B. DES MOYENS DE SUIVI INSUFFISANTS

Il est très généralement exigé dans le droit international que les organes de régulation disposent de suffisamment d'indépendance et de moyens d'accomplir leurs missions. Le premier point, examiné supra, n'est pas en cause ; en revanche, la question des moyens est très clairement posée.

Elle commence par celle des moyens matériels dont dispose la commission pour ses missions.

On fait parfois valoir dans certains domaines que le contrôle, pour susciter des coûts, fait naître des retours tels que le rendement du contrôle se trouve positif. En ce qui concerne la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, cet argument semble privé de force 84 ( * ) . Les économies de dépenses publiques engendrées par le contrôle sont inférieures aux coûts qu'il implique. Cela se vérifie pour les interventions de la commission au regard des partis politiques et, même, dans la plupart des cas, s'agissant des dépenses électorales.

Votre rapporteur spécial n'en tire nullement la conclusion que le contrôle de la CNCCFP serait affecté en soi d'un vice constitutif. La confiance dans la vie politique, le respect des règles du jeu politique sont des « biens publics », sans valeur monétaire évidente, mais dont la production est certainement plus précieuse que celle de bien d'autres.

Il constate bien plutôt que les moyens de la CNCCFP demeurent trop comptés au regard des objectifs qu'elle doit poursuivre.

Mais il faut également tenir compte d'une autre dimension, celle de l'adéquation entre les méthodes de la CNCCFP et le sens profond de ses missions. À cet égard, on incline à recommander que d'une approche déterminée par un examen comptable dans l'après-coup, la CNCCFP passe à une démarche plus proactive. Quant aux initiatives tendant à accentuer la sélectivité des contrôles de la CNCCFP, elles devraient être envisagées, mais plutôt à travers un ensemble de critères tenant aux conditions de financement des campagnes électorales qu'à travers des critères de résultats électoraux.

1. Une activité soumise à des fluctuations conjoncturelles mais suivant un alourdissement tendanciel

Le cycle électoral dicte largement le volume d'activité de la commission.

Toutefois, une tendance très nette à l'accroissement des charges associées aux missions de la CNCCFP est notable.

D'un point de vue qualitatif, la multiplication des lois et règlements relatifs à la régulation financière de la vie politique (élections et structuration des partis et groupements politiques) si elle n'a pas systématiquement impliqué la commission, l'a doté de davantage de responsabilités. Il faut également tenir compte d'un contexte, celui d'un monde contemporain qui pose de nouveaux problèmes aux régulateurs de la vie politique, comme c'est le cas pour d'autres entités vouées à assurer l'autorité des lois.

Les indices quantifiables s'ils n'épuisent pas en totalité la mesure de l'accroissement des charges sont sans trop d'ambiguïtés.

Le nombre des comptes associés à chaque scrutin et les volumes financiers correspondants (en recettes comme en dépenses) supposent des charges massives.

Il en va de même en ce qui concerne les comptes des partis politiques, dont le nombre, on l'a relevé plus haut, ne cesse de croître.

Aperçu sur le plan de charge de la CNCCFP au titre des élections par année
entre 2011 et 2017

Nombre des candidats astreints au dépôt

Recettes déclarées

Dépenses déclarées

Décisions

Recettes+ dépenses/ décisions

2011

Cantonales

7 047

39 869,40

38 493,90

6 903

11,352

sous-total

7 047

39 869,40

38 493,90

6 903

11,352

2012

Présidentielle

10

75 091,80

74 158,30

10

14 925,01

Législatives

4 382

82 084,10

79 743,40

4 251

38,068

sous-total

4 392

157 175,90

153 901,70

4 261

73,006

2013

sous-total

0

0

0

0

0

2014

Municipales

4 748

105 590,10

102 416,20

4 644

44,790

Européennes

105

27 469,30

26 716,80

105

516,058

Sénatoriales

499

3 406,80

3 245,60

488

13,632

sous-total

5 352

136 466,20

132 378,60

5 237

51,336

2015

Départementales

9 074

66 433,60

64 665,80

8 907

14,719

Régionales

158

47 719

47 040,60

156

607,433

sous-total

9 232

114 152,60

111 706,40

9 063

24,921

2016

sous-total

0

0

0

0

0

2017

Présidentielle

11

74 895,30

74 116,20

11

13 546,50

Législatives

5 612

78 758,70

74 782,10

5 368

28,603

Sénatoriales

391

3 357,80

3 154,40

363

17,940

sous-total

6 014

157 011,80

152 052,70

5 742

53,825

Total

32 037

604 675,90

588 533,30

31 206

38,237

Source : commission des finances du Sénat

2. Un budget en hausse mais un déficit de dotations, structurellement sous - consommées

La voie des pis-aller révoquée, force est de se fixer un objectif de cohérence entre les moyens de la CNCCFP et ses missions.

