D. L'IMPORTANCE DE LA RELATION AVEC LA TURQUIE DANS UNE PERSPECTIVE ÉCONOMIQUE

Même si la Turquie connaît actuellement un ralentissement économique et si elle diversifie ses partenaires, la France et l'Union européenne ne saurait se désintéresser de ce partenaire traditionnel .

Malgré la crise économique qu'elle traverse, la Turquie reste un marché de plus de 80 millions d'habitants, en majorité jeunes (aujourd'hui, un Turc sur trois a moins de trente ans), culturellement proches de l'Occident, très « digitalisés » et bien formés. Un quart, 20 millions d'habitants, réside à Istanbul et dans sa banlieue qui constitue une grande métropole mondialisée. Les chefs d'entreprise soulignent la qualité de la main d'oeuvre turque dont les cadres maîtrisent généralement parfaitement l'anglais.

L'économie turque dispose d'un large potentiel qui pourrait hisser le pays au rang de pays développé d'ici à dix ans. Elle est très ouverte sur le monde. Au-delà de ses liens privilégiés avec l'Union européenne et les États-Unis, elle cherche à développer ses propres marchés. Elle a des entreprises puissantes et fortement exportatrices, notamment des groupes familiaux et des conglomérats, à l'image de Turkish Airlines ou des groupes Koc, Dogan et Sabanci, ainsi qu'une industrie touristique performante. La croissance turque est en moyenne beaucoup plus élevée que celle de la zone euro sur les dix dernières années, et l'une des plus élevée du G20. Les entreprises turques du BTP seront au premier rang pour la reconstruction de la Syrie et de l'Irak. Les relations économiques avec la Russie se développent : Moscou apporte son énergie, principalement le gaz, et Ankara accueille les touristes russes. La Chine commence à investir en Turquie dans le cadre des « routes de la soie ». La Turquie est également passée du 91 ème rang en 2007 au 43 ème rang en 2019 dans le classement Doing Business.

1. Des exportations de la Turquie en majorité vers Europe

L'économie turque s'est ouverte à l'extérieur avec une croissance soutenue des importations comme des exportations.

Solde commercial de la Turquie (en Mds $)

Si la croissance de l'économie turque s'est accompagnée d'une diversification de ces débouchés avec notamment une inflexion vers le Proche et le Moyen-Orient, cette tendance s'est retournée depuis 2011, avec l'instabilité de cette région et la dégradation des de la Turquie avec ces pays, mais aussi avec la montée en gamme de la production turque qui trouvent de nouveau ses principaux débouchés en Europe.

Sans doute, la part des productions européennes s'est-elle tassée depuis les années 2000-2010 au détriment, comme dans tous les pays, de la Chine et de l'Asie s'agissant des produits manufacturés, mais aussi des intrans nécessaires à l'économie turque notamment en énergie (ce qui explique la part des importations russes). Mais on constate que cette perte semble enrayée depuis 2010, signe sans doute d'une forte imbrication des économies turques et européennes, ce qui est très significatif dans certains secteurs comme l'industrie automobile ou l'aéronautique.

Source : pour l'ensemble des graphiques, les données utilisées sont celles publiées par Turtkish Statistical Institute ( http://www.turkstat.gov.tr )

La Turquie constitue le 14 ème débouché de la France avec 6 Mds € d'exportations en 2018 (le 11 ème débouché avant 2018) pour 14 Mds € d'échanges et un objectif affiché de 20 Mds €.

2. Plus des trois quarts des investissements directs étrangers (IDE) en Turquie proviennent des pays de l'UE.
a) Les flux d'investissements directs à destination de la Turquie se sont stabilisés en 2017 et demeurent dominés par l'Union européenne et par les services

Si les flux d'IDE sont loin de retrouver leurs niveaux de la période 2011-2013. L'instabilité de l'environnement juridique et règlementaire a pu avoir un impact sur le comportement des investisseurs, nationaux comme internationaux. Les flux entrants restent dominés par l'Union européenne (à 28), qui représentait 65 % des flux à destination de la Turquie en 2017, suivie par le Proche/Moyen-Orient (16 %), l'Asie (7 %) et les Etats-Unis (3 %). La France est le 14ème investisseur en flux en Turquie et le 9 ème investisseur européen, à 107 M $.

