C. LE DISPOSITIF DE GESTION DES FONDS EUROPÉENS EN FRANCE

La France a fait le choix, en 2014, de décentraliser la gestion des fonds européens dont elle dispose aux régions. Néanmoins, ce transfert n'est pas complet, l'État conservant un rôle important dans l'utilisation de certains fonds. Cette réparation des compétences aboutit à un dispositif d'ensemble complexe et difficilement lisible, en particulier pour les porteurs de projets.

1. Le transfert, seulement partiel, de l'autorité de gestion des fonds européens aux régions

En France, l'autorité de gestion des fonds européens a été transférée aux régions par la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM .

L'autorité de gestion est le maillon central de la programmation des fonds. Elle est responsable de la définition de la stratégie d'utilisation des crédits, du pilotage financier du programme, de la sélection des projets et de l'animation du partenariat régional, de l'évaluation et de la communication du programme, ainsi que, le cas échéant, de la supervision de ses organismes intermédiaires. Elle porte l'entière responsabilité financière, juridique et politique de ses programmes.

La décentralisation opérée en France n'est toutefois que partielle, et l'autonomie de gestion des régions pour définir leur stratégie d'utilisation des fond européens est limitée.

Ces limites ont été précisées par Régions de France, en réponse à votre rapporteure.

Les régions sont autorités de gestion de la quasi-totalité du FEDER 14 ( * ) .

Cependant, elles doivent respecter la réglementation européenne, qui définit des critères d'éligibilité ou des obligations de fléchage des crédits sur certains thèmes, et inscrire leurs actions dans les orientations nationales définies dans l'accord de partenariat.

Pour le FSE , le principe a été retenu de confier 35 % de l'enveloppe aux régions, en particulier pour les interventions relevant de la formation professionnelle, de l'apprentissage et de l'orientation, et d'établir un programme national pour 65 %, répartis pour moitié sur le champ de l'emploi et pour moitié sur le champ de l'inclusion, en recourant à des délégations de gestion sur la partie insertion aux départements ou à certaines intercommunalités pour les programmes locaux d'insertion par l'économie (PLIE).

Mais cette gestion partagée a rendu indispensable un dialogue entre les autorités de gestion : au niveau régional, entre chaque région et la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), chargée de mettre en oeuvre la part territorialisée du programme national FSE ; au niveau national, la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) du ministère du travail est l'autorité nationale de coordination du FSE, ce qui l'amène à réunir régulièrement l'ensemble des acteurs de ce fonds.

Pour le FEADER , le choix, présenté à l'époque comme une première étape de décentralisation qui en appellerait des suivantes, a consisté à confier l'autorité de gestion aux régions, tout en laissant à l'État le soin d'instruire et de payer l'essentiel des mesures.

Pour autant, les marges de manoeuvre des régions sont très limitées du fait de l'imbrication des responsabilités de l'État et de celles des régions. Le cadre national FEADER définit les modalités de mise en oeuvre et la répartition des enveloppes financières des mesures d'envergure nationale, que les régions appliquent. Mais le ministère de l'agriculture et de l'alimentation a, par exemple, modifié unilatéralement le cadre national en cours de programmation et a décidé seul de la répartition des transferts de crédits entre le premier et le second piliers de la PAC. En réalité, les régions n'ont la main que sur une part très limitée des crédits FEADER, relative aux investissements.

Pour le FEAMP , la réglementation européenne prévoit un programme opérationnel unique et la désignation d'une autorité de gestion nationale unique, avec la possibilité pour cette dernière de déléguer une partie des tâches à un ou plusieurs organismes intermédiaires - spécificité du FEAMP. En tant que services déconcentrés de l'État, les directions interrégionales de la mer et les directions de la mer sont les relais de l'autorité de gestion sur le terrain. La gestion du FEAMP est déléguée pour certaines mesures selon deux modalités : à FranceAgriMer, pour la gestion des mesures nationales et mesures régionales « continentales » ; aux régions qui ont exprimé le souhait d'être organismes intermédiaires, pour la gestion des mesures qu'elles ont elles-mêmes choisies de mettre en oeuvre, dites « mesures régionales », par convention de délégation de gestion avec l'autorité de gestion.

