B. LES CENTRES DE RÉTENTION ADMINISTRATIVE : UN DÉFI SANITAIRE ET SÉCURITAIRE RELEVÉ DANS UN CONTEXTE DE FORTE BAISSE DU NOMBRE D'ÉLOIGNEMENTS

Gérés par le ministère de l'intérieur, les centres de rétention administrative (CRA) sont des bâtiments surveillés relevant du ministère de l'intérieur. L'administration peut y retenir, pour une durée limitée et sous contrôle juridictionnel, les étrangers en situation irrégulière faisant l'objet d'une procédure d'éloignement et ne pouvant pas quitter immédiatement la France.

1. La fermeture des frontières a fortement limité les possibilités d'éloignement des étrangers en situation irrégulière

La fermeture des frontières et l'arrêt des liaisons aériennes internationales, conséquences de la crise sanitaire, ont considérablement réduit les opérations d'éloignement des étrangers sans titre.

À l'échelle européenne , la Commission européenne a proposé le 16 mars 2020 une restriction temporaire des déplacements non essentiels vers l'Union européenne. Sur cette base, le 17 mars 2020, le Conseil européen a décidé de limiter les déplacements non essentiels à destination de l'Union pour une période de 30 jours, mesure prolongée 74 ( * ) jusqu'au 15 juin 2020. Les frontières extérieures de l'UE ont donc été fermées et les États autorisés à rétablir le contrôle de leurs frontières intérieures.

À ce titre, au niveau national , la France a procédé dès le 18 mars à la fermeture de ses frontières pour les voyageurs étrangers, et a renforcé les contrôles à ses frontières extérieures et intérieures 75 ( * ) .

Réciproquement, de très nombreux États tiers ont adopté des mesures similaires de restriction d'entrée pour contrer la propagation de l'épidémie. Ainsi, selon les informations communiquées aux rapporteurs par la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF), jusqu'au mois de mai, 179 pays ne réadmettaient plus leurs ressortissants en situation irrégulière en provenance de France (soit qu'ils aient fermé leur frontière, soit qu'ils imposent une quatorzaine, soit que les liaisons aériennes aient été de facto interrompues - comme avec la Tunisie depuis le 13 mars, l'Algérie depuis le 17 mars, ou le Maroc depuis le 21 mars).

En outre, les transferts de demandeurs d'asile dans le cadre de l'application du Règlement « Dublin III » (ceux dont l'examen de la demande relève d'un autre État membre de l'Union) ont été suspendus. De façon générale, pendant cette période, l'administration s'est engagée à ce qu'aucun étranger ne puisse faire l'objet d'une mesure d'éloignement dès lors qu'il déclare ne pas avoir été en mesure de déposer sa demande d'asile 76 ( * ) . Enfin, les retours volontaires aidés opérés par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ont été interrompus.

Malgré ces obstacles, l'administration a réussi à procéder à un nombre réduit d'éloignements forcés pendant cette période . Du 17 mars au 30 avril, les services de la police aux frontières indiquent avoir mis en oeuvre 96 éloignements forcés par voie aérienne ou maritime.

Au vu des principales nationalités présentes en CRA, des démarches ont notamment été engagées par le ministère de l'intérieur avec l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, l'Albanie, la Roumanie et le Portugal pour réadmettre leurs ressortissants placés en rétention pour trouble à l'ordre public, ou sortant de prison , afin de les éloigner, sous réserve de l'accord des pays de destination, au moyen de vols dédiés organisés ou acceptés par ces États.

À ce titre, l'Albanie a par exemple organisé un vol de rapatriement de ses ressortissants, le 23 avril. Le 29 avril, la Roumanie a de même accepté de reprendre tous ses ressortissants placés en CRA ainsi que des sortants de prison dont la libération intervenait à cette date.

C'est cette possibilité concrète d'éloignement, réduite mais réelle, qui a permis au Conseil d'État, saisi en référé 77 ( * ) , de constater qu'il demeurait des perspectives raisonnables d'éloignement et de rejeter la demande de fermeture générale de l'ensemble des centres de rétention administrative.

L'impact de la crise sanitaire sur l'exercice du droit d'asile

Toute la chaîne de l'asile en France a quasiment cessé de fonctionner à compter de la mi-mars . Cette interruption exceptionnelle tient aux conséquences de l'épidémie sur les ressources humaines des différents services concernés (personnels en arrêt maladie, autorisations d'absence, gardes d'enfant), et aux mesures destinées à lutter contre la propagation de la maladie (qui interdisaient la plupart des interactions physiques indispensables - entretiens, présentation et examen de pièces, etc .).

