C. LES AUDITIONS ET ÉCHANGES DE L'ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE AVEC PLUSIEURS PERSONNALITÉS

Chaque session de l'Assemblée parlementaire offre l'opportunité à ses membres d'entendre et, éventuellement, d'interroger un représentant du pouvoir exécutif de l'un ou de plusieurs États membres du Conseil de l'Europe sur les questions touchant aux droits de l'Homme et à la démocratie. En ce mois d'octobre 2019, la particularité a consisté pour l'APCE à entendre le discours du Président de la République, M. Emmanuel Macron. Il s'agissait là de la septième allocution d'un Chef de l'État français en exercice, après celles de MM. Alain Poher, alors par intérim (6 mai 1974), Valéry Giscard d'Estaing (28 janvier 1977), François Mitterrand (30 septembre 1982, 5 mai 1989 et 4 mai 1992) et François Hollande (11 octobre 2016).

1. Le discours de M. Emmanuel Macron, Président de la République française

Mardi 1 er octobre 2019, jour de commémoration officielle du 70 ème anniversaire du Conseil de l'Europe, l'APCE a entendu le discours du Chef de l'État du pays hôte de l'Organisation, à savoir M. Emmanuel Macron. Cette allocution devant l'Assemblée parlementaire était la treizième de l'un des plus hauts responsables de l'Exécutif français, Présidents de la République et Premiers ministres confondus, depuis 1949 5 ( * ) .

Soulignant que sa venue devant l'APCE visait à rendre hommage à l'Assemblée parlementaire et, à travers elle, au Conseil de l'Europe, le Président de la République française a insisté sur l'indéfectible attachement de la France à cette Organisation depuis son origine. Charles Péguy disait que « la liberté est un système de courage » et cette persévérance de la liberté et de la dignité face à toutes les adversités est au coeur du Conseil de l'Europe, qui siège dans une ville trois fois déchirée par les guerres fratricides.

Le Conseil de l'Europe a fait progresser le respect des droits fondamentaux, la démocratie et l'État de droit en Europe. Il a permis l'éradication presque totale de la peine de mort sur le continent européen en faisant de son abolition un préalable à l'adhésion. Il a fait reculer la torture par la prévention qu'il exerce sur les lieux de privation de liberté. Il a permis l'adoption de textes sur la protection des enfants, contre leur exploitation, sur la prévention des violences faites aux femmes. Il a donné naissance à la convention européenne des droits de l'Homme, imposant, sous l'impulsion de René Cassin, qu'une juridiction soit chargée d'en assurer le respect par les États avec force obligatoire de ses arrêts. Il a fait progresser les droits sociaux, au logement, à la santé, à l'éducation, à l'emploi, à la libre circulation, garantis par la charte sociale européenne. Il a accompagné la construction de l'État de droit, comme il le fait aujourd'hui en Moldavie au travers de la Commission de Venise. Il a su jouer un rôle visionnaire et précurseur sur la biodiversité comme sur la protection des données personnelles. Il a rendu le continent européen plus démocratique par l'observation des élections, la lutte contre la corruption, la défense de la liberté d'expression. Il l'a rendu plus sûr en définissant des règles communes pour lutter contre le terrorisme ou la cybercriminalité.

Trente ans après la chute du mur de Berlin, les murs de cette maison commune sont toutefois fissurés. Ils le sont par la remise en cause des droits fondamentaux sur le continent, qu'il faut regarder en face en en débattant dans l'enceinte de l'Assemblée parlementaire. En Turquie, où l'État de droit recule, où les procédures judiciaires ouvertes contre les défenseurs des droits de l'Homme, des journalistes, des universitaires, doivent faire l'objet d'une grande vigilance. En Russie, où la répression des manifestations de l'été dernier suscite de nombreuses et légitimes préoccupations que la France partage et sur lesquelles elle s'est clairement exprimée. Ils le sont aussi par la fascination qu'exercent jusqu'au sein de l'Union européenne les régimes autoritaires, parce que nos démocraties en crise n'ont pas su apporter à nos concitoyens les protections auxquelles ils aspirent. Ils se sont fracturés, enfin, sous le coup de l'illusion que la liberté s'imposerait mécaniquement partout, que les peuples d'Europe finiraient par s'unir dans un ensemble de règles et de normes dans lequel le poids de leur passé, de leur culture profonde, finirait par se diluer.

