RÉSUMÉ

Dix ans après l'adoption de la loi « Bachelot » portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (loi « HPST »), force est de constater l'insuffisance des politiques publiques mises en place pour lutter contre les inégalités territoriales d'accès aux soins : malgré les assurances données à l'époque, la fracture sanitaire continue de s'accroître entre les territoires , s'ajoutant aux nombreuses fractures qui traversent notre pays en matière de mobilité, d'accès au numérique et aux services publics. Pourtant, depuis des années, un certain nombre de sénateurs alertent les pouvoirs publics sur cette problématique. Malgré cela, les gouvernements successifs repoussent les solutions volontaristes qui leur sont proposées préférant, par manque de courage politique, la mise en place de « mesurettes » qu'ils espèrent suffisantes.

Sujet majeur d'inquiétudes pour les Français, comme l'a confirmé le Grand Débat et alors même qu'il n'avait pas été identifié parmi les quatre grands thèmes retenus par le Président de la République et le Gouvernement, les difficultés d'accès aux soins font l'objet d'une actualité constante et constituent une part significative des remontées de terrain auprès des élus, qu'ils soient locaux ou nationaux, et des services de l'État.

Les défauts de l'organisation du système de soins français sont connus et documentés : s'il offre une large couverture des besoins des populations, notre système de santé souffre d'inégalités manifestes d'accès aux soins d'origine géographique et monétaire, du poids encore prépondérant de l'exercice médical isolé et d'un cloisonnement entre les différents professionnels de santé et entre les différents secteurs de l'offre de soins (établissements de santé, établissements médico-sociaux, ville, établissements publics ou privés). Parmi ces défauts, les inégalités territoriales d'accès aux soins portent une atteinte particulière au pacte républicain , qui repose sur la solidarité nationale pour le financement de notre modèle social, et empêchent aujourd'hui de garantir à tous les Français un accès équitable à des soins de qualité, dans les mêmes conditions et délais.

Bien que souffrant d'un problème de définition objective, l'expression « déserts médicaux » s'est imposée dans le débat public ces dernières années . Elle concerne souvent des espaces ruraux mais aussi certaines villes moyennes ou des zones périurbaines et s'entend dans une double dimension. D'un point de vue « statique », elle rend compte des inégalités territoriales avérées dans la répartition des professionnels de santé (médecins, pharmaciens, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes etc.), en particulier des médecins généralistes, et d'un décalage tendant à s'accroître entre une forte demande de soins et une offre déclinante. D'un point de vue « dynamique », elle renvoie aux territoires dans lesquels les obstacles spatiaux (temps de trajet), temporels (délais d'attente) ou socio-économiques (coût, lassitude) rencontrés par les populations pour accéder à des soins, et en particulier à des médecins généralistes, sont tels qu'ils dépassent le strict cadre de l'acceptable et sont perçus comme non légitimes et injustifiés.

Les déserts médicaux concernent aujourd'hui une commune sur trois : entre 9 et 12 % de la population française vit aujourd'hui dans un désert médical, soit entre 6 et 8 millions de personnes. Les écarts de densité entre départements varient en moyenne de 1 à 3 pour les médecins généralistes. L'accès aux spécialistes est encore plus disparate, avec un rapport de 1 à 8, et même de 1 à 24 pour les pédiatres. En outre, près de 9 % des assurés de plus de 16 ans n'ont pas de médecin traitant . Sur le volet de l'accès aux soins, la situation française apparaît plus dégradée que dans d'autres pays de l'OCDE 1 ( * ) , avec une densité médicale dans les zones rurales françaises plus faible que la moyenne de l'OCDE.

Par ailleurs, selon un sondage réalisé par l'institut BVA, plus de 7 Français sur 10 auraient renoncé au moins une fois à se soigner quelle que soit la raison et un tiers des Français pratiquent l'automédication, notamment dans la classe des 18-24 ans (45 %).

Si le rythme d'adoption des lois « santé » tend à s'accélérer, à savoir une tous les trois ans contre dix ou quinze ans auparavant, et alors que les plans gouvernementaux se succèdent, les enjeux de la régulation de l'offre de soins demeurent les mêmes et pourraient encore s'aggraver avec le vieillissement de la population, le développement des maladies chroniques et la dépendance.

En outre, la planification de la politique de santé est en décalage avec les besoins des territoires et la demande de proximité des citoyens . Les tentatives d'ajustement de la répartition des professionnels de santé, en particulier des médecins, se heurtent à de fortes oppositions et le principe de liberté d'installation est insuffisamment mis en regard du principe d'égal accès aux soins et de la notion d'intérêt général . Le système social français solvabilise pourtant la patientèle médicale, au travers de la protection universelle maladie (PUMa) et d'autres dispositifs de prise en charge (complémentaire santé solidaire, couvertures complémentaires santé d'entreprise).