S'il est vrai que des pays comparables ont également connu de telles difficultés, la mission estime que cette interruption pose de sérieuses questions au regard du respect de nos engagements européens 78 ( * ) .

Concernant l'enregistrement des demandes d'asile , la fermeture à la mi-mars 2020 des structures associatives de préaccueil, des guichets uniques pour demandeurs d'asile (GUDA) et, en Île-de-France, de la plateforme téléphonique de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) organisant les rendez-vous ont conduit de facto à leur interruption

Sur injonction du juge administratif saisi par plusieurs associations 79 ( * ) , l'enregistrement des demandes d'asile en Île-de-France a repris à compter du mois de mai (sur une base resserrée de cinquante à soixante rendez-vous octroyés chaque jour, selon le directeur général de l'OFII entendu par les rapporteurs, en priorité à destination des demandeurs les plus vulnérables). Dans les autres régions de l'Hexagone, l'enregistrement semble avoir repris de manière progressive et partielle depuis le 11 mai 2020, le directeur général des étrangers en France ayant fixé un objectif de retour à une capacité quasi normale de réception des demandes pour le 15 juin.

Concernant ensuite l'instruction des demandes d'asile, elle a été profondément perturbée par la crise, comme l'a reconnu le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) entendu par les rapporteurs. Aucun public n'a plus été admis dans les locaux de l'Office à compter du 16 mars : l'essentiel de l'activité s'est donc concentré sur le traitement des dossiers ne nécessitant pas d'entretiens physiques, et même l'accueil des personnes bénéficiant de la protection internationale (pour la délivrance de titres d'état civil, notamment) a été fermé. À compter du 11 mai, l'Office a repris progressivement les entretiens de demande d'asile et de statut d'apatride, sous réserve de respecter plusieurs mesures de prévention sanitaire (contrôle de température, port du masque...)

Concernant enfin les dispositifs d'intégration , si l'OFII a dû suspendre toutes les procédures d'accueil du public (en dehors de la procédure d'asile), la mission note avec intérêt que l'enseignement du français dispensé dans le cadre du contrat d'intégration républicaine (CIR) a parfois pu être poursuivi dans de bonnes conditions, les opérateurs en charge de ces prestations étant familiers des dispositifs de « e-learning » imposés par l'épidémie. De même, selon le directeur général de l'Office, des bilans de fin de CIR ont pu être menés à bien par des agents en télétravail, alors même que cette évaluation se heurtait, en présentiel, à un fort taux d'absentéisme.

2. Les centres de rétention : une activité réduite mais des défis inédits

Le dispositif de rétention administrative comprend un peu plus de 1 800 places au total en France. Alors que le taux d'occupation est habituellement très élevé, notamment dans l'Hexagone (entre 80 et 90 %), les centres de rétention n'ont été utilisés qu'à 10 % environ de leur capacité pendant la période de la crise sanitaire.

Une grande partie des vingt-cinq CRA habituellement opérationnels ont été fermés afin de regrouper les personnes retenues dans quelques centres . Selon la CGLPL, seuls douze 80 ( * ) CRA sont ainsi restés actifs , au moins partiellement, durant la période.

Tant dans sa saisine du ministre de l'intérieur (faisant suite à une visite par ses services des centres de Vincennes et du Mesnil Amelot), que dans son rapport thématique consacré à cette période 81 ( * ) , la Contrôleure générale a dénoncé, dans des termes parfois sévères 82 ( * ) , des conditions d'hébergement ne garantissant pas, selon elle, la sécurité sanitaire et des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes retenues. S'appuyant sur ces constatations, elle recommandait la fermeture provisoire des CRA dans le contexte de l'épidémie de covid-19.

Le Conseil d'État, saisi par plusieurs associations, s'est refusé à prononcer une telle injonction 83 ( * ) . De son côté, la mission n'avait pas jugé opportune une telle fermeture des CRA, en raison notamment du risque pour la sécurité publique d'une mesure aussi générale et indiscriminée, relevant que les personnes retenues étaient en effet principalement des sortants de prison.

À ce titre, le ministre de l'intérieur a confirmé que sur les 722 retenus admis dans un CRA relevant de la PAF entre la mi-mars et la mi-mai, 496 sortaient d'établissements pénitentiaires, soit 69 % des admissions de la période (contre 12 % en 2019).

La mission de suivi avait néanmoins appelé à améliorer les conditions d'hygiène et le respect des mesures barrières , dans un contexte où le faible nombre de personnes retenues permet d'envisager, par exemple, que chacune d'entre elles bénéficie d'une chambre individuelle.