Concrètement, les régions sont responsables de la gestion de leur subvention globale : elles sont chargées de recueillir les dossiers de demande d'aide et de les instruire, mais elles n'ont pas la capacité de moduler leurs orientations. Certes, il existe une importante coordination entre régions, mais qui est promue par les régions elles-mêmes au travers de Régions de France, sans structuration par la direction de la pêche et des affaires maritimes (DPMA) du ministère de l'agriculture et de l'alimentation.

2. Le dispositif complexe de mise en oeuvre des fonds européens

Les modalités de mise en oeuvre des fonds européens sont précisées dans l'accord de partenariat conclu entre la Commission européenne et la France. Cet accord décline, au niveau national, la réglementation européenne qui confie des fonctions spécifiques aux différents acteurs.

L'ensemble laisse une impression de complexité certaine.

a) Un système de gestion des programmes opérationnels complexe et foisonnant

Certaines autorités de gestion ont délégué une partie de leurs missions à d'autres organismes, dits autorités de gestion déléguées, ou la gestion d'une partie des fonds à des organismes intermédiaires.

Le mode de gouvernance des fonds européens retenu par la France relève de la catégorie dite « mixte régionalisée » , c'est-à-dire qu'il existe des programmes régionaux gérés et mis en oeuvre par des organismes régionaux qui peuvent s'appuyer sur une coordination nationale forte. On retrouve une organisation similaire en Grèce, en Finlande, en Italie, en Pologne ou au Portugal.

Ce mode de gouvernance se distingue de plusieurs autres : la catégorie « régionalisé », où les programmes régionaux sont gérés et mis en oeuvre par des organismes régionaux, avec une coordination nationale limitée (Belgique, Allemagne, Irlande, Pays-Bas ou Royaume-Uni) ; la catégorie « mixte centralisé », où les programmes régionaux sont gérés ou mis en oeuvre par des autorités nationales ou bien lorsque les programmes sont tous nationaux, mais leur mise en oeuvre déléguée à des organismes intermédiaires régionaux (Suède, Espagne, Autriche et Danemark) ; la catégorie « centralisé », où il n'y a que des programmes nationaux gérés et mis en oeuvre principalement par des autorités nationales (Bulgarie, Chypre, République tchèque, Estonie, Croatie, Hongrie, Lituanie, Luxembourg, Lettonie, Malte, Roumanie, Slovénie et Slovaquie).

La France, avec 83 programmes opérationnels , compte un nombre élevé de tels programmes, et donc d'autorités de gestion.

Les programmes opérationnels français pour la programmation 2014-2020

Pour l'actuelle programmation 2014-2020, la France compte 70 programmes opérationnels, ou PO, (hors programmes de coopération territoriale) :

- 32 PO au titre du FEDER et du FSE , soit 27 PO gérés par les régions et 5 PO ultramarins gérés par les préfectures (SGAR) ;

- 5 PO interrégionaux au titre du FEDER , pour les massifs de montagne et grands bassins fluviaux, soit 4 PO gérés par les régions et 1 PO géré par un GIP ;

- 27 programmes de développement rural régionaux (PDR) au titre du FEADER , soit 26 PDR gérés par les régions et 1 PDR géré par le département (à La Réunion) ;

- 6 PO nationaux : 2 PO nationaux au titre du FEADER et 1 PO national FEAMP gérés par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, 1 PO national au titre du FSE et 1 PO national au titre de l'IEJ gérés par le ministère du travail, et 1 PO national d'assistance technique Europ'Act, géré par le CGET.

S'ajoutent à ces 70 PO, 13 programmes de coopération territoriale européenne (INTERREG) , dont l'autorité de gestion se situe sur le territoire français.

Soit un total de 83 programmes opérationnels pour la France.

Source : Commissariat général à l'égalité des territoires.

À l'occasion du déplacement à Bruxelles d'une délégation de votre mission d'information, Mme Julia Pilarczyk, auditrice à la chambre Investissements en faveur de la cohésion, de la croissance et de l'inclusion de la Cour des comptes européenne, a rappelé que, alors que la France représente 4,2 % du total des fonds européens, elle compte 40 programmes opérationnels, derrière l'Italie (51) et l'Espagne (45), soit 12,7 % du total, 1 366 indicateurs de réalisation et de résultat, alors que l'Espagne, avec 45 programmes opérationnels, n'en a établi que 756, et 23,8 % du nombre total des autorités de gestion, quand la Pologne en compte 6,6 %, alors qu'elle bénéficie de 22 % des fonds européens.

