VI. ÉCHANGES AVEC LA SALLE

M. Gilbert Flam, président de la commission des affaires européennes et internationales de la LICRA . - S'agissant des failles de l'intelligence artificielle, nous pouvons malheureusement citer cette chaîne d'information en continu qui, sans prendre de précaution ni de recul, a diffusé pendant deux heures un discours d'appel à la haine retransmis en direct...

Notre association soutient la démarche entreprise par Laetitia Avia avec sa proposition de loi. Nous avons tous constaté une explosion des discours de haine sur les réseaux sociaux (notamment racistes, xénophobes, antisémites et homophobes). Internet est à la fois un espace de liberté et une agora pour l'expression de la haine. Les migrants ont été particulièrement visés.

Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de protéger la liberté d'expression, même quand elle peut choquer et mettre en cause les politiques des gouvernements en place. En tant qu'association internationale, nous avons bien conscience des enjeux en termes de défense de la liberté d'expression. Il faut donc être extrêmement prudent. Les discours de haine ne sont pas des opinions, mais des délits. Comment être efficace tout en préservant la liberté d'expression ? Comment exiger des plateformes qu'elles retirent réellement et rapidement les contenus haineux qu'elles contribuent à propager ?

Je dois saluer le travail réalisé par la commission sur l'égalité de l'APCE, dont le rapport annoté par les parlementaires a conduit à une résolution, puis une recommandation envoyée au Comité des Ministres. Pour autant, les propositions d'action me semblent insuffisantes. Il ne faut pas seulement mettre l'accent sur l'éducation, mais aussi contraindre les plateformes. Nous avons salué l'initiative de la Commission européenne de créer un code de conduite, qui nous a permis non seulement d'échanger avec les plateformes, mais aussi de renforcer la prise de conscience des enjeux. Toutefois, nous avons vu les limites du soft law dans la régulation des contenus haineux. Le taux de retrait, très inégal selon les plateformes, reste insuffisant. Il faut donc aller plus loin. C'est la raison pour laquelle nous considérons que la proposition de loi Avia est utile et nécessaire. Elle est importante, en ce qu'elle considère que les plateformes doivent être considérées comme responsables des contenus qu'elles contribuent à diffuser. Cette proposition de loi impose aux plateformes de se doter d'un représentant légal et les contraint à retirer les contenus haineux en 24 heures, tout en conservant pendant un an les éléments de preuve en vue d'engager une procédure judiciaire. Un parquet spécialisé sera constitué à cet effet.

En revanche, il nous semble important que les organisations non gouvernementales, les associations représentant la société civile soient impliquées dans le dispositif, notamment dans les signalements, et ce, dans l'intérêt général. J'espère que le Sénat en tiendra compte.

Mme Béatrice Oeuvrard . - Nous avons tous le même objectif et avons d'ailleurs salué le travail de Madame Avia. Quant au code de bonne conduite, nous y travaillons avec votre association. Je crois que Facebook fait partie des bons élèves, même si le dispositif est toujours perfectible. Le cadre législatif ne doit pas être trop rigide pour permettre aux acteurs de s'adapter. Nous sommes extrêmement favorables à la venue d'un régulateur pour mettre en place ces aménagements. Nous avons par ailleurs agi en faveur de la société civile.

S'agissant du terrorisme, les contenus partagés le sont désormais sous la forme d'URL. Il faut que notre parole et la vôtre soient écoutées.

Il nous semble important de désigner des représentants légaux des plateformes, et aussi d'identifier les auteurs.

M. Jan Kleijssen . - La société civile a été étroitement associée à nos travaux et elle le restera.

M. Thierry Schaffauser, membre du Syndicat des travailleurs du sexe (STRAS) . - Je m'exprimerai en tant que travailleur du sexe et défenseur des droits des personnes LGBT. La proposition de loi Avia, dans l'un de ses articles, vise à censurer tout ce qui a trait au proxénétisme. La définition du proxénétisme au sens de la loi française est très large. Ainsi, est considéré comme du proxénétisme le fait de mettre en relation un travailleur du sexe et un client. N'importe quel site d'annonces d'escort peut être pénalisé. L'introduction du proxénétisme à travers cet amendement vise non pas à protéger les travailleurs du sexe de la haine en ligne, mais à criminaliser notre usage d'Internet. Je vous rappelle que le rapport européen sur la traite des êtres humains alerte sur l'amalgame entre les infractions de traite et le proxénétisme. Cette proposition de loi assimile toute forme de prostitution au proxénétisme et opère un amalgame entre la traite des êtres humains, la pédophilie et le terrorisme. Je ne pense pas être un terroriste. Je ne profère aucun propos haineux en ligne ; je vends des services sexuels sur des sites spécialisés.

