B. DES RÉFORMES REMISES EN CAUSE À PEINE ACQUISES

Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'avec le temps, l'ardeur réformiste post-crise (2009-2011), sous la pression du lobby financier - tout particulièrement bancaire en Europe - s'est bien refroidie.

À l'époque les dirigeants du monde parlaient de « refonder le capitalisme ».

On en est de plus en plus loin.

En l'espèce, Emmanuel Macron a rejoint Donald Trump en proposant de réécrire des règles jugées contraignantes et de confier cette réécriture aux ministres des Finances.

« Ce que je souhaite, c'est que les grands ratios de solvabilité de liquidité et de fonds propres des banques et des assurances puissent être discutés au niveau européen à l'Ecofin chaque année et qu'on en fixe, avec des objectifs de financement économique, les grandes règles » a-t-il déclaré, devant un parterre de chefs d'entreprises petites et moyennes, dès sa campagne présidentielle (mars 2017).

« Nous nous sommes fait avoir », a-t-il assuré. Les règles adoptées « touchent beaucoup les économies comme les nôtres qui n'étaient pour rien dans l'origine de la crise » 80 ( * ) .

« Les instances prudentielles veulent de la prudence, donc elles n'ont qu'un objectif de réduction du risque et donc elles ont désincité (sic) les banques et les assurances à financer l'économie », a-t-il regretté.

Comme si le système bancaire avait jusque-là le financement de l'économie réelle pour première préoccupation !

Mais le champion de la dérégulation reste Donald Trump, qui en avait fait un thème de campagne et qui, à la Maison Blanche, n'est pratiquement entouré que de banquiers.

Dès son arrivée au pouvoir, il s'est donc attaqué à la démolition de la loi Dodd-Frank (2010), pourtant très en retrait par rapport aux ambitions initiales de séparation bancaire de Barack Obama, ainsi qu'aux dispositions de protection des consommateurs contre les pratiques abusives et les produits toxiques type subprimes, adoptées dès 2008.

« Nous projetons de supprimer une grande partie de la loi Dodd-Frank , a déclaré Donald Trump début 2017 à l'occasion de la signature de ses deux premiers décrets de dérégulation , parce que je connais beaucoup de personnes, des amis, qui ont de belles affaires mais ne peuvent pas emprunter de l'argent. Les banques ne veulent pas leur prêter à cause des règles et des régulations inscrites dans la loi » 81 ( * ) .

Bien qu'à pas comptés, la suite législative va dans le même sens avec la loi du 22 mai 2018 qui réduit considérablement le seuil d'actifs à partir duquel un établissement bancaire est soumis à des stress de résistance.

Seules 12 banques désormais y seront soumises contre 50 auparavant.

Changement de la réglementation (le diable est dans les détails) : la loi qui avait été adoptée en juin 2016 pour endiguer la corruption a été jugée trop contraignante et « anti-compétitive ».

L'allègement de toutes les règles est déjà en marche.

Ainsi celle qui imposait aux grands groupes miniers et pétroliers de déclarer chaque année tous les paiements faits auprès des gouvernements étrangers pour acquérir des permis ou des droits d'exploitation a été supprimée par la Chambre des représentants.

On voit donc clairement dans quel sens souffle le vent.

Ainsi l'ex-présidente de la Fed, débarquée par Donald Trump, dans un entretien au Financial Times du 26 octobre 2018 souligne-t-elle que « le système présente de nombreuses faiblesses et qu'au lieu de chercher à y remédier, (on se dirige) vers une vaste déréglementation ».

Je suis « vraiment préoccupée par le fait que nous sommes sur le point d'oublier la crise financière et le besoin de davantage de régulation » a-t-elle ajouté.

Aucune raison actuellement donc d'être optimiste, ce qui est aussi le sentiment de bon nombre de personnalités du monde financier (voir annexe).


* 80 La France n'était tellement pour rien dans la crise que le premier établissement bancaire à cesser sa cotation de titres assis sur des subprimes en Europe dès août 2007, fut BNP-Paribas, qui reçut 4,9 Md$ du réassureur étasunien AIG, le groupe Crédit agricole recevant 2,3 Md$, opportunément renfloué par l'État américain. Dur-dur la mondialisation, on n'est jamais pour rien dans ce qui arrive. Sauf que les banques européennes, notamment françaises, ont activement participé au système financier, pas simplement étasunien, qui s'est progressivement mis en place de part et d'autre de l'Atlantique.

Dans un récent ouvrage l'historien et économiste Adam Tooze ( Crashed, Comment dix ans de crise financière ont changé le monde , éditions Les Belles-Lettres, novembre 2018) rappelle qu'en 2008, 1 000 Md$ étaient investis par les banques européennes dans la dette et les billets de trésorerie des USA. Pour lui, les banques agissaient alors comme un « fonds spéculatif mondial ».

* 81 Martine Orange Médiapart du 4 février 2017.

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