Le budget ouvert à la CNCCFP a progressé de 51 % entre 2012 et 2019, l'année 2020 accentuant cette augmentation du fait d'une augmentation de 30 % des crédits de paiement largement impulsée par la multiplication par 2,6 des autorisations d'engagement.

Évolution du budget de la CNCCFP entre 2012 et 2020

(crédits ouverts en loi de finances initiale en milliers d'euros )

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

Total

2012

3 968

5 215

9 183

2013

3 965

4 850

8 815

2014

4 896

6 051

10 947

2015

5 890

6 745

12 635

2016

4 745

5 900

10 645

2017

9 650

7 050

16 700

2018

6 588

7 688

14 276

2019

6 384

7 484

13 868

2020

16 864

9 755

26 619

2019/2012

1,608870968

1,435091083

1,51018186

2020/2012

4,25

1,870565676

2,89872591

Source : commission des finances du Sénat

L'essentiel de la dynamique du budget a tenu aux dépenses non liées aux dépenses de personnel.

Cependant, les dotations ouvertes en lois de finances initiales sont systématiquement sous-consommées.

Écart entre la programmation budgétaire et la consommation des crédits

(en milliers d'euros)

Autorisations d'engagement

Consommation effective

Écart

Crédits de paiement

Consommation effective

Écart

2012

3 968

3 351

- 617

5 215

4 645

- 570

2013

3 965

3 369

- 596

4 850

4 517

- 333

2014

4 896

4 162

- 734

6 051

5 310

- 741

2015

5 890

5 489

- 401

6 745

6 658

- 87

2016

4 745

4 335

- 410

5 900

5 381

- 519

2017

9 650

7 868

- 1 782

7 050

5 958

- 1 092

2018

6 588

4 916

- 1 672

7 688

5 730

-1 958

2019

6 384

ND

ND

7 484

ND

ND

2020

16 864

ND

ND

9 755

ND

ND

Source : commission des finances du Sénat

La nette dégradation du taux de consommation des autorisations d'engagement relevée ces dernières années est attribuée au report des projets liés à la dématérialisation des procédures mises en oeuvre par la commission.

Ce constat n'épuise pas le problème. Le report en question semble lui-même avoir été l'effet d'une incapacité de la commission à faire face à son plan de charge ordinaire en même temps qu'à la conduite de ce projet. En bref, la programmation des moyens de la commission n'a pas su anticiper les besoins.

En outre, l'exécution des autorisations de dépenses a vu se superposer des mesures de régulation (gels, surgels et finalement annulations de crédits) d'un niveau très significatif dès lors que ces mouvements de crédits ont principalement porté sur les crédits hors titre 2 (pour lesquels la réserve de précaution est appliquée moyennant un taux réduit).

L'analyse des dotations budgétaires ouvertes chaque année à la commission appelle des précautions dans la mesure où les crédits ouverts sont élastiques, même si c'est faiblement, au calendrier électoral.

En outre, des investissements, dans les systèmes d'information notamment, peuvent occasionner des évolutions très conjoncturelles.

La structure des dépenses en 2020 en témoigne avec des dotations élevées au titre des projets tendant à assurer la dématérialisation d'un certain nombre d'informations transmises et émises par la CNCCFP.

Structure des crédits demandés au titre de la CNCCFP

(projet de loi de finances pour 2020)

Source : projet annuel de performances pour 2020

Les dépenses de personnel mobilisent une part toujours importante des crédits. Elles subissent des variations mais relativement modestes au regard des évolutions des plans de charge de la CNCCFP (voir ci-dessous).

Les autres dépenses hormis celles liées à l'implantation immobilière de la commission sont essentiellement consacrées aux systèmes de données. La politique de sécurité des systèmes d'information occupe une place importante dans ce cadre.

En revanche, le renforcement des systèmes de traitement des données n'a pas fait l'objet de l'attention qu'il aurait fallu lui consacrer ces dernières années.

Quant aux moyens disponibles pour assurer les conditions matérielles effectives des missions élargies de la commission (déplacements, recours à des experts...), ils restent globalement « impalpables ».

3. Des ressources humaines globalement « précaires »

Depuis 2013 les emplois ouverts à la CNCCFP ont nettement progressé.

De 41 emplois autorisés en 2013, année de forte sous-consommation des emplois (34 seulement avaient alors été mobilisés) et 43 emplois ouverts en 2014 (pour une consommation intégrale), les ETPT rendus disponibles sont passés à 51 en 2019 et même 58 en prévision pour 2020.

