B. DONNER AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES LES MOYENS D'ASSURER LEURS MISSIONS

1. Modifier les normes afin de garantir une offre de services publics adaptée aux spécificités du territoire

À de nombreuses reprises, les membres de la délégation ont pu constater l'existence en Guyane de normes qui freinent l'action des collectivités territoriales . Sans pouvoir être, là encore, exhaustifs, il leur a semblé qu'une attention toute particulière devrait être portée à certaines problématiques majeures.

En matière d'habitat informel tout d'abord . Le besoin de logements en Guyane est estimé entre 4 400 et 5 200 nouveaux logements par an 106 ( * ) , alors que le rythme de construction actuel est de 800 logements par an. Les personnes sont donc amenées à trouver d'autres solutions pour se loger et se rabattent sur l'habitat informel. À Saint-Laurent-du-Maroni par exemple, 60 % de l'habitat est informel.

Le problème posé est double. Dans un premier temps , les personnes construisent des maisons dans des zones sans réseau ni voirie, et sont donc amenées à pirater les réseaux d'eau ou d'électricité. Puis, une fois installés, le délai de prescription acquisitive de trente ans 107 ( * ) commence à courir à leur profit. Une fois cette prescription acquise et la pleine propriété sur ce terrain reconnue, l'habitant vient généralement réclamer à la collectivité locale la construction d'infrastructures routières ou de réseaux, sans que celle-ci n'ait pu définir la zone concernée par la construction.

Plusieurs solutions peuvent être avancées pour répondre à cette difficulté. La première est celle du logement social , dont la construction doit être accélérée en Guyane. Le plan pour le logement outre-mer 2019-2022 prévoit d'au moins doubler le rythme de construction de logements sur le territoire guyanais. Pour ce faire, des assouplissements législatifs pourraient être nécessaires. Un premier pas a été réalisé dans la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 dite Engagement et proximité 108 ( * ) . Il convient, par ailleurs, de veiller à l'adaptation des logements ainsi construits aux habitudes des populations . Les logements sociaux sont aujourd'hui construits selon un modèle hexagonal, c'est-à-dire plutôt à la verticale. Or, les modes de vie des populations guyanaises, surtout dans l'Ouest, nécessitent l'accès à un morceau de terrain que la famille pourra cultiver. De la même manière, la construction massive de T2 ne permettra pas de répondre aux besoins des familles ayant de nombreux enfants.

Proposition n° 44 : Faciliter la construction de logements sociaux adaptés aux réalités locales.

La seconde évolution consiste à donner aux collectivités territoriales des solutions permettant de fournir certains services publics essentiels aux personnes occupant des habitats informels , de manière simplifiée et donc efficace. La commune de Saint-Laurent-du-Maroni a ainsi commencé à installer trente bornes fontaines pour pallier le manque de réseau d'eau potable dans certaines zones et éviter les raccordements sauvages. Les habitants viennent chercher de l'eau munis d'une carte personnelle. Il serait également utile d'autoriser les aménagements a minima sur les squats, en termes de voirie, d'eau et d'éclairage. Il pourrait en ce sens être envisagé d'installer des compteurs d'électricité simplifiés, affectés à la personne et non à la maison.

Proposition n° 45 : Réaliser des aménagements spécifiques des réseaux sur les habitats informels pour répondre à l'explosion démographique.

En matière de traitement des déchets ensuite , question prégnante sur l'ensemble du territoire guyanais. Lors du déplacement de la délégation, début novembre 2019, une décharge brûlait depuis le 10 septembre à Maripasoula, sans que le feu puisse être totalement éteint. Des écoles ont dû fermer durant 15 jours du fait des fumées émanant de l'incendie. Cette problématique n'est pas nouvelle : en 2012, l'ensemble des décharges du Maroni a dû fermer car aucune n'était aux normes. Il existe également de nombreuses décharges sauvages, notamment sur la piste reliant Maripasoula et Papaïchton, et un grand nombre de voitures hors d'usage au bord des routes.

Les élus locaux rencontrés ont indiqué que les difficultés rencontrées provenaient d'abord de l' efficacité de la collecte : les camions poubelles, dans l'Ouest guyanais, font environ 100 kilomètres de collecte par jour. Les dépôts informels sont nombreux, sans que les élus locaux ne parviennent à y mettre fin.

Le financement du traitement des déchets est une autre source de difficultés : au vu de l'immensité du territoire, le ramassage des déchets est très coûteux : sur le fleuve, il revient à 7 millions par an. Or, dans la communauté de communes de l'Ouest guyanais, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) ne couvre que 30 % du coût du service. Ceci s'explique par le faible coût des loyers sur ce territoire, ainsi que par l'absence de cadastre permettant de recenser les habitations et donc d'imposer les habitants.

Il n'existe par ailleurs qu' un seul centre de véhicules hors d'usage (casse automobile) en Guyane . Situé à Kourou, il n'est pas en mesure de répondre à l'ensemble de la demande du territoire malgré la parution d'un décret en 2017 visant à la mise en oeuvre d'un plan d'actions pour résorber et prévenir la reconstitution d'un nombre trop élevé de véhicules hors d'usage (VHU), notamment dans les collectivités d'outre-mer 109 ( * ) .