Selon elle, ces différents chiffres reflètent des choix de gestion nationaux, mais ont nécessairement des conséquences concrètes sur leur utilisation des fonds européens .

Il serait particulièrement intéressant de savoir si le mode de gouvernance des fonds européens retenu par un État membre a des conséquences sur son taux de consommation des fonds qui lui sont alloués. Le CGET a ainsi indiqué que « l'importance de certains écarts de programmation entre États membres [l']a conduit [...] à proposer aux régions de lancer un marché de comparaison européenne plus ciblé destiné à identifier de façon plus qualitative certains facteurs de succès et bonnes pratiques de la programmation d'autres États membres qui seraient pertinents pour la France et pourraient ainsi alimenter les travaux des autorités compétentes françaises, notamment pour la préparation de la prochaine programmation Cette étude, qui a pour périmètre le FEDER, devrait être terminée avant la fin de l'année » 15 ( * ) . Le CGET a précisé que le scénario retenu pour l'analyse concernera six États membres (Allemagne, Italie, Pays-Bas, Pologne, Portugal et Suède) et quinze programmes opérationnels, et couvrira un périmètre large au sein des cinq objectifs stratégiques de la future programmation.

b) La coordination des fonds européens

L'État exerce une compétence de coordination des fonds européens , qui recouvre trois principales dimensions :

• La coordination interfonds

La coordination interfonds est confiée au Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) 16 ( * ) .

La mission de coordination interfonds du CGET

Le CGET est responsable de la coordination interfonds, pour laquelle il s'appuie sur le programme national d'assistance technique Europ'Act , doté d'une enveloppe de 122 millions d'euros, dont 72 millions au titre du FEDER et du FSE, pour la programmation 2014-2020.

À ce titre, le CGET : assure le suivi de l'accord de partenariat ; développe un système d'information permettant de répondre aux exigences des règlements européens et des accords politiques passés au niveau national ; apporte un appui technique et juridique 17 ( * ) aux autorités de gestion ; garantit l'existence d'une vision d'ensemble des actions financées par les FESI en France, y compris pour les programmes de coopération territoriale européenne auxquels la France participe, pour chaque thématique d'intervention et dans chaque type de territoire ; garantit un niveau de compétence suffisant des autorités en charge de la mise en oeuvre des fonds à travers la mise en place d'un cadre de formation ; coordonne les travaux interfonds en matière de suivi et d'évaluation ; participe, en tant que de besoin, aux comités de suivi des programmes ; assure une veille générale sur les sujets européens en lien avec les FESI.

Le CGET coordonne également les actions d'information et de communication interfonds à travers la gestion et l'animation du site www.europe-en-france.gouv.fr.

Pour assurer ces missions, il anime une série de comités, en relation avec ses partenaires européens, nationaux et régionaux, et de groupes de travail par métier, par thématique ou par territoire.

Source : Commissariat général à l'égalité des territoires.

• La coordination transversale des fonds alloués aux collectivités d'outre-mer

La coordination transversale des fonds alloués aux collectivités d'outre-mer est assurée par le ministère des outre-mer, en lien avec les ministères concernés.

La coordination des fonds européens alloués aux outre-mer

La direction générale des outre-mer (DGOM) intervient en tant qu'autorité de coordination pour les régions ultrapériphériques (RUP) en liaison avec le CGET, la DGEFP (pour le FSE/IEJ), le ministère de l'agriculture et de l'alimentation (pour le FEADER et le FEAMP) et en appui de ceux-ci.

Elle organise notamment un dialogue permanent entre toutes les autorités de gestion des RUP et les institutions nationales et européennes. Elle participe aux comités de suivi des fonds dans les RUP, une fois par an, avec les représentants de la Commission européenne.

Elle apporte un appui technique et juridique aux autorités de gestion, ainsi qu'en ingénierie. Elle veille à la bonne prise en compte des intérêts des RUP dans les négociations interministérielles sur les fonds européens.

Source : Direction générale des outre-mer du ministère des outre-mer.