Évolution des emplois de la CNCCFP entre 2015 et 2019

En ETPT

2015

2016

2017

2018

2019 ( prév )

Emplois autorisés

47

44

51

51

51

Emplois mobilisés

47

43

50

48

50,95

Source : réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial ; projet de loi de finances pour 2020

Par rapport à 2013, le nombre des emplois aura ainsi gagné 17 unités en 2020 (+ 41,6 % et même + 75,5 % si l'on se réfère aux emplois réellement mobilisés en 2013).

L'activité de la commission étant fortement marquée par le cycle électoral, l'année 2013, année sans élection majeure, n'est pas une base de comparaison pleinement satisfaisante si l'on souhaite apprécier les conditions dans lesquelles les missions supplémentaires de la CNCCFP ont été accompagnées par des moyens nouveaux.

Si l'on compare les deux années de forte intensité électorale 2012 et 2017 (élection présidentielle et élections législatives), on observe que les emplois mobilisés ont augmenté de 10,4 ETPT, soit + 26,6 %.

Cette augmentation des emplois s'est inscrite dans un contexte marqué par un volume de charge de la mission (hors nouvelles dispositions de régulation) marqué par une réelle augmentation:

- un nombre de candidats à l'élection présidentielle supérieur de une unité par rapport à 2012 (11 candidats contre 10), les candidats ayant dépassant 5 % des suffrages et pouvant ainsi prétendre au remboursement de leurs frais de campagne étant stable (5 dans les deux scrutins) mais avec une augmentation significative de leurs dépenses (13,18 millions d'euros contre 8,55 millions d'euros en 2012, soit + 61 %) ;

- un nombre de candidats aux élections législatives en forte croissance (7 877 candidats contre 6 603 en 2012) avec un nombre de comptes de campagne devant être déposés à la commission également en forte hausse (5 387 contre 4 832 en 201285 ( * )), soit un net alourdissement du volume des comptes à examiner (+ 11,5 %).

Dans ces conditions, force est de reconnaître qu'une partie significative des créations d'emplois ne peut être attribuée à un renforcement « qualitatif » des moyens d'action de la commission alors même que les besoins ont été accrus par les différents dispositifs passés sous revue.

La question de l'adéquation entre les effectifs de la CNCCFP et ses missions se pose donc d'un point de vue strictement quantitatif.

Plus qualitativement, votre rapporteur spécial a pris connaissance des efforts entrepris par la CNCCFP pour construire des ressources humaines présentant une aptitude professionnelle éprouvée.

Elle semble recourir aux services de personnes aux deux extrémités des âges (étudiants et retraités). Elle indique leur assurer une formation et avoir pris des dispositions pour les entourer d'une espèce de tutorat. Elle mobilise la faculté d'embaucher des contractuels mais aussi des collaborateurs occasionnels du service public dont les conditions de rémunération sont assises sur le paiement de vacations. Ces dernières ont été revalorisées récemment, mais elles paraissent ne pas se distinguer par leur attractivité (en comparaison d'autres situations).

Votre rapporteur spécial ne peut manquer de mentionner quelques éléments qui, sans conduire à un quelconque diagnostic d'insuffisante qualité des interventions des rapporteurs de la commission, devraient être, peut-être, plus systématiquement pris en compte. Sans revenir sur les questions de déontologie, pourtant très significatives, qu'ont pu poser certains comportements (ils mériteraient une analyse en soi), un sentiment diffus de décalage entre les actes d'instruction de certains dossiers et leur significativité a pu se répandre chez de nombreux « usagers » de la commission 86 ( * ) .

Pour obvier à ce qui pourrait constituer un germe d'affaiblissement de la confiance des assujettis, il est sans doute nécessaire que la commission accentue ses efforts de professionnalisation de ses agents mais également de ses procédures.

Les constats de votre rapporteur spécial rejoignent le consensus selon lequel les moyens de la CNCCFP sont globalement insuffisants pour que cette dernière puisse assurer toutes ses missions, même dans le cadre, certes élargi par les missions nouvelles que recèlent les renforcements de la régulation, mais qui est jusqu'à présent resté traditionnel au regard des conditions d'exercice d'une mission polarisée sur l'analyse comptable.

4. Des voies de mutualisation à explorer mais des perspectives limitées

Traditionnellement, et plus encore depuis l'adoption de la loi n° 2017-55 sur les autorités administratives indépendantes, la CNCCFP évoque dans ses rapports l'exploration à laquelle elle se livre de voies de réductions des coûts de son fonctionnement.

