B. L'ÉNORME AFFLUX DE RÉFUGIÉS ET LEUR REMARQUABLE PRISE EN CHARGE PAR LA TURQUIE

L'une des conséquences les plus importantes de la crise syrienne pour la Turquie est l'afflux massif de réfugiés qui fuient vers son territoire . Plus de 5,6 millions de personnes ayant quitté le pays selon le HCR, la Turquie en accueille à elle seule environ 3,6 millions (4 millions de réfugiés en tout, principalement, outre les Syriens, des Afghans, des Irakiens et des Iraniens).

Lors d'une table ronde à Ankara avec les institutions prenant en charge les réfugiés 57 ( * ) , vos rapporteurs ont pu constater l'effort exemplaire accompli par les autorités turques dans ce domaine . En 2013-2014, le gouvernement a ainsi mis en place une législation très favorable aux réfugiés, permettant de construire un cadre très protecteur que les institutions internationales ont pu ensuite appliquer au bénéfice des réfugiés. Ce cadre permet ainsi l'accès gratuit des réfugiés aux services de base (santé, services sociaux, éducation).

En outre, les autorités turques s'efforcent de favoriser l'intégration des réfugiés syriens , à travers notamment la scolarisation des enfants dans des écoles turques plutôt que dans des centres d'éducation temporaire pour syrien (85% des enfants syriens sont actuellement scolarisés dans des écoles turques contre 15% dans des centres d'éducation temporaire pour syriens). Seule une petite partie des réfugiés syriens se trouve dans des camps (160 000 environ), les autres vivant directement au sein des communautés hôtes.

S'il est impossible de confirmer ou infirmer le discours des autorités turques selon lequel la Turquie aurait dépensé la somme totale de 35 Mds $ pour l'accueil des réfugiés syriens depuis le début de la crise syrienne, il est indéniable que la Turquie y a consacré de très importantes ressources.

Dans ce contexte, il est très positif que l'Union européenne apporte son aide financière à la Turquie à travers la « Facilité de l'UE en faveur des réfugiés en Turquie » (FRIT). Le représentant du Programme alimentaire mondial (PAM) a présenté à vos rapporteurs le programme « Emergency social safety net », financé dans le cadre de la FRIT, qui permet d'apporter une assistance de base à 1,6 million de réfugiés particulièrement vulnérables, grâce à un virement bancaire sur une carte électronique. Cette carte électronique sert également de support pour le versement d'une allocation conditionnée à l'assiduité scolaire des enfants des familles bénéficiaires, mise en oeuvre par l'UNICEF. Un total de 460 000 enfants bénéficient de ce programme, également financé par l'UE, reproduisant le modèle d'une aide versée aux enfants des familles Turques vulnérables depuis 2003.

Les trois conditions devant être réunies pour permettre des retours en Syrie (sécurité, accès à des services de base et accès à une forme de revenu stable) ne sont actuellement pas réunies, du fait notamment de la crainte de la conscription forcée et de représailles de la part des forces du régime syrien. Dans ce contexte, il semble probable qu'une partie importante des réfugiés syriens présents en Turquie y reste définitivement et cette probabilité se renforce à mesure que le conflit en Syrie se prolonge et alors que 90 000 enfants syriens environ naissent en Turquie chaque année. Le HCR était d'ailleurs en discussion (en avril 2019) avec les autorités turques sur les modalités de réalisation d'une enquête sur les intentions des réfugiés syriens se trouvant en Turquie.

Eu égard aux faibles perspectives de retour en Syrie et au fardeau représenté par l'accueil des réfugiés pour la Turquie, le représentant du HCR a rappelé qu'il était important que la communauté internationale et les pays européens poursuivent leurs efforts en matière de réinstallation de réfugiés syriens, ceci pouvant constituer un message fort de solidarité à l'égard de la Turquie.

Par ailleurs, la dégradation de la situation économique turque fait peser une menace sur la capacité de la Turquie à continuer sa politique d'intégration à l'égard des réfugiés syriens. Ainsi, en raison de la forte inflation que connait le pays, les bénéficiaires de l' « Emergency social safety », qui reçoivent une allocation de 120 livres turques par personne et par mois, ont vu leur pouvoir d'achat diminuer très fortement depuis le début de l'année 2018 et les autorités turques ont refusé l'augmentation de l'allocation, n'étant pas en mesure de financer une augmentation similaire de l'aide versée aux Turcs vulnérables. Par ailleurs, la dégradation de la situation économique fait craindre une compétition accrue sur le marché du travail informel entre Turcs et Syriens, ce qui ne manquerait pas d'avoir un impact négatif sur la cohabitation des réfugiés et des communautés hôtes.

Un autre défi majeur est celui représenté par les enfants syriens non scolarisés , qui peuvent être victimes d'exploitation par des réseaux criminels ou radicaux. Alors que le taux de scolarisation au niveau primaire se situe entre 90 et 95 pour cent, il chute très fortement dans le secondaire, notamment à partir de 13 ans, âge auquel beaucoup d'enfants, notamment les garçons, commencent à travailler pour contribuer à subvenir aux besoins de leurs familles. L'Unicef met en place un programme d'apprentissage accéléré pour permettre aux enfants ayant décroché d'acquérir rapidement des connaissances nécessaires pour rejoindre l'école, une formation professionnelle ou simplement pour se débrouiller. Enfin, le HCR a mentionné un important retard dans l'enregistrement, par les autorités turques, des non-Syriens, environ 60 000 personnes étant sans doute en attente d'enregistrement. Cette situation semble résulter d'un manque de moyens plutôt que d'une volonté délibérée et le HCR apporte son soutien aux autorités turques pour remédier aux obstacles existants.

Ainsi, il est probable que la Turquie ait encore besoin du soutien de la communauté internationale à l'avenir pour prendre en charge l'ensemble des réfugiés qui se trouvent sur son territoire.


* 57 M. Nils GREDE, représentant du Programme alimentaire mondial en Turquie, M. Philippe DUAMELLE, représentant de l'Unicef en Turquie et M. Jean-Marie GARELL, adjoint à la représentante du HCR en Turquie.

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