garanties du contrat de base et celles de l'extension Cat-Nat, sinon vous introduisez une charge pour le régime - donc pour le CCR et pour l'État, - à laquelle ne correspond aucune prime. Vous créez alors un mécanisme de subvention. Tous les assureurs du marché et l'État souhaitent-ils cette obligation d'extension des frais de relogement pour tous les contrats et tous les dommages ?

M. Marc Daunis . - Mes convictions philosophiques m'interdisent de voir un lien de cause à effet entre un délai d'indemnisation de moins de six mois et la ville de Lourdes... Je suis enchanté de ce faible délai, mais certains habitants de la région de Biot, à proximité de la technopole de Sophia Antipolis, n'ont toujours pas été indemnisés pour un sinistre datant du 3 octobre 2015 ! Disposez-vous de statistiques sur le montant moyen d'indemnisation par région et par type de sinistres, pour voir leur évolution ?

Le changement climatique rend la notion d'événement anormal ou exceptionnel très délicate. Dans certains secteurs, les crues dites décennales seront plus fréquentes...

Près de 3 à 4 % des communes sont concernées par le dépassement de la franchise et sont majorées. Elles sont si peu nombreuses, vous n'allez pas les abandonner ? Ce serait une source d'incompréhension supplémentaire et de traitement différencié.

Enfin, est-il souhaitable d'avoir une garantie de base catastrophes naturelles dans un contrat unique plus clair et plus protecteur ?

Mme Nelly Tocqueville . - La sinistralité Cat-Nat devrait au moins doubler d'ici à 2050, et s'accompagnera d'une augmentation des cotisations aux assurances. Cela sera très compliqué pour les particuliers et les collectivités territoriales. Pourriez-vous nous indiquer comment évolueront ces cotisations ?

Certains territoires près d'un cours d'eau, construits, seraient désormais déclarés inconstructibles, mais les propriétaires sont de bonne foi : soit ils ont obtenu l'autorisation de construire à l'époque, soit ils ont acheté un bien déjà construit. On ne peut pas les rendre responsables du phénomène ! Vous devriez nuancer votre approche.

Mme Victoire Jasmin . - Compte tenu de la fréquence et de l'intensité des différents aléas, ce système ne doit-il pas être révisé ? Par ailleurs, tenez-vous compte de l'évolution des plans locaux d'urbanisme ?

Mme Gisèle Jourda . - Sénatrice de l'Aude, j'ai été choquée par les inondations dans mon département les 15 et 16 octobre derniers, qui ont fait onze morts, dont six dans ma commune de Trèbes. Dès le 17 octobre était signé un arrêté de catastrophe naturelle pour 126 communes ; dix jours après, un autre visait 78 communes. Au total, 204 communes du département sont concernées. Les pluies diluviennes ont parfois rayé de la carte des moitiés de village, et de nombreuses infrastructures comme des stations d'épuration, des piscines, des immeubles d'habitations... Notre système assurantiel et d'indemnisation doit être revu : il y a un problème sur les franchises et pour le relogement. La communauté de communes de Carcassonne a avancé les fonds pour reloger les sinistrés le plus rapidement possible.

Le degré de vétusté dans les contrats assurantiels est extrêmement pénalisant. Les particuliers les moins nantis socialement économisent en premier sur l'assurance, notamment de leur véhicule, seul moyen de locomotion en territoire rural pour aller travailler ou conduire les enfants à l'école. Ils sont souvent assurés au tiers, et perdent alors totalement leur véhicule en cas d'inondation.

Certes, on ne peut pas tout. Les villages ont un patrimoine magnifique, mais sont situés près de cours d'eau. Nous n'étions pas particulièrement touchés par ces épisodes cévenols, mais en quelques heures, la ville a été coupée du monde pendant trois à quatre jours... Les services de l'État ont été réactifs, mais alors que le Président de la République, sur place, affirmait devant les collectivités territoriales qu'il n'y aurait plus de franchise, le directeur national des assurances nous a rétorqué, la semaine suivante, que ce n'était pas possible...

Les collectivités territoriales, avec l'aide des préfets, peuvent monter des dossiers pour les infrastructures, mais l'accumulation des différents fonds est difficilement lisible... Le directeur national des assurances nous a affirmé que la grille d'indemnisations était en train d'être revue.

Contrairement aux départements d'outre-mer, où les phénomènes climatiques font partie des risques à prévenir, nous nous sommes retrouvés complètement démunis par cet événement. C'est pourquoi il faudrait revoir l'indemnisation des situations exceptionnelles.

