B. LA NÉCESSITÉ DE MIEUX ASSOCIER LES RÉGIONS AU PILOTAGE DE LA RECHERCHE

1. Une source de financement qui gagnerait à être mieux identifiée

Au cours de sa mission de contrôle, le rapporteur spécial a découvert que les financements de la recherche en provenance des collectivités territoriales, et plus particulièrement des régions, demeuraient relativement mal appréhendés dans leur ensemble .

En effet, le rapporteur spécial a eu les plus grandes difficultés à obtenir des chiffres détaillés, région par région, permettant de mesurer directement l'implication relative des conseils régionaux dans la politique de recherche. Au niveau ministériel, seule une enquête annuelle, intitulée « Le financement de la recherche par les collectivités territoriales », s'efforce d'offrir un panorama de l'effort de recherche des collectivités territoriales ; les données présentées demeurent cependant très parcellaires, et n'opèrent pas de distinctions entre les différents niveaux de collectivités.

Par ailleurs, en raison d'effets de périmètre, les bases de données du Mesri et du Commissariat général à l'égalité des territoires ne peuvent être croisées , limitant considérablement les possibilités d'exploitation des éléments transmis. De plus, selon les informations communiquées à le rapporteur spécial, les systèmes d'information actuels du Mesri ne permettent pas de répertorier l'ensemble des structures de recherche cofinancées par l'État et les régions, ni même de parvenir à une estimation des montants en jeu - ces informations devant être recueillies au niveau de chaque conseil régional.

En tout état de cause, seules les données relatives aux contrats de plan s'avèrent aisément disponibles - mais ces derniers représentent à peine un tiers des financements régionaux en faveur de la recherche.

Le rapporteur spécial relève également que les jeux de données relatifs aux collectivités territoriales ne sont pas accessibles via le dispositif de diffusion de l'information du Mesri , #dataESR, qui vise pourtant à « améliorer le référencement des publications, tableaux de bord, applications, jeux de données et donc de faciliter l'accès de tous aux données sur l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation » 46 ( * ) . Cette omission est d'autant plus étonnante que le site #dataESR collecte un certain nombre de données relatives aux programmes européens de recherche, et ne se focalise donc pas uniquement sur les données nationales.

Le Mesri semble néanmoins parfaitement conscient de cette situation, estimant nécessaire de « renforcer les systèmes d'informations qui recensent les structures et les projets pour lesquels l'État et les régions apportent des financements » 47 ( * ) .

Pour le rapporteur spécial, dans la mesure où les régions prennent une part croissante dans le financement de la recherche en France, il semblerait opportun de mieux documenter l'effort financier réalisé .

En pratique, l'enquête annuelle sur le financement de la recherche par les collectivités territoriales pourrait être enrichie et affinée, en comprenant notamment un volet régional plus fourni. Il serait également envisageable de profiter des évolutions à venir dans les systèmes d'information des établissements de recherche pour y inclure un suivi des financements émanant des collectivités territoriales.

Finalement, une identification plus précise de cette source de financement bénéficierait à l'État, aux conseils régionaux, mais aussi aux différents acteurs de la recherche, en leur permettant d'identifier les dynamiques à l'oeuvre.

Au demeurant, cette étape serait un préalable indispensable à une plus grande association des régions au pilotage de la politique de recherche.

2. Une concertation insuffisante entre les instances de pilotage régionales et nationales

Il ressort des auditions et déplacements réalisés par le rapporteur spécial qu'en dépit des récentes évolutions, subsiste un décalage entre l'investissement financier des régions dans la politique de recherche et leur degré d'association au pilotage de cette politique .

Ainsi, de l'avis de la plupart des conseils régionaux interrogés, tandis que la collaboration avec les délégations régionales à la recherche et à la technologie (DRRT), services déconcentrés de la DGRI en région semble plutôt bonne, la concertation avec les instances nationales s'avère nettement moins satisfaisante . Comme l'a résumé le conseil régional des Hauts-de-France : « Si la collaboration avec la représentation déconcentrée de l'État est de qualité, et s'inscrit dans un cadre stratégique clair et adopté en pleine concertation, le dialogue direct avec les instances nationales (Ministère, ANR,...) gagnerait à être considérablement développé pour gagner en lisibilité et en transparence » 48 ( * ) .

Le manque d'articulation claire entre la feuille de route nationale sur les infrastructures de recherche et les priorités régionales en constitue un exemple frappant ; ainsi, la décision de contribuer à l'installation d'une infrastructure de recherche relève uniquement de l'État, les régions n'étant sollicitées que dans un second temps, pour participer au financement de la structure.

Cette absence de concertation est hautement préjudiciable, dans la mesure où elle nuit à l'efficacité et à la cohérence des financements destinés à la recherche , comme l'a regretté le conseil régional des Pays de la Loire : « Raisonner et organiser la subsidiarité voire la coopération, serait probablement de nature à améliorer la synergie entre les financements État et Région, particulièrement dans une perspective d'effet levier sur des financements européens » 49 ( * ) .

