B. LES SCÉNARIOS ENVISAGEABLES DANS L'HYPOTHÈSE OÙ LE SCRUTIN NE POURRAIT PAS SE TENIR D'ICI JUIN 2020

Sans préjudice de ce calendrier, les co-rapporteurs se sont interrogés sur les scénarios envisageables dans l'hypothèse où le second tour des élections municipales ne pourrait se tenir d'ici juin 2020.

L'objectif n'est pas de donner des réponses définitives mais d' ouvrir un débat prospectif , s'adaptant à l'évolution des conditions sanitaires. Il s'agit également d'éclairer le législateur, le report ou l'annulation du second tour impliquant le vote d'une nouvelle loi.

En tout état de cause, les conseils municipaux devront être complétés le plus rapidement possible , pour au moins deux raisons.

D'une part, les principes d'ordre constitutionnel « impliquent notamment que les électeurs soient appelés à exercer selon une périodicité raisonnable leur droit de vote » 98 ( * ) . La prolongation du mandat des équipes « sortantes » doit donc revêtir « un caractère exceptionnel et transitoire » 99 ( * ) .

D'autre part, toutes les communes ont besoin d'un conseil municipal en ordre de marche pour faire face à la crise sanitaire (voir supra ).

Ce constat concerne également les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre , qui se trouvent particulièrement fragilisés.

La situation des EPCI à fiscalité propre

La France compte 1 254 EPCI à fiscalité propre (métropoles, communautés d'agglomération, communautés urbaines, communautés de communes).

Sur ce total, seules 153 intercommunalités (12 %) ont vu le conseil municipal de l'ensemble de leurs communes membres être entièrement renouvelés dès le premier tour des élections municipales.

Jusqu'au prochain scrutin, les 1 101 EPCI (88 %) devront se réunir sous une forme hybride, réunissant des conseillers élus en mars 2014 et d'autres en mars 2020 .

Comme l'indique l'AMF, cette gouvernance hybride pourrait nuire « à une poursuite dynamique de la structure intercommunale, qui à l'inverse des communes dont le conseil municipal aura été renouvelé, se trouvera dans une situation d'entre-deux propice à des conflits politiques et à des coopérations a minima ».

Quel que soit le scénario retenu, le cas des communes de moins de 1 000 habitants sera le plus délicat à traiter .

Les spécificités des communes
de moins de 1 000 habitants

Du fait de leur mode de scrutin, ces communes comptent :

- des conseillers municipaux élus dès le premier tour organisé le 15 mars dernier 100 ( * ) et dont le mandat reste acquis , comme le rappelle la loi d'urgence du 23 mars 2020. Le ministre de l'intérieur a d'ailleurs confirmé ce point dans un courrier adressé au président de la commission des lois du Sénat 101 ( * ) ;

- des sièges non pourvus, qu'il convient d'attribuer pour compléter le conseil municipal (dont l'effectif est compris, selon la population de la commune, entre 7 et 15 membres).

Le problème de l'entrée en fonction des conseillers municipaux élus dès le premier tour se posera avec acuité dans les communes de moins de 1 000 habitants. Exerceront-ils leurs fonctions aussitôt que la situation sanitaire le permettra, comme dans les communes de 1 000 habitants et plus, ou devront-ils attendre de nouvelles élections pour compléter le conseil municipal ?

1. Scénario A : un second tour en juillet 2020

Ce scénario consiste à organiser le second tour des élections municipales en juillet 2020 (au lieu de juin), à condition que la situation sanitaire se soit améliorée . Il permettrait de clore le cycle électoral, plaçant les communes et les EPCI dans de meilleures dispositions pour faire face à la crise.

Dans son avis sur le projet de loi pour faire face à l'épidémie de covid-19, le Conseil d'État a considéré « qu'une mesure de suspension et de report d'un deuxième tour de scrutin n'est admissible que dans des cas exceptionnels, pour des motifs d'intérêt général impérieux et à la condition que le report envisagé ne dépasse pas, eu égard aux circonstances qui le justifient, un délai raisonnable ».

En l'espèce, le Conseil d'État a estimé que le second tour pouvait être organisé en juin 2020 . Toutefois, « si la crise persiste à cette échéance, contraint à prolonger les mesures d'urgence sanitaire et rend impossible l'organisation du deuxième tour avant l'été, il appartiendra aux pouvoirs publics de reprendre l'ensemble des opérations électorales dans les communes où les conseils municipaux sont incomplets » 102 ( * ) .

Pour les co-rapporteurs, l'organisation du second tour des élections municipales en juillet 2020 s'inscrirait dans ce « délai raisonnable » mentionné par le Conseil d'État . Le scrutin se tiendrait moins de quatre mois après le premier tour, les listes électorales resteraient « gelées » et le contexte sociétal serait proche de celui de juin 2020, notamment ce qui concerne la gestion du déconfinement et la reprise de l'activité économique.

À l'inverse, le second tour ne peut pas être reporté au-delà de l'été : plus de six mois se seraient écoulés depuis le premier tour et le contexte sociétal pourrait être très différent.

