EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 25 septembre 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu une communication de M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial, sur la mobilisation des financements régionaux en faveur de la recherche

M. Vincent Éblé , président . - Nous entendons maintenant une communication de notre rapporteur spécial sur les crédits de la recherche, Jean-François Rapin, suite au travail qu'il a effectué sur les financements des régions en faveur de la recherche.

M. Jean-François Rapin , rapporteur spécial . - Le Gouvernement travaille actuellement, en lien avec les acteurs du monde de la recherche, à l'élaboration d'une loi de programmation pluriannuelle de la recherche, qui nous sera présentée au premier semestre 2020.

J'appelle cet effort de programmation de mes voeux depuis deux ans ; il est en effet grand temps de doter le monde de la recherche d'une plus grande visibilité quant aux moyens qui lui seront dédiés. Il me semble par ailleurs indispensable de mener à bien une véritable réflexion quant à l'articulation des différentes sources de financement de la recherche ; en effet, vous ne l'ignorez pas, le financement de cette politique publique obéit à des règles complexes, faisant intervenir une multitude d'acteurs, d'opérateurs, de structures.

Je me félicite donc que nous prenions le temps de nous interroger : comment mieux dépenser en faveur de la recherche ? Que faire pour que nos investissements soient plus efficaces et cohérents entre eux ? Si ces objectifs sont ambitieux et louables, ils ne sauraient être atteints sans tenir compte d'un des grands acteurs du financement de la recherche, relativement peu évoqué dans le débat public, en dépit de son importance croissante : je veux parler des régions.

Au travers de mon contrôle budgétaire, je me suis donc efforcé de répondre aux questions suivantes : de quelle manière les régions contribuent-elles au pilotage et au financement de la recherche en France ? Les financements en provenance des régions constituent-ils des doublons avec les crédits alloués par l'État, conduisant à une perte de lisibilité de l'action publique dans le secteur de la recherche, ou permettent-ils au contraire de combler des angles morts ? Comment s'organise la coopération entre l'État et les régions dans le secteur de la recherche ? Comment pourrait-elle être améliorée ?

J'ai décidé de mener un travail de terrain, en allant directement à la rencontre des exécutifs régionaux et des chercheurs ; cette démarche m'a conduit à mener plusieurs auditions et à effectuer trois déplacements, en Nouvelle-Aquitaine, en Auvergne-Rhône-Alpes et en Île-de-France.

En parallèle, j'ai soumis à l'ensemble des conseils régionaux un questionnaire détaillé, afin d'appréhender au mieux leur stratégie et les modalités de leur intervention dans le secteur de la recherche. L'étude de ces questionnaires s'est révélée être une véritable mine d'informations : je tiens donc à remercier les conseils régionaux qui m'ont répondu pour la qualité et la précision des éléments communiqués.

Je tire trois conclusions majeures de mon contrôle budgétaire.

Premièrement, les régions sont devenues un acteur clé du pilotage et du financement de la recherche en France.

Deuxièmement, l'intervention des régions est très complémentaire de celle de l'État, ce qui démontre la pertinence d'une action régionale dans le domaine de la recherche.

Enfin, l'État et les régions doivent davantage collaborer en matière de recherche, pour renforcer la cohérence de leurs actions.

J'avais l'intuition, en initiant ce contrôle budgétaire, que les régions jouaient un rôle croissant dans le secteur de la recherche ; mon expérience d'élu de terrain me portait, en tout état de cause, à le penser. Lors de mes travaux, j'ai pu réaliser que les régions étaient, de fait, devenues un interlocuteur incontournable des acteurs du monde de la recherche, pour plusieurs raisons.

En premier lieu, il convient de souligner que les régions ont commencé à se positionner sur le champ de la recherche dans le cadre de la régionalisation de l'action économique ; chefs de file du développement économique, elles ont cherché à développer la compétitivité et l'attractivité de leur territoire et, pour ce faire, se sont appuyées sur les activités de recherche.

Les régions ont été progressivement dotées de compétences de programmation et d'encadrement dans le secteur de la recherche ; j'ai pu constater qu'elles s'étaient pleinement saisies des outils à leur disposition pour coordonner et harmoniser les initiatives locales, au service des besoins de leur territoire.

En parallèle, les conseils régionaux sont devenus un relais local vers et auprès de l'Union européenne. Le rôle des régions est double : elles aident les chercheurs à obtenir des fonds européens, tout en s'efforçant d'influencer les orientations stratégiques des programmes européens pour qu'ils correspondent davantage aux besoins locaux.