Cette situation est d'autant plus regrettable qu'elle conduit, dans certains cas, l'État et les régions à mener des actions contradictoires dans les territoires . Selon le conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes : « Il faut suspendre ou modifier les actions qui consistent à créer de la compétition entre les acteurs du territoire, via les appels à projets du PIA par exemple » 50 ( * ) .

In fine , ce défaut de coordination bien identifié résulte principalement de l'absence d'instance unique de dialogue entre l'État et les régions dans le domaine de la recherche. En effet, en dehors des actions de l'État faisant directement appel à un financement régional (CPER, PIA 3 - régionalisés, PSPC - régions), aucune structure ne permet réellement à l'État (ministère et services déconcentrés) et aux régions de s'entendre sur leurs interventions financières respectives. Pour le conseil régional de Centre Val de Loire : « L'absence de concertation stratégique ne permet pas à l'État et aux Régions d'intervenir en réelle complémentarité, et limite donc l'efficacité globale de leurs politiques » 51 ( * ) .

Pour pallier ce manque, certains conseils régionaux ont, de leur propre initiative, conçu des systèmes de gouvernance originaux permettant de créer un espace de dialogue entre l'État et la région sur le territoire régional . Tel est notamment le cas du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, qui a instauré une Conférence régionale de l'enseignement supérieur, de la recherche et du transfert de technologie (CREST), associant les acteurs (grandes écoles, universités, organismes de recherche, CROUS), les représentants de l'État en région (recteurs, délégation régionale à la recherche et à la technologie), et la région. Selon M. Blanchard, le vice-président en charge de l'enseignement supérieur et de la recherche de Nouvelle-Aquitaine : « Cette conférence, qui n'a pour l'instant aucune formalisation juridique, préfigure en termes de structure et de fonction ce que pourrait être un regroupement régional des établissements et, sur le plan institutionnel c e qui pourrait être l'espace de dialogue nécessaire entre l'État et la Région ».

Pour le rapporteur spécial, la construction de cet espace de dialogue constitue un prérequis indispensable à une pleine association des régions au pilotage stratégique de la recherche . Il serait donc opportun que l'État soutienne la création de comités de pilotage en régions, et en tout état de cause, s'y engage pleinement quand ils existent. Le Mesri a ainsi souligné qu'il convenait de « favoriser et développer les lieux d'échanges État/Région via notamment la mise en place de comités de concertation ou comités de pilotage sur le sujet de l'ESRI qui n'existent pas dans toutes les régions » 52 ( * ) .

En parallèle, l'État gagnerait à davantage associer les régions à la négociation des différents contrats pluriannuels des sites académiques , afin de mettre en cohérence les gouvernances et plans d'actions associés aux communautés d'universités et autres structures de regroupements d'établissements d'une part et aux SRESRI d'autre part. Selon le conseil régional de Centre Val de Loire, il s'agirait de garantir « une implication stratégique et pas seulement financière des régions [...] faute d'une meilleure reconnaissance de leur rôle en ce domaine, le risque est important que dans les années à venir, les régions se concentrent davantage sur leurs compétences propres et soient contraintes à se désengager d'un soutien dont la recherche française, publique en particulier, a pourtant absolument besoin » 53 ( * ) .

Par ailleurs, les financements concertés entre l'État et la région ayant fait la preuve de leur efficacité, la méthode de financement retenue dans le cadre des PIA 3 régionalisés pourrait être généralisée . Il serait ainsi envisageable de réserver des enveloppes par région, dans le cadre des financements nationaux des agences et outils nationaux (ADEME, ANR, Bpifrance, Caisse des dépôts). Pour le conseil régional d'Île de France, cela permettrait aux régions et à l'État « d'agir en commun, avec les mêmes process sur des projets d'intérêt spécifiquement régionaux » 54 ( * ) .

Les services centraux pourraient également veiller à rendre facilement accessibles pour les conseils régionaux les outils dont ils disposent - bases de données ANR ou Horizon 2020 par exemple -, permettant de suivre les dossiers soumis et financés par les différents établissements et laboratoires dans les différentes régions.

Enfin, plusieurs conseils régionaux, de même que l'association Régions de France, ont regretté de ne pas être davantage associés à la préparation de la loi de programmation pour la recherche . En effet, selon le conseil régional des Hauts-de-France : « Les régions ne font pas partie des groupes de travail de la loi de programmation pour la recherche. Elles seront semble-t-il invitées à contribuer mais dans un cadre peu clair et un délai très court ».