M. Emmanuel Macron a estimé que, pour l'avenir, il convenait de veiller à se donner au moins deux exigences.

La première est de veiller sur l'unité du continent, sur le socle de ses valeurs communes. C'est ce que la France porte au sein de l'Union européenne pour construire, avec ses partenaires, une souveraineté économique, numérique, écologique, stratégique, qui repose sur la solidarité et le renforcement de l'État de droit ; donc, par la prise en compte du travail réalisé par le Conseil de l'Europe et par l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme.

Faire l'Europe n'étant jamais naturel, c'est au Conseil de l'Europe que les fractures de notre continent peuvent être réparées, parce qu'ici, précisément, les déchirures de la guerre et les divisions de la guerre froide ont pu être dépassées, parce que c'est le lieu où la conscience européenne se construit et se débat. Cela n'ira pas sans tension, comme l'ont illustré les débats profonds cette année, à l'APCE, sur la place de la Russie au Conseil de l'Europe. Néanmoins, l'Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres on fait le choix du maintien de la Russie pour avancer ensemble vers un retour à la normale du fonctionnement de l'Organisation et éviter des conséquences néfastes à nos peuples et à la protection de leurs droits.

Le Président de la République française a déclaré soutenir pleinement le choix qui a été fait de maintenir la Russie dans le Conseil de l'Europe, le peuple russe se reconnaissant fondamentalement dans l'humanisme européen, parce qu'il a participé à sa construction, parce que la géographie, l'histoire et la culture de la Russie sont fondamentalement européennes, et parce que la division serait un échec de plus donnant la victoire à ceux qui ne croient pas dans ce socle et ces valeurs.

Le rôle du Conseil de l'Europe, de son Comité des Ministres et de son Assemblée parlementaire n'est pas de se substituer aux Gouvernements, qui sont eux-mêmes responsables de faire aboutir les accords de Minsk et les procédures de Normandie. La décision prise en juin d'autoriser le retour de la délégation russe n'affaiblit donc en rien la détermination commune à en finir avec les conflits gelés et ne signifie en rien l'existence de plusieurs standards au sein du Conseil de l'Europe.

Nullement un geste de complaisance, cette décision d'exigence à l'égard de la Russie vise à ce qu'elle respecte pleinement ses obligations et s'acquitte de ses devoirs à l'égard du Conseil de l'Europe. Elle est aussi une exigence à l'égard de l'Organisation, pour être plus efficace face à ce type de situations, avec plus de prévisibilité, de réactivité, de crédibilité. C'est tout l'objet de la nouvelle procédure conjointe que l'APCE et le Comité des Ministres ont décidé d'initier pour une entrée en vigueur en janvier 2020.

M. Emmanuel Macron a ensuite indiqué aux membres de l'Assemblée parlementaire qu'avant de se présenter devant eux, il avait rencontré M. Oleg Sentsov, présent à Strasbourg, libre grâce à l'échange de prisonniers intervenu il y a quelques semaines entre la Russie et l'Ukraine. Oleg Sentsov est de ceux qui pensent - comme jadis Bernanos - que la liberté des autres est aussi essentielle que la nôtre ; de ceux qui pensent qu'il ne sert à rien d'avoir des idéaux si l'on n'est pas capables de se battre pour eux envers et contre tout. Cela fait de lui un grand Européen parce qu'être Européen, fondamentalement, c'est ne jamais se résigner dans le combat pour la liberté et pour la dignité.

La deuxième exigence à avoir, selon le Président de la République française, est de construire la pensée des droits de l'Homme, de la liberté et de la démocratie face aux grands défis contemporains. Là est sans doute l'enjeu principal de l'humanisme européen au XXI ème siècle car les principes et les valeurs du Conseil de l'Europe sont mis au défi par les grandes transformations actuelles, contestés de l'extérieur par un ensauvagement du monde, le retour à une ère d'exercice brutal de la puissance dans laquelle les violations des droits fondamentaux, du droit humanitaire le plus élémentaire, ne sont plus ni punies, ni sanctionnées et font même de moins en moins l'objet d'une réprobation assumée.

