B. L'OBSTRUCTION RUSSE

Basé sur une défense virulente des principes de souveraineté et de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, le positionnement de la Russie constitue le deuxième facteur d'affaiblissement du multilatéralisme.

Ce positionnement se traduit par un large recours au veto. La Russie l'a utilisé 24 fois depuis la fin de la guerre froide , dont 14 fois sur la Syrie, dossier sur lequel elle a paralysé l'action de l'ONU. En 2019, elle l'a aussi utilisé à propos de la crise au Venezuela. La menace d'un veto russe sur toute résolution concernant la crise ukrainienne au Conseil de sécurité a pour conséquence un report des initiatives sur ce dossier à l'Assemblée générale. La Russie éprouve aussi une grande méfiance à l'égard des sanctions internationales . Elle s'est abstenue lors de l'instauration de l'embargo sur les armes au Soudan du Sud en 2018 et lors de son renouvellement en mai 2019. Elle est aussi favorable à un assouplissement des sanctions applicables à la Corée du Nord.

La Russie est toutefois susceptible de jouer le jeu du multilatéralisme quand elle y a intérêt et que cela n'induit pas de menace stratégique pour elle. Elle a ainsi permis au Conseil de sécurité de s'exprimer d'une même voix sur le dossier irakien ou sur celui du Yémen.

L'attitude inamicale russe vis à vis de la France sur le dossier de la République centrafricaine , concomitante d'une montée de sa présence dans ce pays, qui l'a conduite à bloquer pendant six mois (d'août 2017 à février 2018) notre demande d'exemption à l'embargo, a constitué pour nous une préoccupation. Les tensions tendent cependant à s'atténuer depuis quelques mois, ce dont témoigne le renouvellement à l'unanimité du mandat de la MINUSCA.

Enfin, la Russie se montre particulièrement méfiante à l'égard des références aux droits de l'homme , considérant qu'ils sont instrumentalisés par les pays occidentaux à des fins politiques. Lors des renouvellements des mandats des opérations de maintien de la paix, elle conteste désormais systématiquement toute référence à leur rôle en matière de protection des droits de l'homme. En mars 2019, elle s'est abstenue pour cette raison au renouvellement de la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS).

C. LES ARRIÈRE-PENSÉES CHINOISES

Alors qu'elle était, il y a quelques années, un acteur assez effacé, calant sa position sur celle de la Russie ou attendant la formation d'un consensus, la Chine montre désormais de plus en plus active dans le système onusien, y affirmant sa présence de manière totalement décomplexée .

Cette affirmation est à la mesure des moyens qu'elle consacre à l'institution, dont elle représente désormais 12 % du financement. Récemment, elle a pris le contrôle de quatre organes de régulation 1 ( * ) , l'emportant notamment sur le candidat français à la FAO. Elle a aussi fortement accru sa présence parmi les personnels du Secrétariat, passant du 7 e au 5 e rang des nationalités représentées.

La contribution chinoise a des côtés positifs : outre une participation accrue aux opérations de maintien de la paix (avec 2600 personnels déployés, elle est le premier fournisseur de troupes du P5, 11 e mondial) et à leur financement (2 e contributeur), la Chine s'avère par exemple un partenaire constructif dans les négociations sur le changement climatique et s'engage en faveur de la mise en oeuvre de l'Agenda 2030 et de ses objectifs de développement durable.

Cependant, la Chine a en tête un autre modèle de multilatéralisme, basé sur la défense et la promotion de ses intérêts . Comme la Russie, elle est attachée aux principes de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, comme l'a rappelé son représentant lorsque nous l'avons interrogé sur la situation à Hong Kong et au Xinjang, et réticente à l'adoption de sanctions internationales.

Elle est également très méfiante vis-à-vis de la notion de droits de l'homme , qu'elle estime relative, et promeut une vision alternative de ces droits, centrée sur l'intérêt collectif, la société et le progrès économique plutôt que sur l'individu. Elle suit avec beaucoup d'attention les débats au sein de la 3 e commission de l'Assemblée générale (affaires sociales, humanitaires et culturelles) qui traite de ces questions.

Enfin, elle essaie d'imposer sa vision du développement , notamment par l'introduction de concepts tels que « coopération gagnant-gagnant » dans les résolutions internationales, afin de leur conférer une légitimité. Elle utilise par ailleurs certaines agences de l'ONU comme le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) au profit de son projet de Nouvelles routes de la Soie.


* 1 L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), l'Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), l'Union internationale des télécommunications (UIT) et l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).

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