À ce titre, elle se félicite que, dès le 17 mars, le ministère des solidarités et de la santé ait préconisé plusieurs mesures en ce sens, comme :

- l'isolement et l'évaluation sanitaires des arrivants en CRA présentant les symptômes d'une infection au coronavirus et des personnes les développant ;

- la levée de la rétention si l'évaluation confirme l'infection (éventuellement assortie d'une assignation à résidence ou d'une orientation en centre d'hébergement dédié) ;

- l'instauration de mesures préventives (gestes barrières et distanciation, identification de chambres de mises à l'écart, affichages informatifs et décontamination notamment).

Malgré une trentaine de cas de suspicion de contamination, aucune des personnes retenues placées sous la surveillance de la PAF n'a été testée positive au coronavirus entre le 16 mars et le 2 juin . Les policiers font cependant état de retenus ayant feint des symptômes pour essayer d'être libérés, la rétention et l'éloignement hors de France de personnes symptomatiques ayant été proscrit.

Le CRA de Paris-Vincennes, qui relève de la préfecture de police de Paris, fait figure d'exception, avec dix contaminations : au 15 avril, trois personnes partageant la même chambre y avaient été testées positives à la covid-19, sept autres personnes, asymptomatiques, ayant été testées positives après un dépistage effectué sur l'ensemble de la population retenue 84 ( * ) .

Au total, malgré certaines difficultés d'organisation en raison des contraintes pesant sur les personnels (arrêts de travail pour maladie, éventuellement préventifs pour les personnes fragiles, et autorisations d'absence pour garde d'enfants), la mission note que la continuité du service dans les centres a été assurée grâce à une réorganisation des effectifs de police combinée à la baisse du nombre de personnes retenues , de centres ouverts, et de transferts à effectuer.

La mission salue également le ciblage dont les personnes sortant de prison ou susceptibles de représenter une menace pour l'ordre public ont fait l'objet, et les négociations entamées avec les pays de destination dans un contexte rendant difficile leur éloignement. Elle note, en revanche, que le respect des droits des retenus a considérablement pâti de l'absence sur site des acteurs chargés de leur assistance juridique et matérielle - la plupart n'offrant que certains services, et à distance. De même, la brusque suspension des visites pendant cette période a parfois été mal acceptée. À cet égard, il paraît souhaitable que les modalités d'exercice de leurs droits par les retenus reviennent au plus vite à la normale, si elles sont compatibles avec un strict respect des « gestes barrières », comme cela semble bien être le cas.

Les principales propositions de la mission de suivi

Proposition n° 1 : Assurer la sécurisation périmétrique des établissements pénitentiaires afin de réduire les projections et les trafics en prison.

Proposition n° 2 : En cas de retour de la pandémie, faire bénéficier le personnel pénitentiaire du dispositif d'accueil des enfants dans les écoles compte tenu des impératifs de continuité du service.

Proposition n° 3 : Poursuivre la production de masques dans les ateliers pénitentiaires afin de répondre aux besoins de l'administration pénitentiaire et des services judiciaires et de contribuer à la souveraineté nationale dans ce domaine.

Proposition n° 4 : Relancer au plus vite les activités d'enseignement et de formation dans les lieux de privation de liberté, notamment pour les mineurs, grâce à la mobilisation de l'administration pénitentiaire, de l'éducation nationale et des conseils régionaux.

Proposition n° 5 : Réfléchir à la possibilité de faire recruter des enseignants par l'administration pénitentiaire et la PJJ dans le but de dispenser un enseignement tout au long de l'année civile.

Proposition n° 6 : Prendre en compte les besoins des SPIP en matière de travail à distance dans le cadre de la numérisation de la justice.

Proposition n° 7 : Faciliter le maintien du lien entre les détenus et leur famille en déployant des parloirs par visioconférence et en accordant la gratuité des communications téléphoniques aux mineurs.

Proposition n° 8 : Pour améliorer les conditions de détention et éviter le retour de la surpopulation carcérale, poursuivre le programme de construction de nouvelles places de prison et préférer les peines alternatives aux courtes peines d'emprisonnement.

Proposition n° 9 : Élaborer un plan de continuité du dispositif national d'asile pour éviter une interruption en cas de nouvelle crise sanitaire.


* 74 Commission européenne, communication 2020 COM(2020) 222 finale de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil concernant la deuxième évaluation de l'application de la restriction temporaire des déplacements non essentiels vers l'UE.