Ce constat s'explique par un affaiblissement sans précédent du système multilatéral et constitue une source profonde d'insécurité pour tous en ce qu'il remet très profondément en cause la construction au nom de la paix, fondée sur la coopération entre les nations et le respect des droits de chacun. Contestés, nos principes et nos valeurs sont aussi percutés par la menace terroriste, les transformations numériques, climatiques, démographiques, la crise du capitalisme mondialisé qui n'a pas su prendre en charge la question des inégalités. Tous ces phénomènes marquent le retour des grandes peurs et, avec elles, de l'irrationalisme : peur du déclassement, perte de repères, peur du monde, perte de confiance en ce que nous sommes, en notre rapport au monde, dans la vérité même des faits, parfois dans l'État de droit.

M. Emmanuel Macron a observé que, dans ce contexte, deux voies radicalement opposées s'affirment aujourd'hui.

La première est celle du délitement, celle des tenants d'une protection qui passe par le rétrécissement de l'espace de nos droits et libertés, le repli sur soi et le refus de l'autre : ceux qui acceptent des élections mais refusent le pluralisme et se méfient des contre-pouvoirs qui limitent l'exercice de leur autorité ; ceux qui utilisent l'argument de la lutte contre le terrorisme pour réduire au silence leurs opposants politiques ; ceux qui pensent que la réponse aux défis contemporains et la construction d'un État fort passent par la déconstruction de ce qui a été bâti. Cette voie a triomphé dans certains pays d'Europe et elle est de plus en plus fortement représentée dans nos pays. Malheureusement les sondages montrent la fascination croissante des peuples pour les régimes autoritaires, prêts parfois à toutes les concessions. C'est là, néanmoins, une erreur historique.

La seconde voie est celle de l'illusion. Elle est empruntée par ceux qui, le plus souvent, épris sincèrement de liberté et de droits, voudraient que le monde ne soit pas tel qu'il est et que les peuples ne soient pas tels qu'ils sont. Ils voudraient dire que le peuple a tort, que ses peurs sont illégitimes et n'y répondre que par un discours de raison, parfois d'exclusion ou de sermon. Ce serait oublier que l'État de droit est une construction fragile, qui s'éprouve dans les contradictions. Ce serait oublier que les droits de l'Homme sont un combat toujours inachevé et que chacun ne peut en être, comme le disait René Cassin, que « le fantassin » et non pas seulement le sourcilleux gardien : le fantassin, parce qu'il s'agit d'une bataille qui se mène au corps-à-corps, en comprenant les peurs et les situations limites qu'elles peuvent produire.

Il appartient à tous les membres du Conseil de l'Europe de ne céder à aucune de ces deux voies mais d'essayer d'en construire une autre, de penser pour le réaliser l'espace des libertés et des droits dans notre monde tel qu'il est, sans facilité aucune. L'enjeu est de donner un ancrage, une réalité factuelle historique à la construction des droits et des libertés, de rendre nos démocraties plus solides.

Le Président de la République française a alors fait valoir qu'il est toujours plus aisé de critiquer les démocraties libérales que les régimes autoritaires, tout en soulignant qu'il ne revient pas au même de maintenir l'ordre public et de réprimer une manifestation, de protéger ses frontières et de porter atteinte au droit d'asile, de lutter contre les discours de haine et la désinformation et de restreindre la liberté d'expression et d'opinion. Il a tenu à illustrer son propos par quelques exemples, qui ont pu récemment faire l'objet de discussions, voire de critiques, à l'APCE.

En premier lieu, l'enjeu de la lutte contre le terrorisme en démocratie ne repose sur aucune distinction entre protection de la société et défense des droits et libertés. Il s'agit d'un seul et même combat puisque précisément, les terroristes veulent détruire les droits, la liberté, une certaine façon de vivre. La notion même de sûreté ne doit jamais être confondue avec l'obsession sécuritaire, et c'est précisément dans cet esprit que la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) du 1 er novembre 2017 a été débattue et adoptée en France. Elle a permis à la France, notamment, de sortir de l'état d'urgence et de revenir dans le droit commun de la convention européenne des droits de l'Homme en sortant du dispositif prévu par son article 15.

En deuxième lieu, en matière de maintien de l'ordre, la France, comme d'autres pays, est confrontée à une mutation profonde du déroulement des manifestations de voie publique. Là aussi, ce phénomène ne souffre aucun raccourci : les autorités françaises ont examiné très sérieusement et attentivement le travail du Conseil de l'Europe sur l'usage de certaines armes dites intermédiaires. Le Gouvernement a répondu de manière détaillée et publique aux observations de la Commissaire aux droits de l'Homme. Mais il est vrai, aussi, que les violences inédites de ces derniers mois doivent conduire à une réflexion profonde sur les moyens d'y répondre. À défaut, c'est la liberté de manifestation elle-même qui finirait par être remise en cause. La nouvelle doctrine de sécurité intérieure et de maintien de l'ordre public, en cours d'élaboration sous l'égide du Gouvernement, prendra en compte toutes les observations faites par la Commissaire aux droits de l'Homme et l'APCE, puis elle sera débattue et rendue publique.