Le rapporteur spécial ne peut que déplorer cette situation, eu égard aux travaux de planification et de programmation d'ores et déjà réalisés à l'échelle locale par les conseils régionaux ; il serait pour le moins paradoxal que les régions soient tenues à l'écart des travaux préparatoires à la loi de programmation pour la recherche, alors qu'en tant que chefs de file de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, elles seront directement concernées par les dispositions de ce texte.

3. Des démarches conjointes État / régions encore trop limitées sur le plan européen

Les résultats relativement décevants de la France dans les appels à projets européens doivent conduire à repenser l'accompagnement des porteurs de projets.

En effet, alors que les financements européens consacrés à la recherche augmentent, les participations françaises dans les projets sélectionnés ne cessent de diminuer depuis 1998. Les financements obtenus par les participants français sont ainsi passés de 13,5 %, pour le cinquième programme-cadre pour la recherche et le développement technologique (PCRDT), à 13 % pour le sixième avant de nettement diminuer à 11,3 %, pour le septième.

À ce stade, les chiffres de programme-cadre « Horizon 2020 » ne laissent pas envisager d'amélioration réelle de la position de la France en matière de recherche au niveau européen. La France participe à 22,1 % des projets retenus (4 167 projets sur les 18 628 sélectionnés) et représente 9,7 % des participations dans les projets (3 517 participations sur un total de 39 859).

Ces participations représentent un total de 3 523 millions d'euros obtenus par les équipes françaises, soit 10,7 % des financements disponibles , contre 11,3 % sur l'ensemble du septième PCRDT .

Face à ce constat, et dans la perspective des négociations du 9 ème programme-cadre de recherche et d'innovation, « Horizon Europe », une étude portant sur la participation française au programme-cadre a été confiée par le Premier ministre à l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche et au Conseil général de l'économie en 2016.

Parmi les difficultés identifiées par le rapport figurent l'insuffisance des dispositifs d'accompagnement et la nécessité d'affirmer l'influence de la communauté française sur les institutions européennes en charge de définir la programmation.

Or, les régions sont pour la plupart déjà engagées dans l'accompagnement des chercheurs et les stratégies d'influence à l'échelle de l'Union européenne (voir supra ). Pour le rapporteur spécial, le renforcement de la participation française aux appels à projets européen repose donc sur une plus grande association des régions à la politique menée par l'État dans ce domaine.

À cet égard, le Plan d'action national pour la participation française au programme cadre de recherche et d'innovation a récemment reconnu le rôle important des régions comme « échelon clé des structures institutionnelles de la coordination des acteurs de la recherche et de l'innovation » 55 ( * ) .

Si cette première reconnaissance symbolique est encourageante, elle peine à trouver une traduction concrète, les démarches conjointes entre l'État et les régions demeurant encore très limitées . Le plan d'action indique seulement que « le Mesri valorisera les dispositifs régionaux incitatifs sur le portail national » et « des actions ultérieures seront proposées aux régions » 56 ( * ) . Parmi les initiatives ayant vu le jour figure l'organisation d'un premier colloque Régions - État - Europe, réunissant tous les acteurs autour d'une table - mais cette dernière est à mettre au crédit de l'association Régions de France, et non des services centraux.

Si, par ailleurs, le ministère organise une journée annuelle réunissant les points de contact nationaux et les relais régionaux pour la mobilisation des acteurs de la recherche, le rapporteur regrette que ces échanges ne soient pas plus systématiques.

Comme l'a suggéré le conseil régional d'Île-de-France, il serait par ailleurs être pertinent de « partager les expertises des projets visés par l'Union européenne et ainsi éviter une double analyse » 57 ( * ) .

Enfin, il pourrait être du ressort de l'État d'inciter les régions à adopter des stratégies d'influence communes au niveau européen, lorsqu'elles défendent des intérêts convergents . En effet, si des réseaux structurés existent à l'échelle régionale et supranationale, force est de constater que les régions ne se concertent pas suffisamment au sujet de leur participation aux appels à projets européens. L'efficacité des dispositifs régionaux pourrait être décuplée si, en parallèle, les régions menaient davantage d'actions conjointes et échangeaient plus régulièrement au sujet de leur stratégie européenne.


* 46 Réponse écrite au questionnaire envoyé par le rapporteur spécial.

* 47 Réponse écrite au questionnaire envoyé par le rapporteur spécial.

* 48 Ibid.

* 49 Réponse écrite au questionnaire envoyé par le rapporteur spécial.

* 50 Ibid.

* 51 Ibid.

* 52 Réponse écrite au questionnaire envoyé par le rapporteur spécial.

* 53 Ibid.

* 54 Ibid.

* 55 Plan d'action national d'amélioration de la participation française aux dispositifs européens de financement de la recherche et de l'innovation, juillet 2018, mesure 6.

* 56 http://cache.media.education.gouv.fr/file/2018/52/0/Plan_d_action_national_amelioration_participation_francaise_au_PC..._1050520.pdf

* 57 Réponse écrite au questionnaire envoyé par le rapporteur spécial.

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