En effet, le transfert de la gestion des fonds européens aux exécutifs régionaux a fait de ces derniers des interlocuteurs centraux, capables de mobiliser plusieurs types de financements pour favoriser un effet de levier vers des financements provenant des appels à projets européens. Lors de mes déplacements sur le terrain, j'ai pu mesurer à quel point l'aide des régions dans ce domaine était appréciée.

Cette montée en puissance dans le secteur de la recherche s'est accompagnée d'une progression significative de l'intervention financière des régions : les dépenses de recherche des conseils régionaux ont augmenté de 75 % entre 2004 et 2017, passant de 385 millions d'euros à 674 millions d'euros par an. Après un pic de 850 millions d'euros en 2014, l'effort financier des régions a connu une relative stagnation ces dernières années, principalement sous l'effet des réorganisations institutionnelles.

Il me semble donc important de souligner que les régions constituent désormais une source de financement comparable aux appels à projets européens Horizon 2020.

Certes, cet effort est encore inégalement réparti sur le territoire, puisque les cinq régions investissant le plus dans le domaine de la recherche représentent 60 % de l'effort financier régional dans ce secteur. Pour donner un chiffre encore plus éloquent, le budget par habitant de la recherche varie de 21,3 euros pour les Pays de la Loire à 1,6 euro à Mayotte, la moyenne se situant à 11 euros.

En pratique, les dépenses de recherche en France métropolitaine représentent entre 1,6 % et 5,8 % du budget primitif des régions, quand il demeure inférieur à 0,5 % dans les territoires ultramarins.

Cependant, pour regrettables qu'elles soient, ces disparités auraient tendance à se résorber, notamment dans le cadre des fusions de régions intervenues en 2016.

J'en viens à mon second point. J'ai souhaité étudier, sur le terrain, la nature des interventions régionales, afin de déterminer si la diversité des sources de financement n'engendrait pas d'effets de doublons et ne nuisait pas, in fine , à la lisibilité des interventions publiques sur le territoire.

Bien au contraire, il m'est apparu que les régions et l'État intervenaient de manière tantôt commune et concertée, tantôt distincte et autonome, mais dans la plupart des cas complémentaire et cohérente.

Dans le premier cas, les cofinancements État-régions permettent de décliner la politique nationale sur le territoire régional. Ainsi, les contrats de plan État-régions (CPER), les appels à projets régionalisés, et les crédits dédiés aux pôles de compétitivité font l'objet d'une démarche commune entre l'État et les régions, ce qui garantit la cohérence des interventions financières. Sur le terrain, les CPER sont un outil particulièrement apprécié, parce qu'il constitue un véritable « lieu » de concertation entre l'État et les régions sur les investissements à venir. Cependant, comme plusieurs interlocuteurs me l'ont signalé, ces interventions conjointes demeurent limitées dans leur nature et relativement rigides dans leur mise en oeuvre.

C'est ce qui a poussé de nombreuses régions à développer des outils financiers propres, leur permettant de soutenir de manière plus souple et rapide les acteurs locaux. Ainsi, au cours de mes échanges avec les chercheurs, j'ai pu constater que les régions proposaient souvent des compléments de financement indispensables, car déterminants dans la décision de poursuivre ou non un projet.

Il m'est par ailleurs apparu que, par ce biais, les régions finançaient principalement les activités de valorisation et de transfert de technologie, afin de renforcer la compétitivité et l'attractivité de leur territoire. L'intervention des régions se distingue ainsi de celle de l'État, qui proportionnellement soutient davantage la recherche fondamentale.

Sans aller jusqu'à répertorier toutes les initiatives des régions, je me suis donc efforcé d'en dresser une typologie, afin de donner un aperçu de la diversité des leviers d'intervention développés par les exécutifs régionaux.

Ainsi, la plupart des régions organisent des appels à projets thématiques pour répondre à certains besoins identifiés sur leur territoire. Ces appels à projets régionaux se sont inscrits de manière durable dans les écosystèmes locaux, dans la mesure où ils permettent de coupler des aides régionales aux financements nationaux et européens, tout en mobilisant des fonds privés.

En parallèle, certaines régions octroient des subventions ou investissent de manière ponctuelle afin de structurer des filières sur le territoire régional, comme l'a fait le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine avec la filière photonique. Ces investissements peuvent notamment être destinés à faciliter l'implantation d'équipements emblématiques - je pense notamment aux conseils régionaux d'Île-de-France et du Centre-Val-de-Loire, qui ont financé en grande partie la construction du synchrotron SOLEIL, situé sur le plateau de Saclay.

La plupart des conseils régionaux financent également de manière récurrente les écosystèmes d'innovation via les structures labellisées, ce qui favorise l'instauration d'une relation tripartite avec l'État.