• L'animation au niveau de chaque fonds

L'animation par fonds relève :

- du CGET pour le FEDER ;

- de la DGEFP pour le FSE/IEJ ;

Exemple : la fonction de coordination du FSE/IEJ exercée par la DGEFP

Comme autorité de coordination du FSE/IEJ, la DGEFP exerce les responsabilités suivantes :

- veiller à la concertation avec la Commission européenne sur les sujets généraux liés à la mise en oeuvre du FSE et de l'IEJ ;

- garantir la cohérence de la stratégie d'utilisation du FSE et de l'IEJ en France ;

- consolider les résultats et les réalisations du FSE et de l'IEJ en France (production de documents par exemple), en lien avec les conseils régionaux ;

- apporter un appui technique et juridique aux autorités de gestion du FSE et de l'IEJ, dans les domaines relevant spécifiquement du règlement FSE, et dans le respect de leurs compétences et responsabilités respectives ;

- veiller à l'absence de double financement européen sur le FSE et l'IEJ ;

- participer aux comités de suivi des programmes régionaux.

Par ailleurs, la DGEFP assure la représentation française aux instances de coordination européenne sur le FSE et participe aux travaux interministériels relatifs à la négociation du prochain cadre financier pluriannuel et aux discussions réglementaires associées menées sous l'égide du SGAE.

Source : Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle du ministère du travail.

- de la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) du ministère de l'agriculture et de l'alimentation pour le FEADER ;

- de la DPMA pour le FEAMP.

c) L'assistance apportée aux autorités de gestion et aux porteurs de projets

Les autorités de gestion bénéficient d'une assistance.

Le CGET, on l'a dit, leur apporte son soutien en tant qu'autorité de coordination interfonds.

Par ailleurs, les autorités de gestion elles-mêmes ont mis en place des mesures d'information et d'accompagnement à destination des porteurs de projets .

Par exemple, la DGEFP, en tant qu'autorité de gestion des programmes nationaux du FSE, a mis en place un système d'information pour la gestion des subventions allouées par ce fonds, conçu comme didactique (ma-demarche-fse.fr). L'ensemble des formulaires sont dématérialisés avec des outils d'aide en ligne, des tutoriels et la possibilité de déposer un volume important de justificatifs allégeant ainsi la charge de conservation des pièces pour les porteurs de projets.

L'accompagnement des porteurs de projets est effectué par les autorités de gestion déléguées, les DIRECCTE, selon des modalités diverses : aide à la rédaction de demandes de subventions, réunion de présentation des appels à projets au moment de leur lancement, animation des réseaux constitués, réunions bilatérales avec les porteurs de projets, etc.

En cours d'exécution des opérations, les visites sur place menées par les services gestionnaires, qui répondent d'ailleurs à une obligation prévue par la réglementation européenne, permettent de mieux connaître le rôle et l'utilisation des fonds européens. De même, les services gestionnaires participent en général aux comités de pilotage mis en place par les porteurs de projets pour suivre le déroulement des actions cofinancées.

Autre exemple, dans le domaine agricole, les chambres d'agriculture ont aussi pour mission d'informer sur les opportunités du FEADER et peuvent accompagner les agriculteurs dans le montage de leurs dossiers. Les directions départementales des territoires du ministère de l'agriculture et de l'alimentation ont également une fonction d'accompagnement dans le montage du dossier.

Cette assistance aux porteurs de projets existe aussi au niveau local. Par exemple, le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine apporte une aide à l'ingénierie aux groupes d'action local (GAL), tandis que la communauté d'agglomération Melun-Val-de-Seine soutient les porteurs de projets pour mieux appréhender la réglementation relative aux marchés publics.


* 14 À Mayotte, le FEDER est géré par la préfecture (SGAR).

* 15 Cette étude prend la forme d'un marché public attribué à la société Spatial Foresight en mars 2019.

* 16 Le CGET sera progressivement intégré à la future Agence nationale de la cohésion des territoires en application de la loi n° 2019-753 du 22 juillet 2019 portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires.

* 17 Cet appui prend notamment la forme d'un réseau permettant d'échanger des informations de nature réglementaire, l'élaboration de textes réglementaires nationaux ou des échanges avec la Commission européenne sur l'interprétation des textes européens.

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