2. Scénario B : un scrutin à deux tours à partir de septembre 2020

Si le second tour ne peut pas se tenir d'ici l'été, une nouvelle élection à deux tours devrait être organisée pour :

- compléter les conseils municipaux de 3 455 communes de moins de 1 000 habitants, sans remettre en cause le mandat des conseillers élus dès le 15 mars 2020 (voir infra ) ;

- élire les conseillers municipaux de 1 442 communes de 1 000 habitants et plus.

Cette nouvelle élection devrait se tenir le plus tôt possible, d'ici l'automne prochain . Le mandat des conseillers municipaux « sortants » serait prolongé jusqu'à cette date.

Deux prérequis devraient être respectés pour l'organisation de ce nouveau scrutin.

D'une part, le calendrier retenu devrait prévoir des délais suffisants pour que les candidats puissent constituer leur liste, déposer leur déclaration de candidature en préfecture puis mener campagne. Il s'agit, en effet, d'opérations plus longues que le dépôt de listes déjà constituées pour le second tour, même en cas de fusion de listes.

En tout état de cause, le scrutin pourrait difficilement se tenir avant le début du mois d'octobre 2020 . Les conseillers communautaires prendraient leur fonction à la fin du mois d'octobre ou au début du mois de novembre 2020, mettant fin à la gouvernance hybride des EPCI à fiscalité propre.

D'autre part, le Comité de scientifiques devrait être consulté en amont pour s'assurer que les conditions sanitaires permettent la tenue des opérations de vote. Le Comité pourrait également formuler certaines préconisations, que les assesseurs et les électeurs devraient mettre en oeuvre dans chaque bureau de vote.

Il convient de garder à l'esprit, malheureusement, que la baisse continue des contaminations et l'élargissement progressif des possibilités de déplacements et de rassemblements, est probable mais nullement certaine . Le scénario « septembre - octobre » évoqué ci-dessus est subordonné au fait que, début septembre, une nouvelle évaluation scientifique confirme la possibilité d'organiser le scrutin.

Dans les communes de 9 000 habitants et plus, la gestion des comptes de campagne s'annonce particulièrement délicate . Les candidats risquent de rencontrer d'importants problèmes de trésorerie : ils devront mener campagne alors que l'État n'aura pas encore remboursé les dépenses engagées pour le scrutin de mars 2020.

Conscients de cette difficulté, les co-rapporteurs auditionneront dans les prochaines semaines le président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) afin d'examiner les réponses à apporter.

Les difficultés de trésorerie des candidats : un exemple concret

Une liste de candidats se présente aux élections municipales de mars 2020 et engage 50 000 euros pour financer sa campagne.

Lors du premier tour, elle obtient 30 % des voix. Le second tour est toutefois annulé en raison des conditions sanitaires ; une nouvelle élection à deux tours est organisée en octobre 2020 .

La liste éligible au remboursement forfaitaire de l'État car elle a obtenu plus de 5 % des voix lors du premier tour de mars 2020. Au regard du plafond des dépenses électorales, partons de l'hypothèse que l'État devra lui rembourser jusqu'à 35 000 euros .

Ce remboursement sera toutefois versé qu'au bout de plusieurs mois, en fonction des échéances suivantes :

- la liste devra déposer son compte de campagne avant le 11 septembre 2020 ;

- le montant du remboursement sera ensuite fixé par la CNCCFP, qui disposera d'un délai d'instruction de 3 mois (en cas de recours devant le juge électoral) ou de 6 mois (en l'absence de recours) ;

- l'État devra ensuite verser la somme correspondante à la liste de candidats. En règle générale, ce versement prend au moins deux mois.

Au final, la liste ne sera remboursée qu'en février ou en mai 2021 . Ces fonds ne permettront pas de financer la campagne électorale d'octobre 2020. Le contexte économique risque également de restreindre l'accès aux prêts bancaires, pourtant nécessaires dans le financement d'une campagne.

Conformément à la jurisprudence constitutionnelle, ce scénario impliquerait également de reporter les élections sénatoriales prévues en septembre 2020 103 ( * ) . Une loi organique devrait, à cette fin, être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées 104 ( * ) .

3. Scénario C : un second tour en juin ou en juillet 2020, mais uniquement dans les communes de moins de 1 000 habitants

Ce scénario consiste à organiser le second tour des élections municipales en juin ou en juillet 2020, mais uniquement dans les 3 455 communes de moins de 1 000 habitants . Le second tour serait annulé dans les 1 442 communes de plus grande taille, nécessitant la tenue de nouvelles élections à deux tours.

Sur le plan sanitaire, le scrutin semble plus facile à organiser dans les petites communes, notamment parce que le nombre de votants y est plus faible.

L'avis du comité de scientifiques devra être recueilli afin d'évaluer les garanties sanitaires à mettre en oeuvre , en tenant compte du scrutin organisé le 15 mars 2020. Il conviendrait, par exemple, d'aider les personnes vulnérables à établir une procuration en amont du vote, de prévoir le port d'un masque de protection dans les bureaux de vote et de s'assurer du respect des gestes « barrières ».