Les parts enregistrées en 2017 sont similaires à celles observées pour le cumul sur les dix dernières années. La France est le 10 ème investisseur en Turquie et le 7 ème investisseur européen sur la période 2008-2017, cumulant 3,8 Mds $ d'investissements.

b) Les flux d'investissements directs originaires de la Turquie ont suivi une trajectoire similaire aux flux entrants,

En 2017, l'Union européenne (à 28) représentait là encore la majorité des flux d'IDE (52 %), quoique concurrencée plus nettement par les Etats-Unis (26 %). Malgré les initiatives menées en direction de ces régions, le Proche/Moyen-Orient et l'Afrique demeurent minoritaires dans les flux en provenance de Turquie, représentant respectivement 13 % et 2 % du total. La France est le 14ème pays destinataire des IDE turcs (30 M $, soit 0,94 % du total).

En stock, les parts sont similaires. Le léger recul enregistré par l'Union européenne est attribuable aux tensions entre la Turquie et ses principaux partenaires européens. La France se situe à la 21 ème place, cumulant 192 M $.

Les chefs d'entreprises français rencontrés par vos rapporteurs à Istanbul ont confirmé combien il était profitable pour eux d'être implantés en Turquie afin de projeter leurs activités au Moyen-Orient et en Asie centrale, la Turquie n'ayant pas perdu l'influence et le rayonnement économique acquis dans ces régions depuis le tournant géostratégique de la fin des années 2000. Le représentant de L'Oréal a ainsi expliqué que la Turquie pourrait être un « hub de la beauté » pour le Moyen-Orient. De même, si l'Aéroport de Paris (ADP) a perdu l'aéroport d'Istanbul Atatürk lors de son remplacement par le nouvel aéroport géant, le consortium TAV dont il fait partie a toujours ceux d'Izmir et Antalya. La coopération concerne également le secteur de la défense, avec notamment le projet de co-production de missiles anti-missiles SAMP/T.

Les milieux économiques restent en grande majorité pro-européens , malgré la montée en puissance des entrepreneurs anatoliens ayant soutenu l'AKP. Comme l'ont souligné les membres la TUSIAD, la principale organisation patronale turque, que vos rapporteurs ont rencontrée à Istanbul : pour une économie ouverte et sans ressources énergétiques importantes comme celle de la Turquie, rester aux standards occidentaux est vital. Dans le cas contraire, la monnaie est attaquée et les investissements s'arrêtent, comme on peut déjà l'observer actuellement avec la dégradation de la relation entre la Turquie et l'Europe et les États-Unis.

Bilan des échanges commerciaux franco-turcs en 2018

En 2018, le commerce bilatéral entre la France et la Turquie s'est établi à 14 Mds EUR, se contractant de 1,3 % en glissement annuel. Les exportations françaises reculent de 10,6 % (à 6 Mds EUR), tandis que les importations progressent de 7 % (à 8 Mds EUR). Il en résulte une forte dégradation de notre déficit commercial bilatéral, qui s'accentue de 797 M EUR en 2017 à 2 Mds EUR en 2018 (+155%). Les échanges continuent d'être portés principalement par les matériels de transport. L'important recul de nos exportations et le creusement du déficit bilatéral en découlant sont directement imputables aux turbulences macroéconomiques en Turquie dans les derniers mois de 2018 : les mois de septembre, octobre, novembre et décembre ont ainsi vu nos exportations se contracter respectivement de 26,4 %, 28,9 %, 34,5% et 46,2 % en glissement annuel.

