IV. MME NICOLE TRISSE, DÉPUTÉE, PRÉSIDENTE DE LA DÉLÉGATION FRANÇAISE À L'ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L'EUROPE

Monsieur le Président du Sénat, Madame la Secrétaire générale adjointe du Conseil de l'Europe, Monsieur le Juge à la Cour européenne des droits de l'Homme, Madame la Présidente de la CNIL, Monsieur le Commissaire à la protection des données du Conseil de l'Europe, Mesdames et Messieurs les présidents de délégation, Mesdames et Messieurs les Ambassadrices et Ambassadeurs, chers collègues parlementaires, Mesdames et Messieurs,

Avant toute chose, je tiens à remercier le Président Gérard Larcher et nos collègues sénateurs de nous faire l'honneur et le plaisir de nous recevoir au Palais du Luxembourg pour ce colloque important.

Notre délégation à l'APCE est constituée de membres appartenant aux deux assemblées du Parlement français et nous nous attachons à respecter, dans notre fonctionnement au quotidien, cette composition bicamérale. La tenue de ce colloque dans l'enceinte du Sénat relevait donc de l'évidence pour clore le volet parlementaire de la présidence française du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, après la tenue des réunions du Bureau et de la Commission permanente du mois de mai, à l'Assemblée nationale.

Comme vous le savez très certainement, la France, à l'occasion de son semestre de présidence du Comité des Ministres, a érigé au rang de ses priorités la réflexion sur les adaptations à apporter au Conseil de l'Europe pour lui permettre de faire face aux nouveaux défis qui sont posés aux droits de l'Homme et à l'État de droit. Or, l'un des principaux défis en question est la prise en considération des enjeux numériques et de l'intelligence artificielle.

La délégation française à l'APCE a estimé qu'il était de sa responsabilité d'apporter une contribution à cette réflexion, en organisant un colloque sur les droits de l'Homme et la démocratie à l'ère numérique. Je crois que les enjeux des débats qui vont nous réunir tout au long de cette journée sont assez bien résumés dans l'intitulé même de l'événement, auquel je remercie tous les intervenants et l'assistance d'avoir accepté de participer.

Quelles garanties pour les données personnelles et quelles réponses aux discours de haine et à la désinformation sur Internet ? Assurément, ces questions ne sont pas l'apanage des législateurs nationaux. Elles font écho à des inquiétudes légitimes de nos concitoyens et mobilisent de nombreuses organisations internationales, au premier rang desquelles le Conseil de l'Europe, mais aussi l'Union européenne et l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), pour ne citer que celles-ci.

Internet, les outils numériques ainsi que les réseaux sociaux se jouent des frontières et il est nécessaire et urgent de trouver des réponses communes si l'on veut être efficace.

En matière de protection des données, le règlement du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, plus connu sous l'acronyme RGPD, a démontré qu'une harmonisation des normes et des exigences à l'échelle de l'Union européenne pouvait avoir des effets bénéfiques au niveau mondial. Je ne doute pas que la Présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), ainsi que les intervenants de la première table ronde de nos débats, auront l'occasion de s'attarder sur ce point.

N'oublions pas, néanmoins, qu'auparavant le Conseil de l'Europe s'était lui-même penché sur la question en adoptant la convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, dite « convention 108 ». Entrée en vigueur le 1 er octobre 1985, elle fut le premier instrument international contraignant ayant pour objet de protéger les personnes contre l'usage abusif du traitement automatisé des données à caractère personnel et réglementant les flux transfrontaliers des données.

Mais, en la matière, le progrès technique va très vite et le détournement des normes posées à l'échelle internationale ou au plan national est tout aussi rapide. C'est pourquoi il convient sans cesse de s'interroger sur la pertinence du cadre existant, comme nous le ferons aujourd'hui.