* 75 Dans le cadre d'une instruction du Premier ministre du 18 mars 2020, prolongée, complétée et précisée à deux reprises (par de nouvelles instructions du 15 avril et du 12 mai), des refus d'entrée sur le territoire devaient être prononcés à l'égard des étrangers se présentant aux frontières, à l'exception des citoyens européens ou assimilés, des ressortissants d'États tiers disposant d'un titre de séjour en Europe et rejoignant leur domicile et de certains professionnels autorisés à pénétrer dans l'espace européen.

* 76 Conseil d'État, 9 avril 2020, n° 439895, Association mouvement citoyen tous migrants et autres.

* 77 « [L]e placement ou le maintien en rétention d'étrangers faisant l'objet d'une mesure ordonnant leur éloignement du territoire français ne saurait, sans méconnaître l'objet assigné par la loi à la mise en rétention, être décidé par l'autorité administrative lorsque les perspectives d'éloignement effectif du territoire à brève échéance sont inexistantes. A cet égard, il résulte des éléments versés dans le cadre de l'instruction de la présente demande en référé, que l'autorité administrative a pu procéder, dans la période récente, à des éloignements du territoire, en dépit des restrictions mises par de nombreux États à l'entrée sur leur territoire de ressortissants de pays tiers et de la très forte diminution des transports aériens. Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, que devrait être ordonnée, au motif d'une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, la fermeture temporaire de l'ensemble des centres de rétention administrative par la mesure de portée générale que demandent les organisations requérantes, alors que la loi donne au juge des libertés et de la détention compétence pour mettre fin à la rétention lorsqu'elle ne se justifie plus pour quelque motif que ce soit. » (Conseil d'État, juge des référés, 27 mars 2020, n° 439720, GISTI et autres).

* 78 À ce titre, l'article L. 741-1 du CESEDA impose à l'administration un délai de 3 jours pouvant être augmenté au maximum à dix jours pour procéder à l'enregistrement des demandes d'asile.

* 79 Tribunal administratif de Paris, juge des référés, 2006359/9, 21 avril 2020, LDH et autres ; Conseil d'État, juge des référés, 30 avril 2020, n° s 440250 et 440253, Ministre de l'Intérieur.

* 80 Ceux, de la compétence de la PAF, situés à Bordeaux (Gironde), Lille-Lesquin (Nord), Lyon, Le Mesnil-Amelot (« CRA 2 »), Metz, Nîmes, Oissel-Rouen, Toulouse-Cornebarrieu et, outre-mer, en Guyane, Guadeloupe et à Mayotte, ainsi que le « CRA 2 » du centre de Paris-Vincennes, administré par la préfecture de police de Paris.

* 81 « Les droits fondamentaux des personnes privées de liberté à l'épreuve de la crise sanitaire - 17 mars au 10 juin 2020 ».

* 82 Elle juge ainsi que les mesures de prévention de la propagation du virus ont été insuffisantes, notamment en qui concerne l'utilisation des masques. Elle déplore de mauvaises conditions d'hygiène et l'absence de mesure spécifique visant à désinfecter régulièrement les locaux pour éliminer le virus. Sur le plan juridique, elle estime que les rétentions se trouvent dépourvues de base légale, du fait de l'impossibilité de poursuivre les mesures d'éloignement, et note que les associations qui accompagnent habituellement les personnes retenues dans leurs démarches juridictionnelles sont peu accessibles, tandis que les désignations d'avocats commis d'office ont été suspendues. Dans ces conditions, les garanties entourant les droits de la défense ne seraient plus apportées.

* 83 Cf. supra : Conseil d'État, juge des référés, n° 439720, 27 mars 2020, GISTI et autres.

* 84 Parmi ces dix personnes, six ont été libérées et orientées vers des centres de l'ARS consacrés aux personnes précaires contaminées et quatre ont été maintenues au CRA après refus de l'ARS et avis de la préfecture. Saisi de la situation spécifique des étrangers retenus au CRA de Vincennes, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint le 15 avril aux autorités administratives compétentes d'exclure ce centre comme lieu d'exécution des futures mesures de placement en rétention, d'isoler, de confiner, et de maintenir l'accès aux soins des personnes symptomatiques, et enfin d'orienter les personnes testées positives au covid-19 vers un centre de l'Agence régionale de Santé (ARS) après avoir levé leur rétention. Cette ordonnance n'a cependant fait l'objet que d'une exécution partielle par le préfet de police, décision que le juge des référés, à nouveau saisi, a validée s'agissant de certains retenus atteints de la covid-19 mais particulièrement dangereux, et que l'ARS refusait d'accueillir dans un centre de soins.

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