En tout état de cause, chaque bureau de vote devrait présenter un maximum de 500 électeurs inscrits , pour éviter la réunion d'un trop grand nombre de personnes 105 ( * ) . Un bureau de vote supplémentaire devra donc être ouvert dans les communes, dont la proportion est sans doute inférieure au quart du total, dans lesquelles le nombre d'inscrits dans le bureau de vote dépasse ce chiffre.

L'objectif serait de compléter le plus tôt possible les conseils municipaux des petites communes , dont certains membres ont été élus dès le premier tour du 15 mars dernier. Évitant d'organiser de nouvelles élections à deux tours, ce scénario faciliterait également le fonctionnement des EPCI à fiscalité propre 106 ( * ) .

Dans la plupart des communes de moins de 1 000 habitants, il s'agit de pourvoir un nombre très limité de sièges : dans 70 % des cas, il faut élire moins de quatre conseillers municipaux pour compléter le conseil .

Source : Assemblée des communautés de France (AdCF)

Lecture du graphique :
dans 1 356 communes de moins de 1 000 habitants,
un seul siège reste à pourvoir à l'issue du premier tour organisé le 15 mars 2020

Juridiquement, rien ne semble s'opposer à ce scénario : les élections municipales sont des scrutins autonomes, dont l'organisation peut être décorrélée .

Analyse juridique du scénario C

Contrairement aux élections législatives ou sénatoriales, le résultat d'une circonscription aux élections municipales n'a aucun impact sur l'équilibre du scrutin dans les autres circonscriptions , notamment parce que les conseillers municipaux de plusieurs communes ne siègent pas au sein d'une même assemblée délibérante. Même s'ils peuvent siéger ensemble dans un même EPCI, cet élément ne semble pas avoir d'influence décisive sur les options des citoyens dans le scrutin municipal.

En ce sens, la loi d'urgence du 23 mars 2020 permet déjà d'organiser le second tour des élections municipales en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie à une date différente de celle retenue en métropole.

À titre de comparaison, les élections régionales et communales sont organisées à des dates différentes en Allemagne, en fonction de chaque länder.

L'article 34 de la Constitution dispose uniquement que la loi fixe les règles concernant le régime électoral « des assemblées locales (...) ainsi que les conditions d'exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ».

Enfin, la jurisprudence du Conseil constitutionnel permet déjà de différencier les élus municipaux en fonction du nombre d'habitants de leur commune . Elle impose toutefois que « le seuil retenu ne soit pas arbitraire », précisant que cette condition est remplie dès lors que ce seuil détermine « un changement de mode de scrutin pour l'élection des membres des conseils municipaux » 107 ( * ) , ce qui serait le cas avec un seuil de 1 000 habitants.

Lors de son audition devant la commission des lois, le ministre de l'intérieur s'est engagé à examiner la faisabilité technique de ce scénario, qui n'éviterait pas un report des élections sénatoriales.

Sa mise en oeuvre dépendrait toutefois de l'état sanitaire du pays : des communes de petite taille peuvent se situer dans un foyer épidémique, rendant difficile l'organisation du scrutin, comme dans le département de l'Oise lors du scrutin de mars 2020.


* 98 Conseil constitutionnel, 6 décembre 1990, Loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux , décision n° 90-280 DC.

* 99 Conseil constitutionnel, 6 février 1996, Loi organique relative à la date du renouvellement des membres de l'assemblée territoriale de la Polynésie française , décision n° 96-372 DC.

* 100 Dans les communes de moins de 1 000 habitants, un candidat doit remplir deux conditions pour être élu dès le premier tour : obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés ainsi qu'un nombre de suffrages égal au quart de celui des électeurs inscrits (article L. 253 du code électoral).

* 101 « S'agissant d'une élection au scrutin majoritaire plurinominal, le mandat (des candidats élus dès le premier tour) est définitivement acquis, qu'il soit ou non possible d'organiser le second tour au mois de juin 2020 ».

* 102 Avis n° 399873 du 18 mars 2020.

* 103 Conseil constitutionnel, 15 décembre 2005, Loi organique modifiant les dates des renouvellements du Sénat , décision n° 2005-529 DC. Le Sénat « doit être élu par un corps électoral qui soit lui-même l'émanation » des collectivités territoriales. Il convient d'éviter que les sénateurs soient désignés « par un collège en majeure partie composé d'élus exerçant leur mandat au-delà de son terme normal ».

* 104 Articles 25 et 46 de la Constitution.

* 105 Alors, qu'habituellement, un bureau de vote compte entre 800 et 1 000 électeurs inscrits.

* 106 Le conseil municipal de leurs communes membres de moins de 1 000 habitants étant complété d'ici l'été.

* 107 Conseil constitutionnel, 30 mars 2000, Loi organique relative aux incompatibilités entre mandats électoraux , décision n° 2000-427.

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