Pour ce qui concerne la cybercriminalité, le Conseil de l'Europe a adopté une convention sur le sujet, plus connue sous le nom de « convention de Budapest ». Signé le 23 novembre 2001, ce texte est le seul instrument international contraignant qui traite de toutes sortes de crimes sur le Web, y compris la pornographie infantile , les atteintes au droit d'auteur et les discours de haine . Il pose des lignes directrices et sert aussi de cadre pour une coopération internationale entre les États. Un Protocole relatif à l'incrimination d'actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques l'a complété le 28 janvier 2003.

Ce cadre, aussi utile soit-il, n'en demeure pas moins insuffisant face à la recrudescence des actes et propos malveillants sur Internet. Or, les États désireux d'aller plus loin sur ces questions semblent avancer en ordre dispersé, avec des nouvelles législations nationales parfois dissonantes.

L'enjeu, aujourd'hui, est de préserver la cohérence des règles communes et de combler leurs lacunes de manière efficiente et concertée. Aussi, je fonde beaucoup d'espoirs sur les échanges qui nourriront la troisième table ronde de ce colloque, plus particulièrement consacrée au caractère fondamentalement multilatéral de la lutte sur le Web contre les discours de haine, la cybercriminalité et le cyberterrorisme.

Finalement, le domaine dans lequel l'arsenal de nos démocraties semble actuellement le moins développé et, il faut bien l'admettre, le moins efficace est celui du désordre informationnel. La littérature sur le sujet abonde. On ne compte plus les rapports et ouvrages consacrés à cette menace d'un genre nouveau. Quelques États, dont la France, ont cherché à poser un cadre juridique pour endiguer le phénomène. L'avenir nous éclairera sans doute sur le succès de ces initiatives, mais il est d'ores et déjà acquis que seule une réaction collective et concertée aura un réel impact.

À cet égard, je suis convaincue que la deuxième table ronde de nos débats, qui aura la difficile tâche d'esquisser ce que peuvent être les réponses du Conseil de l'Europe et des États pour prémunir nos démocraties des fake news, ne manquera pas de susciter pour vous un vif intérêt.

Vous l'aurez compris, ce colloque vise autant à susciter les débats et la confrontation des points de vue, aussi argumentés soient-ils, qu'à explorer des solutions possibles ou envisageables à l'échelle multilatérale.

Alors que nous venons de fêter le 70 ème anniversaire du Conseil de l'Europe, cette organisation régionale destinée à bâtir et promouvoir une communauté de valeurs humanistes sur notre continent, fondée sur la démocratie et l'État de droit, rien ne serait pire que de considérer ces valeurs comme définitivement acquises. Les menaces subsistent et elles sont d'autant plus prégnantes que les nouvelles technologies de l'information et de la communication décuplent leur pouvoir de nuisance.

Face au populisme et à l'illibéralisme en vogue en Europe et ailleurs, nous devons plus que jamais veiller à ce que l'architecture juridique protégeant les droits et les libertés de tous les citoyens de notre continent reste adaptée et pertinente. Le Conseil de l'Europe, comme d'autres organisations internationales reposant sur le multilatéralisme, est une enceinte appropriée à cet effet.

Les débats d'aujourd'hui n'épuiseront pas, tant s'en faut, tous les sujets. Nous espérons néanmoins qu'ils contribueront à jeter les bases d'un travail approfondi, à Strasbourg comme ailleurs, en vue peut-être de nouvelles conventions ou de protocoles additionnels aux conventions existantes.

Madame la Secrétaire générale adjointe, je suis certaine que vous aurez à coeur de relayer le fruit de cette journée d'échanges au sein des comités et instances du Conseil de l'Europe. Plus que jamais, la vigilance et l'action restent de mise sur des sujets aussi essentiels pour l'avenir des droits humains, de la démocratie et de l'État de droit.

Je vous remercie pour votre attention et vous souhaite un colloque particulièrement instructif. Pour ma part, je ne doute pas que les propos des intervenants et les échanges avec l'assistance se révéleront passionnants.

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