Par ailleurs, il s'agit d'un département agricole. Si les agriculteurs, vignerons et cultivateurs de céréales ont subi un sinistre sur le plan privé et si, pour leurs exportations agricoles, c'est le dispositif des calamités agricoles qui a été activé, leur outil de travail a été détruit et ils se trouvent dans la détresse.

Mme Françoise Cartron . - Je souhaite mieux comprendre les notions d'aléa climatique et de catastrophe naturelle.

Le département de la Gironde, dont je suis l'élue, est touché par le recul du trait de côte, phénomène qui se transforme en catastrophe. Un aléa climatique, tel qu'une tempête, peut aggraver ce phénomène, qui se développe dans la durée. Nous sommes alors face à une espèce de vide : qui peut indemniser les personnes qui perdent leurs habitations, alors que celles-ci sont amenées à disparaître ? S'agit-il d'une catastrophe, d'une catastrophe naturelle, d'un aléa ?

Se pose aussi la question de la prévention. Outre ceux qui se trouvent aujourd'hui immédiatement en danger, que fait-on des habitations qui, selon les prévisions, seront touchées dans quelques années ? Il y a là un angle mort.

Mme Maryse Carrère . - Lourdes a connu des crues en 2013, après celles d'octobre 2012. Si les assurances ont réagi très vite, c'est parce que les enjeux économiques étaient très importants. En d'autres termes, nous ne sommes pas tous égaux face aux assurances.

A-t-on une idée des surcoûts des primes d'assurance à la suite d'un tel événement ?

Par ailleurs, si, à Lourdes, les assurances ont été très rapides, il a fallu que les assurés acceptent d'énormes concessions en termes de travaux et financent les protections qui leur ont été imposées pour pallier d'éventuelles futures crues. Dans ces conditions, les grosses entreprises ont résisté, mais pas les plus petites.

M. Michel Vaspart , président. - Je partage l'avis de Marc Daunis sur les délais d'indemnisation. Les remontées de terrain attestent de difficultés.

M. Bertrand Labilloy. - Il est vrai que la prise en charge du coût des travaux de protection pour ne plus subir de dommages équivalents à l'avenir constitue un angle mort du système actuel, qui date de 1982 et sur lequel il serait judicieux de se pencher à l'occasion de la réforme du régime. C'est toutefois ce qui permet de diminuer les coûts pour les catastrophes naturelles.

Sur l'augmentation des tarifs post-événement, le dispositif est de nature assurantielle - il ne s'agit pas d'un dispositif public avec un impôt per capita . Il est assez naturel que les différents intervenants de la chaîne d'indemnisation réévaluent en permanence le risque et adaptent la tarification en conséquence. Cela permet d'adresser aux assurés un signal en retour pour qu'ils comprennent qu'ils se trouvent dans une situation d'exposition ou de vulnérabilité supérieure ou croissante. Il faut toutefois en relativiser l'ampleur, car ce régime d'indemnisation permet une très forte péréquation par rapport à ce qui devrait être payé en théorie sur la seule base du risque. Pour un particulier, le montant de l'assurance habitation s'élève à vingt euros par personne et par an : une hausse de 10 % se traduira par deux euros de plus.

Le recul du trait de côte est-il une catastrophe naturelle ou pas ? Beaucoup se penchent sur cette question. D'ailleurs, plusieurs inspections générales ont créé une mission sur ce sujet. Au sens strictement assurantiel du terme, si une tempête emporte votre maison, cela se discute. En revanche, si la tempête fait avancer le trait de côte de cinq mètres, on reste dans un phénomène progressif, donc prévisible, donc non pris en charge.

Les dommages agricoles ne sont pas inclus dans le champ du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles. Il existe un fonds calamité agricole, ainsi que des assurances contre les pertes de récolte. Or le taux de pénétration de l'assurance agricole est très faible, ce qui pose problème. Les différents intervenants sur ce marché n'ont pas réussi à trouver la bonne formule pour augmenter ce taux de pénétration.

Si, pour les dommages aux biens des particuliers et des professionnels, le défaut de couverture est très faible, en tout cas en métropole, c'est parce que tout le monde est assuré, y compris ceux qui sont très faiblement exposés et qui contribuent pour les autres. Or le monde agricole n'a pas réussi à mettre en place un système analogue pour les pertes agricoles. Nous travaillons avec le ministère de l'agriculture pour apporter tous les éléments d'éclairage statistiques, actuariels et assurantiels pour aider à mettre en place une solution.