Certes, les rapporteurs se réjouissent que des avancées aient eu lieu pour développer du temps médical, en matière de télémédecine , de réforme des études de santé , de partages de compétences entre professionnels de santé ou encore pour le développement de l'exercice coordonné dans le cadre de la récente loi du 26 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé. Ces avancées rejoignent d'ailleurs certaines des recommandations du rapport de la commission de 2013 Déserts médicaux : agir vraiment .

Toutefois, les rapporteurs considèrent que tout n'a pas été tenté . Ils rappellent à cet égard que 87 % des personnes interrogées dans un sondage IFOP pour le JDD, souhaitent obliger les médecins à s'installer dans les zones sous-denses . Aussi, pour répondre à l'enjeu majeur de l'accès aux soins, les rapporteurs recommandent à titre principal :

1. d'avancer sur le chemin d'une troisième voie, entre incitation financière sans contrepartie et coercition à l'installation des médecins, de régulation progressive des installations de médecins, pour rééquilibrer l'offre médicale dans notre pays au bénéfice des territoires ruraux les plus fragiles. Ils invitent en particulier les médecins à se saisir au plus vite de l'occasion que leur fournit le Parlement à l'article 9 de la loi du 26 juillet 2019 pour déterminer, en lien avec l'Union nationale des caisses d'assurance maladie , les conditions dans lesquelles ils pourront participer concrètement à la réduction des inégalités territoriales d'accès aux soins, disposition insérée à l'initiative de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ;

2. de mieux adapter l'organisation du système de soins à la réalité des territoires , en renforçant l'association des collectivités territoriales à la politique de santé, en activant l'ensemble des leviers susceptibles de libérer du temps médical (exercice coordonné, partage de compétences, télémédecine, télésoins) et en adaptant le nombre de médecins formés aux besoins des territoires.

LES TRAVAUX DE LA COMMISSION DE L'AMÉNAGEMENT
DU TERRITOIRE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

SUR LES DÉSERTS MÉDICAUX

Depuis sa création, la commission de l'aménagement du territoire porte une attention constante à la problématique des déserts médicaux :

- en 2013, elle avait publié un rapport d'information Déserts médicaux : agir vraiment , dans le cadre d'un groupe de travail dédié à ce sujet et dont le rapporteur était M. Hervé Maurey, appelant à une politique volontariste et puissante pour résorber la fracture territoriale dans l'accès aux soins ;

- en 2015, à l'occasion de l 'examen du projet de loi de modernisation de notre système de santé 2 ( * ) , la commission s'était saisie pour avis de plusieurs dispositions intéressant la santé, l'environnement et la désertification médicale et avait désigné M. Jean-François Longeot rapporteur pour avis ;

- en 2018, la commission avait souhaité relancer ses travaux sur le sujet et recréer un groupe de travail 3 ( * ) , coprésidé par le président Hervé Maurey et M. Jean-François Longeot. Ce groupe de travail a réalisé une vingtaine d'heures d'auditions d'octobre à décembre 2018 ;

- en 2019, dans le prolongement de ces travaux, la commission s'est saisie pour avis du projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé 4 ( * ) et a désigné M. Jean-François Longeot rapporteur pour avis, qui a conduit plus de vingt-cinq heures d'auditions pour formuler des propositions concrètes et ambitieuses sur ce sujet.

Le présent rapport s'inscrit dans le droit fil de ces travaux et synthétise la position de la commission sur l'enjeu de l'accès aux soins.


* 1 Selon le Panorama de la santé 2019 réalisé par l'OCDE, la densité médicale dans les zones rurales françaises pour 1 000 habitants est plus faible que dans la moyenne des pays de l'OCDE soit 2,7 médecins pour 1 000 habitants des zones rurales en France contre 2,8 pour la moyenne de l'OCDE et notamment 3,8 médecins pour 1 000 habitants dans les zones rurales en Suède, ou encore 4,4 en Finlande.

* 2 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

* 3 Composition du groupe de travail sur les déserts médicaux : MM. Hervé Maurey, président, Jean-François Longeot, président, Guillaume Gontard, vice-président, Jérôme Bignon, Jean-Marc Boyer, Patrick Chaize, Ronan Dantec, Éric Gold, Mme Christine Herzog, MM. Jean-Michel Houllegatte, Benoît Huré, Pierre Médevielle, Louis-Jean de Nicolaÿ, Rémy Pointereau, Mmes Françoise Ramond, Nadia Sollogoub, M. Michel Vaspart.

* 4 Loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé.

Page mise à jour le

Partager cette page