En troisième lieu, la lutte contre la désinformation est devenue un enjeu majeur. Les récentes élections, notamment les élections européennes, ont démontré l'existence de campagnes massives de diffusion de fausses informations destinées à modifier le cours normal des processus électoraux. Si les responsabilités civiles et pénales des auteurs pouvaient être recherchées sur le fondement de lois préexistantes, elles étaient toutefois profondément insuffisantes pour permettre le retrait rapide des contenus en ligne, pour éviter leur propagation, leur apparition, et fausser, ce faisant, l'exercice démocratique. La loi française du 22 décembre 2018 a donc imposé une obligation de transparence aux plateformes de l'Internet pour faciliter le travail de détection des autorités policières et pour mieux informer les utilisateurs sur l'identité des diffuseurs de contenu publicitaire. Cet exemple montre combien il faut penser - là aussi - une forme d'ordre public démocratique sur Internet, en préservant, évidemment, la liberté d'expression et la liberté d'information. Tout dans le nouvel espace de l'Internet et des réseaux sociaux a été conçu et pensé sans que nos valeurs premières aient à être respectées ; il a fallu obtenir de haute lutte ces derniers mois, après ce qui s'est passé en Nouvelle-Zélande, une réponse contre le terrorisme sur Internet par l'appel de Christchurch, conforté récemment à New York. Il n'y a pas de liberté sans ordre public. La liberté n'est pas celle de l'anonyme masqué qui proférerait les pires discours de haine, la désinformation, voire pire encore. Cette liberté-là n'est qu'une apparence de liberté ; elle est même tout l'inverse de la liberté.

Enfin, en quatrième lieu, la maîtrise des flux migratoires et la protection du droit d'asile ne sont pas antinomiques. Le droit d'asile est aujourd'hui menacé par les discours de ceux qui estiment que l'Europe doit se barricader derrière des murs, ne plus accueillir ceux qui fuient la guerre et les persécutions et qui ont besoin de sa protection. La Constitution française depuis la fin de la seconde guerre mondiale porte le droit d'asile, c'est-à-dire la protection des combattants de la liberté. Il s'agit là de l'un de nos acquis les plus fondamentaux. Mais si nous ne sommes pas capables de répondre efficacement au défi migratoire, si nous n'avons pas le courage de regarder en face la demande citoyenne de maîtrise des flux migratoires, si nous n'avons pas la lucidité de voir que dans de nombreux cas les demandes d'asile viennent de pays profondément sûrs, la lucidité nous ferait défaut. Le détournement du droit d'asile ne peut que conduire à sa disparition sous les coups de boutoir des responsables autoritaires, pas des démocrates. Toute souveraineté pose des frontières et le respect d'un droit. C'est la raison pour laquelle la France porte, aux plans intérieur comme européen et international, un agenda complet relatif aux migrations. Celles-ci ne touchent pas d'abord l'Europe ; elles frappent d'abord l'Afrique, soulevant ainsi le devoir d'une politique de développement responsable. Mais il faut également un ordre public européen, une harmonisation des règles.

En conclusion, le Président de la République française a considéré que la génération actuelle n'a plus à construire uniquement l'avancée des droits partout en Europe, mais plutôt à faire face à la tension que de nouveaux phénomènes viennent faire jouer avec les droits existants dans nos sociétés. Un véritable travail politique doit donc être mené, notamment dans l'enceinte de l'APCE, sur ces questions. Paul Ricoeur, pour qualifier l'Europe, se référait à trois piliers :

- un modèle de la traduction, tout d'abord, aucun continent ne présentant une telle concentration de langages, de cultures. Or, la traduction, c'est accepter l'autre dans sa différence et l'accueillir dans ma langue ;

- un « modèle de l'échange des mémoires », ensuite. Beaucoup voudraient faire croire qu'il y a une identité européenne figée, voire même un mode de vie européen figé. Il y a plutôt, en Europe, une identité narrative, c'est-à-dire une histoire commune. De ce fait, l'observatoire de l'enseignement de l'Histoire constitue un projet essentiel ;

- « un modèle de pardon », enfin. Après tant de guerres, tant de divisions, le décret de Sparte doit s'appliquer. Cela suppose d'avoir l'intelligence de l'avenir.