Enfin, de nombreux exécutifs concluent des conventions avec des organismes de recherche pour renforcer l'attractivité de leur territoire ; c'est notamment le cas du conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes avec le CEA Tech, pour soutenir le développement de la filière microélectronique à Grenoble.

Je retiens donc de mes travaux que les régions ont su mettre à profit leur proximité avec les acteurs régionaux pour agir de manière complémentaire à l'État, en développant des modalités d'intervention souples et variées.

J'en viens à mon dernier point : malgré leur implication, les régions ont souvent le sentiment de ne pas être pleinement associées à la politique de recherche de l'État.

Cette situation nuit, à mes yeux, à la cohérence des interventions nationales et régionales et donc finalement à l'efficacité de notre politique de recherche ; étant donné les enjeux actuels et la forte concurrence internationale à laquelle nous sommes soumis, il me semble primordial de renforcer la coopération entre l'État et les régions.

J'ai donc relevé trois axes d'amélioration.

En premier lieu, il me paraît indispensable de développer l'information disponible quant aux financements en provenance des régions ; la mise en place d'un suivi plus précis de cette source de financement constitue, de toute évidence, un préalable indispensable à une plus grande association des régions au pilotage de la politique de recherche.

Dans un second temps, il ressort de mon enquête que la concertation entre les instances de pilotage régionales et nationales pourrait être grandement améliorée, afin de favoriser les synergies en termes de financement. J'ai notamment relevé, avec surprise, qu'il n'existait pas, à l'heure actuelle, d'instance unique de dialogue entre l'État et les régions au sujet de l'enseignement supérieur et de la recherche en région ; cette situation n'est à mon sens pas tenable.

Enfin, j'estime qu'il devient capital de développer les démarches conjointes État-régions sur le plan européen. Vous n'êtes pas sans connaître les résultats relativement décevants de la France dans les appels à projets européens ; cet état de fait doit nous conduire à repenser l'accompagnement des chercheurs, domaine dans lequel nos régions font preuve d'une grande créativité. Je conclus donc de mes travaux que le renforcement de la participation française aux appels à projets européens passe par un plus grand rôle donné aux régions en la matière.

M. Roger Karoutchi . - Je partage les conclusions du rapporteur spécial, mais il n'a pas été suffisamment critique à l'égard de l'État ! La région Île-de-France, qui rassemble 30 % des étudiants et des élèves dans les grandes écoles, a largement financé les pôles de compétitivité et des laboratoires de recherche fondamentale. Or, dans le même temps, l'État refuse toute discussion sur un éventuel transfert de la compétence à la région ! Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche a une attitude jacobine, alors même qu'il ne dispose plus de moyens de financement suffisants.

Payer et ne pas avoir son mot à dire, cela commence à bien faire... Il faut que l'État accepte une nouvelle étape de décentralisation, et transfère éventuellement aux régions la compétence en matière de recherche.

M. Philippe Dallier . - On s'interroge sur les économies que pourrait faire l'État. En matière de politique de logement, on pourrait « couper le cordon » et transférer cette compétence. S'agissant de la recherche, le rapporteur spécial pourrait peut-être nous indiquer où placer la frontière. On n'imagine pas que l'État cesse complètement d'intervenir dans ce domaine, notamment pour des projets à caractère stratégique.

Mme Sylvie Vermeillet . - Je remercie le rapporteur spécial pour son exposé passionnant. Les dépenses de recherche des régions ont augmenté de 75 % entre 2004 et 2017. En France métropolitaine, ces dépenses représentent entre 1,6 et 5,8 % du budget primitif des régions. Les régions s'administrent librement, certes, mais comment expliquer de telles différences ? Est-ce dû à un défaut de synergie entre certaines régions et l'État ? À des choix politiques ? À un manque de projets ?

M. Bernard Delcros . - Je partage les propositions du rapporteur spécial sur la nécessité d'une meilleure coordination entre l'action de l'État et celle des régions. L'État doit garder des compétences en matière de recherche.

Je reviens sur les écarts d'investissement des régions. Sont-ils liés à des différences de stratégie des politiques régionales, ou d'activités sur les territoires ?

M. Éric Bocquet . - Le rapport pointe une montée en charge globale des financements consacrés à la recherche entre 2004 et 2017, avec une relative stagnation ces dernières années. Cela s'explique-t-il en partie par la fusion des régions ?

Je m'étonne moi aussi des écarts énormes entre les régions. Existe-t-il des coopérations interrégionales en matière de recherche ?

