B. LA GESTION D'UN STOCK D'AFFAIRES IMPORTANT

Le déconfinement imposera surtout de gérer le stock d'affaires accumulées depuis la grève des avocats de janvier 2020 . Les délais de renvoi des affaires sont très variables. En matière pénale, le délai moyen de renvoi va par exemple de six mois à Tulle à un an à Pontoise, sans préjudice de durées de traitement plus longues. Au tribunal judiciaire de Nanterre, certaines affaires civiles doivent être reportées à des audiences de mars 2022. L'Agence France Presse 47 ( * ) rapporte les chiffres suivants sur le nombre de reports : « à Lyon, 28 000 affaires civiles selon le bâtonnier Serge Deygas ; à Marseille, environ 18 500 affaires civiles sur les 24 000 fixées et 1 700 affaires pénales sur les 3 000 audiencées, selon la présidence du tribunal (...). Dans le ressort de la cour d'appel de Paris, 64 semaines d'assises ont été reportées, selon le parquet général ». La présidente du tribunal judiciaire de Nanterre fait état d'un volume de 10 000 affaires civiles renvoyées entre le 16 mars et le 16 mai 2020.

L'attention des rapporteurs a été particulièrement attirée sur les jurys d'assises , qui ne pourront se tenir normalement en période de distanciation sociale, ce qui conduira à des délais encore plus importants. À cet égard, la Chancellerie étudierait l'éventualité d'étendre la mise en place des cours criminelles départementales, créées à titre expérimental en septembre 2019, dans sept départements. La mission examinera, le cas échéant, ce sujet.

De nombreux magistrats ont donc demandé la possibilité de revenir sur les audiences déjà convoquées pour réorganiser le calendrier en fonction des urgences . Les dimensions pénales et civiles de cette question comportent des enjeux différents. En matière pénale, le parquet pourrait même envisager de modifier ses orientations 48 ( * ) pour des affaires déjà « audiencées » ; cela ne serait pas sans poser de questions, notamment sur l'égalité de traitement des justiciables. En matière civile, le report d'audiences déjà convoquées ne présente pas les mêmes enjeux, bien qu'il exige de revoir l'ensemble du calendrier d'audiencement. Les rapporteurs comprennent la logique de cette demande, qui pose néanmoins la question du préjudice porté aux justiciables qui verront leur affaire repoussée alors que la date en a déjà été fixée, parce qu'elle sera jugée moins urgente que d'autres.

Une nouvelle orientation de la politique pénale pendant la période de déconfinement et dans la perspective d'un retour ou fonctionnement normal des juridictions peut être envisagée. Mais la volonté d'accélérer les procédures et la fixation de nouvelles priorités en matière de poursuites ne doivent pas aboutir à amoindrir la réponse pénale. Les rapporteurs notent par ailleurs que les dispositions du « bloc peines » de la loi de programmation et de réforme pour la justice sont entrées en application le 24 mars 2020 et devraient avoir des effets sur les réductions du nombre d'incarcérations.

La question de l'adaptation de la procédure en période de sortie du confinement est également posée . Toutefois, la fin du confinement ne signifie pas la fin de l'état d'urgence sanitaire, et la fin même de ce dernier ne signifiera pas celle de l'ensemble des dispositions dérogatoires mises en place par les ordonnances, certaines restant en vigueur pendant encore un mois. La prolongation de droit des détentions provisoires produira ses effets jusqu'à six mois après la fin de la crise, les mesures dérogatoires applicables aux juridictions judiciaires statuant en matière non pénale aussi.

Ainsi, la presse a pu se faire l'écho d'un redémarrage de la justice civile au tribunal de Paris à partir du 11 mai, en recourant aux procédures prévues par les ordonnances du 25 mars 2020 et notamment à la procédure sans audience , ce qui ne pose pas de difficulté dès lors que les parties sont d'accord. S'agissant des référés, pour lesquels les ordonnances prévoient que les parties ne peuvent s'y opposer, le Conseil d'État a jugé en référé que cette disposition ne portait pas d'atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense, eu égard aux « exigences de lutte contre l'épidémie de covid-19 [qui] imposent de faire échec à la propagation du virus et de limiter, autant que faire se peut, les contacts entre les personnes, et que cette disposition vise à faciliter une continuité de l'activité des juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale dans le respect des consignes de distanciation sociale » 49 ( * ) .

Avant donc d'envisager toute prolongation des dispositions dérogatoires, même techniques, mises en place, vos rapporteurs estiment nécessaire d'attendre un bilan exhaustif de leur mise en oeuvre.


* 47 « Les tribunaux se préparent à l'après-confinement et à un engorgement inédit » par Anne-Sophie Lasserre et Caroline Taix, AFP, 24 avril 2020.

* 48 Ceci permettrait d'augmenter le recours aux comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, compositions pénales et classements sans suite.

* 49 Conseil d'État, ordonnance de référé du 10 avril 2020, n os 439883, 43982.

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