En définitive, la Grande Europe se fait à Strasbourg, parfois dans la division. Par ailleurs, la controverse est essentielle et elle est profondément démocratique. Elle n'est aucunement un affaiblissement, mais plutôt un luxe de la démocratie et de l'État de droit.

2. L'allocution de prise de fonctions de Mme Marija Pejèinoviæ Buriæ, Secrétaire générale du Conseil de l'Europe

Mercredi 2 octobre, l'Assemblée parlementaire a entendu, pour la première fois depuis son entrée en fonction le 18 septembre 2019, Mme Marija Pejèinoviæ Buriæ, nouvelle Secrétaire générale du Conseil de l'Europe, élue le 26 juin dernier. Cette allocution a été suivie de quelques échanges de vues avec les parlementaires.

Après avoir exprimé sa gratitude aux membres de l'APCE pour avoir soutenu son élection en tant que Secrétaire générale, Mme Marija Pejèinoviæ Buriæ a formulé un certain nombre de remarques générales sur ses priorités pour la période à venir. Concernant le rôle de l'Organisation, qu'elle a souhaité voir demeurer une plateforme paneuropéenne de dialogue et de coopération constructifs, elle s'est déclarée désireuse de renforcer sa place de référence en matière de promotion et de la protection de la démocratie, des droits de l'Homme et de l'État de droit sur le continent.

S'agissant des moyens du Conseil de l'Europe, elle s'est réjouie de débuter son mandat avec une « ardoise quasiment effacée » tout en relevant qu'il convenait désormais de trouver une façon de stabiliser et de pérenniser davantage les ressources financières sur le long terme. Il est impératif de trouver une façon d'assurer que tous les États membres coopèrent pleinement, et prennent part au travail des organes statutaires, mais aussi qu'ils s'acquittent de leurs obligations financières. Le Comité des Ministres devra participer à la définition de mesures pour assurer la stabilité financière et la pérennité de l'Organisation, y compris par un éventuel recours à un certain nombre de sources et de modalités innovantes de financement. Un retour à la croissance zéro des ressources s'avère malgré tout indispensable pour assurer au Conseil de l'Europe les moyens d'exercer pleinement son mandat et ses activités les plus importantes.

En ce qui concerne les réformes, les mesures déjà adoptées au cours des dix dernières années constituent une base appropriée sur laquelle construire. Il conviendra de poursuivre ces réformes, y compris celles visant à rationaliser davantage les structures du secrétariat ainsi que les façons de travailler. Un audit externe pourrait également être engagé.

Dans ce contexte, la Cour européenne des droits de l'Homme reste un pilier central du système et son rôle exclusif, en tant que gardienne des droits consacrés dans la convention éponyme, doit être préservé. La particularité du système de la convention, à savoir le droit de recours individuel, devra aussi être maintenue.

La Secrétaire générale du Conseil de l'Europe s'est ensuite engagée à s'impliquer dans l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, et à recourir si besoin à ses prérogatives reposant sur l'article 52 de la convention pour tenter d'expliquer les problèmes systémiques et persistants liés à sa mise en oeuvre. De même, elle a indiqué qu'elle saisirait la Commission de Venise chaque fois que le besoin s'en fera sentir.

Elle a ensuite plaidé pour que les organismes de suivi des droits de l'Homme puissent accéder aux zones grises dans les territoires en conflit, tous les citoyens des États membres devant être pleinement protégés par la convention, indépendamment du contrôle de facto dans ces zones ou de leur statut.

Plus largement enfin, il s'avère nécessaire de mettre davantage l'accent sur certaines tendances négatives récurrentes dans les États membres, telles la corruption, les menaces contre l'indépendance du pouvoir judiciaire, contre les journalistes et la liberté des médias, ou encore les restrictions imposées à la société civile et aux défenseurs des droits humains, ainsi que l'inégalité entre les sexes ou la violence sexiste. À titre d'illustration, la pauvreté et la persistance des inégalités signifient qu'il convient de mieux promouvoir la charte sociale et les droits sociaux en Europe.

Une attention immédiate doit aussi être portée à l'intelligence artificielle : il est heureux, à cet égard, que le Comité des Ministres soit récemment parvenu à un accord sur le mandat d'un nouveau comité directeur intergouvernemental dans ce domaine. C'est un pas en avant important.