À force de tout criminaliser, nous sommes amenés à utiliser d'autres plateformes - y compris des réseaux sociaux et des applications. Le législateur ne lutte ni contre l'exploitation, ni contre les contenus haineux, mais criminalise la vie de certaines personnes. Ce faisant, il renforce l'exploitation. Si nos annonces sont censurées, nous perdrons tout contact avec les clients, nous serons précarisés et incités à passer par des intermédiaires qui nous factureront nos annonces. L'Office central pour la répression de la traite des êtres humains s'est lui-même prononcé contre la fermeture du site Vivastreet qui a fermé sa section « Rencontres » à la suite de la procédure judiciaire en cours. La police a intérêt à collaborer avec ces sites pour mieux identifier les victimes de la traite des êtres humains, notamment les mineurs exploités sexuellement. En interdisant tout, vous compliquez le travail de la police.

Aux États-Unis, l'équivalent de la proposition de loi Avia a eu pour conséquence de conduire des personnes à retourner travailler dans la rue. Des contenus qui n'étaient pas des annonces, comme des publications sur des forums d'entraide, ont également été censurés.

M. André Gattolin . - Il est effectivement regrettable de renvoyer vers la rue les travailleurs du sexe qui se trouveront dans un environnement plus dangereux. La question n'est pas celle de la moralité, mais de l'effectivité de la protection de ces personnes. Je suis preneur des informations que vous voudrez bien nous communiquer sur cette disposition.

Mme Sylvie Bollini, représentante permanente de la République de Saint-Marin auprès du Conseil de l'Europe . - La phrase « Je vais te Marie-Trintigner la gueule » m'apparaît comme une apologie du féminicide. À mon sens, la haine est caractérisée dès lors que le propos est blessant. Le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a adopté des recommandations sur la lutte contre le sexisme. Il s'agit de la première définition complète du sexisme dans un instrument international.

Mme Sarah Bouchahoua, collaboratrice de Mme Laetitia Avia, députée de Paris . - Monsieur Schaffauser, nous avons bien reçu votre courrier.

Madame Oeuvrard, j'ai bien entendu vos remarques sur la « viralité », mais comment faire lorsqu'un enfant reçoit chaque jour des insultes sur Facebook sans pour autant que celles-ci soient propagées ? S'agissant des risques d'engorgement des tribunaux, la proposition de loi Avia inclut la création d'un parquet numérique.

L'ONU a-t-elle un projet de résolution à l'égard d'Internet pour combattre les discours de haine ?

Mme Béatrice Oeuvrard . - À la suite de l'avis du Conseil d'État, la proposition de loi Avia a été étendue aux contenus dits odieux. La loi américaine vise également les cas de diffamation, à la différence de la loi française. En Europe, des projets de Digital Services Act ont été déposés, avec une segmentation des sujets (terrorisme, propriété intellectuelle...). Je comprends l'enjeu de notifier les auteurs, mais quand il s'agit de pédopornographie ou d'apologie du terrorisme, cela reviendrait à notifier des pédophiles ou des terroristes. Il faut donc être très vigilant quant au périmètre de la loi.

Par ailleurs, il importe de définir un curseur pour mieux traiter la problématique des contenus viraux. Il faudra prendre en compte les moyens dont disposent les petites plateformes. Pour autant, nous n'entendons absolument pas laisser de côté les enfants victimes de propos insultants non viraux.

Le règlement européen inclut une obligation de retrait des contenus haineux en une heure. Évidemment, nous agirons au plus tôt.

M. Andrea Cairola . - L'ONU n'a pas élaboré de convention spécifique à Internet car la lutte contre les discours haineux est déjà couverte par la convention sur les droits civils et politiques et la convention sur le génocide. Néanmoins, l'ONU et l'UNESCO se sont engagées à mettre en oeuvre des mesures de prévention.

M. Olivier Becht . - Je vous remercie d'avoir participé à cette table ronde et cède la parole à ma collègue Nicole Duranton, qui va conclure notre journée d'échanges.

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