1. Le déficit commercial bilatéral se creuse largement en 2018

12 ème débouché mondial de la France jusqu'au premier semestre de 2018, la Turquie est désormais notre 14 ème client, 6ème hors UE et Suisse, derrière les États-Unis, la Chine, Singapour, le Japon et Hong Kong. Elle a absorbé 1,24 % de nos exportations, contre 1,6 % en 2016 et 1,45 % en 2017. Comme en 2017, la Turquie a été notre 13 ème fournisseur mondial, 5 ème hors UE et Suisse, derrière la Chine, les États-Unis, le Japon et la Russie. La part de la Turquie dans nos importations est en hausse : elle a ainsi été à l'origine de 1,43% de nos importations, contre 1,38% sur l'année 2017.

Selon les données des Douanes françaises, en 2018, le commerce bilatéral total des biens entre la France et la Turquie s'est élevé à 14 Mds EUR. Les échanges globaux voient leur progression entravée et se contractent de 1,3 % en glissement annuel (-191 M EUR): les exportations françaises à destination de la Turquie ont reculé de 10,6 % (-712 M EUR) et ont représenté 6 Mds EUR. Les importations françaises en provenance de Turquie sont, quant à elle, en hausse de 7 % (+522 M EUR) et ont atteint 8 Mds EUR. La France affiche donc un déficit commercial de 2 Mds EUR en 2018, en progression de 155 % par rapport à 2017 (il représentait alors 797 M EUR).

2. Les relations commerciales bilatérales demeurent dominées par l'aéronautique et l'automobile

Les principaux postes d'exportations françaises, qui avaient enregistré une progression nette au premier semestre de 2018, sont en recul sur l'année : le poste « aéronautique » a reculé de 14,1 % (à 642 M EUR), tandis que les postes « accessoires pour véhicules automobiles » et « produits sidérurgiques » se sont respectivement contractés de 9,3 % (à 453 M EUR) et 17,8 % (à 376 M EUR). Le dynamisme des exportations automobiles, observé en 2017 et au S1 2018 est notamment imputable à l'important renouvellement de gamme proposé par les constructeurs français, n'est plus de mise : le poste « véhicules automobiles », encore deuxième poste d'exportation au S1 2018, recule de 33,7 % (à 371 M EUR) et devient notre quatrième poste. À l'inverse, les exportations de « déchets non dangereux » (+19,9 %, à 184 M EUR) et « autres produits chimiques organiques de base » (+16,9 %, à 154 M EUR) sont en progression. La hausse des exportations des « produits du raffinage du pétrole » et d'«autres matériels électriques » est également à noter : elles croissent respectivement de 90 % (à 88 M EUR) et de 107 % (à 84 M EUR). Les importations en provenance de Turquie ont augmenté en 2018, en ligne avec la progression observée au S1 2018: les importations de « véhicules automobiles » ont augmenté de 7,7 % (à 2,7 Mds EUR), tandis que les « accessoires pour véhicules automobiles » et les « vêtements de dessus » croissent respectivement de 13 % (à 462 M EUR) et de 3,4 % (à 435 M EUR). Les progressions les plus marquantes sont enregistrées par les postes « aéronefs et engins spatiaux » (+38,1 %, à 183 M EUR) et « produits électroniques grand public » (+ 24,4 %, à 158 M EUR). Seule exception parmi les grands postes d'importation, les « vêtements de dessous » reculent de 2,5 % (à 422 M EUR).

Source : DG Trésor.

Il y a donc un pari à faire sur l'avenir : celui que dans dix à quinze ans, l'économie turque constituera une locomotive à la lisière de l'Europe, peut-être même dans un deuxième cercle européen, aux côtés de l'Ukraine et de la Russie, grâce à une union douanière renforcée.

Ainsi, vos rapporteurs soulignent qu'il est souhaitable de continuer à approfondir des relations économiques entre la France et la Turquie . Ceci suppose des efforts réciproques : les organismes français de soutien à l'export et à l'investissement ainsi que les entreprises françaises qui y ont intérêt doivent continuer à miser sur la Turquie en faisant le pari qu'elle saura vaincre ses difficultés économiques. Les autorités turques, de leur côté, doivent prendre davantage conscience que la sécurité juridique et le respect de l'Etat de droit sont essentiels pour maintenir un climat favorable au développement économique.

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