Travailler aux côtés de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), des Nations Unies, de l'Union européenne est souvent le meilleur moyen de progresser et d'utiliser efficacement les ressources. L'Union européenne est le plus grand contributeur volontaire au budget du Conseil de l'Europe ; si un bon cadre institutionnel pour la coopération avec l'Union est en place, il faut l'approfondir. Mais l'une des principales priorités reste, bien entendu, l'adhésion de l'Union à la convention européenne des droits de l'Homme, conformément aux stipulations du traité de Lisbonne.

Évoquant, en clôture de son propos, les mécanismes de suivi existants au sein du Conseil de l'Europe, Mme Marija Pejèinoviæ Buriæ s'est prononcée pour leur rationalisation, annonçant de futures propositions concrètes à cet égard. Elle a noté que la visibilité et la communication du Conseil de l'Europe reposaient sur de très bons outils, tels que le rapport annuel du Secrétariat général qu'elle reconduira. Pour autant, des lacunes demeurent en matière de visibilité auprès du grand public : actuellement, l'Organisation envoie trop de messages incohérents ou divergents et il conviendra d'y remédier, tout en respectant pleinement l'indépendance de l'Assemblée parlementaire.

En conclusion, la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe a constaté prendre ses fonctions dans une période difficile pour le Conseil de l'Europe et déclaré ne pas se faire d'illusions sur les conditions d'exercice de son mandat. Elle en appelé à cet égard au soutien et à la coopération de l'APCE.

Parmi les parlementaires appelés à exprimer, à la suite de l'allocution de la Secrétaire générale, leurs remarques et observations, Mme Marietta Karamanli (Sarthe - Socialistes et apparentés) a estimé que l'un des enjeux du Conseil de l'Europe était de faire prendre conscience à quelque 800 millions de citoyens de leur histoire partagée en matière de droits de l'Homme et de démocratie, à un moment de tensions nouvelles dans et entre les États. Elle s'est alors interrogée sur les initiatives à prendre pour s'adresser plus directement et mieux à la jeunesse pour renforcer cette conscience du droit et des droits ? Elle a notamment plaidé pour la mise en place de partenariats avec des grandes fondations pour engager une campagne durable auprès de la jeunesse pour la rendre, selon les mots de l'historien Patrick Boucheron, « vigilante et imaginative ».

Après avoir adressé ses plus sincères félicitations à la Secrétaire générale pour son élection, Mme Marie-Christine Dalloz (Jura - Les Républicains), quant à elle, a considéré que celle-ci avait pris toute la mesure des difficultés auxquelles sont confrontés le Conseil de l'Europe et son Assemblée parlementaire. Elle s'est déclarée à ses côtés dans sa tâche tout en se montant confiante en son aptitude et en sa capacité à fédérer et apporter des solutions modernes, concrètes pour confirmer la place du Conseil de l'Europe. Elle a conclu son propos en insistant sur la mission d'observation des élections, qu'elle a appelé à préserver.

M. André Gattolin (Hauts-de-Seine, La République en Marche) a lui aussi félicité la Secrétaire générale pour son élection et évoqué la question de l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme. Soulignant que si l'Union européenne avait aujourd'hui un hymne et un drapeau, elle les avait empruntés au Conseil de l'Europe, il s'est déclaré préoccupé que, au moment où l'Union européenne s'intéresse de plus en plus à la question des droits de l'Homme, on puisse voir émerger deux ordres juridiques en compétition en la matière. Rappelant les engagements pris dans le traité de Lisbonne, ratifié démocratiquement par les États, il a souhaité que l'Union européenne honore ses engagements internationaux, plutôt que de tomber dans des interprétations très littérales du droit, à l'instar de la Cour de justice de Luxembourg en 2014.


* 5 Ont en effet prononcé un discours officiel ou une allocution devant l'APCE, MM. Edouard Balladur (31 janvier 1995), Raymond Barre (30 septembre 1980), Jacques Chirac (27 janvier 1987), Maurice Couve de Murville (15 mai 1969), Valéry Giscard d'Estaing (28 janvier 1977), Edouard Herriot (10 août 1949), François Hollande (11 octobre 2016), François Mitterrand (30 septembre 1982, 5 mai 1989 et 4 mai 1992), Alain Poher (6 mai 1974) et Robert Schuman (10 août 1950).

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