Si les perspectives de la démarche ne sont pas nulles, force est de constater qu'elles demeurent limitées. La CNCCFP peut recevoir un appui du ministère de l'intérieur mais sous certaines réserves évidentes. Elle n'est pas partie à l'oekoumène des autorités administratives indépendantes placées auprès des services du Premier ministre, qui peuvent mobiliser certaines économies d'échelle.

La question de la fusion de la CNCCFP et de la HATVP ayant pu être évoquée, votre rapporteur spécial, sans y être totalement hostile, s'interroge sur le bilan coûts-avantages d'une telle perspective. Les missions de l'une et de l'autre autorité, pour justifier que des relations plus étroites entre elles, sont marquées par des singularités qui laissent peu d'espace a priori à des synergies fonctionnelles.

En outre, les inconvénients opérationnels d'une agrégation de missions disparates doivent être pesés en les comparant aux bénéfices d'une meilleure coopération entre des organes égaux mais séparés.

5. Pour une CNCCFP plus proactive et plus sélective ?

En se bornant à la problématique de l'activité de régulation des campagnes électorales, force est de constater que la polarisation de l'activité du régulateur par le dépôt des comptes de campagne (même si elle est mitigée par un dialogue avec les candidats au long de la campagne, qu'il conviendrait de sécuriser ; voir infra ) tend à éloigner le régulateur des faits de campagne et peut lui donner un « temps de retard » dans son oeuvre de régulation.

En ce qui concerne la campagne pour l'élection présidentielle, qui fait déjà l'objet d'un suivi rapproché de la part de la commission nationale évoquée ci-dessus, il conviendrait que la CNCCFP puisse désigner un ou deux délégués auprès de chaque candidature habilités à se faire présenter des comptes provisoires sur la base d'une fréquence régulière. Un tel agencement pourrait être étendu à certains scrutins particulièrement emblématiques

C'est déjà aborder la question de la sélectivité de la régulation. En l'état, le contrôle de la commission est présenté comme s'inspirant d'une démarche exhaustive conforme à une inspiration strictement égalitaire. Cette démarche est présentée comme dépassant la seule question du contrôle de l'emploi des deniers publics, qui n'est, en effet, qu'une composante de la politique publique mise en oeuvre, à côté de celle de l'égalité des candidats.

Votre rapporteur spécial s'interroge sur la portée pratique qu'il est possible de donner à ce principe, par ailleurs légitime, au vu des moyens de la CNCCFP.

Les ressources dont dispose la CNCCFP pour combiner exhaustivité des contrôles et profondeur de ceux-ci ne paraissent pas garantir l'effectivité de cette combinaison.

Dans ce contexte, on peut songer à effectuer un tri en amont des zones de contrôle de la commission. Ce type de démarches, pour ne pas devoir être systématiquement écarté, peut exercer des effets ambivalents compte tenu de l'imbrication des relations financières entre les acteurs de la vie politique. Il est également susceptible de se révéler non-neutre quant aux équilibres des compétitions électorales. Dans un contexte général de fortes contraintes, la dérégulation peut aboutir à la multiplication d'intervenants qui finissent par exercer des effets systémiques.

Il faut ainsi rester très circonspect devant les initiatives visant à alléger les exigences communes au profit de certaines structures, qui peuvent être réputées, à tort, présenter peu d'enjeux.

Ce peut être tout particulièrement le cas si l'on s'attache à un critère de performance électorale sans référence aux moyens financiers mis en oeuvre.

Néanmoins, pour un certain nombre d'élections, essentiellement territoriales, il pourrait être envisagé de permettre à des candidats engageant un niveau de dépenses inférieur à un seuil fixé par référence à une approche d'investissement différentiel de faire jouer une option de renoncement au financement public et ainsi de mettre en oeuvre une exemption plus ou moins complète 87 ( * ) des contrôles.


* 84 Sauf exception.

* 85 En 2012 le nombre de candidats aux élections législatives astreints au dépôt de leur compte avait nettement reculé sous l'effet de la loi n° 2011-412 du 14 avril 2011 qui avait dispensé du dépôt de leur compte les candidats ayant obtenu moins de 1 % des suffrages et n'ayant pas bénéficié de dons de personnes physiques.

* 86 Le compte rendu de la séance de la commission des finances au cours de laquelle le présent rapport a été présenté en témoigne.

* 87 Votre rapporteur spécial ne pense pas que l'adoption d'une démarche de contrôle aléatoire, comme il en existe dans d'autres domaines, puisse être tout à fait compatible avec les missions de la CNCCFP. Par ailleurs, les contrôles aléatoires mis en oeuvre dans certains domaines ont des prolongements par extrapolation qui paraissent difficiles à transposer dans le domaine ici concerné.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page