M. Thierry Carcenac . - Je félicite le rapporteur spécial pour son travail.

Je viens de recevoir un courrier du préfet de mon département, me demandant de lui transmettre mes observations, d'ici au 30 septembre prochain, sur le prochain contrat de plan État-région. Disposez-vous des orientations de ce prochain contrat de plan, qui couvrira la période 2021-2027 ?

Vous avez souligné le rôle des régions en matière de transfert de technologie : les centres régionaux d'innovation et de transfert de technologie (Critt) sont très importants dans ce cadre.

En matière immobilière, l'État n'intervient pas : ce sont les collectivités territoriales qui le font. Disposez-vous de chiffres s'agissant de l'immobilier d'entreprise ?

M. Michel Canévet . - Je félicite le rapporteur spécial pour sa présentation très claire. Je partage les observations de Philippe Dallier et Roger Karoutchi sur l'intérêt d'une décentralisation accrue de la compétence en matière de recherche. Néanmoins, il faut relativiser : le montant dédié à la recherche par les régions est de 750 millions d'euros, alors que l'effort public de recherche s'élève dans notre pays à près de 15 milliards d'euros. Il faut réfléchir à la dimension que l'on souhaite donner à l'éventuel élan de décentralisation : jusqu'à quel niveau et pour quelles compétences ?

Comment se passe la coordination entre les services de l'État - les délégations régionales à la recherche et à la technologie -, et les conseils régionaux ? Existe-t-il une instance de concertation au niveau national ?

M. Marc Laménie . - Je remercie également le rapporteur spécial. Je veux insister sur la complexité du dispositif. La mission Enseignement supérieur et recherche représente environ 30 milliards d'euros. Les départements veulent tous faire de la recherche - dans le mien, les Ardennes, nous venons d'inaugurer un campus. Mais nous avons du mal à nous y retrouver : les intervenants sont multiples - recteurs, présidents d'université, conseils régionaux, préfets de région, opérateurs de l'État -, tout comme les financements - contrats de plan, financements des départements et des intercommunalités... Il faudrait simplifier les choses !

M. Jean-François Rapin , rapporteur spécial . - Pour Roger Karoutchi et Philippe Dallier, je sais que la région Île-de-France se plaint de la réduction de l'intervention de l'État. Mais elle est considérée comme une région très riche !

M. Philippe Dallier . - On nous le répète tous les jours !

M. Jean-François Rapin , rapporteur spécial . - La région a vu ses crédits diminuer : elle a en effet reçu moins d'aides de l'État et de l'Europe en raison de sa puissance financière. C'est certainement un argument d'équité, mais est-ce pour autant un argument valable s'agissant du développement de la recherche ? Je ne le crois pas.

Roger Karoutchi a évoqué tant l'enseignement supérieur que la recherche. Pour ma part, je pense au volet appliqué de la recherche. La recherche fondamentale, plus proche de l'enseignement supérieur, serait plutôt dévolue à l'État. Si je devais proposer une vision décentralisée de la matière, je confierais donc la recherche appliquée aux régions, et la recherche fondamentale et stratégique à l'État. Je suis prêt à travailler sur cette question avec Philippe Adnot.

Sur les différences entre régions, elles s'expliquent non seulement par le PIB des régions, mais aussi par les choix des exécutifs. Nous avons davantage de facilités à faire de la recherche en Île-de-France, car nous disposons de grands équipements et d'une attractivité forte. D'autres régions sont en pointe. Ainsi, 90 % des appareils téléphoniques d'une célèbre marque de smartphones utilisent une technologie (le SOI) qui a été conçue au Laboratoire d'électronique et de technologie de l'information du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) à Grenoble.

Sur les contrats de plan État-régions, je n'ai aucune information.

Bernard Delcros, vous estimez que l'État doit garder des compétences en matière de recherche. Bien sûr !

Éric Bocquet, la fusion des régions a certainement freiné les régions dans leur volonté d'aller plus loin. Le pic de 2009 s'explique peut-être par le grand emprunt qui a suivi la crise financière.

S'agissant de l'instance de concertation, question soulevée par Michel Canevet, je m'étonne dans le rapport de l'absence d'une telle structure. Des initiatives sont prises par les régions ; pour l'instant, ces réunions sont ponctuelles. Espérons que la loi de programmation organise et encadre cette coordination. L'État ne peut pas se passer d'une concertation avec les régions.

Le problème soulevé par Marc Laménie est l'une des raisons pour laquelle nous avons engagé ce contrôle budgétaire. Nous ne savons plus qui fait quoi, qui finance quoi... Là encore, j'espère que la loi de programmation nous permettra d'avoir une meilleure visibilité.

La commission a autorisé la publication de la communication de M. Jean-François Rapin sous la forme d'un rapport d'information.

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