En matière d'éducation enfin . L'explosion démographique exige la construction de nombreux groupes scolaires dans les prochaines années, principalement dans l'Ouest guyanais. Tant les communes, pour le primaire, que la collectivité territoriale de Guyane, pour les collèges et les lycées, sont concernées. À Mana, trois groupes scolaires devront être construits dans les 10 prochaines années. À Saint-Laurent-du-Maroni, un groupe scolaire doit être construit tous les huit mois .

Le rythme de construction réclame l'utilisation de solutions innovantes. La commune de Saint-Laurent-du-Maroni a ainsi recours à des constructions modulaires pour répondre aux besoins immédiats. La construction d'un groupe scolaire avec des bâtiments classiques revient en effet à 6 millions d'euros, tandis que le recours à des bâtiments modulaires revient à moins de la moitié de ce montant. La commune a toutefois indiqué aux membres de la délégation avoir des difficultés à obtenir des subventions pour ce type de dépenses 110 ( * ) . Ces difficultés ainsi que celles liées à la maintenance des équipements handicapent fortement la commune, submergée par des besoins exponentiels.

Proposition n° 46 : Faire évoluer les conditions d'octroi des subventions publiques pour faciliter la construction de groupes scolaires.

À l'inverse, dans certaines communes isolées, le nombre d'élèves est faible. À Saül par exemple, l'école élémentaire accueille 9 élèves, rassemblés dans une classe unique. Selon les informations recueillies lors du déplacement, l'institutrice de cette école était assistée d'une personne, et se chargeait de la préparation au baccalauréat des élèves. Ces derniers réussissaient ainsi à obtenir l'examen avec mention. L'assistante n'a toutefois pas été reconduite car son statut ne correspondait à aucun des cadres d'emplois prévus par l'éducation nationale, et l'institutrice a dû cesser ses activités de préparation au baccalauréat. Un tel gâchis constitue une puissante incitation à adapter les normes nationales aux besoins de la Guyane.

Cette situation très spécifique met en lumière la problématique du recrutement local . Il apparaît indispensable de faciliter des recrutements locaux pour des fonctions réinventées par rapport à l'Hexagone 111 ( * ) . Des postes, comme par exemple celui de cette assistante, sont à imaginer pour répondre au mieux aux besoins locaux. La souplesse apportée par la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique devrait permettre de répondre à certaines de ces questions, à condition que les administrations ne paralysent pas les dossiers.

Proposition n° 47 :  Faciliter le recrutement local sur des emplois répondant exactement aux spécificités et besoins locaux.

2. Encourager l'effervescence de projets : l'aide en ingénierie aux collectivités territoriales

De nombreux projets initiés par les collectivités guyanaises, et plus particulièrement les communes et leurs groupements, n'aboutissent pas faute d'un suivi suffisant dans le temps. Cela se traduit notamment par une sous-exécution récurrente des crédits de la mission « outre-mer » à destination de la Guyane.

Or, il n'existe aujourd'hui pas , en dehors de l'aide apportée par l'agence française de développement, de réel dispositif de soutien à l'ingénierie des collectivités territoriales en Guyane . La collectivité territoriale de Guyane ne dispose pas de service d'aide à la maîtrise d'ouvrage à destination des communes, tandis que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre n'ont pas la capacité technique ni les moyens humains et financiers d'exercer ce rôle.

Sans aller à l'encontre de la libre administration des collectivités territoriales, les rapporteurs sont donc favorables à l'accroissement du soutien à l'ingénierie à destination des collectivités . La préfecture leur a présenté son projet « OSE » visant à réorganiser entièrement les services de l'État sur le territoire. Ce projet a permis la mise en place, au 1 er janvier 2020, d'une plateforme de soutien aux collectivités territoriales .

En dehors de ce nouvel outil, en lequel la commission fonde de réels espoirs, d'autres dispositifs pourraient être imaginés. À l'exemple de la Nouvelle-Calédonie, les communes et groupements de communes guyanais pourraient mettre en place un système de tutorat entre collectivités , permettant de repérer les compétences existant dans chacune des collectivités , en vue de les mettre ponctuellement à disposition d'autres collectivités en fonction des besoins.

Proposition n° 48 :  Renforcer l'appui en ingénierie des collectivités territoriales afin de favoriser les projets.


* 106 Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement en Guyane, Quels besoins en logements en Guyane pour les 10 prochaines années ? , novembre 2017. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.drom-com.fr/articles/quels-besoins-en-logements-en-guyane-pour-les-10-prochaines-annees-annexes-du-rapport-novembre-2017-169.htm .

* 107 Article 2272 du code civil.

* 108 Article 77 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique , qui a aligné le champ des avis conformes de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers sur le droit applicable en Hexagone pour les programme comportant majoritairement du logement social.

* 109 Décret n° 2017-675 du 28 avril 2017 relatif à la gestion des véhicules hors d'usage.

* 110 Qu'il s'agisse des aides apportées par le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) ou l'agence française de développement (AFD). La dotation politique de la ville, à laquelle la commune de Saint-Laurent-du-Maroni est éligible, peut toutefois financer des dépenses de fonctionnement contribuant à la réalisation des objectifs fixés dans un contrat de ville.

* 111 Un exemple réussi est celui des intervenants en langue maternelle (ILM), évoqué supra .

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