En matière d'aménagement du territoire, il y a le fameux fonds Barnier, dont une partie sert à des acquisitions amiables ou même à indemniser à la suite d'expropriations. Ce n'est pas négligeable. Est-ce pour autant suffisant dans le cadre de de l'évolution de la situation de tel ou tel territoire ?

J'en viens à l'augmentation des cotisations pour les particuliers et les collectivités à l'horizon 2050. Nous avons publié une étude montrant que le coût des catastrophes naturelles à cet horizon devrait doubler, voire davantage. Pour l'essentiel, l'augmentation n'est pas liée à l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des éléments naturels : c'est tout simplement parce que nous sommes de plus en plus riches et possédons des biens mobiliers de plus en plus chers. Cela ne nécessite pas un changement du taux de surprime.

En revanche, il est tout de même prévu une augmentation de l'ordre de 30 à 50 % de l'intensité et de la fréquence des éléments naturels et de la concentration des personnes et des activités économiques dans les zones exposées. C'est pourquoi, à l'horizon 2050, il faudrait passer d'un taux de surprime de 12 à 18 %, sauf à développer les mesures de prévention nécessaires pour réduire la vulnérabilité des personnes et des entreprises.

Le problème de la sous-assurance ne concerne pas que les particuliers. La collectivité locale de Saint-Martin a eu la mauvaise idée de céder aux sirènes d'un assureur qui proposait un tarif particulièrement intéressant, mais avec une faible limite de garantie. À la suite du cyclone Irma, le montant du sinistre s'est élevé à 50 millions d'euros, alors que le contrat prévoyait une limite de garantie de 15 millions d'euros.

Les particuliers ne sont donc pas les seuls à être concernés par le risque de sous-assurance. Pour que le régime fonctionne bien, il faut que tout le monde s'assure, les ménages comme les entreprises. Si on ne s'assure pas, on ne peut pas prétendre à une indemnisation ; c'est une lapalissade ! Cela n'empêche pas toutefois de réfléchir à un dispositif spécifique pour les véhicules qui sont assurés au tiers.

Dans notre évaluation du risque, nous prenons en compte les efforts faits en matière d'urbanisme. Plus largement, nous tenons compte des ouvrages de protection contre les événements naturels. Nous avons développé un modèle numérique du territoire pour simuler les effets des aléas climatiques. Nous avons ainsi pu mesurer l'efficacité des barrages écrêteurs de crue en amont sur la Seine. Certains projets sont dans les cartons, il serait bon de les accélérer.

La pérennité du régime face aux changements climatiques ? En général, à l'exception des territoires tellement impactés que la seule solution est une expropriation, l'intensification du risque se traduit par un ajustement de la prime en conséquence ou par des mesures de prévention suffisantes pour limiter la sinistralité.

À titre personnel, je dirais que le système de modulation des franchises n'est pas absolument déterminant et que l'on peut vivre sans...

Vous avez aussi évoqué la frustration de certains sinistrés quant aux délais d'indemnisation. Les délais moyens sont satisfaisants. Mais l'écart-type peut parfois être élevé. Il n'est pas satisfaisant, en effet, qu'une personne qui a subi un dommage en octobre 2015 n'ait toujours pas été indemnisée. Certaines situations sont kafkaïennes. À Saint-Martin, par exemple, on a parfois du mal à savoir qui est en cause et à trouver la solution au problème. Cependant, il ne faut pas juger un régime qui bénéficie à des millions de citoyens, couvre des milliards de dommages par an, à l'aune de quelques situations individuelles. Il existe toutefois des failles dans le régime d'indemnisation : c'est le cas, par exemple, pour les gens qui, à la suite d'un événement naturel, ne peuvent plus habiter leur domicile, car il menace de s'effondrer. Or ils ne sont pas indemnisés et l'assurance ne joue pas parce que leur bien n'a pas été directement touché et qu'il n'y a pas de dégâts. Donc même si le système fonctionne bien dans l'ensemble, certains cas méritent une attention particulière.

M. Michel Vaspart , président. - Et sur la vétusté ?

M. Antoine Quantin. - C'est une question qui dépasse le régime Cat-Nat. En effet, il ne peut pas y avoir d'enrichissement sans cause. Si l'on indemnisait sans tenir compte de la vétusté, les gens ne seraient plus incités à entretenir leur bien. On peut faire de la pédagogie, proposer la garantie remboursement à neuf, mais il paraît difficile de supprimer la référence à la vétusté.

M. Michel Vaspart , président. - Merci pour ces réponses.

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